Master 2 Etudes Européennes et Internationales

Découvrez nos formations

 

CJUE, 26 février 2015, aff. C-472/13, Andre Lawrence Shepherd c/ Bundesrepublik Deutschland

 

 

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

26 février 2015 (*)

 

 

«Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Asile – Directive 2004/83/CE – Article 9, paragraphe 2, sous b), c) et e) – Normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié – Conditions pour être considéré comme réfugié – Actes de persécution – Sanctions pénales à l’égard d’un militaire des États-Unis ayant refusé de servir en Iraq»

Dans l’affaire C‑472/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bayerisches Verwaltungsgericht München (Allemagne), par décision du 20 août 2013, parvenue à la Cour le 2 septembre 2013, dans la procédure

Andre Lawrence Shepherd

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 juin 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Shepherd, par Me R. Marx, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze ainsi que par Mmes A. Wiedmann et K. Petersen, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mme M. Michelogiannaki, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. M. Holt, en qualité d’agent, assisté de Mme S. Fatima, barrister,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande et M. W. Bogensberger, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 novembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous b), c) et e), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO L 304, p. 12, et rectificatifs JO 2005, L 204, p. 24, et JO 2011, L 278, p. 13).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Shepherd, ressortissant des États-Unis, à la Bundesrepublik Deutschland au sujet de la décision de cette dernière de lui refuser le statut de réfugié.

 Le cadre juridique

 La convention relative au statut des réfugiés

3        En vertu de l’article 1er, section A, paragraphe 2, premier alinéa, de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, n° 2545 (1954)], et entrée en vigueur le 22 avril 1954 (ci‑après la «convention de Genève»), telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, lui‑même entré en vigueur le 4 octobre 1967, le terme «réfugié» s’applique à toute personne qui, «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner».

 La directive 2004/83

4        La directive 2004/83 comporte les considérants suivants:

«(1)      Une politique commune dans le domaine de l’asile, comprenant un régime d’asile européen commun, est un élément constitutif de l’objectif de l’Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans [l’Union].

[...]

(3)      La convention de Genève [...] [constitue] la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés.

[...]

(6)      L’objectif principal de la présente directive est, d’une part, d’assurer que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale et, d’autre part, d’assurer un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres.

[...]

(16)      Il convient que des normes minimales relatives à la définition et au contenu du statut de réfugié soient établies pour aider les instances nationales compétentes des États membres à appliquer la convention de Genève.

(17)      Il est nécessaire d’adopter des critères communs pour reconnaître aux demandeurs d’asile le statut de réfugié au sens de l’article 1er de la convention de Genève.»

5        Selon son article 1er, la directive 2004/83 a pour objet d’établir des normes minimales relatives, d’une part, aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale et, d’autre part, au contenu de la protection accordée.

6        Aux termes de l’article 2, sous c), de cette directive, aux fins de celle‑ci, on entend par ‘réfugié’ «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays [...]».

7        L’article 4 de ladite directive définit les conditions d’évaluation des faits et des circonstances pertinents qu’il incombe au demandeur de présenter en vue d’étayer sa demande de protection internationale. Cet article dispose, à son paragraphe 3:

«Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants:

a)      tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués;

b)      les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécution [...]

c)      le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave;

[...]»

8        L’article 9 de la même directive, intitulé «Actes de persécution», définit ceux-ci en ces termes, à ses paragraphes 1 et 2:

«1.      Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article [1er, section A,] de la convention de Genève doivent:

a)      être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950], ou

b)      être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a).

2.      Les actes de persécution, au sens du paragraphe 1, peuvent notamment prendre les formes suivantes:

[...]

b)      les mesures légales, administratives, de police et/ou judiciaires qui sont discriminatoires en soi ou mises en œuvre d’une manière discriminatoire;

c)      les poursuites ou sanctions qui sont disproportionnées ou discriminatoires;

[...]

e)      les poursuites ou sanctions pour refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque le service militaire supposerait de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant des clauses d’exclusion visées à l’article 12, paragraphe 2;

[...]»

9        L’article 9, paragraphe 3, de la directive 2004/83 exige l’existence d’un lien entre les motifs de persécution mentionnés à l’article 10 de celle-ci et les actes de persécution.

10      L’article 12 de ladite directive, intitulé «Exclusion», énonce à ses paragraphes 2 et 3:

«2.      Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser:

a)      qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b)      qu’il a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays de refuge avant d’être admis comme réfugié, c’est-à-dire avant la date d’obtention du titre de séjour délivré sur la base du statut de réfugié; les actions particulièrement cruelles, même si elles sont commises avec un objectif prétendument politique, pourront recevoir la qualification de crimes graves de droit commun;

c)      qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies tels qu’ils figurent dans le préambule et aux articles 1 et 2 de la charte des Nations unies.

3.      Le paragraphe 2 s’applique aux personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes visés par ledit paragraphe, ou qui y participent de quelque autre manière.»

11      Conformément à l’article 13 de la même directive 2004/83, l’État membre octroie le statut de réfugié au demandeur si celui-ci remplit, notamment, les conditions énoncées aux articles 9 et 10 de celle-ci.

 Le droit allemand

12      Selon l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la procédure d’asile (Asylverfahrensgesetz), du 27 juillet 1993 (BGBl. 1993 I, p. 1361), dans sa version publiée le 2 septembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 1798, ci-après l’«AsylVfG»), à laquelle se réfère la juridiction de renvoi:

«1.      Un étranger est un réfugié au sens de la convention [de Genève] si, dans l’État dont il possède la nationalité ou dans lequel, s’il est apatride, il avait sa résidence habituelle, il est exposé aux menaces visées à l’article 60, paragraphe 1, de la loi relative au séjour, à l’activité professionnelle et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral (Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet), du 30 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1950, ci-après l’«Aufenthaltsgesetz»).

2.      Un étranger n’est pas un réfugié au sens du paragraphe 1 lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser:

1)      qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes,

2)      qu’il a commis, avant d’être admis comme réfugié, un crime grave de droit commun en dehors du territoire fédéral, spécialement une action particulièrement cruelle, même si elle est commise avec un objectif prétendument politique, ou

3)      qu’il a agi en violation des buts et des principes des Nations unies.

La première phrase s’applique aussi aux étrangers qui sont les instigateurs des crimes ou des actes visés par ledit paragraphe, ou qui y participent de quelque autre manière.»

13      Aux termes de l’article 60, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz, dans sa version publiée le 25 février 2008 (BGBl. 2008 I, p. 162):

«1.      En application de la convention [de Genève] [...], un ressortissant étranger ne peut être expulsé vers un État dans lequel sa vie ou sa liberté est menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. [...] La persécution au sens de la première phrase peut provenir

a)      de l’État,

b)      de partis ou d’organisations qui dominent l’État ou des parties substantielles du territoire de l’État ou

c)      d’acteurs non étatiques, dans la mesure où les acteurs mentionnés sous a) et b), y compris les organisations internationales, dont il est avéré qu’ils ne sont pas en mesure ou ne sont pas désireux d’offrir une protection contre la persécution, et cela indépendamment de la question de savoir s’il existe ou non dans le pays un pouvoir étatique,

à moins qu’il n’existe une possibilité de fuite à l’échelle interne.

Pour déterminer s’il y a persécution au sens de la première phrase, il y a lieu d’appliquer à titre complémentaire les articles 4, paragraphe 4, et 7 à 10 de la directive 2004/83 [...]. Lorsque l’étranger se prévaut de l’interdiction de l’éloignement au titre de ce paragraphe, le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge [(Office fédéral de la migration et des réfugiés)] [...] détermine dans une procédure d’asile si les conditions requises à la première phrase sont remplies et s’il y a lieu de reconnaître à l’étranger le statut de réfugié. La décision du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge ne peut être contestée que selon les dispositions de l’[AsylVfG].»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      M. Shepherd, ressortissant des États-Unis, s’est engagé au mois de décembre 2003, dans son pays, à servir dans l’armée américaine pour une durée de quinze mois dans les troupes actives. Il a reçu une formation de technicien de maintenance d’hélicoptères et, au mois de septembre 2004, il a été muté dans un bataillon de soutien aérien à Katterbach (Allemagne). Son unité se trouvait à l’époque déjà engagée en Iraq et il a, par conséquent, rejoint le camp de Speicher, près de Tikrit (Iraq).

15      Il a travaillé entre le mois de septembre 2004 et celui de février 2005 à l’entretien des hélicoptères et n’a participé directement ni à des opérations militaires ni à des combats.

16      Au mois de février 2005, son unité a été rapatriée en Allemagne. Il a prolongé la durée de son contrat.

17      Le 1er avril 2007, il a reçu un ordre de mission pour rejoindre de nouveau l’Iraq. Avant son départ d’Allemagne, il a quitté l’armée, le 11 avril 2007, considérant qu’il ne devait plus participer à une guerre qu’il estimait illégale en Iraq et aux crimes de guerre qui, selon lui, y étaient commis. Il a été hébergé chez une connaissance jusqu’au dépôt de sa demande d’asile, au mois d’août 2008, auprès des autorités allemandes compétentes. À l’appui de sa demande, il a fait valoir en substance que du fait de son refus d’accomplir son service militaire en Iraq, il était menacé de poursuites pénales et que la désertion étant, du point de vue américain, un crime majeur, elle affectait sa vie en l’exposant à un rejet social dans son pays.

18      Le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge a rejeté la demande d’asile, par décision du 31 mars 2011.

19      L’intéressé a demandé à la juridiction de renvoi l’annulation de cette décision et que lui soit reconnu le statut de réfugié. Il s’est fondé sur les dispositions combinées de l’article 3, paragraphes 1 et 4, de l’AsylVfG et de l’article 60, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz.

20      Pour la juridiction de renvoi, au-delà de la question de savoir si le demandeur sera à l’avenir menacé de persécution dans son pays d’origine en raison de sa désertion, il importe, en particulier, de déterminer le degré d’implication dans les opérations militaires auquel doit répondre un membre des forces armées pour que les sanctions qui découlent de sa désertion soient qualifiées d’«actes de persécution», au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, étant donné que l’expression «service militaire [supposant] de commettre des crimes visés à l’article 12, paragraphe 2» qui y figure n’est pas clairement définie.

21      C’est dans ces conditions que le Bayerisches Verwaltungsgericht München a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83 doit-il être interprété en ce sens que la protection ne concerne que les personnes dont le domaine d’activité militaire concret implique la participation directe à des opérations de combat, donc des missions armées, ou qui disposent du pouvoir d’ordonner de telles interventions (première branche), ou d’autres membres des forces armées peuvent-ils aussi être protégés par cette disposition lorsque leur domaine d’activité se limite au soutien logistique technique de la troupe, en dehors du théâtre des combats proprement dits, et n’a que des incidences indirectes sur le déroulement même des combats (seconde branche)?

2)      Dans l’hypothèse où il y aurait lieu de répondre à la première question dans le sens de sa seconde branche:

L’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83 doit‑il être interprété en ce sens que le service militaire en cas de conflit (interne ou international) doit majoritairement ou systématiquement amener ou contraindre à commettre des crimes ou des actes visés à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/83 (première branche), ou suffit‑il que le demandeur d’asile démontre que des crimes visés à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/83 ont été commis dans certains cas, sur le terrain des opérations où il est engagé, par les forces armées auxquelles il appartient, soit parce que certains ordres de mission se sont révélés criminels en ce sens, soit parce qu’il s’agit d’excès commis par des individus (seconde branche)?

3)      Dans l’hypothèse où il y aurait lieu de répondre à la deuxième question dans le sens de sa seconde branche:

Le statut de réfugié n’est-il accordé que lorsqu’il y a lieu de penser, sans aucun doute raisonnable, que des violations du droit international humanitaire se produiront aussi, selon toute probabilité, à l’avenir, ou suffit-il que le demandeur d’asile fasse état de faits montrant que de tels crimes se produisent (inévitablement ou vraisemblablement) dans le conflit en question, et qu’on ne peut donc pas exclure la possibilité qu’il puisse être amené à y être impliqué?

4)      La non-tolérance ou la répression des violations du droit international humanitaire par les tribunaux militaires excluent‑elles une protection en tant que réfugié au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, ou cet élément ne joue-t-il aucun rôle?

Faut-il même qu’une sanction ait été prise par la Cour pénale internationale?

5)      Le fait que l’engagement des troupes ou le statut d’occupation aient été entérinés par la communauté internationale ou reposent sur un mandat du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies exclut-il toute protection en tant que réfugié?

6)      Est-il nécessaire, pour que la protection en tant que réfugié lui soit accordée au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, que le demandeur d’asile puisse être condamné, s’il effectue son service, en application des statuts de la Cour pénale internationale (première branche), ou la protection en tant que réfugié est-elle accordée alors que ce seuil n’est pas atteint, que le demandeur d’asile n’a donc pas à craindre une sanction pénale, mais qu’il ne peut cependant pas concilier les obligations du service militaire avec sa conscience (seconde branche)?

7)      Dans l’hypothèse où il y aurait lieu de répondre à la sixième question dans le sens de sa seconde branche:

Le fait que le demandeur d’asile n’a pas fait usage de la possibilité de suivre une procédure normale d’objecteur de conscience, alors qu’il en aurait eu la possibilité, exclut-il toute protection en tant que réfugié au sens des dispositions précitées, ou la protection en tant que réfugié entre-t-elle aussi en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’une décision actuelle prise en conscience?

8)      Le renvoi infamant de l’armée, la condamnation à une peine d’emprisonnement et le rejet social et les désavantages qui en découlent constituent-ils un acte de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous b) ou c), de la directive 2004/83?»

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

22      Il importe de rappeler, en premier lieu, qu’il ressort des considérants 3, 16 et 17 de la directive 2004/83 que la convention de Genève constitue la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés et que les dispositions de cette directive relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ainsi qu’au contenu de ce dernier ont été adoptées pour aider les autorités compétentes des États membres à appliquer cette convention en se fondant sur des notions et des critères communs (arrêt X e.a., C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, point 39 et jurisprudence citée).

23      L’interprétation des dispositions de la directive 2004/83 doit, dès lors, être effectuée à la lumière de l’économie générale et de la finalité de celle-ci, dans le respect de la convention de Genève et des autres traités pertinents visés à l’article 78, paragraphe 1, TFUE. Cette interprétation doit également se faire, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de cette directive, dans le respect des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (arrêt X e.a., EU:C:2013:720, point 40).

24      Il convient de rappeler, en deuxième lieu, que, aux termes de l’article 2, sous c), de la directive 2004/83, le réfugié est, notamment, un ressortissant d’un pays tiers qui se trouve hors du pays dont il a la nationalité «parce qu’il craint avec raison d’être persécuté» du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, et qui ne peut ou, «du fait de cette crainte», ne veut se réclamer de la «protection» de ce pays. Le ressortissant concerné doit ainsi, en raison de circonstances existant dans son pays d’origine, être confronté à la crainte fondée d’une persécution exercée sur sa personne pour au moins l’un des cinq motifs énumérés dans cette directive et dans la convention de Genève (arrêt Salahadin Abdulla e.a., C-175/08, C‑176/08, C-178/08 et C-179/08, EU:C:2010:105, points 56 et 57).

25      En troisième lieu, il doit être souligné que l’article 9 de la directive 2004/83 définit les éléments qui permettent de considérer des actes comme étant constitutifs d’une persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève. À cet égard, l’article 9, paragraphe 1, sous a), de cette directive précise que les actes pertinents doivent être suffisamment graves en raison de leur nature ou de leur répétition pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits absolus auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ladite directive précise qu’une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui est suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la même directive doit également être considérée comme étant une persécution. Il ressort de ces dispositions que, pour qu’une violation des droits fondamentaux constitue une persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, elle doit atteindre un certain niveau de gravité (arrêt X e.a., EU:C:2013:720, points 51 à 53).

26      En quatrième lieu, il importe de relever que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, sous a), b) et c), de la directive 2004/83, lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale, il convient de tenir compte de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, des informations et des documents pertinents présentés par le demandeur ainsi que de son statut individuel et de sa situation personnelle.

27      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’interpréter les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, telles que visées par la juridiction de renvoi dans ses sept premières questions, ainsi que celles de l’article 9, paragraphe 2, sous b) et c), visées par ladite juridiction dans sa huitième question.

28      Dans cette perspective, il y a lieu de rappeler également que, selon l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2004/83, «[l]es actes de persécution, au sens du paragraphe 1, peuvent notamment prendre les formes suivantes: [...] b) les mesures légales, administratives, de police et/ou judiciaires qui sont discriminatoires en soi ou mises en œuvre d’une manière discriminatoire; c) les poursuites ou sanctions qui sont disproportionnées ou discriminatoires; [...] e) les poursuites ou sanctions pour refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque le service militaire supposerait de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant des clauses d’exclusion visées à l’article 12, paragraphe 2».

29      Par ailleurs, s’agissant de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/83, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 39 à 43 de ses conclusions, est seule pertinente, dans le contexte de l’affaire au principal, la référence aux «crimes de guerre» visés au point a) de ce paragraphe.

 Sur les première à septième questions

30      Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83 doivent être interprétées en ce sens que certaines circonstances tenant en particulier à la nature des fonctions exercées par le militaire concerné, à celle du refus qu’il prétend opposer, à celle du conflit en cause et à celle des crimes qu’impliquerait celui-ci ont une incidence déterminante dans l’appréciation à laquelle doivent se livrer les autorités nationales pour vérifier qu’une situation telle que celle en cause au principal entre dans le champ d’application de ces dispositions.

31      Avant d’apprécier ainsi la portée de telles circonstances, il convient de relever, d’une part, qu’il n’est pas contesté que, dans l’affaire au principal, le ressortissant qui demande le statut de réfugié s’expose à des poursuites et à des sanctions dans son pays d’origine pour avoir refusé d’effectuer son service lors d’un conflit. En conséquence, les présentes questions, comme cela ressort d’ailleurs de la décision de renvoi, portent non pas sur les motifs de la persécution, tels que visés à l’article 10 de la directive 2004/83, mais uniquement sur les circonstances qui sont requises pour que ces poursuites et sanctions puissent être qualifiées d’«actes de persécution» tels que mentionnés à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette directive.

32      D’autre part, il importe de rappeler que l’objectif de la directive 2004/83 vise, comme il ressort notamment de ses considérants 1 et 6, à identifier les personnes qui, poussées par les circonstances, ont réellement et légitimement besoin de protection internationale dans l’Union. Le contexte de cette directive est essentiellement humanitaire (voir, en ce sens, arrêt B et D, C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 93).

33      Dans ce contexte, il y a lieu de constater que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, en ce qu’elles visent le refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque ce service supposerait de commettre des crimes de guerre, ne présentent aucun caractère restrictif quant aux personnes concernées par un tel service. Il doit dès lors être admis que le législateur de l’Union, en adoptant ces dispositions, n’a pas entendu en restreindre le bénéfice à certains personnels effectuant un tel service en fonction notamment de leur rang dans la hiérarchie militaire, des conditions dans lesquelles ils ont été recrutés ou encore de la nature des activités qu’ils exercent. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 32 de ses conclusions, ces dispositions couvrent tout le personnel militaire, y compris, par conséquent, le personnel logistique ou d’appui.

34      Toutefois, compte tenu de l’objectif de la directive 2004/83, rappelé au point 32 du présent arrêt, qui vise à identifier les personnes qui, poussées par les circonstances, ont réellement et légitimement besoin de protection internationale dans l’Union, la qualité de personnel militaire constitue une condition nécessaire mais non suffisante pour bénéficier de la protection qu’impliquent les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de cette directive.

35      En ce qui concerne, premièrement, les conditions d’application de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, il convient de relever, en premier lieu, que cette disposition vise une situation de conflit. Il en résulte que tout refus de service militaire, quel qu’en soit le motif, ne saurait, en dehors d’un tel conflit, relever du champ d’application de ladite disposition. Les circonstances dont il est demandé à la Cour d’apprécier la portée pour délimiter ce champ d’application doivent dès lors être en rapport direct avec un conflit déterminé.

36      En deuxième lieu, il ressort du texte même de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83 que c’est le service militaire lui-même qui supposerait de commettre des crimes de guerre. Cette disposition ne vise pas seulement la situation dans laquelle le demandeur serait conduit personnellement à commettre de tels crimes.

37      Il en résulte que le législateur de l’Union a entendu que soit pris en compte objectivement le contexte général dans lequel est exercé ce service. Ne sont, par suite, pas exclues, par principe, les situations dans lesquelles le demandeur ne participerait qu’indirectement à la commission de tels crimes, parce que, notamment, il n’appartiendrait pas aux troupes de combat mais, par exemple, serait affecté à une unité de logistique ou d’appui. En conséquence, la circonstance que l’intéressé, du fait du caractère simplement indirect de cette participation, ne pourrait faire l’objet, à titre personnel, de poursuites selon les critères du droit pénal, et en particulier de celles relevant de la Cour pénale internationale, ne saurait s’opposer à la protection qui découle de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83.

38      Toutefois, même si le bénéfice de la protection internationale n’est pas réservé à ceux qui pourraient personnellement être conduits à commettre des actes qualifiés de crimes de guerre, notamment les troupes de combat, cette protection ne peut être étendue qu’aux seules autres personnes dont l’exercice de leurs fonctions pourrait les conduire de manière suffisamment directe et avec une plausibilité raisonnable à participer à de tels actes.

39      En troisième lieu, l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83 vise à protéger le demandeur qui s’oppose au service militaire parce qu’il ne veut pas s’exposer à commettre, dans l’avenir, des actes de la nature de ceux que vise l’article 12, paragraphe 2, de cette directive. L’intéressé ne peut, dès lors, se fonder que sur le caractère plausible de la survenance de tels actes. Il en résulte que ces dispositions de ladite directive ne sauraient être interprétées comme couvrant exclusivement les situations dans lesquelles il est établi que l’unité à laquelle appartient le demandeur aurait d’ores et déjà commis des crimes de guerre. Il ne saurait être davantage exigé que des actes de cette unité aient déjà été sanctionnés par la Cour pénale internationale, à supposer même que celle-ci fût compétente en l’espèce.

40      En quatrième et dernier lieu, si, dans le cadre de l’appréciation des faits à laquelle, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/83, il incombe aux seules autorités nationales de procéder, sous le contrôle du juge, pour qualifier la situation du service en cause, certains évènements tels que, notamment, le comportement passé de l’unité à laquelle appartient le demandeur ou les condamnations pénales prononcées contre des membres de cette unité peuvent constituer l’un des indices rendant probable que celle-ci commette de nouveaux crimes de guerre, ils ne sauraient pour autant, à eux seuls, établir automatiquement, au moment du refus de servir opposé par le demandeur du statut de réfugié, le caractère plausible de la réalisation de tels crimes. L’appréciation à laquelle doivent se livrer ainsi les autorités nationales ne peut, dans ces conditions, se fonder que sur un faisceau d’indices, seul de nature à établir, au vu de l’ensemble des circonstances en cause, que la situation de ce service rend plausible la réalisation de tels actes.

41      En ce qui concerne, deuxièmement, l’importance qu’il convient d’attacher à la circonstance que l’État concerné réprime les crimes de guerre ou à celle que l’intervention armée aurait été engagée sur la base d’un mandat du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies ou encore sur la base d’un consensus de la communauté internationale, il convient de relever, d’une part, qu’une intervention armée menée sur la base d’une résolution dudit Conseil de sécurité offre, en principe, toutes les garanties que des crimes de guerre ne seront pas commis à son occasion et qu’il en va de même, en principe, d’une opération qui donne lieu à un consensus international. Dans ces conditions, même s’il ne peut jamais être exclu que des actes contraires aux principes mêmes de la charte des Nations unies soient commis dans le cadre d’opérations de guerre, la circonstance que l’intervention armée ait lieu dans un tel cadre doit être prise en considération.

42      Il doit être relevé, d’autre part, que, conformément à l’article 4, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/83, une telle importance doit également être attachée à la circonstance que l’État ou les États qui mènent les opérations répriment les crimes de guerre. L’existence, dans l’ordre juridique de ces États, d’une législation qui punit les crimes de guerre et de juridictions qui en assurent l’effective répression est de nature à rendre peu plausible la thèse selon laquelle un militaire de l’un de ces États pourrait être amené à commettre de tels crimes et il ne saurait, par suite, en aucun cas, en être fait abstraction.

43      Il en résulte que, dans de telles conditions, il incombe à celui qui cherche à se voir reconnaître la qualité de réfugié au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83 d’établir avec une plausibilité suffisante que l’unité à laquelle il appartient mène les opérations qui lui ont été assignées, ou les a menées par le passé, dans des conditions telles qu’il est hautement probable que soient commis des agissements de la nature de ceux visés à cette disposition.

44      Troisièmement, dès lors que les actes de persécution dont se prévaut le demandeur du statut de réfugié doivent, selon ces dispositions de la directive 2004/83, découler de son refus d’effectuer le service, ce refus doit constituer le seul moyen permettant à ce demandeur d’éviter la participation aux crimes de guerre allégués. À cet égard, l’appréciation à laquelle doivent se livrer les autorités nationales doit tenir compte, conformément à l’article 4, paragraphe 3, sous c), de la directive 2004/83, du fait, notamment, que, en l’occurrence, ledit demandeur non seulement s’est engagé volontairement dans les forces armées alors qu’elles étaient déjà impliquées dans le conflit en Iraq, mais, après avoir effectué au sein de celles-ci un premier séjour dans ce pays, a renouvelé son engagement dans lesdites forces.

45      Il s’ensuit que la circonstance, invoquée par la juridiction de renvoi dans sa septième question, que le demandeur du statut de réfugié se serait abstenu de recourir à une procédure visant à l’obtention du statut d’objecteur de conscience exclut toute protection au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, à moins que ledit demandeur ne prouve qu’aucune procédure d’une telle nature ne lui aurait été disponible dans sa situation concrète.

46      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre aux première à septième questions que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83 doivent être interprétées en ce sens:

–        qu’elles couvrent tout le personnel militaire, y compris le personnel logistique ou d’appui;

–        qu’elles visent la situation dans laquelle le service militaire accompli supposerait lui-même, dans un conflit déterminé, de commettre des crimes de guerre, y compris les situations dans lesquelles le demandeur du statut de réfugié ne participerait qu’indirectement à la commission de tels crimes dès lors que, par l’exercice de ses fonctions, il fournirait, avec une plausibilité raisonnable, un appui indispensable à la préparation ou à l’exécution de ceux-ci;

–        qu’elles visent non pas exclusivement les situations dans lesquelles il est établi que des crimes de guerre ont déjà été commis ou seraient susceptibles de relever de la Cour pénale internationale, mais aussi celles dans lesquelles le demandeur du statut de réfugié est en mesure d’établir qu’il est hautement probable que soient commis de tels crimes;

–        que l’appréciation des faits à laquelle il incombe aux seules autorités nationales de procéder, sous le contrôle du juge, pour qualifier la situation du service concerné, doit se fonder sur un faisceau d’indices de nature à établir, au vu de l’ensemble des circonstances en cause, notamment celles relatives aux faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande ainsi qu’au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur, que la situation du service rend plausible la réalisation des crimes de guerre allégués;

–        que les circonstances qu’une intervention militaire a été engagée en vertu d’un mandat du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies ou sur le fondement d’un consensus de la communauté internationale et que l’État ou les États menant les opérations répriment les crimes de guerre doivent être prises en considération dans l’appréciation qui incombe aux autorités nationales, et

–        que le refus d’effectuer le service militaire doit constituer le seul moyen permettant au demandeur du statut de réfugié d’éviter la participation aux crimes de guerre allégués, et que, en conséquence, si celui-ci s’est abstenu de recourir à une procédure visant à l’obtention du statut d’objecteur de conscience, une telle circonstance exclut toute protection au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, à moins que ledit demandeur ne prouve qu’aucune procédure d’une telle nature ne lui aurait été disponible dans sa situation concrète.

 Sur la huitième question

47      Par sa huitième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2004/83 doivent être interprétées en ce sens que, au nombre des actes de persécution qu’elles visent, doivent être admises les mesures encourues par un militaire du fait de son refus d’effectuer le service militaire, telles qu’une condamnation à une peine d’emprisonnement, le renvoi à caractère infamant de l’armée ainsi que le rejet social et les désavantages qui en découlent.

48      Eu égard aux considérations qu’elle a retenues à l’appui de ses questions précédentes, la juridiction de renvoi doit être regardée comme liant la présente question à la seule hypothèse où les autorités nationales chargées de l’examen de la demande du requérant au principal considéreraient qu’il n’est pas établi que le service qu’il a refusé d’effectuer aurait supposé de commettre des crimes de guerre.

49      Il y a lieu, dans ces conditions, de relever, d’abord, que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2004/83 visent des actes pris par les autorités publiques et dont le caractère discriminatoire ou disproportionné doit, selon le paragraphe 1 de cet article, atteindre un certain niveau de gravité, comme il a été rappelé au point 25 du présent arrêt, pour être considéré comme une violation des droits fondamentaux constitutive d’une persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève.

50      Ainsi que le relève Mme l’avocat général au point 80 de ses conclusions, déterminer si les poursuites et la sanction encourues par le requérant au principal, dans son pays d’origine, du fait de son refus d’effectuer le service militaire présentent un caractère disproportionné suppose qu’il soit vérifié que ces actes vont au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’État concerné exerce son droit légitime à maintenir une force armée.

51      Même si l’appréciation de cette nécessité suppose que soient pris en considération des éléments, de natures diverses, en particulier politique et stratégique, qui fondent la légitimité de ce droit et les conditions de son exercice, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de considérer qu’un tel droit devrait, dans le contexte de l’affaire au principal, être remis en cause, ni de considérer que son exercice ne justifierait pas que des sanctions pénales soient infligées aux militaires qui entendent se soustraire à leur service, ou que leur renvoi de l’armée soit prononcé en ce cas.

52      S’il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que le requérant au principal encourrait une peine d’emprisonnement de 100 jours à quinze mois, pour désertion, pouvant même atteindre cinq années, rien au dossier soumis à la Cour ne permet de considérer que de telles mesures dépasseraient manifestement ce qui est nécessaire pour que l’État concerné exerce son droit légitime à maintenir une force armée.

53      Il appartient, toutefois, aux autorités nationales de procéder à cet égard à un examen de tous les faits pertinents concernant le pays dont émane le demandeur du statut de réfugié, y compris, ainsi que le prévoit l’article 4, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/83, les lois et les règlements de ce dernier et la manière dont ils sont appliqués.

54      Ensuite, quant au contrôle du caractère discriminatoire des actes en cause, il supposerait de vérifier si, au regard des objectifs visés par une législation relevant de l’exercice légitime du droit à maintenir une force armée, la situation des militaires refusant d’effectuer leur service peut être comparée à celle d’autres personnes pour rechercher si les sanctions infligées aux premiers peuvent présenter un caractère manifestement discriminatoire. Or, les éléments du dossier soumis à la Cour ne permettent pas de considérer qu’existerait en l’espèce une telle situation comparable. Il appartient en tout état de cause aux autorités nationales de le vérifier.

55      Enfin, «le rejet social et les désavantages qui en découlent» évoqués dans la question de la juridiction de renvoi n’apparaissent que comme les conséquences des mesures, poursuites ou sanctions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2004/83 et ne peuvent, dès lors, être regardées comme étant, en tant que telles, au nombre de ces dernières.

56      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la huitième question que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2004/83 doivent être interprétées en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, il n’apparaît pas que les mesures encourues par un militaire du fait de son refus d’effectuer son service, telles qu’une condamnation à une peine d’emprisonnement ou le renvoi de l’armée, puissent être considérées, au regard de l’exercice légitime, par l’État concerné, de son droit à maintenir une force armée, comme étant à ce point disproportionnées ou discriminatoires qu’elles soient au nombre des actes de persécution que visent ces dispositions. Il appartient, toutefois, aux autorités nationales de le vérifier.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      Les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, doivent être interprétées en ce sens:

–        qu’elles couvrent tout le personnel militaire, y compris le personnel logistique ou d’appui;

–        qu’elles visent la situation dans laquelle le service militaire accompli supposerait lui-même, dans un conflit déterminé, de commettre des crimes de guerre, y compris les situations dans lesquelles le demandeur du statut de réfugié ne participerait qu’indirectement à la commission de tels crimes dès lors que, par l’exercice de ses fonctions, il fournirait, avec une plausibilité raisonnable, un appui indispensable à la préparation ou à l’exécution de ceux-ci;

–        qu’elles visent non pas exclusivement les situations dans lesquelles il est établi que des crimes de guerre ont déjà été commis ou seraient susceptibles de relever de la Cour pénale internationale, mais aussi celles dans lesquelles le demandeur du statut de réfugié est en mesure d’établir qu’il est hautement probable que soient commis de tels crimes;

–        que l’appréciation des faits à laquelle il incombe aux seules autorités nationales de procéder, sous le contrôle du juge, pour qualifier la situation du service concerné, doit se fonder sur un faisceau d’indices de nature à établir, au vu de l’ensemble des circonstances en cause, notamment celles relatives aux faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande ainsi qu’au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur, que la situation du service rend plausible la réalisation des crimes de guerre allégués;

–        que les circonstances qu’une intervention militaire a été engagée en vertu d’un mandat du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies ou sur le fondement d’un consensus de la communauté internationale et que l’État ou les États menant les opérations répriment les crimes de guerre doivent être prises en considération dans l’appréciation qui incombe aux autorités nationales, et

–        que le refus d’effectuer le service militaire doit constituer le seul moyen permettant au demandeur du statut de réfugié d’éviter la participation aux crimes de guerre allégués, et que, en conséquence, si celui-ci s’est abstenu de recourir à une procédure visant à l’obtention du statut d’objecteur de conscience, une telle circonstance exclut toute protection au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2004/83, à moins que ledit demandeur ne prouve qu’aucune procédure d’une telle nature ne lui aurait été disponible dans sa situation concrète.

2)      Les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2004/83 doivent être interprétées en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, il n’apparaît pas que les mesures encourues par un militaire du fait de son refus d’effectuer son service, telles qu’une condamnation à une peine d’emprisonnement ou le renvoi de l’armée, puissent être considérées, au regard de l’exercice légitime, par l’État concerné, de son droit à maintenir une force armée, comme étant à ce point disproportionnées ou discriminatoires qu’elles soient au nombre des actes de persécution que visent ces dispositions. Il appartient, toutefois, aux autorités nationales de le vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.

Back to top