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CJUE, 17 janvier 2006, aff. C-1/04, Susanne Staubitz-Schreiber

 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 17 janvier 2006, Susanne Staubitz-Schreiber

Affaire C-1/04

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof)

«Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement (CE) nº 1346/2000 — Application dans le temps — Juridiction compétente»

Conclusions de l'avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 6 septembre 2005 

 

 

Sommaire de l'arrêt

1.     Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement nº 1346/2000

(Règlement du Conseil nº 1346/2000, art. 43)

2.     Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d'insolvabilité — Règlement nº 1346/2000

(Règlement du Conseil nº 1346/2000, art. 3, § 1)

1.     L'article 43, première phrase, du règlement nº 1346/2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, doit être interprété en ce sens que ledit règlement s'applique si aucune décision d'ouverture de procédure d'insolvabilité n'a été prise avant son entrée en vigueur, le 31 mai 2002, même si l'introduction de la demande de décision d'ouverture est antérieure à cette date.

(cf. point 21)

2.     L'article 3, paragraphe 1, du règlement nº 1346/2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, doit être interprété en ce sens que la juridiction de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur lors de l'introduction de la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité par le débiteur, demeure compétente pour ouvrir ladite procédure lorsque ledit débiteur déplace le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d'un autre État membre après l'introduction de la demande mais avant l'intervention de l'ouverture de la procédure.

(cf. point 29 et disp.)

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

17 janvier 2006 (*)

«Coopération judiciaire en matière civile – Procédures d’insolvabilité – Règlement (CE) n° 1346/2000 – Application dans le temps – Juridiction compétente»

 

Dans l’affaire C-1/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 27 novembre 2003, parvenue à la Cour le 2 janvier 2004, dans la procédure

Susanne Staubitz-Schreiber

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. A. La Pergola, J.‑P. Puissochet (rapporteur) et R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. Klučka, U. Lõhmus et E. Levits, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. R. Grass,

considérant les observations présentées:

–       pour le gouvernement allemand, par Mme A. Tiemann, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mme H.‑G. Sevenster et M. N. A. J. Bel, en qualité d’agents,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes S. Grünheid et A.‑M. Rouchaud‑Joët, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2005,

rend le présent

 

Arrêt

 

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1, ci-après le «règlement»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure de recours interjeté devant le Bundesgerichtshof par Mme Staubitz‑Schreiber (ci-après la «requérante au principal»), après que sa demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité («Insolvenzverfahren») a été rejetée successivement par l’Amtsgericht Insolvenzgericht de Wuppertal et, sur recours, par le Landgericht Wuppertal.

 

 Le cadre juridique

 

3       Selon ses quatrième et sixième considérants, le règlement définit des règles de compétence pour l’ouverture des procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, ainsi que pour la prise des décisions qui en dérivent directement et s’y insèrent étroitement. Il contient également des dispositions relatives à la reconnaissance de ces décisions et au droit applicable, et a notamment pour objectif d’éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique.

4       Il ressort du douzième considérant du règlement que celui-ci prévoit l’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale dans l’État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. Cette procédure a une portée universelle et vise en principe à inclure tous les actifs du débiteur, sous réserve notamment de l’ouverture de procédures secondaires parallèles, dans le ou les États membres dans lesquels le débiteur a un établissement et dont les effets se limitent aux actifs situés dans cet ou ces États.

5       Selon l’article 1er, paragraphe 1, du règlement, celui-ci s’applique, sous réserve de cas particuliers énumérés à son paragraphe 2, «aux procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un syndic».

6       Aux termes de l’article 2 du règlement, il faut entendre par:

«a)       ‘procédure d’insolvabilité’: les procédures collectives visées à l’article 1er, paragraphe 1. La liste de ces procédures figure à l’annexe A;

[…]

d)       ‘juridiction’: l’organe judiciaire ou toute autre autorité compétente d’un État membre habilité(e) à ouvrir une procédure d’insolvabilité ou à prendre des décisions au cours de cette procédure;

e)       ‘décision’: lorsqu’il s’agit de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ou de la nomination d’un syndic, la décision de toute juridiction compétente pour ouvrir une telle procédure ou pour nommer un syndic;

f)       ‘moment de l’ouverture de la procédure’: le moment où la décision d’ouverture prend effet, que cette décision soit ou non définitive;

[…]»

7       L’article 3 du règlement prévoit les règles suivantes en matière de compétence internationale:

«1.      Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

2.      Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.

3.      Lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte en application du paragraphe 1, toute procédure d’insolvabilité ouverte ultérieurement en application du paragraphe 2 est une procédure secondaire. Cette procédure doit être une procédure de liquidation.

4.      Une procédure territoriale d’insolvabilité visée au paragraphe 2 ne peut être ouverte avant l’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité en application du paragraphe 1 que:

a)       si une procédure d’insolvabilité ne peut pas être ouverte en application du paragraphe 1 en raison des conditions établies par la loi de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur

ou

b)       si l’ouverture de la procédure territoriale d’insolvabilité est demandée par un créancier dont le domicile, la résidence habituelle ou le siège se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel est situé l’établissement concerné, ou dont la créance a son origine dans l’exploitation de cet établissement.»

8       L’article 4, paragraphe 1, du règlement désigne comme loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets «celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé ‘État d’ouverture’». Plusieurs exceptions à la loi de l’État d’ouverture sont toutefois prévues aux articles 5 à 15 du règlement.

9       En vertu de l’article 16, paragraphe 1, du règlement, «[t]oute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3 est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture. Cette règle s’applique également lorsque le débiteur, du fait de sa qualité, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité dans les autres États membres».

10     Selon l’article 17, paragraphe 1, du règlement, «[l]a décision d’ouverture d’une procédure visée à l’article 3, paragraphe 1, produit, sans aucune formalité, dans tout autre État membre, les effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture, sauf disposition contraire du présent règlement et aussi longtemps qu’aucune procédure visée à l’article 3, paragraphe 2, n’est ouverte dans cet autre État membre».

11     L’article 38 du règlement prévoit que «[l]orsque la juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement, désigne un syndic provisoire en vue d’assurer la conservation des biens du débiteur, ce syndic provisoire est habilité à demander toute mesure de conservation ou de protection sur les biens du débiteur qui se trouvent dans un autre État membre prévue par la loi de cet État, pour la période séparant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité de la décision d’ouverture».

12     Au titre des dispositions transitoires, l’article 43 du règlement prévoit, sous l’intitulé «Application dans le temps»:

«Les dispositions du présent règlement ne sont applicables qu’aux procédures d’insolvabilité ouvertes postérieurement à son entrée en vigueur. Les actes accomplis par le débiteur avant l’entrée en vigueur du présent règlement continuent d’être régis par la loi qui leur était applicable au moment où ils ont été accomplis.»

13     L’article 44 du règlement prévoit également, sous le titre «Relations avec les conventions»:

«1.      Après son entrée en vigueur, le présent règlement remplace dans les relations avec les États membres, pour les matières auxquelles il se réfère, les conventions conclues entre deux ou plusieurs de ces États […].

2.      Les conventions visées au paragraphe 1 continuent à produire leurs effets en ce qui concerne les procédures ouvertes avant l’entrée en vigueur du présent règlement.

[…]»

14     En application de son article 47, le règlement est entré en vigueur le 31 mai 2002. Son annexe A mentionne l’«Insolvenzverfahren» du droit allemand en tant que procédure d’insolvabilité visée à l’article 2, sous a), du même règlement.

 

 Le litige au principal et la question préjudicielle

 

15     La requérante au principal résidait en Allemagne, où elle gérait une entreprise individuelle de commerce d’appareils de télécommunication et accessoires. Elle a cessé d’exploiter cette entreprise dans le courant de l’année 2001 et a demandé, le 6 décembre 2001, l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité portant sur son patrimoine devant l’Amtsgericht-Insolvenzgericht de Wuppertal. Le 1er avril 2002, elle a transféré sa résidence en Espagne en vue d’y vivre et d’y travailler.

16     Par ordonnance du 10 avril 2002, cette juridiction a refusé d’ouvrir la procédure d’insolvabilité demandée, en raison d’une absence d’actifs. Le recours formé par la requérante au principal contre cette ordonnance a été rejeté par le Landgericht Wuppertal, par ordonnances des 14 août 2002 et 15 octobre 2003, au motif que les juridictions allemandes n’étaient pas compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement, le centre des intérêts principaux de la requérante au principal se trouvant en Espagne.

17     La requérante au principal a formé un recours devant le Bundesgerichtshof, en vue d’obtenir l’annulation des ordonnances susmentionnées et le renvoi de l’instance devant le Landgericht Wuppertal. Elle soutient que la compétence internationale devrait être examinée au regard de la situation au moment où la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité a été déposée, soit, en l’occurrence, en prenant en considération son domicile en Allemagne en décembre 2001.

18     La juridiction de renvoi expose d’abord que l’affaire dont elle est saisie au principal entre dans le champ d’application du règlement, conformément aux articles 43 et 44, paragraphe 2, de celui-ci, dès lors qu’aucune décision positive d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité n’est intervenue avant l’entrée en vigueur, le 31 mai 2002, dudit règlement.

19     Ladite juridiction observe, ensuite, que la requérante au principal a déplacé le centre de ses intérêts principaux en Espagne après avoir demandé en Allemagne l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, mais avant qu’une telle procédure ne soit ouverte et produise ses effets selon la législation allemande.

20     Dans ce contexte, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La juridiction de l’État membre auprès de laquelle a été introduite la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité demeure-t-elle compétente pour ouvrir ladite procédure lorsque le débiteur déplace le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d’un autre État membre après l’introduction de la demande, mais avant l’ouverture de la procédure, ou est-ce la juridiction de cet autre État membre qui devient compétente?»

 

 Sur la question préjudicielle

 

21     L’article 43, première phrase, du règlement pose le principe qui régit les conditions de l’application dans le temps dudit règlement. Cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’il s’applique si aucune décision d’ouverture de procédure d’insolvabilité n’a été prise avant son entrée en vigueur, le 31 mai 2002, même si l’introduction de la demande de décision d’ouverture est antérieure à cette date. Telle est bien la situation dans le cas d’espèce, puisque la demande de la requérante au principal a été introduite le 6 décembre 2001 et qu’aucune décision d’ouverture de procédure d’insolvabilité n’a été prise avant le 31 mai 2002.

22     Il s’ensuit que, dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi doit apprécier sa compétence au regard de l’article 3, paragraphe 1, du règlement.

23     Cette disposition, qui prévoit que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité, ne précise pas si la juridiction initialement saisie demeure compétente lorsque le débiteur a déplacé le centre de ses intérêts principaux après la présentation de la demande d’ouverture de la procédure mais avant l’intervention de la décision d’ouverture.

24     Cependant, un transfert de compétence de la juridiction initialement saisie vers une juridiction d’un autre État membre sur ce fondement serait contraire aux objectifs poursuivis par le règlement.

25     En effet, au quatrième considérant de ce dernier, le législateur communautaire rappelle son intention d’éviter que les parties à la procédure ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État membre à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique. Cet objectif ne serait pas atteint si le débiteur pouvait déplacer le centre de ses intérêts principaux dans un autre État membre entre la présentation de la demande d’ouverture et l’intervention de la décision d’ouverture de la procédure et déterminer, de cette manière, la juridiction compétente ainsi que le droit applicable.

26     Un tel transfert de compétence serait également contraire à l’objectif, rappelé aux deuxième et huitième considérants du règlement, d’un fonctionnement efficace, amélioré et accéléré des procédures transfrontalières, en ce qu’il obligerait les créanciers à poursuivre continuellement le débiteur là où il jugerait bon de s’établir de manière plus ou moins définitive et risquerait de se traduire souvent, en pratique, par un allongement de la procédure.

27     De plus, le maintien de la compétence de la première juridiction saisie assure une sécurité juridique plus grande aux créanciers qui ont évalué les risques à assumer en cas d’insolvabilité du débiteur au regard de la localisation du centre des intérêts principaux de celui-ci au moment où ils nouaient des relations juridiques avec lui.

28     La portée universelle de la procédure d’insolvabilité principale, l’ouverture, le cas échéant, de procédures secondaires, ainsi que la possibilité pour le syndic provisoire désigné par la juridiction initialement saisie de demander des mesures de conservation ou de protection sur les biens du débiteur se trouvant dans un autre État membre, constituent par ailleurs des garanties importantes pour les créanciers, qui permettent d’assurer la couverture la plus grande du patrimoine du débiteur, notamment lorsque ce dernier a déplacé le centre de ses intérêts principaux après la demande d’ouverture de procédure mais avant l’intervention de l’ouverture de la procédure.

29     Il y a donc lieu de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 3, paragraphe 1, du règlement doit être interprété en ce sens que la juridiction de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur lors de l’introduction par ce dernier de la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité demeure compétente pour ouvrir ladite procédure lorsque ledit débiteur déplace le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d’un autre État membre après l’introduction de la demande mais avant l’intervention de l’ouverture de la procédure.

 

 Sur les dépens

 

30     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens que la juridiction de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur lors de l’introduction de la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité par le débiteur demeure compétente pour ouvrir ladite procédure lorsque ledit débiteur déplace le centre de ses intérêts principaux sur le territoire d’un autre État membre après l’introduction de la demande mais avant l’intervention de l’ouverture de la procédure.

Signatures

Langue de procédure: l'allemand.

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