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Communication de la Commission européenne du 21 février 2006 : Les déchéances de droits consécutives aux condamnations pénales dans l'Union européenne - COM/2006/0073 final

 

Communication de la Commission européenne du 21 février 2006 : Les déchéances de droits consécutives aux condamnations pénales dans l'Union européenne

 

COM/2006/0073 final 


 

1. Une déchéance peut être définie comme une mesure interdisant à une personne physique ou morale, pendant une période limitée ou illimitée, d'exercer certains droits, d'occuper certaines fonctions, d'exercer une activité, de se rendre en certains lieux ou de réaliser certains actes[1]. Il s'agit d'une catégorie de sanctions dont l'objectif est avant tout préventif. Lorsqu'à la suite d'une condamnation pénale, une personne se voit privée de l'exercice de certains droits (par exemple, du droit de travailler avec des mineurs), c'est en général pour prévenir sa récidive. Dans un espace de liberté, de sécurité et de justice caractérisé, en principe, par un degré élevé de protection des personnes, il serait dès lors judicieux de reconnaître l'effet de certaines déchéances sur tout le territoire de l'Union. Cette question est d'autant plus digne d'intérêt dans le cadre d'un marché intérieur où les personnes circulent librement.

2. Les déchéances constituent une catégorie de sanctions qui, pour être efficaces, pourraient nécessiter, dans certains cas, une reconnaissance et une exécution au niveau de l'Union. Le Programme de La Haye[2] en a pris acte, le Conseil européen y invitant la Commission à présenter ses propositions en vue d'intensifier l'échange d'informations issues des registres nationaux des condamnations et déchéances, notamment celles concernant les délinquants sexuels. Cet objectif figure également dans le plan d'action adopté conjointement par le Conseil et la Commission les 2-3 juin 2005, aux fins de mettre en oeuvre le programme de La Haye, et dans la communication sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière pénale et le renforcement de la confiance mutuelle entre les Etats membres, adoptée par la Commission en mai 2005[3], qui annoncent tous deux l'adoption de la présente communication.

3. La présente communication a pour ambition de clarifier la notion de déchéance, d'établir un état des lieux de la législation pertinente au niveau européen et d'indiquer la voie susceptible d'être suivie à cet égard.

 

1. CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES

 

4. Dans sa définition donnée au point 1, la déchéance est une notion très large, qui appelle des précisions supplémentaires avant d'aborder la présente communication.

5. L'exclusion des déchéances non liées à une condamnation pénale. Conformément au cadre défini au point 2, la présente communication ne concerne que les déchéances résultant d'une condamnation pénale et non, par exemple, de mesures imposées dans le cadre d'affaires pendantes, de mesures appliquées à titre purement préventif à des personnes ne pouvant être pénalement responsables, ou d'interdictions consécutives à un comportement ne constituant pas une infraction.

6. Nature de la déchéance. La déchéance résultant d'une condamnation pénale peut prendre plusieurs formes:

- il peut s'agir d'une peine prononcée par un juge, à titre soit de peine complémentaire à la peine principale, soit de peine alternative si elle est prononcée en remplacement d'une ou plusieurs peines principales;

- il peut s'agit d'une peine accessoire, automatiquement attachée à la peine principale, sans avoir à être prononcée par un juge.

- elle peut être prononcée à l'occasion d'une procédure administrative ou disciplinaire consécutive à une condamnation pénale.

7. Champ d'application matériel. L'éventail des mesures de déchéance possibles est fonction du nombre de droits dont une personne physique ou morale peut être privée (interdiction de conduire, interdiction de résider dans une zone spécifique, exclusion des procédures de passation de marchés, privation de droits civils, civiques ou familiaux).

8. Champ d'application personnel. Les déchéances peuvent s'appliquer tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Cependant, tous les États membres ne reconnaissent pas la responsabilité pénale des personnes morales[4]. Cette question ne concerne pas spécifiquement les déchéances et elle est traitée plus en profondeur dans le Livre vert de la Commission sur les sanctions[5].

9. Hétérogénéité des déchéances au sein de l'Union . Ainsi que l'illustre le Livre vert sur les sanctions, la législation des États membres en cette matière varie considérablement, de même que la législation relative aux déchéances. Dans chaque État membre existe un large éventail de mesures de déchéance, dont la nature et le mode d'exécution peuvent être très divers. Cette hétérogénéité devient d'autant plus visible à partir d'une perspective européenne. Si certaines déchéances existent dans tous les États membres (par exemple, les interdictions de conduire), elles constituent des exceptions[6].

 

2. ÉTAT DES LIEUX DES INSTRUMENTS ADOPTÉS PAR L'UNION EUROPÉENNE

 

10. De nombreux textes adoptés au niveau de l'Union traitent des déchéances. D'une part, des instruments visent à rapprocher les législations nationales relatives à cette matière (point 2.1). D'autre part, des instruments régissent les effets qu'une déchéance (ou une condamnation) prononcée dans un État membre est susceptible d'avoir dans les autres États membres (point 2.2).

 

2.1. Instruments visant le rapprochement des sanctions

 

11. Ces instruments sont énumérés dans l'annexe à la présente communication. Dans la plupart d'entre eux, les déchéances constituent une sanction possible en cas de condamnation pour des infractions spécifiques. Les instruments suivants contiennent néanmoins des dispositions plus prescriptives concernant les déchéances consécutives à une condamnation pénale:

a) la décision-cadre 2004/68/JAI relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie[7] prévoit une obligation à charge des Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour s'assurer qu'une personne physique qui a été condamnée pour l'une des infractions couvertes par l'instrument, puisse être temporairement ou définitivement empêchée d'exercer des activités professionnelles liées à la surveillance des enfants (article 5, paragraphe 3). Cela ne signifie pas que la déchéance doit être le corollaire automatique d'une condamnation pour l'une des infractions visées mais simplement que chaque État membre doit prévoir la possibilité d'empêcher la personne d'exercer une certaine activité parmi les peines pouvant être infligées à la suite d'une condamnation;

b) la décision-cadre 2003/568/JAI relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé[8] contient une disposition similaire à son article 4, paragraphe 3;

c) la récente législation relative aux procédures de passation des marchés publics rend plus transparent le processus de leur attribution et contribue ainsi à la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. L'article 45, paragraphe 1, de la directive sur les marchés publics[9] prévoit, dans certaines circonstances, l'exclusion de la participation au marché de tout candidat ou soumissionnaire qui aurait fait l'objet d'une condamnation prononcée par un jugement définitif pour participation à une organisation criminelle, corruption, fraude au détriment des intérêts financiers des Communautés ou blanchiment de capitaux. La directive s'applique à la fois aux personnes physiques et aux personnes morales[10].

Un parallèle peut être établi ici avec d'autres directives européennes, applicables au secteur financier. La plupart de ces textes contiennent une disposition type prévoyant que l'équipe dirigeante de l'établissement concerné doit être constituée de personnes «honorables». Par exemple, selon la directive sur les banques[11], un établissement de crédit ne peut être agréé si les personnes en question ne possèdent pas l'honorabilité nécessaire. Il est donc probable que leur casier judiciaire sera vérifié et qu'elles ne seront pas acceptées si elles ont été condamnées pour des délits tels que le blanchiment d'argent ou la corruption. L'interprétation de la notion d'«honorabilité» est toutefois laissée aux États membres et la déchéance n'est pas systématique en cas de commission de certaines infractions. Il en est de même pour la législation relative aux entreprises d'investissement[12], aux transactions de valeurs mobilières[13], au contrôle légal des documents comptables[14] et aux assurances[15].

 

2.2. Mesures concernant l'effet des condamnations ou des déchéances

 

12. Les instruments qui régissent les effets qu'une déchéance (ou une condamnation) prononcée dans un État membre est susceptible d'avoir dans les autres États membres se subdivisent en trois catégories.

13. Une première catégorie comprend une série de directives que l'on peut considérer comme des instruments permettant une reconnaissance mutuelle partielle. Certaines d'entre elles traitent directement de la reconnaissance d'une déchéance prononcée dans un autre État membre (a et b). D'autres s'attachent aux conséquences, en termes de déchéance, qui peuvent découler de la reconnaissance d'une condamnation infligée dans un autre État membre (c et d).

a) Les directives relatives à l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales[16] et européennes[17]. La première permet de reconnaître dans un État membre une déchéance du droit d'éligibilité prononcée dans un autre État membre. La seconde impose cette reconnaissance et permet en outre de faire reconnaître dans un État membre une déchéance du droit de vote prononcée dans un autre État membre.

b) La directive relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d'expulsion[18] vise à permettre la reconnaissance d'une décision d'éloignement prise par un État membre à l'encontre d'un ressortissant d'un pays tiers qui se trouve sur le territoire d'un autre État membre. Elle est notamment applicable aux décisions d'éloignement fondées sur une menace grave et actuelle pour l'ordre public ou la sécurité nationale et consécutives à une condamnation pour une infraction passible d'une peine privative de liberté d'au moins un an. Elle ne s'applique toutefois pas aux membres de la famille des citoyens de l'Union ayant exercé leur droit à la libre circulation. Ces derniers relèvent en effet de la directive 2004/38/CE, qui réglemente strictement les limitations à l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement, et souligne que l'existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures [19].

c) La directive sur les marchés publics précédemment mentionnée. Il s'agit d'un instrument de reconnaissance mutuelle partielle des condamnations puisque ainsi, une condamnation prononcée dans un État membre entraînera normalement une exclusion des marchés publics à l'échelle de l'Union. Lorsqu'une personne a été condamnée dans un État membre mais que le pouvoir adjudicateur se trouve dans un autre État membre, il peut demander la coopération des autorités compétentes du premier État membre pour obtenir des informations au sujet de cette condamnation.

Au niveau de l'Union, le règlement financier[20] instaure lui aussi un dispositif excluant des appels d'offres et subventions européens les personnes physiques ou morales ayant commis certaines infractions.

d) Le 7 septembre 2005, le Parlement européen et le Conseil ont adopté une nouvelle directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles[21] , qui remplacera quinze directives régissant actuellement ce domaine. Elle impose aux autorités compétentes des États membres d'accueil et d'origine d'échanger des informations sur, notamment, les sanctions disciplinaires ou pénales susceptibles d'avoir des conséquences sur l'exercice des activités professionnelles en question (article 56, paragraphe 2). Cette nouvelle directive renforce l'obligation d'information existante. Cependant, comme c'est actuellement le cas, l'échange d'informations n'entraîne pas de déchéance automatique du droit d'exercer la profession dans le pays d'accueil. Cette question est laissée à sa discrétion. À cet égard, il est utile de mentionner la différence entre cette directive et la directive 98/5/CE[22] relative au droit d'établissement des avocats (qui n'est pas remise en cause par la nouvelle directive). Ce droit d'établissement étant fondé sur la reconnaissance de l'inscription des avocats au barreau et non de leurs qualifications, la directive 98/5/CE assure qu'une déchéance prononcée dans l'État membre d'origine produise effet dans le pays d'accueil.

14. Une deuxième catégorie comprend les instruments qui ne sont pas en vigueur ou qui n'ont été ratifiés que par un nombre limité d'États membres:

a) l'initiative danoise « en vue de l'adoption d'une décision du Conseil relative au renforcement de la coopération entre les États membres de l'Union européenne en ce qui concerne les décisions de déchéance de droits »[23]. Cette initiative, toujours pendante devant le Conseil, porte essentiellement sur l'accès à l'emploi et est limitée aux personnes physiques. En outre, elle n'envisage que l'échange d'informations entre États membres et non la reconnaissance mutuelle des décisions de déchéance[24];

b) la convention de 1998 relative aux décisions de déchéance du droit de conduire[25]. Cette convention ne prévoit pas la reconnaissance directe dans tous les États membres des interdictions de conduire imposées dans l'un d'eux et les mécanismes qu'elle instaure ne s'inscrivent pas dans une logique de reconnaissance mutuelle. Concrètement, elle permet à l'État membre d'exécution de choisir de convertir la décision étrangère en une décision judiciaire ou administrative interne. À ce jour, la convention a été ratifiée par un nombre insignifiant d'États membres[26].

15. Enfin, une troisième catégorie est constituée de résolutions, c'est-à-dire des actes dépourvus d'effet contraignant, qui visent à combattre la violence liée au football. Dans une résolution datant de 1997[27], le Conseil soulignait que les interdictions d'accès aux stades sont un moyen efficace de prévenir et d'endiguer ce genre de troubles et qu'il serait souhaitable que les interdictions imposées dans un État membre soient maintenues pour les matches au niveau européen se déroulant dans les autres États membres. Une résolution de 2003[28] invite quant à elle les États membres à étudier la possibilité d'étendre les interdictions de stade à certains matches de football disputés dans d'autres États membres et d'assortir l'inobservation de l'interdiction de sanctions.

 

2.3. Conclusion

 

16. L'état des lieux qui vient d'être fait permet de dresser les constats suivants :

a) il existe un nombre relativement limité d'instruments européens prévoyant des déchéances obligatoires, c'est-à-dire des textes obligeant les États membres à inclure des déchéances professionnelles parmi les peines pouvant être infligées à la suite d'une condamnation (voir les points 11 a) et b)) ou assortissant certaines condamnations d'une déchéance (comme la directive sur les marchés publics).

b) À l'exception de la directive relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d'expulsion[29], les instruments qui traitent de l'effet de certaines déchéances ou condamnations en dehors de l'État membre de condamnation ne prévoient pas la mise en place de véritables systèmes d'échanges d'information qui permettraient aux États membres de disposer d'une source d'informations fiables et complètes sur les déchéances ou condamnations prononcées dans les autres États membres.

17. La création d'un système d'échange d'informations relatives au permis de conduire est actuellement examinée par la Commission. Cette initiative s'appuie sur des arrêts récents de la Cour de justice qui constatent l'existence d'une obligation à charge des États membres d'échanger des informations dans certaines circonstances, et d'élargir ainsi le mécanisme d'échange volontaire d'informations instauré par la directive 91/439/CEE[30] relative au permis de conduire. La récente proposition de directive qui vise à refondre cette dernière souligne en outre la nécessité de mettre en place un système général et obligatoire d'échange d'informations[31].

 

3. PISTES D'ACTION ENVISAGEABLES POUR LES DÉCHÉANCES

 

18. Deux pistes d'action différentes, qui ne sont pas incompatibles, pourraient être suivies pour qu'au plan européen, les déchéances deviennent un moyen efficace de réprimer certains comportements délictueux et de prévenir leur récidive. D'une part, l'on pourrait considérer que la commission d'infractions déterminées doit être assortie d'une déchéance automatique de l'exercice de certaines activités à l'échelle de l'Union. D'autre part, l'on pourrait estimer que, dans certains cas, les effets d'une déchéance nationale doivent s'étendre à tout le territoire communautaire. Quelle que soit la solution retenue, toute proposition législative dans ce domaine fera l'objet, conformément à la communication de la Commission du 27 avril 2005[32], d'une étude d'impact approfondie destinée à mesurer, notamment, son incidence sur les droits fondamentaux.

3.1. Assortir la commission d'infractions déterminées d'une déchéance

19. En théorie, la voie suivie dans la directive sur les marchés publics pourrait l'être dans d'autres secteurs, afin que l'accès à certaines professions ou activités soit interdite dans toute l'Union à la suite d'une condamnation pour une infraction particulièrement grave.

20. L'adoption d'un tel instrument supposerait:

- la définition des activités et professions concernées;

- un minimum d'harmonisation des infractions visées;

- l'harmonisation de la durée de la déchéance elle-même afin d'éviter les discriminations potentielles. À l'heure actuelle, cette durée varie fréquemment en fonction de la durée de conservation des informations dans le casier judiciaire national. La proposition initiale de la Commission relative à la directive sur les marchés publics[33] harmonisait la durée de la déchéance automatique à cinq ans, mais la disposition correspondante n'a pas été retenue dans le texte définitif.

21. En pratique, l'adoption d'un tel instrument signifierait que l'accès à certaines activités serait désormais, dans une certaine mesure, réglementé au plan européen, et elle devrait être justifiée au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Cette voie réglementaire pourrait se révéler inappropriée pour des activités qui ne sont pas forcément, comme dans la directive sur les marchés publics, de dimension européenne. Ce n'est pas non plus l'approche adoptée dans le secteur financier (voir le point 11 c) ci-dessus).

3.2. Prévoir la reconnaissance mutuelle des déchéances de droit

22. Bien que la reconnaissance mutuelle soit à la base même de la création d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice, l'extension des effets territoriaux des déchéances de droits pourrait être ressentie comme une aggravation de la sanction et soulever la question des droits de la personne qui verra le champ d'application territorial de la déchéance étendu à toute l'Union. En outre, les sanctions pénales sont extrêmement diverses dans l'Union européenne et l'élargissement des effets d'une mesure de déchéance prononcée dans un État à tout le territoire communautaire pourrait se heurter à l'opposition d'un État membre qui ne connaîtrait pas ce type de sanction pour le comportement incriminé[34].

23. Dans un premier temps, une solution rationnelle consisterait donc à adopter une approche sectorielle et à privilégier la reconnaissance mutuelle des déchéances dans les domaines où les États membres ont déjà une base commune. Cela présuppose que les sanctions présentent un degré d'homogénéité suffisant, ce qui est notamment le cas lorsque:

- la déchéance existe déjà dans tous les États membres pour un type d'infraction particulier (par exemple, la déchéance du droit de conduire) ou

- un instrument juridique prévoit expressément que ce type de sanction doit figurer dans l'arsenal juridique de tous les États membres pour certains types d'infraction (par exemple, déchéance du droit de travailler avec des enfants, voir le point 11 ci-dessus). Si, en revanche, la déchéance d'un droit ne constitue que l'une des sanctions possibles pour le comportement que l'instrument juridique impose d'incriminer, sans obliger les États membres à prévoir ce type précis de sanction, rien ne garantit qu'il existera une base commune.

24. Quand bien même cette base commune existe, les différences constatées entre États membres dans la nature de l'interdiction[35] ou dans son contenu (durée, par exemple) risquent de causer certaines difficultés. Il conviendrait donc de définir la marge de manœuvre à laisser à l'État d'exécution.

 

4. CONDITION PRÉALABLE : AMÉLIORER LA CIRCULATION DE L'INFORMATION

 

25. Les deux hypothèses qui viennent d'être décrites supposent que l'information sur les condamnations et les déchéances circulent entre les États membres.

 

4.1. Condamnations

 

26. Plusieurs mesures ont déjà été prises pour améliorer les mécanismes d'échange d'information existants:

- le 13 octobre 2004, la Commission a adopté une proposition de décision du Conseil relative à l'échange d'informations extraites du casier judiciaire[36] visant à améliorer rapidement le fonctionnement des mécanismes d'échange d'informations entre États membres, principalement en fixant des délais pour la transmission des informations. Le texte a été adopté par le Conseil le 21 novembre 2005[37];

- le 25 janvier 2005, la Commission a présenté un livre blanc qui analysait les principaux obstacles à l'échange d'informations sur les condamnations et formulait des propositions relatives à un système informatisé d'échange d'informations[38]. Au terme des discussions sur ce document, le Conseil Justice et affaires intérieures du 14 avril 2005 a dégagé des orientations générales pour les travaux à venir. Sur cette base, et à la lumière des objectifs fixés dans le programme de La Haye, le 22 décembre 2005, la Commission a présenté une proposition législative introduisant une réforme approfondie des mécanismes d'échange existants[39]. Les travaux devraient se poursuivre en 2006 pour faciliter l'accès aux informations sur les condamnations prononcées dans l'Union européenne à l'égard des ressortissants des pays tiers.

27. Dans ce cadre, il convient également de mentionner que le 17 mars 2005, la Commission a adopté une proposition de décision-cadre du Conseil relative à la prise en compte des décisions de condamnation entre les États membres à l'occasion d'une nouvelle procédure pénale[40]. La proposition définit les cas dans lesquels les condamnations prononcées dans un autre État membre devraient être prises en compte dans le cadre d'une nouvelle procédure pénale visant des faits différents.

 

4.2. Déchéances de droits

 

28. Les déchéances sont une forme de sanction dont la nature est susceptible de varier au sein d'un même État et, à fortiori, d'un État membre à l'autre. Elles peuvent soit être prononcées dans le cadre de procédures pénales, civiles/commerciales, administratives ou disciplinaires, soit résulter automatiquement d'une condamnation. Dans certains États, il s'agit d'ailleurs surtout de sanctions administratives ou disciplinaires et rarement de sanctions « judiciaires ». Ces disparités rendent malaisé l'accès à une information exhaustive, d'autant plus que les règles relatives à l'organisation des registres nationaux sont elles aussi très différentes: tous les États membres disposent de casiers judiciaires mais les informations rassemblées par la Commission indiquent qu'ils varient considérablement d'un État à l'autre, particulièrement en ce qui concerne leur contenu.[41] Ainsi, dans certains États membres, les décisions retranscrites émanent uniquement des juridictions pénales, alors que dans d'autres, le registre contient également des décisions rendues par des autorités civiles, commerciales ou administratives. Les déchéances de l'autorité parentale, par exemple, figurent dans certains registres nationaux.

29. La nature d'une déchéance particulière et les règles d'organisation du registre national concerné vont donc déterminer l'inscription dans ce dernier. Si les déchéances prononcées par le juge pénal se retrouvent en général dans tous les registres, c'est loin d'être toujours le cas des déchéances qui découlent automatiquement d'une condamnation pénale ou qui sont prononcées par une autorité administrative ou une organisation professionnelle, à la suite d'une condamnation pénale. Le taux d'inscription des déchéances dans les registres nationaux est donc susceptible de varier considérablement d'un État membre à l'autre.

30. Il conviendrait dès lors d'examiner les possibilités d'améliorer l'échange des informations sur les déchéances, en tenant pleinement compte de la nécessité d'assurer un degré élevé de protection aux données à caractère personnel. Le traitement de ces dernières et l'échange d'informations sur les déchéances devraient à tout le moins êtres conformes à la législation communautaire existante en matière de traitement des données à caractère personnel[42]. Idéalement, l'objectif devrait être de permettre un échange exhaustif d'informations sur les types de déchéance suivants:

i) les déchéances prononcées par un tribunal à la suite d'une condamnation pénale (c'est-à-dire attachées à cette condamnation);

ii) les déchéances imposées dans un État membre comme corollaire automatique d'une condamnation dans cet État;

iii) les déchéances prononcées dans un État membre à la suite d'une condamnation pénale dans ce même État, quelle que soit l'autorité qui les a prononcées, à condition que sa procédure offre les mêmes garanties que le procès pénal;

iv) les déchéances prononcées à l'encontre de personnes morales pour des délits ou des violations qui auraient constitué des infractions pénales s'ils avaient été commis par une personne physique et qui peuvent engager la responsabilité (pénale ou administrative) d'une personne morale dans tous les États membres[43].

31. Compte tenu de ce qui vient d'être exposé, il conviendrait d'examiner s'il est nécessaire d'adopter des règles communautaires minimales imposant aux États membres d'inscrire systématiquement au moins certaines déchéances dans leur casier judiciaire national, ou dans des registres[44], lorsqu'une base commune existe déjà entre ces États.

 

5. CONCLUSION

 

32. L'existence d'une condamnation pénale entraînant une déchéance de droits constitue le dénominateur commun entre les États membres. Un meilleur accès aux informations relatives aux condamnations prononcées dans les autres États membres devrait permettre aux États de prendre ces éléments en considération, notamment pour déterminer si l'accès à certaines professions ou activités doit être accordé à une personne. La Commission préconise donc une approche visant à améliorer la circulation de l'information sur les condamnations et, dans les années à venir, elle poursuivra les travaux déjà en cours.

33. S'agissant de la reconnaissance mutuelle des déchéances, la Commission privilégierait la solution «sectorielle», dans les domaines où une base commune entre les États membres existe déjà. Cette conception est partagée par une majorité d'États membres. Une telle base commune existe notamment pour les déchéances du droit de conduire et de travailler avec des enfants (voir le point 23). En octobre 2004, la Belgique a présenté une initiative sur la reconnaissance mutuelle des déchéances du droit de travailler avec des enfants consécutives à une condamnation pour des délits sexuels commis à l'égard d'enfants. À l'avenir, la Commission envisage en outre de proposer une décision-cadre destinée à remplacer la convention de 1998 relative aux déchéances du permis de conduire (voir le point 14 b)). Elle devrait compléter les instruments communautaires existants, de façon à assurer la reconnaissance pleine et entière des déchéances du droit de conduire.

 

[1] Livre vert sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l'exécution des sanctions pénales dans l'Union européenne («Livre vert sur les sanctions »), COM (2004) 334 final, 30.4.2004.

[2] Adopté les 4-5 novembre 2004 (JO C 53 du 3.3.2005, p. 1).

[3] COM (2005) 195 du 19.5.2005.

[4] Par exemple, la Belgique, la France, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni reconnaissent la responsabilité pénale des personnes morales, au contraire de la Grèce, de l'Allemagne et de l'Italie.

[5] Point 3.1.6.

[6] Cette hétérogénéité et les difficultés que pose une approche générale ont été illustrées pendant la discussion d'une initiative présentée par le Danemark en 2002, en vue de l'adoption d'une décision du Conseil relative au renforcement de la coopération entre les États membres de l'Union européenne en ce qui concerne les décisions de déchéance de droits (JO C 223 du 19.9.2002, p. 17). Cette initiative est toujours pendante devant le Conseil.

[7] JO L 13 du 20.01.2004, p. 44.

[8] JO L 192 du 31.7.2003, p. 54. Il est intéressant de noter que la Convention du 26 mai 1997 relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne (JO C 195 du 25.6.1997, p. 2) ne contient pas de dispositions relatives aux déchéances.

[9] Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, JO L 134 du 30.4.2004, p.114. Les États membres doivent avoir transposé cette directive au plus tard le 31 janvier 2006.

[10] À ce sujet, il convient également de citer l'article 29, point c), de la directive sur les marchés de services, l'article 20, paragraphe 1, point c), de la directive sur les marchés de fourniture et l'article 24, paragraphe 1, point c), de la directive sur les marchés de travaux, abordés plus en détails dans l'annexe. La directive sur les marchés publics abroge ces dispositions à compter du 31 janvier 2006.

[11] Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, JO L 126 du 26.5.2000, p. 1.

[12] Voir l'article 9 de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, JO L 145 du 30.4.2004, p. 1.

[13] Voir l'articles 5a et 5b de la directive 85/611/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), JO L 375 du 31.12.1985, p. 3.

[14] Voir l'article 3 de la huitième directive (84/253/CEE) du Conseil, du 10 avril 1984, fondée sur l'article 54 paragraphe 3 point g) du traité, concernant l'agrément des personnes chargées du contrôle légal des documents comptables, JO L 126 du 12.5.1984, p. 20.

[15] Voir l'article 6, paragraphe 1, point a), et l'article 8 de la directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2002 concernant l'assurance directe sur la vie, JO L 345 du 19.12.2002, p. 1, ainsi que l'article 8 de la directive 73/239/CEE portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, et son exercice, JO L 228 du 16.8.1973, p. 3 (telle que modifiée par la directive 92/49/CE, JO L 228 du 11.8.1992, p. 1).

[16] Directive 94/80/CE du Conseil, du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité, JO L 368 du 31.12.1994, p. 38. Modifiée par la directive 96/30/CE du Conseil du 13 mai 1996, JO L 122 du 22.5.1996, p. 14.

[17] Directive 93/109/CE du Conseil, du 6 décembre 1993, fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants, JO L 329 du 30.12.1993, p. 34.

[18] Directive 2001/40/CE du Conseil du 28 mai 2001, JO L 149 du 2.6.2001, p. 34. La récente proposition de la Commission de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (COM (2005) 391 final du 1.9.2005) prévoit un ensemble de règles souples, applicables lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers sous le coup d’une décision d’éloignement ou de retour prise dans un État membre est appréhendé sur le territoire d’un autre État membre. Les États membres peuvent choisir entre plusieurs possibilités, dont l'une est la reconnaissance mutuelle, en fonction des circonstances de chaque cas En cas d'adoption de cette proposition, la directive 2001/40/CE ferait double emploi et serait donc abrogée.

[19] La directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 (JO L 158 du 30.4.2004, p. 77) consolide les instruments antérieurs et doit être transposée au plus tard le 30 avril 2006.

[20] Règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil du 25 juin 2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248 du 16.9.2002, p. 1). Voir l'article 93, points b) et e).

[21] JO L 255 du 30.9.2005, p. 22.

[22] Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise.

[23] JO C 223 du 19.9.2002, p. 17.

[24] Un parallèle peut être établi ici avec la Convention européenne du Conseil de l'Europe de 1970 relative à la valeur internationale des jugements répressifs. Ratifiée par neuf États membres (au 6 octobre 2005), elle s'applique notamment aux déchéances. Les mécanismes qu'elle prévoit ne s'inscrivent toutefois pas dans une logique de reconnaissance mutuelle: la convention requiert une double incrimination, autorise le contrôle de l'opportunité de la déchéance, prévoit la détermination de sa durée et inclut la possibilité de limiter l'étendue de la déchéance.

[25] JO C 216 du 10.7.1998, p. 1. Voir également le rapport explicatif sur la convention relative aux décisions de déchéance du droit de conduire, JO C 211 du 23.7.1999, p.1.

[26] L'Espagne et la Slovaquie, au 5 octobre 2005.

[27] Résolution du Conseil du 9 juin 1997 sur la prévention et la maîtrise du "hooliganisme" par l'échange d'expériences, l'interdiction de stade et la politique médiatique, JO C 193 du 24.6.1997, p. 1.

[28] Résolution du Conseil du 17 novembre 2003 relative à l'adoption dans les Etats membres de l'interdiction d'accès aux enceintes dans lesquelles se déroulent des matches de football revêtant une dimension internationale, JOC 281 du 22.11.2003, p. 1.

[29] Dans ce cas, l'échange d'informations a lieu par le biais d'un signalement intégré dans le Système d'information Schengen (SIS) en vertu de l'article 96, paragraphe 3, de la convention du 19 juin 1990 mettant en application l'Accord de Schengen.

[30] JO L 237 du 24.8.1991, p. 1.

[31] COM(2003)621. La proposition entend notamment mettre un terme au «tourisme du permis de conduire» et faciliter la mise en œuvre du principe selon lequel une même personne ne peut être titulaire que d'un seul permis. Elle maintient les dispositions en vertu desquelles les États membres peuvent refuser de reconnaître le permis d'une personne qui a fait l'objet d'un retrait de permis et qui se trouve donc indirectement toujours titulaire d'un autre permis de conduire. Elle renforce également les obligations des États membres en imposant à chacun d'eux de s'assurer que le demandeur d'un nouveau permis n'a pas fait l'objet d'une décision d'interdiction de délivrance prononcée par les autorités d'un autre État membre (article 8, paragraphe 5, de la proposition).

[32] Communication de la Commission. Le respect de la Charte des droits fondamentaux dans les propositions législatives de la Commission. Méthodologie pour un contrôle systématique et rigoureux. COM(2005) 172 final du 27.4.2005.

[33] COM (2000) 275 final.

[34] Voir le Livre vert sur les sanctions précité.

[35] Par exemple, certains systèmes juridiques requièrent une décision spécifique pour prononcer ces interdictions alors que dans d'autres, elles sont la conséquence automatique d'une condamnation pénale; même dans le premier cas, la nature de la décision (administrative, pénale, etc.) peut varier.

[36] COM (2004)664 du 13.10.2004.

[37] JO L 322 du 9.12.2005, p. 33.

[38] COM (2005) 10 du 25.1.2005.

[39] COM (2005) 690.

[40] COM (2005) 91 du 17.3.2005.

[41] Voir l'annexe au livre blanc COM (2005) 10.

[42] Voir la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281 du 23.11.1995) ainsi que le règlement (CE) n° 45/2001 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO L 8 du 12.1.2001). La Commission a en outre adopté, le 4 octobre 2005, une proposition de décision-cadre du Conseil relative à la protection des données à caractère personnel traitées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (COM (2005) 475).

[43] Plusieurs instruments juridiques imposent d'ailleurs aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les personnes morales puissent voir leur responsabilité (pénale ou administrative) engagée pour les infractions visées par l'instrument et qu'elles soient passibles de sanctions. Ce qui signifie, au moins pour une liste limitée d'infractions, que la responsabilité des personnes morales peut être engagée dans tous les États membres.

[44] Indépendamment du type de responsabilité retenu, le degré d'inscription aux registres nationaux des sanctions infligées aux personnes morales varie selon les États membres (voir l'annexe au livre blanc COM (2005) 10). Dans les pays qui reconnaissent la responsabilité pénale des personnes morales, le casier judiciaire national couvre fréquemment, mais pas toujours, les personnes physiques et les personnes morales. Il y aurait incontestablement un progrès si les sanctions (y compris les déchéances) infligées aux personnes morales pour des infractions qui seraient de nature pénale si elles avaient été commises par une personne physique étaient systématiquement inscrites dans un registre national.

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