ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
19 juillet 2012
Atiqullah Adil contre Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel
«Espace de liberté, de sécurité et de justice ‐ Règlement (CE) no 562/2006 – Code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) – Articles 20 et 21 – Suppression du contrôle aux frontières intérieures – Vérifications à l’intérieur du territoire ‐ Mesures ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières ‐ Réglementation nationale autorisant des contrôles d’identité, de nationalité et du droit de séjour par les fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières et du contrôle des étrangers dans une zone de 20 kilomètres à compter de la frontière commune avec d’autres États parties à la convention d’application de l’accord de Schengen ‐ Contrôles visant à lutter contre le séjour illégal ‐ Réglementation assortie de certaines conditions et garanties en ce qui concerne, notamment, la fréquence et l’intensité des contrôles»
Dans l’affaire C-278/12 PPU,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Pays-Bas), par décision du 4 juin 2012, parvenue à la Cour le 8 juin 2012, dans la procédure
Atiqullah Adil
contre
Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Ó Caoimh (rapporteur), A. Arabadjiev et C. G. Fernlund, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la demande de la juridiction de renvoi du 4 juin 2012, parvenue à la Cour le 8 juin 2012, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 104 ter du règlement de procédure de la Cour,
vu la décision du 11 juin 2012 de la deuxième chambre de faire droit à cette demande,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juillet 2012,
considérant les observations présentées:
– pour M. Adil, par Me E. S. van Aken, advocaat,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. Bulterman, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par M. J. Vláčil, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement français, par M. S. Menez, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mme D. Maidani et M. G. Wils, en qualité d’agents,
l’avocat général entendu,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 20 et 21 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 105, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Adil, qui affirme être ressortissant d’un pays tiers et qui a été placé en rétention administrative, en raison du caractère irrégulier de sa situation sur le territoire néerlandais, après avoir été interpellé dans le cadre d’un contrôle effectué aux Pays-Bas dans la zone frontalière avec l’Allemagne, au Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel (ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Asile) au sujet de la légalité de ce contrôle et, par conséquent, de la mesure de rétention dont il fait l’objet.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le protocole (no 19) sur l’acquis de Schengen
3 Aux termes du préambule du protocole (no 19) sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité de Lisbonne (JO 2010, C 83, p. 290):
«Les hautes parties contractantes,
notant que les accords relatifs à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes signés par certains des États membres de l’Union européenne à Schengen le 14 juin 1985 et le 19 juin 1990, ainsi que les accords connexes et les règles adoptées sur la base desdits accords, ont été intégrés dans le cadre de l’Union européenne par le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997;
souhaitant préserver l’acquis de Schengen, tel que développé depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, et développer cet acquis pour contribuer à la réalisation de l’objectif visant à offrir aux citoyens de l’Union un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures;
[...]
sont convenues des dispositions ci-après, qui sont annexées au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne».
4 L’article 2 de ce protocole énonce:
«L’acquis de Schengen s’applique aux États membres visés à l’article 1er, sans préjudice de l’article 3 de l’acte d’adhésion du 16 avril 2003 et de l’article 4 de l’acte d’adhésion du 25 avril 2005. Le Conseil se substitue au comité exécutif institué par les accords de Schengen.»
La convention d’application de l’accord de Schengen
5 Fait partie de l’acquis de Schengen, notamment, la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 (ci-après la «CAAS»).
6 Aux termes de l’article 2 de la CAAS, qui concernait le franchissement des frontières intérieures:
«1. Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu’un contrôle des personnes soit effectué.
[...]
3. La suppression du contrôle des personnes aux frontières intérieures ne porte atteinte ni aux dispositions de l’article 22, ni à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes en vertu de la législation de chaque Partie Contractante sur l’ensemble de son territoire, ni aux obligations de détention, de port et de présentation de titres et documents prévues par sa législation.
[...]»
7 L’article 2 de la CAAS a été abrogé à partir du 13 octobre 2006, conformément à l’article 39, paragraphe 1, du règlement no 562/2006.
Le règlement no 562/2006
8 Les considérants 1 et 14 du règlement no 562/2006 sont libellés comme suit:
«(1) L’adoption de mesures en vertu de l’article 62, point 1, du traité [CE], visant à assurer l’absence de tout contrôle des personnes lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures est un élément constitutif de l’objectif de l’Union, énoncé à l’article 14 du traité [CE], visant à mettre en place un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes est assurée.
[...]
(14) Le présent règlement n’a pas d’incidence sur les vérifications effectuées dans le cadre de l’exercice des compétences générales de police, [...] ni sur la législation nationale relative au port des documents de voyage et d’identité ou à l’obligation pour les personnes de signaler aux autorités leur présence sur le territoire de l’État membre concerné.»
9 L’article 1er, premier alinéa, de ce règlement est rédigé comme suit:
«Le présent règlement prévoit l’absence de contrôle aux frontières des personnes franchissant les frontières intérieures entre les États membres de l’Union européenne.»
10 Aux termes de l’article 2, points 1 et 9 à 11, dudit règlement:
«Aux fins du présent règlement, on entend par:
1) ‘frontières intérieures’:
a) les frontières terrestres communes, y compris fluviales et lacustres, des États membres;
[...]
9) ‘contrôle aux frontières’, les activités effectuées aux frontières, conformément au présent règlement et aux fins de celui-ci, en réponse exclusivement à l’intention de franchir une frontière ou à son franchissement indépendamment de toute autre considération, consistant en des vérifications aux frontières et en une surveillance des frontières;
10) ‘vérifications aux frontières’, les vérifications effectuées aux points de passage frontaliers afin de s’assurer que les personnes, y compris leurs moyens de transport et les objets en leur possession peuvent être autorisés à entrer sur le territoire des États membres ou à le quitter;
11) ‘surveillance des frontières’, la surveillance des frontières entre les points de passage et la surveillance des points de passage frontaliers en dehors des heures d’ouverture fixées, en vue d’empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières».
11 L’article 3 du règlement no 562/2006 prévoit:
«Le présent règlement s’applique à toute personne franchissant la frontière intérieure ou extérieure d’un État membre, sans préjudice:
a) des droits des personnes jouissant du droit communautaire à la libre circulation;
b) des droits des réfugiés et des personnes demandant une protection internationale, notamment en ce qui concerne le non-refoulement.»
12 L’article 20 de ce règlement, intitulé «Franchissement des frontières intérieures», dispose:
«Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité.»
13 L’article 21 dudit règlement, intitulé «Vérifications à l’intérieur du territoire», prévoit:
«La suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte:
a) à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières; cela s’applique également dans les zones frontalières. Au sens de la première phrase, l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police:
i) n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières;
ii) sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière;
iii) sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures;
iv) sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste;
b) à l’exercice des contrôles de sûreté dans les ports ou aéroports, effectués sur les personnes par les autorités compétentes en vertu du droit de chaque État membre, par les responsables portuaires ou aéroportuaires ou par les transporteurs pour autant que ces contrôles soient également effectués sur les personnes voyageant à l’intérieur d’un État membre;
c) à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents;
d) à l’obligation des ressortissants de pays tiers de signaler leur présence sur le territoire d’un État membre [...]»
Le droit néerlandais
14 Aux termes de l’article 6 de la loi de 1993 relative à la police (Politiewet):
«Les missions de police suivantes sont déléguées à la maréchaussée royale [Koninklijke Marechaussee] sous réserve de ce qui est prévu par ou en vertu d’autres lois:
[...]
f. l’exécution des missions déléguées par ou en vertu de la [loi relative aux étrangers de 2000 (Vreemdelingenwet 2000, ci-après la ‘loi relative aux étrangers’)],
g. la lutte contre le commerce des êtres humains et la fraude portant sur des documents d’identité ou de voyage [...]»
15 L’article 50, paragraphe 1, de la loi relative aux étrangers dispose que les fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières et les fonctionnaires chargés du contrôle des étrangers sont compétents soit sur la base de faits et de circonstances qui, en fonction de critères objectifs, induisent une présomption raisonnable de séjour illégal, soit en vue de lutter contre le séjour illégal après un franchissement de frontière, pour interpeller les personnes aux fins d’établir leur identité, leur nationalité et leur droit de séjour.
16 Il ressort de la décision de renvoi que les contrôles mobiles en matière de sécurité («Mobiel Toezicht Veiligheid», ci-après les «contrôles MTV») sont fondés sur l’article 50, paragraphe 1, de la loi relative aux étrangers.
17 L’article 50, paragraphe 6, de ladite loi prévoit qu’un règlement administratif de portée générale fixe les règles relatives à l’application du paragraphe 1 de cet article.
18 La mesure générale d’administration relative à la mise en œuvre de la compétence pour procéder à l’interpellation des personnes dans le cadre des contrôles MTV est constituée par l’arrêté de 2000 relatif aux étrangers (Vreemdelingenbesluit 2000, ci-après l’«arrêté de 2000»).
19 Modifié à la suite de l’intervention de l’arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C-188/10 et C-189/10, Rec. p. I-5667), l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, qui est entré en vigueur le 1er juin 2011, est rédigé comme suit:
«1. La compétence, visée à l’article 50, paragraphe 1, de [la loi relative aux étrangers], pour procéder à l’interpellation des personnes aux fins d’établir leur identité, leur nationalité et leur droit de séjour, dans le cadre de la lutte contre le séjour illégal après un franchissement de frontière, est exclusivement exercée dans le cadre du contrôle des étrangers:
a. dans les aéroports, à l’arrivée de vols en provenance du territoire de Schengen;
b. dans les trains, pendant trente minutes au maximum après le franchissement de la frontière commune avec la Belgique ou l’Allemagne ou jusqu’à la deuxième gare après le franchissement de la frontière, si celle-ci n’a pas été atteinte pendant ce laps de temps;
c. sur les routes et les voies navigables, dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière commune avec la Belgique ou l’Allemagne.
2. Le contrôle, visé au paragraphe 1, est fondé sur des informations ou l’expérience en matière de séjour illégal après le franchissement de la frontière. Le contrôle peut également être effectué, dans une mesure limitée, aux fins d’obtenir des informations sur ce type de séjour illégal.
3. Le contrôle, visé au paragraphe 1, sous a), est effectué sept fois par semaine au maximum sur des vols de la même ligne, avec un maximum d’un tiers du nombre total des vols prévus par mois sur cette ligne. Dans le cadre de ce contrôle, une partie seulement des passagers d’un vol sont interpellés.
4. Le contrôle, visé au paragraphe 1, sous b), est effectué par jour, dans deux trains au maximum par trajet, au total dans huit trains au maximum et, par train, dans deux compartiments au maximum.
5. Le contrôle, visé au paragraphe 1, sous c), est effectué sur la même route ou voie navigable, 90 heures par mois et six heures par jour au maximum. Dans le cadre de ce contrôle, une partie seulement des moyens de transport qui passent sont immobilisés.»
20 La décision de renvoi constate que, dans l’exposé des motifs de cette modification de l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, les éléments suivants ont été soulignés:
«Cette modification de l’arrêté [de 2000] vise à garantir que le contrôle des étrangers dans le cadre de la lutte contre le séjour illégal après un franchissement de frontière [...] n’ait pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières au sens du [règlement no 562/2006]. Une suite est ainsi donnée à l’arrêt de la Cour de justice [Melki et Abdeli, précité,] et à la décision du Raad van State du 28 décembre 2010 et le contrôle mobile est mis en conformité avec l’article 21, sous a), du [règlement no 562/2006]».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
21 M. Adil, qui affirme être ressortissant afghan, a été interpellé le 28 mars 2012 dans le cadre d’un contrôle MTV effectué par la maréchaussée royale alors qu’il était passager d’un autobus de la société Eurolines. L’interpellation a eu lieu sur la voie de l’autoroute A67/E34 en provenance d’Allemagne, sur le territoire de la commune de Venlo (Pays-Bas).
22 Le procès-verbal d’interpellation, de transfert et de détention établi le 28 mars 2012 indique que le contrôle MTV a été réalisé, conformément à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, sur la base d’informations ou de l’expérience en matière de séjour illégal après un franchissement de frontière, qu’il a eu lieu dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre commune avec l’Allemagne, que, à cet endroit, un ou plusieurs contrôles ont été effectués dans le courant du mois de mars, s’étalant sur une durée totale de 54 heures et 38 minutes, que, audit endroit, le jour de l’interpellation, un ou plusieurs contrôles ont été effectués durant 1 heure et que, pendant ces contrôles, deux véhicules ont été effectivement immobilisés, soit une partie des véhicules qui sont passés au même endroit.
23 Par décision du 28 mars 2012, M. Adil a été placé en rétention administrative en vertu de la loi relative aux étrangers.
24 Devant le Rechtbank ’s-Gravenhage, M. Adil a contesté la régularité de son interpellation et de la décision le plaçant en rétention, au motif que le contrôle MTV effectué correspond à un contrôle aux frontières interdit par l’article 20 du règlement no 562/2006. Il a fait valoir, notamment, que, au moment du contrôle, il n’existait pas, en ce qui le concerne, de présomption raisonnable de séjour illégal.
25 Il ressort des documents annexés à la décision de renvoi ainsi que des observations soumises à la Cour par le gouvernement néerlandais que, à la suite de son interpellation, M. Adil a introduit une demande d’asile. Après consultation de la base de données gérée par le système Eurodac, institué par le règlement (CE) no 2725/2000 du Conseil, du 11 décembre 2000, concernant la création du système «Eurodac» pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace de la convention de Dublin (JO L 316, p. 1), il est également apparu qu’il avait déjà introduit une demande d’asile en Norvège. Devant le Rechtbank ’s-Gravenhage, M. Adil aurait également mis en cause la manière dont sa demande d’asile a été traitée.
26 Par jugement du 16 avril 2012, le Rechtbank ’s-Gravenhage a déclaré le recours de M. Adil non fondé.
27 Cette juridiction s’est fondée notamment sur une décision du Raad van State du 5 mars 2012 selon laquelle les contrôles MTV ne sont pas contraires au règlement no 562/2006, confirmant ainsi une précédente décision de cette juridiction, du 20 octobre 2011. Dans sa décision du 5 mars 2012, le Raad van State a notamment relevé que l’article 21 du règlement no 562/2006 prévoit une liste non exhaustive de circonstances dans lesquelles l’exercice des compétences de police ne peut être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières, au sens de l’article 20 de ce règlement.
28 Le 23 avril 2012, M. Adil a interjeté appel de la décision du Rechtbank ’s-Gravenhage devant la section du contentieux administratif du Raad van State.
29 Il ressort de la décision de renvoi qu’il existe entre différentes juridictions néerlandaises une divergence d’opinions au sujet de la compatibilité des contrôles MTV avec les articles 20 et 21 du règlement no 562/2006.
30 En effet, par décision du 7 février 2012, le Rechtbank Roermond (secteur pénal) a relevé, en se référant aux décisions susmentionnées du Raad van State relatives à la légalité des contrôles MTV, que la jurisprudence, dans son état actuel, manque de clarté, s’agissant de la question de savoir si les garanties prévues à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000 remplissent les conditions posées par l’arrêt Melki et Abdeli, précité. Cette juridiction, qui a constaté que le libellé de cette disposition ne tient aucunement compte du comportement de l’intéressé ou de circonstances spécifiques qui pourraient présenter un risque d’atteinte à l’ordre public, a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle. Il s’agit de l’affaire Jaoo (C-88/12), pendante devant la Cour.
31 De même, le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (secteur pénal) a jugé, par décision du 11 mai 2012, qu’un contrôle MTV, même s’il est effectué conformément à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, a un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières et est donc contraire au règlement no 562/2006. Selon cette juridiction, les contrôles MTV ne sont pas fondés sur des faits concrets et des circonstances qui induisent une présomption de séjour illégal. Ils seraient effectués exclusivement en réponse à l’intention de franchir une frontière ou au franchissement de celle-ci et viseraient à établir si les conditions requises pour autoriser une personne à entrer sur le territoire de l’État membre concerné ou à le quitter sont remplies.
32 C’est dans ces circonstances que le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 21 du [règlement no 562/2006] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’exercice d’une compétence nationale, telle celle accordée par l’article 50 de la [loi relative aux étrangers] et mise en œuvre à l’article 4.17a [de l’arrêté de 2000], permettant d’effectuer des contrôles sur des personnes aux frontières intérieures afin de vérifier si elles remplissent les conditions de séjour légal applicables dans l’État membre?
2) a) L’article 21 du [règlement no 562/2006] s’oppose-t-il à ce que des contrôles nationaux, tels ceux visés à l’article 50 de la [loi relative aux étrangers], soient fondés sur des informations générales et l’expérience en matière de séjour illégal de personnes sur le lieu du contrôle, au sens de l’article 4.17a, paragraphe 2, [de l’arrêté de 2000], ou l’existence d’éléments concrets indiquant qu’un individu séjourne illégalement dans l’État membre concerné est-elle requise lors de l’exécution de tels contrôles?
b) L’article 21 du [règlement no 562/2006] s’oppose-t-il à l’exécution de ce type de contrôle visant à obtenir des informations générales et des données liées à l’expérience en matière de séjour illégal au sens du point a, si ce contrôle est effectué dans une mesure limitée?
3) L’article 21 du [règlement no 562/2006] doit-il être interprété en ce sens que la limitation de la compétence pour procéder à des contrôles d’une manière décrite dans une disposition législative telle que l’article 4.17a [de l’arrêté de 2000] est suffisante pour garantir que l’exercice pratique d’un contrôle ne puisse pas avoir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières prohibées par l’article 21 du [règlement no 562/2006]?»
Sur la procédure d’urgence
33 Dans sa décision de renvoi du 4 juin 2012, le Raad van State a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence prévue aux articles 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 104 ter du règlement de procédure de cette dernière.
34 La juridiction de renvoi a motivé cette demande en exposant que, à la suite de son interpellation aux Pays-Bas, dans la zone frontalière avec l’Allemagne, M. Adil est privé de sa liberté et que la réponse aux questions posées est pertinente aux fins de statuer sur la mesure de rétention dont il fait l’objet. Elle a également relevé que plusieurs affaires portant sur des rétentions similaires sont pendantes devant différentes juridictions néerlandaises.
35 La deuxième chambre de la Cour a décidé, le 11 juin 2012, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence.
Sur les questions préjudicielles
36 À titre liminaire, il convient de constater qu’aucune information relative aux demandes d’asile présentées par M. Adil n’a été fournie par le Raad van State dans sa décision de renvoi et qu’aucune question relative aux conséquences de ces demandes sur le placement de l’intéressé en rétention administrative n’a été posée.
37 Les questions posées par cette juridiction se limitent à l’interprétation du règlement no 562/2006.
38 Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 20 et 21 du règlement no 562/2006 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet aux fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières et du contrôle des étrangers d’effectuer des contrôles, dans une zone géographique de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre entre un État membre et les États parties à la CAAS, visant à vérifier si les personnes interpellées remplissent les conditions de séjour légal applicables dans l’État membre concerné, lorsque ces contrôles sont fondés sur des informations générales et l’expérience en matière de séjour illégal de personnes sur les lieux des contrôles, lorsqu’ils peuvent également être effectués dans une mesure limitée afin d’obtenir de telles informations générales et des données liées à l’expérience en cette matière et lorsque leur exercice est soumis à certaines limitations portant, notamment, sur leur intensité et leur fréquence.
Observations soumises à la Cour
39 M. Adil soutient que la réglementation néerlandaise ne répond pas aux conditions requises à l’article 21 du règlement no 562/2006. D’abord, cette réglementation ferait partie de la législation nationale relative à l’immigration et non pas de celle relative à la prévention et à la répression des délits pénaux et serait, en pratique, appliquée exclusivement par des fonctionnaires spécialement chargés de la surveillance des frontières et du contrôle des étrangers. Ensuite, les contrôles MTV, à la différence des contrôles effectués sur le reste du territoire national, qui exigent l’établissement d’une présomption raisonnable de séjour illégal, seraient fondés exclusivement sur un franchissement de frontière et auraient le même objectif que les contrôles aux frontières. Enfin, M. Adil soutient que la limitation de l’intensité des contrôles MTV, prévue par la réglementation néerlandaise, ne saurait être de nature à éviter que, en pratique, ces contrôles aient un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
40 Le gouvernement tchèque considère que, contrairement aux contrôles qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Melki et Abdeli, précité, les contrôles MTV poursuivent un objectif de vérification aux frontières, au sens de l’article 2, point 10, du règlement no 562/2006. Selon ce gouvernement, des contrôles de personnes consécutifs au franchissement de la frontière, ayant pour objectif de protéger ladite frontière de l’immigration clandestine, entrent dans le champ de la vérification aux frontières intérieures interdite par l’article 20 du règlement no 562/2006. Dans ces circonstances, il ne serait pas nécessaire d’examiner si la réglementation néerlandaise prévoit des garanties telles que celles exigées par l’arrêt Melki et Abdeli, précité.
41 Les gouvernements néerlandais, allemand et français, ainsi que la Commission européenne estiment, en revanche, que l’article 21 du règlement no 562/2006 ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant des contrôles tels que les contrôles MTV, qui ont lieu dans une zone frontalière, ont pour objectif la lutte contre le séjour illégal et font l’objet de précisions et de limitations encadrant leur exécution.
42 Ces gouvernements soulignent que les contrôles MTV ont pour objectif principal de lutter contre le séjour illégal et non de vérifier si une personne est autorisée à entrer sur le territoire néerlandais. L’article 21 du règlement no 562/2006 ne s’opposerait pas à un tel objectif. En effet, si la lutte contre le séjour illégal ne figure pas explicitement dans la liste des objectifs poursuivis par les vérifications effectuées à l’intérieur du territoire des États membres et admises par cette disposition, l’utilisation du terme «en particulier» dans ladite disposition démontrerait clairement que cette liste n’est pas exhaustive. Les mesures de police conformes à l’article 21 du règlement no 562/2006 pourraient donc viser des objectifs autres que le maintien de la sécurité publique et la lutte contre la criminalité transfrontalière.
43 En ce qui concerne le fondement des contrôles MTV, le gouvernement néerlandais soutient, en se référant au libellé de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006, que les mesures de police peuvent être fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police. Ainsi qu’il ressortirait du point 74 de l’arrêt Melki et Abdeli, précité, des éléments concrets indiquant qu’une personne faisant l’objet d’un contrôle séjourne illégalement dans l’État membre ne seraient pas nécessaires.
44 La Commission maintient que la sélectivité des contrôles, impliquant que seule une partie des passants sont contrôlés, augmente la probabilité que ces contrôles n’aient pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières. Grâce à cette sélectivité, les contrôles seraient clairement distincts des vérifications systématiques aux frontières extérieures.
45 En ce qui concerne le fait que les contrôles MTV effectués dans la zone frontalière se distinguent des contrôles effectués sur le reste du territoire national, les gouvernements néerlandais, allemand et français ainsi que la Commission soutiennent qu’une telle distinction est admise par les termes de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006, ainsi qu’il ressortirait de l’arrêt Melki et Abdeli, précité. Cette distinction serait, en effet, raisonnable compte tenu de l’objectif des contrôles d’identité, à savoir la lutte contre le séjour illégal, et du fait que, pour être effectifs, ces contrôles doivent tenir compte de la nature spécifique des zones frontalières.
46 Le gouvernement néerlandais et la Commission estiment que l’article 21 du règlement no 562/2006 ne s’oppose pas non plus à des vérifications limitées, qui visent à rassembler des informations complémentaires au sujet des modifications d’itinéraires ou des nouveaux itinéraires que les étrangers clandestins ont l’habitude d’emprunter. La Commission souligne, toutefois, que les contrôles des deux types évoqués doivent être effectués de manière strictement conforme aux conditions posées par la loi.
47 Les gouvernements néerlandais, allemand et français ainsi que la Commission font également valoir que l’encadrement de la compétence pour effectuer les contrôles, prévu à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, qui fixe, notamment, des conditions relatives à l’intensité et à la fréquence des contrôles, est suffisant pour garantir que, en pratique, ces contrôles ne puissent pas avoir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières prohibées par l’article 21 du règlement no 562/2006. Le gouvernement néerlandais précise, à cet égard, que, pour veiller à ce que seule une partie des véhicules qui passent soient immobilisés, les immobilisations effectives de véhicules sont effectuées sur la base de profils ou d’un échantillonnage. Il s’ensuivrait que les contrôles sont planifiés et exécutés d’une manière clairement différente des vérifications systématiques effectuées sur les personnes aux frontières extérieures.
Réponse de la Cour
48 Il convient de rappeler que l’article 67, paragraphe 2, TFUE, qui relève du titre V du traité FUE relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, prévoit que l’Union assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures. L’article 77, paragraphe 1, sous a), TFUE énonce que l’Union développe une politique visant à assurer l’absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent ces frontières.
49 Ainsi qu’il ressort du considérant 1 du règlement no 562/2006, la suppression du contrôle aux frontières intérieures est un élément constitutif de l’objectif de l’Union, énoncé à l’article 26 TFUE, visant à mettre en place un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes est assurée.
50 Le législateur de l’Union a mis en œuvre cet élément constitutif de l’absence de contrôles aux frontières intérieures en adoptant, au titre de l’article 62 CE, devenu article 77 TFUE, le règlement no 562/2006 visant, selon son considérant 22, à développer l’acquis de Schengen. Ce règlement établit, à son titre III, un régime communautaire relatif au franchissement des frontières intérieures.
51 L’article 20 du règlement no 562/2006 dispose que les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité. Selon l’article 2, point 10, de ce règlement, les termes «vérifications aux frontières» désignent les vérifications effectuées aux points de passage frontaliers afin de s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire des États membres ou à le quitter.
52 L’article 72 TFUE prévoit que le titre V du traité FUE ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.
53 À cet égard, l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 dispose que la suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, et que cela s’applique également dans les zones frontalières.
54 Cette disposition du règlement no 562/2006 précise que l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières, sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière, sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures et sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste.
55 S’agissant de contrôles, tels les contrôles MTV, fondés sur l’article 50, paragraphe 1, de la loi relative aux étrangers et effectués conformément aux conditions fixées à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, il y a lieu notamment de considérer qu’ils sont effectués non pas «aux frontières» ou au moment du franchissement de la frontière, mais à l’intérieur du territoire national (voir, en ce sens, arrêt Melki et Abdeli, précité, point 68).
56 Il s’ensuit que, contrairement à ce que prétend le gouvernement tchèque, ces contrôles constituent non pas des vérifications aux frontières interdites par l’article 20 du règlement no 562/2006, mais des vérifications à l’intérieur du territoire d’un État membre, visées à l’article 21 dudit règlement.
57 Il convient ensuite d’examiner si des contrôles à l’intérieur du territoire, conçus et effectués comme les contrôles MTV, sont en tout état de cause interdits en vertu de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006. Tel serait le cas si lesdits contrôles avaient, en réalité, un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières (arrêt Melki et Abdeli, précité, point 69).
58 Il y a lieu, à cet égard, de préciser que l’article 50, paragraphe 1, de la loi relative aux étrangers prévoit des contrôles effectués spécifiquement dans les zones frontalières ainsi que des contrôles effectués sur le reste du territoire national. Il ressort des éléments d’information figurant dans le dossier soumis à la Cour et clarifiés lors de l’audience que, si ces deux types de contrôles ont pour même objectif la lutte contre le séjour illégal, les contrôles réalisés en dehors de la zone frontalière doivent être fondés sur une présomption raisonnable de séjour illégal. Dans le cadre des contrôles MTV effectués conformément à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, les personnes interpellées peuvent l’être sur la base d’informations ou de l’expérience en matière de séjour illégal après un franchissement de frontière et en l’absence d’une telle présomption.
59 S’agissant, en premier lieu, de l’objectif poursuivi par la réglementation néerlandaise prévoyant les contrôles MTV, il convient de rappeler que l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 énonce que l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque l’une ou plusieurs des conditions qu’il énonce sont remplies, parmi lesquelles figure la condition fixée audit article 21, sous a), i), selon laquelle les mesures de police n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières.
60 En l’espèce, il ressort des éléments d’information fournis à la Cour, qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, que les objectifs poursuivis par les contrôles MTV se distinguent sur certains points essentiels de ceux poursuivis par les vérifications aux frontières.
61 Selon l’article 2, points 9 à 11, du règlement no 562/2006, les vérifications aux frontières ont pour objectif, d’une part, de s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre ou à le quitter et, d’autre part, d’empêcher les personnes de se soustraire à ces vérifications (voir arrêt Melki et Abdeli, précité, point 71). Il s’agit de contrôles qui peuvent être effectués de manière systématique.
62 En revanche, les contrôles prévus par la réglementation néerlandaise visent à vérifier l’identité, la nationalité et/ou le droit de séjour de la personne interpellée afin, principalement, de lutter contre le séjour illégal. Il s’agit de contrôles sélectifs visant à repérer les personnes en situation irrégulière et à décourager l’immigration illégale, l’objectif visé par ces contrôles étant poursuivi sur tout le territoire néerlandais, même si, dans les zones frontalières, des dispositions particulières relatives à l’exécution de ces contrôles sont prévues.
63 Conformément à l’article 21, sous c), du règlement no 562/2006, la possibilité pour un État membre de prévoir une obligation de détention et de port de titres et de documents dans son droit national et donc des contrôles d’identité afin d’assurer le respect de cette obligation n’est pas affectée par la suppression du contrôle aux frontières intérieures (voir, en ce sens, arrêt Melki et Abdeli, précité, point 71).
64 Le fait que les contrôles d’identité fondés sur l’article 50, paragraphe 1, de la loi relative aux étrangers et effectués conformément à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000 visent principalement à lutter contre le séjour illégal après un franchissement de frontière et que l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 ne vise pas explicitement cet objectif n’implique pas non plus l’existence d’un objectif de contrôle aux frontières contraire à cet article 21, sous a), i).
65 D’une part, ainsi que le gouvernement néerlandais et la Commission l’ont notamment fait valoir, l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006 ne prévoit ni une liste exhaustive de conditions que doivent remplir les mesures de police pour ne pas être considérées comme ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, ni une liste exhaustive des objectifs que peuvent poursuivre ces mesures de police. Cette interprétation est corroborée par l’utilisation des termes «en particulier», à l’article 21, sous a), seconde phrase, du règlement no 562/2006, et «notamment», à cet article 21, sous a), ii).
66 D’autre part, ni l’article 79, paragraphes 1 et 2, sous c), TFUE - qui prévoit le développement, par l’Union, d’une politique commune de l’immigration visant à assurer, notamment, une prévention de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier - ni le règlement no 562/2006 n’excluent la compétence des États membres dans le domaine de la lutte contre l’immigration clandestine et le séjour irrégulier, même s’il est clair que ces derniers doivent aménager leur législation dans ce domaine de manière à assurer le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11, Rec. p. I-12695, points 30 et 33). En effet, les dispositions de l’article 21, sous a) à d), du règlement no 562/2006 ainsi que le libellé de l’article 72 TFUE confirment que la suppression des contrôles aux frontières intérieures n’a pas porté atteinte aux responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.
67 Il s’ensuit que l’objectif de lutte contre le séjour illégal poursuivi par la réglementation néerlandaise n’implique pas que les contrôles MTV en cause au principal aient un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières prohibées par l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006.
68 Le respect du droit de l’Union et, notamment, des articles 20 et 21 du règlement no 562/2006 devrait en effet être assuré par la mise en place et le respect d’un encadrement réglementaire garantissant que l’exercice pratique de la compétence consistant à effectuer des contrôles d’identité dans le cadre de la lutte contre le séjour illégal et, d’ailleurs, contre la criminalité transfrontalière liée à l’immigration clandestine ne puisse pas avoir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières (voir, en ce sens, arrêt Melki et Abdeli, précité, points 73 et 74).
69 Il convient, en deuxième lieu, de rappeler que le fait que le champ d’application territorial des compétences en matière de contrôle accordées par une réglementation nationale, telle que la réglementation néerlandaise, est limité à une zone frontalière ne suffit pas, à lui seul, pour constater l’effet équivalent de l’exercice de ces compétences, au sens de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006, compte tenu des termes et des objectifs de cet article 21, sous a) (arrêt Melki et Abdeli, précité, point 72). En effet, la première phrase de cette dernière disposition se réfère explicitement à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, également dans les zones frontalières.
70 Certes, s’agissant des contrôles effectués sur les routes et les voies navigables, la Cour a relevé que le fait que la réglementation nationale concernée prévoit des règles particulières relatives à son champ d’application territorial pourrait constituer un indice de l’existence d’un effet équivalent, au sens de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006. Toutefois, en présence d’un tel indice, la conformité de ces contrôles avec cette dernière disposition devrait être assurée par les précisions et les limitations encadrant l’exercice pratique des compétences de police dont jouissent les États membres, encadrement qui devrait être de nature à éviter un tel effet équivalent (voir, en ce sens, arrêt Melki et Abdeli, précité, point 72).
71 En troisième lieu, contrairement à ce que soutiennent M. Adil et le gouvernement tchèque, le fait que les contrôles MTV effectués dans une zone frontalière ne dépendent pas de l’établissement préalable d’une présomption raisonnable de séjour illégal, à la différence des contrôles d’identité effectués en la matière sur le reste du territoire national, ne conduit pas à ce que les premiers de ces contrôles doivent être considérés comme ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
72 En effet, aux termes de l’article 21, sous a), ii), du règlement no 562/2006, ne peuvent être considérées comme ayant un tel effet les mesures de police fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique.
73 En outre, ainsi qu’il ressort des observations du gouvernement allemand, la proposition de la Commission visant à exiger une identité des modalités et des objectifs en ce qui concerne les contrôles effectués par les États membres à l’intérieur de leur territoire n’a pas été retenue par le législateur de l’Union. L’absence, à l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006, d’une condition exigeant que les contrôles de police dans une zone frontalière soient identiques à ceux effectués sur l’ensemble du territoire national est également corroborée par le fait qu’une telle condition d’identité est, en revanche, explicitement prévue à cet article 21, sous b), s’agissant des contrôles de sûreté effectués dans les ports et les aéroports.
74 Par ailleurs, au point 74 de l’arrêt Melki et Abdeli, précité, la Cour a reconnu qu’une législation nationale pouvait conférer une compétence particulière aux autorités de police pour effectuer des contrôles d’identité limités à une zone frontalière, sans contredire l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006, à condition que certaines précisions et limitations soient prévues et respectées.
75 Il convient toutefois de souligner que, plus sont nombreux les indices de l’existence d’un possible effet équivalent, au sens de l’article 21, sous a), du règlement no 526/2006, ressortant de l’objectif poursuivi par les contrôles effectués dans une zone frontalière, du champ d’application territorial de ces contrôles et de l’existence d’une distinction entre le fondement desdits contrôles et celui des contrôles effectués sur le reste du territoire de l’État membre concerné, plus les précisions et les limitations conditionnant l’exercice par les États membres de leur compétence de police dans une zone frontalière doivent être strictes et être strictement respectées, afin de ne pas mettre en péril la réalisation de l’objectif de suppression des contrôles aux frontières intérieures énoncé aux articles 3, paragraphe 2, TUE, 26, paragraphe 2, TFUE et 67, paragraphe 1, TFUE, et prévu à l’article 20 du règlement no 562/2006.
76 L’encadrement exigé à cet égard devrait être suffisamment précis et détaillé afin que tant la nécessité des contrôles que les mesures de contrôle concrètement autorisées puissent elles-mêmes faire l’objet de contrôles.
77 En ce qui concerne cette exigence d’encadrement, il convient, premièrement, de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 60 à 67 du présent arrêt, les objectifs poursuivis par les contrôles MTV se distinguent sur certains points essentiels de ceux poursuivis par les contrôles aux frontières.
78 Deuxièmement, il y a lieu de constater que les contrôles MTV sont fondés, conformément à l’article 21, sous a), ii), du règlement no 562/2006, sur des informations générales et sur l’expérience des services de police relatives au séjour illégal après un franchissement de frontière. Les mesures de police visant à lutter contre le séjour illégal, qu’elles relèvent de la notion d’ordre public ou de celle de sécurité publique, peuvent, ainsi qu’il ressort du point 65 du présent arrêt, entrer dans les prévisions de cette disposition. L’obligation de fonder les contrôles MTV sur de telles informations et expériences devrait en outre contribuer à la sélectivité des contrôles effectués.
79 Troisièmement, les contrôles MTV sont effectués, conformément à l’article 21, sous a), iii), du règlement no 562/2006, d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures de l’Union.
80 En effet, les contrôles MTV effectués sur les routes et les voies navigables dans la zone frontalière commune avec la Belgique et l’Allemagne ne peuvent l’être, en vertu de l’article 4.17a, paragraphe 5, de l’arrêté de 2000, que pendant une tranche limitée d’heures par mois et par jour et sur une partie seulement des moyens de transport qui passent sur ces routes et ces voies navigables.
81 Il ressort, en outre, des éléments d’information fournis par le gouvernement néerlandais, qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, que les contrôles sont effectués, en pratique, soit sur la base de profils, soit sur la base d’échantillonnages. Les profils dépendent d’informations ou de données démontrant des risques élevés de séjour irrégulier et de criminalité transfrontalière sur certaines routes, à certains moments ou en fonction du type de véhicules et d’autres caractéristiques de ces derniers.
82 Les précisions et les limitations mises en place par une réglementation nationale, telle que l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, pour conditionner l’intensité, la fréquence et la sélectivité des contrôles qui peuvent être effectués sont de nature à éviter que l’exercice pratique des compétences de police accordées par le droit néerlandais aboutisse, en violation de l’article 21, sous a), du règlement no 562/2006, à des contrôles ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
83 En ce qui concerne les contrôles effectués aux fins d’obtenir des informations en matière de séjour illégal après un franchissement de frontière, l’article 4.17a, paragraphe 2, de l’arrêté de 2000 prévoit que ces contrôles dits «d’information» ne peuvent être effectués que dans une mesure limitée.
84 En réponse à une question posée lors de l’audience, le gouvernement néerlandais et la Commission ont précisé que ces contrôles d’information doivent également respecter les précisions et les limitations prévues par l’arrêté de 2000 à la suite de l’intervention de l’arrêt Melki et Abdeli, précité. La Commission a notamment précisé que ces contrôles doivent respecter les limitations de durée fixées à l’article 4.17a, paragraphe 5, de l’arrêté de 2000, à savoir 6 heures par jour et 90 heures par mois au maximum. En outre, lesdits contrôles ne pourraient pas être plus nombreux que les contrôles MTV qui font l’objet de la deuxième question préjudicielle, sous a).
85 La juridiction nationale étant seule compétente pour interpréter le droit national, il lui appartient de vérifier si tel est le cas.
86 À condition que ces deux types de contrôles MTV soient effectués dans le respect du dispositif d’encadrement prévu à l’article 4.17a de l’arrêté de 2000, il convient de relever, d’une part, qu’ils ont lieu de manière sélective, échappant ainsi au caractère systématique que revêtent les vérifications aux frontières et, d’autre part, qu’il s’agit de mesures de police appliquées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste, ainsi que l’exige l’article 21, sous a), iv), du règlement no 562/2006.
87 Dans ces circonstances, il convient de relever que, sur la base de l’information dont dispose la Cour, une réglementation nationale telle que la réglementation néerlandaise en cause au principal prévoit des précisions et des limitations en ce qui concerne l’exercice des compétences de police qu’elle accorde aux autorités compétentes de l’État membre concerné. En outre, ces précisions et ces limitations sont susceptibles de conditionner l’intensité et la fréquence des contrôles pouvant être effectuées dans la zone frontalière par ces autorités et visent à guider le pouvoir d’appréciation dont disposent ces dernières dans l’exercice pratique de leur compétence.
88 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les articles 20 et 21 du règlement no 562/2006 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet aux fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières et du contrôle des étrangers d’effectuer des contrôles, dans une zone géographique de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre entre un État membre et les États parties à la CAAS, visant à vérifier si les personnes interpellées remplissent les conditions de séjour légal applicables dans l’État membre concerné, lorsque lesdits contrôles sont fondés sur des informations générales et l’expérience en matière de séjour illégal de personnes sur les lieux des contrôles, lorsqu’ils peuvent également être effectués dans une mesure limitée afin d’obtenir de telles informations générales et des données liées à l’expérience en cette matière et lorsque leur exercice est soumis à certaines limitations portant, notamment, sur leur intensité et leur fréquence.
Sur les dépens
89 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
Les articles 20 et 21 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet aux fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières et du contrôle des étrangers d’effectuer des contrôles, dans une zone géographique de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre entre un État membre et les États parties à la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990, visant à vérifier si les personnes interpellées remplissent les conditions de séjour légal applicables dans l’État membre concerné, lorsque lesdits contrôles sont fondés sur des informations générales et l’expérience en matière de séjour illégal de personnes sur les lieux des contrôles, lorsqu’ils peuvent également être effectués dans une mesure limitée afin d’obtenir de telles informations générales et des données liées à l’expérience en cette matière et lorsque leur exercice est soumis à certaines limitations portant, notamment, sur leur intensité et leur fréquence.
Signatures
Langue de procédure: le néerlandais.