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CJUE, 20 avril 2016, aff. C-366/13, Profit Investment SIM SpA, en liquidation, contre Stefano Ossi, Commerzbank Brand Dresdner Bank AG, Andrea Mirone, Eugenio Magli, Francesco Redi, Profit Holding SpA, en liquidation, Redi & Partners Ltd, Enrico Fiore, E3 SA,

 

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

20 avril 2016 (*)

 

 

« Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) n° 44/2001 – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Notion de ‘solutions inconciliables’ – Recours n’ayant pas le même objet, dirigés contre plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres – Conditions de la prorogation de compétence – Clause attributive de juridiction – Notion de ʻmatière contractuelleʼ – Vérification de l’absence de lien contractuel valide »

Dans l’affaire C‑366/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 28 mai 2013, parvenue à la Cour le 1er juillet 2013, dans la procédure

Profit Investment SIM SpA, en liquidation,

contre

Stefano Ossi,

Commerzbank Brand Dresdner Bank AG,

Andrea Mirone,

Eugenio Magli,

Francesco Redi,

Profit Holding SpA, en liquidation,

Redi & Partners Ltd,

Enrico Fiore,

E3 SA,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de chambre, MM. F. Biltgen, A. Borg Barthet, Mme M. Berger et M. S. Rodin (rapporteur), juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 mars 2015,

considérant les observations présentées :

–        pour Profit Investment SIM SpA, en liquidation, par M. L. Gaspari, en qualité de liquidateur judiciaire, assisté de Mes P. Pototschnig et F. De Simone, avvocati,

–        pour Commerzbank Brand Dresdner Bank AG, par Mes E. Castellani et G. Curtò, avvocati, ainsi que par Me C. Gleske, avocat,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. L. D’Ascia, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Christie, en qualité d’agent, assisté de M. B. Kennelly, barrister,

–        pour la Commission européenne, par Mmes F. Moro et A.‑M. Rouchaud-Joët, ainsi que par M. E. Traversa, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1        La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Profit Investment SIM SpA, en liquidation (ci-après « Profit »), à M. Stefano Ossi, à Commerzbank Brand Dresdner Bank AG (ci-après « Commerzbank »), à MM. Andrea Mirone, Eugenio Magli, Francesco Redi, à Profit Holding SpA, en liquidation, à Redi & Partners Ltd (ci‑après « Redi »), à M. Enrico Fiore ainsi qu’à E3 SA.

 Le cadre juridique

3        En vertu de l’article 68, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, entré en vigueur le 1er mars 2002, ce règlement remplace entre tous les États membres, à l’exception du Royaume de Danemark, la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32).

4        Conformément à son considérant 2, l’objectif du règlement n° 44/2001, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur, est :

« [...] d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement [...] »

5        Les considérants 11 et 12 du règlement n° 44/2001 précisent, dans les termes suivants, le rapport existant entre les différentes règles de compétence ainsi que leurs objectifs normatifs :

« (11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. […]

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice. »

6        L’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, qui fait partie du chapitre II de celui-ci, section 1, intitulée « Dispositions générales », est libellé de la manière suivante :

« Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

7        L’article 5 du règlement n° 44/2001, qui figure au même chapitre II, section 2, intitulée «Compétences spéciales», dispose, à son point 1 :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

1)      a)      en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

b)      aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

–        pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

–        pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c)      le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;

[...] »

8        L’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, également inséré dans la section 2 du chapitre II, prévoit ce qui suit :

« Cette même personne peut aussi être attraite :

1)      s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;

[...] »

9        L’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, qui figure au chapitre II, section 7, intitulée « Prorogation de compétence », est libellé comme suit :

« 1.      Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :

a)      par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou

b)      sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou

c)      dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      Au cours du mois de mai 2004, Commerzbank, anciennement Dresdner Bank AG, banque d’affaires allemande également active dans le secteur des opérations dites de « financement structuré », a lancé sur le marché un programme d’émission de titres obligataires indexés sur un risque de crédit (ci-après les « titres obligataires »), intitulé « Credit Linked Note Programme » (ci‑après le « programme d’émission »). Dans le cadre de ce programme d’émission, Commerzbank pouvait procéder au lancement d’émissions des titres obligataires à concurrence d’un montant maximum total de 4 milliards d’euros.

11      Le règlement du programme d’émission ainsi que les conditions économiques et légales des titres obligataires étaient définis dans le prospectus d’émission (ci-après « le prospectus »). En l’espèce, ce prospectus a été préalablement approuvé par l’Irish Stock Exchange (Bourse de Dublin, Irlande), ce qui n’a, au demeurant, jamais fait l’objet d’une contestation de la part des parties intéressées. Ledit prospectus est resté à la disposition du public sur le site Internet de la Bourse de Dublin.

12      Il prévoyait au point 16 des « Terms and conditions of the Notes » (« modalités et conditions des titres ») une clause attributive de compétence selon laquelle les juridictions anglaises ont compétence exclusive pour résoudre tout litige résultant des titres ou lié à ceux-ci.

13      Au mois de septembre 2004, Commerzbank a, dans le cadre du programme d’émission, lancé l’émission des titres obligataires associés à ceux émis antérieurement par E3 (ci-après les « titres E3 ») et dénommés « Dresdner Total Return Notes linked to E3 SA » (ci-après les « titres litigieux ») à hauteur d’un montant total de 2 300 000,00 euros.

14      Redi, société habilitée à exercer l’activité d’intermédiation financière par la Financial Services Authority (autorité de surveillance des marchés, Royaume-Uni), a procédé, le 27 octobre 2004, à la souscription, sur le marché dit « primaire », de la totalité des titres litigieux émis par Commerzbank.

15      À la même date, Redi a, après avoir souscrit lesdits titres, cédé à hauteur de 1 100 000 euros une partie de ceux-ci à Profit, sur le marché dit « secondaire ».

16      Au printemps 2006, E3 n’a pas exécuté son obligation de paiement de la tranche des intérêts échus au 15 avril 2006 sur les titres E3. Commerzbank a, par conséquent, notifié cet incident de crédit et a procédé, le 5 juillet 2006, à l’extinction des titres litigieux par la délivrance à Profit du nombre correspondant de titres E3.

17      Cet incident de crédit sur les titres litigieux a entraîné la mise en liquidation administrative forcée de Profit, société de droit italien, qui a introduit devant le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), un recours à l’encontre de Commerzbank, de Profit Holding, de Redi et d’E3, ainsi que de MM. Ossi et Magli, respectivement membre du conseil d’administration et directeur général de Profit, et de M. Fiore, associé d’E3, tendant, en substance, à obtenir :

–        la nullité, pour déséquilibre du contrat, insuffisance ou défaut de cause, des conventions qui l’ont conduite à acquérir les titres litigieux émis par Commerzbank et vendus par Redi et, consécutivement, la répétition de l’indu, à savoir la restitution de la somme d’argent versée pour procéder à cet achat ;

–        la reconnaissance de la responsabilité de sa société mère, également de droit italien, Profit Holding, sur le fondement de l’article 2497 du Codice civile (code civil), dans la mesure où cette dernière aurait violé les principes de bonne gestion des sociétés et des entreprises en amenant sa filiale à conclure les transactions en question et serait donc tenue de réparer les dommages prétendument subis par Profit du fait de cette mauvaise gestion. Cette demande en réparation des dommages est introduite solidairement également à l’encontre de Redi, ainsi que de MM. Ossi, Magli et Fiore, sur la base du postulat que ces personnes auraient coopéré à divers titres avec Profit Holding pour causer le dommage injustifié à Profit.

18      M. Ossi et Commerzbank, ainsi que M. Mirone appelé à la cause par cette dernière, ont alors excipé du défaut de compétence de la juridiction italienne, notamment en raison du fait que la clause attributive de juridiction contenue dans le prospectus donnait compétence aux tribunaux anglais. Profit a donc saisi la Corte suprema di Cassazione (Cour de cassation, Italie) d’une demande de règlement préalable de la question de la compétence juridictionnelle.

19      Dans ces conditions, la Corte suprema di Cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le rapport entre des affaires différentes, envisagé à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, peut-il, ou non, être réputé existant dans un cas où l’objet des demandes formées dans les deux actions est différent, tout comme l’est le titre qui sert de fondement aux demandes en justice, sans qu’il y ait un lien de subsidiarité ou d’incompatibilité logico-juridique entre elles, mais où l’éventuelle reconnaissance du bien-fondé de l’une d’elles est potentiellement apte, en fait, à se refléter sur l’étendue du droit dont la protection est demandée dans le cadre de l’autre demande ?

2)     La condition tenant à la forme écrite de la clause de prorogation de compétence, énoncée à l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 44/2001, peut-elle, ou non, être réputée remplie en cas d’insertion d’une telle clause dans le [prospectus] rédigé unilatéralement par l’émetteur d’un prêt obligataire, avec pour conséquence de rendre applicable la prorogation de compétence aux litiges nés avec tout acquéreur ultérieur de ces obligations quant à la validité de celles-ci ; ou peut-on, sinon, considérer que l’insertion de la clause de prorogation de compétence dans le document visant à réglementer un prêt obligataire destiné à connaître une circulation transfrontalière correspond à une forme admise par les usages du commerce international, au sens de l’article 23, paragraphe 1, sous c), du même règlement ?

3)     La ‘matière contractuelle’ visée à l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement doit‑elle s’entendre comme limitée seulement aux litiges dans lesquels on entend invoquer le rapport juridique résultant du contrat, ainsi qu’à ceux qui dépendent étroitement de ce rapport, ou s’étend-elle aussi aux litiges dans lesquels la partie demanderesse, loin d’invoquer le contrat, conteste l’existence d’un lien contractuel juridiquement valide et vise à obtenir la restitution de ce qui a été versé sur le fondement d’un titre dépourvu, selon elle, de toute valeur juridique ? »

 Sur les questions préjudicielles

20      Des observations ont été présentées par Profit, Commerzbank, les gouvernements italien et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne.

21      Avant d’examiner la première question préjudicielle, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 29 de ses conclusions, si la juridiction de renvoi devait, sur le fondement de la réponse apportée à la deuxième question, conclure que la clause attributive de juridiction en cause au principal peut être valablement opposée à Profit, elle serait nécessairement amenée à déclarer le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) incompétent pour statuer sur l’action en nullité et en restitution du prix de vente, laquelle devrait être portée devant les juridictions anglaises.

 Sur la deuxième question

22      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 1, sous a) et c), du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une clause attributive de juridiction, telle que celle en cause au principal, premièrement, satisfait aux exigences de forme prévues audit article 23, paragraphe 1, sous a), lorsqu’elle est contenue dans un prospectus d’émission de titres obligataires rédigé par l’émetteur de ces titres, deuxièmement, est opposable au tiers qui a acquis ces titres auprès d’un intermédiaire financier et, troisièmement, en cas de réponse négative aux deux premières parties de la deuxième question, correspond à un usage régissant le domaine du commerce international au sens dudit article 23, paragraphe 1, sous c).

23      À titre liminaire, il convient de rappeler que, s’agissant des conditions de validité d’une clause attributive de juridiction, l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 énonce essentiellement des conditions de forme et ne mentionne qu’une condition de fond tenant à l’objet de la clause, laquelle doit porter sur un rapport de droit déterminé. Le libellé de cette disposition ne précise donc pas si une clause attributive de juridiction peut être transmise, au-delà du cercle des parties à un contrat, à un tiers, partie à un contrat ultérieur et successeur, en tout ou en partie, aux droits et aux obligations de l’une des parties au contrat initial (voir, notamment, arrêt du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 25).

24      L’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 indique toutefois clairement que son champ d’application se limite aux cas où les parties sont « convenues » d’un tribunal. Ainsi que cela ressort du considérant 11 de ce règlement, c’est cet accord de volontés entre les parties qui justifie la primauté accordée, au nom du principe de l’autonomie de la volonté, au choix d’une juridiction autre que celle qui aurait été éventuellement compétente en vertu dudit règlement (arrêt du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 26).

25      Afin de répondre à la première partie de la deuxième question, il y a lieu de déterminer si une clause attributive de juridiction contenue dans un prospectus d’émission de titres obligataires rédigé unilatéralement par l’émetteur de ces titres satisfait à l’exigence de forme écrite prévue à l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 44/2001.

26      La Cour a déjà jugé qu’il n’est satisfait à une telle exigence, dans le cas d’une clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de vente d’une des parties, imprimées au verso d’un acte contractuel, que si le contrat comporte un renvoi exprès à ces conditions générales (arrêt du 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani, 24/76, EU:C:1976:177, point 10).

27      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, il y a lieu d’interpréter l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 en ce sens que, à l’instar de l’objectif poursuivi par l’article 17, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, la réalité du consentement des intéressés est l’un des objectifs de cette disposition (voir, notamment, arrêt du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 28 et jurisprudence citée) et que, par conséquent, cette disposition impose au juge saisi l’obligation d’examiner si la clause en question avait fait effectivement l’objet d’un consentement entre les parties, devant se manifester d’une manière claire et précise (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 2000, Coreck, C‑387/98, EU:C:2000:606, point 13 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 27).

28      Dans l’affaire au principal, la clause attribuant la compétence aux juridictions anglaises est insérée dans le prospectus, document rédigé par l’émetteur du titre. Il ne ressort pas de façon définitive de la décision de renvoi si cette clause a été reprise, ou si un renvoi explicite de celle-ci a été fait, dans les documents contractuels signés lors de l’émission des titres sur le marché primaire.

29      Il convient donc de répondre à cette première partie de la deuxième question qu’il n’est satisfait à l’exigence de forme écrite posée à l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 44/2001, dans le cas de l’insertion d’une clause attributive de juridiction dans un prospectus d’émission de titres obligataires, que si le contrat signé par les parties lors de l’émission des titres sur le marché primaire mentionne l’acceptation de cette clause ou comporte un renvoi exprès à ce prospectus, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

30      Dans l’affirmative, il appartiendra encore à cette juridiction de déterminer si le contrat signé entre Redi et Profit lors de la cession des titres sur le marché secondaire mentionne également l’acceptation de ladite clause ou comporte un tel renvoi. Si tel est le cas, cette même clause devra être considérée comme opposable à Profit.

31      Ce n’est que dans le cas inverse que se pose la deuxième partie de la deuxième question, à savoir si une clause attributive de juridiction, valablement convenue dans le contrat conclu entre l’émetteur d’un titre et le souscripteur de celui-ci, peut être opposable à un tiers, qui a acquis ledit titre auprès dudit souscripteur, sans consentir expressément à ladite clause, et qui a engagé une action en responsabilité contre ledit émetteur.

32      La Cour, au point 33 de son arrêt du 7 février 2013, Refcomp (C‑543/10, EU:C:2013:62), a jugé, dans le contexte d’une action en responsabilité par le sous-acquéreur d’un bien contre le fabricant de celui-ci, que, en l’absence d’un lien contractuel entre eux, ils ne peuvent être considérés comme étant « convenus », au sens de l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, du tribunal désigné comme compétent dans le contrat initial conclu entre le fabricant et le premier acquéreur.

33      Toutefois, en se prononçant en matière de contrats de transport maritime, la Cour a jugé qu’une clause attributive de juridiction insérée dans un connaissement est opposable à un tiers à ce contrat dès lors que cette clause a été reconnue valide entre le chargeur et le transporteur et que, en vertu du droit national applicable, le tiers porteur, en acquérant le connaissement, a succédé au chargeur dans ses droits et ses obligations. C’est en vertu de ce rapport de substitution entre le chargeur et le tiers porteur que ce dernier se trouve, par l’effet de l’acquisition du connaissement, lié par ladite clause. Dans le cas où il existe, en vertu du droit national, un tel rapport, il n’est pas nécessaire pour la juridiction saisie de vérifier si ce tiers a donné son consentement à ladite clause. À cet égard, la Cour a en effet souligné le caractère très particulier du connaissement, qui est un instrument du commerce international destiné à régir une relation impliquant au moins trois personnes. Ainsi, le connaissement constitue un titre négociable permettant au propriétaire de céder lesdites marchandises, pendant leur acheminement, à un acquéreur qui devient le titulaire de tous les droits et les obligations du chargeur à l’égard du transporteur (voir, en ce sens, arrêts du 19 juin 1984, Russ, 71/83, EU:C:1984:217, point 24 ; du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 41 ; du 9 novembre 2000, Coreck, C‑387/98, EU:C:2000:606, points 23 à 27, ainsi que du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, points 34 à 36).

34      Par ailleurs, la Cour a également considéré, en matière de souscription d’actions d’une société, que, en devenant actionnaire, celui-ci donne son consentement pour se soumettre à l’ensemble des dispositions figurant dans les statuts de la société, y compris à une clause attributive de juridiction contenue dans ces statuts, et est lié par cette clause dès lors que lesdits statuts sont déposés en un lieu auquel l’actionnaire peut avoir accès, tel que le siège de la société, ou figurent dans un registre public (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 1992, Powell Duffryn, C‑214/89, EU:C:1992:115, points 19 et 28).

35      Dans l’affaire au principal, la question qui se pose est de savoir si Commerzbank, émetteur des titres litigieux, peut opposer la clause attributive de juridiction incluse dans le prospectus à Profit, dernier souscripteur de ces titres, qui les a acquis par un contrat conclu avec Redi.

36      Au vu de la jurisprudence exposée aux points 33 et 34 du présent arrêt, il y a lieu de répondre à cette question par l’affirmative, dans la mesure où il serait établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, d’abord, que cette clause est valide dans le rapport entre Commerzbank et Redi, premier souscripteur de ces titres, ensuite, que Profit a, en souscrivant sur le marché secondaire lesdits titres auprès de Redi, succédé à cette dernière dans les droits et les obligations attachés à ces mêmes titres en vertu du droit national applicable et, enfin, que Profit a eu la possibilité de prendre connaissance du prospectus contenant ladite clause, ce qui suppose que celui-ci soit aisément accessible.

37      Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième partie de la deuxième question posée que l’article 23 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une clause attributive de juridiction contenue dans un prospectus d’émission de titres obligataires rédigé par l’émetteur des titres en cause peut être opposée au tiers qui a acquis ces titres auprès d’un intermédiaire financier s’il est établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, d’une part, que cette clause est valide dans le rapport entre cet émetteur et cet intermédiaire financier, d’autre part, que ledit tiers a, en souscrivant sur le marché secondaire les titres en cause, succédé audit intermédiaire dans les droits et les obligations attachés à ces titres en vertu du droit national applicable et, enfin, que le tiers concerné a eu la possibilité de prendre connaissance du prospectus contenant ladite clause.

38      Concernant la troisième partie de la deuxième question, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en cas de réponse négative aux deux premières parties de cette question, sur l’éventuelle existence d’un usage du commerce international connu des parties.

39      Il ressort de la jurisprudence que la réalité du consentement des intéressés est toujours l’un des objectifs poursuivi par l’article 23, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 justifié par le souci d’éviter que des clauses attributives de juridiction, insérées dans un contrat par une seule partie, ne passent inaperçues (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 1997, MSG, C‑106/95, EU:C:1997:70, point 17, et du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 19).

40      La Cour a toutefois ajouté que ledit article 23, paragraphe 1, sous c), permet de présumer établie l’existence de ce consentement lorsqu’il existe à cet égard des usages commerciaux dans la branche considérée du commerce international, usages que ces mêmes parties connaissent ou sont censées connaître (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 1997, MSG, C‑106/95, EU:C:1997:70, point 19, ainsi que du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, points 20 et 21).

41      À cet égard, la Cour a indiqué qu’il incombe au juge national d’apprécier si le contrat en question entre dans le cadre du commerce international et de vérifier l’existence d’un usage dans la branche du commerce international dans laquelle les parties en cause opèrent ainsi que la connaissance effective ou présumée de cet usage par celles-ci. Il appartient toutefois à la Cour de lui indiquer les éléments objectifs et nécessaires à une telle appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 1997, MSG, C‑106/95, EU:C:1997:70, point 21, et du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 23).

42      En ce qui concerne le premier point, il est constant que, dans l’affaire au principal, le contrat relève du commerce international.

43      S’agissant du deuxième point, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’existence d’un usage ne doit pas être déterminée par référence à la loi de l’un des États contractants et doit être constatée non pas par rapport au commerce international en général, mais dans la branche commerciale dans laquelle les parties contractantes exercent leur activité (arrêts du 20 février 1997, MSG, C‑106/95, EU:C:1997:70, point 23, et du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 25).

44      La Cour a également ajouté qu’il y a usage dans la branche commerciale considérée lorsque, notamment, un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans cette branche lors de la conclusion de contrats d’un certain type (arrêts du 20 février 1997, MSG, C‑106/95, EU:C:1997:70, point 23, et du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 26).

45      La Cour en a conclu qu’il n’est pas nécessaire qu’un tel comportement soit établi dans des pays déterminés ni, en particulier, dans tous les États contractants. Le fait qu’une pratique soit généralement et régulièrement observée par les opérateurs des pays occupant une position prépondérante dans la branche du commerce international en cause peut constituer un indice facilitant la preuve de l’existence d’un usage. Le critère déterminant demeure toutefois de savoir si le comportement en cause est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans la branche du commerce international dans lequel opèrent les parties contractantes (arrêt du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 27).

46      À cet égard, la Cour a également précisé que l’article 23 du règlement n° 44/2001 ne contenant aucune indication quant aux formes de publicité, il y a lieu de considérer que la publicité éventuelle qui pourrait être donnée auprès d’associations ou d’organismes spécialisés aux formulaires préimprimés dans lesquels figure une clause attributive de juridiction, tout en étant de nature à faciliter la preuve d’une pratique généralement et régulièrement suivie, ne saurait être requise pour établir l’existence d’un usage (arrêt du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 28).

47      Par ailleurs, un comportement réunissant les éléments constitutifs d’un usage ne perd pas sa qualité d’usage en raison du fait qu’il fait l’objet de contestations devant les tribunaux, quelle que soit l’ampleur de ces contestations, tant qu’il continue néanmoins à être généralement et régulièrement suivi dans le secteur d’activité concerné pour le type de contrat en cause (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 29).

48      S’agissant enfin de la connaissance effective ou présumée de l’usage par les parties, il résulte de la jurisprudence que celle-ci peut être établie, notamment, par la démonstration soit que les parties avaient auparavant noué des rapports commerciaux entre elles ou avec d’autres parties opérant dans le secteur considéré, soit que, dans ce secteur, un certain comportement est suffisamment connu, en raison du fait qu’il est généralement et régulièrement suivi lors de la conclusion d’un certain type de contrats, pour pouvoir être considéré comme une pratique consolidée (arrêts du 20 février 1997, MSG, C‑106/95, EU:C:1997:70, point 24, et du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, point 43).

49      Parmi les éléments à prendre en compte pour déterminer, dans l’affaire au principal, si l’insertion dans le prospectus d’une clause attributive de juridiction constitue un usage dans le secteur dans lequel opèrent les parties, dont celles-ci avaient connaissance ou qu’elles étaient censées connaître, la juridiction de renvoi devra tenir compte notamment de la circonstance que ledit prospectus a préalablement été approuvé par la Bourse de Dublin et mis à la disposition du public sur le site Internet de cette dernière, ce qui ne paraît pas avoir fait l’objet d’une contestation de la part de Profit dans l’instance sur le fond. En outre, le juge de renvoi devra tenir compte du fait qu’il est constant que Profit est une entreprise active dans le domaine des investissements financiers ainsi que des éventuels rapports commerciaux qu’elle aurait noués par le passé avec les autres parties en cause au principal. Le juge national devra également vérifier si l’émission de titres obligataires sur le marché est, dans ce secteur d’activité, généralement et régulièrement accompagnée d’un prospectus comportant une clause attributive de juridiction et si une telle pratique est suffisamment connue pour pouvoir être qualifiée de « consolidée ».

50      Par conséquent, il convient de répondre à cette troisième partie de la deuxième question que l’insertion d’une clause attributive de juridiction dans un prospectus d’émission de titres obligataires peut être regardée comme une forme admise par un usage du commerce international, au sens de l’article 23, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, permettant de présumer le consentement de celui auquel on l’oppose, pour autant qu’il est notamment établi, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, d’une part, qu’un tel comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans la branche considérée lors de la conclusion de contrats de ce type et, d’autre part, soit que les parties entretenaient auparavant des rapports commerciaux suivis entre elles ou avec d’autres parties opérant dans le secteur considéré, soit que le comportement en cause est suffisamment connu pour pouvoir être considéré comme une pratique consolidée.

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question posée que l’article 23 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que :

–        il n’est satisfait à l’exigence de forme écrite posée par l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 44/2001, dans le cas de l’insertion d’une clause attributive de juridiction dans un prospectus d’émission de titres obligataires, que si le contrat signé par les parties lors de l’émission des titres sur le marché primaire mentionne l’acceptation de cette clause ou comporte un renvoi exprès à ce prospectus ;

–        une clause attributive de juridiction contenue dans un prospectus d’émission de titres obligataires rédigée par l’émetteur desdits titres peut être opposée au tiers qui a acquis ces titres auprès d’un intermédiaire financier, s’il est établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, d’abord, que cette clause est valide dans le rapport entre l’émetteur et cet intermédiaire financier, ensuite, que ledit tiers a, en souscrivant sur le marché secondaire les titres en cause, succédé audit intermédiaire dans les droits et les obligations attachés à ces titres en vertu du droit national applicable et, enfin, que le tiers concerné a eu la possibilité de prendre connaissance du prospectus contenant ladite clause, et

–        l’insertion d’une clause attributive de juridiction dans un prospectus d’émission de titres obligataires peut être regardée comme une forme admise par un usage du commerce international, au sens de l’article 23, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, permettant de présumer le consentement de celui auquel on l’oppose, pour autant qu’il est notamment établi, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, d’une part, qu’un tel comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans la branche considérée lors de la conclusion de contrats de ce type et, d’autre part, soit que les parties entretenaient auparavant des rapports commerciaux suivis entre elles ou avec d’autres parties opérant dans le secteur considéré, soit que le comportement en cause est suffisamment connu pour pouvoir être considéré comme une pratique consolidée.

 Sur la troisième question

52      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que l’action tendant à obtenir l’annulation d’un contrat et la restitution des sommes versées sur le fondement d’un acte dont la nullité est établie doit être regardée comme relevant de la « matière contractuelle », au sens de cette disposition.

53      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler d’emblée que la notion de « matière contractuelle », au sens de cette disposition, ne saurait être comprise comme renvoyant à la qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction nationale. Cette notion doit, au contraire, être interprétée de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs du règlement n° 44/2001, en vue d’assurer l’application uniforme de celle-ci dans tous les États membres (arrêts du 17 juin 1992, Handte, C‑26/91, EU:C:1992:268, point 10 ; du 14 mars 2013, Česká spořitelna, C‑419/11, EU:C:2013:165, point 45, et du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 37).

54      Il résulte de la jurisprudence issue de l’arrêt du 4 mars 1982, Effer (38/81, EU:C:1982:79), que la compétence du juge national pour décider des questions relatives à un contrat inclut celle pour apprécier l’existence des éléments constitutifs du contrat lui-même, une telle appréciation étant indispensable pour permettre à la juridiction nationale saisie de vérifier sa compétence en vertu du règlement n° 44/2001. Si tel ne devait pas être le cas, les dispositions de l’article 5 du règlement n° 44/2001 risqueraient d’être privées de leur portée juridique, puisqu’on admettrait qu’il suffit à l’une des parties d’alléguer que le contrat n’existe pas pour déjouer la règle contenue dans ces dispositions. Au contraire, le respect des finalités et de l’esprit du règlement n° 44/2001 exige une interprétation des dispositions susmentionnées telle que le juge appelé à trancher un litige issu d’un contrat puisse vérifier, même d’office, les conditions essentielles de sa compétence, au vu d’éléments concluants et pertinents fournis par la partie intéressée, établissant l’existence ou l’inexistence du contrat.

55      Par ailleurs, concernant le lien entre l’action en nullité et la restitution de l’indu, il suffit de constater, ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 80 de ses conclusions, que, s’il n’avait pas existé de lien contractuel librement assumé entre les parties, l’obligation n’aurait pas été exécutée et il n’y aurait pas de droit à restitution. Ce lien de causalité entre le droit à restitution et le lien contractuel suffit à faire entrer l’action en restitution dans la sphère contractuelle.

56      Dans l’affaire au principal, s’il ne fait pas de doute que Profit et Redi sont liées par un contrat, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, comme exposé au point 36 du présent arrêt, si Profit a succédé à Redi dans les droits et les obligations attachés aux titres litigieux en vertu du droit national, de sorte qu’il existerait entre Profit et Commerzbank un rapport de nature contractuelle.

57      Il résulte des points 54 et 55 du présent arrêt que, dans une affaire telle que celle au principal, Profit bénéficie dans ses rapports avec Redi et, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi comme exposé au point précédent du présent arrêt, dans ses rapports avec Commerzbank, du for du lieu d’exécution du contrat selon l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, même si la formation du contrat qui est à l’origine du recours est litigieuse entre les parties.

58      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question posée que l’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que les actions tendant à obtenir l’annulation d’un contrat et la restitution des sommes indûment versées sur le fondement dudit contrat relèvent de la « matière contractuelle », au sens de cette disposition.

 Sur la première question

59      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse de deux recours introduits à l’encontre de plusieurs défendeurs, ayant un objet et un fondement différents et n’étant pas liés entre eux par un lien de subsidiarité ou d’incompatibilité, il suffit que l’éventuelle reconnaissance du bien-fondé de l’un d’eux soit potentiellement apte à se refléter sur l’étendue du droit dont la protection est demandée dans le cas de l’autre pour qu’il y ait un risque de décisions inconciliables au sens de cette disposition.

60      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 6, point 1, du règlement n44/2001 prévoit, afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, qu’un défendeur peut être attrait, s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux à la condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il existe un intérêt à les instruire et à les juger en même temps.

61      Concernant son objectif, la règle de compétence, visée à l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 répond, conformément aux considérants 12 et 15 de ce règlement, au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter ainsi des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (voir, notamment, arrêts du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 77, et du 12 juillet 2012, Solvay, C‑616/10, EU:C:2012:445, point 19).

62      Par ailleurs, ladite règle de compétence spéciale doit être interprétée au regard, d’une part, du considérant 11 du règlement n° 44/2001, selon lequel les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement (voir, notamment, arrêts du 11 octobre 2007, Freeport, C‑98/06, EU:C:2007:595, point 36, et du 12 juillet 2012, Solvay, C‑616/10, EU:C:2012:445, point 20).

63      Cette règle de compétence spéciale, en ce qu’elle déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur énoncée à l’article 2 du règlement n° 44/2001, doit, d’autre part, faire l’objet d’une interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (voir, notamment, arrêts du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 74 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 juillet 2012, Solvay, C‑616/10, EU:C:2012:445, point 21).

64      Par ailleurs, la Cour a considéré que c’est à la juridiction nationale qu’il appartient d’apprécier l’existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle, c’est-à-dire du risque de décisions inconciliables si lesdites demandes étaient jugées séparément, et, à cet égard, de prendre en compte tous les éléments nécessaires du dossier (voir, notamment, arrêts du 11 octobre 2007, Freeport, C‑98/06, EU:C:2007:595, point 41 ; du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 83, et du 12 juillet 2012, Solvay, C‑616/10, EU:C:2012:445, point 23).

65      La Cour a toutefois précisé, à cet égard, que, pour que des décisions soient considérées comme risquant d’être inconciliables, au sens de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit (voir, notamment, arrêts du 13 juillet 2006, Roche Nederland e.a., C‑539/03, EU:C:2006:458, point 26 ; du 11 octobre 2007, Freeport, C‑98/06, EU:C:2007:595, point 40 ; du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 79, ainsi que du 12 juillet 2012, Solvay, C‑616/10, EU:C:2012:445, point 24).

66      Afin d’apprécier, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle et donc du risque de décisions inconciliables si ces demandes étaient jugées séparément, il incombe à la juridiction nationale de prendre en compte, notamment, comme l’a souligné M. l’avocat général aux points 95 à 100 de ses conclusions, la différence de fait et de droit entre, d’un côté, la procédure pour responsabilité découlant d’une mauvaise gestion et, de l’autre, la procédure en nullité de l’un des contrats et en restitution de l’indu dont les résultats sont indépendants. À cet égard, la seule circonstance que le résultat de l’une des procédures puisse avoir une influence sur celui de l’autre, notamment l’incidence potentielle du montant à restituer dans le cadre d’une demande en nullité et de restitution de l’indu sur l’évaluation de l’éventuel préjudice dans le cadre d’une demande en responsabilité, ne suffit pas pour qualifier d’« inconciliables » les décisions à rendre dans le cadre de ces deux procédures au sens de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001.

67      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse de deux recours introduits à l’encontre de plusieurs défendeurs, ayant un objet et un fondement différents et n’étant pas liés entre eux par un lien de subsidiarité ou d’incompatibilité, il ne suffit pas que l’éventuelle reconnaissance du bien-fondé de l’un d’eux soit potentiellement apte à se refléter sur l’étendue du droit dont la protection est demandée dans le cas de l’autre pour qu’il y ait un risque de décisions inconciliables au sens de cette disposition.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que :

–        il n’est satisfait à l’exigence de forme écrite posée par l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 44/2001, dans le cas de l’insertion d’une clause attributive de juridiction dans un prospectus d’émission de titres obligataires, que si le contrat signé par les parties lors de l’émission des titres sur le marché primaire mentionne l’acceptation de cette clause ou comporte un renvoi exprès à ce prospectus ;

–        une clause attributive de juridiction contenue dans un prospectus d’émission de titres obligataires rédigée par l’émetteur desdits titres peut être opposée au tiers qui a acquis ces titres auprès d’un intermédiaire financier, s’il est établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, d’abord, que cette clause est valide dans le rapport entre l’émetteur et cet intermédiaire financier, ensuite, que ledit tiers a, en souscrivant sur le marché secondaire les titres en cause, succédé audit intermédiaire dans les droits et les obligations attachés à ces titres en vertu du droit national applicable et, enfin, que le tiers concerné a eu la possibilité de prendre connaissance du prospectus contenant ladite clause, et

–        l’insertion d’une clause attributive de juridiction dans un prospectus d’émission de titres obligataires peut être regardée comme une forme admise par un usage du commerce international, au sens de l’article 23, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001, permettant de présumer le consentement de celui auquel on l’oppose, pour autant qu’il est notamment établi, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, d’une part, qu’un tel comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans la branche considérée lors de la conclusion de contrats de ce type et, d’autre part, soit que les parties entretenaient auparavant des rapports commerciaux suivis entre elles ou avec d’autres parties opérant dans le secteur considéré, soit que le comportement en cause est suffisamment connu pour pouvoir être considéré comme une pratique consolidée.

2)      L’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que les actions tendant à obtenir l’annulation d’un contrat et la restitution des sommes indûment versées sur le fondement dudit contrat, relèvent de la « matière contractuelle », au sens de cette disposition.

3)      L’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse de deux recours introduits à l’encontre de plusieurs défendeurs, ayant un objet et un fondement différents et n’étant pas liés entre eux par un lien de subsidiarité ou d’incompatibilité, il ne suffit pas que l’éventuelle reconnaissance du bien-fondé de l’un d’eux soit potentiellement apte à se refléter sur l’étendue du droit dont la protection est demandée dans le cas de l’autre pour qu’il y ait un risque de décisions inconciliables au sens de cette disposition.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.

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