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CJUE, 9 octobre 2014, aff. C‑376/14 PPU, C c/ M

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

9 octobre 2014

C contre M.

 

«Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) n° 2201/2003 – Non-retour illicite – Résidence habituelle de l’enfant»

Dans l’affaire C‑376/14 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Supreme Court (Irlande), par décision du 31 juillet 2014, parvenue à la Cour le 7 août 2014, dans la procédure

C

contre

M,

 

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 31 juillet 2014, parvenue à la Cour le 7 août 2014, de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 14 août 2014 de la troisième chambre de faire droit à cette demande,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 septembre 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour C, par M. C. Walsh, solicitor, M. R. Costello, BL, et Mme D. Browne, SC,

–        pour M, par M. C. Fitzgerald, SC, et M. K. Kelly, BL,

–        pour le gouvernement français, par Mme F. Gloaguen et M. F.-X. Bréchot, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. L. Flynn et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

l’avocat général entendu,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1, ci-après le «règlement»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant C à M au sujet du retour en France de leur enfant mineur se trouvant en Irlande avec sa mère.

 

 Le cadre juridique

 

 La convention de La Haye de 1980

3        L’article 1er de la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue le 25 octobre 1980 à La Haye (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1343, n° 22514, ci-après la «convention de La Haye de 1980»), énonce:

«La présente Convention a pour objet:

a)      d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant;

[...]»

4        L’article 3 de ladite convention stipule:

«Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite:

a)      lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour; et

b)      que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.»

5        L’article 12 de la même convention prévoit:

«Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

[...]»

6        L’article 19 de la convention de La Haye de 1980 est libellé comme suit:

«Une décision sur le retour de l’enfant rendue dans le cadre de la Convention n’affecte pas le fond du droit de garde.»

 Le droit de l’Union

7        Le considérant 12 du règlement énonce:

«Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. [...]»

8        Aux termes de l’article 2 du règlement:

«Aux fins du présent règlement on entend par:

[...]

7)      ‘responsabilité parentale’ l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite;

8)      ‘titulaire de la responsabilité parentale’ toute personne exerçant la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant;

9)      ‘droit de garde’ les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence;

[...]

11)      ‘déplacement ou non-retour illicites d’un enfant’ le déplacement ou le non-retour d’un enfant lorsque:

a)      il a eu lieu en violation d’un droit de garde résultant d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur en vertu du droit de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour

et

b)      sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l’un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l’enfant sans le consentement d’un autre titulaire de la responsabilité parentale.»

9        Le chapitre II du règlement comporte les règles relatives à la compétence et contient, à sa section 1, comprenant les articles 3 à 7, les règles de compétence en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation de mariage, à sa section 2, comprenant les articles 8 à 15, celles en matière de responsabilité parentale et, à sa section 3, comprenant les articles 16 à 20, des dispositions communes.

10      L’article 8 du règlement, intitulé «Compétence générale», dispose:

«1.      Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

2.      Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12.»

11      L’article 9 du règlement, intitulé «Maintien de la compétence de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant», prévoit à son paragraphe 1:

«Lorsqu’un enfant déménage légalement d’un État membre dans un autre et y acquiert une nouvelle résidence habituelle, les juridictions de l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant gardent leur compétence, par dérogation à l’article 8, durant une période de trois mois suivant le déménagement, pour modifier une décision concernant le droit de visite rendue dans cet État membre avant que l’enfant ait déménagé, lorsque le titulaire du droit de visite en vertu de la décision concernant le droit de visite continue à résider habituellement dans l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant.»

12      L’article 10 du règlement, intitulé «Compétence en cas d’enlèvement d’enfant», prévoit que, en cas de déplacement ou de non-retour illicites d’un enfant, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence, sauf si certaines conditions qu’il énonce sont remplies.

13      L’article 11 du règlement, intitulé «Retour de l’enfant», prévoit à son paragraphe 1:

«Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la convention de La Haye [de 1980] en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.»

14      Aux termes de l’article 12 du règlement, intitulé «Prorogation de compétence»:

«1.      Les juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande lorsque

a)      au moins l’un des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant

et

b)      la compétence de ces juridictions a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par les époux et par les titulaires de la responsabilité parentale, à la date à laquelle la juridiction est saisie, et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

2.      La compétence exercée conformément au paragraphe 1 prend fin dès que

a)      soit la décision faisant droit à la demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage ou la rejetant est passée en force de chose jugée;

b)      soit, dans le cas où une procédure relative à la responsabilité parentale est encore en instance à la date visée au point a), dès qu’une décision relative à la responsabilité parentale est passée en force de chose jugée;

c)      soit, dans les cas visés aux points a) et b), dès qu’il a été mis fin à la procédure pour une autre raison.

3.      Les juridictions d’un État membre sont également compétentes en matière de responsabilité parentale dans des procédures autres que celles visées au paragraphe 1 lorsque

a)      l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre

et

b)      leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

[...]»

15      L’article 19 du règlement, intitulé «Litispendance et actions dépendantes», prévoit:

«1.      Lorsque des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

2.      Lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

[...]»

16      Le chapitre III du règlement comporte les règles relatives à la reconnaissance des décisions rendues dans un État membre dans les autres États membres et à l’exécution de ces décisions. Figurant dans la section 1 de ce chapitre, portant sur la reconnaissance, l’article 24 du règlement, intitulé «Interdiction du contrôle de la compétence de la juridiction d’origine», dispose:

«Il ne peut être procédé au contrôle de la compétence de la juridiction de l’État membre d’origine. Le critère de l’ordre public visé à l’article 22, point a), et à l’article 23, point a), ne peut être appliqué aux règles de compétence visées aux articles 3 à 14.»

17      L’article 28 du règlement, figurant dans la section 2 du chapitre III portant sur la requête en déclaration de force exécutoire, prévoit à son paragraphe 1:

«Les décisions rendues dans un État membre sur l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, qui y sont exécutoires et qui ont été signifiées ou notifiées, sont mises en exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.»

 Le droit irlandais

18      Il ressort de la décision de renvoi que la loi de 1991 relative à l’enlèvement d’enfants et à l’exécution des jugements en matière de garde (Child Abduction and Enforcement of Custody Orders Act 1991), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la «loi de 1991 relative à l’enlèvement d’enfants et à l’exécution des jugements en matière de garde»), donne effet en droit irlandais à la convention de La Haye de 1980. Cette loi a été modifiée par le règlement de 2005 relatif aux Communautés européennes (jugements en matière matrimoniale et de responsabilité parentale) [European Communities (Judgments in Matrimonial Matters and Matters of Parental Responsibility) Regulations 2005] en vue de tenir compte du règlement dans les affaires relevant de la convention de La Haye de 1980 impliquant des États membres.

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

19      C, de nationalité française, et M, de nationalité britannique, se sont mariés en France le 24 mai 2008. De leur union est né également en France, le 14 juillet 2008, leur enfant. Les relations entre les parents s’étant rapidement détériorées, M a introduit une demande en divorce le 17 novembre 2008. De multiples procédures concernant l’enfant ont alors été engagées par le père et la mère en France tant avant qu’après le jugement de divorce et la saisine de la High Court (Irlande) par le père d’une demande de retour de l’enfant en France. Seuls le jugement de divorce ainsi que les faits et les procédures postérieurs sont pertinents pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

 Le jugement de divorce, les faits et les procédures judiciaires subséquents

20      Le divorce aux torts partagés des époux a été prononcé par le tribunal de grande instance d’Angoulême (France) par jugement du 2 avril 2012 (ci-après le «jugement du 2 avril 2012»). Celui-ci a fixé les effets du divorce entre les époux au 7 avril 2009, dit que l’autorité parentale sur l’enfant serait exercée en commun par les deux parents, fixé la résidence habituelle de l’enfant chez la mère à compter du 7 juillet 2012 et réglementé le droit de visite et d’hébergement au profit du père en cas de désaccord entre les parties en prévoyant des modalités différentes selon que la mère fixe sa résidence en France ou quitte le territoire français pour vivre en Irlande. Ce jugement précise que la mère est autorisée à «installer sa résidence en Irlande» et rappelle, dans son dispositif, qu’il est «exécutoire de droit par provision s’agissant des dispositions concernant l’enfant».

21      Le 23 avril 2012, C a interjeté appel de ce jugement, limitant son appel aux mesures relatives à l’enfant et à sa condamnation à verser une certaine somme à M à titre d’avance sur sa part de communauté. Le 5 juillet 2012, le premier président de la cour d’appel de Bordeaux (France) a rejeté sa demande tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire dudit jugement.

22      Le 12 juillet 2012, M est partie en Irlande avec l’enfant où les deux demeurent désormais. Selon la décision de renvoi, elle ne s’est pas conformée aux dispositions du jugement du 2 avril 2012 relatives au droit de visite et d’hébergement du père.

23      Par arrêt du 5 mars 2013, la cour d’appel de Bordeaux a infirmé le jugement du 2 avril 2012 s’agissant des dispositions relatives à la résidence de l’enfant, au droit de visite et d’hébergement et au paiement de l’avance sur la part de communauté. Elle a fixé la résidence de l’enfant au domicile du père et prévu un droit de visite et d’hébergement au profit de la mère.

24      Le 31 mars 2013, C, invoquant notamment le fait que M refuse de représenter l’enfant, a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Niort (France) d’une demande visant à ce que l’autorité parentale lui soit attribuée exclusivement, que le retour de l’enfant à son domicile soit ordonné sous astreinte et que la sortie de celui-ci du territoire français sans l’autorisation du père soit interdite. Le 10 juillet 2013, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Niort a accueilli les demandes de C.

25      Le 18 décembre 2013, C a demandé à la High Court, sur le fondement de l’article 28 du règlement, de déclarer exécutoire l’arrêt du 5 mars 2013 de la cour d’appel de Bordeaux. Cette demande a été accueillie, mais M, qui a formé, le 7 janvier 2014, un pourvoi en cassation contre cet arrêt, lequel est actuellement pendant devant la Cour de cassation (France), a sollicité le 9 mai 2014, de la High Court, une suspension de la procédure d’exécution.

 Le jugement de la High Court et la décision de renvoi

26      Le 29 mai 2013, C a saisi la High Court aux fins de voir ordonner, en vertu de l’article 12 de la convention de La Haye de 1980, des articles 10 et 11 du règlement et de la loi de 1991 relative à l’enlèvement d’enfants et à l’exécution des jugements en matière de garde, le retour de l’enfant en France et déclarer que la mère a retenu illicitement celui-ci en Irlande.

27      Par arrêt du 13 août 2013, la High Court a rejeté ces demandes en relevant, en substance, que le déplacement de l’enfant en Irlande était licite comme étant intervenu sur le fondement d’un jugement d’une juridiction française autorisant ce déplacement, que la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du 2 avril 2012 avait été rejetée, que ce jugement était définitif, n’étant ni une ordonnance de référé ni une décision temporaire ou provisoire, et qu’il n’avait pas été modifié ni infirmé en appel dans le délai de trois mois visé à l’article 9 du règlement. Elle en a conclu que la résidence habituelle de l’enfant n’était pas devenue conditionnelle du fait de l’appel formé par C contre ce jugement et que la solution du litige dont elle était saisie dépendait essentiellement d’une appréciation d’ordre factuel, rien dans la notion de «résidence habituelle» ne s’opposant à ce que celle-ci soit modifiée et le règlement envisageant d’ailleurs la situation où un tel changement intervient avant le transfert de juridiction. Au regard des éléments de fait, elle a estimé que l’enfant avait en l’occurrence sa résidence habituelle en Irlande depuis que sa mère l’avait emmené dans cet État membre avec l’intention de s’y établir.

28      C a interjeté appel de ce jugement le 10 octobre 2013 en faisant notamment valoir que le fait que le déplacement de l’enfant en Irlande était licite ne signifie pas que sa résidence habituelle a changé, qu’un déplacement licite n’exclut pas un non-retour illicite, que le jugement du 2 avril 2012 était assorti de l’exécution provisoire et donc temporaire tant que l’appel formé contre ce jugement était encore pendant, que la mère n’a pas indiqué devant les juridictions françaises qu’elle avait l’intention d’assurer la garde de l’enfant en Irlande, qu’elle n’a jamais contesté la compétence des juridictions françaises ni fait valoir que la résidence habituelle de l’enfant avait changé, que la claire intention de ces juridictions est de conserver leur compétence concernant le droit de garde, que les juridictions irlandaises sont liées par les décisions des juridictions françaises qui sont les premières saisies et restent compétentes en ce qui concerne la garde et, enfin, que la High Court a fait une interprétation erronée de l’article 9 du règlement.

29      M, en réponse, fait valoir notamment que la résidence habituelle de l’enfant doit être examinée au regard des faits et que, en l’occurrence, elle a changé après son déplacement en Irlande, conformément au jugement du 2 avril 2012 qui lui permettait de décider seule du lieu de résidence de l’enfant de sorte qu’il n’y a eu aucune violation des droits de garde. Ni la nature de ce jugement ni l’appel interjeté contre celui-ci n’empêchent, selon elle, un tel changement de résidence dans les faits. Elle se réfère, en ce qui concerne la notion de résidence habituelle, aux arrêts de la Cour A (C‑523/07, EU:C:2009:225) et Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829).

30      La juridiction de renvoi expose que le litige au principal soulève des questions d’interprétation des articles 2, 12, 19 et 24 du règlement. Elle relève que les juridictions françaises ont été les premières saisies au sens du règlement, que leur compétence a été acceptée d’une manière non équivoque par les deux parents lorsqu’elles ont été saisies et qu’elles affirment être restées compétentes en ce qui concerne la responsabilité parentale en dépit de la présence de l’enfant en Irlande. Si tel est le cas, la mère a, selon elle, retenu illicitement l’enfant dès la première violation du droit de visite et d’hébergement fixé par le jugement du 2 avril 2012. Elle s’interroge, dès lors, sur la question de savoir si cette compétence a cessé ou non au regard des dispositions de l’article 12, paragraphe 2, sous b), ou de l’article 12, paragraphe 3, sous a) et b), du règlement. Selon elle, l’article 19, paragraphe 2, du règlement trouve à s’appliquer.

31      Elle expose également, en se référant aux arrêts A (EU:C:2009:225) et Mercredi (EU:C:2010:829), que la notion de résidence habituelle, qui n’est pas définie par le règlement, est toujours une question de fait et que doivent notamment être prises en considération les conditions et les raisons du séjour sur le territoire de l’État membre concerné. Devrait donc être tranchée la question de savoir si les juridictions françaises sont restées saisies ou si la mère et l’enfant étaient autorisés, au regard du droit de l’Union, à établir leur résidence habituelle en Irlande.

32      Dans ces conditions, la Supreme Court a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’existence de la procédure française relative à la garde de l’enfant s’oppose-t-elle, dans les circonstances de l’espèce, à l’établissement de la résidence habituelle de l’enfant en Irlande?

2)      Le père ou les juridictions françaises continuent-ils de conserver des droits de garde concernant l’enfant de sorte à rendre illicite la retenue de l’enfant en Irlande?

3)      Les juridictions irlandaises sont-elles en droit d’examiner la question de la résidence habituelle de l’enfant lorsque celui-ci a résidé en Irlande depuis le mois de juillet 2012, date à laquelle son déplacement vers l’Irlande ne violait pas le droit français?»

 

 Sur la procédure d’urgence

 

33      La Supreme Court a demandé que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour au motif que le considérant 17 du règlement énonce que, en cas de déplacement ou de non-retour illicites d’un enfant, son retour doit être obtenu sans délai.

34      À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que le renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation du règlement qui a été adopté en particulier sur le fondement de l’article 61, sous c), CE, désormais article 67 TFUE, qui figure au titre V de la troisième partie du traité FUE, relative à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, de sorte que ledit renvoi relève du champ d’application de la procédure préjudicielle d’urgence défini à l’article 107 du règlement de procédure.

35      En second lieu, il ressort de la décision de renvoi que, alors que l’autorité parentale sur l’enfant a été attribuée aux deux parents par le jugement du 2 avril 2012, qu’un droit de visite et d’hébergement avait été accordé au père par ce jugement et que l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 5 mars 2013, infirmant partiellement ledit jugement, a fixé la résidence de l’enfant au domicile du père, ce dernier est privé d’un contact régulier avec son enfant, âgé aujourd’hui de six ans, depuis le déplacement de celui-ci en Irlande le 12 juillet 2012. Le renvoi préjudiciel intervenant dans le cadre d’un litige ayant pour objet une demande de retour de l’enfant en France formée par le père et les réponses aux questions posées étant déterminantes pour la solution de ce litige, une issue tardive de ce dernier pourrait nuire au rétablissement des relations entre l’enfant et le père et, en cas de retour en France, à l’intégration de l’enfant dans son nouvel environnement familial et social.

36      Dans ces conditions, la troisième chambre de la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre la demande de décision préjudicielle à la procédure d’urgence.

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur les dispositions pertinentes du règlement

37      Il convient d’observer, en premier lieu, qu’il n’y a aucun conflit ou risque de conflit de compétence entre les juridictions françaises et irlandaises dans le litige au principal, de sorte que les dispositions des articles 12 et 19 du règlement dont fait état la juridiction de renvoi ne sont pas pertinentes pour la solution de ce litige.

38      En effet, il est constant, d’une part, que l’enfant résidait habituellement en France au moment où le tribunal de grande instance d’Angoulême et la cour d’appel de Bordeaux ont été saisis, de sorte que, conformément à l’article 8 du règlement, ces juridictions étaient compétentes pour statuer sur les dispositions relatives à la responsabilité parentale.

39      D’autre part, il convient de constater que la High Court a été saisie, le 29 mai 2013, d’une demande de retour de l’enfant en France, sur le fondement de l’article 12 de la convention de La Haye de 1980, des articles 10 et 11 du règlement et de la loi de 1991 relative à l’enlèvement d’enfants et à l’exécution des jugements en matière de garde.

40      Une telle action, qui a pour objet le retour, dans l’État membre d’origine, de l’enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un autre État membre, ne porte pas sur le fond de la responsabilité parentale et n’a donc pas le même objet ni la même cause qu’une action tendant à ce qu’il soit statué sur celui-ci (voir arrêt Purrucker, C‑296/10, EU:C:2010:665, point 68). En outre, selon l’article 19 de la convention de La Haye de 1980, la décision sur le retour rendue dans le cadre de ladite convention n’affecte pas le fond du droit de garde. Il ne saurait donc exister de litispendance entre de telles actions.

41      Il y a lieu d’ajouter que l’article 10 du règlement, de même, ne s’applique pas dans l’affaire au principal, cette dernière ne portant pas sur le fond de la responsabilité parentale.

42      Force est de constater, en deuxième lieu, que ne sont pas davantage pertinentes pour la solution du litige au principal les dispositions de l’article 9 du règlement, auquel s’est référée la High Court dans son arrêt du 13 août 2013 et qui est relatif au maintien pendant une certaine période de la compétence des juridictions de l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant concernant le droit de visite, ni celles de l’article 24 du règlement dont fait état la juridiction de renvoi, lequel relève, dans le chapitre III du règlement, de la section I relative à la reconnaissance des décisions rendues dans un État membre. En effet, ainsi qu’il découle des constatations précédentes, le litige au principal ne soulève pas une question de compétence pour statuer sur un droit de visite ni une question de reconnaissance d’une décision d’une juridiction française en Irlande.

43      Il y a lieu de relever, en troisième lieu, que sont pertinents en revanche l’article 2, point 11, du règlement, qui définit la notion de «déplacement ou non-retour illicites d’un enfant», ainsi que l’article 11 du règlement, qui complète les dispositions de la convention de La Haye de 1980 et s’applique lorsque, comme dans l’affaire au principal, une juridiction de l’Union européenne est saisie, sur le fondement de cette convention, d’une demande de retour dans un État membre d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un autre État membre.

 Sur les première et troisième questions

44      À titre liminaire, il convient de souligner que, dans l’affaire au principal, l’enfant a été déplacé de France en Irlande de manière licite, à la suite du jugement du 2 avril 2012 qui a fixé la résidence habituelle de l’enfant au domicile de la mère et qui a autorisé cette dernière à «installer sa résidence en Irlande». Ce jugement, ainsi que l’a indiqué le gouvernement français en réponse à la demande de précisions adressée par la Cour et lors de l’audience, n’avait pas force de chose jugée, car il était susceptible d’appel, mais ses dispositions concernant l’enfant étaient exécutoires à titre provisoire. Ledit jugement, qui a été frappé d’appel avant le déplacement de l’enfant, a été infirmé, près de huit mois après le déplacement de l’enfant en Irlande, par l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 5 mars 2013, lequel a fixé la résidence de l’enfant au domicile de son père demeurant en France. Cet arrêt, contre lequel M a formé un pourvoi en cassation, est, selon les indications du gouvernement français, exécutoire et a force de chose jugée, le pourvoi en cassation n’ayant pas d’effet suspensif en droit français.

45      Dès lors, eu égard aux considérations exposées aux points 37 à 43 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que, par ses première et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 2, point 11, et 11 du règlement doivent être interprétés en ce sens que, dans la circonstance où le déplacement de l’enfant a eu lieu conformément à une décision judiciaire exécutoire provisoirement qui a ensuite été infirmée par une décision judiciaire fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans l’État membre d’origine, la juridiction de l’État membre où l’enfant a été déplacé, saisie d’une demande de retour de l’enfant, doit vérifier, en procédant à une évaluation de l’ensemble des circonstances particulières du cas d’espèce, si l’enfant avait encore sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine immédiatement avant le non-retour illicite allégué.

46      À cet égard, il convient de relever que, selon la définition du déplacement ou du non-retour illicites donnée à l’article 2, point 11, du règlement dans des termes très semblables à ceux de l’article 3 de la convention de La Haye de 1980, le déplacement ou le non-retour, pour être considéré comme illicite au sens du règlement, doit avoir eu lieu en violation d’un droit de garde résultant d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, en vertu du droit de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour.

47      Il découle de cette définition que l’existence d’un déplacement ou d’un non-retour illicites au sens de l’article 2, point 11, du règlement suppose que l’enfant avait sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine immédiatement avant son déplacement ou son non-retour et résulte de la violation du droit de garde attribué en vertu du droit de cet État membre.

48      Quant à l’article 11, paragraphe 1, du règlement, il prévoit que les paragraphes 2 à 8 de cet article sont d’application lorsque le titulaire de la garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la convention de La Haye de 1980 en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans «un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites». Il s’en déduit que tel n’est pas le cas si l’enfant n’avait pas sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine immédiatement avant son déplacement ou son non-retour.

49      Il ressort, par conséquent, tant de l’article 2, point 11, que de l’article 11, paragraphe 1, du règlement que ce dernier article ne peut trouver à s’appliquer aux fins d’accueillir la demande de retour que si l’enfant avait, immédiatement avant le non-retour illicite allégué, sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine.

50      S’agissant de la notion de «résidence habituelle», la Cour a déjà constaté, en interprétant l’article 8 du règlement dans l’arrêt A (EU:C:2009:225) et les articles 8 et 10 du règlement dans l’arrêt Mercredi (EU:C:2010:829), que le règlement ne comporte aucune définition de cette notion et a considéré que le sens et la portée de celle-ci doivent être déterminés, notamment, selon l’objectif qui ressort du considérant 12 du règlement, selon lequel les règles de compétence qu’il établit sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et, en particulier, du critère de proximité (arrêts A, EU:C:2009:225, points 31 et 35, ainsi que Mercredi, EU:C:2010:829, points 44 et 46).

51      Dans ces arrêts, la Cour a également jugé que la résidence habituelle de l’enfant doit être établie par la juridiction nationale en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait particulières de chaque cas d’espèce (arrêts A, EU:C:2009:225, points 37 et 44, ainsi que Mercredi, EU:C:2010:829, points 47 et 56). Elle a considéré à cet égard que, outre la présence physique de l’enfant dans un État membre, doivent être retenus d’autres facteurs susceptibles de faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel et que la résidence de l’enfant correspond au lieu qui traduit une certaine intégration dans un environnement social et familial (arrêts A, EU:C:2009:225, points 38 et 44, ainsi que Mercredi, EU:C:2010:829, points 47, 49 et 56).

52      La Cour a précisé que, à cette fin, doivent être notamment pris en compte la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d’un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux de l’enfant dans ledit État (arrêts A, EU:C:2009:225, points 39 et 44, ainsi que Mercredi, EU:C:2010:829, points 48, 49 et 56). Elle a également considéré que l’intention des parents ou de l’un des deux de s’établir avec l’enfant dans un autre État membre, exprimée par certaines mesures tangibles telles que l’acquisition ou la location d’un logement dans cet État membre, peut constituer un indice du transfert de la résidence habituelle de l’enfant (voir arrêts A, EU:C:2009:225, points 40 et 44, ainsi que Mercredi, EU:C:2010:829, point 50).

53      En outre, aux points 51 à 56 de l’arrêt Mercredi (EU:C:2010:829), la Cour a jugé que la durée du séjour ne peut servir que d’indice dans le cadre de l’évaluation de l’ensemble des circonstances de fait particulières du cas d’espèce et a précisé les éléments à prendre notamment en considération lorsque l’enfant est en bas âge.

54      La notion de «résidence habituelle» de l’enfant figurant aux articles 2, point 11, et 11 du règlement ne saurait avoir un contenu différent de celui explicité dans les arrêts susmentionnés à propos des articles 8 et 10 du règlement. Dès lors, il découle des considérations exposées aux points 46 à 53 du présent arrêt qu’il incombe à la juridiction de l’État membre où l’enfant a été déplacé, saisie d’une demande de retour fondée sur la convention de La Haye de 1980 et l’article 11 du règlement, de vérifier si l’enfant avait sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine immédiatement avant le déplacement ou le non-retour illicites allégués en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait particulières du cas d’espèce, suivant les critères d’appréciation donnés dans ces arrêts.

55      En examinant notamment les raisons du séjour de l’enfant dans l’État membre où il a été déplacé et l’intention du parent qui l’y a emmené, il importe, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, de tenir compte du fait que la décision judiciaire autorisant le déplacement pouvait être exécutée provisoirement et qu’elle était frappée d’appel. En effet, ces éléments ne militent pas en faveur d’une constatation d’un transfert de la résidence habituelle de l’enfant dès lors que ladite décision avait un caractère provisoire et que ce parent ne pouvait être certain, au moment du déplacement, que le séjour dans cet État membre ne serait pas temporaire.

56      Eu égard à la nécessité d’assurer la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, ces éléments sont, dans le cadre de l’évaluation de l’ensemble des circonstances particulières du cas d’espèce, à mettre en balance avec d’autres éléments de fait pouvant démontrer une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial depuis son déplacement, tels que ceux mentionnés au point 52 du présent arrêt et, en particulier, le temps écoulé entre ce déplacement et la décision judiciaire annulant la décision de première instance et fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans l’État membre d’origine. En revanche, le temps passé depuis cette décision ne saurait en aucun cas être pris en considération.

57      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux première et troisième questions que les articles 2, point 11, et 11 du règlement doivent être interprétés en ce sens que, dans la circonstance où le déplacement de l’enfant a eu lieu conformément à une décision judiciaire exécutoire provisoirement qui a ensuite été infirmée par une décision judiciaire fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans l’État membre d’origine, la juridiction de l’État membre où l’enfant a été déplacé, saisie d’une demande de retour de l’enfant, doit vérifier, en procédant à une évaluation de l’ensemble des circonstances particulières du cas d’espèce, si l’enfant avait encore sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine immédiatement avant le non-retour illicite allégué. Dans le cadre de cette évaluation, il importe de tenir compte du fait que la décision judiciaire autorisant le déplacement pouvait être exécutée provisoirement et qu’elle était frappée d’appel.

 Sur la deuxième question

58      Le gouvernement français et la Commission estimant que la recevabilité de la deuxième question est sujette à caution dans la mesure où celle-ci porte sur l’interprétation de la convention de La Haye de 1980, il doit être observé que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 54 à 57 de sa prise de position, le règlement reprenant en certaines de ses dispositions les termes de ladite convention ou se référant à celle-ci, l’interprétation sollicitée est nécessaire à une application uniforme du règlement et de ladite convention au sein de l’Union et n’apparaît pas dépourvue de pertinence pour la solution du litige au principal (voir, en ce sens, arrêt McB., C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, points 32 à 37).

59      À titre liminaire, sur le fond, il convient de relever, premièrement, que le gouvernement français a indiqué, lors de l’audience, qu’une juridiction ne pouvait, en droit français, être titulaire du droit de garde.

60      Deuxièmement, dans la mesure où la juridiction de renvoi semble lier la question de la compétence des juridictions françaises pour statuer sur le droit de garde de l’enfant et celle du caractère illicite du non-retour, il doit être observé que, ainsi qu’il a été relevé au point 38 du présent arrêt, la cour d’appel de Bordeaux était compétente en vertu de l’article 8 du règlement lorsqu’elle a fixé, par son arrêt du 5 mars 2013, la résidence de l’enfant au domicile du père. Cependant, cela ne préjuge pas du caractère illicite, au sens du règlement, du non-retour de l’enfant, un tel caractère découlant non pas de la compétence, en soi, des juridictions de l’État membre d’origine, mais, ainsi que cela a été constaté au point 47 du présent arrêt, d’une violation du droit de garde attribué en vertu du droit de l’État membre d’origine.

61      Troisièmement, il convient de souligner que l’article 2, point 11, du règlement n’inclut pas dans la définition du «déplacement ou non-retour illicites» la violation d’un droit de visite et d’hébergement.

62      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement doit être interprété en ce sens que, dans la circonstance où le déplacement de l’enfant a eu lieu conformément à une décision judiciaire exécutoire provisoirement qui a ensuite été infirmée par une décision judiciaire fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans l’État membre d’origine, le non-retour de l’enfant dans cet État membre à la suite de cette seconde décision est illicite, de sorte que l’article 11 du règlement trouve à s’appliquer.

63      À cet égard, il suffit de constater que constitue une violation d’un droit de garde, au sens du règlement, le non-retour de l’enfant dans l’État membre d’origine à la suite d’une décision judiciaire de cet État membre fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans ledit État membre, le droit de garde comprenant, selon l’article 2, point 9, du règlement, le droit de décider du lieu de résidence de l’enfant. Dès lors, le non-retour de l’enfant en violation d’une telle décision est illicite au sens du règlement. L’article 11 de celui-ci trouve alors à s’appliquer si l’enfant avait, immédiatement avant ce non-retour, sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine.

64      S’il est considéré que cette condition de résidence n’est pas remplie, la décision de rejet de la demande de retour fondée sur l’article 11 du règlement, n’affectant pas le fond du droit de garde sur lequel la juridiction de l’État membre d’origine a déjà statué, est prise sans préjudice de l’application des règles relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions rendues dans un État membre établies au chapitre III du règlement.

65      Ainsi, dans l’affaire au principal, le non-retour de l’enfant en France constitue une violation du droit de garde, au sens du règlement, résultant de l’arrêt du 5 mars 2013 de la cour d’appel de Bordeaux. Cela a pour conséquence que ce non-retour est illicite, au sens du règlement, et que l’article 11 de celui-ci peut être appliqué aux fins d’accueillir la demande de retour s’il est considéré, par la juridiction irlandaise compétente, que l’enfant avait, immédiatement avant cet arrêt, sa résidence habituelle en France. Si cette juridiction estime au contraire que l’enfant avait à ce moment sa résidence habituelle en Irlande, sa décision rejetant la demande de retour sera prise sans préjudice de l’application des règles du chapitre III du règlement en vue d’obtenir l’exécution dudit arrêt.

66      Dans cette dernière hypothèse, il y a lieu de rappeler que, conformément au considérant 21 du règlement, celui-ci est fondé sur la conception selon laquelle la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans un État membre doivent reposer sur le principe de la confiance mutuelle et les motifs de non-reconnaissance doivent être réduits au minimum nécessaire (arrêt Rinau, C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 50).

67      La circonstance que la résidence habituelle de l’enfant ait pu changer à la suite d’un jugement de première instance, au cours de la procédure d’appel, et que ce changement soit, le cas échéant, constaté par la juridiction saisie d’une demande de retour fondée sur la convention de La Haye de 1980 et l’article 11 du règlement, ne saurait constituer un élément dont le parent qui retient un enfant en violation d’un droit de garde puisse se prévaloir pour prolonger la situation de fait créée par son comportement illicite et pour s’opposer à l’exécution de la décision rendue dans l’État membre d’origine sur l’exercice de la responsabilité parentale, qui y est exécutoire et qui a été signifiée ou notifiée. En effet, considérer que la constatation du changement de la résidence habituelle de l’enfant effectuée par la juridiction saisie d’une telle demande permette de prolonger cette situation de fait et de faire obstacle à l’exécution d’une telle décision constituerait un contournement du mécanisme établi par la section 2 du chapitre III du règlement et viderait celui-ci de son sens.

68      De même, dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, l’introduction d’un recours contre une telle décision rendue par l’État membre d’origine sur l’exercice de la responsabilité parentale ne saurait avoir de conséquence sur l’exécution de cette décision.

69      En conséquence de tout ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que le règlement doit être interprété en ce sens que, dans la circonstance où le déplacement de l’enfant a eu lieu conformément à une décision judiciaire exécutoire provisoirement qui a ensuite été infirmée par une décision judiciaire fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans l’État membre d’origine, le non-retour de l’enfant dans cet État membre à la suite de cette seconde décision est illicite et l’article 11 du règlement trouve à s’appliquer s’il est considéré que l’enfant avait encore sa résidence habituelle dans ledit État membre immédiatement avant ce non-retour. S’il est considéré, au contraire, que l’enfant n’avait plus à ce moment sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine, la décision rejetant la demande de retour fondée sur cette disposition est prise sans préjudice de l’application des règles relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions rendues dans un État membre établies au chapitre III du règlement.

 

 Sur les dépens

 

70      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      Les articles 2, point 11, et 11 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, doivent être interprétés en ce sens que, dans la circonstance où le déplacement de l’enfant a eu lieu conformément à une décision judiciaire exécutoire provisoirement qui a ensuite été infirmée par une décision judiciaire fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans l’État membre d’origine, la juridiction de l’État membre où l’enfant a été déplacé, saisie d’une demande de retour de l’enfant, doit vérifier, en procédant à une évaluation de l’ensemble des circonstances particulières du cas d’espèce, si l’enfant avait encore sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine immédiatement avant le non-retour illicite allégué. Dans le cadre de cette évaluation, il importe de tenir compte du fait que la décision judiciaire autorisant le déplacement pouvait être exécutée provisoirement et qu’elle était frappée d’appel.

2)      Le règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens que, dans la circonstance où le déplacement de l’enfant a eu lieu conformément à une décision judiciaire exécutoire provisoirement qui a ensuite été infirmée par une décision judiciaire fixant la résidence de l’enfant au domicile du parent demeurant dans l’État membre d’origine, le non-retour de l’enfant dans cet État membre à la suite de cette seconde décision est illicite et l’article 11 de ce règlement trouve à s’appliquer s’il est considéré que l’enfant avait encore sa résidence habituelle dans ledit État membre immédiatement avant ce non-retour. S’il est considéré, au contraire, que l’enfant n’avait plus à ce moment sa résidence habituelle dans l’État membre d’origine, la décision rejetant la demande de retour fondée sur cette disposition est prise sans préjudice de l’application des règles relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions rendues dans un État membre établies au chapitre III du même règlement.

Signatures


Langue de procédure: l’anglais.

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