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CJUE, 9 février 2006, aff. C-473/04, Plumex c/ Young Sports NV.

 

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 9 février 2006

Affaire C-473/04

Plumex

contre

Young Sports NV

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hof van Cassatie)

«Coopération judiciaire — Règlement (CE) nº 1348/2000 — Articles 4 à 11 et 14 — Significations et notifications des actes judiciaires — Signification par l'entremise d'entités — Signification par la poste — Rapports entre les modes de transmission et de signification — Priorité — Délai d'appel»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 17 novembre 2005 

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 9 février 2006 

 

Sommaire de l'arrêt

Coopération judiciaire en matière civile — Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires — Règlement nº 1348/2000

(Règlement du Conseil nº 1348/2000, art. 4 à 11 et 14)

Le règlement nº 1348/2000 du Conseil, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'il n'établit aucune hiérarchie entre le moyen de transmission et de signification par l'entremise d'entités prévu à ses articles 4 à 11 et le moyen de signification par la poste prévu à son article 14 et que, par conséquent, il est possible de signifier un acte judiciaire par l'un ou l'autre de ces deux moyens ou de manière cumulative. D'une part, en effet, ni les considérants ni les dispositions du règlement n'énoncent qu'un moyen de transmission et de signification, utilisé en conformité avec ses modalités, se verrait attribuer un rang inférieur par rapport au mode de signification par l'entremise d'entités. D'autre part, compte tenu de l'esprit et de la finalité du règlement, qui vise à garantir l'accomplissement effectif de significations et de notifications des actes judiciaires, tout en respectant les intérêts légitimes de leurs destinataires, et vu que tous les moyens de signification prévus par le règlement peuvent assurer, en principe, le respect de ces intérêts, il doit être envisageable de recourir à l'un ou à l'autre, voir simultanément à deux ou plusieurs de ces moyens de signification qui, au vu des circonstances de l'espèce, s'avèrent être les plus opportuns ou les plus appropriés.

Par conséquent, en cas de cumul de la signification par l'entremise d'entités et de la signification par la poste, il convient de se référer, pour déterminer à l'égard du destinataire le point de départ d'un délai de procédure lié à l'accomplissement d'une signification, à la date de la première signification valablement effectuée. En effet, afin de ne pas vider de leur substance les dispositions du règlement régissant ces modes de signification, tous les effets juridiques attachés à l'accomplissement valable de l'un d'eux doivent être pris en compte indépendamment de l'aboutissement postérieur d'une autre forme de signification. En outre, le règlement vise à accélérer la transmission des actes judiciaires aux fins de signification ou de notification et, partant, le déroulement des procédures judiciaires. Or, si, aux fins de la computation d'un délai de procédure, la première des significations de l'acte en question est prise en considération, le destinataire de ce dernier est tenu d'agir en justice plus tôt, ce qui peut permettre à la juridiction compétente de statuer dans des délais plus courts.

(cf. points 20-21, 28-32 et disp.)

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

9 février 2006

 

«Coopération judiciaire – Règlement (CE) n° 1348/2000 – Articles 4 à 11 et 14 – Significations et notifications des actes judiciaires – Signification par l’entremise d’entités – Signification par la poste – Rapports entre les modes de transmission et de signification – Priorité – Délai d’appel»

 

Dans l’affaire C-473/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre des articles 68 CE et 234 CE, introduite par le Hof van Cassatie (Belgique), par décision du 22 octobre 2004, parvenue à la Cour le 9 novembre 2004, dans la procédure

Plumex

contre

Young Sports NV,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), A. La Pergola, S. von Bahr et A. Borg Barthet, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–       pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme E. O’Neill, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A.‑M. Rouchaud-Joët et M. R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 novembre 2005,

rend le présent

 

Arrêt

 

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4 à 11 et 14 du règlement (CE) nº 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale (JO L 160, p. 37, ci-après le «règlement»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours formé par la société Plumex contre le rejet pour tardiveté par le hof van beroep te Gent d’un appel d’un jugement d’une juridiction de première instance statuant sur un litige entre celle-ci et la société Young Sports NV.

 

 Le cadre juridique

 

 La réglementation communautaire

3       Aux termes du deuxième considérant du règlement, le bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer et d’accélérer la transmission entre les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale aux fins de signification ou de notification.

4       Le règlement a ainsi pour but d’améliorer l’efficacité et la rapidité des procédures judiciaires en établissant le principe d’une transmission directe des actes judiciaires et extrajudiciaires.

5       Il est applicable, selon son article 1er, paragraphe 1, en matière civile ou commerciale lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié.

6       Le chapitre II du règlement contient des dispositions qui prévoient divers moyens de transmission et de signification ou de notification des actes judiciaires. Il se divise en deux sections.

7       La section 1 de ce chapitre, comportant les articles 4 à 11, porte sur le premier mode de transmission et de signification (ci-après la «signification par l’entremise d’entités»), dans le cadre duquel un acte judiciaire à signifier est transmis dans un premier temps directement et dans les meilleurs délais entre les entités désignées par les États membres, dénommées «entités d’origine» et «entités requises». Ensuite, l’entité requise procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de cet acte soit conformément à la législation de l’État membre requis, soit selon la forme particulière demandée par l’entité d’origine, sauf si cette méthode est incompatible avec la législation de cet État membre.

8       Selon l’article 7 du règlement toutes les formalités nécessaires à la signification ou à la notification sont effectuées dans les meilleurs délais.

9       La section 2 du chapitre II du règlement prévoit d’«[a]utres moyens de transmission et de signification ou de notification des actes judiciaires», à savoir la transmission par voie consulaire ou diplomatique (article 12), la signification ou notification des actes par les agents diplomatiques ou consulaires (article 13), la signification ou notification par la poste (article 14) et la demande directe de signification ou de notification (article 15).

10     Plus précisément, s’agissant de la signification ou notification par la poste, l’article 14 du règlement dispose:

«1.      Chaque État membre a la faculté de procéder directement par la poste à la signification ou à la notification des actes judiciaires aux personnes résidant dans un autre État membre.

2.      Tout État membre peut préciser, conformément à l’article 23, paragraphe 1, sous quelles conditions il acceptera la signification ou la notification des actes judiciaires par la poste.»

11     Il résulte des communications des États membres conformément à l’article 23 du règlement (JO 2001, C 151, p. 4), telles que modifiées notamment par leur première mise à jour (JO 2001, C 202, p. 10), que la République portugaise a accepté les significations et les notifications par la poste, pour autant qu’elles soient effectuées par lettre recommandée avec accusé de réception et soient accompagnées d’une traduction.

 La réglementation nationale

12     Il découle de l’article 1051 du code judiciaire belge que le délai pour interjeter appel est d’un mois à partir de la signification du jugement.

13     Aux termes de cette même disposition, lue en combinaison avec l’article 55 dudit code, lorsqu’une des parties à qui le jugement est signifié n’a en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu, le délai d’appel est augmenté de 30 jours, lorsqu’elle réside dans un autre pays d’Europe différent des pays limitrophes et du Royaume-Uni.

14     L’article 40, premier alinéa, du même code prévoit que, à ceux qui n’ont en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu connus, la copie de l’acte est adressée par l’huissier de justice sous pli recommandé à la poste, à leur domicile ou à leur résidence à l’étranger et la signification est réputée accomplie par la remise de l’acte aux services de la poste contre le récépissé de l’envoi dans les formes prévues au présent article.

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

15     Plumex, société de droit portugais ayant son siège social au Portugal, s’est vu signifier à son adresse dans cet État membre un jugement d’une juridiction de première instance belge, rendu dans une affaire opposant cette société à Young Sports NV. Cette signification a été effectuée à la fois par l’entremise d’entités et par la poste.

16     Le 17 décembre 2001, Plumex a interjeté appel de ce jugement devant le hof van beroep. Ce dernier a rejeté cet appel pour tardiveté estimant que le délai d’appel prévu à l’article 1051 du code judiciaire belge avait expiré le 11 décembre 2001, car le délai aurait commencé à courir le jour de la première signification valablement effectuée, en l’occurrence celle par la poste.

17     Plumex a formé un pourvoi contre la décision de rejet devant le Hof van Cassatie, faisant valoir que le règlement devait être interprété en ce sens que la signification par l’entremise d’entités constituait le mode principal de signification prévalant sur celle par la poste. Ainsi, le délai d’appel devrait être calculé à partir de la date de cette signification principale – intervenue postérieurement à la signification par la poste – puisque cette dernière n’aurait qu’un caractère secondaire.

18     Dans ces conditions, le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La signification visée aux articles 4 à 11 inclus est-elle le moyen principal de signification et la signification faite directement par la poste, visée à l’article 14, un moyen subsidiaire de signification étant entendu que le premier moyen prime le deuxième moyen lorsque les deux sont accomplis selon les dispositions légales?

2)      En cas de cumul de significations, faites, d’une part, conformément aux articles 4 à 11 inclus et, d’autre part, directement par la poste conformément à l’article 14, le délai d’appel prend-il cours envers le destinataire de la signification à la date de la signification faite conformément aux articles 4 à 11 inclus et non pas à la date de la signification faite conformément à l’article 14?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question

19     Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il existe un rapport hiérarchique entre le mode de signification par l’entremise d’entités et le moyen de signification par la poste, de sorte que le premier prime le second lorsque les deux sont valablement accomplis.

20     Il convient de relever d’emblée que rien dans le libellé du règlement n’indique que ce dernier aurait mis en place une hiérarchie entre ces modes de significations. Ni ses considérants, ni ses dispositions n’énoncent qu’un moyen de transmission et de signification, utilisé en conformité avec les modalités du règlement, se verrait attribuer un rang inférieur par rapport au mode de signification par l’entremise d’entités.

21     De plus, il résulte de l’esprit et de la finalité du règlement que celui-ci vise à garantir l’accomplissement effectif de significations et de notifications des actes judiciaires, tout en respectant les intérêts légitimes de leurs destinataires. Or, si tous les moyens de significations prévus par le règlement peuvent assurer, en principe, le respect de ces intérêts, il doit être envisageable, compte tenu de ladite finalité, de recourir à l’un ou à l’autre, voir simultanément à deux ou plusieurs de ces moyens de signification qui s’avèrent, au vu des circonstances de l’espèce, être les plus opportuns ou les plus appropriés.

22     Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que le règlement n’établit aucune hiérarchie entre la signification par l’entremise d’entités et la signification par la poste et que, par conséquent, il est possible de signifier un acte judiciaire par l’un ou l’autre de ces deux moyens ou de manière cumulative.

 Sur la seconde question

23     Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la date de quelle signification convient-il de se référer pour déterminer à l’égard du destinataire le point de départ d’un délai de procédure lié à l’accomplissement d’une signification en cas de cumul de la signification par l’entremise d’entités et de la signification par la poste.

24     Dans les observations qu’ils ont soumises à la Cour, le gouvernement autrichien et la Commission des Communautés européennes expriment des doutes sur la compétence de la Cour à répondre à cette question dans la mesure où celle-ci ne porterait que sur l’interprétation du droit national. En effet, lorsqu’un État membre permet de signifier une décision de justice de différentes manières, le délai d’appel commencerait en droit belge, en principe, à partir de la première signification valide. Ce moment se déterminerait selon le droit de l’État membre requis et en tout cas selon le droit interne.

25     À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38, et du 22 mai 2003, Korhonen e.a., C‑18/01, Rec. p. I-5321, point 19).

26     Or, la seconde question a trait aux rapports entre les divers modes de significations prévus par le règlement et elle porte donc sur l’interprétation du droit communautaire.

27     La Cour est, dès lors, tenue de statuer.

28     Sur le fond, il résulte d’abord de la réponse à la première question qu’il n’existe pas de hiérarchie entre la signification par l’entremise d’entités et celle par la poste.

29     Ensuite, il y a lieu de relever que, afin de ne pas vider de leur substance les dispositions du règlement régissant ces modes de signification, tous les effets juridiques attachés à l’accomplissement valable de l’un d’eux doivent être pris en compte indépendamment de l’aboutissement postérieur d’une autre forme de signification.

30     Enfin, il convient de relever que, conformément à son deuxième considérant, le règlement vise à accélérer la transmission des actes judiciaires aux fins de signification ou de notification et, partant, le déroulement des procédures judiciaires. Or, si, aux fins de la computation d’un délai de procédure, la première des significations de l’acte en question est prise en considération, le destinataire de ce dernier – auquel s’applique un tel délai – est tenu d’agir en justice plus tôt, ce qui peut permettre à la juridiction compétente de statuer dans des délais plus courts.

31     Il découle de l’ensemble de ces considérations que, en cas de cumul de plusieurs significations effectuées en conformité avec le règlement, il y a lieu de tenir compte de celle qui a été faite la première. Rien dans le règlement ne s’oppose à ce qu’une telle approche soit appliquée aux rapports entre la signification par l’entremise d’entités et la signification par la poste. Ainsi, en cas de cumul de ces deux moyens de signification, il convient de se référer, pour déterminer à l’égard du destinataire le point de départ d’un délai de procédure lié à l’accomplissement d’une signification, à la date de la signification par la poste dès lors qu’elle est intervenue en premier lieu.

32     Cette conclusion ne porte nullement atteinte aux intérêts du destinataire d’un acte judiciaire dans la mesure où la première signification valable lui permet de prendre effectivement connaissance de cet acte et de disposer d’un laps de temps suffisant pour agir en justice. Or, la circonstance qu’il se voit signifier postérieurement le même acte judiciaire par un autre moyen ne change rien au fait que ces exigences ont été déjà respectées par la signification initiale.

33     Il y a lieu, dès lors, de répondre à la seconde question que, en cas de cumul d’une signification par l’entremise d’entités et d’une signification par la poste, il convient, pour déterminer à l’égard du destinataire le point de départ d’un délai de procédure lié à l’accomplissement d’une signification, de se référer à la date de la première signification valablement effectuée.

 

 Sur les dépens

 

34     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      Le règlement (CE) nº 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il n’établit aucune hiérarchie entre le moyen de transmission et de signification prévu à ses articles 4 à 11 et celui prévu à son article 14 et que, par conséquent, il est possible de signifier un acte judiciaire par l’un ou l’autre de ces deux moyens ou de manière cumulative.

2)      Le règlement nº 1348/2000 doit être interprété en ce sens que, en cas de cumul du moyen de transmission et de signification prévu à ses articles 4 à 11 et celui prévu à son article 14, il convient, pour déterminer à l’égard du destinataire le point de départ d’un délai de procédure lié à l’accomplissement d’une signification, de se référer à la date de la première signification valablement effectuée.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.

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