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CJUE, 07 juillet 2016, aff. C-70/15, Emmanuel Lebek contre Janusz Domino

 

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

7 juillet 2016 (*)

 

« Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 34, point 2 – Défendeur non comparant – Reconnaissance et exécution des décisions – Motifs de refus – Absence de signification ou de notification en temps utile de l’acte introductif d’instance au défendeur défaillant – Notion de “recoursˮ – Demande tendant au relevé de la forclusion – Règlement (CE) n° 1393/2007 – Article 19, paragraphe 4 – Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires – Délai dans lequel la demande tendant au relevé de la forclusion est recevable »

Dans l’affaire C‑70/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 27 novembre 2014, parvenue à la Cour le 17 février 2015, dans la procédure

Emmanuel Lebek

contre

Janusz Domino,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteur), M. A. Rosas, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes et Mme R. Chambel Margarido, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Owsiany-Hornung et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, de l’article 34, point 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I »), et, d’autre part, de l’article 19, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (« signification ou notification des actes »), et abrogeant le règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil (JO 2007, L 324, p. 79).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Emmanuel Lebek à M. Janusz Domino au sujet de la reconnaissance, en Pologne, de la force exécutoire d’un jugement prononcé par une juridiction française.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement Bruxelles I

3        Les considérants 2, 6 et 16 à 18 du règlement Bruxelles I énoncent :

« (2) Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.

[...]

(6)       Pour atteindre l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, il est nécessaire et approprié que les règles relatives à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions soient déterminées par un instrument juridique communautaire contraignant et directement applicable.

[...]

(16)       La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure.

(17)       Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. À cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le présent règlement.

(18) Le respect des droits de la défense impose toutefois que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire, s’il considère qu’un des motifs de non-exécution est établi. Une faculté de recours doit également être reconnue au requérant si la déclaration constatant la force exécutoire a été refusée. »

4        L’article 26, paragraphes 1 et 2, du règlement Bruxelles I dispose :

« 1.       Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, le juge se déclare d’office incompétent si sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement.

2.       Le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que ce défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin. »

5        En vertu de l’article 26, paragraphe 3, de ce règlement, l’article 19 du règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (JO 2000, L 160, p. 37), s’applique, en lieu et place de l’article 26, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis d’un État membre à un autre en exécution du règlement n° 1348/2000.

6        Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I, « [l]es décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ».

7        L’article 34, point 2, de ce règlement dispose qu’une décision n’est pas reconnue si « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ».

8        L’article 35 dudit règlement est libellé comme suit :

« 1.       De même, les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II ont été méconnues, ainsi que dans le cas prévu à l’article 72.

2.       Lors de l’appréciation des compétences mentionnées au paragraphe précédent, l’autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l’État membre d’origine a fondé sa compétence.

3.       Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine. Le critère de l’ordre public visé à l’article 34, point 1, ne peut être appliqué aux règles de compétence. »

9        L’article 38, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I prévoit :

« Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. »

10      L’article 45 de ce règlement dispose :

« 1.       La juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. Elle statue à bref délai.

2.       En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond. »

 Le règlement n° 1393/2007

11      Aux termes des considérants 6, 7 et 12 du règlement n° 1393/2007 :

« (6) L’efficacité et la rapidité des procédures judiciaires en matière civile impliquent que la transmission des actes judiciaires et extrajudiciaires soit effectuée directement et par des moyens rapides entre les entités locales désignées par les États membres. Les États membres peuvent indiquer leur intention de ne désigner qu’une entité d’origine ou une entité requise ou une seule entité chargée des deux fonctions pendant cinq ans. Ce mandat est cependant renouvelable tous les cinq ans.

(7)       La rapidité de la transmission justifie l’utilisation de tout moyen approprié, pour autant que soient respectées certaines conditions quant à la lisibilité et à la fidélité du document reçu. La sécurité de la transmission exige que l’acte à transmettre soit accompagné d’un formulaire type devant être rempli dans la langue officielle ou l’une des langues officielles du lieu où la signification ou la notification doit être effectuée ou dans une autre langue acceptée par l’État membre concerné.

[...]

(12)       L’entité requise devrait informer le destinataire par écrit, au moyen du formulaire type, qu’il peut refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier, soit au moment de la signification ou de la notification, soit en retournant l’acte à l’entité requise dans un délai d’une semaine, s’il n’est pas rédigé dans une langue que le destinataire comprend ou dans la langue officielle ou l’une des langues officielles du lieu de la signification ou de la notification. Cette règle devrait également s’appliquer aux significations et notifications ultérieures, après que le destinataire a exercé son droit de refus. Ces règles relatives au refus devraient également s’appliquer à la signification ou à la notification effectuée par l’intermédiaire des agents diplomatiques ou consulaires, ou des services postaux, ou effectuée directement. Il convient de prévoir la possibilité de remédier à une situation de refus de recevoir un acte en signifiant ou en notifiant au destinataire une traduction de l’acte. »

12      L’article 1er de ce règlement énonce :

« 1.       Le présent règlement est applicable en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié. Il ne couvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (“acta jure imperiiˮ).

2.       Le présent règlement ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue.

[...] »

13      L’article 19, paragraphe 4, dudit règlement prévoit :

« Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification, selon les dispositions du présent règlement, et qu’une décision a été rendue contre un défendeur qui n’a pas comparu, le juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l’expiration des délais de recours, si les conditions ci-après sont réunies :

a)       le défendeur, sans qu’il y ait eu faute de sa part, n’a pas eu connaissance dudit acte en temps utile pour se défendre, ou connaissance de la décision en temps utile pour exercer un recours; et

b)       les moyens du défendeur n’apparaissent pas dénués de tout fondement.

La demande tendant au relevé de la forclusion doit être formée dans un délai raisonnable à partir du moment où le défendeur a eu connaissance de la décision.

Chaque État membre a la faculté de préciser, conformément à l’article 23, paragraphe 1, que cette demande est irrecevable si elle n’est pas formée dans un délai qu’il indiquera dans sa communication, ce délai ne pouvant toutefois être inférieur à un an à compter du prononcé de la décision. »

14      Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 1393/2007 « [l]es États membres communiquent à la Commission les informations visées aux articles 2, 3, 4, 10, 11, 13, 15 et 19. [...] »

15      La République française a, conformément audit article 23, paragraphe 1, indiqué dans sa communication que le délai pour une éventuelle demande du défendeur tendant au relevé de la forclusion est fixé à un an à compter du prononcé de la décision.

 Le droit français

16      L’article 540 du code de procédure civile, dans sa version résultant du décret n° 2011-1043, du 1er septembre 2011, relatif aux mesures conservatoires prises après l’ouverture d’une succession et à la procédure en la forme des référés (JORF du 2 septembre 2011, p. 14884, ci-après le « CPC »), prévoit :

« Si le jugement a été rendu par défaut ou s’il est réputé contradictoire, le juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l’expiration du délai si le défendeur, sans qu’il y ait eu faute de sa part, n’a pas eu connaissance du jugement en temps utile pour exercer son recours, ou s’il s’est trouvé dans l’impossibilité d’agir.

Le relevé de forclusion est demandé au président de la juridiction compétente pour connaître de l’opposition ou de l’appel. Le président est saisi comme en matière de référé.

La demande est recevable jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Dans le cadre d’une première procédure devant les juridictions polonaises compétentes, M. Lebek a demandé la reconnaissance et l’exécution du jugement du tribunal de grande instance de Paris (France) du 8 avril 2010, par lequel M. Domino a été condamné à lui verser des aliments d’un montant de 300 euros par mois.

18      Selon la décision de renvoi, l’acte introductif d’instance présenté devant le tribunal de grande instance de Paris n’avait été ni signifié ni notifié au défendeur, M. Domino, dès lors que l’adresse de celui-ci à Paris, indiquée par le requérant, M. Lebek, n’était pas correcte, le défendeur étant domicilié en Pologne depuis l’année 1996. Ainsi, n’ayant pas eu connaissance de la procédure en cours, M. Domino n’avait pas pu se défendre.

19      M. Domino n’a eu connaissance du jugement rendu par cette juridiction française qu’au mois de juillet 2011, soit plus d’un an après le prononcé de ce jugement, lorsque le Sąd Okręgowy w Jeleniej Górze (tribunal régional de Jelenia Góra, Pologne), dans le cadre de la procédure engagée devant cette dernière juridiction, lui a notifié des copies certifiées du jugement du tribunal de grande instance de Paris ainsi que de la demande de M. Lebek visant à obtenir la reconnaissance de la force exécutoire de celui-ci.

20      Par des ordonnances rendues, respectivement, le 23 novembre 2011 par le Sąd Okręgowy w Jeleniej Górze (tribunal régional de Jelenia Góra) et le 31 janvier 2012 par le Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wroclaw, Pologne), ces juridictions ont rejeté la demande de M. Lebek, en raison du non-respect du droit de M. Domino de se défendre, ce dernier ayant pris connaissance du jugement du tribunal de grande instance de Paris à une date où il n’était plus possible de former un recours ordinaire.

21      Ultérieurement, M. Lebek a introduit une seconde requête devant le Sąd Okręgowy w Jeleniej Górze (tribunal régional de Jelenia Góra), ayant un objet identique à celui de la demande rejetée précédemment, en soulevant des faits nouveaux, à savoir que les significations du jugement du tribunal de grande instance de Paris au défendeur ont été effectuées les 17 et 31 mai 2012, conformément aux dispositions du règlement n° 1393/2007. Ces significations concernaient ce jugement ainsi qu’une instruction destinée au défendeur, reprenant, notamment, les dispositions de l’article 540 du CPC. Selon cette instruction, le défendeur pouvait introduire une demande tendant au relevé de la forclusion résultant de l’expiration du délai, dans les deux mois suivant la signification du jugement concerné.

22      Par un jugement du 14 décembre 2012, relevant que le défendeur n’avait pas introduit une telle demande dans le délai ainsi imparti, le Sąd Okręgowy w Jeleniej Górze (tribunal régional de Jelenia Góra) a fait droit à la seconde demande de M. Lebek, en considérant que le respect du droit de se défendre avait été garanti, et a déclaré le jugement du tribunal de grande instance de Paris exécutoire en Pologne.

23      Par une décision du 27 mai 2013, faisant suite au recours introduit par M. Domino, le Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wroclaw) a réformé le jugement attaqué et a rejeté la demande de reconnaissance, au motif que l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I devait être interprété en ce sens que la simple possibilité d’introduire une demande tendant au relevé de la forclusion ne signifiait pas qu’il existait de réelles possibilités d’exercer un recours contre le jugement du tribunal de grande instance de Paris, ce recours dépendant, en effet, d’une décision positive préalable de la juridiction française sur ladite demande de relevé de forclusion.

24      M. Lebek a formé, devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), un pourvoi en cassation contre cette décision du Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wroclaw).

25      Selon le Sąd Najwyższy (Cour suprême), dans une situation dans laquelle le défendeur était en mesure d’introduire, dans l’État d’origine de la décision concernée, une demande de réouverture du délai de recours contre celle-ci, ce défendeur ne saurait faire valoir les motifs de refus d’une déclaration constatant la force exécutoire de cette décision, énoncés à l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I.

26      Cette juridiction considère que la notion de « recours », figurant à l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I, devrait pouvoir bénéficier d’une interprétation large étant donné que la ratio legis de cette disposition consiste en la protection du défendeur lorsqu’un jugement a été prononcé à son encontre, alors que l’acte introductif d’instance ne lui a pas été signifié ou notifié. Une telle protection serait assurée lorsqu’il est possible d’introduire une demande de réouverture du délai de recours.

27      Elle rappelle également que, en vertu de l’article 19, paragraphe 4, et de l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 1393/2007, en France, le délai durant lequel la demande tendant au relevé de la forclusion est recevable est d’un an à compter du prononcé du jugement concerné.

28      Il s’ensuivrait que, si l’article 19, paragraphe 4, dudit règlement devait être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des dispositions nationales régissant la question de la prorogation du délai de recours, telles que l’article 540 du CPC, cela signifierait que le défendeur n’est plus en droit d’introduire une demande tendant au relevé de la forclusion, le délai d’un an étant expiré et, partant, que le défendeur n’est plus en mesure d’exercer un recours, au sens de l’article 34, point 2, dernier membre de phrase, du règlement Bruxelles I.

29      Le Sąd Najwyższy (Cour suprême) considère toutefois que l’article 19, paragraphe 4, du règlement n° 1393/2007 ne présente pas un tel caractère exclusif et qu’il ne s’oppose pas à l’application des dispositions nationales régissant la réouverture du délai. Cette disposition ne définirait ainsi que les normes minimales de protection du défendeur défaillant, à qui la demande n’a pas été signifiée ou notifiée, et laisserait aux États membres la faculté d’appliquer des mesures plus favorables.

30      Dans ces conditions, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I en ce sens que, en tant qu’il mentionne le fait d’être en mesure d’exercer un recours, il vise tant la situation dans laquelle ce recours peut être exercé dans le délai prévu par le droit national que celle dans laquelle, ce délai étant déjà écoulé, il reste toutefois possible de présenter une demande tendant au relevé de la forclusion et ensuite, une fois celle-ci accueillie, de former le recours approprié ?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 19, paragraphe 4, du règlement n° 1393/2007 en ce sens qu’il exclut l’application des dispositions du droit national concernant la possibilité d’être relevé de la forclusion, ou bien en ce sens que le défendeur peut faire usage soit de la demande visée à cette disposition, soit de la procédure appropriée prévue par le droit national ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

31      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si la notion de « recours », figurant à l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut également la demande tendant au relevé de la forclusion, lorsque le délai pour introduire un recours ordinaire a expiré.

32      À cet égard, il importe de rappeler que, en vue d’assurer, dans la mesure du possible, l’égalité et l’uniformité des droits et obligations qui découlent du règlement Bruxelles I pour les États membres et les personnes intéressées, il convient de ne pas interpréter la notion de « recours », au sens de l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I, comme un simple renvoi au droit interne de l’un ou de l’autre des États concernés. Ladite notion doit être considérée comme une notion autonome qu’il faut interpréter en se référant notamment aux objectifs de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2009, Apostolides, C‑420/07, EU:C:2009:271, point 41 et jurisprudence citée).

33      En ce qui concerne les objectifs dudit règlement, il ressort de ses considérants 2, 6, 16 et 17 qu’il vise à assurer la libre circulation des décisions émanant des États membres en matière civile et commerciale, en simplifiant les formalités en vue de leur reconnaissance et de leur exécution rapides et simples (arrêt du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, EU:C:2006:787, point 23).

34      Cet objectif ne saurait toutefois être atteint en affaiblissant, de quelque manière que ce soit, les droits de la défense, ainsi que la Cour l’a jugé au sujet de l’article 27, point 2, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la « convention de Bruxelles ») (arrêt du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, EU:C:2006:787, point 24 et jurisprudence citée).

35      Par ailleurs, il résulte du considérant 18 du règlement Bruxelles I que le respect des droits de la défense impose que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire d’une décision, s’il considère que l’un des motifs de non-exécution est établi.

36      À cet égard, il ressort des considérants 16 à 18 du règlement Bruxelles I que le système de recours qu’il prévoit à l’encontre de la reconnaissance ou de l’exécution d’une décision vise à établir un juste équilibre entre, d’une part, la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union, qui justifie que les décisions rendues dans un État membre soient, en principe, reconnues et déclarées exécutoires de plein droit dans un autre État membre, et, d’autre part, le respect des droits de la défense, qui impose que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire, s’il considère que l’un des motifs de non-exécution est établi (arrêt du 28 avril 2009, Apostolides, C‑420/07, EU:C:2009:271, point 73).

37      La Cour a également jugé que les droits fondamentaux, tels que le respect des droits de la défense, qui dérivent du droit à un procès équitable, n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions. Toutefois, celles-ci doivent répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne pas constituer, au regard du but poursuivi, une atteinte démesurée auxdits droits (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2011, Hypoteční banka, C‑327/10, EU:C:2011:745, point 50).

38      S’agissant de l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I, il convient de rappeler que, à la différence de l’article 27, point 2, de la convention de Bruxelles, il requiert non pas nécessairement la régularité de la signification ou de la notification de l’acte introductif d’instance, mais plutôt le respect effectif des droits de la défense (voir arrêt du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, EU:C:2006:787, point 20).

39      L’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I, auquel renvoie l’article 45, paragraphe 1, de ce dernier, vise à assurer le respect des droits du défendeur défaillant au cours de la procédure ouverte dans l’État membre d’origine, à travers un système de double contrôle. En vertu de ce système, le juge de l’État membre requis est tenu de refuser ou de révoquer, en cas de recours, l’exécution d’une décision étrangère rendue par défaut, si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière que celui-ci puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé un recours contre cette décision devant les juridictions de l’État membre d’origine, alors qu’il était en mesure de le faire (arrêt du 6 septembre 2012, Trade Agency, C‑619/10, EU:C:2012:531, point 32 et jurisprudence citée).

40      Cependant, l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I n’implique pas que le défendeur soit tenu d’accomplir de nouvelles démarches allant au-delà d’une diligence normale dans la défense de ses droits, telles que celles consistant à s’informer du contenu d’une décision rendue dans un autre État membre (arrêt du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, EU:C:2006:787, point 39).

41      Par conséquent, pour considérer que le défendeur défaillant a été en mesure, au sens de l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I, d’exercer un recours contre une décision rendue par défaut à son encontre, il doit avoir eu connaissance du contenu de cette décision, ce qui suppose que celle-ci lui ait été signifiée ou notifiée (arrêt du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, EU:C:2006:787, point 40).

42      S’agissant plus spécifiquement de la demande tendant au relevé de la forclusion, il convient de préciser qu’une telle demande a pour objet de rétablir un défendeur défaillant dans son droit d’exercer une action en justice après l’expiration du délai prévu par la loi pour l’exercice de ce droit.

43      Elle vise donc, au même titre que la faculté offerte d’introduire un recours ordinaire, à assurer le respect effectif, à l’égard des défendeurs défaillants, des droits de la défense.

44      Toutefois, conformément à l’article 19, paragraphe 4, du règlement n° 1393/2007, la présentation d’une demande tendant au relevé de la forclusion présuppose que le défendeur, sans qu’il y ait eu faute de sa part, n’a pas eu connaissance de l’acte concerné en temps utile pour exercer un recours et que ses moyens n’apparaissent pas dénués de tout fondement. Cette demande doit, en outre, être formée dans un délai raisonnable.

45      Dans la mesure où les conditions ainsi énoncées à l’article 19, paragraphe 4, du règlement n° 1393/2007 sont réunies, le défendeur ayant encore la possibilité de demander que son droit d’introduire un recours ordinaire soit rétabli, il ne saurait être considéré qu’il n’est plus en mesure d’exercer de manière effective les droits de la défense. Dans ces conditions, la présentation d’une demande tendant au relevé de la forclusion ne saurait être considérée comme une nouvelle démarche allant au‑delà d’une diligence normale dans la défense des droits du défendeur défaillant.

46      Si ce dernier n’a pas fait valoir son droit de demander le relevé de la forclusion, alors qu’il était en mesure de le faire, les conditions mentionnées au point 44 du présent arrêt étant réunies, la reconnaissance d’un jugement prononcé par défaut à son encontre ne saurait être refusée sur le fondement de l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I.

47      En revanche, un jugement prononcé par défaut ne devrait pas être reconnu si le défendeur défaillant, sans qu’il y ait eu faute de sa part, a présenté une demande tendant au relevé de la forclusion, laquelle a été par la suite rejetée, alors que les conditions énoncées à l’article 19, paragraphe 4, du règlement n° 1393/2007 étaient réunies.

48      Cette solution est susceptible de garantir le respect du droit à un procès équitable et d’assurer le juste équilibre entre, d’une part, la nécessité d’assurer que les décisions rendues dans un État membre soient, en principe, reconnues et déclarées exécutoires de plein droit dans un autre État membre et, d’autre part, le respect des droits de la défense.

49      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que la notion de « recours », figurant à l’article 34, point 2, du règlement Bruxelles I, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut également la demande tendant au relevé de la forclusion, lorsque le délai pour introduire un recours ordinaire a expiré.

 Sur la seconde question

50      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 4, dernier alinéa, du règlement n° 1393/2007 doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des dispositions du droit national relatives au régime des demandes tendant au relevé de la forclusion, dès lors que le délai de recevabilité pour l’introduction de telles demandes, tel que spécifié dans la communication d’un État membre à laquelle se réfère ladite disposition, a expiré.

51      À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 288, deuxième alinéa, TFUE, le règlement est un acte juridique de l’Union de portée générale, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre. Dès lors, en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des sources du droit de l’Union, il produit des effets immédiats et est apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l’obligation de protéger (arrêts du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 40, ainsi que du 10 décembre 2013, Abdullahi, C‑394/12, EU:C:2013:813, point 48).

52      À cet égard, le choix de la forme du règlement montre l’importance que le législateur de l’Union attache au caractère directement applicable des dispositions du règlement n° 1393/2007 et à l’application uniforme de celles-ci (voir, par analogie, arrêts du 8 novembre 2005, Leffler, C‑443/03, EU:C:2005:665, point 46, et du 25 juin 2009, Roda Golf & Beach Resort, C‑14/08, EU:C:2009:395, point 49).

53      Selon les termes de l’article 19, paragraphe 4, dernier alinéa, du règlement n° 1393/2007, chaque État membre a la faculté de préciser, conformément à l’article 23, paragraphe 1, de ce règlement, que la demande tendant au relevé de la forclusion est irrecevable si elle n’est pas formée dans un délai qu’il indiquera dans sa communication, ce délai ne pouvant toutefois être inférieur à un an à compter du prononcé de la décision concernée.

54      En l’occurrence, la République française a utilisé la faculté offerte audit article 19, paragraphe 4, et a indiqué dans sa communication que la demande tendant au relevé de la forclusion est irrecevable si elle est formée au-delà d’un délai d’un an à compter du prononcé de ladite décision.

55      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, les délais de prescription remplissent, de façon générale, la fonction d’assurer la sécurité juridique (arrêts du 28 octobre 2010, SGS Belgium e.a., C‑367/09, EU:C:2010:648, point 68, ainsi que du 8 septembre 2011, Q-Beef et Bosschaert, C‑89/10 et C‑96/10, EU:C:2011:555, point 42).

56      Or, dans l’affaire au principal, il n’est pas contesté que M. Domino n’a eu connaissance du jugement du tribunal de grande instance de Paris qu’au mois de juillet 2011, alors que le délai d’un an à compter du prononcé de ce jugement était déjà expiré.

57      Il serait, dès lors, contraire au principe de sécurité juridique et à la force obligatoire s’attachant aux règlements de l’Union de donner une interprétation de l’article 19, paragraphe 4, du règlement n° 1393/2007, selon laquelle une demande tendant au relevé de la forclusion pourrait encore être introduite dans un délai prévu par le droit national, alors qu’elle n’est plus recevable en vertu d’une disposition obligatoire et directement applicable de ce règlement.

58      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 19, paragraphe 4, dernier alinéa, du règlement n° 1393/2007 doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des dispositions du droit national relatives au régime des demandes tendant au relevé de la forclusion, dès lors que le délai de recevabilité pour l’introduction de telles demandes, tel que spécifié dans la communication d’un État membre à laquelle se réfère ladite disposition, a expiré.

 Sur les dépens

59      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      La notion de « recours », figurant à l’article 34, point 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut également la demande tendant au relevé de la forclusion, lorsque le délai pour introduire un recours ordinaire a expiré.

2)      L’article 19, paragraphe 4, dernier alinéa, du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (« signification ou notification des actes »), et abrogeant le règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application des dispositions du droit national relatives au régime des demandes tendant au relevé de la forclusion, dès lors que le délai de recevabilité pour l’introduction de telles demandes, tel que spécifié dans la communication d’un État membre à laquelle se réfère ladite disposition, a expiré.

Signatures


* Langue de procédure: le polonais.

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