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CJUE, 15 mars 2012, aff. C‑292/10, G c/ Cornelius de Visser

 

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 mars 2012

G contre Cornelius de Visser

 

«Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Signification publique des pièces judiciaires — Absence d’un domicile ou d’un lieu de séjour connu du défendeur sur le territoire d’un État membre — Compétence ‘en matière délictuelle ou quasi délictuelle’ — Atteinte aux droits de la personnalité susceptible d’avoir été commise par la publication de photographies sur Internet — Lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire»

Dans l’affaire C‑292/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Regensburg (Allemagne), par décision du 17 mai 2010, parvenue à la Cour le 11 juin 2010, dans la procédure

G

contre

Cornelius de Visser,

 

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), A. Borg Barthet, J.-J. Kasel et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 mai 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement danois, par M. C. Vang, en qualité d’agent,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté par M. A. Collins, SC, et Mme M. Noonan, BL,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Varone, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement luxembourgeois, par M. C. Schiltz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér ainsi que par Mmes K. Szíjjártó et K. Molnár, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 TUE et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte»), de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1), des articles 4, paragraphe 1, 5, point 3, et 26, paragraphe 2, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), ainsi que de l’article 12 du règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (JO L 143, p. 15).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant G à M. de Visser au sujet d’une action en responsabilité du fait de la mise en ligne sur un site Internet de photos sur lesquelles G apparaît en partie nue.

 

 Le cadre juridique

 

 Le droit de l’Union

 La directive 2000/31

3        Le vingt-troisième considérant de la directive 2000/31 énonce:

«La présente directive n’a pas pour objet d’établir des règles supplémentaires de droit international privé relatives aux conflits de loi ni de traiter de la compétence des tribunaux. Les dispositions du droit applicable désigné par les règles du droit international privé ne doivent pas restreindre la libre prestation des services de la société de l’information telle que prévue par la présente directive.»

4        Conformément à son article 1er, paragraphe 1, cette directive a pour objectif «de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres».

5        L’article 1er, paragraphe 4, de ladite directive est libellé comme suit:

«La présente directive n’établit pas de règles additionnelles de droit international privé et ne traite pas de la compétence des juridictions.»

6        L’article 3 de la même directive, intitulé «Marché intérieur», dispose à son paragraphe 1:

«Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné.»

7        L’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31est ainsi libellé:

«Les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.»

 Le règlement no 44/2001

8        Le deuxième considérant du règlement no 44/2001 énonce:

«Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.»

9        Aux termes de l’article 2 de ce règlement:

«1.      Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

2.       Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux.»

10      L’article 3, paragraphe 1, dudit règlement dispose:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

11      L’article 4 du même règlement est ainsi libellé:

«1.      Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application des dispositions des articles 22 et 23.

2.      Toute personne, quelle que soit sa nationalité, domiciliée sur le territoire d’un État membre, peut, comme les nationaux, y invoquer contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment celles prévues à l’annexe I.»

12      Au chapitre II, section 2, intitulée «Compétences spéciales», l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 prévoit:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[...]

3)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

13      L’article 26 de ce règlement, figurant à la section 8, intitulée «Vérification de la compétence et de la recevabilité», dudit chapitre II, est libellé comme suit:

«1.      Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, le juge se déclare d’office incompétent si sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement.

2.      Le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que ce défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin.

3.      L’article 19 du règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale [JO L 160, p. 37] s’applique en lieu et place des dispositions du paragraphe 2 si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis d’un État membre à un autre en exécution de ce règlement.

4.      Lorsque les dispositions du règlement no 1348/2000 ne sont pas applicables, l’article 15 de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale [ci-après la ‘convention de La Haye de 1965’] s’applique si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis en exécution de cette convention.»

14      Au chapitre III du règlement no 44/2001, intitulé «Reconnaissance et exécution», figure l’article 34 qui prévoit, au point 2, qu’une décision n’est pas reconnue si: 

«l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire».

15      L’article 59 du règlement no 44/2001 dispose:

«1.      Pour déterminer si une partie a un domicile sur le territoire de l’État membre dont les tribunaux sont saisis, le juge applique sa loi interne.

2.      Lorsqu’une partie n’a pas de domicile dans l’État membre dont les tribunaux sont saisis, le juge, pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, applique la loi de cet État membre.»

 Le règlement no 805/2004

16      Aux termes de son article 1er, le règlement no 805/2004 a pour objet de créer un titre exécutoire européen pour les créances incontestées en vue, grâce à l’établissement de normes minimales, d’assurer la libre circulation des décisions, des transactions judiciaires et des actes authentiques dans tous les États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

17      L’article 5 de ce règlement, intitulé «Suppression de l’exequatur», est ainsi libellé:

«Une décision qui a été certifiée en tant que titre exécutoire européen dans l’État membre d’origine est reconnue et exécutée dans les autres États membres, sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance.»

18      L’article 12, paragraphe 1, dudit règlement se lit comme suit:

«Une décision relative à une créance incontestée au sens de l’article 3, paragraphe 1, point b) ou c), ne peut être certifiée en tant que titre exécutoire européen que si la procédure judiciaire dans l’État membre d’origine a satisfait aux conditions de procédure visées dans le présent chapitre.»

19      Aux termes de l’article 14, paragraphes 1 et 2, du règlement no 805/2004:

«1.      L’acte introductif d’instance ou d’un acte équivalent ainsi que de toute citation à comparaître peut également avoir été signifié ou notifié au débiteur par l’un des modes suivants:

a)      notification ou signification à personne, à l’adresse personnelle du débiteur, à des personnes vivant à la même adresse que celui-ci ou employées à cette adresse;

b)      si le débiteur est un indépendant ou une personne morale, signification ou notification à personne, dans les locaux commerciaux du débiteur, à des personnes employées par le débiteur;

c)      dépôt de l’acte dans la boîte aux lettres du débiteur;

d)      dépôt de l’acte dans un bureau de poste ou auprès d’une autorité publique compétente et communication écrite de ce dépôt dans la boîte aux lettres du débiteur, à condition que la communication écrite mentionne clairement la nature judiciaire de l’acte ou le fait qu’elle vaut notification ou signification et a pour effet de faire courir les délais;

e)      par voie postale non assortie de l’attestation visée au paragraphe 3, lorsque le débiteur a une adresse dans l’État membre d’origine;

f)      par des moyens électroniques avec accusé de réception automatique, à condition que le débiteur ait expressément accepté à l’avance ce mode de signification ou de notification.

2.      Aux fins du présent règlement, la signification ou la notification au titre du paragraphe 1 n’est pas admise si l’adresse du débiteur n’est pas connue avec certitude.»

Le règlement (CE) no 1393/2007

20      Selon son article 1er, paragraphe 2, le règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale («signification ou notification des actes»), et abrogeant le règlement no 1348/2000 (JO L 324, p. 79), ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue.

21      L’article 19 du règlement no 1393/2007, intitulé «Défendeur non comparant», est libellé comme suit:

«1.      Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification, selon les dispositions du présent règlement, et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi:

a)      ou bien que l’acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par la loi de l’État membre requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire;

b)      ou bien que l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement;

et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre.

2.      Chaque État membre peut faire savoir, conformément à l’article 23, paragraphe 1, que ses juges, nonobstant les dispositions du paragraphe 1, peuvent statuer si toutes les conditions ci-après sont réunies, même si aucune attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise n’a été reçue:

a)      l’acte a été transmis selon un des modes prévus par le présent règlement;

b)      un délai, que le juge appréciera dans chaque cas particulier et qui sera d’au moins six mois, s’est écoulé depuis la date d’envoi de l’acte;

c)      aucune attestation n’a pu être obtenue nonobstant toutes les démarches effectuées auprès des autorités ou entités compétentes de l’État membre requis.

3.      Les paragraphes 1 et 2 ne font pas obstacle à ce que, en cas d’urgence, le juge ordonne toute mesure provisoire ou conservatoire.

4.      Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification, selon les dispositions du présent règlement, et qu’une décision a été rendue contre un défendeur qui n’a pas comparu, le juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l’expiration des délais de recours, si les conditions ci-après sont réunies:

a)      le défendeur, sans qu’il y ait eu faute de sa part, n’a pas eu connaissance dudit acte en temps utile pour se défendre, ou connaissance de la décision en temps utile pour exercer un recours; et

b)      les moyens du défendeur n’apparaissent pas dénués de tout fondement.

La demande tendant au relevé de la forclusion doit être formée dans un délai raisonnable à partir du moment où le défendeur a eu connaissance de la décision.

Chaque État membre a la faculté de préciser, conformément à l’article 23, paragraphe 1, que cette demande est irrecevable si elle n’est pas formée dans un délai qu’il indiquera dans sa communication, ce délai ne pouvant toutefois être inférieur à un an à compter du prononcé de la décision.

5.      Le paragraphe 4 ne s’applique pas aux décisions concernant l’état ou la capacité des personnes.»

 Le droit national

22      Le code de procédure civile allemand (Zivilprozessordnung) contient, à ses articles 185, 186 et 188, les dispositions suivantes en matière de signification par voie de publication:

«Article 185 Notification par voie de publication

La signification peut avoir lieu par affichage public (notification par voie de publication)

si

1.      le lieu de résidence de l’intéressé est inconnu et s’il n’est pas possible de signifier l’acte concerné à un représentant ou à un mandataire ad litem,

2.      dans le cas de personnes morales obligées d’inscrire une adresse professionnelle nationale au registre du commerce, une signification n’est pas possible, que ce soit à l’adresse légale ou à l’adresse inscrite au registre du commerce d’une personne habilitée à recevoir les significations, ou encore à une autre adresse nationale connue sans qu’aucune recherche n’ait été effectuée,

3.      une signification à l’étranger n’est pas possible ou échouera selon toute vraisemblance, ou

4.      la signification ne peut avoir lieu parce que le lieu de la signification est l’habitation d’une personne qui, conformément aux articles 18 à 20 de la loi sur l’organisation judiciaire, ne peut être attraite.

Article 186 Approbation et exécution de la signification par voie de publication

1)      Le tribunal saisi de l’instance décide d’autoriser, ou non, la signification par voie de publication. Cette décision peut être rendue en dehors de toute procédure orale.

2)      La signification par voie de publication se fait par affichage d’un avis au tableau d’affichage ou par saisie de cet avis dans un système d’information électronique accessible au public dans l’enceinte du tribunal. L’avis peut également être publié dans un système d’information et de communication électronique du tribunal destiné aux publications. L’avis doit indiquer

1.      la personne pour le compte de laquelle l’acte est signifié,

2.      le nom et la dernière adresse connue du destinataire de la signification,

3.      la date, le numéro de référence de l’acte et la dénomination de l’objet du litige, ainsi que

4.      le lieu où l’acte peut être consulté.

L’avis doit indiquer qu’un acte est signifié par voie de publication et que des délais peuvent commencer à courir et qu’à leur échéance, l’intéressé risque d’être privé de ses droits. Lors de la signification d’une citation, l’avis doit indiquer que l’acte contient une citation en justice dont le non-respect peut avoir des conséquences juridiques négatives.

3)      Les actes doivent faire mention de la date à partir de laquelle l’avis a été affiché et de la date de son retrait.

[...]

Article 188 Moment de la signification par voie de publication

L’acte est réputé signifié lorsqu’un mois s’est écoulé depuis l’affichage de l’avis. Le tribunal saisi de l’instance peut fixer un délai plus long.»

23      L’article 331 du code de procédure civile allemand, intitulé «Jugement par défaut du défendeur», dispose:

«1.      Si le demandeur demande qu’un jugement par défaut soit rendu à l’encontre du défendeur qui ne s’est pas présenté à l’audience de plaidoiries, la réalité des faits invoqués par le demandeur lors de l’audience de plaidoiries est à considérer comme ayant été admise. Cette règle ne s’applique pas en ce qui concerne les faits visant à fonder la compétence du tribunal en vertu des articles 29, paragraphe 2, ou 38.

2.      Dans la mesure où les arguments avancés par le demandeur confèrent un fondement aux demandes formulées, il convient d’y faire droit; dans la mesure où ce n’est pas le cas, l’action doit être rejetée.

3.      Si, contrairement à l’article 276, paragraphes 1, première phrase, et 2, le défendeur n’a pas indiqué en temps utile vouloir se défendre contre l’action, le tribunal, sur demande du demandeur, statue sans audience de plaidoiries; cette règle ne joue pas si la déclaration du défendeur parvient encore au tribunal avant que le jugement signé par les juges ne soit transmis au greffe. La demande peut être formulée dès l’acte introductif d’instance. Le tribunal peut également statuer sans audience de plaidoiries dans la mesure où l’argumentation avancée par le demandeur ne confère pas de fondement à ses prétentions sur un chef de demande accessoire, à condition que le demandeur ait été informé de cette possibilité avant que le tribunal ne statue.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

24      M. de Visser est propriétaire du nom de domaine et responsable du site Internet www.*****.de. Sous le lien «Fotos und Videos» (photos et vidéos) de ce site Internet, il est possible de voir une photographie de G. Après avoir cliqué sur le lien «für weitere Fotos hier klicken» (cliquer ici pour d’autres photos), il est possible de voir diverses photographies de celle-ci sur lesquelles elle est montrée en partie nue.

25      Cette situation a pour origine le fait que, vers l’année 2003, G s’est intéressée au site Internet et aux prestations de services de M. de Visser et a contacté celui-ci pour cette raison. Par la suite, ce dernier, par l’intermédiaire d’une collaboratrice et d’un photographe mandaté par lui, a réalisé des photographies de G en Allemagne, avec pour utilisation prévue «für eine Party» (pour une soirée). Toutefois, G n’a jamais donné son accord pour que ces photographies soient publiées. La question de la mise en ligne sur Internet desdites photographies n’a d’ailleurs jamais été discutée avec elle et n’a donc fait l’objet d’aucun accord concret.

26      Ce n’est qu’au cours de l’année 2009 que G a été confrontée par des collègues de travail aux photographies en cause mises en ligne sur Internet.

27      Tant les informations légales du site Internet en cause que la base de données de DENIC (registre du domaine .de) indiquent comme «Admin-C» (administrative contact) M. N*****, avec une adresse à Dortmund (Allemagne). Toutefois, personne n’est inscrit sous ce nom dans l’annuaire téléphonique de Dortmund.

28      Le lieu où se trouve le serveur qui héberge le site Internet en cause n’est pas connu.

29      Dans les informations légales du site Internet www.*****.de, M. de Visser est inscrit en tant que propriétaire de domaine avec une adresse à Terneuzen (Pays‑Bas) et une adresse postale à Venlo (Pays-Bas). Une signification à ces adresses n’a cependant pas été possible, chacun des envois postaux étant revenu avec la mention «Inconnu à cette adresse». Sur demande, le consulat du Royaume des Pays-Bas à Munich (Allemagne) a déclaré que M. de Visser n’était inscrit dans aucun registre de la population aux Pays-Bas.

30      Après l’octroi de l’aide judiciaire à G, la juridiction de renvoi a ordonné, le 8 février 2010, la signification par voie de publication de l’acte introductif d’instance ainsi qu’une procédure écrite préparatoire. Auparavant, il avait été vainement tenté, dans le cadre de la procédure de demande d’aide judiciaire, de faire parvenir à M. de Visser le projet d’acte introductif d’instance par envoi postal normal à différentes adresses.

31      La signification par voie de publication de l’acte introductif d’instance, conformément au code de procédure civile allemand, a été effectuée au moyen de l’affichage d’un avis de cette signification sur le tableau d’affichage du Landgericht Regensburg du 11 février au 15 mars 2010. Au jour de l’adoption de la décision de renvoi, les délais impartis à M. de Visser dans ladite signification pour faire connaître s’il est disposé à se défendre avaient expiré sans que ce dernier ait réagi. Selon la juridiction de renvoi, il faut, compte tenu des circonstances, partir de l’hypothèse que celui-ci n’a pas connaissance à ce jour de la procédure engagée devant elle.

32      Cette juridiction ajoute que, si la possibilité d’une signification par voie de publication de l’acte introductif d’instance selon le droit national devait s’effacer devant les règles du droit de l’Union, il ne resterait que la possibilité pour G d’indiquer d’autres adresses de M. de Visser auxquelles cette signification pourrait être faite, ce qui lui serait probablement impossible, faute de connaître ces adresses ou de pouvoir les déterminer. Or, cela serait susceptible d’être incompatible avec l’article 47, premier alinéa, de la charte, car G serait alors privée dans les faits du droit à un recours juridictionnel effectif qui lui est garanti.

33      Nourrissant, par ailleurs, certains doutes quant à l’applicabilité et à l’interprétation du règlement no 44/2001 ainsi qu’à la détermination du droit matériel applicable à l’action au principal, le Landgericht Regensburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, premier membre de phrase, [TUE], d’une part, et de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la charte [...], d’autre part, ou d’autres dispositions du droit de l’Union, s’opposent-elles à une ‘signification par voie de publication’ selon le droit national (conformément aux articles 185 à 188 du code de procédure civile allemand, par voie d’affichage de l’avis de signification sur le tableau d’affichage de la juridiction ordonnant la signification pendant une durée d’un mois) lorsque la personne attraite dans une procédure civile au début de celle-ci indique certes sur son site Internet une adresse située sur le territoire de l’Union européenne, mais qu’une signification n’est pas possible faute de présence du défendeur à cet endroit et que l’on ne peut déterminer par ailleurs où il se trouve à ce moment?

2)      Pour le cas où il y aurait lieu de répondre à la [première] question [...] par l’affirmative:

La juridiction nationale doit-elle refuser dans ce cas, conformément à la jurisprudence de la Cour intervenue jusqu’à présent (en dernier lieu, l’arrêt du 12 janvier 2010, Petersen, C‑341/08, [Rec. p. I‑47]), d’appliquer les dispositions nationales autorisant une signification par voie de publication même lorsque le droit national réserve un tel refus d’application à la compétence du Bundesverfassungsgericht?

Et:

La demanderesse serait-elle tenue, afin de pouvoir faire valoir ses droits, de communiquer au tribunal saisi une nouvelle adresse du défendeur à laquelle l’acte introductif d’instance pourrait être [de] nouveau signifié, étant donné que, selon le droit national, l’accomplissement de la procédure ne serait pas possible sans signification par voie de publication et faute de connaître le lieu où se trouve le défendeur?

3)      Pour le cas où il serait répondu à la [première] question [...] par la négative: dans la présente affaire, l’article 26, paragraphe 2, du règlement [...] no 44/2001 [...] fait-il obstacle au prononcé d’un jugement par défaut en application de l’article 331 du code de procédure civile allemand et, partant, à la délivrance d’un titre exécutoire pour créance incontestée au sens du règlement [...] no 805/2004 [...] dans la mesure où le recours vise à la condamnation au paiement d’une somme au moins égale à 20 000 euros, majorée des intérêts, à titre d’indemnisation du préjudice moral et d’une somme de 1 419,19 euros, majorée des intérêts, à titre de frais d’avocats?

Chacune des questions suivantes est soumise à la réserve que la demanderesse soit en mesure de poursuivre la procédure compte tenu des réponses fournies par la Cour aux [première à troisième] questions [...]:

4)      Au regard de ses articles 4, paragraphe 1, et 5, point 3, le règlement no 44/2001 est-il applicable également dans les cas où le défendeur à une procédure civile visant à une cessation, à la fourniture de renseignements et à l’indemnisation d’un préjudice moral en raison de la gestion d’un site Internet est certes (probablement) citoyen de l’Union au sens de l’article 9, deuxième phrase, TUE, mais se trouve en un lieu inconnu, de sorte qu’il est également possible, mais nullement certain, qu’il se trouve actuellement en dehors du territoire de l’Union ainsi qu’en dehors du champ d’application territorial résiduel de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, faite à Lugano le 16 septembre 1988, le lieu d’implantation exact du serveur qui héberge le site Internet étant lui aussi inconnu quoique vraisemblablement situé sur le territoire de l’Union?

5)      Si le règlement no 44/2001 est applicable dans ce cas: l’expression ‘lieu où le fait dommageable [...] risque de se produire’, figurant à l’article 5, point 3, de ce règlement doit-elle, en cas (de risque) d’atteintes aux droits de la personnalité par des contenus mis en ligne sur un site Internet, être interprétée en ce sens:

que [la demanderesse] peut intenter une action en cessation, en fourniture de renseignements et en dommages-intérêts contre le gestionnaire du site Internet devant les tribunaux également de tout État membre dans lequel le site Internet peut être consulté, indépendamment du lieu (à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire de l’Union) où le défendeur est établi,

ou bien:

la compétence des juridictions d’un État membre dans lequel le défendeur n’est pas établi, ou dans lequel rien n’indique que le défendeur se trouve sur son territoire, suppose-t-elle l’existence d’un lien particulier (lien de rattachement avec l’État en question) des contenus attaqués ou du site Internet avec l’État du for, allant au-delà de la possibilité technique de consultation?

6)      Si un tel lien particulier de rattachement est requis: selon quels critères ce lien se définit-il?

Importe-t-il que, selon la finalité poursuivie par le gestionnaire, le site Internet attaqué s’adresse de manière ciblée (également) aux internautes de l’État du for ou suffit-il que les informations consultables sur le site Internet présentent objectivement un lien avec l’État du for en ce sens que, selon les circonstances du cas d’espèce, en raison en particulier du contenu du site Internet contesté, un conflit des intérêts divergents — intérêt de la demanderesse au respect de ses droits de personnalité et intérêt du gestionnaire à concevoir son site Internet — peut effectivement être survenu ou survenir dans l’État du for, ou y est survenu du fait qu’une ou plusieurs personnes connaissant la victime de l’atteinte aux droits de personnalité ont vu le contenu du site Internet?

7)      Pour constater l’existence du lien de rattachement particulier, le nombre des consultations, depuis l’État du for, du site Internet contesté revêt-il un caractère décisif?

8)      Pour le cas où, en fonction des réponses aux questions qui précèdent, la juridiction de renvoi serait compétente pour statuer sur le recours: les principes de droit dégagés par la Cour dans son arrêt du 7 mars 1995, Shevill e.a. (C‑68/93, Rec. p. I‑415), s’appliquent-ils également dans le cas décrit ci-dessus?

9)      Si aucun lien de rattachement particulier n’est nécessaire pour admettre la compétence ou s’il suffit, pour admettre l’existence d’un tel lien, que les informations contestées présentent objectivement un lien avec l’État du for en ce sens que, selon les circonstances du cas d’espèce, en raison en particulier du contenu du site Internet contesté, un conflit d’intérêts divergents peut effectivement être survenu ou survenir dans l’État du for, ou y est survenu du fait qu’une ou plusieurs personnes connaissant la victime de l’atteinte aux droits de personnalité ont vu le contenu du site Internet, et si l’admission d’un lien de rattachement particulier ne suppose pas de constater un nombre minimal de consultations, depuis l’État du for, du site Internet contesté, ou si le règlement no 44/2001 n’est pas du tout applicable à la présente affaire:

L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31 [...] doit-il être interprété en ce sens qu’il convient d’accorder à ces dispositions le caractère de règles de conflit de lois en ce sens qu’elles prescrivent également en droit civil l’unique application du droit en vigueur dans le pays d’origine, en évinçant les normes nationales de conflit de lois,

ou:

ces dispositions constituent-elles un correctif sur le fond par lequel le résultat sur le fond du droit déclaré applicable selon les normes nationales de conflit de lois est modifié dans sa teneur et est réduit aux exigences du pays d’origine?

10)      Au cas où l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31 [...] revêt le caractère d’une règle de conflit de lois:

Les dispositions précitées prescrivent-elles uniquement la seule application du droit matériel en vigueur dans le pays d’origine ou aussi l’application des normes de conflit de lois qui y sont en vigueur, avec pour effet qu’un renvoi du droit du pays d’origine au droit du pays de destination demeure possible?

11)      Au cas où l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31 [...] revêt le caractère d’une règle de conflit de lois:

Pour déterminer le lieu d’établissement du prestataire, faut-il retenir le lieu où il se trouve (probablement) actuellement, le lieu où il se trouvait au début de la publication des photographies de la demanderesse ou le lieu d’implantation (probable) du serveur qui héberge le site Internet?»

34      Par lettre du 28 octobre 2011, le greffe de la Cour a transmis à la juridiction de renvoi une copie de l’arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C‑509/09 et C‑161/10, Rec. p. I‑10269), en l’invitant à lui indiquer si, à la lumière de cet arrêt, elle souhaitait maintenir ses cinquième à onzième questions préjudicielles.

35      Par décisions des 10 et 16 novembre 2011, parvenues à la Cour, respectivement, les 10 et 16 novembre 2011, la juridiction de renvoi l’a informée qu’elle retire ses cinquième à dixième questions mais qu’elle maintient sa onzième question en la reformulant de la manière suivante:

«En tenant compte de l’arrêt [...] eDate Advertising e.a. [précité], l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31 [...] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cas où le lieu d’établissement du prestataire est inconnu et où il est possible qu’il se trouve en dehors du territoire de l’Union [...], le droit qu’il convient d’appliquer dans le domaine coordonné découle uniquement du droit de l’État membre dans lequel la personne lésée a son domicile ou sa résidence permanente ou

dans le domaine coordonné par la directive 2000/31 [...], faut-il veiller à ce que le prestataire d’un service de commerce électronique ne soit pas soumis à des exigences plus strictes que celles qui sont prévues par le droit matériel applicable dans l’État membre dont le prestataire a probablement la nationalité ou

dans ce cas, dans le domaine coordonné par la directive 2000/31 [...], faut-il veiller à ce que le prestataire d’un service de commerce électronique ne soit pas soumis à des exigences plus strictes que celles qui sont prévues par le droit matériel applicable dans l’ensemble des États membres?»

36      Dans ces circonstances, la Cour est appelée à se prononcer uniquement sur les quatre premières questions initialement posées et la dernière question, telle que reformulée.

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la quatrième question

37      Par sa quatrième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, dans des circonstances telles que celles au principal, l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il fait obstacle à l’application de l’article 5, point 3, du même règlement à une action en responsabilité du fait de la gestion d’un site Internet à l’encontre d’un défendeur qui est probablement citoyen de l’Union, mais qui se trouve en un lieu inconnu.

38      Dans la décision de renvoi, ladite juridiction précise en effet que, même si beaucoup d’éléments indiquent que le défendeur se trouve sur le territoire de l’Union, cela n’est pas absolument sûr. Elle s’interroge donc particulièrement sur l’interprétation du critère «n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre» qui commanderait, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, l’application des règles de compétence nationales au lieu des règles uniformes dudit règlement.

39      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que, dans des circonstances dans lesquelles le domicile du défendeur ressortissant d’un État membre est inconnu, l’application des règles uniformes de compétence établies par le règlement no 44/2001 à la place de celles en vigueur dans les différents États membres est conforme à l’impératif de sécurité juridique et à l’objectif, poursuivi par ledit règlement, de renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2011, Hypoteční banka, C‑327/10, Rec. p. I‑11543, point 44).

40      D’autre part, il convient de comprendre les termes «n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre», employés à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, en ce sens que l’application des règles nationales au lieu des règles uniformes de compétence n’est possible que si la juridiction saisie dispose d’indices probants lui permettant de conclure que le défendeur, citoyen de l’Union non domicilié dans l’État membre de ladite juridiction, est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Hypoteční banka, précité, point 42).

41      En l’absence de tels indices probants, la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre est établie, en vertu du règlement no 44/2001, lorsque les conditions d’application de l’une des règles de compétence prévues par ce règlement, dont notamment celle de son article 5, point 3, afférente à la matière délictuelle ou quasi délictuelle, sont remplies.

42      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que, dans des circonstances telles que celles au principal, l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à l’application de l’article 5, point 3, du même règlement à une action en responsabilité du fait de la gestion d’un site Internet à l’encontre d’un défendeur qui est probablement citoyen de l’Union, mais qui se trouve en un lieu inconnu, si la juridiction saisie ne dispose pas d’indices probants lui permettant de conclure que ledit défendeur est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union.

 Sur la première question et la première branche de la troisième question

43      Par sa première question et la première branche de sa troisième question, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose au prononcé d’un jugement par défaut à l’encontre d’un défendeur auquel, dans l’impossibilité de le localiser, l’acte introductif d’instance a été signifié par voie de publication selon le droit national.

44      À cet égard, il convient de relever d’emblée que le règlement no 44/2001, comme la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, a pour objet non pas d’unifier toutes les règles de procédure des États membres, mais de régler les compétences judiciaires pour la solution des litiges en matière civile et commerciale dans les relations entre ces États et de faciliter l’exécution des décisions judiciaires (arrêt Hypoteční banka, précité, point 37).

45      Si, en l’absence de réglementation systématique des procédures internes par le droit de l’Union, il appartient donc aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de fixer les règles procédurales applicables aux actions engagées devant leurs juridictions, lesdites règles ne doivent pas porter atteinte au droit de l’Union, dont, notamment, les dispositions du règlement no 44/2001.

46      Il s’ensuit que, dans le champ d’application dudit règlement, une juridiction nationale ne peut, en vertu d’une disposition de son droit national, mener une procédure à l’encontre d’une personne dont le domicile n’est pas connu que si les règles de compétence fixées par ce même règlement ne s’y opposent pas.

47      S’agissant des exigences à respecter lors de la procédure, il convient de rappeler que l’ensemble des dispositions du règlement no 44/2001 expriment l’intention de veiller à ce que, dans le cadre des objectifs de celui-ci, les procédures menant à l’adoption de décisions judiciaires se déroulent dans le respect des droits de la défense (voir arrêts du 21 mai 1980, Denilauler, 125/79, Rec. p. 1553, point 13, et du 2 avril 2009, Gambazzi, C‑394/07, Rec. I‑2563, point 23).

48      Toutefois, l’exigence du respect des droits de la défense, telle qu’énoncée également à l’article 47 de la charte, doit être mise en œuvre dans le respect du droit du demandeur de saisir une juridiction pour statuer sur le bien-fondé de ses prétentions.

49      À ce titre, la Cour a jugé, au point 29 de l’arrêt Gambazzi, précité, que les droits fondamentaux, tels que le respect des droits de la défense, n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions. Toutefois, celles-ci doivent répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne pas constituer, au regard du but poursuivi, une atteinte démesurée auxdits droits.

50      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que le souci d’éviter des situations de déni de justice auxquelles serait confronté un demandeur en raison de l’impossibilité de localiser le défendeur constitue un tel objectif d’intérêt général (arrêt Hypoteční banka, précité, point 51).

51      En ce qui concerne l’impératif d’éviter une atteinte démesurée aux droits de la défense, il importe de relever qu’il trouve une expression dans la règle énoncée à l’article 26, paragraphe 2, du règlement no 44/2001 selon laquelle le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que ce défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin.

52      S’agissant, d’une part, de l’applicabilité de cette disposition, il y a lieu de relever d’emblée que, dans des circonstances telles que celles au principal, celle-ci n’est pas écartée par les règles visées à l’article 26, paragraphes 3 et 4, du règlement no 44/2001, à savoir l’article 19 du règlement n1393/2007, ou l’article 15 de la convention de La Haye de 1965.

53      Certes, la régularité de la signification de l’acte introductif d’instance à un défendeur défaillant doit être appréciée au regard des dispositions de ladite convention (arrêt du 13 octobre 2005, Scania Finance France, C‑522/03, Rec. p. I‑8639, point 30) et, a fortiori, au regard des dispositions du règlement n1393/2007. Toutefois, cette règle ne vaut que pour autant que lesdites dispositions soient applicables. Or, tant l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1393/2007 que l’article 1er, second alinéa, de la convention de La Haye de 1965 stipulent que ces instruments «ne s’applique[nt] pas lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue».

54      Il y a donc lieu de considérer que, dans des circonstances telles que celles au principal, ni l’article 19 du règlement n1393/2007 ni l’article 15 de la convention de La Haye de 1965 ne trouvent à s’appliquer, faute d’une connaissance de l’adresse du défendeur.

55      S’agissant, d’autre part, de l’interprétation de l’article 26, paragraphe 2, du règlement no 44/2001, il convient de comprendre cette disposition, ainsi que la Cour l’a récemment jugé, en ce sens qu’une juridiction compétente au titre de ce règlement ne saurait poursuivre valablement la procédure, dans le cas où il n’est pas établi que le défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance, que si toutes les mesures nécessaires ont été prises pour permettre à celui-ci de se défendre. À cet effet, la juridiction saisie doit s’assurer que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver ledit défendeur (voir arrêt Hypoteční banka, précité, point 52).

56      Certes, même si ces conditions sont observées, la possibilité de poursuivre la procédure à l’insu du défendeur moyennant, comme dans l’affaire au principal, une «signification par voie de publication», restreint les droits de la défense de ce défendeur. Cette restriction est toutefois justifiée au regard du droit d’un requérant à une protection effective étant donné que, en l’absence d’une telle signification, ce droit resterait lettre morte (voir arrêt Hypoteční banka, précité, point 53).

57      En effet, contrairement à la situation du défendeur qui, lorsqu’il a été privé de la possibilité de se défendre efficacement, aura la possibilité de faire respecter les droits de la défense en s’opposant, en vertu de l’article 34, point 2, du règlement no 44/2001, à la reconnaissance du jugement prononcé à son encontre, le requérant risque d’être privé de toute possibilité de recours (voir arrêt Hypoteční banka, précité, point 54).

58      Il ressort, par ailleurs, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui correspond à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte, ne s’oppose pas à une «citation par voie d’affichage» pourvu que les droits des intéressés soient dûment protégés (voir Cour eur. D. H., décision Nunes Dias c. Portugal du 10 avril 2003, Recueil des arrêts et décisions 2003-IV).

59      Il y a donc lieu de répondre à la première question et à la première branche de la troisième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas au prononcé d’un jugement par défaut à l’encontre d’un défendeur auquel, dans l’impossibilité de le localiser, l’acte introductif d’instance a été signifié par voie de publication selon le droit national, à condition que la juridiction saisie se soit auparavant assurée que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver ce défendeur.

 Sur la deuxième question

60      Compte tenu de la réponse donnée, au point précédent, à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

 Sur la seconde branche de la troisième question

61      Par la seconde branche de sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la certification, en tant que titre exécutoire européen au sens du règlement no 805/2004, d’un jugement par défaut prononcé à l’encontre d’un défendeur dont l’adresse n’est pas connue.

62      Il est vrai qu’un jugement par défaut compte parmi les titres exécutoires au sens de l’article 3 dudit règlement, susceptibles d’être certifiés en tant que titre exécutoire européen. Ainsi que le souligne le sixième considérant du règlement no 805/2004, l’absence d’objections de la part du débiteur telle qu’elle est prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ce règlement peut prendre la forme d’un défaut de comparution à une audience ou d’une suite non donnée à l’invitation faite par la juridiction de notifier par écrit l’intention de défendre l’affaire.

63      Néanmoins, aux termes de l’article 14, paragraphe 2, du même règlement, «aux fins du présent règlement, la signification ou la notification au titre du paragraphe 1 n’est pas admise si l’adresse du débiteur n’est pas connue avec certitude».

64      Il ressort donc du libellé même du règlement no 805/2004 qu’un jugement par défaut rendu en cas d’impossibilité de déterminer le domicile du défendeur ne peut pas être certifié en tant que titre exécutoire européen. Cette conclusion découle également d’une analyse des objectifs et de la systématique de ce règlement. En effet, ledit règlement instaure un mécanisme dérogatoire au régime commun de reconnaissance des jugements, dont les conditions sont par principe d’interprétation stricte.

65      Aussi, le dixième considérant du règlement no 805/2004 souligne que, lorsqu’une juridiction d’un État membre a rendu une décision au sujet d’une créance incontestée en l’absence de participation du débiteur à la procédure, la suppression de tout contrôle dans l’État membre d’exécution est indissolublement liée et subordonnée à la garantie suffisante du respect des droits de la défense.

66      Or, ainsi qu’il ressort du point 57 du présent arrêt, la possibilité pour le défendeur de s’opposer à la reconnaissance du jugement prononcé à son encontre en vertu de l’article 34, point 2, du règlement no 44/2001 permet à celui-ci de faire respecter ses droits de la défense. Cette garantie serait néanmoins absente si, dans des circonstances telles que celles au principal, un jugement par défaut prononcé à l’encontre d’un défendeur qui n’a pas pris connaissance de la procédure était certifié en tant que titre exécutoire européen.

67      Il convient donc de considérer qu’un jugement par défaut prononcé à l’encontre d’un défendeur dont l’adresse n’est pas connue ne doit pas être certifié en tant que titre exécutoire européen au sens du règlement no 805/2004.

68      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la seconde branche de la troisième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la certification, en tant que titre exécutoire européen au sens du règlement no 805/2004, d’un jugement par défaut prononcé à l’encontre d’un défendeur dont l’adresse n’est pas connue.

 Sur la onzième question

69      Par sa onzième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu’il trouve à s’appliquer dans une situation dans laquelle le lieu d’établissement du prestataire de services de la société de l’information est inconnu.

70      À cet égard, force est de constater qu’il ressort clairement de l’arrêt eDate Advertising e.a., précité, que l’établissement du prestataire de services de la société de l’information en cause dans un État membre constitue tant la raison d’être que la condition d’application du mécanisme établi à l’article 3 de la directive 2000/31. En effet, ledit mécanisme vise à assurer la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres par la soumission desdits services au régime juridique de l’État membre d’établissement de leurs prestataires (arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 66).

71      La possibilité d’appliquer l’article 3, paragraphes 1 et 2, de ladite directive étant alors subordonnée à l’identification de l’État membre sur le territoire duquel le prestataire du service de la société de l’information en cause est effectivement établi (arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 68), il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si le défendeur au principal est effectivement établi sur le territoire d’un État membre. À défaut d’un tel établissement, le mécanisme prévu à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31 ne s’applique pas.

72      Dans ces circonstances, il convient de répondre à la onzième question que l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31 ne trouve pas à s’appliquer dans une situation dans laquelle le lieu d’établissement du prestataire de services de la société de l’information est inconnu, dès lors que l’application de cette disposition est subordonnée à l’identification de l’État membre sur le territoire duquel le prestataire en cause est effectivement établi.

 

 Sur les dépens

 

73      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      Dans des circonstances telles que celles au principal, l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à l’application de l’article 5, point 3, du même règlement à une action en responsabilité du fait de la gestion d’un site Internet à l’encontre d’un défendeur qui est probablement citoyen de l’Union, mais qui se trouve en un lieu inconnu, si la juridiction saisie ne dispose pas d’indices probants lui permettant de conclure que ledit défendeur est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union européenne.

2)      Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas au prononcé d’un jugement par défaut à l’encontre d’un défendeur auquel, dans l’impossibilité de le localiser, l’acte introductif d’instance a été signifié par voie de publication selon le droit national, à condition que la juridiction saisie se soit auparavant assurée que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver ce défendeur.

3)      Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la certification, en tant que titre exécutoire européen au sens du règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, d’un jugement par défaut prononcé à l’encontre d’un défendeur dont l’adresse n’est pas connue.

4)      L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), ne trouve pas à s’appliquer dans une situation dans laquelle le lieu d’établissement du prestataire de services de la société de l’information est inconnu, dès lors que l’application de cette disposition est subordonnée à l’identification de l’État membre sur le territoire duquel le prestataire en cause est effectivement établi.

Signatures


Langue de procédure: l’allemand.

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