Arrêt de la Cour (première chambre) du 23 avril 2009
Affaire C-167/08
Draka NK Cables Ltd e.a.
contre
Omnipol Ltd
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hof van Cassatie)
«Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) nº 44/2001 — Article 43, paragraphe 1 — Compétence judiciaire et exécution des décisions — Notion de 'partie'»
Sommaire de l'arrêt
Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001
(Règlement du Conseil nº 44/2001, art. 43, § 1)
À l'instar des articles 36, paragraphe 1, et 40, paragraphe 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, l'article 43, paragraphe 1, du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'un créancier d'un débiteur ne peut pas introduire un recours contre une décision sur une demande de déclaration de force exécutoire s'il n'est pas formellement intervenu comme partie au procès dans le litige dans le cadre duquel un autre créancier de ce débiteur a demandé cette déclaration de force exécutoire.
En effet, dans un cas comme dans l'autre, la procédure d'exequatur prévue constitue un système autonome et complet, indépendant des systèmes juridiques nationaux, y compris dans le domaine des voies de recours. Les règles qui s'y rapportent doivent faire l'objet d'une interprétation stricte. La jurisprudence concernant les articles 36 et 40 de la convention est applicable à l'article 43 du règlement nº 44/2001.
(cf. points 23-24, 27, 30-31 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
23 avril 2009
«Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 43, paragraphe 1 – Compétence judiciaire et exécution des décisions – Notion de ‘partie’»
Dans l’affaire C‑167/08,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hof van Cassatie (Belgique), par décision du 10 avril 2008, parvenue à la Cour le 21 avril 2008, dans la procédure
Draka NK Cables Ltd,
AB Sandvik International,
VO Sembodja BV,
Parc Healthcare International Ltd
contre
Omnipol Ltd,
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič, A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 février 2009,
considérant les observations présentées:
– pour Draka NK Cables Ltd, AB Sandvik International, VO Sembodja BV et Parc Healthcare International Ltd, par Me P. Lefèbvre, advocaat, M. A. Hansebout, conseil, et Me C. Ronse, avocat,
– pour Omnipol Ltd, par Mes H. Geinger, H. Verhulst et R. Portocarero, advocaten,
– pour le gouvernement belge, par M. T. Materne, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement slovaque, par M. J. Čorba, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A.‑M. Rouchaud-Joët et M. R. Troosters, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 43, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant certains créanciers de la Central Bank of Iraq (ci-après la «CBI»), à savoir Draka NK Cables Ltd, établie en Finlande, AB Sandvik International, établie en Suède, VO Sembodja BV, établie aux Pays-Bas et Parc Healthcare International Ltd, établie en Irlande (ci-après ensemble les «requérantes»), à un autre créancier de la CBI, à savoir Omnipol Ltd, établie en République tchèque (ci-après «Omnipol»), au sujet d’une décision d’exequatur rendue par le rechtbank van eerste aanleg te Brussel (tribunal de première instance de Bruxelles) autorisant l’exécution d’un arrêt du Gerechtshof te Amsterdam du 11 décembre 2003 concernant des créances d’Omnipol sur la CBI.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 dispose:
«L’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.»
4 Ce règlement remplace la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1), ainsi que par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»).
5 L’article 36, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles prévoyait:
«Si l’exécution est autorisée, la partie contre laquelle l’exécution est demandée peut former un recours contre la décision dans le mois de sa signification.»
6 L’article 40 de cette convention disposait:
«Si sa requête est rejetée, le requérant peut former un recours:
[…]
La partie contre laquelle l’exécution est demandée est appelée à comparaître devant la juridiction saisie du recours. […]»
La réglementation nationale
7 L’article 1166 du code civil belge énonce:
«Néanmoins, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
8 Les requérantes et Omnipol sont concernées par la répartition équitable des sommes appartenant à la CBI.
9 Le montant de la créance d’Omnipol correspond à la moitié du montant total des créances sur la CBI. Omnipol fonde sa créance sur un arrêt du Gerechtshof te Amsterdam du 11 décembre 2003.
10 Le rechtbank van eerste aanleg te Brussel a autorisé l’exécution de cet arrêt en vertu des articles 38 et suivants du règlement n° 44/2001.
11 Les requérantes ont introduit conjointement un recours contre cette décision d’exequatur, au titre de l’«action oblique» au sens de l’article 1166 du code civil belge et de l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, afin d’empêcher l’exécution de l’arrêt rendu par le Gerechtshof te Amsterdam.
12 Le 14 novembre 2005, le rechtbank van eerste aanleg te Brussel a déclaré ce recours irrecevable en jugeant que, même si l’article 1166 du code civil belge accorde aux créanciers le droit d’exercer tous les droits et actions de leur débiteur, ceux-ci ne peuvent être considérés comme des «parties» au sens de l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001. En effet, la procédure d’exequatur de ce règlement prévoit un système complet et indépendant de voies de recours qu’il n’appartient pas au législateur national de compléter.
13 Les requérantes ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Elles soutiennent que le créancier qui exerce, au titre de l’action oblique, les droits du débiteur doit être considéré comme «partie» au sens de l’article 43, paragraphe l, du règlement n° 44/2001, dès lors que le débiteur était partie dans le cadre de la procédure étrangère.
14 Le Hof van Cassatie a constaté que, bien que le règlement n° 44/2001 ait, dans le domaine des voies de recours, le même objectif que la convention de Bruxelles, le libellé de l’article 43, paragraphe l, de ce règlement s’écarte du libellé de la disposition analogue contenue dans ladite convention.
15 En effet, l’article 36 de la convention de Bruxelles prévoyait que la partie contre laquelle l’exécution de l’arrêt en cause au principal était demandée pouvait former un recours contre la décision autorisant cette exécution, tandis que l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 ouvre un recours à «l’une ou l’autre partie» contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire de cet arrêt.
16 Considérant cette évolution dans le libellé des textes communautaires, la juridiction de renvoi a estimé qu’il n’allait pas de soi que l’interprétation de l’article 36 de la convention de Bruxelles donnée par la Cour (voir arrêt du 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschaftsbank, 148/84, Rec. p. 1981), selon laquelle les recours contre la déclaration constatant la force exécutoire ne peuvent être formés que par les parties au jugement ou à l’arrêt étranger, ce qui exclut tout recours de la part des tiers intéressés contre la décision accordant l’exequatur, doive toujours être retenue.
17 C’est dans ces conditions que le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Le créancier qui intente une action au nom et pour le compte de son débiteur doit-il être considéré comme une ‘partie’ au sens de l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, c’est-à-dire une partie qui peut introduire un recours contre une décision sur une demande de déclaration de force exécutoire, même s’il n’est pas formellement intervenu comme partie au procès dans le litige dans le cadre duquel un autre créancier de ce débiteur a demandé cette déclaration de force exécutoire?»
Sur la question préjudicielle
18 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un créancier d'un débiteur peut introduire un recours contre une décision sur une demande de déclaration de force exécutoire même s’il n’est pas formellement intervenu comme partie au procès dans le litige dans le cadre duquel un autre créancier de ce débiteur a demandé cette déclaration de force exécutoire.
19 Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler, d’une part, que, selon une jurisprudence constante, les dispositions du règlement n° 44/2001 doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (voir, notamment, arrêts du 13 juillet 2006, Reisch Montage, C-103/05, Rec. p. I‑6827, point 29, ainsi que du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, non encore publié au Recueil, point 17).
20 D’autre part, dans la mesure où le règlement n° 44/2001 remplace désormais, dans les relations des États membres, la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les premières dispositions vaut également pour les secondes, lorsque les dispositions de la convention de Bruxelles et celles du règlement n° 44/2001 peuvent être qualifiées d’équivalentes. Il ressort en outre du dix-neuvième considérant du règlement n° 44/2001 que la continuité dans l’interprétation entre la convention de Bruxelles et ledit règlement doit être assurée.
21 À cet égard, la juridiction nationale constate que le libellé de l’article 43, paragraphe l, du règlement n° 44/2001 s’écarte de celui de l’article 36 de la convention de Bruxelles.
22 L’examen du système institué par la convention de Bruxelles par rapport à celui instauré par le règlement n° 44/2001 fait cependant apparaître que le libellé de l’article 43, paragraphe l, de ce règlement doit être comparé non pas à celui de l’article 36, paragraphe 1, de cette convention, mais à celui d’une lecture combinée des articles 36 et 40 de ladite convention.
23 En effet, il ressort de l’article 36, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles, d’une part, et de l’article 40, paragraphe 1, de cette convention, d’autre part, que soit la partie contre laquelle l’exécution est demandée soit le requérant peut former un recours, si sa requête est rejetée. Ainsi, la lecture de ces deux dispositions fait apparaître que l’une ou l’autre partie à la procédure d’autorisation de l’exécution a la possibilité de former un recours contre la décision constatant la force exécutoire, ce qui équivaut au contenu de l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, regroupant ainsi les deux dispositions distinctes de la convention de Bruxelles.
24 Il en découle que la modification rédactionnelle, apportée à l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 par rapport à la convention de Bruxelles, n’a entraîné aucun changement de fond et ne saurait impliquer que l’interprétation fournie par la Cour des articles de la convention de Bruxelles concernant l’exécution d’une décision ne puisse s’appliquer aux articles correspondants du règlement n° 44/2001.
25 À cet égard, la Cour a d’abord jugé que le principe de la sécurité juridique dans l’ordre communautaire et les objectifs poursuivis par la convention de Bruxelles en vertu de l’article 220 CE, sur lequel elle se fonde, exigent une application uniforme dans tous les États membres des notions et des qualifications juridiques dégagées par la Cour dans le cadre de cette convention (voir arrêts du 14 juillet 1977, Bavaria Fluggesellschaft, 9/77 et 10/77, Rec. p. 1517, point 4, ainsi que du 11 août 1995, SISRO, C‑432/93, Rec. p. I‑2269, point 39).
26 Ensuite, elle a précisé que l’objectif principal de la convention de Bruxelles est de simplifier les procédures dans l’État où l’exécution est demandée en prévoyant une procédure d’exequatur très sommaire, simple et rapide, tout en donnant à la partie contre laquelle l’exécution a été demandée la possibilité de former un recours (voir, en ce sens, arrêts du 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren, C-414/92, Rec. p. I‑2237, point 20, et du 17 juin 1999, Unibank, C-260/97, Rec. p. I‑3715, point 14).
27 Cette procédure constitue un système autonome et complet, indépendant des systèmes juridiques des États contractants, y compris dans le domaine des voies de recours (voir arrêt Deutsche Genossenschaftsbank, précité, points 16 et 17). Les règles qui s’y rapportent doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir arrêt SISRO, précité, points 35 et 39). Il en résulte que l’article 36 de la convention de Bruxelles exclut les recours que le droit interne ouvre aux tiers intéressés à l’encontre d’une décision d’exequatur (voir arrêts Deutsche Genossenschaftsbank, précité, point 17, et du 21 avril 1993, Sonntag, C‑172/91, Rec. p. I‑1963, point 33).
28 La portée du droit accordé par l’article 1166 du code civil belge aux requérantes, dont le gouvernement belge a précisé à l’audience qu’elles ne pourraient être assimilées au débiteur, est, par conséquent, sans pertinence.
29 Finalement, la Cour a rappelé que, au regard du fait que la convention de Bruxelles se borne à régler la procédure d’exequatur des titres exécutoires étrangers et qu’elle ne touche pas à l’exécution proprement dite qui reste soumise au droit national du juge saisi (voir arrêt du 4 février 1988, Hoffmann, 145/86, Rec. p. 645, point 27), les tiers intéressés pourront intenter contre les mesures d’exécution forcée les recours qui leur sont ouverts par le droit de l’État où l’exécution forcée a lieu (voir arrêt Deutsche Genossenschaftsbank, précité, point 18).
30 Ces constatations ont vocation à s’appliquer de la même manière à l’égard du règlement n° 44/2001. Elles sont corroborées par le dix-huitième considérant de ce règlement qui se réfère aux voies de recours ouvertes contre la déclaration constatant la force exécutoire. En effet, selon ledit considérant, une telle faculté n’est accordée de façon explicite qu’aux seules parties requérante et défenderesse.
31 Il découle de tout ce qui précède que l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un créancier d'un débiteur ne peut pas introduire un recours contre une décision sur une demande de déclaration de force exécutoire s’il n’est pas formellement intervenu comme partie au procès dans le litige dans le cadre duquel un autre créancier de ce débiteur a demandé cette déclaration de force exécutoire.
Sur les dépens
32 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
L’article 43, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’un créancier d'un débiteur ne peut pas introduire un recours contre une décision sur une demande de déclaration de force exécutoire s’il n’est pas formellement intervenu comme partie au procès dans le litige dans le cadre duquel un autre créancier de ce débiteur a demandé cette déclaration de force exécutoire.
Signatures
Langue de procédure: le néerlandais.