ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
6 octobre 2015 (*)
«Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) n° 2201/2003 – Litispendance – Articles 16 et 19, paragraphes 1 et 3 – Procédure de séparation de corps dans un premier État membre et procédure de divorce dans un second État membre – Compétence de la juridiction première saisie – Notion de compétence ‘établie’ – Extinction de la première procédure et introduction d’une nouvelle procédure de divorce dans le premier État membre – Conséquences – Décalage horaire entre les États membres – Effets sur la procédure de saisine des juridictions»
Dans l’affaire C‑489/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume-Uni], par décision du 31 octobre 2014, parvenue à la Cour le 4 novembre 2014, dans la procédure
A
contre
B,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,
avocat général: M. P. Cruz Villalón,
greffier: M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er juin 2015,
considérant les observations présentées:
– pour A, par M. T. Amos, QC, et M. H. Clayton, barrister,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. M. Holt, en qualité d’agent, assisté de Mme M. Gray, barrister,
– pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2015,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Madame A à Monsieur B au sujet de leur divorce.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement n° 2201/2003
3 L’article 3 du règlement n° 2201/2003, intitulé «Compétence générale», énonce, à son paragraphe 1, les règles de compétence juridictionnelles applicables en fonction du lieu de résidence de l’un ou des deux époux, de leur nationalité ou, dans le cas du Royaume-Uni, du «domicile» commun.
4 L’article 16 de ce règlement, intitulé «Saisine d’une juridiction», dispose:
«Une juridiction est réputée saisie:
a) à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur;
ou
b) si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.»
5 L’article 19 dudit règlement, intitulé «Litispendance et actions dépendantes», dispose:
«1. Lorsque des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.
2. Lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.
3. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci.
Dans ce cas, la partie ayant introduit l’action auprès de la juridiction saisie en second lieu peut porter cette action devant la juridiction première saisie.»
Le règlement (CE) n° 44/2001
6 Le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1) a été abrogé par le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 351, p. 1).
7 L’article 27 du règlement n° 44/2001, qui faisait partie de la section 9 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Litispendance et connexité», prévoyait:
«1. Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.
2. Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.»
La convention de Bruxelles
8 Le règlement n° 44/2001 a remplacé, dans les relations entre les États membres, la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la «convention de Bruxelles»).
9 L’article 21 de la convention de Bruxelles qui figurait sous la section 8, intitulée «Litispendance et connexité», du titre II de celle-ci, disposait:
«Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États contractants différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.
Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.»
Le droit français
10 L’article 1111 du code de procédure civile dispose:
«Lorsqu’il constate, après avoir entendu chacun des époux sur le principe de la rupture, que le demandeur maintient sa demande, le juge rend une ordonnance par laquelle il peut soit renvoyer les parties, conformément à l’article 252-2 du code civil, à une nouvelle tentative de conciliation, soit autoriser immédiatement les époux à introduire l’instance en divorce.
Dans l’un et l’autre cas, il peut ordonner tout ou partie des mesures provisoires prévues aux articles 254 à 257 du code civil.
Lorsqu’il autorise à introduire l’instance, le juge rappelle dans son ordonnance les délais prévus à l’article 1113 du présent code.»
11 L’article 1113 dudit code est ainsi rédigé:
«Dans les trois mois du prononcé de l’ordonnance, seul l’époux qui a présenté la requête initiale peut assigner en divorce.
En cas de réconciliation des époux ou si l’instance n’a pas été introduite dans les trente mois du prononcé de l’ordonnance, toutes ses dispositions sont caduques, y compris l’autorisation d’introduire l’instance.»
12 Aux termes de l’article 1129 du même code, «[l]a procédure de la séparation de corps obéit aux règles prévues pour la procédure du divorce».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 Madame A et Monsieur B, ressortissants français, se sont mariés en France le 27 février 1997 après avoir conclu un contrat de mariage de droit français sous le régime de la séparation des biens. Ils se sont installés au Royaume-Uni au cours de l’année 2000. Le couple a donné naissance à deux enfants, des jumeaux, en 1999, et à un troisième enfant en 2001. La famille a continué de résider au Royaume-Uni jusqu’au mois de juin 2010, date à laquelle les époux se sont séparés à la suite du départ de Monsieur B du domicile conjugal.
14 Le 30 mars 2011, Monsieur B a introduit une requête en séparation de corps devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre (France).
15 Le 19 mai 2011, en réaction à cette procédure initiée par son mari, Madame A a saisi l’Agence pour le soutien à l’enfance (Child support Agency) d’une demande d’aliments pour les enfants dont elle supporte la charge puis a introduit une demande de divorce ainsi qu’une demande distincte de pension alimentaire devant les juridictions du Royaume-Uni le 24 mai 2011.
16 La High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille] s’est toutefois dessaisie de la demande de divorce, le 7 novembre 2012, sur le fondement de l’article 19 du règlement n° 2201/2003, avec le consentement de Madame A.
17 Le 15 décembre 2011, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre a rendu une ordonnance de non-conciliation et a déclaré que les questions concernant les enfants, y compris les demandes d’obligations alimentaires, devaient être traitées au Royaume-Uni, mais que les juridictions françaises étaient compétentes pour adopter certaines mesures provisoires. Elle a ordonné que Monsieur B verse à Madame A une pension mensuelle de 5 000 euros. Cette ordonnance a été confirmée en appel par une décision de la cour d’appel de Versailles (France) du 22 novembre 2012.
18 La juridiction de renvoi précise que, faute d’assignation dans le délai de 30 mois courant à compter du prononcé de l’ordonnance de non-conciliation rendue par la juridiction française, les dispositions de celle-ci ont été frappées de caducité le 16 juin 2014 à minuit.
19 Le 17 décembre 2012, Monsieur B a introduit une demande de divorce devant une juridiction française. Toutefois, sa demande a été déclarée irrégulière le 11 juillet 2013 au motif qu’elle ne pouvait pas prospérer, une procédure de séparation de corps étant en cours.
20 Le 13 juin 2014, Madame A a introduit une nouvelle demande de divorce devant une juridiction du Royaume-Uni. La juridiction de renvoi précise que Madame A avait tenté d’obtenir, en vain, que cette demande ne prenne effet qu’à compter d’une minute après minuit, le 17 juin 2014.
21 À 8 h 20, heure française, le 17 juin 2014, Monsieur B a, à son tour, introduit une seconde demande de divorce devant une juridiction française. La juridiction de renvoi observe qu’il était 7 h 20 au Royaume-Uni et qu’il n’était pas possible, à cette heure, d’introduire un recours devant une juridiction du Royaume-Uni.
22 Le 9 octobre 2014, Monsieur B a sollicité de la juridiction de renvoi la radiation ou le rejet de la demande de divorce introduite par Madame A au Royaume-Uni, au motif que la compétence des juridictions françaises était établie, sans ambiguïté ni contestation possible, au sens de l’article 19, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003.
23 La juridiction de renvoi estime que Monsieur B a cherché, en saisissant les juridictions françaises de demandes de divorce, à empêcher que Madame A puisse entamer une procédure de divorce au Royaume-Uni. Il n’aurait ainsi pas renoncé à sa demande en séparation de corps avant d’introduire une demande de divorce en France pour éviter que, dans l’intervalle entre les deux procédures afférentes à ces demandes, Madame A puisse valablement introduire une demande de divorce au Royaume-Uni et obtenir une décision d’une juridiction de cet État membre portant sur l’ensemble des questions liées au divorce, notamment en matière patrimoniale. Selon la juridiction de renvoi, Monsieur B a, au mépris de l’intention du législateur de l’Union européenne, abusé, par ses choix procéduraux, des droits qu’il tenait du règlement n° 2201/2003.
24 La juridiction de renvoi constate que Monsieur B n’a pratiquement pris aucune initiative dans la procédure de séparation de corps et s’interroge, dans ces conditions, sur le point de savoir s’il peut être considéré que la compétence de la juridiction française a été «établie» au sens de l’article 19, paragraphes 1 et 3, dudit règlement.
25 C’est dans ces conditions que la High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Aux fins de l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 2201/2003, comment faut-il entendre le terme ‘établie’ dans une situation où:
a) dans la procédure devant la juridiction saisie en premier lieu (‘la première procédure’), la partie demanderesse ne prend pratiquement aucune initiative après la première audience et en particulier ne lance pas d’assignation dans le délai de caducité de la requête, de telle sorte que la première procédure s’achève sans qu’une décision ait été prise, par écoulement du délai imparti, conformément au droit (français) local applicable à la première procédure, à savoir 30 mois après l’audience de conciliation;
b) la première procédure s’éteint, comme indiqué ci-dessus, très peu de temps (trois jours) après que la procédure devant la juridiction saisie en second lieu (‘la seconde procédure’) est lancée en Angleterre, de telle sorte qu’il n’y a pas de jugement prononcé en France ni aucun danger de décisions inconciliables entre la première procédure et la seconde procédure;
c) le fuseau horaire du Royaume-Uni fait que la partie demanderesse dans la première procédure pourrait toujours, après l’extinction de celle-ci, lancer une procédure de divorce en France avant que la partie demanderesse (dans la seconde procédure) ne puisse lancer une procédure de divorce en Angleterre?
2) En particulier, le terme ‘établie’ signifie-t-il que la partie demanderesse dans la première procédure doive agir pour faire avancer la première procédure avec diligence et célérité vers un règlement (judiciaire ou conventionnel) ou est-ce que, après avoir établi la compétence de la juridiction de son choix au titre des articles 3 et 19, paragraphe 1, [du règlement n° 2201/2003], cette partie est libre de s’abstenir de toute initiative concrète pour régler le litige dans la première procédure, se satisfaisant d’avoir paralysé la seconde procédure et créé une situation sans issue dans l’ensemble du litige?»
Sur les questions préjudicielles
26 Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’agissant de procédures de séparation de corps et de divorce engagées entre les mêmes parties devant des juridictions de deux États membres, si l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens que, dans une situation, telle que celle en cause au principal, où la procédure devant la juridiction première saisie dans le premier État membre s’est éteinte après la saisine de la seconde juridiction dans le second État membre, la compétence de la juridiction première saisie doit être considérée comme n’étant pas établie. La juridiction de renvoi demande en particulier si, afin de répondre à cette question, la circonstance que ladite extinction soit intervenue très peu de temps avant l’introduction d’une troisième procédure devant une juridiction du premier État membre, le comportement de la partie demanderesse dans la première procédure, notamment son absence de diligence, et l’existence d’un décalage horaire entre les États membres concernés, lequel permettrait la saisine des juridictions du premier État membre avant la saisine de celles du second État membre, sont pertinents.
27 Il convient de constater d’emblée que l’article 19 du règlement n° 2201/2003 est rédigé dans des termes proches de ceux utilisés à l’article 27 du règlement n° 44/2001, lequel a remplacé l’article 21 de la convention de Bruxelles, et met en place un mécanisme équivalent à celui prévu à ces deux derniers articles pour traiter des cas de litispendance. Il y a lieu par conséquent de tenir compte des considérations de la Cour relatives à ces derniers.
28 À cet égard, il importe de relever que, à l’instar de l’article 27 du règlement n° 44/2001 et de l’article 21 de la convention de Bruxelles, la notion de «compétence établie» figurant à l’article 19 du règlement n° 2201/2003 doit être interprétée de façon autonome, en se référant au système et à la finalité de l’acte qui la comprend (voir, en ce sens, arrêts Shearson Lehman Hutton, C‑89/91, EU:C:1993:15, point 13, ainsi que Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate Solutions assurances, C‑1/13, EU:C:2014:109, point 32).
29 S’agissant de la finalité des règles de litispendance inscrites à l’article 19 du règlement n° 2201/2003, il convient de relever que ces règles visent à éviter des procédures parallèles devant les juridictions de différents États membres et la contrariété de décisions qui pourraient en résulter (voir arrêt Purrucker, C‑296/10, EU:C:2010:665, point 64). À cet effet, le législateur de l’Union a entendu mettre en place un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance (voir, par analogie, s’agissant du règlement n° 44/2001, arrêt Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate Solutions assurances, C‑1/13, EU:C:2014:109, point 40).
30 Ainsi qu’il ressort des termes «juridiction première saisie» et «juridiction saisie en second lieu» figurant à l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 2201/2003, ce mécanisme se fonde sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions ont été saisies.
31 Afin de déterminer le moment où une juridiction est réputée saisie et par là même d’établir quelle est la juridiction première saisie, il convient de se référer à l’article 16 dudit règlement intitulé «Saisine d’une juridiction».
32 Aux termes de cet article 16, une juridiction est réputée saisie, selon l’option choisie dans le droit national applicable, soit à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, soit, si cet acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité compétente. La juridiction ne sera toutefois réputée saisie qu’à la condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que, dans la première option, l’acte soit notifié ou signifié au défendeur ou, dans la seconde option, l’acte soit déposé auprès de la juridiction.
33 Pour déterminer ensuite si une situation de litispendance existe, il ressort des termes de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 que, contrairement aux règles de l’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, applicables aux matières civile et commerciale, en matière matrimoniale, une identité de cause et d’objet des demandes formées devant des juridictions d’États membres différents n’est pas requise. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 76 de ses conclusions, s’il importe que les demandes concernent les mêmes parties, celles-ci peuvent avoir un objet distinct, pourvu qu’elles portent sur une séparation de corps, un divorce ou une annulation de mariage. Cette interprétation est corroborée par la comparaison entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 19 du règlement n° 2201/2003 qui révèle que seul ce paragraphe 2, concernant des actions relatives à la responsabilité parentale, subordonne son application à une identité d’objet et de cause des actions introduites. Par conséquent, une situation de litispendance peut exister lorsque deux juridictions d’États membres différents sont saisies, comme dans l’affaire au principal, d’une procédure de séparation de corps pour l’une et d’une procédure de divorce pour l’autre ou lorsqu’elles sont toutes deux saisies d’une demande en divorce.
34 Dans de telles circonstances et en cas d’identité de parties, conformément aux termes de l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie. À cet égard, il y a lieu de considérer que l’interprétation par la Cour de l’article 27 du règlement n° 44/2001 vaut également pour l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003. Ainsi, pour que la compétence de la juridiction saisie en premier lieu soit établie au sens de l’article 19, paragraphe 1, de ce règlement, il suffit que la juridiction première saisie n’ait pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’ait contestée avant ou jusqu’au moment de la prise de position considérée, par son droit national, comme la première défense au fond présentée devant cette juridiction (voir, par analogie, arrêt Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate Solutions assurances, C‑1/13, EU:C:2014:109, point 44).
35 Lorsque cette compétence est réputée établie au regard des règles de l’article 3 du règlement n° 2201/2003, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de la juridiction première saisie conformément à l’article 19, paragraphe 3, de ce règlement.
36 En l’occurrence, il découle de l’ordonnance de non-conciliation adoptée le 15 décembre 2011 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre dans le cadre de la première procédure, à savoir celle en séparation de corps, introduite par Monsieur B le 30 mars 2011, que la compétence de cette juridiction, de même que la régularité de sa saisine, n’ont pas été contestées.
37 Toutefois, pour qu’une situation de litispendance existe, il importe que les procédures engagées entre les mêmes parties et portant sur des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation de mariage, soient pendantes simultanément devant des juridictions d’États membres différents. Lorsque deux procédures ont été introduites devant des juridictions d’États membres différents, en cas d’extinction de l’une d’elles, le risque de décisions inconciliables et, par là même, la situation de litispendance, au sens de l’article 19 du règlement n° 2201/2003, disparaissent. Il s’ensuit que, à supposer même que la compétence de la juridiction première saisie ait été établie au cours de la première procédure, la situation de litispendance n’existe plus et, par conséquent, cette compétence n’est pas établie.
38 Tel est le cas à la suite de l’extinction de la procédure devant la juridiction première saisie. Dans cette hypothèse, la juridiction saisie en second lieu devient la juridiction première saisie à la date de cette extinction.
39 L’affaire au principal semble se rapporter à une telle situation.
40 En effet, une demande en séparation de corps avait déjà été introduite devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre lorsque la juridiction du Royaume-Uni a été saisie, le 13 juin 2014, d’une procédure de divorce, donnant lieu à une situation de litispendance jusqu’au 16 juin 2014 à minuit. Passée cette date, c’est-à-dire le 17 juin à 0 heure, dès lors que la procédure devant la juridiction française, première saisie, était éteinte par l’effet de la caducité des dispositions de l’ordonnance de non-conciliation que cette juridiction avait rendue, seule la juridiction du Royaume-Uni saisie le 13 juin 2014 demeurait saisie d’un litige relevant d’un des domaines visés à l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003. L’introduction, le 17 juin 2014, d’une procédure de divorce devant une juridiction française est postérieure à celle de la procédure engagée devant cette juridiction du Royaume-Uni. Compte tenu des règles chronologiques prévues par ce règlement, il y a lieu de constater que cette séquence d’évènements a pour effet que ladite juridiction du Royaume-Uni est, sous réserve de la régularité de sa saisine au regard des règles de l’article 16 dudit règlement, devenue la juridiction première saisie.
41 Il convient de préciser que la circonstance qu’il existait une autre procédure devant une juridiction française à la date où la juridiction du Royaume-Uni a été saisie, le 13 juin 2014, n’empêche aucunement que cette dernière ait pu être valablement saisie au regard des règles de l’article 16 du même règlement.
42 Par conséquent, dans une situation telle que celle décrite au point 40 du présent arrêt, où la procédure de séparation de corps devant la juridiction française s’éteint par expiration des délais légaux, les critères de la litispendance ne sont plus remplis à compter de la date de cette extinction et la compétence de cette juridiction doit, dès lors, être considérée comme n’étant pas établie.
43 Il découle de ce qui précède que le comportement du demandeur à la première procédure, notamment son éventuel manque de diligence, n’est pas pertinent afin de déterminer si la compétence de la juridiction première saisie est établie.
44 En ce qui concerne le décalage horaire entre les États membres concernés, lequel permettrait d’introduire un recours en France avant de pouvoir le faire au Royaume-Uni et pourrait défavoriser certains requérants, tels que Madame A, outre qu’il ne semble pas jouer à l’encontre d’un tel requérant dans une affaire telle que celle au principal, il n’est en tout état de cause pas susceptible de faire échec à l’application des règles de litispendance figurant à l’article 19 du règlement n° 2201/2003, lesquelles, combinées aux règles de l’article 16 de ce règlement, sont fondées sur la priorité chronologique.
45 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre aux questions posées que, s’agissant de procédures de séparation de corps et de divorce engagées entre les mêmes parties devant des juridictions de deux États membres, l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 2201/2003, doit être interprété en ce sens que, dans une situation, telle que celle en cause au principal, où la procédure devant la juridiction première saisie dans le premier État membre s’est éteinte après la saisine de la seconde juridiction dans le second État membre, les critères de la litispendance ne sont plus remplis et, par conséquent, la compétence de la juridiction première saisie doit être considérée comme n’étant pas établie.
46 La circonstance que ladite extinction soit intervenue très peu de temps avant l’introduction d’une troisième procédure devant une juridiction du premier État membre n’est pas pertinente.
47 Le comportement de la partie demanderesse dans la première procédure, notamment son absence de diligence, et l’existence d’un décalage horaire entre les États membres concernés, lequel permettrait la saisine des juridictions du premier État membre avant la saisine de celles du second État membre, ne sont pas non plus pertinents.
Sur les dépens
48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
S’agissant de procédures de séparation de corps et de divorce engagées entre les mêmes parties devant des juridictions de deux États membres, l’article 19, paragraphes 1 et 3, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, doit être interprété en ce sens que, dans une situation, telle que celle en cause au principal, où la procédure devant la juridiction première saisie dans le premier État membre s’est éteinte après la saisine de la seconde juridiction dans le second État membre, les critères de la litispendance ne sont plus remplis et, par conséquent, la compétence de la juridiction première saisie doit être considérée comme n’étant pas établie.
Signatures
* Langue de procédure: l’anglais.