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CJUE, 28 avril 2009, aff. C-420/07, Meletis Apostolides c/ David Charles Orams et Linda Elizabeth Orams

 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 28 avril 2009, Meletis Apostolides contre David Charles Orams et Linda Elizabeth Orams

Affaire C-420/07

Meletis Apostolides

contre

David Charles Orams
et
Linda Elizabeth Orams

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par

la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division))

«Demande de décision préjudicielle — Protocole nº 10 sur Chypre — Suspension de l'application de l'acquis communautaire dans les zones échappant au contrôle effectif du gouvernement chypriote — Règlement (CE) nº 44/2001 — Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Décision rendue par une juridiction chypriote siégeant dans la zone de contrôle effectif dudit gouvernement et concernant un immeuble situé hors de cette zone — Articles 22, point 1, 34, points 1 et 2, 35, paragraphe 1, et 38, paragraphe 1, dudit règlement»

 

Sommaire de l'arrêt

1.        Adhésion de nouveaux États membres aux Communautés — Acte d'adhésion de 2003 — Protocole nº 10 sur Chypre — Suspension de l'application de l'acquis communautaire dans la zone échappant au contrôle effectif du gouvernement de cet État membre

(Acte d'adhésion de 2003; protocole nº 10, art. 1er, § 1; règlement du Conseil nº 44/2001)

2.        Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001 — Compétences exclusives — Litiges en matière de droits réels immobiliers — Règle du «forum rei sitae» prévue à l'article 22, point 1, du règlement, déterminant la compétence judiciaire internationale des États membres

(Règlement du Conseil nº 44/2001, art. 22, point 1, et 35, § 1 et 3)

3.        Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001 — Reconnaissance et exécution des décisions — Motifs de refus — Violation de l'ordre public de l'État requis — Absence

(Règlement du Conseil nº 44/2001, art. 34, point 1, et 45, § 1)

4.        Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001 — Exécution — Conditions — Caractère exécutoire dans l'État membre d'origine

(Règlement du Conseil nº 44/2001, art. 38, § 1, et 54)

5.        Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2001 — Reconnaissance et exécution des décisions — Motifs de refus — Défaut de signification ou de notification en temps utile de l'acte introductif d'instance au défendeur défaillant — Absence

(Convention du 27 septembre 1968, art. 27, point 2; règlement du Conseil nº 44/2001, art. 34, point 2, et 45, § 1)

1.        La suspension de l'application de l'acquis communautaire dans les zones de la République de Chypre dans lesquelles le gouvernement de cet État membre n'exerce pas un contrôle effectif, prévue à l'article 1er, paragraphe 1, du protocole nº 10 sur Chypre de l'acte relatif aux conditions d'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne, ne s'oppose pas à l'application du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, à une décision rendue par une juridiction chypriote siégeant dans la zone de l'île effectivement contrôlée par le gouvernement chypriote, mais concernant un immeuble sis dans lesdites zones.

En effet, les dispositions d'un acte d’adhésion permettant de déroger aux règles du traité sont d'interprétation stricte au regard des dispositions concernées du traité et doivent être limitées à ce qui est absolument nécessaire pour atteindre son objectif. Il découle ainsi d'une interprétation littérale de l'article 1er, paragraphe 1, dudit protocole nº 10 que la suspension qu'il prévoit est limitée à l'application de l'acquis communautaire dans la zone nord de la République de Chypre. Tel n'est pas le cas des jugements dont la reconnaissance a été sollicitée dès lors qu'ils ont été rendus par une juridiction siégeant dans la zone contrôlée par le gouvernement. La circonstance que ces jugements concernent un immeuble sis dans ladite zone nord ne s'oppose pas à cette interprétation, dans la mesure où celle-ci, d'une part, n'annihile pas l'obligation d'appliquer le règlement nº 44/2001 dans la zone contrôlée par le gouvernement et, d'autre part, n'implique pas non plus que ce règlement soit appliqué, de ce fait, dans ladite zone nord.

(cf. points 35, 37-39, disp. 1)

2.        L'article 35, paragraphe 1, du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, n'autorise pas une juridiction d'un État membre à refuser la reconnaissance ou l'exécution d'une décision rendue par les juridictions d'un autre État membre concernant un immeuble sis dans une zone de ce dernier État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n'exerce pas un contrôle effectif.

À cet égard, l'article 22 du règlement nº 44/2001 contient une liste impérative et exhaustive de fors de compétence judiciaire internationale exclusive des États membres. Cet article ne fait que désigner l'État membre dont les juridictions sont compétentes ratione materiae, sans cependant répartir les compétences au sein de l'État membre concerné. Il appartient à chaque État membre de déterminer sa propre organisation juridictionnelle. En outre, le principe de l'interdiction du contrôle de la compétence des juridictions de l'État membre d'origine, prévu à l'article 35, paragraphe 3, dudit règlement, empêche qu'un contrôle de la compétence interne des juridictions de l'État membre d'origine concerné soit effectué dans l'affaire au principal. Par conséquent, la règle du forum rei sitae prévue à l'article 22, point 1, du règlement nº 44/2001 concerne la compétence judiciaire internationale des États membres et non pas la compétence judiciaire interne de ceux-ci. Il s'ensuit que, dès lors qu'un immeuble est situé sur le territoire d'un État membre et que, partant, la règle de compétence prévue à l'article 22, point 1, du règlement nº 44/2001 a été respectée, le fait que l'immeuble se trouve dans une zone de cet État membre sur laquelle le gouvernement de celui-ci n'exerce pas un contrôle effectif peut éventuellement avoir une incidence sur la compétence interne des juridictions de cet État membre, mais il ne saurait avoir aucune incidence aux fins de ce règlement.

(cf. points 48-52, disp. 2)

3.        Le fait qu'une décision rendue par les juridictions d'un État membre concernant un immeuble sis dans une zone de cet État membre sur laquelle le gouvernement de celui-ci n'exerce pas un contrôle effectif ne peut pas, en pratique, être exécutée au lieu où se trouve l'immeuble ne constitue pas un motif de refus de reconnaissance ou d'exécution au titre de l'article 34, point 1, du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

En l'absence d'un principe fondamental dans l'ordre juridique de l'État requis, auquel la reconnaissance ou l'exécution des jugements en cause pourraient porter atteinte, aucun refus de reconnaissance de ceux-ci, en vertu de l'article 34, point 1, du règlement nº 44/2001, et aucun refus d'exécution, en application de l'article 45, paragraphe 1, du même règlement, ne seraient justifiés au motif qu'une décision rendue par les juridictions d'un État membre concernant un immeuble sis dans une zone de cet État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n'exerce pas un contrôle effectif ne peut pas, en pratique, être exécutée au lieu où se trouve l'immeuble. En effet, l'atteinte devrait constituer une violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de l'État requis ou d'un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique.

(cf. points 59-62, 71, disp. 3)

4.        Le fait qu'une décision rendue par les juridictions d'un État membre concernant un immeuble sis dans une zone de cet État membre sur laquelle le gouvernement de celui-ci n'exerce pas un contrôle effectif ne peut pas, en pratique, être exécutée au lieu où se trouve l'immeuble n'implique pas une absence de caractère exécutoire d'une telle décision au sens de l'article 38, paragraphe 1, du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. À cet égard, s'il est vrai que le caractère exécutoire de la décision dans l'État membre d'origine constitue une condition de l'exécution de cette décision dans l'État membre requis et que, dès lors, il n'y a aucune raison d'accorder à un jugement, lors de son exécution, des droits qui ne lui appartiennent pas dans l'État membre d'origine, toutefois, il ne ne saurait être valablement soutenu que des jugements portant sur un immeuble sis dans la zone de Chypre où le gouvernement de cet État membre n'exerce pas un contrôle effectif sont dépourvus de caractère exécutoire dans cet État. En effet, s'agissant de jugements de condamnation dont le certificat prévu à l'article 54 du règlement constate le caractère exécutoire dans l'État membre d'origine à la date de délivrance de ce certificat, la circonstance que les requérants pourraient rencontrer des difficultés pour faire exécuter les jugements en cause dans la zone nord ne saurait priver ceux-ci de leur caractère exécutoire et, partant, n'empêche pas les juridictions de l'État membre requis de déclarer l'exequatur de tels jugements.

(cf. points 66-71, disp. 3)

5.        La reconnaissance ou l'exécution d'une décision prononcée par défaut ne peuvent pas être refusées au titre de l'article 34, point 2, du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, lorsque le défendeur a pu exercer un recours contre la décision rendue par défaut et que ce recours lui a permis de faire valoir que l'acte introductif d'instance ou l'acte équivalent ne lui avait pas été signifié ou notifié en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre. En effet, ledit article 34, point 2, à la différence de la disposition équivalente contenue à l'article 27, point 2, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, requiert non pas nécessairement la régularité de la signification ou de la notification de l'acte introductif d'instance, mais plutôt le respect effectif des droits de la défense. Ainsi, une décision rendue par défaut sur la base d'un acte introductif d'instance non signifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre doit être reconnue si ce dernier n'a pas pris l'initiative d'introduire un recours contre ce jugement, alors qu'il était en mesure de le faire. À plus forte raison les droits de la défense que le législateur communautaire a voulu sauvegarder par l'article 34, point 2, du règlement nº 44/2001 sont-ils respectés lorsque le défendeur a effectivement exercé un recours contre la décision rendue par défaut et que ce recours lui a permis de faire valoir que l'acte introductif d'instance ou l'acte équivalent ne lui avait pas été signifié ou notifié en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre.

(cf. points 75-78, 80, disp. 4)

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

28 avril 2009

 

«Demande de décision préjudicielle – Protocole nº 10 sur Chypre – Suspension de l’application de l’acquis communautaire dans les zones échappant au contrôle effectif du gouvernement chypriote – Règlement (CE) nº 44/2001 – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Décision rendue par une juridiction chypriote siégeant dans la zone de contrôle effectif dudit gouvernement et concernant un immeuble situé hors de cette zone – Articles 22, point 1, 34, points 1 et 2, 35, paragraphe 1, et 38, paragraphe 1, dudit règlement»

Dans l’affaire C‑420/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 28 juin 2007, parvenue à la Cour le 13 septembre 2007, dans la procédure

Meletis Apostolides

contre

David Charles Orams,

Linda Elizabeth Orams,

 

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, M. Ilešič et A. Ó Caoimh, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. J. Malenovský, J. Klučka et U. Lõhmus, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 septembre 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Apostolides, par M. T. Beazley, QC, et M. C. West, barrister, mandatés par M. S. Congdon, solicitor, et par M. C. Candounas, advocate,

–        pour M. et Mme Orams, par Mme C. Booth et M. N. Green, QC, ainsi que par MM. A. Ward et B. Bhalla, barristers,

–        pour le gouvernement chypriote, par M. P. Clerides, en qualité d’agent, assisté de M. D. Anderson, QC, et de Mme M. Demetriou, barrister,

–        pour le gouvernement grec, par Mmes A. Samoni-Rantou et S. Chala ainsi que par M. G. Karipsiadis, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. F. Hoffmeister et Mme A.-M. Rouchaud, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 décembre 2008,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, du protocole nº 10 sur Chypre de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 955, ci-après le «protocole nº 10»), ainsi que, d’autre part, de certains aspects du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Apostolides, ressortissant chypriote, à M. et Mme Orams, un couple marié de ressortissants britanniques (ci-après les «époux Orams»), à propos de la reconnaissance et de l’exécution au Royaume-Uni, au titre du règlement n° 44/2001, de deux jugements rendus par l’Eparchiako Dikastirio tis Lefkosias (Chypre).

 

 Le cadre juridique

 

 Le droit communautaire

 Le protocole n° 10

3        Le protocole nº 10 est libellé comme suit:

«Les Hautes Parties contractantes,

réaffirmant qu’elles sont attachées à un règlement global de la question chypriote, conforme aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies, et qu’elles appuient vigoureusement les efforts déployés par le Secrétaire général des Nations Unies à cet effet;

considérant que la question chypriote n’a pas encore pu faire l’objet d’un tel règlement global;

considérant qu’il est dès lors nécessaire de prévoir la suspension de l’application de l’acquis dans les zones de la République de Chypre dans lesquelles le gouvernement de la République de Chypre n’exerce pas un contrôle effectif;

considérant que, si une solution est trouvée à la question chypriote, cette suspension sera levée;

considérant que l’Union européenne est prête à prendre en considération les conditions d’un tel règlement global, conformément aux principes qui sous-tendent l’Union européenne;

considérant qu’il est nécessaire de prévoir les conditions dans lesquelles les dispositions pertinentes de la législation de l’U[nion] E[uropéenne] s’appliqueront à la ligne de démarcation entre les zones susmentionnées et tant les zones dans lesquelles le gouvernement de la République de Chypre exerce un contrôle effectif que la zone de souveraineté orientale du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord;

souhaitant que l’adhésion de Chypre à l’Union européenne bénéficie à tous les citoyens chypriotes et favorise la paix civile et la réconciliation;

considérant dès lors que rien dans le présent protocole n’empêche l’adoption de mesures dans cette perspective;

considérant que de telles mesures n’affectent pas l’application de l’acquis, dans les conditions fixées dans le traité d’adhésion, dans toute autre partie de la République de Chypre,

sont convenues des dispositions ci-après:

Article 1er

1.      L’application de l’acquis est suspendue dans les zones de la République de Chypre où le gouvernement de la République de Chypre n’exerce pas un contrôle effectif.

2.      Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, décide de la levée de la suspension visée au paragraphe 1.

Article 2

1.      Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, définit les conditions dans lesquelles les dispositions de la législation de l’Union européenne s’appliquent à la ligne de démarcation entre les zones visées à l’article 1er et les zones dans lesquelles le gouvernement de la République de Chypre exerce un contrôle effectif.

2.      La frontière entre la zone de souveraineté orientale du Royaume-Uni et les zones visées à l’article 1er est considérée comme faisant partie des frontières extérieures des zones de souveraineté du Royaume-Uni aux fins de l’application de la partie IV de l’annexe au protocole sur les zones de souveraineté du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à Chypre pendant la durée de la suspension de l’application de l’acquis conformément à l’article 1er.

Article 3

1.      Rien dans le présent protocole n’empêche l’adoption de mesures visant à favoriser le développement économique des zones visées à l’article 1er.

2.      De telles mesures n’affectent pas l’application de l’acquis, dans les conditions fixées dans le traité d’adhésion, dans toute autre partie de la République de Chypre.

Article 4

En cas de règlement, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, décide des adaptations des conditions relatives à l’adhésion de Chypre à l’Union européenne auxquelles il conviendrait de procéder pour tenir compte de la communauté chypriote turque.»

 Le règlement n° 44/2001

4        Les seizième à dix-huitième considérants du règlement n° 44/2001 énoncent:

«(16) La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure.

(17)      Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. À cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le présent règlement.

(18)      Le respect des droits de la défense impose toutefois que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire, s’il considère qu’un des motifs de non-exécution est établi. Une faculté de recours doit également être reconnue au requérant si la déclaration constatant la force exécutoire a été refusée.»

5        L’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement prévoit:

«Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.»

6        Aux termes de l’article 2 du même règlement:

«1.      Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

2.      Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux.»

7        L’article 22, point 1, du règlement n° 44/2001, figurant dans la section 6, intitulée «Compétences exclusives», du chapitre II de celui-ci, dispose:

«Sont seuls compétents, sans considération de domicile:

1)      en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les tribunaux de l’État membre où l’immeuble est situé.

Toutefois, en matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, sont également compétents les tribunaux de l’État membre dans lequel le défendeur est domicilié, à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même État membre».

8        L’article 34 dudit règlement énonce:

«Une décision n’est pas reconnue si:

1)      la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis;

2)      l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire;

3)      elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis;

4)      elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis.»

9        L’article 35 du même règlement est libellé comme suit:

«1.      De même, les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II ont été méconnues, ainsi que dans le cas prévu à l’article 72.

2.      Lors de l’appréciation des compétences mentionnées au paragraphe précédent, l’autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l’État membre d’origine a fondé sa compétence.

3.      Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine. Le critère de l’ordre public visé à l’article 34, point 1, ne peut être appliqué aux règles de compétence.»

10      L’article 38 du règlement n° 44/2001 prévoit:

«1.      Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

2.      Toutefois, au Royaume-Uni, ces décisions sont mises à exécution en Angleterre et au pays de Galles, en Écosse ou en Irlande du Nord, après avoir été enregistrées en vue de leur exécution, sur requête de toute partie intéressée, dans l’une ou l’autre de ces parties du Royaume-Uni, suivant le cas.»

11      L’article 45 du règlement n° 44/2001 dispose:

«1.      La juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. Elle statue à bref délai.

2.      En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.»

 Le droit national

12      Selon la législation nationale, les droits de propriété foncière afférents aux zones de la République de Chypre dans lesquelles le gouvernement de cet État membre n’exerce pas un contrôle effectif (ci-après la «zone nord») restent valides et actuels en dépit de l’invasion du territoire chypriote en 1974 par l’armée turque et de l’occupation militaire d’une partie de cet État qui s’en est suivie.

13      En vertu de l’article 21, paragraphe 2, de la loi 14/60 sur les tribunaux, dans sa version applicable au litige au principal, lorsqu’un recours porte sur toute matière afférente à un bien immeuble, «ce recours est porté devant l’Eparchiako Dikastirio du district au sein duquel un tel bien est situé».

14      Par ordonnance de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias (Cour suprême) publiée le 13 septembre 1974 dans l’Episimi Efimerida tis Kypriakis Dimokratias (Journal officiel de la République de Chypre), soit postérieurement à l’invasion de la zone nord, les districts de Kyrenia et de Nicosie ont été regroupés.

15      En vertu de la législation chypriote, la signification d’un acte introductif à un conjoint par remise de cet acte à l’autre conjoint est valable. Si le défendeur ne comparaît pas dans les dix jours de la signification de l’acte introductif, le demandeur a la faculté de solliciter un jugement par défaut. La comparution est un acte qui n’exige pas d’exposer un quelconque moyen de défense.

16      Le recours en annulation d’un jugement rendu par défaut impose au requérant la charge de démontrer qu’il dispose d’une défense plausible («arguable defence»).

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

17      La procédure devant la juridiction de renvoi a pour objet la reconnaissance et l’exécution au Royaume-Uni, au titre du règlement n° 44/2001, de deux jugements de l’Eparchiako Dikastirio tis Lefkosias (ci-après les «jugements en cause») statuant sur une action intentée contre les époux Orams par M. Apostolides et concernant un bien immobilier (ci-après l’«immeuble»).

18      L’immeuble est sis à Lapithos, dans le district de Kyrenia, lequel fait partie de la zone nord. Il était la propriété de la famille de M. Apostolides, laquelle l’occupait avant que l’armée turque n’eût envahi Chypre en 1974. Appartenant à la communauté chypriote grecque, la famille de ce dernier a été contrainte d’abandonner sa maison et s’est établie dans la zone de l’île effectivement contrôlée par le gouvernement chypriote (ci-après la «zone contrôlée par le gouvernement»).

19      Les époux Orams prétendent avoir acheté l’immeuble au cours de l’année 2002, de bonne foi à un tiers, ce dernier l’ayant lui-même acquis auprès des autorités de la République turque de Chypre du Nord, entité qui, à ce jour, n’a été reconnue par aucun État à l’exception de la République de Turquie. Les acquisitions successives auraient été conformes aux lois de cette entité. Les époux Orams ont construit une villa et séjournent fréquemment dans l’immeuble dont ils ont fait leur maison de vacances.

20      La circulation des personnes entre la zone nord et la zone contrôlée par le gouvernement a été restreinte jusqu’au mois d’avril de l’année 2003.

21      L’Eparchiako Dikastirio tis Lefkosias, juridiction chypriote établie dans la zone contrôlée par le gouvernement, a émis, le 26 octobre 2004, les actes introductifs d’instance de l’action intentée par M. Apostolides contre les époux Orams. Lesdits actes, à savoir un pour chaque conjoint, ont été signifiés sur place le même jour, à l’adresse de l’immeuble, par un huissier relevant de ladite juridiction. Les actes ont tous deux été signifiés par remise à Mme Orams en personne, laquelle a refusé de signer l’acte attestant de cette signification.

22      L’huissier n’a pas informé Mme Orams de sa qualité ni de la nature des documents remis par lui, ces derniers ayant été rédigés en grec, langue que les époux Orams ne comprennent pas. Mme Orams a toutefois compris que ces documents présentaient un caractère officiel et étaient de nature juridique.

23      En page de garde et en langue grecque, chaque acte introductif indiquait que, en vue d’éviter qu’un jugement ne soit rendu par défaut, il convenait de comparaître devant l’Eparchiako Dikastirio tis Lefkosias dans les dix jours de la signification.

24      Malgré les difficultés rencontrées pour trouver dans la zone nord un avocat parlant grec et habilité à plaider devant les juridictions de la zone contrôlée par le gouvernement, Mme Orams a réussi à obtenir le concours d’un tel avocat, lequel s’est engagé à comparaître en son nom le 8 novembre 2004. Celui-ci s’est toutefois présenté devant ladite juridiction non pas à cette date, mais seulement le lendemain.

25      Le 9 novembre 2004, personne n’ayant comparu pour les époux Orams, l’Eparchiako Dikastirio tis Lefkosias a statué par défaut sur la demande de M. Apostolides. Le même jour, cette juridiction refusait le pouvoir présenté par l’avocat de Mme Orams en raison du fait qu’il était rédigé en anglais et non en grec ou en turc.

26      Selon la décision de renvoi, le jugement rendu par défaut par l’Eparchiako Dikastirio tis Lefkosias ordonne aux époux Orams de:

–        démolir la villa, la piscine et l’enceinte qu’ils avaient érigées sur l’immeuble;

–        livrer immédiatement à M. Apostolides la libre possession de l’immeuble;

–        verser à M. Apostolides différents montants à titre de dommage spécial et de gains manqués mensuels, à savoir les loyers, jusqu’à la parfaite exécution du jugement, montants devant être majorés des intérêts;

–        cesser toute intervention illégale dans l’immeuble, personnellement ou par leurs commettants, et

–        verser différents montants à titre de dépens, majorés des intérêts.

27      Le 15 novembre 2004, les époux Orams ont formé opposition audit jugement. Après avoir entendu ces derniers et M. Apostolides en leurs preuves et arguments, l’Eparchiako Dikastirio tis Lefkosias a, par jugement du 19 avril 2005, rejeté l’opposition des époux Orams, au motif, pour l’essentiel, que ceux-ci n’avaient pas invoqué une défense plausible pour contester le titre de propriété de M. Apostolides. Les dépens du recours ont été mis à la charge des époux Orams.

28      Ces derniers ont fait appel du jugement ayant rejeté leur opposition. L’appel a été lui-même rejeté par arrêt de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias du 21 décembre 2006.

29      Le 18 octobre 2005, M. Apostolides a produit les documents requis en Angleterre pour solliciter, au titre du règlement n° 44/2001, la reconnaissance et l’exécution des jugements en cause. Par ordonnance du 21 octobre 2005, un Master de la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division, a ordonné que lesdits jugements soient exécutoires en Angleterre au titre du même règlement.

30      Les époux Orams ayant attaqué ladite ordonnance au titre de l’article 43 du règlement n° 44/2001, un juge de la High Court of Justice en a prononcé l’annulation par décision du 6 septembre 2006. M. Apostolides a fait appel de cette décision devant la juridiction de renvoi en vertu de l’article 44 dudit règlement.

31      Dans ces conditions, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      […]

La suspension de l’application de l’acquis communautaire dans la zone nord, opérée par l’article 1er, paragraphe 1, du protocole n° 10 […], empêche-t-elle une juridiction d’un État membre de reconnaître et d’exécuter une décision rendue par une juridiction de la République de Chypre siégeant dans la zone contrôlée par le gouvernement à l’égard d’une propriété dans la zone nord, lorsque cette reconnaissance et cette exécution sont sollicitées au titre du règlement […] n° 44/2001 […], qui fait partie de l’acquis communautaire?

2)      L’article 35, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 autorise-t-il ou oblige-t-il une juridiction d’un État membre à refuser la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue par les juridictions d’un autre État membre concernant une propriété dans une zone de ce dernier État membre sur laquelle le gouvernement de cet État membre n’exerce pas un contrôle effectif? Une décision de cette nature se heurte-t-elle en particulier à l’article 22 du règlement n° 44/2001?

3)      Une décision d’une juridiction d’un État membre siégeant dans une zone de cet État sur laquelle le gouvernement de cet État exerce un contrôle effectif, décision portant sur une propriété dans une zone sur laquelle le gouvernement de cet État n’exerce pas un contrôle effectif, peut-elle être privée de reconnaissance ou d’exécution au titre de l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001 au motif que la décision ne peut pas, en pratique, être exécutée là où se trouve la propriété, bien que la décision soit susceptible d’exécution dans la zone de l’État membre contrôlée par le gouvernement?

4)      Lorsque

–      un jugement par défaut a été rendu contre un défendeur;

–      le défendeur a entamé par la suite une procédure devant la juridiction d’origine pour attaquer le jugement rendu par défaut, mais que

–      son opposition a été vaine à l’issue d’une audition complète et loyale au motif qu’il n’est pas parvenu à exposer une défense plausible (condition requise par les règles internes pour pouvoir rapporter un jugement de cette nature),

le défendeur peut-il s’opposer à l’exécution de la décision initialement rendue par défaut ou à la décision qui a statué sur l’opposition, au titre de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001, au motif que l’acte introductif d’instance ne lui a pas été signifié en temps utile et de telle manière qu’il puisse préparer sa défense avant que la décision initiale n’ait été rendue par défaut? Le fait que l’audition s’est limitée à examiner les moyens que le défendeur opposait à la demande a-t-il une incidence?

5)      Quels éléments intéressent l’application du critère énoncé à l’article 34, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001 consistant à savoir si ‘l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a […] été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre’. En particulier:

a)      Lorsque la signification a effectivement porté l’acte introductif à l’attention du défendeur, les initiatives prises (ou non prises) par le défendeur ou ses avocats après la signification ont-elles une incidence?

b)      Quelle serait l’incidence d’un comportement particulier du défendeur ou de ses avocats ou de difficultés rencontrées?

c)      Le fait que l’avocat du défendeur a pu comparaître avant que la décision par défaut n’ait été rendue a-t-il une incidence?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question

32      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si la suspension de l’application de l’acquis communautaire dans la zone nord, prévue à l’article 1er, paragraphe 1, du protocole nº 10, s’oppose à l’application du règlement n° 44/2001 à une décision rendue par une juridiction chypriote siégeant dans la zone contrôlée par le gouvernement, mais concernant un immeuble sis dans ladite zone nord.

33      Il convient de relever d’emblée que l’acte d’adhésion d’un nouvel État membre est fondé essentiellement sur le principe général de l’application immédiate et intégrale des dispositions du droit communautaire audit État, des dérogations n’étant admises que dans la mesure où elles sont prévues expressément par des dispositions transitoires (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 1982, Metallurgiki Halyps/Commission, 258/81, Rec. p. 4261, point 8).

34      À cet égard, le protocole nº 10 constitue une dérogation transitoire au principe rappelé au point précédent, fondée sur la situation exceptionnelle existant à Chypre.

35      Toutefois, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 35 de ses conclusions, les dispositions d’un acte d’adhésion permettant de déroger aux règles du traité CE sont d’interprétation stricte au regard des dispositions concernées du traité et doivent être limitées à ce qui est absolument nécessaire pour atteindre son objectif (voir, par analogie, arrêts du 29 mars 1979, Commission/Royaume-Uni, 231/78, Rec. p. 1447, point 13; du 23 mars 1983, Peskeloglou, 77/82, Rec. p. 1085, point 12; du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207, point 26; du 14 décembre 1989, Agegate, C‑3/87, Rec. p. 4459, point 39, ainsi que du 3 décembre 1998, KappAhl, C‑233/97, Rec. p. I-8069, point 18).

36      Dans l’affaire au principal, la dérogation prévue par le protocole nº 10 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à l’application du règlement n° 44/2001 aux jugements en cause rendus par la juridiction chypriote.

37      En effet, il découle d’une interprétation littérale de l’article 1er, paragraphe 1, du protocole nº 10 que la suspension qu’il prévoit est limitée à l’application de l’acquis communautaire dans la zone nord. Cependant, dans l’affaire au principal, les jugements en cause, dont la reconnaissance a été sollicitée par M. Apostolides, ont été rendus par une juridiction siégeant dans la zone contrôlée par le gouvernement.

38      La circonstance que ces jugements concernent un immeuble sis dans la zone nord ne s’oppose pas à l’interprétation mentionnée au point précédent, dans la mesure où, d’une part, elle n’annihile pas l’obligation d’appliquer le règlement n° 44/2001 dans la zone contrôlée par le gouvernement et, d’autre part, elle n’implique pas non plus que ce règlement soit appliqué, de ce fait, dans ladite zone nord (voir, par analogie, arrêt du 1er mars 2005, Owusu, C-281/02, Rec. p. I‑1383, point 31).

39      Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que la suspension de l’application de l’acquis communautaire dans la zone nord, prévue à l’article 1er, paragraphe 1, du protocole n° 10, ne s’oppose pas à l’application du règlement n° 44/2001 à une décision rendue par une juridiction chypriote siégeant dans la zone contrôlée par le gouvernement, mais concernant un immeuble sis dans ladite zone nord.

 Sur les deuxième à cinquième questions

40      S’agissant des deuxième à cinquième questions, il convient de préciser que la Commission invoque la possibilité que l’affaire ne relève pas du champ d’application ratione materiæ du règlement n° 44/2001. Une telle allégation impose donc de déterminer si l’affaire au principal peut être considérée comme une «matière civile et commerciale» au sens de l’article 1er de ce règlement.

41      À cet égard, il importe de rappeler que, en vue d’assurer, dans la mesure du possible, l’égalité et l’uniformité des droits et obligations qui découlent du règlement n° 44/2001 pour les États membres et les personnes intéressées, il convient de ne pas interpréter la notion de «matière civile et commerciale» comme un simple renvoi au droit interne de l’un ou de l’autre des États concernés. Ladite notion doit être considérée comme une notion autonome qu’il faut interpréter en se référant, d’une part, aux objectifs et au système dudit règlement et, d’autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des ordres juridiques nationaux (voir arrêts du 14 octobre 1976, LTU, 29/76, Rec. p. 1541, point 3; du 16 décembre 1980, Rüffer, 814/79, Rec. p. 3807, point 7; du 21 avril 1993, Sonntag, C‑172/91, Rec. p. I‑1963, point 18; du 15 mai 2003, Préservatrice foncière TIARD, C-266/01, Rec. p. I‑4867, point 20; du 18 mai 2006, ČEZ, C‑343/04, Rec. p. I‑4557, point 22, ainsi que du 15 février 2007, Lechouritou e.a., C‑292/05, Rec. p. I‑1519, point 29).

42      L’interprétation autonome de la notion de «matière civile et commerciale» conduit à exclure certaines décisions juridictionnelles du champ d’application du règlement n° 44/2001 en raison des éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l’objet de celui-ci (voir arrêts précités LTU, point 4; Rüffer, point 14; Préservatrice foncière TIARD, point 21; ČEZ, point 22, ainsi que Lechouritou e.a., point 30).

43      La Cour a ainsi considéré que, si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever de ladite notion, il en est autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique (voir arrêts précités LTU, point 4; Rüffer, point 8; Sonntag, point 20; Préservatrice foncière TIARD, point 22, ainsi que Lechouritou e.a., point 31).

44      En effet, la manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, en raison de l’exercice par celle-ci de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, exclut un tel litige de la matière civile et commerciale au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 (voir, en ce sens, arrêts précités LTU, point 4; Rüffer, points 9 et 16; Sonntag, point 22; Préservatrice foncière TIARD, point 30, ainsi que, Lechouritou e.a., point 34).

45      Dans l’affaire au principal, est en cause un litige entre particuliers dont l’objet est l’obtention de dommages-intérêts pour prise de possession illégale d’un immeuble, la livraison et la remise en l’état original de celui-ci ainsi que la cessation de toute autre intervention illégale. L’action ainsi intentée est dirigée non pas à l’encontre de comportements ou de procédures qui supposent une manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, mais contre des actes accomplis par des particuliers.

46      Par conséquent, l’affaire en cause au principal doit être considérée comme se rattachant à une «matière civile et commerciale» au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001.

 Sur la deuxième question

47      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si le fait qu’une décision est rendue par une juridiction d’un État membre, concernant un immeuble sis dans une zone de cet État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n’exerce pas un contrôle effectif, peut être considéré comme constituant une méconnaissance de la règle de compétence énoncée à l’article 22, point 1, du règlement n° 44/2001 et, par conséquent, justifier un refus de reconnaissance ou d’exécution d’une telle décision en application de l’article 35, paragraphe 1, de ce règlement.

48      À cet égard, il convient de constater que l’article 22 du règlement n° 44/2001 contient une liste impérative et exhaustive de fors de compétence judiciaire internationale exclusive des États membres. Cet article ne fait que désigner l’État membre dont les juridictions sont compétentes ratione materiæ, sans cependant répartir les compétences au sein de l’État membre concerné. Il appartient à chaque État membre de déterminer sa propre organisation juridictionnelle.

49      En outre, le principe de l’interdiction du contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine, prévu à l’article 35, paragraphe 3, dudit règlement – ledit contrôle n’étant admis que par rapport aux dispositions du paragraphe 1 du même article –, empêche qu’un contrôle de la compétence interne des juridictions de l’État membre d’origine concerné soit effectué dans l’affaire au principal.

50      Par conséquent, la règle du forum rei sitæ prévue à l’article 22, point 1, du règlement n° 44/2001 concerne la compétence judiciaire internationale des États membres et non pas la compétence judiciaire interne de ceux-ci.

51      Dans l’affaire au principal, il est constant que l’immeuble est situé sur le territoire de la République de Chypre et que, partant, la règle de compétence prévue à l’article 22, point 1, du règlement n° 44/2001, a été respectée. Le fait que l’immeuble se trouve dans la zone nord peut éventuellement avoir une incidence sur la compétence interne des juridictions chypriotes, mais il ne saurait avoir aucune incidence aux fins de ce règlement.

52      Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 35, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 n’autorise pas une juridiction d’un État membre à refuser la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue par les juridictions d’un autre État membre concernant un immeuble sis dans une zone de ce dernier État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n’exerce pas un contrôle effectif.

 Sur la troisième question

53      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si le fait qu’une décision rendue par les juridictions d’un État membre concernant un immeuble sis dans une zone de cet État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n’exerce pas un contrôle effectif ne peut pas, en pratique, être exécutée au lieu où se trouve l’immeuble constitue un motif de refus de reconnaissance ou d’exécution au titre de l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001.

–       Sur l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001

54      Aux termes de l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001, une décision n’est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis. L’article 45, paragraphe 1, du même règlement prévoit un cas identique de refus d’exequatur.

55      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 34 du règlement n° 44/2001 doit recevoir une interprétation stricte en ce qu’il constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux dudit règlement (voir arrêts du 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren, C‑414/92, Rec. p. I‑2237, point 20; du 28 mars 2000, Krombach, C‑7/98, Rec. p. I‑1935, point 21, et du 11 mai 2000, Renault, C‑38/98, Rec. p. I‑2973, point 26). S’agissant plus précisément du recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 34, point 1, de ce règlement, il ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (voir arrêts du 4 février 1988, Hoffmann, 145/86, Rec. p. 645, point 21; du 10 octobre 1996, Hendrikman et Feyen, C‑78/95, Rec. p. I‑4943, point 23; Krombach, précité, point 21, ainsi que Renault, précité, point 26).

56      Si les États membres restent, en principe, libres de déterminer, en vertu de la réserve inscrite à l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001, conformément à leurs conceptions nationales, les exigences de leur ordre public, les limites de cette notion relèvent de l’interprétation de ce règlement (voir arrêts précités Krombach, point 22, et Renault, point 27).

57      Dès lors, s’il n’appartient pas à la Cour de définir le contenu de l’ordre public d’un État membre, il lui incombe néanmoins de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un État membre peut avoir recours à cette notion pour ne pas reconnaître une décision émanant d’un autre État membre (arrêts précités Krombach, point 23, et Renault, point 28).

58      À cet égard, il convient de relever que, en prohibant la révision au fond de la décision étrangère, les articles 36 et 45, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001 interdisent au juge de l’État requis de refuser la reconnaissance ou l’exécution de cette décision au seul motif qu’une divergence existerait entre la règle de droit appliquée par le juge de l’État d’origine et celle qu’aurait appliquée le juge de l’État requis s’il avait été saisi du litige. De même, le juge de l’État requis ne saurait contrôler l’exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l’État d’origine (voir arrêts précités Krombach, point 36, et Renault, point 29).

59      Un recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001, n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance ou l’exécution de la décision rendue dans un autre État membre heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental. Afin de respecter la prohibition de la révision au fond de la décision étrangère, l’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique (voir arrêts précités Krombach, point 37, et Renault, point 30).

60      À cet égard, le juge de l’État requis ne saurait, sous peine de remettre en cause la finalité du règlement n° 44/2001, refuser la reconnaissance d’une décision émanant d’un autre État membre au seul motif qu’il estime que, dans cette décision, le droit national ou le droit communautaire a été mal appliqué. Il importe, au contraire, de considérer que, dans de tels cas, le système des voies de recours mis en place dans chaque État membre, complété par le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à l’article 234 CE, fournit aux justiciables une garantie suffisante (voir arrêt Renault, précité, point 33). La clause de l’ordre public ne jouerait dans de tels cas que dans la mesure où ladite erreur de droit implique que la reconnaissance ou l’exécution de la décision dans l’État requis soit considérée comme une violation manifeste d’une règle de droit essentielle dans l’ordre juridique dudit État membre (voir, en ce sens, arrêt Renault, précité, point 34).

61      Dans l’affaire au principal, comme M. Apostolides ainsi que les gouvernements chypriote et grec l’ont relevé, la juridiction de renvoi n’a mentionné aucun principe fondamental de l’ordre juridique du Royaume-Uni auquel la reconnaissance ou l’exécution des jugements en cause seraient susceptibles de porter atteinte.

62      Par conséquent, en l’absence d’un principe fondamental dans l’ordre juridique du Royaume-Uni auquel la reconnaissance ou l’exécution des jugements en cause pourraient porter atteinte, aucun refus de reconnaissance de ceux-ci, en vertu de l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001, ne serait justifié au motif qu’une décision rendue par les juridictions d’un État membre concernant un immeuble sis dans une zone de cet État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n’exerce pas un contrôle effectif ne peut pas, en pratique, être exécutée au lieu où se trouve l’immeuble. De même, aucun refus d’exécution ne serait opposable sur le fondement de ladite disposition, en application de l’article 45, paragraphe 1, du même règlement.

–       Sur l’article 38, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001

63      Nonobstant les considérations précédentes, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de l’application de l’article 234 CE, celle-ci peut dégager du libellé des questions formulées par le juge national, eu égard aux données exposées par celui-ci, les éléments relevant de l’interprétation du droit communautaire, en vue de permettre à ce juge de résoudre le problème juridique dont il se trouve saisi (voir arrêts du 28 janvier 1992, López Brea et Hidalgo Palacios, C‑330/90 et C‑331/90, Rec. p. I‑323, point 5; du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, Rec. p. I‑10239, point 60, ainsi que du 9 novembre 2006, Chateignier, C‑346/05, Rec. p. I‑10951, point 18).

64      Or, dans l’affaire au principal, si la circonstance que les jugements en cause ne peuvent pas être exécutés dans l’État membre d’origine ne saurait justifier le refus de la reconnaissance ou de l’exécution de ceux-ci, en vertu de l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001, il n’en demeure pas moins qu’une telle circonstance pourrait être pertinente aux fins de l’article 38, paragraphe 1, du même règlement.

65      Aux termes de cette dernière disposition, les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

66      Dès lors, le caractère exécutoire de la décision dans l’État membre d’origine constitue une condition de l’exécution de cette décision dans l’État membre requis (voir arrêt du 29 avril 1999, Coursier, C‑267/97, Rec. p. I‑2543, point 23). À cet égard, si la reconnaissance doit avoir pour effet, en principe, d’attribuer aux décisions l’autorité et l’efficacité dont elles jouissent dans l’État membre où elles ont été rendues (voir arrêt Hoffmann, précité, points 10 et 11), il n’y a cependant aucune raison d’accorder à un jugement, lors de son exécution, des droits qui ne lui appartiennent pas dans l’État membre d’origine [voir le rapport sur la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, élaboré par M. Jenard (JO 1979, C 59, p. 48)] ou des effets que ne produirait pas un jugement du même type rendu directement dans l’État membre requis.

67      Toutefois, dans l’affaire au principal, il ne saurait être valablement soutenu que les jugements en cause sont dépourvus de caractère exécutoire dans l’État membre d’origine.

68      En effet, il s’agit de jugements de condamnation dont le certificat prévu à l’article 54 du règlement n° 44/2001 constate le caractère exécutoire dans l’État membre d’origine à la date de délivrance de ce certificat.

69      À cet égard, il importe de relever que le règlement n° 44/2001 se borne à régler la procédure d’exequatur des titres exécutoires étrangers et ne touche pas à l’exécution proprement dite, qui reste soumise au droit national du juge saisi (voir arrêts du 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschaftsbank, 148/84, Rec. p. 1981, point 18; du 3 octobre 1985, Capelloni et Aquilini, 119/84, Rec. p. 3147, point 16, ainsi que Hoffmann, précité, point 27), sans que l’application des règles de procédure de l’État membre requis dans le cadre de l’exécution puisse porter atteinte à l’effet utile du système prévu par ledit règlement en matière d’exequatur en faisant échec aux principes posés en la matière, que ce soit de façon expresse ou implicite, par le règlement lui-même (voir, en ce sens, arrêts Capelloni et Aquilini, précité, point 21; Hoffmann, précité, point 29, ainsi que du 15 mai 1990, Hagen, C‑365/88, Rec. p. I‑1845, point 20).

70      La circonstance que les requérants pourraient rencontrer des difficultés pour faire exécuter les jugements en cause dans la zone nord ne saurait priver ceux-ci de leur caractère exécutoire et, partant, n’empêche pas les juridictions de l’État membre requis de déclarer l’exequatur de tels jugements.

71      Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question posée que le fait qu’une décision rendue par les juridictions d’un État membre concernant un immeuble sis dans une zone de cet État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n’exerce pas un contrôle effectif ne peut pas, en pratique, être exécutée au lieu où se trouve l’immeuble ne constitue pas un motif de refus de reconnaissance ou d’exécution au titre de l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001 et n’implique pas non plus une absence de caractère exécutoire d’une telle décision au sens de l’article 38, paragraphe 1, dudit règlement.

 Sur la quatrième question

72      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si la reconnaissance ou l’exécution d’une décision prononcée par défaut peuvent être refusées au titre de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 en raison du fait que l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, lorsque ce dernier a pu exercer un recours à l’encontre de cette décision devant les juridictions de l’État membre d’origine.

73      À cet égard, il ressort des seizième à dix-huitième considérants du règlement n° 44/2001 que le système de recours qu’il prévoit à l’encontre de la reconnaissance ou de l’exécution d’une décision vise à établir un juste équilibre entre, d’une part, la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union, qui justifie que les décisions rendues dans un État membre soient, en principe, reconnues et déclarées exécutoires de plein droit dans un autre État membre, et, d’autre part, le respect des droits de la défense, qui impose que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire, s’il considère que l’un des motifs de non-exécution est établi.

74      La Cour a eu l’occasion, dans son arrêt du 14 décembre 2006, ASML (C‑283/05, Rec. p. I‑12041), de souligner les différences entre l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 et l’article 27, point 2, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32).

75      Ledit article 34, point 2, à la différence dudit article 27, point 2, requiert non pas nécessairement la régularité de la signification ou de la notification de l’acte introductif d’instance, mais plutôt le respect effectif des droits de la défense (arrêt ASML, précité, point 20).

76      En effet, aux termes des articles 34, point 2, et 45, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue par défaut doit être refusée, en cas de recours, si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins que ce dernier n’ait pas exercé de recours à l’encontre de cette décision devant les juridictions de l’État membre d’origine alors qu’il était en mesure de le faire.

77      Il ressort du libellé desdites dispositions qu’une décision rendue par défaut sur la base d’un acte introductif d’instance non signifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre doit être reconnue si ce dernier n’a pas pris l’initiative d’introduire un recours contre ce jugement, alors qu’il était en mesure de le faire.

78      À plus forte raison les droits de la défense que le législateur communautaire a voulu sauvegarder par l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 sont-ils respectés lorsque le défendeur a effectivement exercé un recours contre la décision rendue par défaut et que ce recours lui a permis de faire valoir que l’acte introductif d’instance ou l’acte équivalent ne lui avait pas été signifié ou notifié en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre.

79      Dans l’affaire au principal, il est constant que les époux Orams ont exercé un tel recours dans l’État membre d’origine à l’encontre du jugement rendu par défaut le 9 novembre 2004. Par conséquent, l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 ne saurait être valablement invoqué.

80      Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la quatrième question que la reconnaissance ou l’exécution d’une décision prononcée par défaut ne peuvent pas être refusées au titre de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 lorsque le défendeur a pu exercer un recours contre la décision rendue par défaut et que ce recours lui a permis de faire valoir que l’acte introductif d’instance ou l’acte équivalent ne lui avait pas été signifié ou notifié en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre.

 Sur la cinquième question

81      Compte tenu de la réponse à la quatrième question, il n’y a pas lieu de répondre à la cinquième question.

 

 Sur les dépens

 

82      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      La suspension de l’application de l’acquis communautaire dans les zones de la République de Chypre dans lesquelles le gouvernement de cet État membre n’exerce pas un contrôle effectif, prévue à l’article 1er, paragraphe 1, du protocole n° 10 sur Chypre de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne, ne s’oppose pas à l’application du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, à une décision rendue par une juridiction chypriote siégeant dans la zone de l’île effectivement contrôlée par le gouvernement chypriote, mais concernant un immeuble sis dans lesdites zones.

2)      L’article 35, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 n’autorise pas une juridiction d’un État membre à refuser la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue par les juridictions d’un autre État membre concernant un immeuble sis dans une zone de ce dernier État sur laquelle le gouvernement de celui-ci n’exerce pas un contrôle effectif.

3)      Le fait qu’une décision rendue par les juridictions d’un État membre concernant un immeuble sis dans une zone de cet État membre sur laquelle le gouvernement de celui-ci n’exerce pas un contrôle effectif ne peut pas, en pratique, être exécutée au lieu où se trouve l’immeuble ne constitue pas un motif de refus de reconnaissance ou d’exécution au titre de l’article 34, point 1, du règlement n° 44/2001 et n’implique pas non plus une absence de caractère exécutoire d’une telle décision au sens de l’article 38, paragraphe 1, dudit règlement.

4)      La reconnaissance ou l’exécution d’une décision prononcée par défaut ne peuvent pas être refusées au titre de l’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 lorsque le défendeur a pu exercer un recours contre la décision rendue par défaut et que ce recours lui a permis de faire valoir que l’acte introductif d’instance ou l’acte équivalent ne lui avait pas été signifié ou notifié en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre.

Signatures


Langue de procédure: l’anglais.

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