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CJUE, 14 juillet 2016, aff. C-230/15, Brite Strike Technologies Inc. contre Brite Strike Technologies SA

 

 

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 juillet 2016 (*)

 

 

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 22, point 4 – Compétence judiciaire pour les litiges en matière de propriété intellectuelle – Article 71 – Conventions conclues par les États membres dans des matières particulières – Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle – Compétence judiciaire pour les litiges relatifs aux marques, dessins et modèles Benelux – Article 350 TFUE »

Dans l’affaire C‑230/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas), par décision du 13 mai 2015, parvenue à la Cour le 20 mai 2015, dans la procédure

Brite Strike Technologies Inc.

contre

Brite Strike Technologies SA,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, Mme C. Toader, M. A. Rosas, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour la Commission européenne, par MM. M. Wilderspin et R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 mai 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 22, point 4, et de l’article 71 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Brite Strike Technologies Inc., société établie à Plymouth, Massachusetts (États-Unis d’Amérique), à Brite Strike Technologies SA, société établie à Luxembourg (Luxembourg), au sujet d’une demande de Brite Strike Technologies Inc. tendant à faire annuler une marque détenue par Brite Strike Technologies SA.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes des considérants 11 et 12 du règlement n° 44/2001 :

« (11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. [...]

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice. »

4        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, celui-ci « s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives ».

5        L’article 22, point 4, premier alinéa, du règlement n° 44/2001, qui figurait à la section 6, du chapitre II de celui-ci, intitulée « Compétences exclusives », énonçait :

« Sont seuls compétents, sans considération de domicile :

[...]

4)      en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument communautaire ou d’une convention internationale.

      [...] »

6        L’article 67 de ce règlement, figurant au chapitre VII de celui-ci, intitulé « Relations avec les autres instruments », disposait :

« Le présent règlement ne préjuge pas de l’application des dispositions qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions et qui sont contenues dans les actes communautaires [...] »

7        L’article 69 dudit règlement contenait une liste de conventions conclues entre certains États membres avant l’entrée en vigueur du règlement n° 44/2001 et disposait que ces conventions sont remplacées par ce règlement, dans la mesure où elles portent sur des matières auxquelles ledit règlement s’applique.

8        L’article 71 du règlement n° 44/2001, figurant également au chapitre VII de celui-ci, disposait :

« 1.      Le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.

2.      En vue d’assurer son interprétation uniforme, le paragraphe 1 est appliqué de la manière suivante :

a)      le présent règlement ne fait pas obstacle à ce qu’un tribunal d’un État membre, partie à une convention relative à une matière particulière, puisse fonder sa compétence sur une telle convention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre non partie à une telle convention. [...]

[...] »

9        En vertu de son article 76, le règlement n° 44/2001 est entré en vigueur le 1er mars 2002.

10      Le règlement n° 44/2001 a été abrogé par le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), qui est applicable à partir du 10 janvier 2015.

11      Les règles énoncées à l’article 22, point 4, à l’article 67 et à l’article 71 du règlement n° 44/2001 ont été reprises à l’article 24, point 4, à l’article 67 et à l’article 71 du règlement n° 1215/2012.

12      L’article 69 du règlement n° 1215/2012 dispose :

« Sous réserve des dispositions des articles 70 et 71, le présent règlement remplace entre les États membres les conventions qui couvrent les mêmes matières que celles auxquelles il s’applique. En particulier, les conventions figurant sur la liste établie par la Commission en vertu de l’article 76, paragraphe 1, point c), et de l’article 76, paragraphe 2, sont remplacées. »

13      Le litige au principal ayant été introduit devant la juridiction de renvoi le 21 septembre 2012, la question de compétence judiciaire soulevée par la demande de décision préjudicielle sera examinée au regard du règlement n° 44/2001.

 La CBPI

14      La convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), du 25 février 2005, signée à La Haye par le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas (ci-après la « CBPI ») est entrée en vigueur le 1er septembre 2006.

15      La CBPI remplace la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après la « LBM ») et la loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles (ci-après la « LBDM »).

16      La LBM était entrée en vigueur le 1er janvier 1971 et était annexée à la convention Benelux en matière de marques de produits du 19 mars 1962, qui était, elle, en vigueur depuis le 1er juillet 1969. Cette convention a été abrogée par la CBPI.

17      L’article 37, paragraphe A, de la LBM énonçait :

« Sauf attribution contractuelle expresse de compétence judiciaire territoriale, celle-ci se détermine, en matière de marques, par le domicile du défendeur ou par le lieu où l’obligation litigieuse est née, a été ou doit être exécutée. Le lieu de dépôt ou de l’enregistrement d’une marque ne peut en aucun cas servir à lui seul de base pour déterminer la compétence.

Lorsque les critères énoncés ci-dessus sont insuffisants pour déterminer la compétence territoriale, le demandeur peut porter la cause devant le tribunal de son domicile ou de sa résidence, ou, s’il n’a pas de domicile ou de résidence sur le territoire Benelux, devant le tribunal de son choix, soit à Bruxelles, soit à La Haye, soit à Luxembourg. »

18      La LBDM était entrée en vigueur le 1er janvier 1975 et était annexée à la convention Benelux en matière de dessins ou modèles, du 25 octobre 1966, qui était en vigueur depuis le 1er janvier 1974. Cette convention a également été abrogée par la CBPI.

19      L’article 29, paragraphe 1, de la LBDM était libellé dans des termes qui correspondent à ceux de l’article 37, paragraphe A, de la LBM.

20      La convention Benelux en matière de marques de produits et la convention Benelux en matière de dessins ou modèles ne figuraient pas dans la liste contenue à l’article 69 du règlement n° 44/2001.

21      Aux termes de son préambule, la CBPI a notamment pour finalité de « remplacer les conventions, les lois uniformes et les protocoles modificatifs en matière de marques et de dessins ou modèles Benelux par une seule convention régissant à la fois le droit des marques et le droit des dessins ou modèles de manière systématique et transparente », et de « remplacer le Bureau Benelux des Marques et le Bureau Benelux des Dessins ou Modèles par l’Organisation Benelux de la Propriété intellectuelles (marques, dessins ou modèles) assumant sa mission au travers d’organes de décision et d’exécution dotés de compétences propres et complémentaires ».

22      L’article 1.2 de la CBPI dispose :

« 1.      Il est institué une Organisation Benelux de la Propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles) [...] ;

2.      Les organes de l’Organisation sont :

a.      le Comité de ministres [...] ;

b.      le Conseil d’Administration [...] ;

c.      l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles) [...]. »

23      L’article 1.5 de la CBPI précise :

« 1.  L’Organisation a son siège à La Haye.

2.       L’Office est établi à La Haye.

3.       Des dépendances de l’Office peuvent être établies ailleurs. »

24      L’article 2.2 de la CBPI dispose :

« [...] [L]e droit exclusif à la marque s’acquiert par l’enregistrement de la marque, dont le dépôt a été effectué en territoire Benelux (dépôt Benelux) ou résultant d’un enregistrement auprès du Bureau international (dépôt international). »

25      Aux termes de l’article 2.4, initio et sous f), de la CBPI :

« N’est pas attributif du droit à la marque :

[...]

f.      l’enregistrement d’une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi, notamment :

1. le dépôt, effectué en connaissance ou dans l’ignorance inexcusable de l’usage normal fait de bonne foi dans les trois dernières années sur le territoire Benelux, d’une marque ressemblante pour des produits ou services similaires, par un tiers qui n’est pas consentant ;

2. le dépôt, effectué en connaissance, résultant de relations directes, de l’usage normal fait de bonne foi par un tiers dans les trois dernières années en dehors du territoire Benelux, d’une marque ressemblante pour des produits ou services similaires, à moins qu’il n’y ait consentement de ce tiers ou que ladite connaissance n’ait été acquise que postérieurement au début de l’usage que le titulaire du dépôt aurait fait de la marque sur le territoire Benelux. »

26      L’article 2.5 de la CBPI énonce :

« 1.      Le dépôt Benelux des marques se fait soit auprès des administrations nationales, soit auprès de l’Office, dans les formes fixées par le règlement d’exécution [...].

[...]

4.      Lorsque le dépôt se fait auprès d’une administration nationale, celle-ci transmet le dépôt Benelux à l’Office, soit sans délai après avoir reçu le dépôt, soit après avoir constaté que le dépôt satisfait aux conditions prescrites.

[...] »

27      Aux termes de l’article 2.8 de la CBPI :

« 1.      Sans préjudice de l’application des articles [relatifs aux motifs de refus que peut appliquer l’Office et à l’opposition pouvant être introduite auprès de l’Office], la marque déposée est enregistrée, s’il est satisfait aux dispositions du règlement d’exécution, pour les produits ou services mentionnés par le déposant. [...]

2.      Le déposant peut, s’il est satisfait à toutes les conditions visées à l’article 2.5, demander à l’Office conformément aux dispositions du règlement d’exécution, de procéder sans délai à l’enregistrement du dépôt. Les articles [relatifs aux motifs de refus que peut appliquer l’Office et à l’opposition pouvant être introduite auprès de l’Office] s’appliquent aux marques ainsi enregistrées, étant entendu que l’Office est habilité à décider de radier l’enregistrement et que le titulaire de la marque peut demander en appel le maintien de l’enregistrement. »

28      L’article 2.10, paragraphe 2, de la CBPI ajoute que « l’Office enregistre les dépôts internationaux pour lesquels l’extension de la protection au territoire Benelux a été demandée ».

29      L’article 2.28, paragraphe 3, de la CBPI dispose :

« Pour autant que le titulaire de l’enregistrement antérieur ou le tiers visé à l’article 2.4, sous [...] f, prenne part à l’action, tout intéressé peut invoquer la nullité :

[...]

b.      de l’enregistrement qui n’est pas attributif du droit à la marque en application de l’article 2.4, sous [...] f ; [...] la nullité résultant de l’article 2.4, sous [...] f, doit être invoquée dans un délai de cinq années à compter de la date d’enregistrement. [...] ».

30      L’article 4.6 de la CBPI, intitulé « Compétence territoriale », dispose :

« 1.      Sauf attribution contractuelle expresse de compétence judiciaire territoriale, celle-ci se détermine, en matière de marques ou de dessins ou modèles, par le domicile du défendeur ou par le lieu où l’obligation litigieuse est née, a été ou doit être exécutée. Le lieu du dépôt ou de l’enregistrement d’une marque ou d’un dessin ou modèle ne peut en aucun cas servir à lui seul de base pour déterminer la compétence.

2.      Lorsque les critères énoncés ci-dessus sont insuffisants pour déterminer la compétence territoriale, le demandeur peut porter la cause devant le tribunal de son domicile ou de sa résidence, ou, s’il n’a pas de domicile ou de résidence sur le territoire Benelux, devant le tribunal de son choix, soit à Bruxelles, soit à La Haye, soit à Luxembourg.

3.      Les tribunaux appliqueront d’office les règles définies aux alinéas 1er et 2 et constateront expressément leur compétence.

[...] »

31      La CBPI ne figure pas dans la liste à laquelle se réfère l’article 69 du règlement n° 1215/2012.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

32      Brite Strike Technologies SA est une société établie à Luxembourg qui appartient au réseau distribuant les produits d’éclairage tactique développés par la société américaine Brite Strike Technologies Inc.

33      Le 4 février 2010, Brite Strike Technologies SA a déposé le signe verbal « Brite Strike » aux fins de son enregistrement en tant que marque Benelux.

34      L’Office Benelux de la Propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), établi à La Haye (Pays-Bas), a procédé à cet enregistrement.

35      Le 21 septembre 2012, Brite Strike Technologies Inc. a formé un recours devant le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) contre Brite Strike Technologies SA, tendant à faire annuler ladite marque en application des articles 2.4 et 2.28 de la CBPI.

36      En faisant enregistrer la marque en cause, Brite Strike Technologies SA aurait agi de mauvaise foi. Sachant que le signe verbal « Brite Strike » était utilisé par Brite Strike Technologies Inc. dans les États du Benelux, Brite Strike Technologies SA aurait fait enregistrer ce signe en tant que marque Benelux dans le seul but d’obtenir un droit exclusif d’usage de ce signe et d’empêcher ainsi Brite Strike Technologies Inc. de continuer à utiliser elle-même ledit signe dans le Benelux.

37      Brite Strike Technologies SA a soulevé une exception d’incompétence. Selon elle, le recours aurait dû être introduit à Luxembourg et non à La Haye.

38      Le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) constate que, si la règle de compétence énoncée à l’article 4.6 de la CBPI devait être appliquée, il en résulterait qu’il est incompétent pour connaître de ce litige. Si, en revanche, la règle de compétence énoncée à l’article 22, point 4, du règlement n° 44/2001 devait prévaloir, il pourrait être compétent.

39      Il conviendrait donc de se pencher sur la relation entre le règlement n° 44/2001 et la CBPI.

40      À cet égard, le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) cite un arrêt du Gerechtshof Den Haag (cour d’appel de La Haye) du 26 novembre 2013. Aux points 28 à 34 de cet arrêt, cette dernière juridiction a considéré que, eu égard au fait que la CBPI a été conclue après l’entrée en vigueur du règlement n° 44/2001, la règle de compétence énoncée à l’article 22, point 4, de ce règlement prévaut.

41      Le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) estime, toutefois, que la question de la relation entre le règlement n° 44/2001 et la CBPI doit être soumise à la Cour.

42      Dans ces conditions, le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La CBPI doit-elle [pour les raisons indiquées aux points 28 à 34 de l’arrêt de la Gerechtshof Den Haag (cour d’appel de La Haye) du 26 novembre 2013 ou pour d’autres] être considérée comme une convention postérieure, de telle sorte que son article 4.6 ne peut être considéré comme une règle particulière au sens de l’article 71 du [règlement n° 44/2001] ?

En cas de réponse affirmative à cette question :

2)      Est-ce qu’il ressort de l’article 22, point 4, du [règlement n° 44/2001] que tant le juge belge que le juge néerlandais et le juge luxembourgeois sont investis d’une compétence internationale pour connaître du litige ?

3)      En cas de réponse négative [à la deuxième question], comment faut-il, dans une affaire comme la présente, déterminer si la compétence internationale revient au juge belge ou au juge néerlandais ou au juge luxembourgeois ? Pour déterminer ainsi (plus précisément) la compétence internationale, sera-t-il possible d’appliquer (malgré tout) l’article 4.6 de la CBPI ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

43      Il convient de constater, d’emblée, qu’un litige tel que celui opposant Brite Strike Technologies Inc. à Brite Strike Technologies SA est susceptible de relever tant du champ d’application de la CBPI que de celui du règlement n° 44/2001.

44      En effet, d’une part, ce litige porte sur la validité de l’enregistrement d’une marque Benelux et devra, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, être résolu sur le fondement des articles 2.4 et 2.28 de la CBPI.

45      D’autre part, il découle nécessairement de l’inclusion de la « matière d’inscription ou de validité des [...] marques, dessins et modèles [...] » au chapitre II, section 6, du règlement n° 44/2001, que la validité de l’enregistrement de marques fait partie de la « matière civile et commerciale » visée à l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement.

46      La règle de compétence judiciaire énoncée à l’article 22, point 4, du règlement n° 44/2001 étant inconciliable avec la règle de compétence judiciaire spécifiquement prévue à l’article 4.6 de la CBPI pour les litiges relatifs aux marques, dessins et modèles Benelux, il importe de déterminer laquelle de ces deux dispositions est applicable.

47      C’est dans ce contexte que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 71 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la règle de compétence judiciaire pour les litiges relatifs aux marques, dessins et modèles Benelux, énoncée à l’article 4.6 de la CBPI, soit appliquée à ces litiges.

48      L’article 71 du règlement n° 44/2001 figurait au chapitre VII de celui-ci, intitulé « Relations avec les autres instruments », et disposait, à son paragraphe 1, que ce règlement « n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions ».

49      Malgré l’emploi des termes « conventions auxquelles les États membres sont parties », qui suggèrent que seules des conventions conclues par l’ensemble des États membres relevaient dudit article 71, il ressort sans ambiguïté du libellé du paragraphe 2, sous a), de celui-ci que les conventions visées incluaient également celles qui n’avaient été conclues que par certains États membres.

50      Par ailleurs, il découle d’une lecture conjointe des articles 69 et 71 du règlement n° 44/2001 que ce dernier article, dont le libellé très général vient d’être rappelé, ne doit pas être interprété en ce sens qu’il ne s’appliquerait à l’égard de conventions liant plusieurs États membres qu’à la condition qu’un ou plusieurs pays tiers soient également parties à de telles conventions.

51      S’il s’ensuit que la relation entre les règles de compétence judiciaire prévues par le règlement n° 44/2001 et celles contenues dans certaines conventions, était régie, en faveur de ces conventions, par l’article 71 du règlement n° 44/2001, toutefois, cette disposition ne donnait pas la possibilité aux États membres d’introduire, par la conclusion de nouvelles conventions ou la modification de conventions déjà en vigueur, des règles qui primeraient celles de ce règlement (arrêt du 4 mai 2010, TNT Express Nederland, C‑533/08, EU:C:2010:243, point 38).

52      Il convient, dans ce contexte, de rappeler que l’article 71 du règlement n° 44/2001 a remplacé l’article 57 de la convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32) qui, au sujet des conventions relatives à des matières particulières, a fait référence aux conventions auxquelles les États contractants « sont ou seront » parties. Par l’emploi des termes « ou seront », ledit article 57 précisait que les règles contenues dans la convention de Bruxelles ne s’opposaient pas à l’application de règles différentes auxquelles les États contractants souscriraient, dans le futur, par la conclusion de conventions spéciales. Ces termes n’ont pas été repris à l’article 71 du règlement n° 44/2001 (arrêt du 4 mai 2010, TNT Express Nederland, C‑533/08, EU:C:2010:243, points 37 et 38).

53      La limitation du champ d’application de l’article 71 du règlement n° 44/2001, rappelée au point 51 du présent arrêt, reflète la jurisprudence constante selon laquelle, au fur et à mesure de l’instauration de règles communes, les États membres ne sont plus en droit de conclure des accords internationaux affectant ces règles (arrêt du 4 mai 2010, TNT Express Nederland, C‑533/08, EU:C:2010:243, point 38).

54      Cette limitation vaut également pour ce qui concerne la conclusion, par les États membres, d’accords entre eux-mêmes. En effet, au regard de la primauté dont jouit, en règle générale, le droit de l’Union sur les conventions conclues entre les États membres (voir, notamment, arrêt du 27 septembre 1988, Matteucci, 235/87, EU:C:1988:460, point 22 et jurisprudence citée), la conclusion entre les États membres de conventions affectant des règles communes de l’Union est, en principe, interdite.

55      En l’occurrence, il y a lieu d’examiner si la CBPI se heurte à cette limitation, ce qui aurait pour conséquence que l’article 71 du règlement n° 44/2001 n’autorise pas l’application de l’article 4.6 de la CBPI au détriment de l’article 22, point 4, de ce règlement.

56      Dans cet examen, il importe de tenir compte du fait que la CBPI est un accord conclu entre le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas dans le cadre de leur union régionale, le Benelux. Il convient, dès lors, d’interpréter l’article 71 du règlement n° 44/2001 à la lumière de l’article 350 TFUE, qui dispose que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à l’existence et à l’accomplissement de cette union régionale, dans la mesure où les objectifs poursuivis par celle-ci ne sont pas atteints en application du droit de l’Union.

57      Ainsi que la Cour l’a déjà précisé, cette disposition permet au Royaume de Belgique, au Grand-Duché de Luxembourg et au Royaume des Pays-Bas de laisser en vigueur, par dérogation aux règles de l’Union, les règles qui s’appliquent dans le cadre de leur union régionale, dans la mesure où cette union régionale se trouve en avance sur la mise en œuvre du marché intérieur (voir, s’agissant de l’article 233 CEE, dont le libellé a été repris à l’article 306 CE puis à l’article 350 TFUE, arrêts du 16 mai 1984, Pakvries, 105/83, EU:C:1984:178, point 11, et du 2 juillet 1996, Commission/Luxembourg, C-473/93, EU:C:1996:263, point 42). Pour qu’elle soit justifiée, une telle dérogation doit, en outre, être indispensable au bon fonctionnement du régime Benelux (arrêt du 11 août 1995, Roders e.a., C-367/93 à C‑377/93, EU:C:1995:261, points 25 ainsi que 40).

58      S’agissant de la première de ces exigences, il y a lieu de rappeler que la mise en œuvre du marché intérieur en matière de marques, dessins et modèles comporte, en parallèle du régime des titres à effet unitaire de l’Union régi par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21), ainsi que par le règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), l’harmonisation partielle des règles relatives aux marques, dessins et modèles des États membres réalisée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25) et par la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998, sur la protection juridique des dessins ou modèles (JO 1998, L 289, p. 28).

59      Dans le cadre du Benelux, les marques, dessins et modèles des trois États membres concernés ont été remplacés par des titres à effet unitaire. Ce régime, qui existe en parallèle de celui afférant aux titres à effet unitaire de l’Union, se trouve, tout en intégrant l’harmonisation partielle réalisée par la directive 2008/95 et la directive 98/71, en avance sur celle-ci. En effet, les marques, dessins et modèles Benelux sont soumis à une réglementation entièrement uniforme, assortie de règles institutionnelles et procédurales communes. Parmi ces dernières figure l’article 4.6 de la CBPI.

60      S’agissant de la seconde exigence rappelée au point 57 du présent arrêt, toute dérogation doit, afin d’être justifiée par l’article 350 TFUE, être indispensable pour le bon fonctionnement du régime Benelux en cause, eu égard à la finalité de l’article 350 TFUE, qui consiste à éviter que l’application du droit de l’Union ait pour effet de désintégrer le Benelux ou de faire obstacle à son développement (arrêts du 16 mai 1984, Pakvries, 105/83, EU:C:1984:178, point 11, et du 2 juillet 1996, Commission/Luxembourg, C-473/93, EU:C:1996:263, point 42).

61      En ce qui concerne l’article 4.6 de la CBPI, il y a lieu de relever que la règle du droit de l’Union à laquelle cette disposition déroge est celle relative à la compétence judiciaire pour les litiges relatifs aux marques, dessins et modèles contenue à l’article 22, point 4, du règlement n° 44/2001 et, depuis le 10 janvier 2015, à l’article 24, point 4, du règlement n° 1215/2012. Cette règle du droit de l’Union établit comme critère de compétence judiciaire le lieu où le registre est tenu (arrêt du 13 juillet 2006, GAT, C-4/03, EU:C:2006:457, point 22).

62      À cet égard, il y a lieu d’observer que, pour les litiges relatifs aux marques de l’Union européenne, le législateur de l’Union a, conformément à l’article 67 du règlement n° 44/2001, lui aussi dérogé à cette même règle de compétence judiciaire, en prévoyant, à l’article 97 du règlement n° 207/2009, une règle différente de compétence judiciaire, qui est notamment fondée sur le domicile du défendeur et assure ainsi que, dans chaque État membre, des juridictions puissent être saisies de litiges relatifs aux marques de l’Union européenne. Cette règle évite que ces litiges soient concentrés devant les juridictions du Royaume d’Espagne, État membre sur le territoire duquel les dépôts et les enregistrements sont centralisés et le registre est tenu.

63      Eu égard au fait que les marques, dessins et modèles Benelux relèvent d’un régime avancé dans les trois États membres concernés, à la structure juridictionnelle établie par le Benelux, fondée sur un système décentralisé assorti d’un mécanisme de renvois préjudiciels à la Cour de justice Benelux, et au caractère multilingue de cette union régionale, la règle codifiée à l’article 4.6 de la CBPI, qui est notamment fondée sur le domicile du défendeur et assure ainsi que les litiges relatifs aux marques, dessins et modèles Benelux puissent être traités, selon le cas, par une juridiction belge, luxembourgeoise ou néerlandaise, au lieu d’être concentrés, en vertu de l’article 22, point 4, du règlement n° 44/2001 puis de l’article 24, point 4, du règlement n° 1215/2012, devant les juridictions néerlandaises du lieu où les dépôts et les enregistrements sont centralisés et le registre est tenu, peut, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, et par analogie à ce que le législateur de l’Union a constaté en ce qui concerne la compétence judiciaire pour les litiges relatifs aux marques de l’Union européenne, être qualifiée d’indispensable au bon fonctionnement du régime des marques, dessins et modèles Benelux.

64      Il s’ensuit que l’article 71 du règlement n° 44/2001, lu à la lumière de l’article 350 TFUE, n’empêche pas le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays‑Bas de maintenir en vigueur, en dérogation à l’article 22, point 4, du règlement n° 44/2001 et à l’article 24, point 4, du règlement n° 1215/2012, la règle de compétence judiciaire pour les litiges relatifs aux marques, dessins ou modèles Benelux, qu’ils ont instaurée à l’article 37, paragraphe A, de la LBM et à l’article 29, paragraphe 1, de la LBDM, puis confirmée à l’article 4.6 de la CBPI.

65      En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’application d’une convention en dérogation à une règle instaurée par l’Union en matière de compétence judiciaire, de reconnaissance ou d’exécution, ne saurait porter atteinte aux principes qui sous-tendent la coopération judiciaire en matière civile et commerciale au sein de l’Union, tels que les principes, évoqués pour ce qui concerne la compétence judiciaire aux considérants 11 et 12 du règlement n° 44/2001, de sécurité juridique pour les justiciables et de bonne administration de la justice (voir, notamment, arrêts du 4 mai 2010, TNT Express Nederland, C‑533/08, EU:C:2010:243, point 49, et du 19 décembre 2013, Nipponkoa Insurance, C-452/12, EU:C:2013:858, point 36), il y a lieu de considérer qu’une disposition telle que l’article 4.6 de la CBPI, qui s’articule autour de la compétence de principe du for du domicile du défendeur, complétée par d’autres fors présentant un lien étroit avec l’objet du litige, est conforme aux principes énoncés auxdits considérants 11 et 12.

66      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée que l’article 71 du règlement n° 44/2001, lu à la lumière de l’article 350 TFUE, ne s’oppose pas à ce que la règle de compétence judiciaire pour les litiges relatifs aux marques, dessins et modèles Benelux, énoncée à l’article 4.6 de la CBPI, soit appliquée à ces litiges.

 Sur les deuxième et troisième questions

67      Compte tenu de la réponse apportée à la première question et de l’inapplicabilité de l’article 22, point 4, du règlement n° 44/2001 qui en découle, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 71 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, lu à la lumière de l’article 350 TFUE, ne s’oppose pas à ce que la règle de compétence judiciaire pour les litiges relatifs aux marques, dessins et modèles Benelux, énoncée à l’article 4.6 de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), du 25 février 2005, signée à La Haye par le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas, soit appliquée à ces litiges.

Signatures


* Langue de procédure : le néerlandais.

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