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CJUE, 18 octobre 2011, aff. C-406/09, Realchemie Nederland BV c/ Bayer CropScience AG

 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 18 octobre 2011

Affaire C-406/09

Realchemie Nederland BV

contre

Bayer CropScience AG

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Hoge Raad der Nederlanden)

«Règlement (CE) nº 44/2001 — Compétence judiciaire et exécution des décisions — Notion de ‘matière civile et commerciale’ — Reconnaissance et exécution d’une décision infligeant une amende — Directive 2004/48/CE — Droits de propriété intellectuelle — Atteinte à ces droits — Mesures, procédures et réparations — Condamnation — Procédure d’exequatur — Dépens judiciaires y afférents»

 

Sommaire de l'arrêt

1.        Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001 — Champ d'application — Matière civile et commerciale — Notion

(Règlement du Conseil nº 44/2001, art. 1er)

2.        Rapprochement des législations — Respect des droits de propriété intellectuelle — Directive 2004/48 — Frais de justice

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/48, art. 14)

1.        La notion de matière civile et commerciale, figurant à l’article 1er du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprétée en ce sens que ce règlement s’applique à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision d’une juridiction qui comporte une condamnation au versement d’une amende, en vue de faire respecter une décision judiciaire rendue en matière civile et commerciale.

Même si ladite amende doit être versée à un État membre, est recouvrée d’office, et si le recouvrement effectif est réalisé par les autorités publiques, ces aspects ne sauraient toutefois être considérés comme déterminants en ce qui concerne la nature du droit à exécution. En effet, la nature de ce droit dépend de celle du droit subjectif au titre de la violation duquel l’exécution est ordonnée. Or, le droit à l’exploitation exclusive d'une invention protégée par un brevet relève sans ambiguïté des matières civile et commerciale au sens dudit article 1er du règlement nº 44/2001.

(cf. points 42, 44, disp. 1)

2.        Les dépens liés à une procédure d’exequatur engagée dans un État membre, au cours de laquelle sont demandées la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre dans le cadre d’un litige visant à faire respecter un droit de propriété intellectuelle, relèvent de l’article 14 de la directive 2004/48, relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Cette interprétation est conforme tant à l’objectif général de la directive 2004/48, tenant au rapprochement des législations des États membres afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle, qu’à l’objectif spécifique dudit article 14, tenant à éviter qu’une partie lésée ne soit dissuadée d’engager une procédure judiciaire aux fins de sauvegarder ses droits de propriété intellectuelle. Conformément auxdits objectifs, l’auteur de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle doit généralement supporter intégralement les conséquences financières de sa conduite.

(cf. points 49-50, disp. 2)

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

18 octobre 2011

 

«Règlement (CE) n° 44/2001 – Compétence judiciaire et exécution des décisions – Notion de ‘matière civile et commerciale’ – Reconnaissance et exécution d’une décision infligeant une amende – Directive 2004/48/CE – Droits de propriété intellectuelle – Atteinte à ces droits – Mesures, procédures et réparations – Condamnation – Procédure d’exequatur – Dépens judiciaires y afférents»

Dans l’affaire C‑406/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 16 octobre 2009, parvenue à la Cour le 21 octobre 2009, dans la procédure

Realchemie Nederland BV

contre

Bayer CropScience AG,

 

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, Mme A. Prechal, présidents de chambre, M. A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, E. Juhász, D. Šváby, Mme M. Berger (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 janvier 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Realchemie Nederland BV, par Me J. A. M. Janssen, advocaat, et Me T. Diekmann, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme S. Unzeitig, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme A.-M. Rouchaud-Joët et M. R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 avril 2011,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), et de l’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Realchemie Nederland BV (ci-après «Realchemie») à Bayer CropScience AG (ci-après «Bayer») au sujet de l’exécution aux Pays-Bas de six décisions rendues par le Landgericht Düsseldorf (Allemagne), par lesquelles cette juridiction, saisie par une requête déposée par Bayer et fondée sur une allégation de contrefaçon de brevet, a interdit à Realchemie d’importer, de détenir et de commercialiser certains pesticides en Allemagne.

 

 Le cadre juridique

 

 Le droit de l’Union

 Le règlement n° 44/2001

3        Les sixième et septième considérants du règlement n° 44/2001 énoncent:

«(6)      Pour atteindre l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, il est nécessaire et approprié que les règles relatives à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions soient déterminées par un instrument juridique communautaire contraignant et directement applicable.

(7)      Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies.»

4        Les seizième et dix-septième considérants du règlement n° 44/2001 prévoient:

«(16) La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune autre procédure.

(17)      Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. À cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le présent règlement.»

5        Le dix-neuvième considérant du règlement n° 44/2001 énonce:

«Pour assurer la continuité nécessaire entre la [convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la ‘convention de Bruxelles’)] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la convention de Bruxelles par la Cour de justice des Communautés européennes et le protocole de 1971 [relatif à ce travail d’interprétation de la Cour, dans sa version révisée et modifiée (JO 1998, C 27, p. 28)] doit continuer à s’appliquer également aux procédures déjà pendantes à la date d’entrée en vigueur du présent règlement.»

6        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, dudit règlement est libellé comme suit:

«1.      Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2.      Sont exclus de son application:

a)      l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions;

b)      les faillites, concordats et autres procédures analogues;

c)      la sécurité sociale;

d)      l’arbitrage.»

7        Selon l’article 32 de ce règlement, on «entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès».

8        L’article 34 du règlement n° 44/2001 dispose:

«Une décision n’est pas reconnue si:

[...]

2)      l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire;

[...]»

9        L’article 43 de ce règlement est ainsi libellé:

«1.      L’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.

2.      Le recours est porté devant la juridiction indiquée sur la liste figurant à l’annexe III.

3.      Le recours est examiné selon les règles de la procédure contradictoire.

4.      Si la partie contre laquelle l’exécution est demandée ne comparaît pas devant la juridiction saisie du recours formé par le requérant, les dispositions de l’article 26, paragraphes 2 à 4, sont d’application, même si la partie contre laquelle l’exécution est demandée n’est pas domiciliée sur le territoire de l’un des États membres.

5.      Le recours contre la déclaration constatant la force exécutoire doit être formé dans un délai d’un mois à compter de sa signification. Si la partie contre laquelle l’exécution est demandée est domiciliée sur le territoire d’un autre État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée, le délai est de deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile. Ce délai ne comporte pas de prorogation à raison de la distance.»

 La directive 2004/48

10      Le troisième considérant de la directive 2004/48 affirme notamment que «sans moyens efficaces de faire respecter les droits de propriété intellectuelle, l’innovation et la création sont découragées et les investissements réduits. Il est donc nécessaire de veiller à ce que le droit matériel de la propriété intellectuelle, qui relève aujourd’hui largement de l’acquis communautaire, soit effectivement appliqué dans la Communauté».

11      Les huitième à onzième considérants de la directive 2004/48 sont ainsi libellés:

«(8)      Les disparités existant entre les régimes des États membres en ce qui concerne les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle sont nuisibles au bon fonctionnement du marché intérieur et ne permettent pas de faire en sorte que les droits de propriété intellectuelle bénéficient d’un niveau de protection équivalent sur tout le territoire de la Communauté. Cette situation n’est pas de nature à favoriser la libre circulation au sein du marché intérieur ni à créer un environnement favorable à une saine concurrence.

(9)      Les disparités actuelles conduisent également à un affaiblissement du droit matériel de la propriété intellectuelle et à une fragmentation du marché intérieur dans ce domaine. […] Le rapprochement des législations des États membres en la matière est donc une condition essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur.

(10)      L’objectif de la présente directive est de rapprocher ces législations afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur.

(11)      La présente directive n’a pas pour objet d’établir des règles harmonisées en matière de coopération judiciaire, de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ni de traiter de la loi applicable. Des instruments communautaires régissent ces matières sur un plan général et sont, en principe, également applicables à la propriété intellectuelle.»

12      L’article 1er de la directive 2004/48 prévoit que celle-ci «concerne les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle».

13      L’article 2, intitulé «Champ d’application», du chapitre I de cette directive dispose à son paragraphe 1:

«Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’État membre concerné.»

14      L’article 3, intitulé «Obligation générale», du chapitre II, section 1, de ladite directive énonce:

«1.      Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2.      Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.»

15      L’article 14 de la directive 2004/48, intitulé «Frais de justice», dispose:

«Les États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas.»

 Les réglementations nationales

 La réglementation allemande

16      Les articles 890 et 891 du code de procédure civile allemand (Zivilprozessordnung, ci-après la «ZPO») sont libellés comme suit:

«Article 890

Exécution forcée d’obligations de ne pas faire et de tolérances

1.      Si le débiteur manque à son obligation de ne pas faire ou à son obligation de tolérer un acte, il sera, à la demande du créancier, condamné par la juridiction de première instance soit à une amende et, en cas d’impossibilité de recouvrement, à une contrainte par corps, soit à une contrainte par corps de six mois maximum. Chaque amende est plafonnée à 250 000 euros, la contrainte par corps à deux années au total.

2.      La condamnation doit être précédée d’un avertissement comminatoire fait, sur demande, par la juridiction de première instance s’il ne figure pas déjà dans le jugement qui a prononcé l’obligation.

3.      Le débiteur peut aussi, à la demande du créancier, être condamné à constituer une garantie pour tout dommage ultérieur qui résultera dans un délai fixé de tout autre manquement.

Article 891

Procédure, audition du débiteur, taxation des dépens

Les décisions au titre des articles 887 à 890 sont rendues par voie d’ordonnance. Le débiteur sera préalablement entendu. […]»

 La réglementation néerlandaise

17      Il ressort du dossier que le Royaume des Pays-Bas a transposé, dans son ordre juridique interne, l’article 14 de la directive 2004/48 au moyen de l’article 1019h du code de procédure civile néerlandais (Wetboek van burgerlijke rechtsvordering). Selon la juridiction de renvoi, cette disposition permet, dans les affaires couvertes par cette directive, une condamnation aux dépens plus lourde que les condamnations ordinaires.

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

18      Saisi par une requête déposée par Bayer et fondée sur une allégation de contrefaçon de brevet, le Landgericht Düsseldorf, statuant en référé, a, par ordonnance du 19 décembre 2005, interdit à Realchemie d’importer, de détenir et de commercialiser en Allemagne certains pesticides (ci-après l’«ordonnance de base»). Cette interdiction a été prononcée sous peine d’une amende. De plus, le Landgericht Düsseldorf a enjoint à Realchemie de communiquer les opérations commerciales portant sur ces pesticides et de mettre son stock sous séquestre judiciaire. Dans cette ordonnance de base, le Landgericht Düsseldorf a mis les dépens à la charge de Realchemie.

19      Dans le prolongement de la condamnation aux dépens figurant dans l’ordonnance de base, le Landgericht Düsseldorf a, par ordonnance de taxation du 29 août 2006, liquidé les dépens pour un montant de 7 829,60 euros.

20      Par ailleurs, le Landgericht Düsseldorf a, par ordonnance du 17 août 2006 rendue au titre de l’article 890 de la ZPO, infligé à Realchemie une amende («Ordnungsgeld») d’un montant de 20 000 euros à verser à la caisse du Landgericht Düsseldorf pour infraction à l’interdiction prononcée dans l’ordonnance de base (ci-après l’«ordonnance infligeant l’amende») et a condamné Realchemie aux dépens de cette procédure d’amende.

21      Dans le prolongement de la condamnation aux dépens figurant dans l’ordonnance infligeant l’amende, le Landgericht Düsseldorf a, par ordonnance de taxation du 19 septembre 2006, liquidé les dépens pour un montant de 898,60 euros.

22      De plus, par ordonnance du 6 octobre 2006, le Landgericht Düsseldorf a imposé à Realchemie une astreinte («Zwangsgeld», article 888 de la ZPO) de 15 000 euros (ci-après l’«ordonnance d’astreinte») pour l’inciter à communiquer les transactions commerciales portant sur les pesticides en question et a condamné également Realchemie aux dépens de cette procédure d’astreinte.

23      Dans le prolongement de la condamnation aux dépens figurant dans l’ordonnance d’astreinte, le Landgericht Düsseldorf a, par ordonnance de taxation du 11 novembre 2006, liquidé les dépens pour un montant de 852,40 euros majorés d’intérêts.

24      Ces six décisions rendues par le Landgericht Düsseldorf ont toutes été notifiées à Realchemie quelques jours après leur prononcé.

25      Par requête du 6 avril 2007, Bayer a saisi le juge des référés du Rechtbank ’s‑Hertogenbosch (Pays-Bas), afin de voir autoriser l’exécution aux Pays-Bas des six décisions adoptées par le Landgericht Düsseldorf.

26      Par ordonnance du 10 avril 2007, le juge des référés du Rechtbank ’s‑Hertogenbosch a fait droit à la demande de Bayer tendant à dire exécutoires aux Pays-Bas, au titre du règlement n° 44/2001, les six décisions du Landgericht Düsseldorf.

27      Le 14 juin 2007, Realchemie a saisi le Rechtbank ’s‑Hertogenbosch du recours visé à l’article 43 du règlement n° 44/2001 contre l’ordonnance du 10 avril 2007 demandant l’annulation de celle-ci et le rejet de l’autorisation sollicitée par Bayer.

28      Elle a invoqué le motif de refus prévu à l’article 34, initio et point 2, du règlement n° 44/2001 en indiquant, en substance, que l’ordonnance de base, l’ordonnance infligeant l’amende et l’ordonnance d’astreinte ne sont pas susceptibles d’être reconnues et exécutées dans un autre État membre, en ce qu’elles ont été rendues sans que Realchemie ait été convoquée et sans débats oraux, et que les trois ordonnances de taxation des dépens ne sont davantage susceptibles d’être reconnues et exécutées non plus en ce qu’elles font partie intégrante des trois ordonnances précédemment citées.

29      Par ordonnance du 26 février 2008, le Rechtbank ’s‑Hertogenbosch a rejeté ce recours comme étant non fondé et a confirmé l’ordonnance du 10 avril 2007. Il a estimé que les ordonnances rendues par le Landgericht Düsseldorf, même si elles ont été rendues sur requêtes unilatérales, sont des décisions visées à l’article 32 du règlement n° 44/2001 et peuvent donc être exécutées aux Pays-Bas.

30      S’agissant de l’argument de Realchemie, selon lequel Bayer serait irrecevable à demander l’exécution de l’ordonnance infligeant l’amende, le Rechtbank ’s‑Hertogenbosch a considéré que la circonstance que cette ordonnance impose à Realchemie de verser une amende d’un montant de 20 000 euros à la caisse du Landgericht Düsseldorf n’enlève rien au fait que Bayer a droit et intérêt à ce que Realchemie verse effectivement à la caisse de ce tribunal ladite amende, qui constitue une incitation à respecter l’ordonnance de base, et que Bayer peut donc poursuivre à cet effet l’exécution de cette ordonnance aux Pays-Bas.

31      Le Rechtbank ’s‑Hertogenbosch a condamné Realchemie aux dépens du recours.

32      Cette juridiction a liquidé ces dépens, non pas, ainsi que Bayer l’avait demandé, en appliquant l’article 1019h du code de procédure civile néerlandais, mais selon le régime ordinaire.

33      Realchemie s’est pourvue en cassation contre l’ordonnance du 26 février 2008 du Rechtbank ’s‑Hertogenbosch. Bayer a conclu au rejet du pourvoi et a introduit un pourvoi incident.

34      C’est dans ces conditions que le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La notion de ‘matière civile et commerciale’ figurant à l’article 1er [du règlement n° 44/2001] doit-elle être interprétée en ce sens que [ledit] règlement s’applique aussi à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision comportant une condamnation au versement d’une amende au titre de l’article 890 [de la ZPO]?

2)      L’article 14 de la directive [2004/48] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique aussi à une procédure d’exequatur relative à

a)      une décision rendue dans un autre État membre sur une atteinte à un droit de propriété intellectuelle;

b)      une décision rendue dans un autre État membre imposant une astreinte ou infligeant une amende pour infraction à une interdiction de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle;

c)      des décisions de taxation des dépens rendues dans un autre État membre dans le prolongement des décisions visées sous a) et b)?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question

35      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si une ordonnance comportant une condamnation au versement d’une amende au titre d’une disposition nationale telle que l’article 890 de la ZPO relève du champ d’application du règlement n° 44/2001 tel que défini à son article 1er.

36      Le Hoge Raad der Nederlanden indique que les doutes qu’il rencontre à cet égard résultent de plusieurs éléments. Tout d’abord, il s’agit, selon cette juridiction, d’une amende sanctionnant une infraction à une interdiction de justice, infligée par le juge à la demande d’une partie privée, qui revient toutefois non pas à Bayer, mais à l’État allemand. Ensuite, cette amende serait recouvrée non pas par la partie privée ou en son nom, mais d’office. Enfin, le recouvrement effectif serait également réalisé par les autorités de la juridiction allemande.

37      Au vu de ces éléments, le gouvernement néerlandais estime que la décision de la juridiction allemande condamnant Realchemie au paiement de l’amende ne relève pas, par sa nature même, du champ d’application du règlement n° 44/2001, celle-ci revêtant un caractère de droit public. Le gouvernement allemand et la Commission européenne, en revanche, considèrent que cette décision relève bien du champ d’application du règlement n° 44/2001, le litige au principal auquel elle se rattache relevant de la matière civile et commerciale telle que définie par ce règlement.

38      À titre liminaire, il importe de rappeler que, dans la mesure où le règlement n° 44/2001 remplace désormais, dans les relations entre les États membres à l’exception du Royaume de Danemark, la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne cette convention vaut également pour ledit règlement, lorsque les dispositions de celui-ci et celles de la convention de Bruxelles peuvent être qualifiées d’équivalentes (voir, notamment, arrêt du 10 septembre 2009, German Graphics Graphische Maschinen, C‑292/08, Rec. p. I‑8421, point 27 et la jurisprudence citée). En outre, il ressort du dix-neuvième considérant du règlement n° 44/2001 que la continuité dans l’interprétation entre la convention de Bruxelles et ledit règlement doit être assurée.

39      À cet égard, force est de constater que le champ d’application du règlement n° 44/2001 est, comme celui de la convention de Bruxelles, limité à la notion de «matière civile et commerciale». Ce champ d’application est déterminé essentiellement en raison des éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l’objet de celui-ci (voir notamment, en ce sens, arrêt du 28 avril 2009, Apostolides, C‑420/07, Rec. p. I‑3571, points 42, 45 et 46 ainsi que la jurisprudence citée).

40      Plus particulièrement, en ce qui concerne les mesures provisoires, la Cour considère que leur appartenance au champ d’application de la convention de Bruxelles est déterminée non par leur nature propre, mais par la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde (voir, notamment, arrêts du 27 mars 1979, de Cavel, 143/78, Rec. p. 1055, point 8, et du 17 novembre 1998, Van Uden, C‑391/95, Rec. p. I‑7091, point 33).

41      En l’occurrence, si, selon l’article 890 de la ZPO, l’amende en cause dans l’affaire au principal revêt un caractère punitif et la motivation de l’ordonnance l’infligeant parle explicitement du caractère pénal de cette amende, il n’en demeure pas moins que, dans cette affaire, il s’agit d’un litige opposant deux personnes privées dont l’objet est l’autorisation d’exécution aux Pays-Bas de six décisions rendues par le Landgericht Düsseldorf, par lesquelles ce dernier, saisi par une requête déposée par Bayer et fondée sur une allégation de contrefaçon de brevet, a interdit à Realchemie d’importer, de détenir et de commercialiser certains pesticides en Allemagne. L’action ainsi intentée a pour but de sauvegarder des droits privés et ne suppose pas une manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige. En d’autres termes, le rapport juridique existant entre Bayer et Realchemie doit être qualifié de «rapport juridique de droit privé» et relève donc de la notion de «matière civile et commerciale», au sens du règlement n° 44/2001.

42      Certes, il ressort de la décision de renvoi que l’amende infligée à Realchemie, au titre de l’article 890 de la ZPO, par l’ordonnance du Landgericht Düsseldorf doit être versée, en cas d’exécution, non pas à une partie privée, mais à l’État allemand, que l’amende est recouvrée non pas par la partie privée ou en son nom, mais d’office, et que le recouvrement effectif est réalisé par les autorités de la juridiction allemande. Ces aspects particuliers de la procédure d’exécution allemande ne sauraient toutefois être considérés comme déterminants en ce qui concerne la nature du droit à exécution. En effet, la nature de ce droit dépend de celle du droit subjectif au titre de la violation duquel l’exécution a été ordonnée, soit, en l’espèce, le droit de Bayer à l’exploitation exclusive de l’invention protégée par son brevet, lequel relève sans ambiguïté des matières civile et commerciale au sens de l’article 1er du règlement n° 44/2001.

43      Enfin, s’agissant de la question, soulevée par le gouvernement néerlandais, de savoir selon quelles règles de procédure la juridiction nationale devra exécuter les décisions en cause dans l’affaire au principal, il convient de relever que la juridiction de renvoi n’a pas posé de questions sur ce point. Il n’y a donc pas lieu de statuer à ce sujet.

44      Eu égard à ce qui précède, il y a donc lieu de répondre à la première question que la notion de «matière civile et commerciale», figurant à l’article 1er du règlement n° 44/2001, doit être interprétée en ce sens que ce règlement s’applique à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision d’une juridiction qui comporte une condamnation au versement d’une amende, en vue de faire respecter une décision judiciaire rendue en matière civile et commerciale.

 Sur la seconde question

45      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si les dépens liés à une procédure d’exequatur engagée aux Pays-Bas, au cours de laquelle sont demandées la reconnaissance et l’exécution de six décisions rendues en Allemagne dans le cadre d’un litige visant à faire respecter un droit de propriété intellectuelle, relèvent de l’article 14 de la directive 2004/48, lequel fait obligation aux États membres de veiller à ce que les frais de justice exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient en principe supportés par la partie qui succombe.

46      Il y a lieu de rappeler que, aux termes de son article 1er, la directive 2004/48 concerne toutes les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle. En outre, l’article 2, paragraphe 1, de cette directive dispose que ces mesures, procédures et réparations s’appliquent, conformément à l’article 3 de ladite directive, à toute atteinte au droit de propriété intellectuelle prévue, notamment, par la législation nationale de l’État membre concerné. Le champ d’application de la directive 2004/48 est donc, en principe, susceptible de couvrir une procédure d’exequatur.

47      Il convient également de relever que, selon les dixième et onzième considérants de la directive 2004/48, celle-ci a pour objectif de rapprocher les législations des États membres afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur et non d’établir des règles harmonisées en matière de coopération judiciaire, de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ni de traiter de la loi applicable. En outre, ainsi que la deuxième phrase de cet onzième considérant le souligne, des instruments communautaires régissant ces matières sur un plan général sont, en principe, également applicables à la propriété intellectuelle.

48      S’agissant de l’article 14 de la directive 2004/48, cette disposition vise à renforcer le niveau de protection de la propriété intellectuelle, en évitant qu’une partie lésée ne soit dissuadée d’engager une procédure judiciaire aux fins de sauvegarder ses droits.

49      Une interprétation de cette disposition, dans le sens qu’elle trouve également à s’appliquer à une procédure d’exequatur et aux décisions portant sur les frais qui y sont liés, est donc conforme tant à l’objectif général de la directive 2004/48, tenant au rapprochement des législations des États membres afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle, qu’à l’objectif spécifique de cette disposition, tenant à éviter qu’une partie lésée ne soit dissuadée d’engager une procédure judiciaire aux fins de sauvegarder ses droits de propriété intellectuelle. Conformément auxdits objectifs, l’auteur de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle doit généralement supporter intégralement les conséquences financières de sa conduite.

50      Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question que les dépens liés à une procédure d’exequatur engagée dans un État membre, au cours de laquelle sont demandées la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre dans le cadre d’un litige visant à faire respecter un droit de propriété intellectuelle, relèvent de l’article 14 de la directive 2004/48.

 

 Sur les dépens

 

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      La notion de «matière civile et commerciale», figurant à l’article 1er du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprétée en ce sens que ce règlement s’applique à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision d’une juridiction qui comporte une condamnation au versement d’une amende, en vue de faire respecter une décision judiciaire rendue en matière civile et commerciale.

2)      Les dépens liés à une procédure d’exequatur engagée dans un État membre, au cours de laquelle sont demandées la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre dans le cadre d’un litige visant à faire respecter un droit de propriété intellectuelle, relèvent de l’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Signatures


Langue de procédure: le néerlandais.

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