ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
5 septembre 2012
Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne
«Code frontières Schengen — Décision 2010/252/UE — Surveillance des frontières extérieures maritimes — Introduction de modalités supplémentaires concernant la surveillance des frontières — Compétences d’exécution de la Commission — Portée — Demande en annulation»
Dans l’affaire C-355/10,
ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 12 juillet 2010,
Parlement européen, représenté par Mme M. Dean ainsi que par MM. A. Auersperger Matić et K. Bradley, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme Z. Kupčová et M. R. Szostak, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par:
Commission européenne, représentée par Mme C. O’Reilly et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie intervenante,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot et Mme A. Prechal, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, E. Juhász, G. Arestis, T. von Danwitz (rapporteur), Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 janvier 2012,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 avril 2012,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours, le Parlement européen demande l’annulation de la décision 2010/252/UE du Conseil, du 26 avril 2010, visant à compléter le code frontières Schengen en ce qui concerne la surveillance des frontières extérieures maritimes dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (JO L 111, p. 20, ci-après la «décision attaquée»).
2 Au soutien de son recours, le Parlement fait notamment valoir que cette décision excède les limites des compétences d’exécution prévues à l’article 12, paragraphe 5, du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 105, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 296/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008 (JO L 97, p. 60, ci-après le «CFS»). Le Parlement soutient que les dispositions de la décision attaquée auraient dû être adoptées en application de la procédure législative ordinaire et non pas par un recours à la procédure de comitologie fondée sur cet article 12, paragraphe 5.
I – Le cadre juridique
A – La décision 1999/468/CE
3 Sur la base de l’article 202 CE, a été adoptée la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), telle que modifiée par la décision 2006/512/CE du Conseil, du 17 juillet 2006 (JO L 200, p. 11, ci-après la «seconde décision ‘comitologie’»).
4 Quant à la procédure de réglementation avec contrôle, le considérant 7 bis de la seconde décision «comitologie» est libellé comme suit:
«Il est nécessaire de recourir à la procédure de réglementation avec contrôle pour les mesures de portée générale ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels d’un acte adopté selon la procédure visée à l’article 251 du traité [CE] y compris en supprimant certains de ces éléments ou en le complétant par l’ajout de nouveaux éléments non essentiels. Cette procédure doit permettre aux deux branches de l’autorité législative d’effectuer un contrôle préalable à l’adoption de telles mesures. Les éléments essentiels d’un acte législatif ne peuvent être modifiés que par le législateur sur la base du traité.»
5 L’article 2, paragraphe 2, de la seconde décision «comitologie» dispose:
«Lorsqu’un acte de base adopté selon la procédure visée à l’article 251 du traité prévoit l’adoption de mesures de portée générale ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels de cet acte, y compris en supprimant certains de ces éléments ou en le complétant par l’ajout de nouveaux éléments non essentiels, ces mesures sont arrêtées selon la procédure de réglementation avec contrôle.»
6 Le déroulement de la procédure de réglementation avec contrôle est régi par l’article 5 bis de la seconde décision «comitologie». Dans le cadre de cette procédure, intervient également un comité de réglementation avec contrôle, composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission européenne (ci-après le «comité»), qui émet son avis sur un projet de mesures à prendre. La procédure diffère selon que les mesures envisagées sont conformes à l’avis de ce comité, d’une part, ou ne sont pas conformes à un tel avis ou si ce comité n’a pas émis d’avis, d’autre part.
7 Dans le cas où les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis dudit comité ou si ce comité n’a pas émis d’avis, l’article 5 bis, paragraphe 4, de la seconde décision «comitologie» prévoit que s’applique la procédure suivante:
«a) la Commission soumet sans tarder une proposition relative aux mesures à prendre au Conseil et la transmet en même temps au Parlement européen;
b) le Conseil statue à la majorité qualifiée sur cette proposition dans un délai de deux mois à compter de sa saisine;
c) si, dans ce délai, le Conseil s’oppose à la majorité qualifiée aux mesures proposées, celles-ci ne sont pas arrêtées. Dans ce cas, la Commission peut soumettre au Conseil une proposition modifiée ou présenter une proposition législative sur la base du traité;
d) si le Conseil envisage d’adopter les mesures proposées, il les soumet sans tarder au Parlement européen. Si le Conseil ne statue pas dans le délai de deux mois précité, la Commission soumet sans tarder les mesures au Parlement européen;
e) le Parlement européen, statuant à la majorité des membres qui le composent dans un délai de quatre mois à compter de la transmission de la proposition conformément au point a), peut s’opposer à l’adoption des mesures en cause, tout en motivant son opposition par l’indication que les mesures proposées excèdent les compétences d’exécution prévues dans l’acte de base, ou que ces mesures ne sont pas compatibles avec le but ou le contenu de l’acte de base, ou ne respectent pas les principes de subsidiarité ou de proportionnalité;
f) si, dans ce délai, le Parlement européen s’oppose aux mesures proposées, celles-ci ne sont pas arrêtées. Dans ce cas, la Commission peut soumettre au comité un projet de mesures modifié ou présenter une proposition législative sur la base du traité;
g) si, à l’expiration du délai précité, le Parlement européen ne s’est pas opposé aux mesures proposées, celles-ci sont arrêtées par le Conseil ou par la Commission selon le cas.»
B – Le CFS
8 Ainsi qu’il ressort de son article 1er, second alinéa, le CFS établit les règles applicables au contrôle aux frontières des personnes franchissant les frontières extérieures des États membres de l’Union européenne.
9 Ledit contrôle a pour but, conformément au considérant 6 du CFS, de «contribuer à la lutte contre l’immigration illégale et la traite des êtres humains, ainsi qu’à la prévention de toute menace sur la sécurité intérieure, l’ordre public, la santé publique et les relations internationales des États membres».
10 Aux termes du considérant 17 du CFS, «[i]l convient de prévoir une procédure permettant à la Commission d’adapter certaines modalités pratiques du contrôle aux frontières. Dans ces cas, il y a lieu d’arrêter les mesures nécessaires pour la mise en œuvre du [CFS] en conformité avec la décision 1999/468/CE […]».
11 L’article 2, point 9, du CFS définit le «contrôle aux frontières» comme consistant en des vérifications aux frontières et en une surveillance des frontières et inclut «les activités effectuées aux frontières, conformément au [CFS] et aux fins de celui-ci, en réponse exclusivement à l’intention de franchir une frontière ou à son franchissement indépendamment de toute autre considération».
12 La surveillance des frontières est définie à l’article 2, point 11, du CFS comme «la surveillance des frontières entre les points de passage et la surveillance des points de passage frontaliers en dehors des heures d’ouverture fixées, en vue d’empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières».
13 Le CFS prévoit, à ses articles 6 à 11, des règles relatives aux vérifications aux frontières extérieures.
14 En ce qui concerne la surveillance des frontières, l’article 12 du CFS énonce:
«1. La surveillance des frontières a pour objet principal d’empêcher le franchissement non autorisé de la frontière, de lutter contre la criminalité transfrontalière et de prendre des mesures à l’encontre des personnes ayant franchi illégalement la frontière.
2. Les gardes-frontières agissent en unités fixes ou mobiles pour procéder à la surveillance des frontières extérieures.
Cette surveillance est effectuée de manière à empêcher et à dissuader les personnes de se soustraire aux vérifications aux points de passage frontaliers.
3. La surveillance entre les points de passage frontaliers est assurée par des gardes-frontières dont les effectifs et les méthodes sont adaptés aux risques et aux menaces existants ou prévus. Les périodes de surveillance sont modifiées de manière fréquente et inopinée, de sorte que les passages de personnes qui franchissent la frontière sans autorisation risquent en permanence d’être découverts.
4. La surveillance est effectuée par des unités fixes ou mobiles qui accomplissent leur mission en patrouillant ou en se postant à des endroits réputés ou présumés sensibles, l’objectif de cette surveillance consistant à appréhender les individus franchissant illégalement la frontière. La surveillance peut également être exercée à l’aide de moyens techniques, y compris électroniques.
5. Des mesures supplémentaires applicables à la surveillance peuvent être arrêtées. Ces mesures visant à modifier des éléments non essentiels du présent règlement en le complétant sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 33, paragraphe 2.»
15 L’entrée sur le territoire des États membres est refusée aux ressortissants des États tiers au moyen d’une décision motivée qui est, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, du CFS, notifiée au moyen d’un formulaire uniforme figurant à l’annexe V, partie B, de ce code.
16 L’article 33, paragraphe 2, du CFS dispose:
«Dans le cas où il est fait référence au présent paragraphe, l’article 5 bis, paragraphes 1 à 4, et l’article 7 de la décision 1999/468/CE s’appliquent, dans le respect des dispositions de l’article 8 de celle-ci.»
C – Le règlement (CE) no 2007/2004
17 Le règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil, du 26 octobre 2004, portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (JO L 349, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 863/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007 (JO L 199, p. 30, ci-après le «règlement Frontex»), détermine notamment les tâches de cette Agence européenne (ci-après l’«Agence»).
18 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du règlement Frontex, l’Agence a, notamment, pour tâches:
«a) de coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures;
[…]
e) d’assister les États membres dans les situations qui exigent une assistance technique et opérationnelle renforcée aux frontières extérieures;
[…]
g) de déployer des équipes d’intervention rapide aux frontières dans un État membre […]»
19 Si le directeur exécutif de l’Agence décide, à la demande d’un État membre, de déployer une ou plusieurs équipes d’intervention rapide aux frontières extérieures de celui-ci, l’Agence et l’État membre demandeur établissent, en vertu de l’article 8 quinquies, paragraphe 5, dudit règlement, un plan opérationnel.
20 L’article 8 sexies du règlement Frontex, intitulé «Plan opérationnel», dispose:
«1. Le directeur exécutif et l’État membre demandeur conviennent d’un plan opérationnel fixant de manière précise les conditions du déploiement des équipes. Le plan opérationnel comporte les éléments suivants:
a) la description de la situation avec le modus operandi et les objectifs du déploiement, y compris l’objectif opérationnel;
b) la durée prévisible du déploiement des équipes;
c) la zone géographique de responsabilité, dans l’État membre demandeur, des lieux où seront déployées les équipes;
d) la description des tâches et instructions spéciales, y compris celles portant sur les bases de données que les membres des équipes sont autorisés à consulter et sur les armes de services, les munitions et les équipements qu’ils sont autorisés à utiliser dans l’État membre hôte;
e) la composition des équipes;
f) le nom et le grade des agents du corps national de gardes-frontières de l’État membre hôte responsables de la coopération avec les équipes, notamment ceux qui exercent le commandement des équipes durant le déploiement, et la place des équipes dans la chaîne de commandement;
g) l’équipement technique à déployer en même temps que les équipes, conformément à l’article 8.
2. Toute modification ou adaptation du plan opérationnel est soumise à l’accord conjoint du directeur exécutif et de l’État membre demandeur. Une copie du plan opérationnel modifié ou adapté est immédiatement envoyée par l’Agence aux États membres participants.»
21 Quant à la mise en œuvre du plan opérationnel, l’article 8 octies, paragraphe 2, du règlement Frontex prévoit:
«L’officier de coordination intervient au nom de l’Agence pour tous les aspects du déploiement des équipes. En particulier, l’officier de coordination:
[…]
c) contrôle la mise en œuvre correcte du plan opérationnel;
[…]»
D – La décision attaquée
22 La décision attaquée a été adoptée sur la base de l’article 12, paragraphe 5, du CFS dans le cadre de la procédure de réglementation avec contrôle, telle que prévue à l’article 5 bis de la seconde décision «comitologie». Le comité n’ayant pas émis d’avis sur la proposition initiale de la Commission, celle-ci a, conformément à cet article 5 bis, paragraphe 4, soumis au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et l’a transmise au Parlement. Ce dernier ne s’étant pas opposé à cette proposition, le Conseil a adopté la décision attaquée.
23 Aux termes du considérant 9 de la décision attaquée:
«Afin d’assurer une meilleure coordination entre les États membres participant à une opération lorsque de telles situations se présentent, et de faciliter la conduite des opérations en question, il convient de prévoir, dans la présente décision, des lignes directrices non contraignantes. La présente décision ne devrait pas affecter les compétences des autorités de recherche et de sauvetage, notamment en ce qui concerne la coordination et la coopération permettant d’assurer que les personnes secourues soient mises en lieu sûr.»
24 L’article 1er de la décision attaquée dispose:
«La surveillance des frontières extérieures maritimes dans le cadre de la coopération opérationnelle entre États membres coordonnée par l’[Agence] s’effectue dans le respect des règles définies dans la partie I de l’annexe. Les règles et les lignes directrices non contraignantes énoncées dans la partie II de l’annexe font partie du plan opérationnel élaboré pour chaque opération coordonnée par l’Agence.»
25 La partie I de l’annexe de la décision attaquée contient, à son point 1, des principes généraux concernant les opérations aux frontières maritimes coordonnées par l’Agence et, à son point 2, des règles prévoyant des mesures concrètes à prendre lors de telles opérations. Les points 2.1 à 2.3 de cette partie I fixent la conduite à suivre pour l’approche et la surveillance des navires détectés ainsi que la communication aux autorités compétentes des informations relatives à ces navires. Le point 2.4 de la même partie est relatif aux mesures qui doivent être prises à l’encontre des navires détectés et des personnes à bord et le point 2.5 de celle-ci énonce les conditions devant être respectées lors de la mise en œuvre de ces mesures. Ces conditions sont distinctes selon que les mesures doivent être prises dans des eaux territoriales et la zone contiguë, d’une part, ou en haute mer, d’autre part.
26 Quant aux mesures à prendre à l’encontre des navires détectés ou des personnes à bord, le point 2.4 de ladite partie I dispose:
«Les mesures prises au cours de l’opération de surveillance à l’encontre de navires ou d’autres bateaux au sujet desquels il existe des motifs sérieux de soupçonner qu’ils transportent des personnes ayant l’intention de se dérober aux contrôles aux points de passage frontaliers peuvent consister:
a) à demander des informations et des documents se rapportant à la propriété, à l’immatriculation et au voyage, ainsi que l’identité et la nationalité des personnes à bord et toute autre donnée pertinente les concernant;
b) à arrêter et arraisonner le navire, à fouiller le navire, sa cargaison et les personnes se trouvant à bord, et à interroger ces personnes;
c) à avertir les personnes se trouvant à bord de ce qu’elles ne sont pas autorisées à franchir la frontière et de ce que les commandants du navire encourent des sanctions pour avoir facilité le voyage;
d) à saisir le navire et à arrêter les personnes qui se trouvent à bord;
e) à ordonner au navire de modifier son itinéraire afin qu’il quitte les eaux territoriales ou la zone contiguë ou qu’il n’y pénètre pas, et à escorter le navire ou à demeurer à proximité jusqu’à ce qu’il prenne cette direction;
f) à conduire le navire ou les personnes se trouvant à bord vers un pays tiers, ou à livrer le navire ou les personnes se trouvant à bord aux autorités d’un pays tiers;
g) à conduire le navire ou les personnes se trouvant à bord vers l’État membre d’accueil ou vers un autre État membre participant à l’opération.»
27 La partie II de l’annexe de la décision attaquée est intitulée «Lignes directrices applicables aux cas de recherche et de sauvetage et au débarquement dans le cadre d’une opération aux frontières maritimes coordonnée par l’Agence».
28 Ladite partie II prévoit, à son point 1.1, notamment, que les États membres «s’acquittent de l’obligation de prêter assistance aux personnes en détresse en mer» et que «[l]es unités participantes prêtent assistance à tout navire ou personne en détresse en mer». Les points 1.2 à 1.5 de cette partie concernent l’évaluation de la situation, la communication de cette évaluation et d’autres informations au Centre de coordination du sauvetage ainsi que l’adoption de mesures appropriées ou nécessaires pour assurer la sécurité des personnes concernées. Selon le point 1.6 de la même partie II, l’opération devrait, sous certaines conditions, être reprise conformément à la partie I de l’annexe de la décision attaquée.
29 De plus, la partie II de l’annexe de la décision attaquée prévoit, à son point 2.1, premier alinéa, première phrase, notamment, que «[l]e plan opérationnel devrait indiquer les modalités de débarquement des personnes interceptées ou secourues, conformément au droit international et aux accords bilatéraux applicables». Aux termes de la seconde phrase du même alinéa, ce plan opérationnel «n’a pas pour effet d’imposer des obligations aux États membres ne participant pas à l’opération». Quant au point 2.1, second alinéa, il énonce que, sauf disposition contraire du plan opérationnel, ces personnes «devraient être débarquées en priorité dans le pays tiers d’où est parti le navire à bord duquel elles ont été trouvées ou par les eaux territoriales ou la région de recherche et de sauvetage duquel ledit navire a transité».
II – Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
30 Le Parlement demande à la Cour:
– d’annuler la décision attaquée;
– d’ordonner le maintien des effets de la décision attaquée jusqu’à ce qu’elle soit remplacée, et
– de condamner le Conseil aux dépens.
31 Le Conseil conclut à ce que la Cour:
– à titre principal, rejette le recours du Parlement comme irrecevable;
– à titre subsidiaire, rejette ledit recours comme non fondé, et
– condamne le Parlement aux dépens.
32 Par ordonnance du président de la Cour du 30 novembre 2010, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil et, dans son mémoire en intervention, elle conclut au rejet du recours du Parlement et à la condamnation de ce dernier aux dépens.
III – Sur le recours
A – Sur la recevabilité du recours
1. Argumentation des parties
33 Le Conseil invoque, à titre principal, l’irrecevabilité du recours du Parlement. Selon lui, ce dernier n’a ni intérêt à agir ni le droit de contester la décision attaquée en raison du fait qu’il n’a pas exercé son droit de s’opposer à l’adoption de celle-ci pour violation des motifs énumérés à l’article 5 bis, paragraphe 4, sous e), de la seconde décision «comitologie». Si le Parlement avait des doutes quant à la légalité de la décision attaquée, il aurait dû s’y opposer, conformément à la procédure de réglementation avec contrôle, et cette dernière décision n’aurait pu être arrêtée.
34 La situation de l’espèce se distinguerait de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 1979, Italie/Conseil (166/78, Rec. p. 2575), dans laquelle la Cour a jugé recevable un recours formé par un État membre ayant voté, au sein du Conseil, en faveur de l’acte attaqué. En effet, le contrôle exercé par le Parlement afin de déterminer si une mesure proposée excède les compétences d’exécution prévues par l’acte de base serait une étape procédurale formelle dans le processus d’adoption de l’acte en cause et exigerait non pas une évaluation politique, mais la vérification de la satisfaction des conditions de légalité.
35 Le Parlement fait valoir qu’il n’est pas tenu de justifier d’un intérêt à agir, conformément à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 3). À supposer que cette preuve soit nécessaire, un tel intérêt existerait incontestablement en l’espèce dès lors qu’est contestée la légalité d’un acte de l’Union ayant un effet contraignant et que les prérogatives du Parlement seraient mises en cause par l’adoption d’un acte juridique dans le cadre d’une procédure d’exécution au lieu d’une procédure législative (arrêt du 18 juin 1996, Parlement/Conseil, C-303/94, Rec. p. I-2943, points 19 et 20).
36 La vérification par le Parlement d’une mesure d’exécution proposée, telle que prévue à l’article 5 bis, paragraphe 4, sous e), de la seconde décision «comitologie», n’aurait pas pour conséquence de limiter le droit de cette institution d’introduire une action visant à obtenir le contrôle juridictionnel d’une telle mesure. En outre, le Parlement soutient qu’il n’a pas d’obligation d’exercer son droit de veto quand il éprouve des doutes quant à la légalité d’une mesure d’exécution proposée.
2. Appréciation de la Cour
37 Selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit de recours des États membres, du Parlement, du Conseil et de la Commission, prévu à l’article 263, paragraphe 2, TFUE, n’est pas conditionné par la justification d’un intérêt à agir (voir, en ce sens, arrêts Italie/Conseil, précité, point 6; Commission/Conseil, précité, point 3; du 21 janvier 2003, Commission/Parlement et Conseil, C-378/00, Rec. p. I-937, point 28; du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C-370/07, Rec. p. I-8917, point 16, ainsi que du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C-463/10 P et C-475/10 P, Rec. p. I-9639, point 36).
38 En outre, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que l’exercice de ce droit ne dépend pas de la position prise, lors de la procédure d’adoption de l’acte en cause, par l’institution ou l’État membre introduisant le recours (voir, en ce sens, arrêts précités Italie/Conseil, point 6, ainsi que Commission/Parlement et Conseil, point 28).
39 Le fait que le Parlement a eu, conformément à l’article 5 bis, paragraphe 4, sous e), de la seconde décision «comitologie», la possibilité de s’opposer, en statuant à la majorité des membres qui le composent, à l’adoption de la décision attaquée n’est pas susceptible, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 20 et 22 de ses conclusions, d’exclure le droit de recours de cette institution.
40 Si la procédure de réglementation avec contrôle permet au Parlement, conformément au considérant 7 bis de la seconde décision «comitologie», d’effectuer un contrôle préalable à l’adoption d’une mesure, cette procédure ne saurait se substituer au contrôle juridictionnel. Ainsi, le fait que le Parlement ne s’est pas opposé à l’adoption d’un acte dans le cadre d’une telle procédure ne saurait entraîner l’irrecevabilité d’un recours en annulation mettant en cause la légalité de l’acte ainsi adopté.
41 Il résulte de ce qui précède que le recours en annulation est recevable.
B – Sur le fond
1. Argumentation des parties
42 Les parties s’opposent en substance, d’une part, sur les principes régissant les compétences d’exécution et, d’autre part, sur le point de savoir si la décision attaquée pouvait être adoptée au titre des compétences d’exécution.
a) Quant aux principes régissant les compétences d’exécution
43 Le Parlement soutient que la procédure de réglementation avec contrôle peut avoir pour objet la modification ou la suppression d’éléments non essentiels d’un acte de base ou l’ajout de nouveaux éléments non essentiels, mais non la modification des éléments essentiels d’un tel acte. Tout exercice de la compétence d’exécution doit, selon lui, respecter les éléments essentiels du contenu de l’acte de base. En outre, le Parlement considère que la Commission n’est pas autorisée à réglementer des activités qui ne relèvent pas du champ d’application matériel de l’acte législatif de base.
44 La notion d’«éléments essentiels» couvre en particulier, selon le Parlement, les définitions données par une réglementation de base pour en délimiter le champ d’application matériel et établit le cadre dans lequel s’applique cette réglementation, laquelle peut être complétée par l’ajout de nouveaux éléments non essentiels. Afin de déterminer les limites des compétences d’exécution, doivent notamment être prises en considération, selon le Parlement, les limitations matérielles de ces compétences découlant des éléments essentiels de l’acte de base ainsi que les dispositions du traité CE et l’obligation de respecter les droits fondamentaux.
45 Le Conseil fait valoir, en revanche, que le législateur de l’Union peut lui-même fixer les limites de la délégation, définir les objectifs essentiels de la réglementation de base et décider quels sont les éléments essentiels qui ne peuvent être délégués à la Commission. L’étendue de la délégation des compétences d’exécution dépendrait, notamment, du pouvoir d’appréciation attribué à la Commission par le législateur et, à cet égard, la Cour aurait admis qu’une large délégation des compétences d’exécution puisse être octroyée à cette institution.
46 Selon la Commission, il convient, quant à la notion d’«éléments essentiels», de se fonder sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle ces éléments seraient les règles présentant un caractère essentiel pour la matière envisagée (arrêts du 17 décembre 1970, Köster et Berodt & Co., 25/70, Rec. p. 1161, point 6, et du 27 octobre 1992, Allemagne/Commission, C-240/90, Rec. p. I-5383, point 36). L’utilisation, à l’article 2, paragraphe 2, de la seconde décision «comitologie», des termes «complétant par l’ajout de nouveaux éléments non essentiels» permettrait de conférer à la Commission le pouvoir de concrétiser les éléments essentiels que les colégislateurs n’ont pas énoncés dans le détail. Cette dernière serait autorisée à compléter ces éléments et à réglementer de nouvelles activités relevant du champ d’application de la matière régie et de ses règles essentielles.
b) Quant à la décision attaquée
47 Quant à la décision attaquée, le Parlement ne conteste pas les objectifs de celle-ci, mais il considère que son contenu aurait dû être adopté au moyen d’un acte législatif et non pas d’un acte d’exécution. Cette décision outrepasserait le champ d’application des compétences d’exécution visées à l’article 12, paragraphe 5, du CFS en raison du fait qu’elle introduirait de nouveaux éléments essentiels dans ce code et modifierait des éléments essentiels de celui-ci ainsi que le contenu du règlement Frontex.
i) Sur l’introduction de nouveaux éléments essentiels dans le CFS
48 Quant à l’introduction de nouveaux éléments essentiels dans le CFS, le Parlement soutient que les parties I et II de l’annexe de la décision attaquée prévoient des mesures qui ne peuvent être considérées comme relevant du champ d’application de la surveillance des frontières telle que définie par ce code ou comme un élément non essentiel de celui-ci.
49 Ainsi, la partie I, point 2.4, de cette annexe contiendrait, contrairement à l’article 12, paragraphe 5, du CFS et au considérant 17 de celui-ci, non pas de simples modalités pratiques de la surveillance des frontières, mais attribuerait aux gardes-frontières des pouvoirs très étendus. Le CFS serait muet quant aux mesures susceptibles d’être prises à l’encontre des personnes ou des navires. Toutefois, la décision attaquée prévoirait des mesures coercitives de grande portée, mais ne garantirait pas la possibilité pour les personnes interceptées en haute mer de faire valoir le droit d’asile et les droits associés à celui-ci, alors même que, conformément à l’article 13 du CFS, le retour des personnes concernées vers le pays d’où elles viennent pourrait uniquement s’inscrire dans le cadre d’un refus formel d’entrée.
50 En outre, les règles relatives à des activités telles que la recherche, le sauvetage et le débarquement, figurant dans la partie II de l’annexe de la décision attaquée, ne relèvent pas, selon le Parlement, de la notion de surveillance. Même si cette partie II comporte, dans son intitulé, les termes «lignes directrices», elle serait contraignante et destinée à produire des effets juridiques à l’égard des États membres participant à une opération coordonnée par l’Agence, compte tenu tant de son libellé que du fait qu’elle figure dans un acte juridiquement contraignant et qu’elle fait partie du plan opérationnel prévu par le règlement Frontex. La décision attaquée contiendrait ainsi des éléments essentiels du CFS et ne pouvait, dès lors, faire l’objet d’une mesure d’exécution.
51 En outre, le Parlement fait valoir que la décision attaquée excède le champ d’application territorial du CFS. Conformément à l’article 2, point 11, de celui-ci, la surveillance serait limitée à la surveillance des frontières entre les points de passage et à la surveillance des points de passage frontaliers en dehors des heures d’ouverture fixées, tandis que cette décision s’appliquerait, en vertu de la partie I, point 2.5, de son annexe, non seulement aux eaux territoriales, mais également aux zones contiguës et à la haute mer.
52 Selon le Conseil, le législateur de l’Union a estimé que les vérifications aux frontières constituent l’élément essentiel du contrôle aux frontières extérieures qu’il aurait réglementé de manière exhaustive. Quant à la surveillance des frontières, le Conseil fait valoir que le législateur a, en revanche, considéré qu’il suffisait de définir les objectifs généraux et les méthodes de base en accordant à la Commission l’autorisation d’adopter, en cas de besoin, des mesures supplémentaires applicables à la surveillance et de larges compétences d’exécution.
53 Le Conseil soutient que les mesures énumérées au point 2.4 de ladite partie I ne sont pas contraires aux objectifs de la surveillance des frontières définis à l’article 12 du CFS. Les règles relatives à la coordination des opérations de surveillance au cours d’opérations conjointes, énoncées au point 2.5 de la même partie I, viseraient à faciliter le déroulement des opérations. L’argument tiré d’une prétendue extension du champ d’application territorial du CFS n’est, selon le Conseil, pas fondé, étant donné que ce code ne définit pas la notion de frontière maritime, celle-ci devant être comprise comme couvrant également la surveillance des frontières assurée dans les zones contiguës ainsi qu’en haute mer.
54 En ce qui concerne la partie II de l’annexe de la décision attaquée, non seulement le libellé des considérants 7 à 9 de celle-ci, mais également la différence de rédaction des intitulés des deux parties de cette annexe et la manière dont sont formulées les lignes directrices démontreraient l’intention de l’auteur de cette décision de ne pas attribuer de force obligatoire à cette partie. Certes, la prestation d’assistance aux navires en détresse ne serait pas une mesure de surveillance au sens strict. Toutefois, lorsqu’une telle situation se présente au cours d’une opération de surveillance coordonnée par l’Agence, il serait apparu indispensable de coordonner à l’avance la manière dont sont menés la recherche et le sauvetage par les différents États membres participants. Dans ces conditions, le Conseil considère que la décision attaquée n’introduit pas d’éléments nouveaux dans le CFS.
55 La Commission estime que la surveillance des frontières est un élément essentiel du CFS, mais que les règles essentielles régissant cette matière se trouvent à l’article 12 du CFS, qui prévoit des dispositions quant au contenu ainsi qu’à l’objet et à la finalité de la surveillance, sans avoir vocation à réglementer celle-ci de manière extensive et exhaustive. Les colégislateurs auraient conféré à la Commission le pouvoir de compléter ces éléments essentiels. Le pouvoir de réglementer de nouvelles activités permettrait à cette dernière de déterminer le contenu de la surveillance des frontières et de définir ce que cette activité implique.
56 La Commission estime que la décision attaquée n’introduit pas de nouveaux éléments essentiels dans le CFS. La surveillance devrait, au regard de sa finalité, couvrir non seulement la détection de tentatives d’entrée illégale dans l’Union, mais aussi les mesures concrètes telles que l’interception des navires dont il y a lieu de penser qu’ils essaient de pénétrer dans l’Union sans se soumettre aux vérifications aux frontières. L’article 12, paragraphe 4, du CFS indiquerait spécifiquement que l’un des objectifs de la surveillance est d’appréhender les individus. Afin d’établir si la «recherche et le sauvetage» relèvent de la notion de surveillance, il importerait de prendre en considération les circonstances factuelles dans lesquelles se déroulent les tentatives d’entrée illégale. Dans de nombreux cas, l’opération de surveillance déclencherait l’opération de recherche et de sauvetage, sans qu’il soit possible d’établir une distinction claire entre ces deux types d’opérations. La question de savoir si les lignes directrices sont contraignantes ne se poserait pas étant donné que les mesures qu’elles prévoient relèvent de la notion de surveillance.
ii) Sur la modification d’éléments essentiels du CFS
57 Quant à la modification d’éléments essentiels du CFS, le Parlement fait notamment valoir que la décision attaquée modifie l’article 13 de ce code. Cet article s’appliquant à tout cas d’interception, les personnes entrées illégalement dans les eaux territoriales et les zones contiguës ne pourraient pas être refoulées ou invitées à partir sans qu’une décision soit adoptée en application de cet article 13. En revanche, la partie I, point 2.4, de l’annexe de la décision attaquée conférerait aux gardes-frontières le pouvoir d’ordonner au navire de modifier son itinéraire afin de quitter les eaux territoriales sans qu’une décision au sens dudit article 13 ait été prise et sans que les personnes concernées aient la possibilité de former un recours contre le refus d’entrée.
58 À cet égard, le Conseil et la Commission font valoir que l’article 13 du CFS ne s’applique pas aux activités de surveillance des frontières de sorte que la décision ne saurait modifier cet article.
iii) Sur la modification du règlement Frontex
59 S’agissant de la modification du règlement Frontex, le Parlement fait valoir que l’article 12, paragraphe 5, du CFS ne confère pas à la Commission la compétence d’établir des règles qui modifient les pouvoirs et obligations établis par le règlement Frontex pour les opérations coordonnées par l’Agence. La décision attaquée ne serait pas l’instrument juridique approprié pour créer des obligations relatives à de telles opérations ni pour modifier des dispositions du règlement Frontex.
60 Toutefois, ladite décision serait destinée à s’appliquer uniquement dans le cadre des opérations coordonnées par l’Agence et serait obligatoire pour celle-ci ainsi que pour les États membres, étant donné que son annexe fait partie du plan opérationnel élaboré pour chaque opération, alors même que l’article 8 sexies du règlement Frontex déterminerait les principaux éléments de ce plan. L’inclusion obligatoire des règles et lignes directrices énoncées dans l’annexe de la décision attaquée dans le plan opérationnel modifierait considérablement la liste des éléments nécessaires à la mise en œuvre dudit plan, tels que le rôle des gardes-frontières, des unités participantes ainsi que du Centre de coordination du sauvetage.
61 À cet égard, le Conseil soutient que la décision attaquée ne modifie pas les tâches de l’Agence, même si l’annexe de cette décision fait partie du plan opérationnel. Les modalités de la surveillance des frontières relèveraient des éléments nécessaires du plan opérationnel énumérés à l’article 8 sexies du règlement Frontex. Même si cette décision ajoute de nouveaux éléments non essentiels aux dispositions de cet article 8 sexies, cela n’entraînerait pas pour autant l’illégalité de ce règlement. Le CFS et ses mesures d’exécution, d’une part, et le règlement Frontex, d’autre part, seraient complémentaires. Les deux actes de base seraient des instruments juridiques destinés à la mise en œuvre de la politique relative aux contrôles aux frontières définie à l’article 77 TFUE et la coordination avec le système mis en œuvre par le règlement Frontex serait réglementée par le CFS. Par conséquent, les nouveaux éléments non essentiels ajoutés par la décision attaquée seraient compatibles avec le règlement Frontex et avec le CFS.
62 Selon la Commission, la décision attaquée n’a pas d’incidence sur le fonctionnement du règlement Frontex. L’exigence énoncée à l’article 1er de cette décision, selon laquelle les deux parties de l’annexe de celle-ci doivent faire partie du plan opérationnel, serait contraignante à l’égard non pas de l’Agence, mais des États membres en tant que destinataires de ladite décision et en charge d’assurer que cette annexe soit intégrée dans ce plan. Dans ces conditions, la décision attaquée ne modifierait pas le règlement Frontex.
2. Appréciation de la Cour
63 Il convient de constater que la disposition d’habilitation en cause en l’espèce, à savoir l’article 12, paragraphe 5, du CFS, prévoit que peuvent être arrêtées des «mesures supplémentaires applicables à la surveillance […] visant à modifier des éléments non essentiels du [CFS] en le complétant». Cette disposition, lue en combinaison avec l’article 33, paragraphe 2, du CFS, renvoie, pour ce qui est de la procédure à suivre, à la seconde décision «comitologie», cette dernière étant, pour sa part, fondée sur l’article 202, troisième tiret, CE.
64 Selon une jurisprudence constante, l’adoption des règles essentielles de la matière envisagée est réservée à la compétence du législateur de l’Union (voir, en ce sens, arrêts Allemagne/Commission, précité, point 36; du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C-104/97 P, Rec. p. I-6983, point 76, et du 6 juillet 2000, Molkereigenossenschaft Wiedergeltingen, C-356/97, Rec. p. I-5461, point 21). Les règles essentielles de la matière concernée doivent être arrêtées dans la réglementation de base et ne peuvent faire l’objet d’une délégation (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1995, Parlement/Commission, C-156/93, Rec. p. I-2019, point 18; Parlement/Conseil, précité, point 23; du 11 novembre 1999, Söhl & Söhlke, C-48/98, Rec. p. I-7877, point 34, ainsi que du 6 mai 2008, Parlement/Conseil, C-133/06, Rec. p. I-3189, point 45).
65 Ainsi, ne sauraient faire l’objet d’une telle délégation les dispositions dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union.
66 Il en résulte que les mesures d’exécution ne sauraient ni modifier des éléments essentiels d’une réglementation de base ni compléter celle-ci par de nouveaux éléments essentiels.
67 La question de savoir quels sont les éléments d’une matière qui doivent être qualifiés d’essentiels ne relève pas, contrairement à ce que soutiennent le Conseil et la Commission, de la seule appréciation du législateur de l’Union, mais doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.
68 À cet égard, il est nécessaire de prendre en compte les caractéristiques et les particularités du domaine concerné.
69 En ce qui concerne la question de savoir si le Conseil était habilité à adopter la décision attaquée en tant que mesure d’exécution de l’article 12 du CFS relatif à la surveillance des frontières, sur la base du paragraphe 5 de cet article, il y a lieu d’apprécier, tout d’abord, le contenu dudit article.
70 L’article 12, paragraphes 1 et 4, du CFS dispose que la surveillance vise à empêcher le franchissement non autorisé de la frontière, à lutter contre la criminalité transfrontalière ainsi qu’à prendre des mesures à l’encontre des personnes ayant franchi illégalement la frontière et à appréhender de telles personnes. Le considérant 6 du CFS prévoit, en outre, que le contrôle aux frontières a pour but de contribuer «à la lutte contre l’immigration illégale et la traite des êtres humains, ainsi qu’à la prévention de toute menace sur la sécurité intérieure, l’ordre public, la santé publique et les relations internationales des États membres».
71 Quant aux opérations de surveillance des frontières, l’article 12 du CFS contient, à ses paragraphes 2 à 4, des dispositions relatives à certains aspects du fonctionnement des opérations de surveillance, ces dispositions se limitant à décrire de manière abstraite la mission des gardes-frontières. Notamment, le paragraphe 2, second alinéa, de cet article prévoit que la surveillance est «effectuée de manière à empêcher et à dissuader les personnes de se soustraire aux vérifications aux points de passage frontaliers». De même, le paragraphe 3 du même article 12 dispose à sa première phrase que «[l]a surveillance entre les points de passage frontaliers est assurée par des gardes-frontières dont les effectifs et les méthodes sont adaptés aux risques et aux menaces existants ou prévus».
72 S’agissant de l’habilitation de l’institution concernée à prendre des mesures d’exécution relatives à la surveillance des frontières, l’article 12, paragraphe 5, du CFS énonce, conformément à la jurisprudence citée au point 64 du présent arrêt, que peuvent être arrêtées des «mesures supplémentaires applicables à la surveillance […] visant à modifier des éléments non essentiels du [CFS] en le complétant». Par ailleurs, selon les considérants 17 du CFS et 4 du règlement no 296/2008, la délégation des compétences d’exécution ne porte que sur certaines modalités pratiques du contrôle aux frontières.
73 Or, si le CFS, qui est la réglementation de base en la matière, mentionne, à son article 12, paragraphe 4, que l’objectif de la surveillance est l’appréhension de personnes franchissant illégalement les frontières, il ne contient pas de règles quant aux mesures que les gardes-frontières sont autorisés à mettre en œuvre à l’encontre des personnes ou des navires lors de leur appréhension et postérieurement à celle-ci, telles que l’application de mesures coercitives, l’utilisation de la force des armes ou le renvoi des personnes appréhendées vers un endroit déterminé ou encore les mesures à l’égard de personnes impliquées dans la traite d’êtres humains.
74 Cela étant, l’annexe de la décision attaquée prévoit, au point 2.4 de sa partie I, les mesures que peuvent prendre les gardes-frontières à l’encontre des navires détectés et des personnes à bord. À cet égard, ce point 2.4, sous b), d), f) et g), permet, notamment, l’arrestation, l’arraisonnement, la fouille et la saisie du navire, la fouille et l’arrestation des personnes se trouvant à bord du navire ainsi que la conduite de celui-ci ou de ces personnes vers un État tiers et, ainsi, la prise de mesures coercitives à l’égard de personnes et de navires qui pourraient être soumis à la souveraineté de l’État dont ils battent pavillon.
75 En outre, ladite annexe prévoit, au point 1.1 de sa partie II, notamment, l’obligation des unités participant à des opérations aux frontières extérieures maritimes coordonnées par l’Agence de prêter assistance à tout navire ou toute personne en détresse en mer. La même partie II prévoit, à son point 2, des règles quant au débarquement des personnes interceptées ou secourues, le point 2.1, second alinéa, précisant que ce débarquement devrait avoir lieu en priorité dans le pays tiers d’où est parti le navire à bord duquel elles ont été trouvées.
76 D’une part, l’adoption des règles relatives à l’attribution de pouvoirs coercitifs aux gardes-frontières, mentionnées aux deux points précédents du présent arrêt, nécessite des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union, en ce qu’elle implique une pondération des intérêts divergents en cause sur la base d’appréciations multiples. En fonction des choix politiques sur lesquels repose l’adoption de telles règles, les pouvoirs des gardes-frontières peuvent varier dans une proportion importante, leur exercice pouvant être subordonné soit à une autorisation, soit à une obligation, soit à une interdiction telle que, par exemple, celle d’appliquer des mesures coercitives, d’utiliser la force des armes ou de renvoyer les personnes appréhendées vers un endroit déterminé. Par ailleurs, dès lors que ces pouvoirs concernent la prise de mesures envers des navires, l’exercice de ces pouvoirs est susceptible d’interférer, en fonction de l’étendue de ceux-ci, avec les droits de souveraineté d’États tiers selon le pavillon que battent les navires concernés. Ainsi, l’adoption de telles règles constitue une évolution majeure au sein du système du CFS.
77 D’autre part, il importe de souligner que des dispositions qui portent sur l’attribution de pouvoirs de puissance publique aux gardes-frontières, tels que ceux attribués dans la décision attaquée, parmi lesquels figurent l’arrestation des personnes appréhendées, la saisie de navires et le renvoi des personnes appréhendées vers un endroit déterminé, permettent des ingérences dans des droits fondamentaux des personnes concernées d’une importance telle qu’est rendue nécessaire l’intervention du législateur de l’Union.
78 Ainsi, l’adoption de dispositions telles que celles prévues dans la partie I, point 2.4, et dans la partie II, points 1.1 et 2.1, de l’annexe de la décision attaquée nécessite d’effectuer des choix politiques au sens des deux points précédents du présent arrêt, de telle sorte qu’elle excède le cadre de mesures supplémentaires au sens de l’article 12, paragraphe 5, du CFS et relève, dans le cadre du système institutionnel de l’Union, de la responsabilité du législateur de cette dernière.
79 Dans ces conditions, il convient de constater que les parties I et II de l’annexe de la décision attaquée contiennent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 61 et 66 de ses conclusions, des éléments essentiels de la surveillance aux frontières maritimes extérieures.
80 La seule circonstance que l’intitulé de la partie II de l’annexe de la décision attaquée comporte les termes «lignes directrices» et que l’article 1er, seconde phrase, de cette décision précise que les règles et lignes directrices contenues dans ladite partie sont «non contraignantes» ne saurait remettre en cause leur qualification de règles essentielles.
81 En effet, la partie II de cette annexe fait, conformément à l’article 1er, seconde phrase, de cette décision, partie du plan opérationnel élaboré pour chaque opération coordonnée par l’Agence. Or, aux termes de l’article 8 sexies du règlement Frontex, ce plan fixe «de manière précise les conditions du déploiement des équipes» dont le contrôle de la «mise en œuvre correcte» incombe, en vertu de l’article 8 octies de ce même règlement, à l’officier de coordination.
82 Les conditions prévues par ce plan devant donc être respectées, il en résulte nécessairement que les règles contenues dans la partie II, points 1.1 et 2.1, de l’annexe de la décision attaquée sont destinées à produire des effets juridiques obligatoires.
83 Enfin, même si la décision attaquée contient également des dispositions régissant des modalités pratiques d’exercice de la surveillance des frontières, force est de constater que l’ensemble des règles prévues respectivement aux parties I et II de l’annexe de cette décision sont connexes en raison du fait qu’elles se rapportent au déroulement respectivement d’une opération de surveillance et d’une opération de sauvetage.
84 Dans ces conditions, la décision attaquée doit être annulée dans son intégralité en raison du fait qu’elle contient des éléments essentiels de la surveillance des frontières extérieures maritimes des États membres qui excèdent le cadre de mesures supplémentaires au sens de l’article 12, paragraphe 5, du CFS et que seul le législateur de l’Union aurait pu adopter une telle décision.
85 Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments du Parlement selon lesquels la décision attaquée modifie des éléments essentiels du CFS ainsi que le règlement Frontex.
IV – Sur la demande de maintien des effets de la décision attaquée
86 Le Parlement demande à la Cour, dans l’hypothèse où elle annulerait la décision attaquée, de maintenir, en application de l’article 264, second alinéa, TFUE, les effets de celle-ci jusqu’à ce qu’elle soit remplacée.
87 Selon le Parlement, le maintien des effets de cette décision est nécessaire compte tenu de l’importance des objectifs des mesures proposées dans le cadre de la politique de l’Union relative aux opérations de contrôle aux frontières.
88 Aux termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.
89 L’annulation de la décision attaquée sans que ses effets soient maintenus à titre provisoire pourrait porter préjudice au bon fonctionnement des opérations en cours ou futures qui sont coordonnées par l’Agence et, partant, à la surveillance des frontières extérieures maritimes des États membres.
90 Dans ces conditions, il existe des motifs importants de sécurité juridique justifiant que la Cour exerce le pouvoir que lui confère l’article 264, second alinéa, TFUE. En l’espèce, il y a lieu de maintenir les effets de la décision attaquée jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable, d’une nouvelle réglementation destinée à remplacer la décision attaquée dont l’annulation est prononcée par le présent arrêt.
V – Sur les dépens
91 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant conclu à la condamnation du Conseil et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il convient de le condamner aux dépens. La Commission, qui est intervenue au soutien des conclusions présentées par le Conseil, supporte, conformément au paragraphe 4, premier alinéa, du même article, ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) La décision 2010/252/UE du Conseil, du 26 avril 2010, visant à compléter le code frontières Schengen en ce qui concerne la surveillance des frontières extérieures maritimes dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, est annulée.
2) Les effets de la décision 2010/252 sont maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable, d’une nouvelle réglementation.
3) Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.
4) La Commission européenne supporte ses propres dépens.
Signatures
Langue de procédure: l’anglais.