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CJUE, 9 septembre 2015, aff. C-4/14, Christophe Bohez c/ Ingrid Wiertz

 

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

9 septembre 2015 (*)

 

 

«Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 44/2001 – Articles 1er, paragraphe 2, et 49 – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Matières exclues – Droit de la famille – Règlement (CE) n° 2201/2003 – Article 47, paragraphe 1 – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière de responsabilité parentale – Décision sur le droit de visite imposant une astreinte – Exécution de l’astreinte»

Dans l’affaire C‑4/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein oikeus (Finlande), par décision du 31 décembre 2013, parvenue à la Cour le 6 janvier 2014, dans la procédure

Christophe Bohez

contre

Ingrid Wiertz,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. S. Rodin, E. Levits, Mme M. Berger (rapporteur) et M. F. Biltgen, juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 janvier 2015,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Bohez, par Me L. Koskenvuo, asianajaja,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Banciella Rodríguez‑Miñón, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement lituanien, par MM. D. Kriaučiūnas et R. Dzikovič, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme A.‑M. Rouchaud‑Joët et M. E. Paasivirta, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 1er, paragraphe 2, et 49 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 12, p. 1), ainsi que de l’article 47, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Bohez à Mme Wiertz au sujet de l’exécution en Finlande d’une astreinte ordonnée dans une décision rendue par une juridiction belge afin de garantir le respect du droit de visite octroyé à M. Bohez à l’égard de ses enfants.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement n° 44/2001

3        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 44/2001, relatif au champ d’application de ce dernier, dispose:

«1.      Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. [...]

2.      Sont exclus de son application:

a)      l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions;

[...]»

4        L’article 45, paragraphe 2, de ce règlement, inséré dans le chapitre III, intitulé «Reconnaissance et exécution», prévoit:

«En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.»

5        Figurant sous le même chapitre III, l’article 49 dudit règlement dispose:

«Les décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine.»

 Le règlement n° 2201/2003

6        Le règlement n° 2201/2003 a abrogé et remplacé le règlement (CE) n° 1347/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs (JO L 160, p. 19).

7        Le considérant 2 du règlement n° 2201/2003 rappelle que le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions est la pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire et que, à cet égard, le droit de visite a été identifié comme une priorité.

8        L’article 1er de ce règlement définit son champ d’application comme suit:

«1.      Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives:

[...]

b)      à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

2.      Les matières visées au paragraphe 1, point b, concernent notamment:

a)      le droit de garde et le droit de visite;

[...]»

9        Aux termes de l’article 26 dudit règlement, «[e]n aucun cas, la décision ne peut faire l’objet d’une révision au fond».

10      S’agissant de la force exécutoire des décisions relatives au droit de visite, l’article 28, paragraphe 1, du même règlement dispose:

«Les décisions rendues dans un État membre sur l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, qui y sont exécutoires et qui ont été signifiées ou notifiées, sont mises en exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.»

11      Sous certaines conditions, les décisions relatives au droit de visite peuvent bénéficier d’un régime d’exécution automatique. L’article 41, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 2201/2003 prévoit à cet égard:

«Le droit de visite [...] accordé par une décision exécutoire rendue dans un État membre est reconnu et jouit de la force exécutoire dans un autre État membre sans qu’aucune déclaration lui reconnaissant force exécutoire ne soit requise et sans qu’il soit possible de s’opposer à sa reconnaissance si la décision a été certifiée dans l’État membre d’origine conformément au paragraphe 2.»

12      L’article 47, paragraphe 1, de ce règlement précise que la procédure d’exécution est déterminée par le droit de l’État membre d’exécution.

 Le droit national

 Le droit belge

13      En droit belge, l’astreinte est régie par les articles 1385 bis à 1385 nonies du code judiciaire. Aux termes de l’article 1385 bis de ce code:

«Le juge peut, à la demande d’une partie, condamner l’autre partie, pour le cas où il ne serait pas satisfait à la condamnation principale, au paiement d’une somme d’argent, dénommée astreinte, le tout sans préjudice des dommages-intérêts, s’il y a lieu. [...]»

14      Selon l’article 1385 ter dudit code:

«Le juge peut fixer l’astreinte soit à une somme unique, soit à une somme déterminée par unité de temps ou par contravention. Dans ces deux derniers cas, le juge peut aussi déterminer un montant au-delà duquel la condamnation aux astreintes cessera ses effets.»

15      Conformément à l’article 1385 quater du même code, le titre exécutoire permettant le recouvrement de l’astreinte est constitué par la décision judiciaire qui la prononce et le bénéficiaire ne doit pas obtenir, préalablement à l’exécution, la liquidation de l’astreinte.

16      Le bénéficiaire de l’astreinte a la charge de la preuve de la réunion des conditions d’exigibilité de celle-ci. En cas de contestation du débiteur, ledit bénéficiaire doit apporter la preuve des manquements allégués. Il appartient alors au juge de l’exécution d’apprécier si les conditions de l’astreinte sont réunies.

 Le droit finlandais

17      En droit finlandais, l’astreinte infligée aux fins d’assurer le respect d’un droit de visite est régie par la loi relative à l’exécution des décisions concernant le droit de garde et le droit de visite (lapsen huoltoa ja tapaamisoikeutta koskevan päätöksen täytäntöönpanosta annettu laki, ci-après la «TpL»), ainsi que par la loi sur l’astreinte (uhkasakkolaki).

18      Conformément à l’article 16, paragraphe 2, de la TpL, la juridiction qui, après le prononcé d’une décision relative au droit de visite, est saisie d’une affaire concernant l’exécution de ce droit peut obliger le défendeur à l’exécution à se conformer à la décision sous peine d’astreinte.

19      Selon l’article 18, paragraphes 1 et 2, de la TpL, l’astreinte est en principe fixée à une somme unique. Si les circonstances le justifient, l’astreinte peut cependant être fixée sous forme de sommes cumulatives.

20      L’astreinte est versée non pas au bénéficiaire, mais toujours à l’État.

21      En application de l’article 19, paragraphes 1 et 2, de la TpL, la juridiction peut, sur nouvelle demande, ordonner le paiement de l’astreinte qui a été fixée, si elle considère que cela est justifié. Le paiement de l’astreinte ne peut pas être ordonné si la partie obligée démontre qu’elle a eu une raison valable de ne pas exécuter l’obligation, ou lorsque l’obligation a été exécutée entre-temps.

22      L’article 11 de la loi sur l’astreinte autorise le juge à réduire le montant de l’astreinte à payer par rapport à celui qui a été initialement fixé si l’obligation principale a été remplie pour une partie substantielle ou si la capacité de paiement de la personne obligée s’est dégradée de manière significative ou s’il existe une autre raison valable.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

23      M. Bohez et Mme Wiertz se sont mariés en Belgique au cours de l’année 1997 et deux enfants sont nés de ce mariage. Le couple a divorcé durant l’année 2005 et Mme Wiertz est partie vivre en Finlande.

24      Le 28 mars 2007, le rechtbank van eerste aanleg te Gent (tribunal de première instance de Gand, Belgique) a rendu une décision relative à la garde, à la résidence, au droit de visite et à la pension alimentaire concernant ces enfants (ci‑après la «décision du 28 mars 2007»). Il a également assorti cette décision d’une astreinte visant à garantir le respect du droit de visite octroyé à M. Bohez, fixée à 1 000 euros par enfant pour chaque jour en cas de non-présentation. Le montant maximal de l’astreinte a été fixé à 25 000 euros.

25      Devant les juridictions finlandaises, M. Bohez a demandé que Mme Wiertz soit condamnée à lui verser l’astreinte fixée dans la décision du 28 mars 2007 ou que cette décision soit déclarée exécutoire en Finlande. À l’appui de sa demande, il a fait valoir devant l’Itä‑Uudenmaan käräjäoikeus (tribunal de première instance d’Itä Uusimaa, Finlande) que, à de nombreuses reprises, il n’avait pas bénéficié de son droit de visite, de sorte que le montant maximal de l’astreinte fixé dans cette décision avait été atteint. Se fondant sur le fait que, en droit belge, le recouvrement de l’astreinte est assuré directement par les autorités chargées de l’exécution des décisions de justice, sans qu’une nouvelle procédure judiciaire soit nécessaire à cette fin, M. Bohez estime que sa demande doit être considérée comme tendant au recouvrement d’une créance pécuniaire exigible et, à ce titre, comme entrant dans le champ d’application du règlement n° 44/2001.

26      Mme Wiertz a, quant à elle, objecté que sa condamnation au paiement de l’astreinte n’a pas été définitivement confirmée par la juridiction belge et que, partant, la décision du 28 mars 2007 n’est pas exécutoire. Aucune autorité n’aurait établi l’existence de défaillances susceptibles d’entraîner l’obligation de payer l’astreinte.

27      Dans sa décision du 8 mars 2012, l’Itä-Uudenmaan käräjäoikeus a constaté que la demande de M. Bohez ne porte pas sur l’exécution d’une décision relative au droit de visite, mais seulement sur l’exécution d’une astreinte imposée pour garantir le respect de ladite décision. Il en a déduit que, en tant qu’elle porte sur l’exécution d’une décision fixant une obligation pécuniaire, cette demande entre dans le champ d’application du règlement n° 44/2001. Relevant toutefois que la décision du 28 mars 2007 ne prévoit, contrairement aux exigences de l’article 49 de ce règlement, qu’une astreinte périodique dont le montant définitif n’a pas été fixé, l’Itä‑Uudenmaan käräjäoikeus a déclaré irrecevable la demande de M. Bohez.

28      Saisi sur appel de M. Bohez, le Helsingin hovioikeus (cour d’appel de Helsinki) a, dans sa décision rendue le 16 août 2012, confirmé l’irrecevabilité de la demande. La motivation fondant cette décision repose toutefois sur une analyse différente de celle de la juridiction de première instance. Estimant que la demande de M. Bohez s’inscrit dans le cadre de l’exécution d’une décision relative au droit de visite, le Helsingin hovioikeus a en effet jugé que, eu égard à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 44/2001, cette demande relevait non pas de ce dernier, mais du règlement n° 2201/2003. Dès lors, conformément à l’article 47, paragraphe 1, de ce dernier règlement, la procédure d’exécution serait, en l’espèce, déterminée par le droit finlandais, c’est‑à‑dire par la TpL.

29      M. Bohez s’est pourvu devant le Korkein oikeus (Cour suprême), devant lequel il conclut à l’annulation de la décision du 16 août 2012 du Helsingin hovioikeus et réitère ses conclusions de première instance.

30      C’est dans ces conditions que le Korkein oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens que les affaires concernant l’exécution d’une astreinte infligée aux fins du respect de l’obligation principale imposée dans une décision concernant le droit de garde ou le droit de visite ne relèvent pas du champ d’application dudit règlement?

2)      Si les affaires visées dans la question qui précède relèvent du champ d’application du règlement n° 44/2001, l’article 49 de ce même règlement doit-il alors être interprété en ce sens qu’une astreinte journalière qui, dans l’État d’origine, est, en tant que telle, directement exécutoire à concurrence du montant fixé, mais dont le montant définitif est susceptible d’être modifié à la suite d’une demande ou d’éléments exposés par la partie condamnée à l’astreinte n’est exécutoire dans un [autre] État membre qu’à partir du moment où son montant a été spécifiquement fixé de manière définitive dans l’État d’origine?

3)      Si les affaires visées précédemment ne relèvent pas du champ d’application du règlement n° 44/2001, l’article 47, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 doit-il être interprété en ce sens que les mesures destinées à faire respecter les décisions en matière de droit de garde et de droit de visite relèvent de la procédure d’exécution visée à cette disposition, c’est-à-dire d’une procédure d’exécution déterminée par le droit de l’État membre d’exécution, ou peuvent-elles être considérées comme faisant partie intégrante de la décision concernant le droit de garde et de visite, qui est directement exécutoire dans cet autre État membre sur le fondement du règlement n° 2201/2003?

4)      Lorsque l’exécution de l’astreinte est demandée dans un autre État membre, faut-il exiger que le montant de ladite astreinte ait spécifiquement été fixé de manière définitive dans l’État membre d’origine, même dans l’hypothèse où le règlement n° 44/2001 ne serait pas applicable dans le cadre de cette exécution?

5)      Si une astreinte infligée aux fins du respect du droit de visite est exécutoire dans un autre État membre sans que le montant de l’astreinte à recouvrer ait spécifiquement été fixé de manière définitive dans l’État membre d’origine,

a)      l’exécution de l’astreinte nécessite-t-elle toutefois que l’on examine si le respect du droit de visite a été empêché pour des motifs dont la prise en compte était indispensable afin de garantir les droits de l’enfant, et

b)      quelle juridiction est-elle alors compétente pour examiner la présence de telles circonstances, plus précisément

i)      la compétence de la juridiction d’exécution se limite‑t‑elle toujours exclusivement à examiner si la prétendue annulation des visites provenait d’une raison qui a été expressément prévue dans la décision sur le fond, ou

ii)      les droits de l’enfant qui sont garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la ‘Charte’) impliquent-ils que la juridiction de l’État membre d’exécution a un droit ou une obligation d’examen plus étendus d’examiner si le respect du droit de visite a été empêché pour des motifs dont la prise en compte était indispensable afin de garantir les droits de l’enfant?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

31      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que ce règlement s’applique à l’exécution dans un État membre d’une astreinte ordonnée dans une décision, rendue dans un autre État membre, relative au droit de garde et au droit de visite aux fins d’assurer le respect de ce droit de visite par le titulaire du droit de garde.

32      À cet égard, il convient de rappeler que le champ d’application du règlement n° 44/2001 est limité à la «matière civile et commerciale». Ce champ d’application est déterminé essentiellement en raison des éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l’objet de celui-ci (voir arrêt Realchemie Nederland, C‑406/09, EU:C:2011:668, point 39 et jurisprudence citée).

33      Plus particulièrement, en ce qui concerne les mesures provisoires, la Cour considère que leur appartenance au champ d’application du règlement n° 44/2001 est déterminée non par leur nature propre, mais par la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde (voir arrêt Realchemie Nederland, C‑406/09, EU:C:2011:668, point 40 et jurisprudence citée).

34      Ainsi, à propos de l’exécution dans un État membre d’une condamnation au versement d’une amende, infligée par une juridiction d’un autre État membre en vue de faire respecter une interdiction édictée dans une décision rendue dans cet État en matière civile et commerciale, la Cour a précisé que la nature de ce droit d’exécution dépend de celle du droit subjectif au titre de la violation duquel l’exécution a été ordonnée (voir, en ce sens, arrêt Realchemie Nederland, C‑406/09, EU:C:2011:668, point 42).

35      En l’occurrence, il ressort de l’article 1385 bis du code judiciaire belge, sur la base duquel le juge de l’État d’origine a prononcé l’astreinte en cause dans le litige au principal, que cette mesure s’analyse comme la condamnation, à la demande d’une partie, de l’autre partie à payer une somme d’argent dans l’hypothèse où cette dernière ne satisferait pas à l’obligation principale lui incombant. Il s’ensuit que l’astreinte présente un caractère accessoire par rapport à cette obligation principale.

36      Par ailleurs, il ressort du dossier soumis à la Cour que l’astreinte en cause au principal a pour objectif de garantir l’effectivité d’un droit de visite accordé, dans la même décision, par le juge de l’État d’origine. Cette astreinte vise en effet à exercer une pression financière sur la personne qui a la garde de l’enfant afin qu’elle coopère à la mise en œuvre d’un tel droit de visite.

37      Or, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 44/2001 exclut expressément du champ d’application de ce règlement l’état des personnes physiques, notion qui comprend l’exercice de la responsabilité parentale sur la personne d’un enfant.

38      C’est en raison de cette exclusion et pour combler cette lacune qu’ont été successivement adoptés les règlements nos 1347/2000 et 2201/2003, dont les champs d’application respectifs incluent, notamment, les questions de responsabilité parentale. Parmi ces questions figurent, entre autres, ainsi que le précise l’article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 2201/2003, le droit de garde et le droit de visite.

39      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’astreinte dont l’exécution est demandée dans l’affaire au principal est une mesure accessoire visant à assurer la sauvegarde d’un droit qui relève non pas du champ d’application du règlement n° 44/2001, mais de celui du règlement n° 2201/2003.

40      Il convient, dès lors, de répondre à la première question que l’article 1er du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que ce règlement ne s’applique pas à l’exécution dans un État membre d’une astreinte ordonnée dans une décision, rendue dans un autre État membre, relative au droit de garde et au droit de visite aux fins d’assurer le respect de ce droit de visite par le titulaire du droit de garde.

 Sur la deuxième question

41      Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

 Sur la troisième question

42      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le recouvrement d’une astreinte, ordonnée par le juge de l’État membre d’origine qui a statué au fond sur le droit de visite aux fins d’assurer l’effectivité de ce droit, doit être considéré comme relevant de la procédure d’exécution du droit de visite, laquelle, selon l’article 47, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, est régie par le droit national, ou comme relevant du même régime que le droit de visite qu’elle garantit et doit, à ce titre, être déclarée exécutoire selon les règles définies par le règlement n° 2201/2003.

43      Ainsi que le souligne le considérant 2 du règlement n° 2201/2003, la reconnaissance mutuelle des décisions relatives au droit de visite a été identifiée comme une priorité dans le cadre de l’espace judiciaire de l’Union européenne. Considérées comme particulièrement importantes, ces décisions relèvent d’un régime spécifique. Le règlement n° 2201/2003 prévoit en effet, à ses articles 28, paragraphe 1, et 41, paragraphe 1, un régime d’exécution allégé, voire automatique, qui repose sur le principe de la confiance réciproque.

44      En raison de cette confiance réciproque et conformément à l’article 26 dudit règlement, ces décisions ne peuvent pas faire l’objet d’une révision au fond.

45      En l’occurrence, l’astreinte dont l’exécution est demandée dans le cadre du litige au principal a été ordonnée par le juge compétent, au titre du règlement n° 2201/2003, pour statuer au fond sur le droit de visite.

46      Certes, à la différence du règlement n° 44/2001, le règlement n° 2201/2003, tout comme son prédécesseur, le règlement n° 1347/2000, ne comporte pas de règle relative à l’astreinte. Toutefois, ainsi que l’a fait valoir la Commission européenne, il ne saurait être déduit du fait que cette question n’a pas été débattue lors de la rédaction de ces règlements que l’intention du législateur de l’Union aurait été d’exclure l’exécution de l’astreinte du champ d’application de ces derniers. En effet, une telle mesure, en ce qu’elle contribue au respect des décisions rendues, en application de ces règlements, en matière de droit de visite, s’inscrit dans l’objectif d’effectivité que poursuit le règlement n° 2201/2003.

47      Ainsi qu’il a été relevé au point 35 du présent arrêt, l’astreinte en cause au principal ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’obligation principale qu’elle garantit, à savoir l’obligation, pour le parent auquel le droit de garde a été accordé, de coopérer à la mise en œuvre du droit de visite selon les règles fixées par le juge de l’État d’origine, compétent pour connaître du fond.

48      L’exécution de cette astreinte est, partant, directement liée à l’existence à la fois de cette obligation principale et d’un manquement à cette dernière.

49      Compte tenu de ce lien, l’astreinte ordonnée dans une décision relative au droit de visite ne peut être considérée de manière isolée comme constituant une obligation autonome, mais doit être considérée de manière indissociable du droit de visite dont elle assure la sauvegarde.

50      À ce titre, le recouvrement de ladite astreinte doit relever du même régime d’exécution que le droit de visite qui est à garantir, à savoir des règles prévues aux articles 28, paragraphe 1, et 41, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003.

51      Détacher le régime d’exécution de l’astreinte de celui applicable au droit de visite pour le faire dépendre, comme l’ont suggéré les gouvernements finlandais et lituanien, de la procédure d’exécution elle‑même, laquelle, selon l’article 47, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, est déterminée par le droit national de l’État membre d’exécution, reviendrait à permettre au juge de cet État de vérifier lui‑même l’existence d’un manquement au droit de visite.

52      Or, un tel contrôle, qui serait effectué selon les règles de l’État d’exécution et impliquerait une appréciation, par le juge de cet État, des circonstances de l’espèce, irait à l’encontre de la volonté du législateur de l’Union d’instaurer, pour les décisions rendues dans ce domaine, un régime d’exécution uniforme et allégé, qui prohibe toute immixtion du juge de l’exécution sur le fond et repose sur la confiance dans le juge de l’État d’origine en tant que juge désigné comme compétent pour prendre la décision relative au droit de visite.

53      Dans ces conditions, il convient de répondre à la troisième question que le recouvrement d’une astreinte ordonnée par le juge de l’État membre d’origine qui a statué au fond sur le droit de visite aux fins d’assurer l’effectivité de ce droit relève du même régime d’exécution que la décision sur le droit de visite que garantit ladite astreinte et que cette dernière doit, à ce titre, être déclarée exécutoire selon les règles définies par le règlement n° 2201/2003.

 Sur la quatrième question

54      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si, dans le cadre du règlement n° 2201/2003, les décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine.

55      Il ressort du dossier soumis à la Cour que l’astreinte dont l’exécution est demandée dans l’affaire au principal a été fixée par le juge de l’État d’origine à une somme de 1 000 euros par manquement au droit de visite, avec un montant maximal de 25 000 euros. Il ressort également de ce dossier que, conformément à l’article 1385 quater du code judiciaire belge, le bénéficiaire de l’astreinte ne doit pas demander au juge de fixer le montant définitif de celle-ci préalablement à son exécution. Le droit belge se distingue sur ce point des règles en vigueur dans d’autres États membres, notamment du droit finlandais, selon lequel, conformément à l’article 19, paragraphes 1 et 2, de la TpL, le bénéficiaire doit demander au juge de fixer l’astreinte à son montant définitif avant de pouvoir en requérir l’exécution.

56      C’est pour remédier aux difficultés qui pourraient résulter des divergences entre les législations des États membres sur cette question qu’a été insérée à l’article 43 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32) la règle selon laquelle les décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine [voir le rapport élaboré par M. Schlosser sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71, point 213)]. Cette règle a été reprise dans les mêmes termes à l’article 49 du règlement n° 44/2001.

57      Le règlement n° 2201/2003, et, avant lui, le règlement n° 1347/2000, ne comporte pas, en revanche, de règle équivalente. Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 81 de ses conclusions, l’exigence, dans le cadre du règlement n° 2201/2003, d’une liquidation de l’astreinte préalablement à son exécution se concilie avec le caractère sensible que présente le droit de visite.

58      Comme il a été rappelé au point 40 du présent arrêt, l’importance de ce droit, essentiel pour protéger le droit de l’enfant, inscrit à l’article 24, paragraphe 3, de la Charte, d’entretenir des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, a conduit le législateur de l’Union à prévoir un régime spécifique en vue de faciliter l’exécution des décisions le concernant. Ce régime repose sur le principe de confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l’Union, en particulier dans la Charte (arrêt Aguirre Zarraga, C‑491/10 PPU, EU:C:2010:828, point 70), et exclut toute forme de révision de la décision rendue par le juge de l’État d’origine.

59      Dans l’hypothèse où le titulaire d’un droit de visite conféré dans un État membre, se prévalant du non-respect de ce droit, demande l’exécution, dans un autre État membre, d’une astreinte dont le montant définitif n’a pas été fixé par le juge de l’État d’origine, il serait contraire au système mis en place par le règlement n° 2201/2003 de permettre au juge de l’État d’exécution d’intervenir dans la détermination de la somme finale devant être acquittée par la personne qui, ayant la garde de l’enfant, était tenue de coopérer à la mise en œuvre du droit de visite. En effet, cette détermination implique un contrôle des manquements allégués par le titulaire du droit de visite. Un tel contrôle, d’une importance capitale pour l’intérêt supérieur de l’enfant, n’implique pas seulement la constatation du nombre de défauts de présentation de l’enfant, mais également l’appréciation des raisons à l’origine de ces manquements. Or, seul le juge de l’État d’origine, en tant que juge compétent pour connaître du fond, est habilité à porter des appréciations de cette nature.

60      Par conséquent, dans une telle hypothèse, il appartient au bénéficiaire de l’astreinte d’exploiter les voies procédurales ouvertes dans l’État membre d’origine pour obtenir un titre liquidant l’astreinte à son montant définitif.

61      Il résulte de ces considérations qu’il y a lieu de répondre à la quatrième question que, dans le cadre du règlement n° 2201/2003, les décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine.

 Sur la cinquième question

62      Compte tenu de la réponse apportée à la quatrième question, il n’y a pas lieu de répondre à cette question.

 Sur les dépens

63      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 1er du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que ce règlement ne s’applique pas à l’exécution dans un État membre d’une astreinte ordonnée dans une décision, rendue dans un autre État membre, relative au droit de garde et au droit de visite aux fins d’assurer le respect de ce droit de visite par le titulaire du droit de garde.

2)      Le recouvrement d’une astreinte ordonnée par le juge de l’État membre d’origine qui a statué au fond sur le droit de visite aux fins d’assurer l’effectivité de ce droit relève du même régime d’exécution que la décision sur le droit de visite que garantit ladite astreinte et cette dernière doit, à ce titre, être déclarée exécutoire selon les règles définies par le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000.

3)      Dans le cadre du règlement n° 2201/2003, les décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine.

Signatures


* Langue de procédure: le finnois.

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