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CJUE, 4 septembre 2014, aff. C‑157/13, Nickel & Goeldner Spedition GmbH c/ «Kintra» UAB

 

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 septembre 2014

Nickel & Goeldner Spedition GmbH contre «Kintra» UAB

 

«Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 1346/2000 – Article 3, paragraphe 1 – Notion d’’action se rattachant à une procédure d’insolvabilité et s’y insérant étroitement’ – Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 1er, paragraphe 2, sous b) – Notion de ‘faillite’ – Action en paiement d’une créance intentée par le syndic – Créance née d’un transport international de marchandises – Relations entre les règlements nos 1346/2000 et 44/2001 et la convention relative au transport international de marchandises par route (CMR)»

Dans l’affaire C‑157/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Lituanie), par décision du 20 mars 2013, parvenue à la Cour le 26 mars 2013, dans la procédure

Nickel & Goeldner Spedition GmbH

contre

«Kintra» UAB

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits, Mme M. Berger (rapporteur) et M. S. Rodin, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Nickel & Goeldner Spedition GmbH, par Me F. Heemann, advokatas,

–        pour «Kintra» UAB , , par Me V. Onačko, advokatas,

–        pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas et Mme G. Taluntytė, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller ainsi que par Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suisse, par Mme M. Jametti, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme A. Steiblytė et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, paragraphe 1, et 44, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1), ainsi que des articles 1er, paragraphe 2, sous b), et 71 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Nickel & Goeldner Spedition GmbH (ci-après «Nickel & Goeldner Spedition»), société de droit allemand, à «Kintra» UAB (ci‑après «Kintra»), société de droit lituanien mise en liquidation, au sujet du paiement, à titre principal, d’une somme de 194 077,76 litas lituaniens (LTL) due au titre de services de transport international de marchandises.

 

 Le cadre juridique

 

 Le règlement n° 1346/2000

3        Conformément à son considérant 6, le règlement n° 1346/2000 se limite à des «dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement».

4        L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, qui traite de la compétence internationale, pose la règle de compétence de principe suivante:

«Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.»

5        L’article 44, paragraphe 3, sous a), dudit règlement prévoit:

«Le présent règlement n’est pas applicable:

a)      dans tout État membre, dans la mesure où il est incompatible avec les obligations en matière de faillite résultant d’une convention conclue antérieurement à son entrée en vigueur par cet État avec un ou plusieurs pays tiers».

 Le règlement n° 44/2001

6        Aux termes du considérant 7 du règlement n° 44/2001, «[i]l est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies».

7        L’article 1er de ce règlement définit le champ d’application de ce dernier en ces termes:

«1.      Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2.      Sont exclus de son application:

[...]

b)      les faillites, concordats et autres procédures analogues;

[...]»

8        S’agissant des règles de compétence, l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement énonce la règle de principe suivante:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

9        En matière contractuelle, l’article 5, point 1, du même règlement prévoit une règle spéciale ainsi libellée:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

1)      a)     en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;

      b)      aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

–        pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

–        pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;

      c)      le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas».

10      L’article 71, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, qui traite des relations avec les conventions relatives à des matières particulières (ci‑après les «conventions spéciales») auxquelles les États membres sont parties, dispose:

«Le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.»

 La CMR

11      La convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, signée à Genève le 19 mai 1956, telle que modifiée par le protocole signé à Genève le 5 juillet 1978 (ci-après la «CMR»), s’applique, conformément à son article 1er, paragraphe 1, «à tout contrat de transport de marchandises par route à titre onéreux au moyen de véhicules, lorsque le lieu de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison […] sont situés dans deux pays différents dont l’un au moins est un pays contractant […] quels que soient le domicile et la nationalité des parties».

12      La CMR a été négociée dans le cadre de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies. Plus de 50 États, parmi lesquels la République de Lituanie, la République fédérale d’Allemagne et la République française, ont adhéré à la CMR.

13      Aux termes de l’article 31, paragraphe 1, de la CMR:

«Pour tous litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à la présente Convention, le demandeur peut saisir, en dehors des juridictions des pays contractants désignées d’un commun accord par les parties, les juridictions du pays sur le territoire duquel:

a)      le défendeur a sa résidence habituelle, son siège principal ou la succursale ou l’agence par l’intermédiaire de laquelle le contrat de transport a été conclu, ou

b)      le lieu de la prise en charge de la marchandise ou celui prévu pour la livraison est situé, et ne peut saisir que ces juridictions.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

14      Le 28 mai 2009, le Vilniaus apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius) a ouvert une procédure d’insolvabilité à l’encontre de Kintra, dont le siège statutaire est situé en Lituanie.

15      Le syndic de Kintra a saisi le Vilniaus apygardos teismas d’une demande visant à faire condamner Nickel & Goeldner Spedition, dont le siège statutaire est situé en Allemagne, au paiement, à titre principal, d’une somme de 194 077,76 LTL, due au titre de services de transport international de marchandises fournis par Kintra au bénéfice de Nickel & Goeldner Spedition, notamment en France et en Allemagne.

16      Selon le syndic de Kintra, la compétence du Vilniaus apygardos teismas était fondée sur l’article 14, paragraphe 3, de la loi lituanienne sur l’insolvabilité des entreprises. Nickel & Goeldner Spedition a contesté cette compétence en faisant valoir que le litige relevait du champ d’application de l’article 31 de la CMR et du règlement n° 44/2001.

17      Par jugement du 29 août 2011, le Vilniaus apygardos teismas a fait droit à la demande du syndic de Kintra après avoir estimé que sa compétence résultait des dispositions de la loi lituanienne sur l’insolvabilité des entreprises et du règlement n° 1346/2000.

18      Par décision du 6 juin 2012, le Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie) a confirmé le jugement de première instance. Il a estimé que le litige relevait de l’exception en matière de faillite, prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 44/2001, et que la juridiction compétente pour en connaître devait être déterminée conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 et aux dispositions de la loi lituanienne sur l’insolvabilité des entreprises.

19      Saisi sur pourvoi, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Lorsqu’une action est introduite par le syndic d’une entreprise en faillite, agissant dans l’intérêt de la masse des créanciers et dans le but de rétablir la solvabilité et d’accroître l’actif de l’entreprise en faillite afin que les créanciers puissent être payés le plus largement possible – il est à souligner que ces mêmes effets sont également recherchés, par exemple, au moyen des actions révocatoires (actions pauliennes) introduites par le syndic, dont il a été jugé qu’elles s’inséraient étroitement dans la procédure d’insolvabilité –, et compte tenu du fait qu’il est en l’espèce réclamé paiement, en application de la [...] CMR et du code civil lituanien (règles générales du droit civil), d’une créance due au titre d’un transport international de marchandises, ladite action est-elle à considérer comme s’insérant étroitement (par un lien direct) dans la procédure d’insolvabilité du demandeur, la juridiction compétente pour en connaître doit-elle être déterminée suivant les règles du règlement n° 1346/2000 et cette action relève-t-elle de l’exception à l’application du règlement n° 44/2001?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas demande à la Cour de préciser si, lorsque l’obligation en cause (obligation du défendeur de s’acquitter de sa dette née d’un transport international de marchandises et de payer des intérêts moratoires, obligation résultant de la mauvaise exécution de ses obligations contractuelles envers le demandeur en faillite) est antérieure à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité à l’égard du demandeur, il convient d’appliquer l’article 44, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 1346/2000 et de ne pas appliquer ce dernier règlement, dans la mesure où la juridiction compétente pour connaître de ce litige est à déterminer conformément à l’article 31 de la [...] CMR en tant que convention spéciale?

3)      En cas de réponse négative à la première question et si le présent litige relève du champ d’application du règlement n° 44/2001, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas demande à la Cour de préciser si, étant donné que l’article 31, paragraphe 1, de la [...] CMR et l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 ne se contredisent pas, il convient en l’occurrence, dès lors que le litige relève du champ d’application de la [...] CMR (en tant que convention spéciale), d’appliquer les règles édictées à l’article 31 de ladite convention pour déterminer l’État dont les juridictions sont compétentes pour connaître du litige concerné, à la condition que les règles énoncées à l’article 31, paragraphe 1, de la [...] CMR n’aillent pas à l’encontre des principaux objectifs du règlement n° 44/2001, ne conduisent pas à des résultats moins favorables à la réalisation du bon fonctionnement du marché intérieur et soient suffisamment claires et précises?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question

20      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’action en paiement d’une créance fondée sur la fourniture de services de transport, exercée par le syndic d’une entreprise en faillite, désigné dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre, et dirigée contre le bénéficiaire de ces services, établi dans un autre État membre, entre dans le champ d’application du règlement n° 1346/2000 ou bien dans celui du règlement n° 44/2001.

21      À cet égard, il convient de rappeler que, en s’appuyant notamment sur les travaux historiques relatifs à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), texte auquel s’est substitué le règlement n° 44/2001, la Cour a jugé que ce dernier règlement et le règlement n° 1346/2000 doivent être interprétés de façon à éviter tout chevauchement entre les règles de droit que ces textes énoncent et tout vide juridique. Ainsi, les actions exclues, au titre de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 44/2001, du champ d’application de ce dernier, en tant qu’elles relèvent des «faillites, concordats et autres procédures analogues», relèvent du champ d’application du règlement n° 1346/2000. Symétriquement, les actions qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 relèvent du champ d’application du règlement n° 44/2001 (arrêt F-Tex, C‑213/10, EU:C:2012:215, points 21, 29 et 48).

22      La Cour a également relevé que, ainsi que l’indique notamment le considérant 7 du règlement n° 44/2001, l’intention du législateur de l’Union a été de retenir une conception large de la notion de «matière civile et commerciale» figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement et, par conséquent, un champ d’application large de ce dernier. En revanche, le champ d’application du règlement n° 1346/2000, conformément à son considérant 6, ne doit pas faire l’objet d’une interprétation large (arrêt German Graphics Graphische Maschinen, C‑292/08, EU:C:2009:544, points 23 à 25).

23      En application de ces principes, la Cour a jugé que seules les actions qui dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement sont exclues du champ d’application du règlement n° 44/2001. Par voie de conséquence, seules ces actions entrent dans le champ d’application du règlement n° 1346/2000 (arrêt F‑Tex, EU:C:2012:215, points 23 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

24      S’agissant de la mise en œuvre de cette distinction, la Cour a jugé que l’action en comblement du passif social, qui, en droit français, peut être exercée par le syndic à l’égard des dirigeants sociaux afin d’engager leur responsabilité, doit être considérée comme une action qui dérive directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insère étroitement. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée, en substance, sur la considération que cette action tirait son fondement juridique de dispositions dérogeant aux règles générales du droit civil (voir, dans le cadre de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, arrêt Gourdain, 133/78, EU:C:1979:49, points 4 à 6). La Cour a porté une appréciation similaire à propos de l’action révocatoire, qui, en droit allemand, peut être exercée par le syndic afin d’attaquer des actes exécutés avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité et préjudiciables aux créanciers. Elle a relevé, dans ce contexte, que l’action trouvait son fondement juridique dans les règles nationales relatives aux procédures d’insolvabilité (arrêt Seagon, C‑339/07, EU:C:2009:83, point 16).

25      Au contraire, la Cour a jugé qu’une action introduite sur le fondement d’une clause de réserve de propriété à l’encontre d’un syndic ne présente qu’un lien insuffisamment direct et insuffisamment étroit avec une procédure d’insolvabilité au motif, en substance, que la question de droit soulevée dans une telle action est indépendante de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité (arrêt German Graphics Graphische Maschinen, EU:C:2009:544, points 30 et 31). De même, l’action intentée par un demandeur, sur la base d’une cession de créance consentie par un syndic et portant sur le droit de révocation conféré à ce dernier par le droit allemand de la faillite, a été considérée comme ne s’insérant pas étroitement dans la procédure d’insolvabilité. La Cour a relevé à cet égard que l’exercice du droit acquis par le cessionnaire du droit acquis obéissait à d’autres règles que celles applicables dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité (arrêt F‑Tex, EU:C:2012:215, points 41 et 42).

26      Il ressort de cette jurisprudence que, dans son appréciation, la Cour a certes pris en considération le fait que les divers types d’actions dont elle a eu à connaître étaient exercés à l’occasion d’une procédure d’insolvabilité. Toutefois, elle s’est surtout attachée à déterminer à chaque fois si l’action en cause trouvait son origine dans le droit des procédures d’insolvabilité ou dans d’autres règles.

27      Il s’ensuit que le critère déterminant retenu par la Cour pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel s’inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité.

28      Dans l’affaire au principal, il est constant que l’action en cause est une action en paiement d’une créance née de la fourniture de services en exécution d’un contrat de transport. Cette action aurait pu être introduite par le créancier lui-même, avant qu’il n’ait été dessaisi par l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à son égard et, dans cette hypothèse, elle aurait été régie par les règles de compétence judiciaire applicables en matière civile ou commerciale.

29      Le fait que, après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre du prestataire de services, l’action en paiement soit exercée par le syndic désigné dans le cadre de cette procédure et que ce dernier agisse dans l’intérêt des créanciers ne modifie pas substantiellement la nature de la créance invoquée, qui continue d’être soumise, quant au fond, à des règles de droit inchangées.

30      Il y a donc lieu de constater que l’action en cause au principal ne présente pas un lien direct avec la procédure d’insolvabilité ouverte à l’égard du demandeur.

31      Dès lors et sans qu’il soit besoin de rechercher si elle s’insère étroitement dans la procédure d’insolvabilité, il y a lieu de considérer que ladite action n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 et, symétriquement, qu’elle ne relève pas de la faillite, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 44/2001.

32      Il convient, par conséquent, de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de «matière civile et commerciale», au sens de cette disposition, l’action en paiement d’une créance fondée sur la fourniture de services de transport, exercée par le syndic d’une entreprise en faillite, désigné dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre, et dirigée contre le bénéficiaire de ces services, établi dans un autre État membre.

 Sur la deuxième question

33      La deuxième question n’a été posée que dans l’hypothèse où le litige au principal relèverait du champ d’application du règlement n° 1346/2000.

34      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à cette question.

 Sur la troisième question

35      Par sa troisième question, la juridiction demande si, dans l’hypothèse où un litige relève du champ d’application tant du règlement n° 44/2001 que de la CMR, un État membre peut, conformément à l’article 71, paragraphe 1, de ce règlement, appliquer les règles de compétence judiciaire prévues par la CMR et non celles fixées par ledit règlement.

36      S’il ressort de la réponse à la première question que le litige au principal relève du champ d’application du règlement n° 44/2001, il appartient à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits, de vérifier si les services de transport sur lesquels porte la demande de paiement dont elle est saisie répondent aux conditions d’application de la CMR, telles qu’elles sont énoncées à l’article 1er de cette dernière.

37      Pour le cas où la juridiction de renvoi parviendrait à cette conclusion, il y a lieu de rappeler que, selon l’interprétation donnée par la Cour de l’article 71 du règlement n° 44/2001, les règles relatives à la compétence judiciaire, à la reconnaissance ou à l’exécution des décisions prévues par les conventions spéciales auxquelles les États membres étaient déjà parties au moment de l’entrée en vigueur de ce règlement ont, en principe, pour effet d’écarter l’application des dispositions de ce règlement portant sur la même question (arrêt TNT Express Nederland, C‑533/08, EU:C:2010:243, points 39, 45 à 48). La CMR, relative au transport international de marchandises par route, à laquelle la République de Lituanie a adhéré en 1993, est l’une des conventions spéciales visées par cette disposition.

38      Toutefois, la Cour a précisé que l’application, dans les matières régies par des conventions spéciales, des règles prévues par ces dernières ne saurait porter atteinte aux principes qui sous-tendent la coopération judiciaire en matière civile et commerciale au sein de l’Union européenne, tels que les principes, évoqués aux considérants 6, 11, 12 et 15 à 17 du règlement n° 44/2001, de libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, de prévisibilité des juridictions compétentes et, partant, de sécurité juridique pour les justiciables, de bonne administration de la justice, de réduction au maximum du risque de procédures concurrentes ainsi que de confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union (arrêts TNT Express Nederland, EU:C:2010:243, point 49, et Nipponkoa Insurance Co. (Europe), C‑452/12, EU:C:2013:858, point 36).

39      S’agissant des règles faisant l’objet de la troisième question, à savoir les règles de compétence judiciaire prévues à l’article 31, paragraphe 1, de la CMR, il ressort notamment de cette disposition qu’elle permet au demandeur de choisir entre les juridictions du pays dans lequel le défendeur a sa résidence habituelle, celles du pays de la prise en charge de la marchandise et celles du pays où est prévue la livraison.

40      L’option ainsi ouverte au demandeur correspond, en substance, à celle prévue par le règlement n° 44/2001. En effet, en matière contractuelle, le demandeur peut, en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 5, point 1, de ce règlement, choisir entre les juridictions de l’État membre dans lequel le défendeur a son domicile et celles du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. En ce qui concerne le contrat de transport, qui relève de la catégorie des contrats de fourniture de services (voir, en ce sens, arrêt Rehder, C‑204/08, EU:C:2009:439, points 29 et 30), ce lieu est, conformément à l’article 5, point 1, sous  b), second tiret, dudit règlement, celui d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.

41      Certes, l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001, dont le libellé ne vise qu’un seul lieu d’exécution, offre au demandeur un choix plus étroit que l’article 31, paragraphe 1, de la CMR, qui lui permet de choisir entre le lieu de la prise en charge et celui de la livraison de la marchandise. Toutefois, cette circonstance n’est pas de nature à mettre en cause la compatibilité de l’article 31, paragraphe 1, de la CMR avec les principes qui sous-tendent la coopération judiciaire en matière civile et commerciale au sein de l’Union. La Cour a en effet admis en matière de contrats de transport que, dans certaines situations, le demandeur peut avoir le choix entre les juridictions du lieu de départ et celles du lieu d’arrivée. À cet égard, elle a souligné qu’une telle faculté de choix reconnue au demandeur, outre le respect du critère de proximité, satisfait également à l’exigence de prévisibilité, dans la mesure où elle permet tant au demandeur qu’au défendeur d’identifier facilement les juridictions susceptibles d’être saisies. Au surplus, elle est conforme à l’objectif de sécurité juridique, le choix du demandeur étant limité, dans le cadre de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001, à deux juridictions (arrêt Rehder, EU:C:2009:439, point 45).

42      Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que l’article 71 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où un litige relève du champ d’application tant de ce règlement que de la CMR, un État membre peut, conformément à l’article 71, paragraphe 1, dudit règlement, appliquer les règles en matière de compétence judiciaire prévues à l’article 31, paragraphe 1, de la CMR.

 

 Sur les dépens

 

43      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que relève de la notion de «matière civile et commerciale», au sens de cette disposition, l’action en paiement d’une créance fondée sur la fourniture de services de transport, exercée par le syndic d’une entreprise en faillite, désigné dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre, et dirigée contre le bénéficiaire de ces services, établi dans un autre État membre.

2)      L’article 71 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où un litige relève du champ d’application tant de ce règlement que de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, signée à Genève le 19 mai 1956, telle que modifiée par le protocole signé à Genève le 5 juillet 1978, un État membre peut, conformément à l’article 71, paragraphe 1, dudit règlement, appliquer les règles en matière de compétence judiciaire prévues à l’article 31, paragraphe 1, de cette convention.

Signatures


Langue de procédure: le lituanien.

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