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CJUE, 18 juillet 2013, aff. C-147/12, ÖFAB, Östergötlands Fastigheter AB c/ Frank Koot et Evergreen Investments BV.

 

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

18 juillet 2013

 ÖFAB, Östergötlands Fastigheter AB contre Frank Koot et Evergreen Investments BV.

 

«Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 44/2001 – Juridiction compétente – Compétences spéciales en ‘matière contractuelle’ et en ‘matière délictuelle ou quasi délictuelle’»

Dans l’affaire C-147/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hovrätten för Nedre Norrland (Suède), par décision du 23 mars 2012, parvenue à la Cour le 26 mars 2012, dans la procédure

ÖFAB, Östergötlands Fastigheter AB

contre

Frank Koot,

Evergreen Investments BV,

 

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, D. Šváby et C. Vajda, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 avril 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour ÖFAB, Östergötlands Fastigheter AB, par M. M. André,

–        pour M. Koot et Evergreen Investments BV, par Mes K. Crafoord, B. Rundblom Andersson et J. Conradsson, advokater,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk et K. Ahlstrand-Oxhamre, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement grec, par Mme S. Chala, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme J. Beeko, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes A.-M. Rouchaud-Joët et C. Tufvesson, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ÖFAB, Östergötlands Fastigheter AB (ci-après «ÖFAB»), établie en Suède, à M. Koot et à Evergreen Investments BV (ci-après «Evergreen»), établis aux Pays-Bas, au sujet du refus de ces derniers de répondre des dettes de Copperhill Mountain Lodge AB (ci-après «Copperhill»), société par actions établie en Suède.

 

 Le cadre juridique

 

 Le droit de l’Union

3        Le règlement no 44/2001 contient des règles concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

4        Les considérants 8, 11 et 12 de ce règlement énoncent:

«(8)      Il doit exister un lien entre les litiges couverts par le présent règlement et le territoire des États membres qu’il lie. Les règles communes en matière de compétence doivent donc s’appliquer en principe lorsque le défendeur est domicilié dans un de ces États membres.

[...]

(11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.»

5        Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), dudit règlement, sont exclus de l’application de celui-ci «les faillites, concordats et autres procédures analogues».

6        L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 est libellé comme suit:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

7        Aux termes de l’article 5, points 1 et 3, de ce règlement, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

«1)      a)      en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;

b)      aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

–        pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

–        pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;

c)      le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;

[...]

3)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

 Le droit suédois

8        Sous le chapitre 25 de la loi sur les sociétés par actions (Aktiebolagslag, SFS 2005, no 551), l’article 18 de cette loi prévoit que les membres du conseil d’administration peuvent être tenus de répondre des dettes de la société lorsqu’ils omettent d’accomplir certaines formalités en vue du contrôle de la situation financière de la société, celle-ci ne disposant plus de moyens financiers suffisants. Aux termes dudit article:

«Si le conseil d’administration a omis:

1.      d’établir le bilan comptable de vérification visé à l’article 14 et de permettre au commissaire aux comptes de la société de le réviser, comme le lui impose l’article 13,

2.      de convoquer, conformément à l’article 15, une première assemblée générale de vérification, ou

3.      de déposer auprès du tribunal local, en vertu de l’article 17, une demande de mise en liquidation de la société,

les membres du conseil d’administration répondent solidairement des dettes de la société nées pendant le temps du manquement.

Quiconque a agi au nom de la société en connaissance du manquement du conseil d’administration assume solidairement avec les membres de celui-ci une responsabilité pour les dettes qu’il a ainsi contractées pour la société.

N’est pas responsable en vertu des premier et deuxième alinéas quiconque établit qu’il n’a pas été négligent.

[...]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        M. Koot, résidant aux Pays-Bas, a été membre du conseil d’administration de Copperhill du 9 septembre 2007 au 5 septembre 2009 inclus, date à laquelle il est devenu membre suppléant, une fonction qu’il a occupée jusqu’au 22 janvier 2010.

10      Evergreen détenait 40 % des actions de Copperhill avant d’acquérir, le 11 septembre 2007, 50 % supplémentaires d’actions de ladite société.

11      Entre le 10 octobre 2007 et le 2 décembre 2009, le siège de Copperhill était sis dans la commune d’Åre (Suède), située dans le ressort de l’Östersunds tingsrätt (tribunal local d’Östersund), où cette société a, pendant cette période, exercé ses activités et construit un hôtel.

12      Pour la construction de cet hôtel, Copperhill a commandé des travaux de terrassement et, notamment, la pose de carrelage dans les salles de bains à deux entreprises locales, Toréns Entreprenad i Östersund AB (ci-après «Toréns») et Kakelmässan Norr Handelsbolag (ci-après «Kakelmässan»).

13      Le 23 mars 2009, Copperhill ayant suspendu ses paiements en raison de difficultés financières, l’Östersunds tingsrätt a décidé de soumettre ladite entreprise à des mesures d’assainissement («företagsrekonstruktion»). Dans le cadre de ces mesures, Toréns et Kakelmässan n’ont été remboursées que d’une partie de leurs créances respectives contre Copperhill. Les soldes desdites créances ont été acquis par Invest i Årefjällen i Stockholm AB (ci-après «Invest»).

14      Le 10 août 2010, Invest a introduit deux recours respectivement contre M. Koot et Evergreen devant l’Östersunds tingsrätt. À l’appui de son action contre M. Koot, Invest a fait valoir que ce dernier était tenu de l’indemniser en vertu de l’article 18 du chapitre 25 de la loi sur les sociétés par actions. L’action dirigée contre Evergreen avait pour fondement, d’une part, les principes de dérogation à la responsabilité limitée et, d’autre part, la circonstance qu’Evergreen aurait «promis» de désintéresser Toréns et Kakelmässan ou de fournir à Copperhill les fonds nécessaires à cet égard.

15      En ce qui concerne la compétence de l’Östersunds tingsrätt pour statuer sur les litiges en cause, Invest a fait valoir que l’acte dommageable avait été commis à Åre et que c’est également là qu’est survenu le préjudice. M. Koot et Evergreen ont soutenu que, étant donné qu’ils étaient tous deux domiciliés aux Pays-Bas, ce tribunal n’était pas compétent pour connaître de ces litiges.

16      Le 26 avril 2011, l’Östersunds tingsrätt a décidé de rejeter les recours d’Invest en se déclarant incompétent pour connaître des litiges en cause. Selon ce tribunal, ces litiges ne relèvent ni de la matière contractuelle ni de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l’article 5, points 1 et 3, du règlement no 44/2001. Dès lors, conformément à la règle générale énoncée à l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, lesdits litiges devraient être portés devant les juridictions de l’État membre du domicile de M. Koot et d’Evergreen.

17      Invest a interjeté appel de ces jugements devant le Hovrätten för Nedre Norrland en demandant que celui-ci soumette une demande de décision préjudicielle à la Cour. Elle a ensuite cédé ses créances à ÖFAB.

18      Le Hovrätten för Nedre Norrland estime que, afin de déterminer la compétence des juridictions suédoises pour connaître du litige au principal, il y a lieu d’interpréter l’article 5, points 1 et 3, du règlement no 44/2001.

19      À cet égard, la juridiction de renvoi se demande si lesdites dispositions constituent une exception exhaustive à l’article 2 du règlement no 44/2001 en ce qui concerne les actions en indemnisation, en ce sens que l’article 5, point 3, de ce règlement est applicable si le point 1 dudit article ne l’est pas. En outre, cette juridiction estime que la Cour n’a pas encore eu à connaître de la question de savoir si des actions visant à rendre un membre du conseil d’administration d’une société par actions, au titre de l’article 18 du chapitre 25 de la loi sur les sociétés par actions, ainsi qu’un actionnaire d’une telle société, en vertu de la dérogation à la responsabilité limitée, responsables des dettes de ladite société relèvent de l’article 5, point 3, dudit règlement.

20      En ce qui concerne la dérogation à la responsabilité limitée, la juridiction de renvoi indique que, selon la jurisprudence du Högsta domstolen (Cour suprême), les actionnaires d’une société par actions peuvent, dans des situations exceptionnelles, être tenus responsables des dettes de la société concernée. Parmi les facteurs susceptibles de présenter une importance à cet égard, pourraient être cités un comportement déloyal ou abusif des actionnaires, un manque de capitaux propres ainsi que le fait que cette société n’a pas eu pour objet une activité économique.

21      Compte tenu de ces considérations le Hovrätten för Nedre Norrland a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Faut-il interpréter l’article 5, points 1 et 3, du règlement no 44/2001 [...] en ce sens qu’il constitue une exception exhaustive à la règle générale de l’article 2 en ce qui concerne les actions en indemnisation?

2)      La notion de ‘matière délictuelle ou quasi délictuelle’, à l’article 5, point 3, du règlement [no 44/2001], doit-elle être comprise en ce sens qu’elle recouvre une action intentée par un créancier contre un membre du conseil d’administration d’une société, visant à rendre l’administrateur responsable des dettes de la société en raison du fait qu’il a omis d’accomplir des formalités destinées au contrôle de la situation financière de la société, et a permis à celle-ci de continuer à fonctionner et à accumuler des dettes?

3)       La notion de ‘matière délictuelle ou quasi délictuelle’, à l’article 5, point 3, du règlement [no 44/2001], doit-elle être comprise en ce sens qu’elle recouvre une action intentée par un créancier contre l’actionnaire d’une société, visant à rendre celui-ci responsable des dettes de la société en raison du fait qu’il a permis à la société de continuer à fonctionner alors qu’elle était sous-capitalisée et tenue d’être mise en liquidation?

4)      La notion de ‘matière délictuelle ou quasi délictuelle’, à l’article 5, point 3, du règlement [no 44/2001], doit-elle être comprise en ce sens qu’elle recouvre une action intentée par un créancier contre l’actionnaire d’une société qui s’est engagé à payer les dettes de celle-ci?

5)      En cas de réponse affirmative à la [deuxième question], le préjudice éventuel est-il réputé s’être produit aux Pays-Bas ou en Suède, sachant que l’administrateur concerné est domicilié aux Pays-Bas et que les manquements à sa fonction ont affecté une société suédoise?

6)      En cas de réponse affirmative [aux troisième et quatrième questions], le préjudice éventuel est-il réputé s’être produit aux Pays-Bas ou en Suède, sachant que l’actionnaire concerné est domicilié aux Pays-Bas et que la société est suédoise?

7)      Au cas où le point 1 ou 3 de l’article 5 du règlement [no 44/2001] doit être appliqué dans l’une des situations décrites ci-dessus, le fait que la créance ait été cédée par le créancier initial à un autre a-t-il une importance en vue de cette application?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur les première à troisième questions

22      Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, doit être comprise en ce sens qu’elle recouvre des actions intentées par un créancier d’une société par actions visant à rendre responsables des dettes de cette société, d’une part, un membre du conseil d’administration de celle-ci et, d’autre part, un actionnaire de cette dernière, étant donné qu’ils ont permis à ladite société de continuer à fonctionner alors qu’elle était sous-capitalisée et tenue d’être mise en liquidation.

23      Il convient d’examiner, à titre liminaire, l’argument soulevé par M. Koot, selon lequel les recours dirigés contre lui sont exclus du champ d’application du règlement no 44/2001, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de celui-ci, étant donné que ces recours sont fondés sur des dispositions du droit suédois visant à ce que des sociétés par actions dont les fonds propres sont insuffisants soient mises en liquidation.

24      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 44/2001 n’exclut du champ d’application de ce règlement que les actions qui dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insèrent étroitement (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 2 juillet 2009, SCT Industri, C-111/08, Rec. p. I-5655, point 21 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 avril 2012, F-Tex, C-213/10, point 29).

25      Or, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour et des explications du gouvernement suédois lors de l’audience, les actions en cause au principal ne s’insèrent pas dans une procédure d’insolvabilité mais ont été introduites après que Copperhill a été soumise à une procédure d’assainissement. En tout état de cause, force est de constater, ainsi que le fait observer la Commission européenne, que les actions en cause au principal ne constituent pas des prérogatives exclusives du syndic à exercer dans l’intérêt de la masse des créanciers, mais qu’il s’agit de droits qu’ÖFAB est libre d’exercer dans son intérêt propre.

26      Dès lors, il y a lieu de constater que les actions en cause au principal entrent dans le champ d’application du règlement no 44/2001.

27      Afin de répondre aux première à troisième questions, il y a lieu de relever, d’une part, que, selon une jurisprudence constante, les notions de «matière contractuelle» et de «matière délictuelle» au sens de l’article 5, points 1, sous a), et 3, du règlement no 44/2001 doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a., C-509/09 et C-161/10, Rec. p. I-10269, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

28      D’autre part, dans la mesure où le règlement no 44/2001 a remplacé, dans les relations des États membres, la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la «convention de Bruxelles»), l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention vaut également pour celles dudit règlement, lorsque les dispositions de ces instruments communautaires peuvent être qualifiées d’équivalentes (voir, notamment, arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

29      Or, les articles 2 ainsi que 5, points 1, sous a), et 3, du règlement no 44/2001 pertinents dans l’affaire au principal reflètent, en ce qui concerne la délimitation des compétences juridictionnelles régies par ces dispositions, la même systématique que les articles 2 ainsi que 5, points 1 et 3, de la convention de Bruxelles et sont rédigés en des termes quasi identiques. Eu égard à une telle équivalence, il importe d’assurer, conformément au considérant 19 dudit règlement, la continuité dans l’interprétation de ces deux instruments (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C-189/08, Rec. p. I-6917, point 19).

30      Ainsi, selon une jurisprudence constante, le système des attributions de compétences communes prévues au chapitre II du règlement no 44/2001 est fondé sur la règle générale, énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de celui-ci, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties. Ce n’est que par dérogation à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que le chapitre II, section 2, du règlement no 44/2001 prévoit un certain nombre de règles de compétence spéciales, parmi lesquelles figure celle de l’article 5, point 3, de ce règlement (voir, en ce sens, arrêts Zuid-Chemie, précité, points 20 et 21, ainsi que du 12 mai 2011, BVG, C-144/10, Rec. p. I-3961, point 30 et jurisprudence citée).

31      La Cour a également jugé que ces règles de compétences spéciales sont d’interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (voir, en ce sens, arrêt Zuid-Chemie, précité, point 22 et jurisprudence citée).

32      Néanmoins, il est de jurisprudence constante que la notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle» au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 comprend toute demande qui vise à mettre en cause la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement (voir, s’agissant de l’interprétation de la convention de Bruxelles, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, Rec. p. 5565, point 18; du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C-261/90, Rec. p. I-2149, point 16; du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a., C-51/97, Rec. p. I-6511, point 22, ainsi que du 17 septembre 2002, Tacconi, C-334/00, Rec. p. I-7357, point 21).

33      À cet égard, il convient de relever, d’une part, que la notion de «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001 ne saurait être comprise comme visant une situation dans laquelle il n’existe aucun engagement librement assumé d’une partie envers une autre. Ainsi, l’application de la règle de compétence spéciale prévue en matière contractuelle audit article 5, point 1, sous a), présuppose la détermination d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre et sur laquelle se fonde l’action du demandeur (voir, s’agissant de l’interprétation de la convention de Bruxelles, arrêt du 20 janvier 2005, Engler, C-27/02, Rec. p. I-481, points 50 et 51, ainsi que arrêt du 14 mars 2013, Česká spořitelna, C-419/11, points 46 et 47 et jurisprudence citée).

34      D’autre part, il est de jurisprudence constante qu’une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ne peut être prise en compte qu’à condition qu’un lien causal puisse être établi entre le dommage et le fait dans lequel ce dommage trouve son origine (voir, s’agissant de l’interprétation de la convention de Bruxelles, arrêt du 30 novembre 1976, Bier, dit «Mines de potasse d’Alsace», 21/76, Rec. p. 1735, point 16, ainsi que arrêt Zuid-Chemie, précité, point 28 et jurisprudence citée).

35      S’agissant des actions en cause au principal, il ressort du dossier soumis à la Cour qu’elles visent à mettre en cause la responsabilité de M. Koot, en tant qu’administrateur de Copperhill, au titre de l’article 18 du chapitre 25 de la loi sur les sociétés par actions, ainsi que celle d’Evergreen, en tant qu’actionnaire de cette société, en vertu de la dérogation à la responsabilité limitée telle qu’elle a été développée par la jurisprudence du Högsta domstolen.

36      Ainsi qu’il ressort également de la décision de renvoi, lesdites actions sont fondées non pas sur un engagement librement assumé de l’une de ces parties envers l’autre, mais sur l’allégation selon laquelle l’administrateur de Copperhill, n’ayant pas accompli certaines formalités destinées au contrôle de la situation financière de cette société, ainsi que l’actionnaire principal de celle-ci auraient négligé leurs obligations légales en permettant à ladite société de continuer à fonctionner alors qu’elle était sous-capitalisée et tenue d’être mise en liquidation. En vertu de la législation applicable, cet administrateur et cet actionnaire peuvent, le cas échéant, être tenus responsables des dettes de Copperhill.

37      Or, si les actions en cause au principal visent à rendre ledit administrateur et ledit actionnaire responsables des dettes de Copperhill, elles permettent, avant tout, d’obtenir le paiement de créances qui, l’administrateur et l’actionnaire de cette société n’ayant pas accompli leurs obligations légales, n’ont pas pu être réalisées entièrement auprès de ladite société. En l’occurrence, ces actions visent ainsi la réparation du préjudice résultant du fait que Toréns et Kakelmässan ont réalisé des travaux pour Copperhill sans pouvoir obtenir, par la suite, auprès de cette société, le paiement intégral des sommes dues par cette dernière pour ces travaux.

38      Il s’ensuit que les actions en cause au principal, sans préjuger de la qualification d’autres actions pouvant être intentées à l’encontre d’un administrateur ou d’un actionnaire d’une société, relèvent de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

39      À cet égard, les gouvernements suédois et grec soutiennent que la qualification des actions en cause au principal au regard de l’article 5, points 1 et 3, du règlement no 44/2001, étant donné que ces actions visent à établir la responsabilité de l’administrateur ou de l’actionnaire d’une société par actions pour les dettes de cette société, devrait suivre la qualification des dettes de la société en tant que relevant de la matière contractuelle et non contractuelle selon le cas.

40      Cette interprétation ne saurait être retenue.

41      En effet, elle aurait pour conséquence de multiplier les juridictions compétentes pour connaître des actions mettant en cause un même comportement fautif de l’administrateur ou de l’actionnaire de la société concernée, en fonction de la nature des différentes dettes de cette société qui peuvent faire l’objet de telles actions. Or, dans une telle situation, l’objectif de proximité des règles de compétences spéciales énoncées à l’article 5, points 1 et 3, du règlement no 44/2001, fondées sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre le contrat ou le lieu où le fait dommageable s’est produit et le tribunal appelé à en connaître (voir en ce sens, notamment, arrêts du 25 février 2010, Car Trim, C-381/08, Rec. p. I-1255, point 48 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 mai 2013, Melzer, C-228/11, point 26 et jurisprudence citée), s’oppose au fait que la détermination de la juridiction compétente puisse dépendre de la nature des dettes de la société concernée. En outre, il y a lieu de relever que, en ce qui concerne un défendeur qui est responsable des dettes d’autrui, une telle interprétation des règles de compétence prévues à l’article 5 de ce règlement ne présenterait pas le degré de prévisibilité requis par le considérant 11 dudit règlement.

42      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première à troisième questions que la notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, doit être comprise en ce sens qu’elle recouvre des actions telles que celles en cause au principal intentées par un créancier d’une société par actions visant à rendre responsables des dettes de cette société, d’une part, un membre du conseil d’administration de celle-ci et, d’autre part, un actionnaire de cette dernière, étant donné qu’ils ont permis à ladite société de continuer à fonctionner alors qu’elle était sous-capitalisée et tenue d’être mise en liquidation.

 Sur la quatrième question

43      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si la notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, doit être comprise en ce sens qu’elle recouvre une action intentée par un créancier contre l’actionnaire d’une société qui s’est engagé à payer les dettes de celle-ci.

44      À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient aux juridictions nationales de fournir à la Cour les éléments de fait ou de droit, nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 14 septembre 1999, Gruber, C-249/97, Rec. p. I-5295, point 19, et du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C-177/10, Rec. p. I-7907, point 33).

45      Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêts du 17 février 2005, Viacom Outdoor, C-134/03, Rec. p. I-1167, point 22; du 12 avril 2005, Keller, C-145/03, Rec. p. I-2529, point 29, et du 1er décembre 2011, Painer, C-145/10, Rec. p. I-12533, point 46).

46      Or, en l’occurrence, force est de constater que, pour ce qui est de sa quatrième question, la juridiction de renvoi indique seulement qu’Evergreen aurait «promis» de désintéresser Toréns et Kakelmässan ou de fournir à Copperhill les fonds nécessaires à cet égard, sans toutefois préciser les circonstances factuelles de cette «promesse» ni le fondement juridique ou l’objet de l’action intentée contre l’auteur de ladite «promesse». Dans ces circonstances, la demande de décision préjudicielle ne permet pas à la Cour de parvenir à une interprétation utile de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

47      Par conséquent, il y a lieu de considérer que la quatrième question est irrecevable.

 Sur les cinquième et sixième questions

48      Par ses cinquième et sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, doit être interprétée en ce sens que, en ce qui concerne des actions visant à rendre un membre du conseil d’administration ainsi qu’un actionnaire d’une société par actions responsables des dettes de cette société, ledit lieu se situe dans l’État membre du siège de ladite société.

49      Afin de répondre à ces questions, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, selon une jurisprudence constante, la règle de compétence spéciale prévue, par dérogation à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur, à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (voir, en ce sens, arrêts eDate Advertising e.a., précité, point 40, ainsi que du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec, C-133/11, point 37 et jurisprudence citée).

50      En effet, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves (voir, notamment, arrêt Folien Fischer et Fofitec, précité, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

51      D’autre part, l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (voir arrêt Folien Fischer et Fofitec, précité, point 39 ainsi que jurisprudence citée). Ces deux lieux peuvent constituer un rattachement significatif du point de vue de la compétence judiciaire, chacun d’entre eux étant susceptible, selon les circonstances, de fournir une indication particulièrement utile en ce qui concerne la preuve et l’organisation du procès (voir arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

52      Ainsi, s’agissant des actions en cause au principal, intentées par des créanciers d’une société par actions à l’encontre de l’administrateur et de l’actionnaire principal de cette société, au motif qu’ils auraient négligé leurs obligations légales en ce qui concerne ladite société, le lieu de l’événement causal doit présenter tant pour les requérants que pour les défendeurs un haut degré de prévisibilité. De même, dans ces conditions, il doit exister, en termes de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès, un lien de rattachement particulièrement étroit entre les actions intentées par les requérants et ledit lieu.

53      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans une situation telle que celle en cause au principal, où sont en cause des actions fondées sur l’allégation que l’administrateur et l’actionnaire principal de Copperhill n’auraient pas rempli leurs obligations légales quant au contrôle de la situation financière de cette société et à la poursuite de l’activité par cette dernière, alors qu’elle aurait été sous-capitalisée et tenue d’être mise en liquidation, ce ne sont pas la situation financière ou l’activité de ladite société qui sont concernées, en tant que telles, mais la conclusion à tirer quant à une éventuelle omission de contrôle incombant à l’administrateur et à l’actionnaire.

54      Il ressort du dossier soumis à la Cour que, pendant la période dans laquelle se situent les faits litigieux, le siège de Copperhill était sis dans la commune d’Åre, située dans le ressort de l’Östersunds tingsrätt, où cette société a, pendant cette période, exercé son activité et construit un hôtel. Dans ces circonstances, il apparaît que les activités déployées ainsi que la situation financière liée à ces activités s’attachent à cet endroit. En tout état de cause, les informations sur la situation financière et l’activité de cette société, nécessaires pour l’exercice des obligations de gestion incombant à l’administrateur et à l’actionnaire, devaient être disponibles audit endroit. Il en va de même pour les informations sur le non-respect allégué desdites obligations. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier l’exactitude de ces informations.

55      Dès lors, il y a lieu de répondre aux cinquième et sixième questions que la notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, doit être interprétée en ce sens que, en ce qui concerne des actions visant à rendre un membre du conseil d’administration ainsi qu’un actionnaire d’une société par actions responsables des dettes de cette société, ledit lieu se situe au lieu auquel s’attachent les activités déployées par ladite société ainsi que la situation financière liée à ces activités.

 Sur la septième question

56      Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la circonstance que la créance en cause a été cédée par le créancier initial à un autre a, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, des incidences sur la détermination de la juridiction compétente en vertu de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

57      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, ainsi que cela a été souligné au point 41 du présent arrêt, que les règles de compétences spéciales énoncées à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 répondent à un objectif de proximité et sont fondées sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre le contrat ou le lieu où le fait dommageable s’est produit et le tribunal appelé à en connaître. Or, un litige portant sur des créances relevant de la matière «délictuelle ou quasi délictuelle» continue, en principe, à présenter un lien de rattachement étroit avec le lieu où le fait dommageable s’est produit, alors même que les créances en question ont fait l’objet d’une cession.

58      D’autre part, il convient de relever qu’admettre qu’une cession de créances, opérée par le créancier initial, puisse avoir des incidences sur la détermination de la juridiction compétente aux termes de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 serait également contraire à l’un des objectifs de ce règlement, rappelé au considérant 11 de celui-ci, selon lequel les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité.

59      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la septième question que la circonstance que la créance en cause a été cédée par le créancier initial à un autre n’a pas, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, d’incidences sur la détermination de la juridiction compétente en vertu de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

 

 Sur les dépens

 

60      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

1)      La notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», figurant à l’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être comprise en ce sens qu’elle recouvre des actions telles que celles en cause au principal intentées par un créancier d’une société par actions visant à rendre responsables des dettes de cette société, d’une part, un membre du conseil d’administration de celle-ci et, d’autre part, un actionnaire de cette dernière, étant donné qu’ils ont permis à ladite société de continuer à fonctionner alors qu’elle était sous-capitalisée et tenue d’être mise en liquidation.

2)      La notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, doit être interprétée en ce sens que, en ce qui concerne des actions visant à rendre un membre du conseil d’administration ainsi qu’un actionnaire d’une société par actions responsables des dettes de cette société, ledit lieu se situe au lieu auquel s’attachent les activités déployées par ladite société ainsi que la situation financière liée à ces activités.

3)      La circonstance que la créance en cause a été cédée par le créancier initial à un autre n’a pas, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, d’incidences sur la détermination de la juridiction compétente en vertu de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

Signatures


Langue de procédure: le suédois.

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