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CJUE, 25 octobre 2012, aff. C-133/11, Folien Fischer AG et Fofitec AG c/ Ritrama SpA.

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

25 octobre 2012

Folien Fischer AG et Fofitec AG contre Ritrama SpA.

 

«Espace de liberté, de sécurité et de justice – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Compétences spéciales en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Action en constatation négative (‘negative Feststellungsklage’) – Droit de l’auteur présumé d’un fait dommageable d’attraire la victime potentielle devant le tribunal du lieu où ce fait s’est prétendument produit ou risque de se produire afin de constater l’inexistence d’une responsabilité délictuelle»

Dans l’affaire C-133/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 1er février 2011, parvenue à la Cour le 18 mars 2011, dans la procédure

Folien Fischer AG,

Fofitec AG

contre

Ritrama SpA,

 

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, J.-J. Kasel, M. Safjan (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 février 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour Folien Fischer AG et Fofitec AG, par Me G. Jaekel, Rechtsanwalt,

–        pour Ritrama SpA, par Me J. Petersen, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suisse, par M. D. Klingele, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. W. Bogensberger et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 avril 2012,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Folien Fischer AG (ci-après «Folien Fischer») et Fofitec AG (ci-après «Fofitec»), établies en Suisse, à Ritrama SpA (ci-après «Ritrama»), établie en Italie, au sujet de leur demande en constatation négative portant sur l’absence de responsabilité délictuelle en matière de concurrence.

 

 Le cadre juridique

 

3        Il ressort du considérant 2 du règlement no 44/2001 que celui-ci vise, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur, à mettre en œuvre «[d]es dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement».

4        Le considérant 11 de ce règlement énonce:

«Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.»

5        Le considérant 12 dudit règlement prévoit:

«Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.»

6        Le considérant 15 du même règlement énonce:

«Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. [...]»

7        Aux termes du considérant 19 du règlement no 44/2001:

«Pour assurer la continuité nécessaire entre [la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la ‘convention de Bruxelles’)] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la convention de Bruxelles par la Cour [...]»

8        Les règles de compétence figurent au chapitre II du règlement no 44/2001, aux articles 2 à 31 de celui-ci.

9        L’article 2 de ce règlement, qui appartient à la section 1, intitulée «Dispositions générales», du chapitre II, énonce à son paragraphe 1:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

10      L’article 3 dudit règlement, qui relève de la même section, dispose à son paragraphe 1:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

11      L’article 5 du même règlement, qui fait partie de la section 2, intitulée «Compétences spéciales», du chapitre II, prévoit à son point 3:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[...]

3)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

12      L’article 27 du règlement no 44/2001 énonce:

«1.      Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2.      Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.»

 

 Le litige au principal et la question préjudicielle

 

13      Folien Fischer, établie en Suisse, se consacre au développement, à la fabrication et à la vente de papiers couchés et de films adhésifs. Elle commercialise, notamment en Allemagne, des supports de formulaires de cartes en continu.

14      Fofitec, qui a également son siège social en Suisse et fait partie du groupe de sociétés de Folien Fischer, est titulaire de brevets qui protègent certains formulaires permettant d’expédier un courrier accompagné, notamment, d’une carte de membre, ainsi que les supports de ces formulaires de cartes.

15      Ritrama, établie en Italie, développe, produit et commercialise des laminés et des films multicouches de divers types.

16      Par lettre du mois de mars 2007, Ritrama a fait valoir que la politique de distribution de Folien Fischer et son refus d’accorder des licences de brevet étaient contraires au droit de la concurrence.

17      Après la réception de cette lettre, Folien Fischer et Fofitec ont saisi le Landgericht Hamburg (Allemagne) d’une demande en constatation négative dans le but de faire constater que Folien Fischer n’était pas tenue de mettre fin à sa pratique commerciale en matière de remises et de rédaction des contrats de distribution et que Ritrama n’avait le droit ni de faire cesser cette pratique commerciale ni d’obtenir une indemnisation à ce titre. Folien Fischer et Fofitec ont également conclu à ce que cette juridiction constate que Fofitec n’était pas tenue d’accorder une licence concernant deux des brevets dont elle est titulaire, qui protègent la fabrication de formulaires et de supports pour la fabrication de ceux-ci.

18      Après l’introduction de cette action en constatation négative, Ritrama et Ritrama AG, filiale établie en Suisse, ont saisi le Tribunale di Milano (Italie) d’une action en exécution en faisant valoir que Folien Fischer et Fofitec avaient un comportement anticoncurrentiel et en demandant des dommages et intérêts ainsi que la condamnation de Fofitec à accorder des licences sur les brevets en cause. Lors de l’audience devant la Cour, Ritrama a affirmé que cette procédure était suspendue.

19      L’action en constatation négative intentée par Folien Fischer et Fofitec a été rejetée comme irrecevable par le Landgericht Hamburg. Le jugement de cette juridiction a été confirmé en appel par l’Oberlandesgericht Hamburg (Allemagne).

20      Dans sa décision, ce dernier n’a pas admis la compétence des juridictions allemandes au motif que la compétence en matière délictuelle, prévue à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, ne peut s’appliquer à une action en constatation négative telle que celle formée par Folien Fischer et Fofitec, étant donné qu’une telle action vise précisément à établir qu’aucun acte délictuel n’a été commis.

21      Le Bundesgerichtshof, saisi d’un recours en «Revision» formé par Folien Fischer et Fofitec, se demande si la compétence au titre de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 est également fondée lorsque l’auteur du dommage potentiel forme une action en constatation négative tendant à faire constater que la victime potentielle du dommage ne tire aucun droit d’un possible acte délictueux. C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 5, point 3, du règlement [...] no 44/2001 [...] doit-il être interprété en ce sens que la compétence juridictionnelle en matière délictuelle s’applique également à une demande en constatation négative par laquelle l’auteur d’un fait dommageable potentiel fait valoir que la victime potentielle ne tire de circonstances données aucun droit en matière délictuelle (en l’occurrence, violation de dispositions du droit de la concurrence)?»

 

 Sur la question préjudicielle

 

 Sur la recevabilité

22      Ritrama conteste la pertinence de la question préjudicielle aux fins de la solution du litige au principal. Sa lettre du mois de mars 2007, à laquelle se réfère la juridiction de renvoi, se présenterait non pas comme une mise en demeure formelle, mais comme une simple invitation à engager des négociations pour régler le différend. Ladite lettre ne serait pas une base appropriée en termes de procédure ni une raison appropriée pour entraîner la défenderesse au principal dans une procédure contentieuse. Folien Fischer et Fofitec n’auraient donc aucun intérêt à agir.

23      Ritrama fait aussi valoir que, eu égard au fait qu’elle n’est pas en concurrence avec Folien Fischer et Fofitec en Allemagne, l’acte illégal litigieux ne peut pas s’être produit dans cet État membre au sens du droit procédural. Par conséquent, les juridictions allemandes ne pourraient fonder leur compétence sur l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

24      À cet égard, il y a lieu de considérer, d’une part, que Ritrama vise à remettre en cause l’intérêt à agir de Folien Fischer et de Fofitec dans la procédure devant la juridiction de renvoi et conteste la pertinence de la question préjudicielle. Or, comme la Cour l’a déjà relevé, la juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national (voir arrêts du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C-11/07, Rec. p. I-6845, point 32, ainsi que du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a., C-165/09 à C-167/09, Rec. p. I-4599, point 47).

25      D’autre part, et en tout état de cause, il est de jurisprudence constante qu’il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêts du 7 décembre 2010, VEBIC, C-439/08, Rec. p. I-12471, point 41, ainsi que du 16 février 2012, Eon Aset Menidjmunt, C-118/11, point 76 et jurisprudence citée).

26      Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, Rec. p. I-5667, point 27, ainsi que du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne, C-41/11, point 35).

27      Or, en l’occurrence, tel n’est pas le cas dès lors que la juridiction de renvoi a clairement indiqué les motifs pour lesquels elle a posé la question préjudicielle et une réponse à cette question lui est nécessaire aux fins de trancher le litige dont elle est saisie.

28      Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.

 Sur le fond

29      Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation négative visant à faire établir l’absence de responsabilité délictuelle relève du champ d’application de cette disposition.

 Remarques liminaires

30      En premier lieu, il convient de rappeler, d’une part, que les dispositions du règlement no 44/2001 doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C-189/08, Rec. p. I-6917, point 17 et jurisprudence citée, ainsi que du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a., C-509/09 et C-161/10, Rec. p. I-10269, point 38).

31      D’autre part, dans la mesure où le règlement no 44/2001 remplace, dans les relations des États membres, la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention vaut également pour celles dudit règlement, lorsque les dispositions de ces instruments peuvent être qualifiées d’équivalentes (arrêts précités Zuid-Chemie, point 18, ainsi que eDate Advertising e.a., point 39).

32      Or, les dispositions du règlement no 44/2001 pertinentes dans la présente affaire, à savoir les articles 5, point 3, et 27 de ce règlement, reflètent la même systématique que celles de la convention de Bruxelles et sont, au surplus, rédigées en des termes quasi identiques. Eu égard à l’équivalence ainsi constatée, il importe d’assurer, conformément au considérant 19 du règlement no 44/2001, la continuité dans l’interprétation de ces deux instruments (voir arrêt Zuid-Chemie, précité, point 19).

33      En second lieu, il convient de rappeler que, d’une part, le règlement no 44/2001 poursuit un objectif de sécurité juridique qui consiste à renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union européenne, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (voir, notamment, arrêt du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C-533/07, Rec. p. I-3327, point 22 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 novembre 2011, Hypoteční banka, C-327/10, Rec. p. I-11543, point 44).

34      D’autre part, les dispositions du règlement no 44/2001 prévoyant des compétences spéciales doivent être interprétées, conformément au considérant 12 de ce règlement, en tenant compte de l’objectif consistant à faciliter une bonne administration de la justice.

35      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’interpréter l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

 Le champ d’application de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001

36      Il convient de constater que, selon le libellé de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, la règle de compétence spéciale qui fait l’objet de cette disposition est prévue, de manière générale, «en matière délictuelle ou quasi délictuelle». Une telle formulation ne permet donc pas d’exclure d’emblée une action en constatation négative du champ d’application de ladite disposition.

37      Il est de jurisprudence constante que la règle de compétence spéciale prévue, par dérogation au principe de la compétence des juridictions du domicile du défendeur, à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (voir arrêts précités Zuid-Chemie, point 24, ainsi que eDate Advertising e.a., point 40).

38      En effet, en matière délictuelle, le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves (voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2002, Henkel, C-167/00, Rec. p. I-8111, point 46, et Zuid-Chemie, précité, point 24).

39      Il convient également de rappeler que l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (arrêt du 19 avril 2012, Wintersteiger, C-523/10, point 19 et jurisprudence citée).

40      Partant, l’un de ces deux points de rattachement doit être identifié par une juridiction nationale pour que celle-ci puisse se déclarer compétente pour connaître d’un litige en matière délictuelle ou quasi délictuelle.

41      Il s’agit donc de déterminer si, nonobstant la particularité d’une action en constatation négative, la compétence judiciaire pour connaître d’une telle demande peut être attribuée sur la base des critères établis à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

42      À cet égard, il convient de constater que la particularité d’une action en constatation négative repose sur le fait que le demandeur cherche à établir l’absence des conditions de la responsabilité dont résulterait un droit à réparation pour le défendeur.

43      Dans ce contexte, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 46 de ses conclusions, une action en constatation négative implique donc une inversion des rôles habituellement connus en matière délictuelle, puisque le demandeur est le débiteur potentiel d’une créance fondée sur un acte délictuel, tandis que le défendeur est la prétendue victime de cet acte.

44      Cependant, cette inversion des rôles n’est pas de nature à exclure une action en constatation négative du champ d’application de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

45      En effet, les objectifs de prévisibilité du for et de la sécurité juridique, poursuivis par cette disposition et itérativement rappelés par la jurisprudence (voir arrêts du 15 mars 2012, G, C-292/10, point 39, et Wintersteiger, précité, point 23), n’ont trait ni à l’attribution des rôles respectifs de demandeur et de défendeur ni à la protection de l’un des deux.

46      Plus particulièrement, l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 ne poursuit pas le même objectif que les règles de compétence contenues dans les sections 3 à 5 du chapitre II du même règlement, et tendant à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée (voir arrêt du 20 mai 2010, ČPP Vienna Insurance Group, C-111/09, Rec. p. I-4545, point 30 et jurisprudence citée).

47      En conséquence, comme le font valoir à juste titre Folien Fischer, Fofitec, les gouvernements allemand, français, néerlandais et portugais ainsi que la Commission européenne, l’application dudit article 5, point 3, n’est pas soumise à la condition que la prétendue victime ait introduit l’action.

48      Certes, les intérêts du demandeur d’une action en constatation négative et les intérêts de celui qui introduit une demande tendant à faire juger que le défendeur est responsable d’un préjudice et à le faire condamner à verser des dommages et intérêts sont différents. Toutefois, dans les deux cas, l’examen effectué par la juridiction saisie porte essentiellement sur les mêmes éléments de fait et de droit.

49      Par ailleurs, il ressort du point 45 de l’arrêt du 6 décembre 1994, Tatry (C-406/92, Rec. p. I-5439), lequel porte certes sur l’interprétation, notamment, de l’article 21 de la convention de Bruxelles consacré à la litispendance, qui est devenu l’article 27 du règlement no 44/2001, qu’une demande tendant à faire juger que le défendeur est responsable d’un préjudice ainsi qu’à le faire condamner à verser à ce titre des dommages et intérêts et une demande de ce même défendeur visant à faire constater qu’il n’est pas responsable dudit préjudice ont la même cause et le même objet.

50      Il convient encore de préciser que, au stade de la vérification de la compétence internationale, la juridiction saisie n’apprécie ni la recevabilité ni le bien-fondé de la demande en constatation négative selon les règles du droit national, mais identifie uniquement les points de rattachement avec l’État du for justifiant sa compétence en vertu de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

51      Dans ces conditions, la spécificité de l’action en constatation négative, rappelée au point 42 du présent arrêt, n’a pas d’incidence sur l’examen qu’une juridiction nationale doit effectuer pour vérifier sa compétence judiciaire en matière délictuelle ou quasi délictuelle, dès lors qu’il s’agit uniquement d’établir l’existence d’un point de rattachement avec l’État du for.

52      Partant, si les éléments en cause dans l’action en constatation négative peuvent justifier le rattachement avec l’État dans lequel soit l’événement causal est survenu, soit le dommage s’est produit ou risque de se produire, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 39 du présent arrêt, la juridiction de l’un de ces deux lieux peut valablement se déclarer compétente au titre de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 pour connaître de cette action, indépendamment de la question de savoir si ladite action a été introduite par la prétendue victime d’un acte délictuel ou par le débiteur potentiel d’une créance fondée sur celui-ci.

53      En revanche, la juridiction qui n’est pas en mesure d’identifier dans l’État du for l’un des deux points de rattachement, rappelés au point 39 du présent arrêt, ne peut pas se déclarer compétente, sauf à méconnaître les objectifs de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

54      Il résulte de ce qui précède que, aux fins de la détermination de la compétence des juridictions nationales, une action en constatation négative ne saurait être exclue du champ d’application de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

55      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation négative visant à faire établir l’absence de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle relève du champ d’application de cette disposition.

 

 Sur les dépens

 

56      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action en constatation négative visant à faire établir l’absence de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle relève du champ d’application de cette disposition.

Signatures


Langue de procédure: l’allemand.

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