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CJUE, 27 février 2014, aff. C‑1/13, Cartier parfums - lunettes SAS et Axa Corporate Solutions assurances SA c/ Ziegler France SA et autres

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

27 février 2014

Cartier parfums - lunettes SAS et Axa Corporate Solutions assurances SA contre Ziegler France SA et autres

 

«Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) nº 44/2001 – Article 27, paragraphe 2 – Litispendance – Article 24 – Prorogation de compétence – Établissement de la compétence de la première juridiction saisie en raison de la comparution sans objection des parties ou de l’adoption d’une décision définitive»

Dans l’affaire C‑1/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 19 décembre 2012, parvenue à la Cour le 2 janvier 2013, dans la procédure

Cartier parfums – lunettes SAS,

Axa Corporate Solutions assurances SA

contre

Ziegler France SA,

Montgomery Transports SARL,

Inko Trade s. r. o.,

Jaroslav Matěja,

Groupama Transport,

 

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Cartier parfums – lunettes SAS, par Mes A.‑F. Roger et A. Sevaux, avocats,

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suisse, par Mme M. Jametti, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes S. Lejeune et A.‑M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 27, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cartier parfums – lunettes SAS (ci-après «Cartier») et Axa Corporate Solutions assurances SA (ci-après «Axa assurances») à Ziegler France SA (ci-après «Ziegler France»), Montgomery Transports SARL (ci-après «Montgomery Transports»), Inko Trade s. r. o. (ci-après «Inko Trade»), Jaroslav Matěja et Groupama Transport, au sujet de l’indemnisation du préjudice subi par Cartier et Axa assurances du fait d’un vol de marchandises lors d’un transport international par route.

 

 Le cadre juridique

 

 Le règlement nº 44/2001

3        Le considérant 2 du règlement nº 44/2001 énonce que «[c]ertaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables».

4        Le considérant 15 de ce règlement se lit comme suit:

«Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome.»

5        L’article 24 dudit règlement, contenu dans la section 7, intitulée «Prorogation de compétence», du chapitre II de celui-ci, relatif aux règles de compétence, dispose:

«Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 22.»

6        L’article 25 du même règlement, figurant sous la section 8 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Vérification de la compétence et de la recevabilité», est libellé comme suit:

«Le juge d’un État membre, saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridiction d’un autre État membre est exclusivement compétente en vertu de l’article 22, se déclare d’office incompétent.»

7        L’article 27 du règlement nº 44/2001, qui fait partie de la section 9 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Litispendance et connexité», prévoit:

«1.      Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2.      Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.»

 La convention de Bruxelles

8        Le règlement nº 44/2001 a remplacé, dans les relations entre les États membres, la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la «convention de Bruxelles»). Aux termes de l’article 18 de ladite convention, qui figurait sous la section 6 de celle-ci, intitulée «Prorogation de compétence»:

«Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions de la présente Convention, le juge d’un État contractant devant lequel le défendeur comparaît est compétent. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 16.»

9        L’article 21 de la convention de Bruxelles, dans sa rédaction initiale, qui figurait sous la section 8 de celle-ci, intitulée «Litispendance et connexité», disposait:

«Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États contractants différents, la juridiction saisie en second lieu doit, même d’office, se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi.

La juridiction qui devrait se dessaisir peut surseoir à statuer si la compétence de l’autre juridiction est contestée.»

 

 Le litige au principal et la question préjudicielle

 

10      Cartier avait confié à Ziegler France le transport par route de produits cosmétiques entre Genas (France) et Wickford (Royaume-Uni). Ziegler France a sous-traité le transport de ces marchandises à Montgomery Transports, laquelle a elle-même sous-traité ce service à Inko Trade, qui s’est à son tour substituée à Jaroslav Matěja.

11      Jaroslav Matěja a pris en charge les marchandises dans les entrepôts de la société Saflog à Genas le 25 septembre 2007. Dans la nuit du 26 au 27 septembre 2007, à 00 h 30, conformément à la réglementation en vigueur sur la durée du temps de conduite, le chauffeur s’est arrêté sur une aire de stationnement au Royaume-Uni afin de se reposer. Le lendemain matin, il a constaté qu’une partie de la marchandise avait été volée. Le préjudice a été évalué par la compagnie d’assurances de Cartier, Axa assurances, à 145 176,08 euros. Axa assurances a indemnisé Cartier à hauteur de 144 176,08 euros.

12      Le 24 septembre 2008, Cartier et Axa assurances ont saisi le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing (France) d’une action en responsabilité solidaire contre Ziegler France, Montgomery Transports, Inko Trade et Jaroslav Matěja en vue d’obtenir la condamnation de celles-ci au paiement de la somme de 145 176,08 euros.

13      Ultérieurement, le même tribunal a été saisi de différentes demandes en garantie formées en chaîne par les transporteurs et dans lesquelles sont intervenus leurs assureurs respectifs.

14      Le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a ordonné la jonction de toutes les procédures.

15      Lors de l’audience du 28 octobre 2010, Ziegler France a soulevé une exception de litispendance sur le fondement de l’article 27 du règlement nº 44/2001, au motif qu’elle avait préalablement saisi, au Royaume-Uni, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (London Mercantile Court), par acte du 16 septembre 2008. Ainsi qu’il ressort du dossier transmis à la Cour, Ziegler France a déposé auprès de la juridiction du Royaume-Uni une «claim form» enregistrée contre Cartier, la société Saflog et Wright Kerr Tyson Ltd, société de droit anglais, afin d’apprécier les responsabilités encourues et de chiffrer l’éventuel préjudice subi par Cartier en raison du vol en question.

16      Cartier et Axa assurances ont invoqué l’irrecevabilité de cette exception, au motif qu’elle n’avait pas été soulevée in limine litis. En effet, Ziegler France avait déposé, préalablement à l’audience devant le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, des conclusions écrites visant le fond de l’affaire alors que, en vertu de l’article 74 du code de procédure civile français, les exceptions de procédure doivent être soulevées avant toute défense au fond, sous peine d’irrecevabilité.

17      Cartier et Axa assurances ont également fait valoir que, outre le fait d’être irrecevable, l’exception de litispendance était non fondée dans la mesure où la compétence de la High Court of Justice, première saisie, n’était pas établie, au sens de l’article 27 du règlement nº 44/2001, et que les deux litiges ne concerneraient pas le même objet ni les mêmes parties.

18      Par jugement du 6 janvier 2011, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a jugé fondée l’exception de litispendance soulevée par Ziegler France, au motif notamment que l’article 871 du code de procédure civil français permet d’invoquer oralement les exceptions de procédure.

19      À cet égard, ce tribunal de commerce a constaté que la High Court of Justice avait été saisie en premier lieu et que sa compétence n’avait pas été contestée. Partant, en ce qui concerne le litige opposant Cartier et Axa assurances à Ziegler France, ledit tribunal de commerce s’est dessaisi, en vertu de l’article 27, paragraphe 2, du règlement nº 44/2001, au profit de la juridiction du Royaume-Uni. En ce qui concerne les autres parties, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a décidé de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la High Court of Justice.

20      La cour d’appel de Douai (France), dans son arrêt du 14 avril 2011, a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, en considérant notamment que, dans le litige opposant Cartier et Axa assurances à Ziegler France, les conditions de la litispendance étaient réunies et que ledit tribunal s’était légalement dessaisi au profit de la High Court of Justice. La cour d’appel de Douai a en effet jugé qu’il ressortait sans nul doute de l’acte introductif d’instance devant la juridiction du Royaume-Uni, présenté antérieurement à l’introduction de l’action en France, qu’il s’agissait du même transport, effectué au départ des entrepôts de la société Saflog pour le compte de Cartier et que, même s’il n’y avait qu’une identité partielle des parties aux deux instances pendantes, il n’était pas discutable que la question de la responsabilité de Ziegler France débattue devant la High Court of Justice aurait des répercussions sur Montgomery Transports, Inko Trade, Jaroslav Matěja et Groupama Transport.

21      Cartier et Axa assurances ont formé un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi. Ces parties ont notamment fait valoir que la cour d’appel de Douai avait méconnu le sens et la portée de l’article 27 du règlement nº 44/2001 en jugeant que la compétence de la High Court of Justice était «établie» conformément audit article dès lors que cette compétence n’aurait pas été contestée. En effet, selon ces sociétés, la compétence du tribunal premier saisi ne peut être établie que par une décision de ce tribunal rejetant explicitement son incompétence ou par l’épuisement des voies de recours pouvant être exercées contre sa décision de compétence.

22      Ainsi qu’il ressort du dossier national, la juridiction de renvoi estime qu’il n’est pas contesté que la juridiction du Royaume-Uni a été saisie en premier lieu et que les conditions relatives à l’identité des parties et à l’objet des litiges sont satisfaites en l’espèce. Néanmoins, face aux opinions doctrinales divergentes en France, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la portée de l’expression «la compétence du tribunal premier saisi est établie», au sens de l’article 27, paragraphe 2, du règlement nº 44/2001.

23      C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 27, [paragraphe] 2, du règlement nº 44/2001 [...] doit-il être interprété en ce sens que la compétence du tribunal saisi en premier lieu est établie, dès lors que, soit aucune partie n’a soulevé son incompétence, soit ce tribunal a retenu sa compétence par une décision irrévocable pour quelque cause que ce soit, notamment l’épuisement des voies de recours?»

 

 Sur la question préjudicielle

 

24      À titre liminaire, il convient de préciser que, nonobstant le fait que la question de l’existence d’un cas de litispendance au sens de l’article 27, paragraphe 1, du règlement nº 44/2001 a été débattue dans le cadre du litige au principal devant les juridictions de fond et d’appel, la juridiction de renvoi n’a interrogé la Cour que sur la portée de l’article 27, paragraphe 2, de ce règlement.

25      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêt du 17 octobre 2013, Unamar, C‑184/12, point 28 et jurisprudence citée).

26      Par ailleurs, il importe de relever qu’aucun élément du dossier soumis à la Cour ne fait apparaître que la procédure au principal relève d’une compétence exclusive prévue à l’article 22 du règlement nº 44/2001. La Cour ne doit par conséquent pas se prononcer sur l’hypothèse où le juge saisi en second lieu disposerait d’une telle compétence (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 1991, Overseas Union Insurance e.a., C‑351/89, Rec. p. I‑3317, point 20).

27      Il convient dès lors de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27, paragraphe 2, du règlement nº 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il suffit, pour que la compétence du tribunal saisi en premier lieu soit établie, au sens de cette disposition, qu’aucune partie n’ait excipé de son incompétence ou s’il est nécessaire que ce tribunal ait implicitement ou explicitement reconnu sa compétence par une décision devenue définitive.

28      À cet égard, il ressort des éléments fournis à la Cour que, dans l’affaire au principal, le juge saisi en premier lieu n’a pas décliné d’office sa compétence et que Cartier a comparu devant ce dernier en contestant les prétentions de Ziegler France quant au fond, sans exciper de l’incompétence de cette juridiction.

29      Pour répondre à cette question, il y a lieu de rappeler, d’abord, que, aux termes de l’article 27, paragraphe 1, du règlement nº 44/2001, en cas de litispendance devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

30      Par ailleurs, le paragraphe 2 de cet article prévoit que, lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.

31      Il convient d’observer, ensuite, ainsi que l’ont relevé à juste titre le gouvernement français et la Commission européenne, que le règlement nº 44/2001 ne précise pas dans quelles circonstances la compétence du tribunal saisi en premier lieu doit être regardée comme «établie», au sens de l’article 27 de ce règlement.

32      Selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions dudit règlement doivent être interprétées de manière autonome en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (voir arrêt du 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung e.a., C‑456/11, point 25 et jurisprudence citée).

33      Il convient, dès lors, aux fins de répondre à la question posée, de tenir compte de l’économie générale ainsi que de la finalité du règlement nº 44/2001.

34      En ce qui concerne, en premier lieu, l’économie générale du règlement nº 44/2001, il importe de rappeler que l’article 24, première phrase, de celui-ci prévoit une règle de compétence fondée sur la comparution du défendeur pour tous les litiges où la compétence du juge saisi ne résulte pas d’autres dispositions de ce règlement. Cette disposition s’applique y compris dans les cas où le juge a été saisi en méconnaissance des dispositions dudit règlement et implique que la comparution du défendeur puisse être considérée comme une acceptation tacite de la compétence du juge saisi et donc comme une prorogation de compétence de celui-ci (arrêt du 20 mai 2010, ČPP Vienna Insurance Group, C‑111/09, Rec. p. I‑4545, point 21).

35      L’article 24, seconde phrase, du règlement nº 44/2001 prévoit des exceptions à cette règle générale. Il établit qu’il n’y a pas de prorogation tacite de compétence du juge saisi si le défendeur soulève une exception d’incompétence, exprimant ainsi sa volonté de ne pas accepter la compétence de ce juge, ou s’il s’agit de litiges pour lesquels l’article 22 dudit règlement prévoit des règles de compétence exclusive (arrêt ČPP Vienna Insurance Group, précité, point 22).

36      La Cour a déjà jugé qu’il résulte de l’objectif de l’article 18 de la convention de Bruxelles, disposition en substance identique à l’article 24 du règlement nº 44/2001, que la contestation de la compétence, si elle n’est pas préalable à toute défense au fond, ne peut en tout état de cause se situer après le moment de la prise de position considérée, par le droit procédural national, comme la première défense adressée au juge saisi (arrêts du 24 juin 1981, Elefanten Schuh, 150/80, Rec. p. 1671, point 16, et du 13 juin 2013, Goldbet Sportwetten, C‑144/12, point 37).

37      En outre, il a été jugé que l’article 18 de la convention de Bruxelles s’applique également dans un cas où le défendeur conclut aussi bien sur la compétence du juge saisi que sur le fond du litige. Cependant, la contestation de la compétence ne saurait avoir l’effet que lui assigne cet article 18 que si la partie demanderesse et le juge saisi sont mis en mesure de comprendre, dès la première défense du défendeur, que celle-ci vise à faire obstacle à la compétence (voir, en ce sens, arrêt Elefanten Schuh, précité, points 14 et 15).

38      Il en résulte que le système institué par le règlement nº 44/2001, ainsi qu’il ressort de ses articles 24 et 27, a été conçu en vue d’éviter de prolonger la durée de sursis à statuer du juge saisi en second lieu, alors que la compétence du premier juge saisi ne pourrait plus, en réalité, ainsi qu’il a été rappelé au point 36 du présent arrêt, être contestée.

39      Or, un tel risque est inexistant lorsque, comme dans l’affaire au principal, le tribunal saisi en premier lieu n’a pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’a contestée avant ou jusqu’au moment de la prise de position considérée, par son droit procédural national, comme la première défense.

40      En ce qui concerne, en second lieu, la finalité même du règlement nº 44/2001, il convient de rappeler que l’un des objectifs de ce règlement, tel qu’il ressort de son considérant 15, est de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues lorsque plusieurs fors sont compétents pour connaître du même litige. C’est à cet effet que le législateur de l’Union a entendu mettre en place un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance. Il en découle que, en vue d’atteindre ces objectifs, l’article 27 du règlement nº 44/2011 doit faire l’objet d’une interprétation large (arrêt Overseas Union Insurance e.a., précité, point 16).

41      Or, force est de constater qu’une interprétation de l’article 27, paragraphe 2, dudit règlement selon laquelle, pour que la compétence du tribunal saisi en premier lieu soit établie, au sens de cette disposition, il est nécessaire que ce tribunal ait implicitement ou explicitement reconnu sa compétence par une décision devenue définitive, en augmentant le risque de procédures parallèles, priverait de toute leur efficacité les règles établies par ce règlement en vue de résoudre les situations de litispendance.

42      Par ailleurs, ainsi qu’il résulte du rapport sur la convention de Bruxelles, élaboré par M. Jenard (JO 1979, C 59, p. 1), et de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 21 de cette convention, disposition correspondant à l’article 27 du règlement nº 44/2001, l’objectif de la règle de litispendance est également d’éviter les conflits négatifs de juridiction. En effet, cette règle a été introduite afin que les parties ne soient pas obligées de recommencer un nouveau procès si, par exemple, le juge premier saisi venait à se déclarer incompétent (voir arrêt Overseras Union Insurance e.a., précité, point 22).

43      Or, lorsque le juge saisi en premier lieu n’a pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune exception d’incompétence n’a été soulevée devant lui, le dessaisissement de la seconde juridiction saisie ne peut avoir pour conséquence un conflit négatif de juridiction, la compétence de la première juridiction saisie ne pouvant plus être mise en cause.

44      En conséquence, il convient de considérer qu’il résulte tant de l’économie générale que de la finalité du règlement nº 44/2001 que, pour que la compétence du tribunal saisi en premier lieu soit établie au sens de l’article 27, paragraphe 2, de ce règlement, il suffit, lorsque le tribunal saisi en second lieu ne dispose pas d’une compétence exclusive en vertu dudit règlement, que le tribunal saisi en premier lieu n’ait pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’ait contestée avant ou jusqu’au moment de la prise de position considérée, par son droit procédural national, comme la première défense.

45      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 27, paragraphe 2, du règlement nº 44/2001 doit être interprété en ce sens que, sous réserve de l’hypothèse où le tribunal saisi en second lieu disposerait d’une compétence exclusive en vertu de ce règlement, la compétence du tribunal saisi en premier lieu doit être considérée comme établie, au sens de cette disposition, dès lors que ce tribunal n’a pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’a contestée avant ou jusqu’au moment de la prise de position considérée, par son droit procédural national, comme la première défense au fond présentée devant ledit tribunal.

 

 Sur les dépens

 

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 27, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, sous réserve de l’hypothèse où le tribunal saisi en second lieu disposerait d’une compétence exclusive en vertu de ce règlement, la compétence du tribunal saisi en premier lieu doit être considérée comme établie, au sens de cette disposition, dès lors que ce tribunal n’a pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’a contestée avant ou jusqu’au moment de la prise de position considérée, par son droit procédural national, comme la première défense au fond présentée devant ledit tribunal.

Signatures


 Langue de procédure: le français.

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