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CJUE, 16 juillet 2015, aff. C-507/14, P c/ M

 

 

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

16 juillet 2015 (*)

 

 

«Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Absence de doute raisonnable – Compétence judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 2201/2003 – Article 16, paragraphe 1, sous a) – Détermination de la date à laquelle une juridiction est saisie – Demande de suspension de la procédure – Absence d’incidence»

Dans l’affaire C‑507/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Supremo Tribunal de Justiça (Portugal), par décision du 24 juin 2014, parvenue à la Cour le 13 novembre 2014, dans la procédure

P

contre

M,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. C. Vajda, président de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur) et E. Juhász, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procedure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour P, par Mes C. Botelho Moniz, G. Machado Borges et L. do Nascimento Ferreira, advogados,

–        pour M, par Mes R. Sá Fernandes, I. Montalvo, S. Aguiar, et T. Champalimaud, advogados,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes et Mme M. Carvalho, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. M. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme P. Costa de Oliveira et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant P à M au sujet des modalités d’exercice de la responsabilité parentale à l’égard de leurs enfants communs.

 Le cadre juridique

3        L’article 21 de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»), était rédigé comme suit:

«Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États contractants différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.»

4        Le considérant 15 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), énonce:

«Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome.»

5        L’article 30 de ce règlement prévoit:

«Aux fins de la présente section, une juridiction est réputée saisie:

1)      à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur, ou

2)      si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.»

6        Intitulé «Saisine d’une juridiction», l’article 16, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 dispose:

«Une juridiction est réputée saisie:

a)      à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur;

ou

b)      si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.»

7        L’article 19, paragraphes 2 et 3, de ce règlement prévoit:

«2.      Lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

3.      Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci.

Dans ce cas, la partie ayant introduit l’action auprès de la juridiction saisie en second lieu peut porter cette action devant la juridiction première saisie.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        P et M étaient mariés. Ils ont deux enfants communs mineurs.

9        Il ressort de la décision de renvoi et des observations soumises à la Cour que, le 7 juillet 2011, M a présenté, devant une juridiction espagnole, une demande de mesures provisoires, préalable à une requête en divorce, relatives à la responsabilité parentale à l’égard des enfants communs, telles que prévues à l’article 104 du code civil, conformément aux dispositions de l’article 771 du code de procédure civile (Ley de enjuiciamiento civil), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, p. 575). L’affaire a été attribuée au Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid (juge de première instance n° 79 de Madrid, Espagne). Le 8 juillet 2011, le secrétaire judiciaire (secretaria judicial) a accusé réception de la demande, a contrôlé la compétence territoriale et a décidé de la tenue d’une audience le 21 septembre 2011, tout en subordonnant la signification au défendeur au dépôt de certains documents.

10      Le 18 juillet 2011, M a demandé la suspension de la procédure, en vue de tenter de parvenir à un accord amiable entre les parties. Par ordonnance du 19 juillet 2011, le Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid a fait droit à cette demande de suspension sur la base de l’article 19.4 du code de procédure civile, selon lequel le tribunal peut ordonner une telle mesure à la demande des parties, pour autant que cela ne nuise pas à l’intérêt général ou à un tiers et que la période de suspension ne dépasse pas 60 jours. Conformément à cette disposition, l’ordonnance du 19 juillet 2001 a limité la période de suspension à une durée maximale de 60 jours à compter de la notification de la décision, en précisant que la procédure en était au stade de l’appréciation de la recevabilité et de la notification du recours au défendeur, mais que M en avait demandé la suspension.

11      Pendant le mois d’août 2011, les parties ont, en vain, tenté de conclure un accord.

12      Le 31 août 2011, P a saisi le Tribunal de Família e Menores de Lisboa (tribunal de la famille et des mineurs de Lisbonne, Portugal) d’un recours visant à statuer sur les modalités d’exercice de la responsabilité parentale sur les enfants du couple, soutenant notamment que les enfants étaient retenus illégalement par M en dehors du logement familial, situé à Lisbonne (Portugal).

13      Le 1er septembre 2011, premier jour ouvrable après les vacances judiciaires en Espagne, M a demandé la reprise de la procédure devant le Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid. Par ordonnance du 5 septembre 2011, ce dernier a ordonné la reprise d’instance, fixé le lieu de résidence habituelle des enfants mineurs à Madrid (Espagne) et adopté diverses mesures provisoires préalables en matière de responsabilité parentale, notamment l’interdiction de sortie du territoire national jusqu’au terme définitif de la procédure.

14      Le 6 septembre 2011, ainsi qu’il ressort d’un document émanant du greffe du Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid, P a été contacté par téléphone et averti de la tenue d’une audience le 21 septembre suivant. La notification a été réalisée par envoi postal recommandé.

15      Le 15 septembre 2011, les avocats de P et de M ont comparu devant le Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid, en vue d’une mise en état de l’affaire.

16      Le 21 septembre 2011, P et M ont comparu personnellement devant cette juridiction, l’audience, tenue en présence du ministère public, étant consacrée à la fixation de mesures provisoires préalables à la requête en divorce.

17      Le 23 septembre 2011, le Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid a rendu une ordonnance fixant lesdites mesures, relatives notamment à la séparation provisoire des conjoints, à l’attribution du droit de garde et à l’exercice de l’autorité parentale sur les deux enfants mineurs. Ladite ordonnance contenait une motivation détaillée relative à la compétence de cette juridiction au regard de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003.

18      Le 24 octobre 2011, M a déposé une requête en divorce devant les juridictions espagnoles. Par ordonnance du 11 janvier 2012, le Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid a rejeté une exception d’incompétence soulevée par P. Le 26 octobre 2012, cette juridiction a prononcé la dissolution du mariage entre P et M, attribué le droit de garde des deux enfants mineurs à M et l’exercice conjoint de l’autorité parentale aux deux parents. Le jugement réglait également le régime de séjour et le droit de visite des parents ainsi que la pension alimentaire.

19      P et M ont fait appel de la décision du 26 octobre 2012 du Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid devant l’Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid, Espagne). Par son arrêt du 25 juin 2013, cette juridiction a notamment rejeté l’exception de litispendance soulevée par P, au motif qu’elle n’avait pas été soulevée en temps utile et que, en tout état de cause, les procédures introduites en Espagne, relatives aux mesures provisoires et au divorce, étaient antérieures à celles introduites au Portugal. L’Audiencia Provincial de Madrid a refusé de poser à la Cour la question préjudicielle proposée par P.

20      P a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de l’Audiencia Provincial de Madrid devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne). Le pourvoi est pendant devant ce dernier qui, par ordonnance du 27 novembre 2014, a suspendu le prononcé de son arrêt dans l’attente de la décision de la Cour dans le présent renvoi préjudiciel.

21      Parallèlement à la procédure pendante devant les juridictions espagnoles, P a introduit une procédure en divorce au Portugal, par requête déposée le 27 octobre 2011 devant le Tribunal de Família e Menores de Lisboa. Tant dans la procédure relative à la responsabilité parentale que dans celle relative au divorce, cette juridiction portugaise a estimé que les procédures pendantes à Madrid avaient été engagées antérieurement aux actions exercées au Portugal, et elle a sursis à statuer dans les deux affaires jusqu’à ce que la question de la compétence internationale soit définitivement fixée par les juridictions espagnoles.

22      S’agissant des modalités d’exercice de la responsabilité parentale à l’égard des enfants mineurs, le Tribunal de Família e Menores de Lisboa, par jugement du 17 mai 2013, a constaté que la demande de mesures provisoires introduite par M le 7 juillet 2011 devant le Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid était antérieure à celle engagée devant lui par P, le 31 août 2011. Le Tribunal de Família e Menores de Lisboa a indiqué que la suspension de la procédure entre le 18 juillet et le 5 septembre avait été justifiée par la tentative de conclure un accord amiable, ce qu’il estimait courant dans les procédures de cette nature, de telle sorte qu’il ne faisait aucun doute, selon cette juridiction, que cette suspension ne constituait pas une négligence de la part de M de prendre les mesures qu’il lui incombait de prendre pour que sa requête soit notifiée au défendeur, au sens de l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003. Le Tribunal de Família e Menores de Lisboa a jugé qu’il n’était pas nécessaire de poser à la Cour une question préjudicielle portant sur l’interprétation de cette disposition.

23      P a fait appel de cette décision devant le Tribunal da Relação de Lisboa (cour d’appel de Lisbonne, Portugal). Par un arrêt du 21 novembre 2013, cette juridiction a refusé de poser à la Cour la question préjudicielle proposée par P et a débouté celui-ci de son appel. À l’appui de sa décision, elle a considéré qu’«[i]l ressort indiscutablement des faits décrits que, à la lumière du règlement [n° 2201/2003], la procédure pendante devant le [Juzgado de Primera Instancia n° 79 de Madrid] a été engagée en premier lieu – étant donné qu’il n’apparaît pas qu’en demandant la suspension de la procédure, la partie alors requérante ait négligé par la suite de prendre les mesures qu’elle était tenue de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur. A fortiori, comme c’est courant dans les procédures de cette nature et ainsi que cela ressort du dossier [...], cette suspension avait pour objet de permettre la réalisation de négociations visant à parvenir à un accord amiable entre les parties».

24      P a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi.

25      C’est dans ces conditions que le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême, Portugal) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Si une procédure relative à la responsabilité parentale a été engagée dans un État membre, et s’il existe une autre procédure, ayant le même objet et la même cause, engagée antérieurement dans un État membre différent, procédure qui a entre-temps été suspendue à l’initiative de la requérante l’ayant introduite, sans que ladite procédure ait été notifiée à la partie défenderesse, et sans [que cette dernière] en ait eu connaissance ou y soit intervenue en aucune manière, celle-ci étant effectivement suspendue lors de l’introduction, par la partie défenderesse, de la procédure citée en premier lieu, peut-on considérer, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003 et aux fins de l’application de l’article 19, paragraphe 2, du même règlement, que la procédure qui a fait l’objet de cette suspension a été engagée en premier lieu?»

26      Par arrêt du 7 octobre 2014, le Supremo Tribunal de Justiça a rejeté, d’une part, la demande de P tendant à ce que cette juridiction invite la Cour à appliquer la procédure préjudicielle d’urgence et, d’autre part, la demande de modification de la question préjudicielle proposée par M.

27      P a ensuite suggéré à la Cour l’application de la procédure préjudicielle d’urgence ainsi que la préservation de l’anonymat des parties au principal, afin de veiller au bien-être des enfants mineurs. Le président de la Cour a refusé l’application de la procédure préjudicielle d’urgence, mais a décidé que l’affaire serait jugée par priorité, conformément à l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, et a accordé l’anonymat, conformément à l’article 95, paragraphe 2, du même règlement.

 Sur la question préjudicielle

28      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

29      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

30      Ainsi que l’ont rappelé certains des intéressés ayant présenté des observations, l’article 16 du règlement n° 2201/2003 est rédigé dans des termes comparables à ceux de l’article 30 du règlement n° 44/2001, qui a été adopté afin de remplacer l’article 21 de la convention de Bruxelles et de donner une définition autonome de la date à laquelle il y a lieu de considérer qu’une juridiction a été saisie.

31      L’absence de définition autonome de cette date à l’article 21 de la convention de Bruxelles avait en effet provoqué des difficultés. Ainsi qu’il ressort de l’exposé des motifs relatif à l’article 30 de la proposition de règlement (CE) du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, présentée par la Commission à Bruxelles, le 14 juillet 1999 [COM(1999) 348 final], la solution, juridiquement sûre, consistant à ne considérer une affaire comme pendante que lorsque les deux étapes procédurales que sont la notification ou la signification et l’inscription de l’affaire auprès de la juridiction compétente ont été franchies, avait cependant un effet négatif, à savoir celui d’une détermination tardive de la situation de litispendance.

32      C’est pour remédier à cette situation tout en assurant l’égalité des armes des parties demanderesses, d’une part, et une protection contre les abus de procédure, d’autre part, que cette proposition de la Commission a retenu une notion uniforme de la date de la saisine d’une juridiction qui est déterminée, selon le système procédural considéré, par la réalisation d’un seul acte, à savoir le dépôt de l’acte introductif d’instance ou la notification, mais prend néanmoins en considération la réalisation effective du second acte par la suite. Ainsi, selon l’article 30, sous a), du règlement n° 44/2001 et l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003, la date de la saisine est celle à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur.

33      L’action introduite par M relève de ce système, visé à l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003. Par conséquent, il y a lieu d’interpréter la condition qu’énonce cette disposition, selon laquelle le demandeur ne doit pas avoir négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur.

34      Ainsi que le soulignent P, les gouvernements portugais et espagnol ainsi que la Commission européenne dans leurs observations écrites, l’objectif de cette condition est d’assurer une protection contre les abus de procédure. Ainsi, il serait tenu compte, aux fins de la vérification de cette condition, non pas de lenteurs qui seraient dues au système judiciaire du for, mais uniquement d’un manque de diligence du demandeur.

35      Selon P, il conviendrait de se référer à l’exigence de saisine définitive, telle qu’elle résulte de l’arrêt Zelger (129/83, EU:C:1984:215) relatif à l’article 21 de la convention de Bruxelles. S’agissant de l’affaire au principal, P estime qu’il n’y avait pas saisine définitive de la juridiction espagnole, dès lors que, d’une part, M n’avait pas joint tous les documents nécessaires à une notification et que, d’autre part, elle avait paralysé sa propre procédure en demandant la suspension de celle-ci.

36      P conteste la possibilité de demander une suspension de la procédure en vue de négocier un accord alors que le défendeur n’a pas été averti de l’introduction de la procédure par une notification. Une telle circonstance déboucherait sur un défaut absolu de protection du défendeur, qui participerait à des négociations non transparentes et serait ensuite attrait, par la partie adverse, devant une juridiction où il pourrait tout au plus introduire une action reconventionnelle, en étant privé du droit de choisir le for compétent le plus approprié.

37      À cet égard, il y a lieu de constater que, selon l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003, la saisine de la juridiction nécessite non pas la réalisation de deux conditions, à savoir le dépôt de l’acte introductif d’instance ou d’un acte équivalent ainsi que la notification ou la signification au défendeur de cet acte, mais d’une seule, soit le dépôt de l’acte introductif d’instance ou d’un acte équivalent. Aux termes de cette disposition, ce dépôt seul constitue la saisine de la juridiction, «à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur».

38      Par ailleurs, il ne semble ressortir ni des observations de P ni du dossier soumis à la Cour que P aurait contesté la régularité de la notification de la demande de mesures provisoires préalables à la requête en divorce, intervenue après la demande de reprise de la procédure, le 1er septembre 2011, au motif que les documents nécessaires à cette notification n’auraient pas été déposés dans les délais requis, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

39      S’agissant de la suspension de la procédure, il y a lieu de constater que l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003 ne prévoit pas qu’il s’agit d’un élément pertinent, en tant que tel, pour la détermination de la date à laquelle une juridiction est réputée saisie. Toutefois, une telle suspension pourrait être prise en considération si elle attestait d’une négligence imputable au demandeur, en ce qu’il aurait omis de prendre les mesures qu’il est tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur. À cet égard, le gouvernement espagnol et la Commission soulignent que le règlement n° 2201/2003 accorde de la valeur aux solutions amiables et, s’agissant de l’affaire au principal, considèrent qu’une demande de suspension en vue de tenter d’obtenir un règlement amiable ne constitue pas une négligence de la part de M. Ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, c’est en ce sens qu’a statué le Tribunal da Relação de Lisboa par son arrêt du 21 novembre 2013 contre lequel le pourvoi a été introduit devant la juridiction de renvoi.

40      Il ressort également du dossier soumis à la Cour que la demande de suspension sollicitée par M n’a eu aucune incidence sur la date de comparution des parties devant la juridiction espagnole, fixée au moment du dépôt de la requête introductive d’instance devant cette juridiction. Par ailleurs, ainsi qu’il a été indiqué au point 22 de la présente ordonnance, le Tribunal de Família e Menores de Lisboa a indiqué que la suspension de la procédure entre le 18 juillet et le 5 septembre 2011 avait été justifiée par la tentative de conclure un accord amiable, ce qu’il estimait courant dans les procédures de cette nature, de telle sorte qu’il ne faisait aucun doute, selon cette juridiction, que cette suspension ne constituait pas une négligence de la part de M de prendre les mesures qu’il lui incombait de prendre pour que sa requête soit notifiée au défendeur, au sens de l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003.

41      S’agissant de l’argument de P tiré de l’absence de notification de l’introduction de la procédure avant la suspension de celle-ci, il y a lieu de constater qu’il est, en tant que tel, dénué de pertinence aux fins de l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003.

42      En tout état de cause, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de qualifier les faits en cause au principal, une telle qualification relevant de la seule compétence du juge national. Le rôle de la Cour se cantonne à fournir à ce dernier une interprétation du droit de l’Union utile pour la décision qu’il lui revient de prendre dans le litige dont il est saisi (voir, notamment, arrêts Parking Brixen, C‑458/03, EU:C:2005:605, point 32, et Kansaneläkelaitos, C‑269/14, EU:C:2015:329, point 25).

43      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’une juridiction est réputée saisie à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de cette juridiction, même lorsque la procédure a entre-temps été suspendue à l’initiative du demandeur l’ayant introduite, sans que ladite procédure ait été notifiée à la partie défenderesse ni que cette dernière en ait eu connaissance ou y soit intervenue d’aucune manière, pour autant que le demandeur n’a pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au demandeur.

 Sur les dépens

44      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit:

L’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction est réputée saisie à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de cette juridiction, même lorsque la procédure a entre-temps été suspendue à l’initiative du demandeur l’ayant introduite, sans que ladite procédure ait été notifiée à la partie défenderesse ni que cette dernière en ait eu connaissance ou y soit intervenue d’aucune manière, pour autant que le demandeur n’a pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au demandeur.

Signatures


* Langue de procédure: le portugais.

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