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CJUE, 12 novembre 2014, aff. C‑656/13, L c/ M.

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

12 novembre 2014 

L contre M.

 

«Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) n° 2201/2003 – Article 12, paragraphe 3 – Enfant de parents non mariés – Prorogation de compétence – Absence d’autre affaire pendante connexe – Acceptation de la compétence – Contestation de la compétence d’une juridiction par une partie qui a saisi la même juridiction»

Dans l’affaire C‑656/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší soud (République tchèque), par décision du 12 novembre 2013, parvenue à la Cour le 12 décembre 2013, dans la procédure

L

contre

M,

en présence de:

R,

K,

 

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour M. M, par Me E. Zajíčková, advokátka,

–        pour R et K, par Me Z. Kapitán, advokát,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme A.-M. Rouchaud-Joët et M. J. Hradil, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme L, mère des enfants R et K, à M. M, père de ces derniers, à propos de la garde de ces enfants, qui se trouvent avec leur mère en Autriche, tandis que leur père vit en République tchèque.

 

 Le cadre juridique

 

 Le droit de l’Union

 Le règlement n° 2201/2003

3        Les considérants 5 et 12 du règlement n° 2201/2003 énoncent:

«(5)      En vue de garantir l’égalité de tous [les] enfants, le présent règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale.

[...]

(12)      Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale.»

4        L’article 1er du règlement n° 2201/2003 précise le champ d’application de ce dernier. Il dispose notamment:

«1.      Le présent règlement s’applique [...] aux matières civiles relatives:

[...]

b)      à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

2.      Les matières visées au paragraphe 1, point b), concernent notamment:

a)      le droit de garde et le droit de visite;

[...]

3.      Le présent règlement ne s’applique pas:

[...]

e)      aux obligations alimentaires;

[...]»

5        L’article 2, point 7, de ce règlement définit, aux fins dudit règlement, la notion de «responsabilité parentale» comme «l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant[; i]l comprend notamment le droit de garde et le droit de visite».

6        Le chapitre II du règlement n° 2201/2003, intitulé «Compétence», est composé de trois sections. La section 1 de ce chapitre, intitulée «Divorce, séparation de corps et annulation du mariage», regroupe les articles 3 à 7 de ce règlement. L’article 3 de ce dernier énonce les critères servant, à titre principal, à déterminer les juridictions des États membres compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux. L’article 7 de celui-ci traite des compétences résiduelles en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation du mariage.

7        La section 2 du même chapitre II du règlement n° 2201/2003, relative à la compétence en matière de responsabilité parentale, comporte les articles 8 à 15. L’article 8, intitulé «Compétence générale», dispose:

«1.      Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

2.      Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12.»

8        L’article 12 de ce règlement, intitulé «Prorogation de compétence», prévoit, à son paragraphe 1, que «[l]es juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande» lorsque les conditions qu’il énumère sont satisfaites.

9        L’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 précise:

«La compétence exercée conformément au paragraphe 1 prend fin dès que

a)      soit la décision faisant droit à la demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage ou la rejetant est passée en force de chose jugée;

b)      soit, dans le cas où une procédure relative à la responsabilité parentale est encore en instance à la date visée au point a), dès qu’une décision relative à la responsabilité parentale est passée en force de chose jugée;

c)      soit, dans les cas visés aux points a) et b), dès qu’il a été mis fin à la procédure pour une autre raison.»

10      Aux termes de l’article 12, paragraphe 3, de ce règlement:

«Les juridictions d’un État membre sont également compétentes en matière de responsabilité parentale dans des procédures autres que celles visées au paragraphe 1 lorsque

a)      l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre

et

b)      leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.»

11      L’article 15 du règlement n° 2201/2003, intitulé «Renvoi à une juridiction mieux placée pour connaître de l’affaire», précise les conditions dans lesquelles, à titre d’exception, les juridictions d’un État membre compétentes pour connaître du fond de l’affaire peuvent renvoyer ladite affaire ou une partie spécifique de celle-ci à une juridiction d’un autre État membre avec lequel l’enfant a un lien particulier et qu’elles estiment mieux placée pour en connaître.

12      L’article 16 de ce règlement, intitulé «Saisine d’une juridiction», dispose:

«1.      Une juridiction est réputée saisie:

a)      à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur;

      ou

b)      si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.»

 Le règlement (CE) n° 4/2009

13      Le règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1 et rectificatif JO 2011, L 131, p. 26) s’applique, selon les termes de son article 1er, paragraphe 1, «aux obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance».

14      L’article 3 de ce règlement, intitulé «Dispositions générales», est libellé comme suit:

«Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres:

[...], ou

d)      la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties.»

 Le droit tchèque

15      L’article 39, paragraphe 1, de la loi n° 97/1963 relative au droit international privé et au droit procédural, dispose:

«En matière de garde et de pension alimentaire d’enfants mineurs et dans d’autres affaires les concernant, si ces derniers sont des ressortissants tchécoslovaques, la compétence des juridictions tchécoslovaques est établie même s’ils vivent à l’étranger. [...]»

16      L’article 104, paragraphe 1, du code de procédure civile énonce:

«Lorsque n’est pas respectée une condition procédurale qui ne peut être écartée, le juge clôt la procédure. Si l’affaire ne relève pas de la compétence du juge ou si elle doit être précédée d’une autre procédure, le juge transmet l’affaire, après que l’ordonnance mettant fin à la procédure a acquis force de chose jugée, à l’organe compétent; les effets juridiques liés à l’introduction d’un recours (demande introductive d’instance) sont maintenus.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

17      Il ressort de la décision de renvoi que Mme L et M. M, qui formaient un couple non marié, ont eu deux enfants ensemble, R et K. Ces deux enfants sont nés en République tchèque et ont la nationalité de cet État membre. Jusqu’au mois de février 2010, les parents et leurs enfants ont vécu en République tchèque. À partir de ce mois de février, Mme L a travaillé en Autriche et les enfants ont vécu alternativement avec leur mère et avec leur père, lequel vit et travaille à Český Krumlov (République tchèque).

18      Le 20 mai 2012, Mme L a enregistré le domicile des enfants en Autriche et, au mois de septembre de la même année, a indiqué à M. M que les enfants ne retourneraient pas en République tchèque. Les enfants ont été scolarisés en Autriche à cette époque. La question de savoir si le déménagement des enfants en Autriche s’était effectué avec l’accord de M. M est discutée dans le cadre de la procédure relative à la garde des enfants.

19      Le 26 octobre 2012, M. M a saisi l’Okresní soud (tribunal d’arrondissement) de Český Krumlov d’une demande relative à l’«organisation des relations entre les parents et les enfants», afin d’obtenir la garde des enfants et une pension alimentaire.

20      Le 28 octobre 2012, M. M, en violation de l’accord passé avec Mme L, ne lui a pas rendu les enfants qui étaient en visite chez lui.

21      Le 29 octobre 2012, Mme L a, elle aussi, introduit une demande auprès de l’Okresní soud de Český Krumlov pour obtenir la garde des enfants et une pension alimentaire. Elle a ultérieurement introduit une demande similaire auprès des juridictions autrichiennes.

22      Le 1er novembre 2012, en vertu d’une mesure provisoire adoptée par l’Okresní soud de Český Krumlov, les enfants sont retournés chez leur mère en Autriche et y sont depuis scolarisés. Par décision du 12 décembre 2012, le Krajský soud (cour régionale) de České Budějovice (République tchèque) a confirmé cette mesure provisoire.

23      Par décision du 1er février 2013, l’Okresní soud de Český Krumlov a constaté son incompétence et clos la procédure, conformément à l’article 104, paragraphe 1, du code de procédure civile, au motif que, les enfants étant domiciliés en Autriche au moment de sa saisine, les juridictions autrichiennes étaient compétentes en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003.

24      Le 19 mars 2013, l’organe central autrichien a reçu, à l’initiative de M. M, une demande de retour des enfants en application de la convention de La Haye, du 25 octobre 1980, sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 1343, n° 22514).

25      Par décision du 11 avril 2013, le Krajský soud de České Budějovice a réformé la décision rendue par l’Okresní soud de Český Krumlov le 1er février 2013, de telle sorte que la procédure n’est pas close. Cette juridiction a estimé que la compétence internationale des juridictions tchèques était établie en vertu de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003, considérant que les enfants ont un lien étroit avec la République tchèque, que les deux parents ont accepté la compétence internationale de ces juridictions, tout comme le tuteur des enfants, désigné ultérieurement dans le cadre de la procédure, et que la compétence de l’Okresní soud de Český Krumlov était dans l’intérêt des enfants.

26      S’agissant plus particulièrement de la question de l’acceptation de la compétence internationale des juridictions tchèques, le Krajský soud de České Budějovice a relevé que la demande de M. M du 26 octobre 2012 avait été introduite auprès d’une juridiction tchèque; que, le 29 octobre 2012, Mme L avait elle-même introduit une demande auprès de la même juridiction, et que ce n’est qu’ultérieurement qu’elle avait fait valoir que M. M aurait dû saisir les juridictions autrichiennes et avait introduit une demande auprès d’une juridiction autrichienne.

27      Mme L s’est pourvue en cassation contre cette décision devant la juridiction de renvoi et a demandé que celle-ci suspende l’exécution de la décision du Krajský soud de České Budějovice. Cette demande a été accueillie par décision du 31 juillet 2013.

28      Au soutien de son pourvoi, Mme L fait notamment valoir que la condition de l’acceptation de la compétence internationale des juridictions tchèques prévue à l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 n’est pas satisfaite en l’espèce. Elle aurait introduit sa demande auprès de l’Okresní soud de Český Krumlov sur les conseils de l’office tchèque de protection juridique et sociale de l’enfance, parce qu’elle ignorait où se trouvaient ses enfants. Elle aurait également saisi les autorités compétentes en Autriche et, dès le 31 octobre 2012, ayant pris connaissance de l’ensemble des faits, elle aurait clairement exprimé son désaccord quant à la compétence internationale des juridictions tchèques.

29      La juridiction de renvoi relève que, d’une part, selon une interprétation certes très restrictive, mais qui permettrait de garantir un plein effet à l’article 15 du règlement n° 2201/2003, il pourrait être considéré que l’article 12, paragraphe 3, de ce règlement ne permet, à l’instar du paragraphe 1 de cet article, une prorogation de compétence qu’en faveur de la juridiction déjà saisie d’une demande de divorce ou d’annulation de mariage, lorsque sa compétence est fondée sur l’article 7 dudit règlement. D’autre part, il serait envisageable de considérer que cet article 12, paragraphe 3, peut s’appliquer même en l’absence de toute autre procédure connexe à la procédure relative à la garde des enfants.

30      Par ailleurs, cette juridiction s’interroge sur la question de savoir s’il peut être considéré que, dans les circonstances de l’espèce, il y a eu, de la part de Mme L, «acceptation expresse ou de toute autre manière non équivoque» de la compétence des juridictions tchèques. Elle indique que le Krajský soud de České Budějovice a lié sa conclusion relative à l’acceptation par Mme L de la compétence des juridictions tchèques à la demande introduite par cette dernière auprès de l’Okresní soud de Český Krumlov le 29 octobre 2012. La juridiction de renvoi indique toutefois qu’elle ne perçoit pas le caractère non équivoque d’une telle manifestation de volonté. Elle observe en particulier qu’il semble crédible, au vu des circonstances de l’affaire, que Mme L n’ait introduit une demande devant l’Okresní soud de Český Krumlov qu’aux fins d’obtenir des informations sur la situation des enfants. La juridiction de renvoi est donc d’avis qu’il ne saurait y avoir une telle acceptation en l’espèce. À cet égard, elle relève également que, dans le premier acte lui incombant dans la procédure introduite par M. M, Mme L a contesté la compétence du juge saisi.

31      Constatant que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003, le Nejvyšší soud (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 12, paragraphe 3, du [règlement n° 2201/2003] doit-il être interprété en ce sens qu’il fonde la compétence pour une procédure en matière de responsabilité parentale également lorsqu’aucune procédure afférente n’est pendante (c’est-à-dire ‘des procédures autres que celles visées au paragraphe 1’)?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question:

L’article 12, paragraphe 3, du [règlement n° 2201/2003] doit-il être interprété en ce sens que [l’‘]acceptation expresse ou de toute autre manière non équivoque[’] s’entend également de la situation dans laquelle la partie qui n’a pas initié la procédure dépose son propre acte introductif d’instance dans la même affaire, mais ensuite, lors du premier acte qui lui incombe, fait valoir l’incompétence du juge dans la procédure initiée auparavant par l’autre partie?»

 

 La procédure devant la Cour

 

32      À la demande de la juridiction de renvoi, la chambre désignée a examiné la nécessité de soumettre la présente affaire à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour. Ladite chambre a décidé, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande.

33      Par décision du président de la Cour du 8 janvier 2014, la présente demande de décision préjudicielle s’est vue accorder un traitement prioritaire en application de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

 

 Sur les questions préjudicielles

 

34      À titre liminaire, il importe de rappeler que, selon l’article 2, point 7, du règlement n° 2201/2003, la notion de responsabilité parentale vise l’ensemble des droits et des obligations conférés, en particulier, à une personne physique sur la base d’une décision judiciaire ou d’une attribution de plein droit, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant, ensemble qui comprend notamment le droit de garde et le droit de visite. Mme L et M. M s’opposant notamment à propos du droit de garde de leurs enfants, le litige en cause au principal relève du champ d’application dudit règlement, conformément à l’article 1er, paragraphes 1 et 2, sous a), de celui-ci.

35      Le fait que la procédure en cause au principal concerne également une demande de pension alimentaire est sans incidence à cet égard. Certes, en application de l’article 1er, paragraphe 3, sous e), du règlement n° 2201/2003, les obligations alimentaires sont exclues du champ d’application de ce règlement. Toutefois, l’article 3, sous d), du règlement n° 4/2009 prévoit que peut être compétente pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale, lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité de l’une des parties. En application de cette disposition, la juridiction compétente en vertu de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 sera en principe également compétente pour statuer sur une demande d’obligation alimentaire accessoire à l’action relative à la responsabilité parentale dont elle serait saisie.

 Sur la première question

36      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’il permet, aux fins d’une procédure en matière de responsabilité parentale, de fonder la compétence d’une juridiction d’un État membre qui n’est pas celui de la résidence habituelle de l’enfant alors même qu’aucune autre procédure n’est pendante devant la juridiction choisie.

37      M. M, le représentant de R et K ainsi que les gouvernements tchèque et polonais font valoir que cette question appelle une réponse positive. La Commission européenne, en revanche, soutient qu’elle appelle une réponse négative, en précisant que la procédure pendante, avec laquelle la procédure en matière de responsabilité parentale est connexe, doit être une procédure différente de celles énoncées à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003.

38      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12, ainsi que Detiček, C‑403/09 PPU, EU:C:2009:810, point 33 et jurisprudence citée).

39      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 prévoit que les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale «dans des procédures autres que celles visées au paragraphe 1» du même article lorsque, d’une part, l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre et, d’autre part, leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le paragraphe 1 de ce même article précise que les juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 du même règlement pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande, lorsque les conditions qu’il énonce sont satisfaites.

40      Le libellé de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 ne permet donc pas, à lui seul, de déterminer si, pour qu’il soit possible de faire application de la prorogation de compétence prévue par cette disposition, il est ou non nécessaire que la juridiction en faveur de laquelle la prorogation de compétence est souhaitée soit déjà saisie d’une autre procédure.

41      Il convient toutefois de relever, à propos du contexte dans lequel l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 s’inscrit, que cette disposition constitue, avec celle prévue au paragraphe 1 de ce même article, une des deux possibilités de prorogation de compétence en matière de responsabilité parentale ouvertes par le règlement n° 2201/2003.

42      S’agissant de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, il ressort clairement du libellé de cette disposition que la possibilité de prorogation de compétence qu’elle offre ne peut jouer qu’en faveur des juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 du même règlement pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux. Le paragraphe 2 de cet article 12 précise, quant à lui, à quel moment la compétence exercée conformément audit paragraphe 1 prend fin, à savoir lorsque la décision faisant droit à la demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage ou la rejetant est passée en force de chose jugée; ou, dans le cas où une procédure relative à la responsabilité parentale est encore en instance à la date visée ci-avant, lorsqu’une décision relative à la responsabilité parentale est passée en force de chose jugée, ou encore, dans les deux cas visés ci-avant, dès qu’il a été mis fin à la procédure pour une autre raison.

43      Or, aucune disposition équivalente à ce paragraphe 2 n’est prévue pour la possibilité de prorogation de compétence offerte par l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003.

44      En outre, la Cour a déjà jugé que la compétence en matière de responsabilité parentale, prorogée en vertu de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003, en faveur d’une juridiction d’un État membre saisie d’un commun accord d’une procédure par les titulaires de la responsabilité parentale disparaît avec le prononcé d’une décision passée en force de chose jugée dans le cadre de cette procédure (arrêt E, C‑436/13, EU:C:2014:2246, point 50). Cela implique que la compétence de la juridiction choisie peut être prorogée même pour connaître de cette seule procédure en matière de responsabilité parentale.

45      Il découle de ce qui précède que la prorogation de compétence prévue à l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 en matière de responsabilité parentale peut être appliquée sans qu’il soit nécessaire que la procédure en cette matière se rattache à une autre procédure déjà pendante devant la juridiction en faveur de laquelle la prorogation de compétence est souhaitée.

46      À cet égard, il y a lieu de relever que cette interprétation est la seule à même de ne pas porter atteinte à l’effet utile de cette disposition. En effet, restreindre son champ d’application aux situations dans lesquelles la procédure en matière de responsabilité parentale peut se rattacher à une autre procédure déjà pendante réduirait sensiblement les possibilités de recourir à ladite prorogation, considérant que la nécessité d’engager une procédure en matière de responsabilité parentale peut survenir indépendamment de toute autre procédure.

47      Cette interprétation est également la seule à même de garantir le respect des objectifs poursuivis par le règlement n° 2201/2003.

48      Ainsi, d’une part, selon son considérant 12, les règles de compétence que le règlement n° 2201/2003 établit sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et, en particulier, du critère de proximité. Il s’ensuit que ce règlement procède de la conception selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer (voir, en ce sens, arrêt Rinau, C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 51). Or, comme cela a déjà été constaté au point 46 du présent arrêt, limiter la possibilité de recourir à la prorogation de compétence prévue à l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 aux cas dans lesquels la procédure en matière de responsabilité parentale peut être rattachée à une autre procédure exclurait la possibilité de recourir à ladite prorogation dans de nombreuses situations, alors même que cette prorogation de compétence pourrait être dans l’intérêt supérieur de l’enfant concerné.

49      À cet égard, il importe de souligner que, ainsi qu’il ressort de l’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003, – qui conditionne en toute hypothèse l’applicabilité de la prorogation de compétence que ce paragraphe prévoit non seulement à l’acceptation expresse ou de toute autre manière non équivoque de ladite prorogation par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie, mais également au fait que la compétence des juridictions de l’État membre choisi est dans l’intérêt supérieur de l’enfant –, le recours à cette prorogation ne peut en aucun cas être contraire à cet intérêt supérieur.

50      D’autre part, le considérant 5 du règlement n° 2201/2003 prévoit que, en vue de garantir l’égalité de tous les enfants, ce règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale. Exclure toute possibilité de prorogation de compétence en matière de responsabilité parentale pour la seule raison que ladite procédure ne peut être rattachée à une autre procédure déjà pendante porterait atteinte à la pleine réalisation de cet objectif. Tel serait le cas, en particulier, si, comme le suggère la juridiction de renvoi, l’expression «des procédures autres que celles visées au paragraphe 1», au sens de l’article 12, paragraphe 3, de ce règlement, était entendue comme visant des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux pour lesquelles la compétence des juridictions d’un État membre serait établie non en vertu de l’article 3 du même règlement, mais en vertu d’une autre règle de compétence prévue par ce règlement. En effet, une telle interprétation exclurait toute possibilité de prorogation de compétence en application dudit paragraphe 3 pour les questions de responsabilité parentale concernant les enfants de parents qui n’ont jamais été mariés ou dont les parents sont déjà divorcés, séparés ou ont déjà vu leur mariage annulé, ce qui serait contraire audit objectif d’égalité de tous les enfants.

51      Par ailleurs, l’interprétation retenue au point 45 du présent arrêt n’est pas susceptible de porter atteinte à l’effet utile de l’article 15 du règlement n° 2201/2003, comme l’envisage la juridiction de renvoi, cet article précisant qu’il ne s’applique qu’«à titre d’exception». Il ne saurait donc pallier les lacunes en termes de réalisation des objectifs poursuivis par le règlement n° 2201/2003 qui résulteraient d’une interprétation de l’article 12, paragraphe 3, de celui-ci excluant l’applicabilité de cette disposition en l’absence d’une procédure déjà pendante à laquelle la procédure en matière de responsabilité parentale peut être rattachée.

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’il permet, aux fins d’une procédure en matière de responsabilité parentale, de fonder la compétence d’une juridiction d’un État membre qui n’est pas celui de la résidence habituelle de l’enfant alors même qu’aucune autre procédure n’est pendante devant la juridiction choisie.

 Sur la seconde question

53      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens que la compétence de la juridiction saisie par une partie pour connaître d’une procédure en matière de responsabilité parentale a été «acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure», au sens de cette disposition, lorsque la partie défenderesse dans cette première procédure engage, ultérieurement, une seconde procédure devant la même juridiction et soulève, dans le cadre du premier acte qui lui incombe dans la première procédure, l’incompétence de cette juridiction.

54      M. M ainsi que le représentant de R et K estiment que cette question appelle une réponse positive, tandis que le gouvernement tchèque et la Commission sont d’un avis contraire.

55      Selon les termes mêmes de l’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003, la compétence de la juridiction choisie doit avoir «été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie». L’article 16 de ce règlement précise qu’une juridiction est réputée saisie, en principe, à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction.

56      Le libellé clair de cette disposition, lu à la lumière dudit article 16, impose ainsi que soit établie l’existence d’un accord exprès ou à tout le moins univoque sur ladite prorogation de compétence entre toutes les parties à la procédure, au plus tard à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction choisie.

57      Tel ne saurait manifestement être le cas lorsque la juridiction en cause est saisie à la seule initiative d’une des parties à la procédure, qu’une autre partie à la procédure saisit cette même juridiction d’une autre procédure à une date ultérieure et que cette autre partie conteste, dès le premier acte qui lui incombe dans le cadre de la première procédure, la compétence de la juridiction saisie.

58      Il convient d’ajouter que, lorsqu’une juridiction est saisie d’une procédure conformément à l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003, l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être assuré que par un examen, dans chaque cas particulier, de la question de savoir si la prorogation de compétence recherchée est conforme à cet intérêt supérieur et qu’une prorogation de compétence, sur le fondement de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003, ne vaut que pour la procédure spécifique pour laquelle la juridiction dont la compétence est prorogée est saisie (voir, en ce sens, arrêt E, EU:C:2014:2246, points 47 et 49).

59      Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’il ne peut pas être considéré que la compétence de la juridiction saisie par une partie pour connaître d’une procédure en matière de responsabilité parentale a été «acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure», au sens de cette disposition, lorsque la partie défenderesse dans cette première procédure engage, ultérieurement, une seconde procédure devant la même juridiction et soulève, dans le cadre du premier acte qui lui incombe dans la première procédure, l’incompétence de cette juridiction.

 

 Sur les dépens

 

60      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 12, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, doit être interprété en ce sens qu’il permet, aux fins d’une procédure en matière de responsabilité parentale, de fonder la compétence d’une juridiction d’un État membre qui n’est pas celui de la résidence habituelle de l’enfant alors même qu’aucune autre procédure n’est pendante devant la juridiction choisie.

2)      L’article 12, paragraphe 3, sous b), du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’il ne peut pas être considéré que la compétence de la juridiction saisie par une partie pour connaître d’une procédure en matière de responsabilité parentale a été «acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure», au sens de cette disposition, lorsque la partie défenderesse dans cette première procédure engage, ultérieurement, une seconde procédure devant la même juridiction et soulève, dans le cadre du premier acte qui lui incombe dans la première procédure, l’incompétence de cette juridiction.

Signatures


Langue de procédure: le tchèque.

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