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CJUE, 8 novembre 2005, aff. C-443/03, Götz Leffler c/ Berlin Chemie AG

 

Arrêt de la Cour (grande chambre)

du 8 novembre 2005

Affaire C-443/03

Götz Leffler

contre

Berlin Chemie AG

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden)

«Coopération judiciaire en matière civile — Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires — Absence de traduction de l'acte — Conséquences»

 

Sommaire de l'arrêt

 

1.     Libre circulation des personnes — Coopération judiciaire en matière civile et commerciale — Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires — Règlement nº 1348/2000 — Absence de prévision dans le règlement des conséquences de certains faits — Application du droit national — Conditions — Respect des principes d'équivalence et d'effectivité — Portée

(Règlement du Conseil nº 1348/2000)

2.     Libre circulation des personnes — Coopération judiciaire en matière civile et commerciale — Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires — Règlement nº 1348/2000 — Notification d'un acte établi dans une langue autre que la langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine comprise du destinataire — Possibilité de remédier à cette situation par l'envoi d'une traduction — Modalités — Application du droit national — Conditions

(Règlement du Conseil nº 1348/2000, art. 8)

 

1.     En l'absence de dispositions communautaires, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire. Toutefois, ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des droits qui trouveraient leur origine dans l'ordre juridique interne (principe de l'équivalence) et elles ne peuvent rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité). En outre, le principe d'effectivité doit conduire le juge national à n'appliquer les modalités procédurales prévues par son ordre juridique interne que dans la mesure où elles ne mettent pas en cause la raison d'être et la finalité du règlement. Il s'ensuit que, lorsque le règlement nº 1348/2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, ne prévoit pas les conséquences de certains faits, il appartient au juge national d'appliquer, en principe, son droit national tout en veillant à assurer la pleine efficacité du droit communautaire, ce qui peut le conduire à écarter, si besoin est, une règle nationale y faisant obstacle ou à interpréter une règle nationale qui a été élaborée en ayant uniquement en vue une situation purement interne afin de l'appliquer à la situation transfrontalière en cause.

(cf. points 49-51)

2.     L'article 8 du règlement nº 1348/2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d'un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n'est pas rédigé dans une langue officielle de l'État membre requis ou dans une langue de l'État membre d'origine que ce destinataire comprend, il peut être remédié à cette situation en envoyant la traduction de l'acte selon les modalités prévues par ce règlement et dans les meilleurs délais.

Pour résoudre les problèmes liés à la façon dont il convient de remédier à l'absence de traduction, non prévus par ledit règlement, il appartient au juge national d'appliquer son droit procédural national tout en veillant à assurer la pleine efficacité de ce règlement, dans le respect de sa finalité.

(cf. points 53, 71, disp. 1-2)

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

8 novembre 2005

 

«Coopération judiciaire en matière civile – Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires – Absence de traduction de l’acte – Conséquences»

Dans l’affaire C-443/03,

 

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre des articles 68 CE et 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 17 octobre 2003, parvenue à la Cour le 20 octobre 2003, dans la procédure

 

Götz Leffler

contre

Berlin Chemie AG,

 

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas (rapporteur) et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Lenaerts, E. Juhász, G. Arestis, A. Borg Barthet et M. Ilešič juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 avril 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour M. Leffler, par Mes D. Rijpma et R. Bakels, advocaten,

–       pour Berlin Chemie AG, par Mes A. Hagedorn, B. Gabriel et J. I. van Vlijmen, advocaten,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et C. M. Wissels, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A. Bodard-Hermant, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement portugais, par M. L. Fernandes et Mme M. Fernandes, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A.‑M. Rouchaud-Joët et M. R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 juin 2005,

rend le présent

 

Arrêt

 

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8 du règlement (CE) nº 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale (JO L 160, p. 37, ci-après le «règlement»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Leffler, domicilié aux Pays-Bas, à la société de droit allemand Berlin Chemie AG (ci-après «Berlin Chemie»), afin d’obtenir mainlevée de saisies effectuées par cette société sur les biens de M. Leffler.

 

 Le cadre juridique

 

3       Le règlement a pour but d’améliorer l’efficacité et la rapidité des procédures judiciaires en établissant le principe d’une transmission directe des actes judiciaires et extrajudiciaires.

4       Avant l’entrée en vigueur du règlement, la plupart des États membres étaient liés par la convention de La Haye du 15 novembre 1965, relative à la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, qui établit un mécanisme de coopération administrative permettant la signification ou la notification d’un acte par l’intermédiaire d’une autorité centrale. Par ailleurs, l’article IV du protocole annexé à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»), prévoyait la possibilité d’une signification par des voies plus directes. L’article IV, deuxième alinéa, dudit protocole est libellé comme suit:

«Sauf si l’État de destination s’y oppose par déclaration faite au secrétaire général du Conseil des Communautés européennes, ces actes peuvent aussi être envoyés directement par les officiers ministériels de l’État où les actes sont dressés aux officiers ministériels de l’État sur le territoire duquel se trouve le destinataire de l’acte. Dans ce cas, l’officier ministériel de l’État d’origine transmet une copie de l’acte à l’officier ministériel de l’État requis, qui est compétent pour la remettre au destinataire. Cette remise est faite dans les formes prévues par la loi de l’État requis. Elle est constatée par une attestation envoyée directement à l’officier ministériel de l’État d’origine.»

5       Le Conseil des ministres de la Justice, réuni les 29 et 30 octobre 1993, a donné mandat à un groupe de travail, intitulé «Groupe sur la simplification de la transmission des actes», pour élaborer un instrument visant à simplifier et à accélérer les procédures de transmission des actes entre les États membres. Ce travail a abouti à l’adoption, sur le fondement de l’article K.3 du traité UE (les articles K à K.9 du traité UE ont été remplacés par les articles 29 UE à 42 UE), de la convention relative à la signification et à la notification dans les États membres de l’Union européenne des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (ci-après la «convention»). Cette convention a été établie par acte du Conseil de l’Union européenne du 26 mai 1997 (JO C 261, p. 1; texte de la convention, p. 2; protocole concernant l’interprétation de la convention par la Cour de justice, p. 17).

6       La convention n’est pas entrée en vigueur. Dans la mesure où son texte a inspiré celui du règlement, le rapport explicatif de cette même convention (JO 1997, C 261, p. 26) a été invoqué pour éclairer l’interprétation dudit règlement.

7       Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, la Commission a présenté, le 26 mai 1999, une proposition de directive du Conseil relative à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (JO C 247 E, p. 11).

8       Lorsque ce document a été soumis au Parlement européen, celui-ci a souhaité qu’il soit adopté sous la forme d’un règlement. Dans son rapport (A5-0060/1999 final, du 11 novembre 1999), le Parlement a relevé à cet égard:

«Le règlement, au contraire de la directive, présente l’avantage d’assurer une mise en oeuvre rapide, claire et homogène du texte communautaire, qui correspond à l’objectif poursuivi. Ce type d’instrument a d’ailleurs été retenu pour la ‘communautarisation’ des autres Conventions actuellement à l’examen».

9       Le deuxième considérant du règlement prévoit:

«Le bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer et d’accélérer la transmission entre les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale aux fins de signification ou de notification.»

10     Les septième à dixième considérants dudit règlement sont libellés comme suit:

«(7) La rapidité de la transmission justifie l’utilisation de tout moyen approprié, tout en respectant certaines conditions quant à la lisibilité et à la fidélité du document reçu. La sécurité de la transmission exige que l’acte à transmettre soit accompagné d’un formulaire devant être rempli dans la langue du lieu où la signification ou la notification a lieu ou dans une autre langue acceptée par l’État requis.

(8)      Afin d’assurer l’efficacité du règlement, la possibilité de refuser la signification ou la notification des actes est limitée à des situations exceptionnelles.

(9)      La rapidité de la transmission justifie que la signification ou la notification de l’acte ait lieu dans les jours qui suivent la réception de l’acte. Toutefois, si au bout d’un mois la signification ou la notification n’a pas pu avoir lieu, il importe que l’entité requise en informe l’entité d’origine. L’expiration de ce délai n’implique pas que la demande soit retournée à l’entité d’origine lorsqu’il apparaît que la signification ou la notification est possible dans un délai raisonnable.

(10)      Afin de défendre les intérêts du destinataire, il convient que la signification ou la notification se fasse dans la langue ou l’une des langues officielles du lieu où elle sera effectuée ou dans une autre langue de l’État membre d’origine que le destinataire comprend.»

11     L’article 4, paragraphe 1, du règlement prévoit:

«Les actes judiciaires sont transmis directement et dans les meilleurs délais entre les entités désignées conformément à l’article 2.»

12     L’article 5 du règlement dispose:

«Traduction de l’acte

1.       Le requérant est avisé par l’entité d’origine à laquelle il remet l’acte aux fins de transmission que le destinataire peut refuser de l’accepter s’il n’est pas établi dans l’une des langues indiquées à l’article 8.

2.       Le requérant prend en charge les frais éventuels de traduction préalables à la transmission de l’acte, sans préjudice d’une éventuelle décision ultérieure de la juridiction ou de l’autorité compétente sur la prise en charge de ces frais.»

13     L’article 7 du règlement est libellé comme suit:

«Signification ou notification des actes

1.       L’entité requise procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l’acte soit conformément à la législation de l’État membre requis, soit selon la forme particulière demandée par l’entité d’origine, sauf si cette méthode est incompatible avec la législation de cet État membre.

2.       Toutes les formalités nécessaires à la signification ou à la notification sont effectuées dans les meilleurs délais. En tout état de cause, s’il n’a pas été possible de procéder à la signification ou à la notification dans un délai d’un mois à compter de la réception, l’entité requise en informe l’entité d’origine au moyen de l’attestation dont le formulaire type figure en annexe, laquelle est complétée selon les règles prévues à l’article 10, paragraphe 2. Le délai est calculé conformément à la législation de l’État membre requis.»

14     L’article 8 dudit règlement prévoit:

«Refus de réception de l’acte

1.       L’entité requise avise le destinataire qu’il peut refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier s’il est établi dans une langue autre que l’une des langues suivantes:

a)       la langue officielle de l’État membre requis ou, s’il existe plusieurs langues officielles dans cet État membre requis, la langue officielle ou l’une des langues officielles du lieu où il doit être procédé à la signification ou à la notification

ou

b)       une langue de l’État membre d’origine comprise du destinataire.

2.       Si l’entité requise est informée que le destinataire refuse de recevoir l’acte conformément au paragraphe 1, elle en informe immédiatement l’entité d’origine au moyen de l’attestation visée à l’article 10 et lui retourne la demande ainsi que les pièces dont la traduction est demandée.»

15     L’article 9 du même règlement est libellé comme suit:

«Date de la signification ou de la notification

1.       Sans préjudice de l’article 8, la date de la signification ou de la notification d’un acte effectuée en application de l’article 7 est celle à laquelle l’acte a été signifié ou notifié conformément à la législation de l’État membre requis.

2.       Toutefois, lorsqu’un acte doit être signifié ou notifié dans un délai déterminé dans le cadre d’une procédure à introduire ou en cours dans l’État membre d’origine, la date à prendre en considération à l’égard du requérant est celle fixée par la législation de cet État membre.

3.       Tout État membre peut déroger aux dispositions des paragraphes 1 et 2 pendant une période de transition de cinq ans, pour des motifs valables.

Il peut renouveler cette période de transition tous les cinq ans pour des raisons tenant à son système juridique. Il communique à la Commission la teneur d’une telle dérogation et les circonstances de l’espèce.»

16     L’article 19 du règlement dispose:

«Défendeur non comparant

1.       Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification selon les dispositions du présent règlement et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi:

a)       ou bien que l’acte a été signifié ou notifié selon les formes prescrites par la législation de l’État membre requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire;

b)       ou bien que l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement

et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre.

[…]»

17     Le règlement prévoit l’utilisation de divers formulaires types, qui lui sont annexés. L’un de ces formulaires, établi conformément à l’article 10 du règlement, est intitulé «Attestation d’accomplissement ou de non-accomplissement de la signification ou de la notification des actes». Le point 14 de ce formulaire prévoit une mention lorsque le destinataire a refusé d’accepter l’acte en raison de la langue utilisée. Le point 15 du même formulaire indique différents motifs de défaut de signification ou de notification de l’acte.

18     L’article 26, paragraphes 1 à 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), est libellé de la manière suivante:

«1.       Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, le juge se déclare d’office incompétent si sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement.

2.       Le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que ce défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin.

3.       L’article 19 du règlement (CE) n° 1348/2000 […] s’applique en lieu et place des dispositions du paragraphe 2 si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis d’un État membre à un autre en exécution de ce règlement.»

19     Par ailleurs, l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 prévoit qu’une décision rendue dans un État membre n’est pas reconnue dans un autre État membre si «l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire».

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

20     Il ressort de la décision de renvoi que, par exploit du 21 juin 2001, M. Leffler a assigné en référé Berlin Chemie devant le président du Rechtbank te Arnhem en vue d’obtenir la mainlevée de saisies effectuées par cette société ainsi qu’une injonction interdisant à celle-ci de procéder à de nouvelles saisies. Berlin Chemie a contesté la demande et, par ordonnance du 13 juillet 2001, le président du Rechtbank a rejeté les demandes de M. Leffler.

21     Par exploit d’huissier du 27 juillet 2001, remis en l’étude de l’avoué de Berlin Chemie, M. Leffler a interjeté appel devant le Gerechtshof te Arnhem. Berlin Chemie a été citée à comparaître à l’audience de procédure de cette juridiction du 7 août 2001.

22     Toutefois, dans la mesure où l’affaire en question n’avait pas été inscrite au rôle du Gerechtshof, M. Leffler a fait signifier, le 9 août 2001, un exploit rectificatif. En vertu de ce dernier, Berlin Chemie a été citée à comparaître à l’audience de procédure du 23 août 2001, mais n’a pas comparu à cette audience.

23     Le Gerechtshof a décidé de surseoir à statuer sur la demande de M. Leffler tendant à le voir statuer par défaut contre Berlin Chemie, et ce afin de donner l’occasion au demandeur de citer ladite société à comparaître, conformément à l’article 4, point 7 (ancien), du code de procédure civile néerlandais (Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering) et au règlement.

24     Par exploit d’huissier du 7 septembre 2001, notifié au parquet du procureur général près le Gerechtshof, Berlin Chemie a été citée à comparaître à l’audience de procédure du 9 octobre 2001. Cette société n’a toutefois pas comparu à ladite audience.

25     Le Gerechtshof a de nouveau décidé de surseoir à statuer sur la demande de M. Leffler de statuer par défaut, cette fois dans l’attente de la présentation d’éléments faisant apparaître que la signification ou la notification était conforme à l’article 19 du règlement. Certains documents ont été fournis à l’audience de procédure du 4 décembre 2001.

26     Par arrêt du 18 décembre 2001, le Gerechtshof a refusé de statuer par défaut contre Berlin Chemie comme le lui demandait M. Leffler et a jugé que la procédure était close.

27     Les points pertinents dudit arrêt, tels que reproduits par la juridiction de renvoi, sont les suivants:

«3.1  Il ressort des éléments fournis que la signification ou la notification de la citation adressée à Berlin Chemie ont eu lieu conformément à la loi allemande, Berlin Chemie ayant toutefois refusé de recevoir les actes au motif que ceux-ci n’étaient pas rédigés en allemand. 

3.2      La citation présentée en Allemagne n’a pas été traduite dans la langue officielle de l’État requis ou dans une langue comprise du destinataire. Il n’est dès lors pas satisfait à l’exigence énoncée à l’article 8 du règlement CE sur les notifications. En conséquence, il convient de rejeter la demande de décision par défaut.»

28     M. Leffler a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 18 décembre 2001. Il soutient que le Gerechtshof a commis une erreur de droit au point 3.2 des motifs de cet arrêt. Selon lui, ladite juridiction aurait dû accorder le défaut; à titre subsidiaire, il estime qu’elle aurait dû fixer une nouvelle date d’audience et ordonner que Berlin Chemie soit citée à comparaître ce jour-là, moyennant rectification des éventuelles erreurs de l’exploit antérieur.

29     La juridiction de renvoi constate que l’article 8 du règlement ne prévoit pas les conséquences d’un refus de recevoir une notification. Elle relève notamment:

«[…] Il serait possible d’admettre que, dès lors que, pour de justes motifs, le destinataire a refusé de recevoir l’acte, il convient de considérer qu’aucune notification n’a été effectuée. Il est toutefois plausible, également, qu’il faille admettre qu’il soit permis, après le refus par le destinataire de recevoir un acte, de rectifier ce manquement en faisant encore parvenir une traduction à l’intéressé. Dans cette dernière hypothèse, se posera la question du délai et des modalités selon lesquelles la traduction doit être portée à la connaissance du destinataire. Pour adresser la traduction au destinataire, convient-il de suivre la voie indiquée par le règlement pour la signification ou la notification d’actes ou la façon de l’adresser est-elle libre? Il est en outre important de savoir si, lorsque la possibilité de rectification est offerte, le droit procédural national s’applique.»

30     Le Hoge Raad der Nederlanden a dès lors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter l’article 8, paragraphe 1, du règlement en ce sens que, en cas de refus, par le destinataire, de recevoir l’acte au motif du non-respect de la règle imposée par cette disposition en matière de langue, l’expéditeur a la possibilité de rectifier ce manquement?

2)      En cas de réponse négative à la première question, le refus de recevoir l’acte a-t-il pour conséquence, en droit, de priver la notification de tout effet?

3)      En cas de réponse affirmative à la première question:

a)      Dans quel délai et de quelle manière la traduction doit-elle être portée à la connaissance du destinataire?

Les exigences énoncées par le règlement quant à la notification et à la signification d’actes valent-elles aussi pour l’envoi de la traduction ou son mode d’envoi est-il libre?

b)      Le droit procédural national s’applique-t-il à la possibilité de rectifier le manquement?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question

31     Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 8, paragraphe 1, du règlement doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d’un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine que ledit destinataire comprend, l’expéditeur a la possibilité de remédier à l’absence de traduction.

 Observations soumises à la Cour

32     Les gouvernements allemand et finlandais estiment que les conséquences du refus de l’acte doivent être déterminées selon le droit national. À l’appui de cette thèse, ils invoquent le commentaire des articles 5 et 8 figurant dans le rapport explicatif de la convention, le renvoi par la Cour, dans l’arrêt du 3 juillet 1990, Lancray (C‑305/88, Rec. p. I‑2725, point 29), au droit national pour apprécier la réparation éventuelle des vices d’une signification ainsi que les travaux préparatoires du règlement, tels que décrits par un commentateur, d’où il ressortirait que les délégations des États membres ne souhaitaient pas que le règlement interfère avec le droit procédural national. Selon la solution retenue par la réglementation nationale applicable, il serait ou non autorisé de remédier à l’absence de traduction.

33     M. Leffler, les gouvernements néerlandais, français et portugais, ainsi que la Commission, dans ses observations orales, soutiennent que les conséquences du refus de l’acte doivent résulter d’une interprétation autonome du règlement et que, selon celle-ci, il doit être autorisé de remédier à l’absence de traduction. Ils mettent en évidence l’objectif du règlement d’accélérer et de simplifier les procédures de notification des actes et soulignent que le fait de ne pas permettre de remédier à l’absence de traduction prive l’article 5, paragraphe 1, du règlement de son effet utile, dès lors que, dans ce cas, les opérateurs ne prennent aucun risque et font systématiquement traduire les documents. Ils relèvent par ailleurs que les termes «dont la traduction est demandée» figurant à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n’ont de raison d’être que pour autant qu’il est possible de remédier à l’absence de traduction, tout comme le fait que certains passages du rapport explicatif de la convention laissent entendre l’existence d’une telle possibilité.

34     La Commission fait par ailleurs valoir plusieurs éléments qui justifieraient que l’absence de traduction ne soit pas considérée comme une cause de nullité absolue de la signification. Notamment, les formulaires types distingueraient les mentions relatives à l’absence de notification régulière (point 15 du formulaire établi conformément à l’article 10 du règlement) et celle relative au refus de l’acte pour des motifs linguistiques (point 14 du même formulaire). En outre, l’article 8, paragraphe 2, du règlement traiterait du renvoi des pièces dont la traduction est demandée, et non de tous les actes, ainsi que ce serait le cas si la notification n’avait eu aucun effet. La Commission souligne qu’aucun texte ne prévoit la nullité automatique de la signification dans le cas où il n’y aurait pas de traduction et qu’admettre une telle nullité est contraire au principe selon lequel une nullité doit être prévue par un texte («pas de nullité sans texte»). Elle fait enfin valoir qu’une nullité absolue excède ce qui est nécessaire pour préserver les intérêts du destinataire, alors qu’une nullité ne se conçoit pas sans grief («pas de nullité sans grief»).

35     Berlin Chemie soutient que la simplification des notifications ne doit pas se faire au détriment de la sécurité juridique ni des droits du destinataire. Il faut que ce dernier soit en mesure de comprendre rapidement dans quel type de procédure il est impliqué et de préparer utilement sa défense. Berlin Chemie expose que, en cas de doute sur la nature éventuellement urgente de la procédure en cause, le destinataire de l’acte fera, par prudence, traduire lui-même cet acte, alors que ce ne devrait pas être à lui de supporter le risque et le coût de l’absence de traduction. En revanche, l’expéditeur serait informé des risques liés à un défaut de traduction et pourrait prendre les mesures pour les éviter. Enfin, le fait de permettre de remédier à l’absence de traduction ralentirait les procédures, notamment dans l’hypothèse où le juge doit d’abord déterminer si le refus d’accepter l’acte non traduit est justifié. Cela pourrait donner lieu à certains abus à cet égard.

36     S’agissant de la protection du destinataire, défendeur à un litige, M. Leffler et le gouvernement néerlandais font valoir qu’elle est suffisamment assurée par l’article 19 du règlement. Tout comme le gouvernement français, ils estiment que le juge a le pouvoir d’aménager les délais afin de tenir compte des intérêts des parties en cause et, notamment, de permettre au défendeur de préparer sa défense. Quant au retard de procédure causé par la nécessité de remédier à l’absence de traduction, le gouvernement néerlandais soutient que c’est essentiellement au requérant que cela porterait préjudice, et non au destinataire défendeur.

 

 Réponse de la Cour

 

37     Force est de constater que l’article 8 du règlement ne prévoit pas les conséquences juridiques qui découlent du refus d’un acte par son destinataire, au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine que ce destinataire comprend.

38     Toutefois, les autres dispositions du règlement, l’objectif, rappelé aux deuxième et sixième à neuvième considérants de ce règlement, d’assurer la rapidité et l’efficacité de la transmission des actes et l’effet utile qui doit être reconnu à la possibilité, prévue aux articles 5 et 8 dudit règlement, de ne pas faire traduire l’acte dans la langue officielle de l’État requis justifient que soit exclue la nullité de l’acte lorsque ce dernier a été refusé par le destinataire au motif qu’il n’est pas rédigé dans ladite langue ou dans une langue de l’État membre d’origine comprise par le destinataire, mais que, en revanche, soit admise la possibilité de remédier à l’absence de traduction.

39     Tout d’abord, il y a lieu de constater qu’aucune disposition du règlement ne prévoit que le refus de l’acte pour non-respect dudit article 8 entraîne la nullité de cet acte. Au contraire, si le règlement ne précise pas les conséquences exactes du refus de l’acte, à tout le moins plusieurs de ses dispositions laissent penser qu’il peut être porté remède à l’absence de traduction.

40     Ainsi, la mention «pièces dont la traduction est demandée», figurant à l’article 8, paragraphe 2, du règlement, signifie qu’il est possible, pour le destinataire, de demander une traduction et, dès lors, pour l’expéditeur, de remédier à l’absence de traduction en envoyant la traduction requise. Cette mention est en effet différente des termes «pièces transmises» utilisés à l’article 6, paragraphes 2 et 3, du règlement pour désigner l’ensemble des pièces communiquées par l’entité d’origine à l’entité requise et non pas seulement certaines de ces pièces.

41     De même, le formulaire type attestant de l’accomplissement ou du non-accomplissement de la signification ou de la notification, établi conformément à l’article 10 du règlement, n’inclut pas le refus de l’acte en raison de la langue utilisée comme motif possible de défaut de signification ou de notification, mais prévoit cette mention dans un poste distinct. Ceci permet de conclure que le refus de l’acte ne doit pas être considéré comme un défaut de signification ou de notification.

42     Par ailleurs, à supposer qu’il ne puisse jamais être remédié à ce refus, ceci porterait atteinte aux droits de l’expéditeur de manière telle que celui-ci ne prendrait jamais le risque de signifier un acte non traduit, mettant ainsi en cause l’utilité du règlement et, plus particulièrement, de ses dispositions relatives à la traduction des actes, qui concourent à l’objectif d’assurer la rapidité de la transmission de ceux-ci.

43     À l’encontre de cette interprétation, il ne saurait être soutenu avec succès que les conséquences du refus de l’acte devraient être déterminées par le droit national. Il ne saurait pas être valablement invoqué à cet égard les commentaires figurant dans le rapport explicatif de la convention, la décision de la Cour dans l’arrêt Lancray, précité, ou les travaux préparatoires du règlement.

44     En effet, le fait de laisser le droit national déterminer si le principe même de la possibilité de remédier à l’absence de traduction est admis empêcherait toute application uniforme du règlement, dès lors qu’il n’est pas exclu que les États membres prévoient à cet égard des solutions divergentes.

45     Or, l’objectif du traité d’Amsterdam de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice, donnant ainsi à la Communauté une dimension nouvelle, et le transfert, du traité UE vers le traité CE, du régime permettant l’adoption de mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière attestent de la volonté des États membres d’ancrer de telles mesures dans l’ordre juridique communautaire et de consacrer ainsi le principe de leur interprétation autonome.

46     De même, le choix de la forme du règlement, plutôt que celle de la directive initialement proposée par la Commission, montre l’importance que le législateur communautaire attache au caractère directement applicable des dispositions dudit règlement et à l’application uniforme de celles-ci.

47     Il s’ensuit que, bien qu’utiles, les commentaires figurant dans le rapport explicatif de la convention, laquelle a été adoptée avant l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, ne sauraient être invoqués à l’encontre d’une interprétation autonome du règlement commandant une conséquence uniforme au refus de l’acte au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine comprise du destinataire de l’acte. De même, il convient de relever que la jurisprudence de la Cour telle qu’elle ressort de l’arrêt Lancray, précité, se situe dans le contexte de l’interprétation d’un instrument juridique d’une autre nature et qui, à la différence du règlement, ne visait pas à établir un système de signification et de notification intracommunautaire.

48     S’agissant, enfin, des conclusions tirées par le gouvernement allemand des travaux préparatoires décrits par un commentateur, il suffit de relever que la volonté supposée des délégations des États membres ne s’est pas matérialisée dans le texte même du règlement. Il s’ensuit que ces prétendus travaux préparatoires ne sauraient être invoqués à l’encontre d’une interprétation autonome du règlement visant à assurer un effet utile aux dispositions que celui-ci contient, en vue de son application uniforme dans la Communauté, dans le respect de sa finalité.

49     Interpréter le règlement en ce sens qu’il commande la possibilité de remédier à l’absence de traduction en tant que conséquence uniforme au refus de l’acte au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine comprise du destinataire de l’acte ne remet pas en cause l’importance du droit national et le rôle du juge national. En effet, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, en l’absence de dispositions communautaires, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, point 5).

50     La Cour a toutefois précisé que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des droits qui trouveraient leur origine dans l’ordre juridique interne (principe de l’équivalence) et qu’elles ne peuvent rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir arrêts Rewe, précité, point 5; du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261/95, Rec. p. I-4025, point 27, et du 15 septembre 1998, Edis, C-231/96, Rec. p. I-4951, point 34). À cet égard, et ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 38 et 64 de ses conclusions, le principe d’effectivité doit conduire le juge national à n’appliquer les modalités procédurales prévues par son ordre juridique interne que dans la mesure où elles ne mettent pas en cause la raison d’être et la finalité du règlement.

51     Il s’ensuit que, lorsque le règlement ne prévoit pas les conséquences de certains faits, il appartient au juge national d’appliquer, en principe, son droit national tout en veillant à assurer la pleine efficacité du droit communautaire, ce qui peut le conduire à écarter, si besoin est, une règle nationale y faisant obstacle ou à interpréter une règle nationale qui a été élaborée en ayant uniquement en vue une situation purement interne afin de l’appliquer à la situation transfrontalière en cause (voir notamment, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, Rec. p. 629, point 16; du 19 juin 1990, Factortame e.a., C‑213/89, Rec. p. I‑2433, point 19; du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, Rec. p. I-6297, point 25, et du 17 septembre 2002, Muñoz et Superior Fruiticola, C‑253/00, Rec. p. I‑7289, point 28).

52     C’est également au juge national qu’il appartient de veiller à ce que soient préservés les droits des parties en cause, notamment la possibilité, pour une partie destinataire d’un acte, de disposer de suffisamment de temps pour préparer sa défense ou le droit, pour une partie expéditrice d’un acte, de ne pas subir, par exemple dans une procédure urgente où le défendeur ferait défaut, les conséquences négatives d’un refus purement dilatoire et manifestement abusif de recevoir un acte non traduit, alors qu’il peut être prouvé que le destinataire de cet acte comprend la langue de l’État membre d’origine dans laquelle ledit acte est rédigé.

53     Il convient dès lors de répondre à la première question que l’article 8, paragraphe 1, du règlement doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d’un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine que ce destinataire comprend, l’expéditeur a la possibilité d’y remédier en envoyant la traduction demandée.

 Sur la deuxième question

54     La deuxième question, posée pour le cas où l’article 8 du règlement est interprété en ce sens qu’il n’est pas possible de remédier à l’absence de traduction, vise à savoir si le refus de l’acte a pour conséquence de priver la notification de tout effet.

55     Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième.

 Sur la troisième question

56     Par la troisième question, posée pour le cas où la réponse à la première question est positive, la juridiction de renvoi demande en substance dans quel délai et de quelle manière la traduction doit être portée à la connaissance du destinataire de l’acte et si le droit procédural national s’applique à la possibilité de remédier à l’absence de traduction.

 Observations soumises à la Cour

57     En ce qui concerne le délai pendant lequel il peut être remédié à l’absence de traduction, les gouvernements néerlandais et portugais font référence à l’article 7, paragraphe 2, du règlement. Ils estiment que l’envoi de la traduction doit avoir lieu dans les meilleurs délais et qu’un délai d’un mois peut être considéré comme raisonnable.

58     Quant à l’effet de l’envoi de la traduction sur les délais, le gouvernement néerlandais soutient que, même si c’est à bon droit que le destinataire de l’acte a refusé ce dernier, l’effet de sauvegarde du délai prévu à l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement doit en tout cas être maintenu. La Commission relève que les dates de signification seront déterminées conformément audit article 9. Pour le destinataire, seule la signification ou la notification des actes traduits serait prise en considération, ce qui expliquerait les termes «sans préjudice de l’article 8» figurant à l’article 9, paragraphe 1, du même règlement. Pour le demandeur, la date resterait déterminée conformément au paragraphe 2 de cet article 9.

59     Le gouvernement français rappelle que les délais de procédure doivent pouvoir être aménagés par le juge afin de permettre au destinataire de l’acte de préparer sa défense.

60     En ce qui concerne les modalités de l’envoi de la traduction, M. Leffler ainsi que les gouvernements français et portugais estiment que la communication de la traduction devrait être effectuée conformément aux exigences du règlement. Le gouvernement néerlandais soutient, en revanche, que la transmission peut s’effectuer de manière informelle mais que, pour éviter tout malentendu, il est souhaitable d’éviter un envoi direct de l’entité d’origine au destinataire et qu’il est préférable de passer par l’entité requise.

61     Berlin Chemie fait valoir que, si la Cour devait décider que l’envoi d’une traduction est possible, il conviendrait, afin de garantir la sécurité juridique, que les conséquences de cette possibilité soient harmonisées, en conformité avec les objectifs du règlement.

 Réponse de la Cour

62     Bien que l’article 8 du règlement ne contienne pas de disposition précise relative aux règles qu’il convient de suivre lorsqu’il y a lieu de remédier à un acte refusé au motif que celui-ci n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine comprise du destinataire de cet acte, il importe cependant de constater que les principes généraux du droit communautaire et les autres dispositions du règlement permettent de fournir un certain nombre d’indications à la juridiction nationale, afin de donner au règlement un effet utile.

63     Pour des raisons de sécurité juridique, le règlement doit être interprété en ce sens qu’il doit être remédié à l’absence de traduction selon les modalités prévues par ce règlement.

64     Lorsque l’entité d’origine est informée que le destinataire a refusé de recevoir l’acte pour défaut de traduction, après avoir, le cas échéant, entendu le requérant, il lui appartient, ainsi qu’il peut être déduit de l’article 4, paragraphe 1, du règlement, d’y remédier par l’envoi d’une traduction dans les meilleurs délais. À cet égard, ainsi que suggéré par les gouvernements néerlandais et portugais, un délai d’un mois à dater de la réception, par l’entité d’origine, de l’information relative au refus peut être considéré comme approprié mais ce délai pourra être apprécié selon les circonstances par le juge national. Il convient en effet de tenir compte, notamment, du fait que certains textes peuvent être d’une longueur inhabituelle ou qu’ils doivent être traduits dans une langue pour laquelle il existe peu de traducteurs disponibles.

65     S’agissant de l’effet de l’envoi d’une traduction sur la date de la signification ou de la notification, il y a lieu de le déterminer par analogie avec le système de la double date élaboré à l’article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement. Afin de préserver l’effet utile du règlement, il importe en effet de veiller à ce que les droits des différentes parties en cause soient protégés au mieux et de manière équilibrée.

66     La date d’une signification ou d’une notification peut être importante pour un requérant, par exemple, lorsque l’acte signifié constitue l’exercice d’un recours qui doit être formé dans un délai impératif ou vise à interrompre une prescription. Par ailleurs, ainsi qu’il a été indiqué au point 38 du présent arrêt, le non-respect de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n’a pas pour effet la nullité de la signification ou de la notification. Eu égard à ces éléments, il y a lieu de considérer que le requérant doit pouvoir bénéficier, quant à la date, de l’effet de la signification ou de la notification initiale pour autant qu’il ait fait diligence afin de remédier à l’acte par l’envoi d’une traduction dans les meilleurs délais.

67     Cependant, la date d’une signification ou d’une notification peut également être importante pour le destinataire, notamment parce qu’elle constitue le point de départ du délai pour exercer un droit de recours ou pour préparer une défense. Une protection effective du destinataire de l’acte conduit à prendre en considération, à son égard, uniquement la date à laquelle il a pu non seulement prendre connaissance, mais également comprendre l’acte signifié ou notifié, c’est-à-dire la date à laquelle il en a reçu la traduction.

68     Il appartient au juge national de prendre en compte et de protéger les intérêts des parties en cause. Ainsi, par analogie avec l’article 19, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement, si un acte a été refusé au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine comprise du destinataire dudit acte et que le défendeur ne comparaît pas, le juge doit surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi qu’il a été remédié à l’acte en question par l’envoi d’une traduction et que celui-ci a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre. Une telle obligation résulte également du principe énoncé à l’article 26, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001 et le contrôle de son respect est préalable à la reconnaissance d’une décision, conformément à l’article 34, point 2, du même règlement.

69     Pour résoudre les problèmes liés à la façon dont il convient de remédier à l’absence de traduction, non prévus par le règlement tel qu’interprété par la Cour, il appartient au juge national, ainsi qu’indiqué aux points 50 et 51 du présent arrêt, d’appliquer son droit procédural national tout en veillant à assurer la pleine efficacité du règlement, dans le respect de sa finalité.

70     Il importe, par ailleurs, de rappeler que, lorsqu’une question relative à l’interprétation du règlement se pose devant lui, le juge national peut, dans les conditions de l’article 68, paragraphe 1, CE, interroger la Cour à cet égard.

71     Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de répondre à la troisième question que:

–       l’article 8 du règlement doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d’un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine que ce destinataire comprend, il peut être remédié à cette situation en envoyant la traduction de l’acte selon les modalités prévues par le règlement et dans les meilleurs délais;

–       pour résoudre les problèmes liés à la façon dont il convient de remédier à l’absence de traduction, non prévus par le règlement tel qu’interprété par la Cour, il appartient au juge national d’appliquer son droit procédural national tout en veillant à assurer la pleine efficacité dudit règlement, dans le respect de sa finalité.

 

 Sur les dépens

 

72     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      L’article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d’un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine que ce destinataire comprend, l’expéditeur a la possibilité d’y remédier en envoyant la traduction demandée.

2)      L’article 8 du règlement nº 1348/2000 doit être interprété en ce sens que, lorsque le destinataire d’un acte a refusé celui-ci au motif que cet acte n’est pas rédigé dans une langue officielle de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine que ce destinataire comprend, il peut être remédié à cette situation en envoyant la traduction de l'acte selon les modalités prévues par le règlement nº 1348/2000 et dans les meilleurs délais.

Pour résoudre les problèmes liés à la façon dont il convient de remédier à l’absence de traduction, non prévus par le règlement nº 1348/2000 tel qu’interprété par la Cour, il appartient au juge national d’appliquer son droit procédural national tout en veillant à assurer la pleine efficacité dudit règlement, dans le respect de sa finalité.

Signatures


Langue de procédure: le néerlandais.

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