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CJUE, 12 juillet 2012, aff. C-616/10, Solvay SA c/ Honeywell Fluorine Products Europe BV et autres

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

12 juillet 2012

Solvay SA contre Honeywell Fluorine Products Europe BV et autres

 

«Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (CE) no 44/2001 – Action en contrefaçon d’un brevet européen – Compétences spéciales et exclusives – Article 6, point 1 – Pluralité de défendeurs – Article 22, point 4 – Mise en cause de la validité du brevet – Article 31 – Mesures provisoires ou conservatoires»

Dans l’affaire C-616/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rechtbank ’s-Gravenhage (Pays-Bas), par décision du 22 décembre 2010, parvenue à la Cour le 29 décembre 2010, dans la procédure

Solvay SA

contre

Honeywell Fluorine Products Europe BV,

Honeywell Belgium NV,

Honeywell Europe NV,

 

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. J. Malenovský (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász et D. Šváby, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 novembre 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Solvay SA, par Mes W. A. Hoyng et F. W. E. Eijsvogels, advocaten,

–        pour Honeywell Fluorine Products Europe BV, Honeywell Belgium NV et Honeywell Europe NV, par Mes R. Ebbink et R. Hermans, advocaten,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement grec, par Mme S. Chala, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme A.-M. Rouchaud-Joët et M. R. Troosters, en qualité d’agents.

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mars 2012,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6, point 1, 22, point 4, et 31 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Solvay SA, établie en Belgique (ci-après «Solvay»), à Honeywell Fluorine Products Europe BV, établie aux Pays-Bas, ainsi qu’à Honeywell Belgium NV et Honeywell Europe NV, toutes deux établies en Belgique, (ci-après, ensemble, les «sociétés Honeywell»), au sujet d’une contrefaçon alléguée à différentes parties d’un brevet européen.

 

 Le cadre juridique

 

 La convention de Munich

3        La convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 (ci-après la «convention de Munich»), institue, ainsi que l’énonce son article 1er, un «droit commun aux États contractants en matière de délivrance de brevets d’invention».

4        En dehors des règles communes de délivrance, un brevet européen demeure régi par la réglementation nationale de chacun des États contractants pour lequel il a été délivré. À cet égard, l’article 2, paragraphe 2, de la convention de Munich stipule:

«Dans chacun des États contractants pour lesquels il est délivré, le brevet européen a les mêmes effets et est soumis au même régime qu’un brevet national délivré dans cet État [...]»

5        S’agissant des droits conférés au titulaire d’un brevet européen, l’article 64, paragraphes 1 et 3, de ladite convention prévoit:

«(1)      […] le brevet européen confère à son titulaire, à compter du jour de la publication de la mention de sa délivrance et dans chacun des États contractants pour lesquels il a été délivré, les mêmes droits que lui conférerait un brevet national délivré dans cet État.

[…]

(3)      Toute contrefaçon du brevet européen est appréciée conformément aux dispositions de la législation nationale.»

 Le droit de l’Union

6        Les considérants 11, 12, 15 et 19 du règlement no 44/2001 énoncent:

«(11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. […]

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[…]

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. […]

[…]

(19)      Pour assurer la continuité nécessaire entre la [convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la ‘convention de Bruxelles’)] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la convention de Bruxelles par la Cour de justice des Communautés européennes et le protocole de 1971 [relatif à ce travail d’interprétation de la Cour, dans sa version révisée et modifiée (JO 1998, C 27, p. 28)] doit continuer à s’appliquer également aux procédures déjà pendantes à la date d’entrée en vigueur du présent règlement.»

7        Aux termes de l’article 2 de ce règlement:

«1.      Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

2.      Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux.»

8        L’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, qui fait partie de la section 2 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Compétences spéciales», prévoit:

«[Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre] peut aussi être attraite:

1)      s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

9        Selon l’article 22, point 4, de ce règlement:

«Sont seuls compétents, sans considération de domicile:

[…]

4)      en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument communautaire ou d’une convention internationale.

Sans préjudice de la compétence de l’Office européen des brevets selon la convention [de Munich], les juridictions de chaque État membre sont seules compétentes, sans considération de domicile, en matière d’inscription ou de validité d’un brevet européen délivré pour cet État».

10      L’article 25 dudit règlement est libellé comme suit:

«Le juge d’un État membre, saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridiction d’un autre État membre est exclusivement compétente en vertu de l’article 22, se déclare d’office incompétent.»

11      Aux termes de l’article 31 de ce même règlement:

«Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

12      Solvay, titulaire du brevet européen EP 0 858 440, a, le 6 mars 2009, introduit, devant le Rechtbank ’s-Gravenhage, une action en contrefaçon des parties nationales de ce brevet, tel qu’en vigueur au Danemark, en Irlande, en Grèce, au Luxembourg, en Autriche, au Portugal, en Finlande, en Suède, au Liechtenstein et en Suisse, contre les sociétés Honeywell pour avoir commercialisé un produit, le HFC-245 fa, fabriqué par Honeywell International Inc. et identique à celui couvert par ledit brevet.

13      Concrètement, Solvay accuse Honeywell Fluorine Products Europe BVet Honeywell Europe NV de réaliser des actes réservés dans l’ensemble de l’Europe, et Honeywell Belgium NV de réaliser des actes réservés en Europe septentrionale et centrale.

14      Dans le cadre de son action en contrefaçon, Solvay a également introduit, le 9 décembre 2009, une demande incidente à l’encontre des sociétés Honeywell, sollicitant l’octroi d’une mesure provisoire portant interdiction de contrefaçon transfrontalière jusqu’à ce que le litige au principal soit tranché.

15      Les sociétés Honeywell ont soulevé, dans le cadre de la procédure incidente, la nullité des parties nationales du brevet en cause, sans toutefois avoir intenté ni annoncé vouloir intenter une procédure visant à l’annulation des parties nationales de ce brevet ni contester la compétence de la juridiction néerlandaise saisie pour connaître tant de l’action principale que de l’action incidente.

16      Dans ces conditions, le Rechtbank ’s-Gravenhage a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«En ce qui concerne l’article 6, point 1, du règlement [no 44/2001]:

1)      Dans une situation dans laquelle deux ou plusieurs sociétés originaires de différents États membres sont accusées, chacune séparément, dans une procédure pendante devant une juridiction d’un de ces États membres, de contrefaçon à la même partie nationale d’un brevet européen, tel qu’en vigueur dans un autre État membre, en raison d’actes réservés concernant le même produit, est-il possible d’aboutir à des ‘solutions inconciliables’ si les causes sont jugées séparément, au sens de l’article 6, point 1, du règlement [no 44/2001]?

En ce qui concerne l’article 22, point 4, du règlement [no 44/2001]:

2)      L’article 22, point 4, du règlement [no 44/2001] est-il applicable à une procédure visant à obtenir une mesure provisoire fondée sur un brevet étranger (telle qu’une interdiction provisoire de contrefaçon transfrontalière) lorsque la partie défenderesse fait valoir, à titre de défense, la nullité du brevet invoqué, compte tenu du fait que le juge dans un tel cas ne rend pas de décision définitive quant à la validité du brevet invoqué, mais évalue comment le juge compétent en vertu de l’article 22, point 4, [de ce] règlement statuerait à cet égard, et que la mesure provisoire demandée, sous la forme d’une interdiction de contrefaçon, sera refusée si le juge estime qu’il existe une chance raisonnable et non négligeable que le brevet invoqué soit annulé par le juge compétent?

3)      Aux fins de l’applicabilité de l’article 22, point 4, du règlement [no 44/2001] dans le cadre d’une procédure telle que celle visée à la question précédente, le moyen de défense portant sur la nullité est-il assorti de conditions de forme en ce sens que cet article ne serait d’application que lorsqu’une action en nullité a déjà été introduite devant le juge compétent en vertu de l’article 22, point 4, [de ce] règlement ou le sera dans un délai — à fixer par le juge — ou, à tout le moins, qu’une citation a été ou sera signifiée au titulaire du brevet, ou suffit-il de soulever un moyen de défense portant sur la nullité et, le cas échéant, y a-t-il des conditions quant au contenu du moyen de défense invoqué en ce sens qu’il doit être suffisamment étayé et/ou que le fait d’invoquer ce moyen ne doit pas être considéré comme un abus de procédure?

4)      S’il est répondu par l’affirmative à la deuxième question, le juge reste-t-il compétent en ce qui concerne l’action en contrefaçon après qu’un moyen de défense portant sur la nullité a été soulevé dans une procédure telle que celle visée dans la première question, avec pour conséquence que (si la partie requérante le souhaite) la procédure en contrefaçon doit être suspendue jusqu’à ce que le juge compétent en vertu de l’article 22, point 4, du règlement [no 44/2001] se prononce sur la validité de la partie nationale du brevet invoquée, ou que la demande doit être rejetée car il est impossible de se prononcer sur un moyen de défense essentiel pour la décision, ou le juge perd-il sa compétence pour statuer sur l’action en contrefaçon après qu’un moyen de défense portant sur la nullité a été soulevé?

5)      S’il est répondu par l’affirmative à la [deuxième] question [...], le juge national peut-il fonder sur l’article 31 du règlement [no 44/2001] sa compétence pour statuer sur une action visant à obtenir une mesure provisoire fondée sur un brevet étranger (telle qu’une interdiction de contrefaçon transfrontalière) et à l’encontre de laquelle un moyen de défense portant sur la nullité du brevet invoqué est soulevé, ou (dans l’hypothèse où l’on considérerait que l’applicabilité de l’article 22, point 4, [de ce] règlement n’affecte pas la compétence du Rechtbank [’s-Gravenhage] de statuer sur la question de la contrefaçon) sa compétence pour statuer sur un moyen de défense portant sur la nullité du brevet étranger invoqué?

6)      S’il est répondu par l’affirmative à la [cinquième] question [...], quels sont les faits ou les circonstances qui sont nécessaires afin de pouvoir conclure à l’existence du lien de rattachement réel, visé au point 40 de l’arrêt [du 17 novembre 1998], Van Uden [(C-391/95, Rec. p. I-7091),] entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’État contractant du juge saisi?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question

17      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle deux ou plusieurs sociétés établies dans différents États membres sont accusées, chacune séparément, dans une procédure pendante devant une juridiction d’un de ces États membres, de contrefaçon à la même partie nationale d’un brevet européen, tel qu’en vigueur dans un autre État membre, en raison d’actes réservés concernant le même produit, est susceptible de conduire à des solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément, au sens de cette disposition.

18      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 prévoit, afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, qu’un défendeur peut être attrait, s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux à la condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps.

19      Concernant son objectif, la règle de compétence, visée à l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, répond, conformément aux considérants 12 et 15 de ce règlement, au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter ainsi des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (voir arrêt du 1er décembre 2011, Painer, C-145/10, Rec. p. I-12533, point 77).

20      Par ailleurs, ladite règle de compétence spéciale doit être interprétée au regard, d’une part, du considérant 11 du règlement no 44/2001, selon lequel les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement (voir arrêt du 11 octobre 2007, Freeport, C-98/06, Rec. p. I-8319, point 36).

21      Cette règle de compétence spéciale, en ce qu’elle déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur énoncée à l’article 2 du règlement no 44/2001, doit, d’autre part, faire l’objet d’une interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (voir arrêt Painer, précité, point 74 et jurisprudence citée).

22      Cette même règle ne saurait, en outre, être interprétée en vue de l’appliquer de telle sorte qu’elle permette au requérant de former une demande dirigée contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un de ces défendeurs aux tribunaux de l’État où il est domicilié (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, Rec. p. 5565, points 8 et 9; du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a., C-51/97, Rec. p. I-6511, point 47, ainsi que Painer, précité, point 78).

23      Par ailleurs, la Cour a considéré que c’est à la juridiction nationale qu’il appartient d’apprécier l’existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle, c’est-à-dire du risque de décisions inconciliables si lesdites demandes étaient jugées séparément, et, à cet égard, de prendre en compte tous les éléments nécessaires du dossier (voir arrêts précités Freeport, point 41, et Painer, point 83).

24      La Cour a toutefois précisé, à cet égard, que, pour que des décisions soient considérées comme risquant d’être inconciliables, au sens de l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit (voir arrêts du 13 juillet 2006, Roche Nederland e.a., C-539/03, Rec. p. I-6535, point 26; Freeport, précité, point 40, ainsi que Painer, précité, point 79).

25      S’agissant de l’appréciation de l’existence d’une même situation, la Cour a jugé, d’une part, qu’il ne saurait être conclu à l’existence d’une même situation de fait, dès lors que les défendeurs sont différents et que les actes de contrefaçon qui leur sont reprochés, mis en œuvre dans des États contractants différents, ne sont pas les mêmes. D’autre part, elle a estimé qu’il ne saurait être conclu à l’existence d’une même situation de droit lorsque plusieurs juridictions de différents États contractants sont saisies d’actions en contrefaçon d’un brevet européen délivré dans chacun de ces États et que ces actions sont engagées à l’encontre de défendeurs domiciliés dans ces États pour des faits prétendument commis sur leur territoire (voir arrêt Roche Nederland e.a., précité, points 27 et 31).

26      En effet, un brevet européen demeure régi, tel qu’il découle clairement des articles 2, paragraphe 2, et 64, paragraphe 1, de la convention de Munich, par la réglementation nationale de chacun des États contractants pour lesquels il a été délivré. De ce fait, toute action en contrefaçon de brevet européen doit, ainsi qu’il ressort de l’article 64, paragraphe 3, de ladite convention, être examinée au regard de la réglementation nationale en vigueur, en la matière, dans chacun des États pour lesquels il a été délivré (arrêt Roche Nederland e.a., précité, points 29 et 30).

27      Il découle des particularités d’une affaire telle que celle au principal que d’éventuelles divergences dans la solution du litige sont susceptibles de s’inscrire dans le cadre d’une même situation de fait et de droit, de sorte qu’il n’est pas exclu qu’elles aboutissent à des décisions inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

28      En effet, comme l’a souligné M. l’avocat général au point 25 de ses conclusions, dans le cas où l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 ne serait pas applicable, deux juridictions devraient examiner, chacune de leur côté, les contrefaçons dénoncées au regard des différents droits nationaux régissant les différentes parties nationales du brevet européen dont la violation est alléguée. Elles seraient, par exemple, appelées à apprécier suivant le même droit finlandais l’atteinte portée par les sociétés Honeywell à la partie finlandaise du brevet européen du fait de la commercialisation d’un produit contrefait identique sur le territoire finlandais.

29      Afin d’apprécier, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle et donc du risque de décisions inconciliables si ces demandes étaient jugées séparément, il incombera à la juridiction nationale de prendre, notamment, en compte la double circonstance selon laquelle, d’une part, les défenderesses au principal sont accusées, chacune séparément, des mêmes actes de contrefaçon à l’égard des mêmes produits et, d’autre part, de tels actes de contrefaçon ont été commis dans les mêmes États membres, de sorte qu’ils portent atteinte aux mêmes parties nationales du brevet européen en cause.

30      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle deux ou plusieurs sociétés établies dans différents États membres sont accusées, chacune séparément, dans une procédure pendante devant une juridiction d’un de ces États membres, de contrefaçon à la même partie nationale d’un brevet européen, tel qu’en vigueur dans un autre État membre, en raison d’actes réservés concernant le même produit, est susceptible de conduire à des solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément, au sens de cette disposition. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier l’existence d’un tel risque en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier.

 Sur la deuxième question

31      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 est applicable à une procédure visant à obtenir une mesure provisoire fondée sur un brevet étranger, telle qu’une interdiction provisoire de contrefaçon transfrontalière, lorsque les parties défenderesses au principal font valoir, à titre de défense, la nullité du brevet invoqué, compte tenu du fait que le juge, dans un tel cas, ne rend pas de décision définitive quant à la validité du brevet invoqué, mais évalue comment le juge compétent en vertu de l’article 22, point 4, de ce règlement statuerait à cet égard, et que la mesure provisoire demandée, sous la forme d’une interdiction de contrefaçon, sera refusée si le juge estime qu’il existe une chance raisonnable et non négligeable que le brevet invoqué soit annulé par le juge compétent.

32      Or, il découle du libellé même de la question préjudicielle et de la décision de renvoi que la question qui se trouve au cœur du litige au principal concerne une procédure visant l’adoption d’une mesure provisoire régie par la règle de compétence prévue à l’article 31 du règlement no 44/2001.

33      Partant, il convient de comprendre la question posée comme visant à savoir, en substance, si l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, à l’application de l’article 31 de ce règlement.

34      À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort de l’article 31 du règlement no 44/2001 qu’une juridiction d’un État membre est autorisée à statuer sur une demande de mesure provisoire ou conservatoire même si, en vertu de ce règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.

35      Par ailleurs, ainsi qu’il découle de son article 22, point 4, le règlement no 44/2001 prévoit une règle de compétence exclusive selon laquelle, en matière d’inscription ou de validité des brevets, seules sont compétentes les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument communautaire ou d’une convention internationale.

36      En ce qui concerne, tout d’abord, les libellés des articles 22, point 4), et 31 du règlement n44/2001, il y a lieu de relever que ces dispositions visent à réglementer des situations différentes et disposent chacune d’un champ d’application distinct. Ainsi, si l’article 22, point 4), vise à attribuer la compétence pour statuer au fond dans des litiges relatifs à un domaine bien circonscrit, en revanche, l’article 31 a vocation à s’appliquer indépendamment de toute compétence au fond.

37      Par ailleurs, ces deux dispositions ne renvoient pas l’une à l’autre.

38      S’agissant, ensuite, de l’économie du règlement no 44/2001, il convient de souligner que lesdites dispositions figurent sous le chapitre II du règlement no 44/2001, intitulé «Compétences», et constituent des «dispositions spéciales» par rapport aux «dispositions générales» relevant de la section 1 de ce même chapitre.

39      En revanche, rien n’indique que l’une des dispositions en cause puisse être considérée comme générale ou spéciale par rapport à l’autre. En effet, elles relèvent de deux sections différentes du même chapitre II, à savoir, respectivement, des sections 6 et 10.

40      Il en découle que l’article 31 du règlement no 44/2001 a une portée autonome par rapport à celle de l’article 22, point 4, de ce règlement. En effet, comme il a été constaté au point 34 du présent arrêt, cet article 31 s’applique dès lors qu’une juridiction, autre que celle qui est compétente au fond, est saisie d’une demande de mesures provisoires ou conservatoires, de sorte que ledit article 22, point 4, qui concerne la compétence au fond, ne saurait, en principe, être interprété en ce sens qu’il puisse déroger audit article 31 et, par conséquent, écarter son application.

41      Il convient, toutefois, d’examiner si l’interprétation que la Cour a donnée de l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles ne conduit pas à une conclusion différente.

42      En effet, il importe de rappeler que, dans la mesure où le règlement no 44/2001 remplace désormais, dans les relations entre les États membres, la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention vaut également pour celles dudit règlement, lorsque les dispositions de ces instruments communautaires peuvent être qualifiées d’équivalentes (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C-189/08, Rec. p. I-6917, point 18; du 10 septembre 2009, German Graphics Graphische Maschinen, C-292/08, Rec. p. I-8421, point 27, et du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland, C-406/09, Rec. p. I-9773, point 38).

43      Or, l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001, pertinent dans l’examen de la présente question, reflète la même systématique que l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles et, au surplus, est rédigé en des termes quasi identiques. Eu égard à une telle équivalence, il importe d’assurer, conformément au considérant 19 de ce règlement, la continuité dans leur interprétation (voir, par analogie, arrêts du 23 avril 2009, Draka NK Cables e.a., C-167/08, Rec. p. I-3477, point 20; du 14 mai 2009, Ilsinger, C-180/06, Rec. p. I-3961, point 58, ainsi que Zuid-Chemie, précité, point 19).

44      À cet égard, il convient de relever que la Cour a procédé, au point 24 de son arrêt du 13 juillet 2006, GAT (C-4/03, Rec. p. I-6509), à une interprétation large de l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles, afin de garantir son effet utile. En effet, elle a jugé que, eu égard à la position que cette disposition occupe dans le système de cette convention et à la finalité poursuivie, les règles de compétence prévues à ladite disposition sont dotées d’un caractère exclusif et impératif qui s’impose avec une force spécifique tant aux justiciables qu’au juge.

45      La Cour a, par ailleurs, considéré que la compétence exclusive que prévoit l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles doit trouver à s’appliquer quel que soit le cadre procédural dans lequel la question de la validité d’un brevet est soulevée, que ce soit par voie d’action ou par voie d’exception, lors de l’introduction de l’instance ou à un stade plus avancé de celle-ci (voir arrêt GAT, précité, point 25).

46      En outre, la Cour a précisé que, admettre, dans le système de la convention de Bruxelles, des décisions dans lesquelles des juridictions autres que celles de l’État de délivrance d’un brevet statueraient à titre incident sur la validité de ce brevet multiplierait le risque de contrariétés de décisions que la convention vise précisément à éviter (voir arrêt GAT, précité, point 29).

47      Eu égard à l’interprétation large donnée par la Cour à l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles, aux risques de contrariétés entre les décisions que cette disposition vise à éviter, et, compte tenu de l’équivalence du contenu de l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 et de celui de l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles, constatée au point 43 du présent arrêt, il convient de considérer que l’application de la règle de compétence énoncée à l’article 25 du règlement no 44/2001, qui vise expressément l’article 22 de ce règlement, et celle d’autres règles de compétence, telles que, notamment, celles prévues à l’article 31 dudit règlement, sont susceptibles d’être affectées par la force spécifique de l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001, sus-évoquée au point 44 du présent arrêt.

48      Il convient, par conséquent, de s’interroger sur la question de savoir si la portée spécifique de l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001, tel qu’interprété par la Cour, se répercute sur l’application de l’article 31 de ce règlement, dans une situation telle que celle en cause au principal, qui concerne une action en contrefaçon dans le cadre de laquelle l’invalidité d’un brevet européen a été soulevée, à titre incident, comme moyen de défense contre l’adoption d’une mesure provisoire visant l’interdiction de contrefaçon transfrontalière.

49      À cet égard, il y a lieu de relever que, selon la juridiction de renvoi, le juge saisi à titre incident ne rend pas de décision définitive en ce qui concerne la validité du brevet invoqué, mais évalue comment le juge compétent, en vertu de l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001, statuerait à cet égard, et refusera de prendre la mesure provisoire sollicitée s’il estime qu’il existe une chance raisonnable et non négligeable que le brevet invoqué soit annulé par le juge compétent.

50      Dans ces circonstances, il apparaît que le risque de contrariétés des décisions évoqué au point 47 du présent arrêt est inexistant, dès lors que la décision provisoire prise par le juge saisi à titre incident ne préjugera aucunement de la décision à prendre sur le fond par la juridiction compétente au titre de l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001. Ainsi, les raisons qui ont amené la Cour à une interprétation large de la compétence prévue à l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 n’exigent pas que, dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, l’application de l’article 31 dudit règlement soit écartée.

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, à l’application de l’article 31 de ce règlement.

 Sur les troisième à sixième questions

52      Compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre aux troisième à sixième questions.

 

 Sur les dépens

 

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 6, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle deux ou plusieurs sociétés établies dans différents États membres sont accusées, chacune séparément, dans une procédure pendante devant une juridiction d’un de ces États membres, de contrefaçon à la même partie nationale d’un brevet européen, tel qu’en vigueur dans un autre État membre, en raison d’actes réservés concernant le même produit, est susceptible de conduire à des solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément, au sens de cette disposition. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier l’existence d’un tel risque en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier.

2)      L’article 22, point 4, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, à l’application de l’article 31 de ce règlement.

Signatures


Langue de procédure: le néerlandais.

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