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CJUE, 18 décembre 2014, aff. C-400/13 et C-408/13, Sophia Marie Nicole Sanders c/ David Verhaegen (C-400/13) et Barbara Huber c/ Manfred Huber (C-408/13)

 

 

 

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

18 décembre 2014 (*)

 

 

 

«Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération en matière civile – Règlement n° 4/2009 – Article 3 – Compétence pour statuer sur un recours relatif à une obligation alimentaire à l’égard d’une personne domiciliée dans un autre État membre – Réglementation nationale instaurant une concentration des compétences»

Dans les affaires jointes C‑400/13 et C‑408/13,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par l’Amtsgericht Düsseldorf et l’Amtsgericht Karlsruhe (Allemagne), par décisions, respectivement, des 9 juillet et 17 juin 2013, parvenues à la Cour les 16 et 18 juillet 2013 dans les procédures

Sophia Marie Nicole Sanders, représentée par Mme Marianne Sanders,

contre

David Verhaegen (C‑400/13),

et

Barbara Huber

contre

Manfred Huber (C‑408/13),

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur), MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes B. Eggers et A.‑M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 3, sous a) et b), du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, respectivement, Melle Sanders, une enfant mineure représentée par sa mère, Mme Sanders, à M. Verhaegen, son père, ainsi que Mme Huber à son mari dont elle est séparée, M. Huber, au sujet de créances alimentaires.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 4, 9, 11, 15, 23, 44 et 45 du règlement n° 4/2009 sont libellés comme suit:

«(4)      Le Conseil européen, réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999, a invité le Conseil et la Commission à établir des règles de procédure communes spéciales en vue de simplifier et d’accélérer le règlement des litiges transfrontaliers concernant entre autres les créances alimentaires. Il a aussi appelé à la suppression des mesures intermédiaires requises pour permettre la reconnaissance et l’exécution dans l’État requis d’une décision rendue dans un autre État membre, notamment d’une décision concernant une créance alimentaire.

[…]

(9)      Un créancier d’aliments devrait être à même d’obtenir facilement, dans un État membre, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans un autre État membre sans aucune autre formalité.

[…]

(11)      Le champ d’application du présent règlement devrait s’étendre à toutes les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance, et ce afin de garantir une égalité de traitement entre tous les créanciers d’aliments. Aux fins du présent règlement, la notion d’’obligation alimentaire’ devrait être interprétée de manière autonome.

[…]

(15)      Afin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement (CE) n° 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] devraient être adaptées. La circonstance qu’un défendeur a sa résidence habituelle dans un État tiers ne devrait plus être de nature à exclure l’application des règles communautaires de compétence, et plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé. Il y a donc lieu de déterminer dans le présent règlement les cas dans lesquels une juridiction d’un État membre peut exercer une compétence subsidiaire.

[…]

(23)      Pour limiter les coûts liés aux procédures régies par le présent règlement, il serait utile d’avoir recours autant que possible aux technologies modernes de communication, notamment lors de l’audition des parties.

[…]

(44)      Le présent règlement devrait modifier le règlement [...] n° 44/2001 en remplaçant les dispositions de celui-ci applicables en matière d’obligations alimentaires. Sous réserve des dispositions transitoires du présent règlement, les États membres devraient, en matière d’obligations alimentaires, appliquer les dispositions du présent règlement sur la compétence, sur la reconnaissance, la force exécutoire et l’exécution des décisions et sur l’aide judiciaire à la place de celles du règlement [...] n° 44/2001 à compter de la date d’application du présent règlement.

(45)      Étant donné que les objectifs du présent règlement, à savoir la mise en place d’une série de mesures permettant d’assurer le recouvrement effectif des créances alimentaires dans des situations transfrontalières et dès lors de faciliter la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions et des effets du présent règlement, être mieux réalisés au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article [5 TUE]. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.»

4        L’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 4/2009 énonce:

«Le présent règlement s’applique aux obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance.»

5        L’article 3 de ce règlement prévoit:

«Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres:

a)      la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

b)      la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, […]»

6        Les articles 4 et 5 dudit règlement portent, respectivement, sur l’élection de for et la compétence fondée sur la comparution du défendeur.

7        L’article 5 du règlement n° 44/2001 dispose:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[…]

2)      en matière d’obligation alimentaire, devant le tribunal du lieu où le créancier d’aliments a son domicile ou sa résidence habituelle ou, s’il s’agit d’une demande accessoire à une action relative à l’état des personnes, devant le tribunal compétent selon la loi du for pour en connaître, sauf si cette compétence est uniquement fondée sur la nationalité d’une des parties;

[...]»

 Le droit allemand

8        L’article 28 de la loi sur le recouvrement des créances alimentaires dans les relations avec les États étrangers (Auslandsunterhaltsgesetz), du 23 mai 2011 (BGBl. 2011 I, p. 898, ci-après l’«AUG»), intitulé «Concentration des compétences; pouvoir réglementaire», dispose:

«1)      Lorsqu’une partie n’a pas sa résidence habituelle sur le territoire national, l’Amtsgericht [tribunal cantonal] compétent pour le siège de l’Oberlandesgericht [tribunal régional supérieur] dans le ressort duquel la partie défenderesse ou le créancier a sa résidence habituelle est exclusivement compétent pour connaître des demandes en matière d’obligations alimentaires dans les cas visés à l’article 3, sous a) et b), du règlement [...] n° 4/2009.

Pour le ressort du Kammergericht (Berlin), l’Amtsgericht Pankow-Weißensee est compétent.

2)      Les gouvernements des Länder sont habilités à transférer cette compétence, par voie de règlement, à un autre Amtsgericht du ressort de l’Oberlandesgericht ou, lorsqu’un Land compte plusieurs Oberlandesgerichte, à un Amtsgericht pour les ressorts de tous les Oberlandesgerichte ou de plusieurs d’entre eux. Les gouvernements des Lander peuvent, par voie de règlement, déléguer leur habilitation en la matière aux Landesjustizverwaltungen [administrations judiciaires].»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C‑400/13

9        La requérante au principal, qui a sa résidence habituelle à Mettmann (Allemagne), a réclamé une pension alimentaire à son père, M. Verhaegen, résidant en Belgique, par un recours introduit le 29 mai 2013 devant le tribunal cantonal de son lieu de résidence, à savoir l’Amtsgericht Mettmann. Après avoir entendu les parties, ce tribunal a renvoyé l’affaire devant l’Amtsgericht Düsseldorf, en application de l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG.

10      L’Amtsgericht Düsseldorf considère que, en vertu de l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009, il n’est pas compétent pour connaître du litige. En effet, selon cette juridiction, le tribunal compétent est celui du lieu, dans un État membre, où le requérant a sa résidence habituelle, en l’occurrence l’Amtsgericht Mettmann.

11      La juridiction de renvoi émet des doutes, en particulier, quant à la règle de «concentration des compétences» prévue à l’article 28 de l’AUG dans le cas de procédures en matière d’obligations alimentaires. Plus précisément, une telle concentration des compétences aurait pour effet de priver les enfants résidant sur le territoire national de la possibilité de porter la procédure devant la juridiction compétente du lieu de leur résidence habituelle.

12      Dans ces conditions, l’Amtsgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 28, paragraphe 1, de l’AUG viole-t-il l’article 3, sous a) et b), du règlement n° 4/2009?»

 L’affaire C‑408/13

13      Mme Huber habite à Kehl (Allemagne) et réclame à son mari, habitant à la Barbade, le paiement d’une pension alimentaire qu’elle estime lui être due à la suite de leur séparation. Elle a introduit sa demande devant le tribunal cantonal du lieu de son domicile, à savoir l’Amtsgericht Kehl. Ce dernier a renvoyé l’affaire devant l’Amtsgericht Karlsruhe sur le fondement de l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG, au motif que cette dernière juridiction serait compétente dès lors que la requérante a sa résidence habituelle dans le ressort de l’Oberlandesgericht Karlsruhe (tribunal régional supérieur de Karlsruhe).

14      La juridiction de renvoi émet également des doutes quant à la compatibilité de l’article 28, paragraphe 1, de l’AUG avec l’article 3, sous a) et b), du règlement n° 4/2009.

15      Selon ladite juridiction, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le règlement n° 4/2009 évince totalement les règles nationales de compétence. Or, si l’article 3, sous a) et b), de ce règlement devait effectivement régir à la fois la compétence internationale et la compétence territoriale, il serait alors interdit aux États membres d’adopter des règles de compétences s’écartant de celles édictées par ledit règlement.

16      L’Amtsgericht Karlsruhe considère que ladite disposition nationale complique de façon non négligeable le recouvrement international des créances alimentaires, contrairement à l’objectif du règlement n° 4/2009, en ce que les créanciers d’aliments devraient faire valoir leurs créances devant une juridiction autre que celle de leur domicile, ce qui entraînerait une perte de temps. En outre, une telle juridiction ne disposerait pas des éléments pertinents relatifs à la situation économique locale du créancier aux fins de déterminer les besoins de ce dernier ainsi qu’à la capacité contributive du débiteur.

17      La juridiction de renvoi fait par ailleurs mention de la volonté des parties au principal d’aboutir à la compétence de la juridiction du lieu de résidence de la requérante au principal, à savoir l’Amtsgericht Kehl, soit par voie d’élection du for, soit par voie de comparution du défendeur.

18      Dans ces conditions, l’Amtsgericht Karlsruhe a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 28, paragraphe 1, premier alinéa, de l’AUG, qui prévoit que, lorsqu’une partie n’a pas sa résidence habituelle sur le territoire national, l’Amtsgericht compétent pour le siège de l’Oberlandesgericht dans le ressort duquel la partie défenderesse ou le créancier a sa résidence habituelle est alors exclusivement compétent pour connaître des demandes en matière d’obligations alimentaires dans les cas visés à l’article 3, sous a) et b), du règlement n° 4/2009 est-il compatible avec cette dernière disposition?»

19      Par décision du président de la Cour du 25 juillet 2013, les affaires C‑400/13 et C‑408/13 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

20      Au vu des circonstances rappelées au point 17 du présent arrêt, l’Amtsgericht Karlsruhe suggère une éventuelle incompatibilité de la loi allemande avec les articles 4 et 5 du règlement n° 4/2009. Toutefois, il importe de relever que, ainsi que le fait valoir la Commission, ladite juridiction n’a interrogé la Cour que sur la portée de l’article 3 de ce règlement.

21      Il convient d’ajouter qu’il ressort clairement des demandes de décision préjudicielle que les litiges au principal ne concernent que l’hypothèse dans laquelle le débiteur est assigné par le créancier d’aliments devant la juridiction du lieu de résidence habituelle de ce dernier. Par conséquent, il convient de répondre aux questions posées par les juridictions de renvoi au regard du seul article 3, sous b), dudit règlement.

22      Par leurs questions respectives, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui institue une concentration des compétences juridictionnelles en matière d’obligations alimentaires transfrontalières en faveur d’une juridiction de première instance compétente pour le siège de la juridiction d’appel.

23      À titre liminaire, il convient de préciser que, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 33 de ses conclusions, dans la mesure où les dispositions du règlement n° 4/2009 relatives aux règles de compétence ont remplacé celles du règlement n° 44/2001, la jurisprudence de la Cour portant sur les dispositions relatives à la compétence en matière d’obligations alimentaires figurant dans la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la «convention de Bruxelles») ainsi que dans le règlement n° 44/2001, lequel s’inscrit dans le prolongement de la convention de Bruxelles, demeure pertinente pour analyser les dispositions correspondantes du règlement n° 4/2009.

24      Il convient également de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que les dispositions relatives aux règles de compétence doivent être interprétées de manière autonome en se référant, d’une part, aux objectifs et au système du règlement considéré ainsi que, d’autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des ordres juridiques nationaux (voir, par analogie, arrêts Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate Solutions assurances, C‑1/13, EU:C:2014:109, point 32 et jurisprudence citée, ainsi que flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 24 et jurisprudence citée).

25      Dans ce contexte, il y a lieu d’interpréter l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009 à la lumière de ses finalités, de son libellé ainsi que du système au sein duquel il s’inscrit.

26      À cet égard, premièrement, il ressort du considérant 45 du règlement n° 4/2009 que celui-ci vise à mettre en place une série de mesures permettant d’assurer le recouvrement effectif des créances alimentaires dans des situations transfrontalières et, dès lors, de faciliter la libre circulation des personnes au sein de l’Union. Selon le considérant 9 de ce règlement, un créancier d’aliments devrait être à même d’obtenir facilement, dans un État membre, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans un autre État membre sans aucune autre formalité.

27      Deuxièmement, le considérant 15 dudit règlement énonce que les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement n° 44/2001 doivent être adaptées afin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union.

28      En ce qui concerne les règles de compétence dans les litiges transfrontaliers portant sur les créances alimentaires, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, dans le contexte de l’article 5, point 2, de la convention de Bruxelles, que la dérogation relative aux règles de compétence en matière d’obligations alimentaires a pour objet d’offrir une protection particulière au créancier d’aliments, qui est considéré comme la partie la plus faible dans une telle procédure (voir, en ce sens, arrêts Farrell, C‑295/95, EU:C:1997:168, point 19, et Blijdenstein, C‑433/01, EU:C:2004:21, points 29 et 30). À cet égard, les règles de compétence prévues par le règlement n° 4/2009 visent, à l’instar de celle énoncée audit article 5, point 2, à garantir une proximité entre le créancier et la juridiction compétente, ainsi d’ailleurs que l’a relevé M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions.

29      Il convient également de souligner que l’objectif de bonne administration de la justice doit être entendu non seulement du point de vue d’une optimisation de l’organisation juridictionnelle, mais également, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 69 de ses conclusions, au regard de l’intérêt des parties, qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur, lesquels doivent avoir la possibilité de bénéficier, notamment, d’un accès facilité à la justice et d’une prévisibilité des règles de compétence.

30      L’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009 détermine le critère permettant d’identifier la juridiction compétente pour statuer sur des litiges transfrontaliers portant sur les obligations alimentaires, à savoir «le lieu où le créancier a sa résidence habituelle». Cette disposition, qui détermine tant la compétence internationale que la compétence territoriale, vise à unifier les règles de conflit de juridictions (voir, en ce sens, arrêt Color Drack, C‑386/05, EU:C:2007:262, point 30).

31      Dans leurs observations écrites soumises à la Cour, le gouvernement allemand et la Commission soulignent que, même si l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009 détermine la compétence internationale et territoriale des juridictions compétentes pour connaître des litiges transfrontaliers portant sur les créances alimentaires, il incombe toutefois aux seuls États membres, dans le cadre de leur organisation juridictionnelle, d’identifier la juridiction concrètement compétente pour statuer sur de tels litiges et de définir le ressort des juridictions du lieu où le créancier a sa résidence habituelle au sens de l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009.

32      À cet égard, il y a lieu de constater que, si les règles de conflit de juridictions ont été harmonisées au moyen d’une détermination des critères communs de rattachement, l’identification de la juridiction compétente demeure de la compétence des États membres (voir, en ce sens, arrêts Mulox IBC, C‑125/92, EU:C:1993:306, point 25, ainsi que GIE Groupe Concorde e.a., C‑440/97, EU:C:1999:456, point 31), sous réserve que cette législation nationale ne remette pas en cause les objectifs du règlement n° 4/2009 ou ne prive pas ce dernier de son effet utile (voir notamment, en ce sens, arrêt Zuid-Chemie, C‑189/08, EU:C:2009:475, point 30, et, par analogie, arrêt C., C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, point 79).

33      En l’occurrence, il convient d’examiner, en premier lieu, si, dans des procédures qui ont pour objet les aliments, une concentration des compétences, telle que celle en cause dans les affaires au principal, a pour conséquence que les personnes résidant sur le territoire national perdent l’avantage que leur offre le règlement n° 4/2009, à savoir la possibilité de porter la procédure devant la juridiction compétente du lieu de leur résidence habituelle.

34      À cet égard, ainsi qu’il est précisé à la page 25 du rapport sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1), élaboré par M. Jenard, «le tribunal du domicile du créancier d’aliments est le mieux à même de constater s’il se trouve dans le besoin et d’en déterminer l’étendue».

35      Il convient de préciser que la mise en œuvre des objectifs rappelés aux points 28 et 29 du présent arrêt n’implique pas que les États membres doivent instituer des juridictions compétentes en chaque lieu.

36      En revanche, il importe que, parmi les juridictions désignées pour trancher des litiges en matière d’obligations alimentaires, la juridiction compétente soit celle qui assure un lien de rattachement particulièrement étroit avec le lieu où le créancier d’aliments a sa résidence habituelle.

37      La Commission souligne à cet égard que le règlement n° 4/2009 restreint la liberté des États membres en ce qui concerne la détermination de la juridiction compétente, dans la mesure où il doit s’agir d’une compétence territoriale liée au lieu de résidence habituelle des créanciers. Dès lors, la désignation de la juridiction compétente doit se fonder sur un lien raisonnable entre cette dernière et le lieu de résidence habituelle du créancier, dans le cadre de la propre organisation juridictionnelle de l’État membre concerné.

38      En l’espèce, la juridiction compétente, en vertu de la règle énoncée à l’article 28 de l’AUG, est l’Amtsgericht compétent pour le siège de l’Oberlandesgericht territorialement compétent devant lequel le créancier devrait éventuellement se présenter dans le cadre d’une procédure d’appel.

39      Dès lors, ladite disposition nationale, en désignant, en tant que juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, au sens de l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009, une juridiction dont le ressort pourrait ne pas coïncider avec celui du for compétent pour les litiges internes ayant un même objet, ne contribue pas nécessairement à la réalisation de l’objectif de proximité.

40      Toutefois, si la proximité entre la juridiction compétente et le créancier d’aliments est au nombre des objectifs poursuivis par l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009, elle ne constitue pas, comme il est rappelé aux points 26 à 29 du présent arrêt, le seul objectif de ce règlement.

41      Ainsi, en deuxième lieu, il convient d’examiner si la réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, serait de nature à compromettre l’objectif poursuivi par le règlement n° 4/2009, qui est de faciliter le plus possible le recouvrement des créances alimentaires internationales, en ce qu’elle conduirait à alourdir la procédure en entraînant pour les parties une dépense de temps supplémentaire qui ne serait pas négligeable.

42      Le gouvernement allemand et la Commission font valoir qu’une concentration des compétences juridictionnelles en matière d’obligations alimentaires, telle que celle en cause au principal, a un effet positif sur l’administration de la justice, car elle permet d’avoir accès à des tribunaux spécialisés et, partant, dotés d’une expertise plus élevée dans ce type de contentieux qui revêt souvent, selon eux, une grande complexité factuelle et juridique.

43      À cet égard, il importe de relever, d’une part, que, si la différence de ressort géographique entre les juridictions compétentes en matière d’obligations alimentaires suppose que, lorsque le litige est de nature transfrontalière, le créancier d’aliments est susceptible, dans certains cas, de parcourir une distance plus importante, une telle supposition ne se vérifie pas nécessairement. En effet, la saisine d’une juridiction n’implique pas un déplacement systématique des parties à chacune des étapes de la procédure. Ainsi, et comme le précise le considérant 23 du règlement n° 4/2009, pour limiter les coûts liés aux procédures régies par ce règlement, il convient, en particulier, d’avoir recours, autant que possible, aux technologies modernes de communication, notamment lors de l’audition des parties au litige, ces moyens procéduraux étant à même d’éviter le déplacement de celles-ci.

44      D’autre part, une règle de compétence, telle que celle en cause au principal, est susceptible de satisfaire simultanément aux exigences rappelées aux points 26 à 29 du présent arrêt, à savoir la mise en place de mesures permettant d’assurer le recouvrement effectif des créances alimentaires dans des situations transfrontalières, de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice.

45      En effet, une concentration des compétences, telle que celle en cause au principal, contribue à développer une expertise particulière, laquelle est de nature à améliorer l’efficacité du recouvrement des créances alimentaires tout en garantissant une bonne administration de la justice et en servant les intérêts des parties au litige.

46      Cependant, il ne saurait être exclu qu’une telle concentration des compétences restreigne le recouvrement effectif des créances alimentaires dans des situations transfrontalières, ce qui suppose un examen concret, par les juridictions de renvoi, de la situation existant dans l’État membre concerné.

47      Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’article 3, sous b), du règlement n° 4/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui institue une concentration des compétences juridictionnelles en matière d’obligations alimentaires transfrontalières en faveur d’une juridiction de première instance compétente pour le siège de la juridiction d’appel, sauf si cette règle contribue à réaliser l’objectif d’une bonne administration de la justice et protège l’intérêt des créanciers d’aliments tout en favorisant le recouvrement effectif de telles créances, ce qu’il incombe toutefois aux juridictions de renvoi de vérifier.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 3, sous b), du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui institue une concentration des compétences juridictionnelles en matière d’obligations alimentaires transfrontalières en faveur d’une juridiction de première instance compétente pour le siège de la juridiction d’appel, sauf si cette règle contribue à réaliser l’objectif d’une bonne administration de la justice et protège l’intérêt des créanciers d’aliments tout en favorisant le recouvrement effectif de telles créances, ce qu’il incombe toutefois aux juridictions de renvoi de vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.

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