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CJUE, 21 octobre 2015, aff. C-215/15 Vasilka Ivanova Gogova c/ Ilia Dimitrov Iliev

 

 

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 octobre 2015 (*)

 

 

«Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) n° 2201/2003 – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 1, sous b) – Attribution, exercice, délégation, retrait total ou partiel de la responsabilité parentale – Article 2 – Notion de ‘responsabilité parentale’ – Litige entre les parents concernant le voyage de leur enfant et la délivrance d’un passeport à celui-ci – Prorogation de compétence – Article 12 – Conditions – Acceptation de la compétence des juridictions saisies – Défaut de comparution du défendeur – Absence de contestation de la compétence par le mandataire du défendeur désigné d’office par les juridictions saisies»

Dans l’affaire C‑215/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), par décision du 11 mai 2015, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure

Vasilka Ivanova Gogova

contre

Ilia Dimitrov Iliev,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan, Mmes A. Prechal et K. Jürimäe (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. I. Illéssy, administrateur,

vu la décision du président de la Cour du 3 juillet 2015 de soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 septembre 2015,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement tchèque, par M. J. Vláčil, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme S. Petrova et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 1er, paragraphe 1, sous b), 2, point 7, 8, paragraphe 1, ainsi que 12, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Gogova à M. Iliev au sujet du renouvellement du passeport de leur enfant.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 5 et 12 du règlement n° 2201/2003 énoncent:

«(5)      En vue de garantir l’égalité de tous enfants, le présent règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale.

[...]

(12)      Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale.»

4        L’article 1er de ce règlement, intitulé «Champ d’application», dispose:

«1.      Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives:

[...]

b)      à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

2.      Les matières visées au paragraphe 1, point b, concernent notamment:

a)      le droit de garde et le droit de visite;

b)      la tutelle, la curatelle, et les institutions analogues;

c)      la désignation et les fonctions de toute personne ou [tout] organisme chargé de s’occuper de la personne ou des biens de l’enfant, de le représenter ou de l’assister;

d)      le placement de l’enfant dans une famille d’accueil ou dans un établissement;

e)      les mesures de protection de l’enfant liées à l’administration, à la conservation ou à la disposition de ses biens.

3.      Le présent règlement ne s’applique pas:

a)      à l’établissement et la contestation de la filiation;

b)      à la décision sur l’adoption et les mesures qui la préparent, ainsi que l’annulation et la révocation de l’adoption;

c)      aux noms et prénoms de l’enfant;

d)      à l’émancipation;

e)      aux obligations alimentaires;

f)      aux trusts et successions;

g)      aux mesures prises à la suite d’infractions pénales commises par des enfants.»

5        L’article 2, point 7, dudit règlement définit la notion de «responsabilité parentale» comme «l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite».

6        L’article 8 du même règlement, intitulé «Compétence générale», est libellé en ces termes:

«1.      Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

2.      Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions [de l’article 12].»

7        L’article 12 du règlement n° 2201/2003, intitulé «Prorogation de compétence», dispose:

«1.      Les juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande lorsque

a)      au moins l’un des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant

et

b)      la compétence de ces juridictions a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par les époux et par les titulaires de la responsabilité parentale, à la date à laquelle la juridiction est saisie, et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

[...]

3.      Les juridictions d’un État membre sont également compétentes en matière de responsabilité parentale dans des procédures autres que celles visées au paragraphe 1 lorsque

a)      l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre

et

b)      leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

[...]»

8        L’article 16 de ce règlement, intitulé «Saisine d’une juridiction», prévoit:

«1.      Une juridiction est réputée saisie:

a)      à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur;

ou

b)       si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.»

 Le droit bulgare

 La loi relative aux documents d’identité bulgares

9        L’article 45, paragraphe 1, de la loi relative aux documents d’identité bulgares (Zakon za balgarskite lichni dokumenti) dispose que la demande de passeport pour les mineurs est déposée par les parents de ces derniers en personne.

10      Conformément à l’article 78, paragraphe 1, de ladite loi, lu en combinaison avec l’article 76, point 9, de cette même loi, le ministre de l’intérieur ou, le cas échéant, la personne qu’il habilite à cette fin, peut interdire à un enfant de quitter le territoire de la République de Bulgarie, à moins qu’il ne soit produit un consentement par écrit, sous la forme d’un acte notarié, par lequel les parents autorisent leur enfant à voyager.

 Le code de la famille

11      L’article 127a du code de la famille (Semeen kodeks) dispose:

«1.      Les questions liées au voyage d’un enfant à l’étranger et à la délivrance des documents d’identité nécessaires à cette fin sont résolues par les parents d’un commun accord.

2.      Lorsque les parents ne parviennent pas à l’accord prévu au paragraphe précédent, le litige qui les oppose est porté devant le Rayonen sad (tribunal d’arrondissement) du ressort du domicile actuel de l’enfant.

3.      La procédure devant le tribunal s’ouvre à la demande de l’un des parents. L’autre parent est entendu, à moins qu’il ne comparaisse pas sans raison valable. Le tribunal peut recueillir des preuves d’office.

[...]»

 Le code de procédure civile

12      L’article 47 du code de procédure civile (Grazhdanski protsesualen kodeks) dispose:

«1.      Lorsqu’il est impossible de retrouver le défendeur à l’adresse indiquée dans le dossier, et de trouver une personne qui accepte de recevoir la signification, l’auteur de celle-ci affiche une notification sur la porte ou la boîte aux lettres de la personne concernée; lorsque celui-ci n’y a pas accès, l’affichage se fait sur la porte d’entrée de l’immeuble, ou bien à un endroit visible à proximité. Lorsqu’il a accès à la boîte aux lettres, l’auteur de la signification y dépose également une notification.

2.      La notification en question indique que le dossier a été déposé au greffe du tribunal lorsque la signification se fait par l’intermédiaire d’un employé du tribunal ou d’un huissier de justice; qu’il a été déposé auprès de la mairie lorsque c’est un employé municipal qui fait la signification, et qu’il peut y être retiré dans un délai de deux semaines à compter de la date de l’affichage de la notification.

3.      Lorsque le défendeur ne comparaît pas afin de recevoir copie du dossier, le tribunal en question enjoint au demandeur de fournir des renseignements au sujet de son adresse enregistrée, excepté dans les cas prévus aux articles 40, paragraphe 2, et 41, paragraphe 1, dans lesquels la notification est jointe au dossier. Si l’adresse indiquée ne correspond pas à l’adresse permanente ou actuelle de la partie, le tribunal en question ordonne une signification à l’adresse actuelle ou permanente, selon les modalités prévues aux paragraphes 1 et 2.

4.      Lorsque l’auteur de la signification constate que le défendeur ne réside pas à l’adresse indiquée, le tribunal en question enjoint au demandeur de fournir des renseignements au sujet de son adresse enregistrée nonobstant l’affichage de la notification mentionnée au paragraphe 1.

5.      La signification est réputée effectuée à l’expiration du délai pour sa réception auprès du greffe du tribunal ou auprès de la mairie.

6.      Après avoir constaté la régularité de la signification, le tribunal ordonne que la signification soit versée au dossier et il nomme un représentant spécial aux frais du demandeur.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Il ressort de la décision de renvoi que Mme Gogova et M. Iliev ont un enfant, âgé de 10 ans à la date des faits au principal. Cet enfant, de nationalité bulgare, réside avec sa mère, à Milan (Italie). Les parents, tous deux ressortissants bulgares, vivent séparés. M. Iliev réside également en Italie.

14      Mme Gogova a souhaité obtenir le renouvellement du passeport de son enfant, ce document ayant expiré le 5 avril 2012, afin, notamment, de voyager avec lui en Bulgarie.

15      Selon le droit bulgare, la décision concernant le voyage d’un enfant mineur et l’obtention d’un passeport à son nom est prise d’un commun accord par les parents. Par ailleurs, la demande de passeport pour un tel enfant doit être faite par ses deux parents ensemble auprès des autorités administratives compétentes.

16      M. Iliev n’ayant pas coopéré avec la requérante au principal pour la délivrance d’un nouveau passeport au nom de leur enfant, Mme Gogova a introduit une demande devant le Rayonen sad – Petrich (tribunal d’arrondissement de Petrich, Bulgarie) tendant à ce que cette juridiction tranche le désaccord existant entre elle et M. Iliev concernant la possibilité pour leur enfant de voyager en dehors du territoire national et la délivrance d’un nouveau passeport à celui-ci.

17      Dans l’impossibilité de notifier la requête introductive d’instance à M. Iliev, ce dernier étant introuvable à son adresse déclarée, ladite juridiction a désigné un mandataire ad litem pour le représenter, sur le fondement de l’article 47, paragraphe 6, du code de procédure civile. Ce mandataire n’a pas contesté la compétence des juridictions bulgares et a déclaré que le litige devait être résolu en fonction de l’intérêt de l’enfant.

18      Par ordonnance du 10 novembre 2014, le Rayonen sad – Petrich (tribunal d’arrondissement de Petrich) a jugé que la demande de Mme Gogova relevait de l’article 127a du code de la famille et concernait la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, au sens de l’article 8 du règlement n° 2201/2003. Constatant que l’enfant concerné résidait habituellement en Italie, cette juridiction s’est déclarée incompétente pour connaître de cette demande et a clos la procédure.

19      Mme Gogova a interjeté appel de cette ordonnance auprès de l’Okrazhen sad – Blagoevgrad (tribunal régional de Blagoevgrad, Bulgarie). Cette juridiction a, d’une part, confirmé ladite ordonnance et, d’autre part, considéré qu’il n’y avait pas de «prorogation de compétence» des juridictions bulgares, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003. En effet, selon ladite juridiction, bien que M. Iliev n’ait pas soulevé l’incompétence de ces juridictions, il n’a participé à la procédure que par l’intermédiaire du mandataire désigné d’office en son absence.

20      La requérante au principal s’est alors pourvue devant le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation). Cette juridiction considère que l’issue de ce pourvoi dépend, en premier lieu, du point de savoir si la procédure judiciaire prévue à l’article 127a, paragraphe 2, du code de la famille et permettant de pallier, par décision de justice, l’absence de consentement de l’un des parents concernant le voyage en dehors du territoire national de leur enfant et la délivrance d’un passeport à son nom relève du règlement n° 2201/2003, de sorte que la compétence des juridictions devrait être déterminée sur la base des dispositions de ce règlement. En particulier, se poserait la question de savoir si une telle procédure concerne la «responsabilité parentale», au sens de l’article 2, point 7, dudit règlement. Selon ladite juridiction, dans ce cadre, il est également nécessaire de déterminer si ce même règlement s’applique à cette procédure étant donné que, conformément au droit bulgare, la décision judiciaire rendue dans le cadre de ladite procédure doit être présentée aux autorités administratives bulgares afin que l’enfant concerné soit autorisé à voyager en dehors du territoire national ou qu’un passeport lui soit délivré.

21      En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si, en l’occurrence, la compétence des juridictions bulgares peut être fondée sur l’article 12, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003, au regard du fait que le mandataire désigné par ces juridictions pour représenter M. Iliev n’a pas contesté leur compétence pour connaître du litige au principal.

22      Dans ces conditions, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La possibilité, prévue par la loi, que la juridiction civile résolve le litige en cas de désaccord entre les parents concernant le voyage à l’étranger de l’enfant et la délivrance de documents d’identité constitue-t-elle une affaire relative à ‘l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale’, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003, lu en combinaison avec l’article 2, point 7, de ce règlement, à laquelle peut s’appliquer l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement, si la loi matérielle applicable prévoit un exercice conjoint de ces droits parentaux à l’égard de l’enfant?

2)      Les motifs fondant la compétence internationale s’appliquent-ils à une affaire civile relative à la responsabilité parentale lorsque la décision remplace un fait juridique important pour la procédure administrative concernant l’enfant et que la loi applicable prévoit qu’elle doit se dérouler dans un État membre déterminé?

3)      Faut-il considérer qu’il y a prorogation de compétence au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003 et dans les conditions prévues par cette disposition lorsque le représentant du défendeur n’a pas contesté la compétence de la juridiction, mais qu’il n’est pas mandaté et a été désigné par la juridiction en raison de difficultés de notification au défendeur et de participation de celui-ci à la procédure, en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant mandaté par lui?»

 La procédure devant la Cour

23      À la demande de la juridiction de renvoi, la chambre désignée a examiné la nécessité de soumettre la présente affaire à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour. Ladite chambre a décidé, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande.

24      Par son ordonnance Gogova (C‑215/15, EU:C:2015:466), le président de la Cour a décidé de soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

25      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’action par laquelle l’un des parents demande au juge de pallier le défaut de consentement de l’autre parent au voyage de leur enfant en dehors de l’État membre de résidence de celui-ci et à la délivrance d’un passeport au nom de cet enfant relève du champ d’application matériel du règlement n° 2201/2003, et ce alors même que la décision prononcée à l’issue de cette action devra être prise en compte par les autorités de l’État membre dont ledit enfant est ressortissant dans le cadre de la procédure administrative concernant la délivrance de ce passeport.

26      S’agissant du champ d’application matériel du règlement n° 2201/2003, il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de ce règlement que celui-ci s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives, notamment, à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale. Dans ce cadre, la notion de «matières civiles» doit être conçue non pas de manière restrictive, mais comme une notion autonome de droit de l’Union couvrant, en particulier, toutes les demandes, mesures ou décisions en matière de «responsabilité parentale», au sens dudit règlement, conformément à l’objectif rappelé au considérant 5 de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt C, C‑435/06, EU:C:2007:714, points 46 à 51).

27      À cet égard, la notion de «responsabilité parentale» fait l’objet, à l’article 2, point 7, du règlement n° 2201/2003, d’une définition large, en ce sens qu’elle comprend l’ensemble des droits et des obligations conférés à une personne physique ou à une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant (arrêts C, C‑435/06, EU:C:2007:714, point 49, et C., C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, point 59). Par ailleurs, si l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement contient une énumération des matières couvertes par ledit règlement au titre de la «responsabilité parentale», cette énumération est non pas exhaustive, mais simplement indicative, ainsi que le démontre l’utilisation du terme «notamment» (arrêts C, C‑435/06, EU:C:2007:714, point 30, et C., C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, point 63).

28      Afin de déterminer si une demande entre dans le champ d’application du règlement n° 2201/2003, il y a lieu de s’attacher à l’objet de celle-ci [voir par analogie, s’agissant de la notion d’«état et capacité des personnes physiques», au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), arrêt Schneider, C‑386/12, EU:C:2013:633, points 29 et 30, ainsi que, concernant la notion de «sécurité sociale», au sens de cette disposition, arrêt Baten, C‑271/00, EU:C:2002:656, points 46 et 47].

29      En ce qui concerne une action telle que celle au principal, il ressort de la décision de renvoi que, dans le cadre de cette action, le juge est amené à se prononcer sur la nécessité pour l’enfant concerné d’obtenir un passeport et sur le droit du parent requérant de déposer la demande afférente à ce passeport, ainsi que de voyager à l’étranger avec cet enfant, sans le consentement de l’autre parent. Partant, une telle action a pour objet l’exercice de la «responsabilité parentale» sur ledit enfant, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003, lu conjointement avec l’article 2, point 7, de ce règlement.

30      En outre, il convient de constater qu’une action telle que celle en cause au principal ne relève d’aucune des exceptions limitativement énumérées à l’article 1er, paragraphe 3, de ce même règlement.

31      Il s’ensuit qu’une telle action relève du champ d’application du règlement n° 2201/2003.

32      Cette conclusion n’est pas remise en cause par le simple fait qu’une demande telle que celle au principal porte sur une décision particulière concernant un enfant et non sur l’ensemble des modalités d’exercice de la responsabilité parentale. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 26 et 27 du présent arrêt, ce même règlement s’applique à toutes les décisions en la matière, qu’elles portent sur un aspect particulier de cette même responsabilité ou qu’elles en déterminent l’exercice de manière générale.

33      De même, le fait que la décision prononcée à l’issue de ladite demande doive être prise en compte par les autorités de l’État membre dont l’enfant concerné a la nationalité, en l’occurrence la République de Bulgarie, dans le cadre de la procédure administrative de délivrance d’un passeport au nom de cet enfant, ne saurait conduire à une autre interprétation du règlement n° 2201/2003.

34      À cet égard, il suffit de constater que, en tout état de cause, une procédure telle que celle en cause au principal n’implique pas directement la délivrance d’un passeport, mais a pour seul effet de permettre à l’une des personnes exerçant la responsabilité parentale sur l’enfant concerné de déposer une demande de passeport au nom de cet enfant sans la participation, la présence ou l’accord de l’autre personne exerçant cette responsabilité, et ce sans préjudice des autres conditions prévues dans le droit bulgare pour la délivrance d’un tel document.

35      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’action par laquelle l’un des parents demande au juge de pallier le défaut de consentement de l’autre parent au voyage de leur enfant en dehors de l’État membre de résidence de celui-ci et à la délivrance d’un passeport au nom de cet enfant relève du champ d’application matériel du règlement n° 2201/2003, et ce alors même que la décision prononcée à l’issue de cette action devra être prise en compte par les autorités de l’État membre dont ledit enfant est ressortissant dans le cadre de la procédure administrative concernant la délivrance de ce passeport.

 Sur la troisième question

36      La troisième question porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003. Cette disposition prévoit que, sous certaines conditions, les juridictions de l’État membre saisies d’une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande.

37      Or, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni des observations soumises à la Cour que la juridiction de renvoi est saisie, en l’occurrence, d’une telle demande de nature matrimoniale.

38      En revanche, l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 met en place une règle de prorogation de compétence permettant aux juridictions d’un État membre autre que celui de la résidence habituelle de l’enfant de connaître des demandes en matière de responsabilité parentale concernant cet enfant, et ce alors même qu’aucune procédure matrimoniale n’est pendante devant ces juridictions (voir, en ce sens, arrêt L, C‑656/13, EU:C:2014:2364, points 45 et 52).

39      Par conséquent, il y a lieu de comprendre la troisième question comme visant à déterminer, en substance, si l’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions saisies pour connaître d’une demande en matière de responsabilité parentale peut être considérée comme ayant été «acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure», au sens de cette disposition, au seul motif que le mandataire ad litem représentant le défendeur, désigné d’office par ces juridictions au regard de l’impossibilité de notifier à ce dernier la requête introductive d’instance, n’a pas soulevé l’incompétence desdites juridictions.

40      Selon les termes de l’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003, lu à la lumière de l’article 16 de celui-ci, les juridictions d’un État membre peuvent fonder leur compétence sur cette première disposition à condition que soit établie l’existence d’un accord exprès ou à tout le moins non équivoque sur cette compétence entre toutes les parties à la procédure, au plus tard à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction choisie (voir, en ce sens, arrêt L, C‑656/13, EU:C:2014:2364, point 56).

41      Par ailleurs, il ressort du considérant 12 du règlement n° 2201/2003 que le chef de compétence prévu à l’article 12, paragraphe 3, de celui-ci fait exception au critère de proximité, selon lequel il appartient en premier lieu aux juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant de connaître des actions en matière de responsabilité parentale concernant cet enfant, et dont l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement constitue l’expression. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 64 de sa prise de position, cette exception vise à reconnaître une certaine autonomie aux parties en matière de responsabilité parentale. La condition relative au caractère non équivoque de l’acceptation de la compétence des juridictions saisies par l’ensemble des parties à la procédure doit donc être interprétée strictement.

42      À cet égard, il convient de relever que, d’une part, une telle acceptation suppose a minima que le défendeur ait connaissance de la procédure se déroulant devant ces juridictions. En effet, si cette connaissance ne vaut pas, à elle seule, acceptation de la compétence des juridictions saisies, le défendeur absent auquel la requête introductive d’instance n’a pas été notifiée et qui ignore la procédure entamée ne peut pas, en tout état de cause, être considéré comme acceptant cette compétence (voir, par analogie, s’agissant de l’article 24 du règlement n° 44/2001, arrêt A, C‑112/13, EU:C:2014:2195, point 54).

43      D’autre part, la volonté du défendeur au principal ne saurait être déduite du comportement d’un mandataire ad litem désigné par lesdites juridictions en l’absence de ce défendeur. Ce mandataire n’ayant pas de contacts avec le défendeur, il ne peut obtenir de ce dernier les informations nécessaires pour accepter ou contester la compétence de ces mêmes juridictions en connaissance de cause (voir, en ce sens, arrêt A, C‑112/13, EU:C:2014:2195, point 55).

44      Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la compétence des juridictions saisies ne peut être considérée comme «acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure», au sens de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003.

45      Cette interprétation ne saurait être remise en cause par le droit d’accès à la justice ou par les principes de sécurité juridique et d’effet utile du règlement n° 2201/2003, contrairement à ce que soutient le gouvernement espagnol devant la Cour. À cet égard, ce gouvernement fait valoir, en substance, que l’impossibilité pour la requérante au principal d’obtenir une décision définitive sur sa demande du fait des difficultés de notification de la procédure au défendeur au principal entraînerait un déni de justice contraire au droit et aux principes susnommés.

46      Or, l’interprétation retenue au point 44 du présent arrêt ne prive pas un requérant, dans une situation telle que celle au principal, de la possibilité d’obtenir une décision de justice rendue, le cas échéant, par défaut devant les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant concerné, compétentes en vertu de l’article 8 du règlement n° 2201/2003. Cette interprétation n’aboutit donc pas à un déni de justice.

47      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions saisies pour connaître d’une demande en matière de responsabilité parentale ne saurait être considérée comme ayant été «acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure», au sens de cette disposition, au seul motif que le mandataire ad litem représentant le défendeur, désigné d’office par ces juridictions au regard de l’impossibilité de notifier à ce dernier la requête introductive d’instance, n’a pas soulevé l’incompétence desdites juridictions.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      L’action par laquelle l’un des parents demande au juge de pallier le défaut de consentement de l’autre parent au voyage de leur enfant en dehors de l’État membre de résidence de celui-ci et à la délivrance d’un passeport au nom de cet enfant relève du champ d’application matériel du règlement n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, et ce alors même que la décision prononcée à l’issue de cette action devra être prise en compte par les autorités de l’État membre dont ledit enfant est ressortissant dans le cadre de la procédure administrative concernant la délivrance de ce passeport.

2)      L’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions saisies pour connaître d’une demande en matière de responsabilité parentale ne saurait être considérée comme ayant été «acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure», au sens de cette disposition, au seul motif que le mandataire ad litem représentant le défendeur, désigné d’office par ces juridictions au regard de l’impossibilité de notifier à ce dernier la requête introductive d’instance, n’a pas soulevé l’incompétence desdites juridictions.

Signatures


* Langue de procédure: le bulgare.

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