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CJUE, 19 avril 2012, aff. C‑523/10, Wintersteiger AG c/ Products 4U Sondermaschinenbau GmbH.

 

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

19 avril 2012

Wintersteiger AG contre Products 4U Sondermaschinenbau GmbH

 

«Règlement (CE) no 44/2001 — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Compétence ‘en matière délictuelle ou quasi délictuelle’ — Détermination du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire — Site Internet d’un prestataire de service de référencement opérant sous un nom de domaine national de premier niveau d’un État membre — Utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à une marque enregistrée dans un autre État membre»

Dans l’affaire C‑523/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), par décision du 5 octobre 2010, parvenue à la Cour le 10 novembre 2010, dans la procédure

Wintersteiger AG

contre

Products 4U Sondermaschinenbau GmbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Wintersteiger AG, par Me E. Boesch, Rechtsanwalt,

–        pour Products 4U Sondermaschinenbau GmbH, par Me J. Steinschnack, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Hathaway, en qualité d’agent, assisté de M. A. Henshaw, barrister,

–        pour la Commission européenne, par Mme A.-M. Rouchaud-Joët et M. W. Bogensberger, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 février 2012,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wintersteiger AG (ci-après «Wintersteiger»), établie en Autriche, à Products 4U Sondermaschinenbau GmbH (ci-après «Products 4U»), établie en Allemagne, au sujet de la demande de Wintersteiger visant à interdire à Products 4U d’utiliser la marque autrichienne «Wintersteiger» comme mot clé sur le site Internet du prestataire d’un service de référencement payant.

 

 Le cadre juridique

 

 Le règlement no 44/2001

3        Il ressort du deuxième considérant du règlement no 44/2001 que celui-ci vise, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur, à mettre en œuvre «[d]es dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement».

4        Le onzième considérant de ce règlement énonce:

«Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.»

5        Le douzième considérant dudit règlement dispose:

«Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.»

6        L’article 2, paragraphe 1, du même règlement figure sous la section 1 de celui-ci, intitulée «Dispositions générales» et comprise dans le chapitre II, lui-même intitulé «Compétence». Cet article prévoit:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

7        L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, qui figure sous la même section 1 de celui-ci, dispose ce qui suit:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

8        Aux termes de l’article 5, point 3, de ce règlement, qui appartient à la section 2 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Compétences spéciales»:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[...]

3)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire;

[...]»

 La directive 2008/95/CE

9        L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), intitulé «Droits conférés par la marque», est libellé comme suit:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires:

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

[...]»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

10      Wintersteiger est une entreprise établie en Autriche qui produit et commercialise dans le monde entier des machines pour l’entretien de skis et de snowboards, ainsi que les pièces de rechange et les accessoires y afférents. Depuis 1993, elle est propriétaire de la marque autrichienne Wintersteiger.

11      Products 4U, dont le siège social est établi en Allemagne, développe et commercialise, elle aussi, des machines d’entretien de skis et de snowboards. Elle vend, par ailleurs, des accessoires pour des machines d’autres fabricants, notamment pour celles de Wintersteiger. Ces accessoires, que Products 4U appelle «Wintersteiger-Zubehör» («accessoires Wintersteiger») ne sont pas produits par la requérante au principal et ne sont pas autorisés par elle. Tout comme cette dernière, Products 4U exerce ses activités dans le monde entier et commercialise ses produits également en Autriche.

12      Depuis le 1er décembre 2008, Products 4U a réservé le mot clé («AdWord») «Wintersteiger» dans le cadre du système publicitaire développé par le prestataire de service de référencement sur Internet Google. Suite à cette inscription, limitée au domaine national de premier niveau allemand de Google, soit le site Internet «google.de», l’internaute qui introduisait le mot clé «Wintersteiger» dans le moteur de recherche de ce service de référencement obtenait, en tant que premier résultat de recherche, un lien vers le site Internet de Wintersteiger. Néanmoins, l’introduction de ce même terme de recherche faisait également apparaître, dans la partie droite de l’écran, sous le titre «Anzeige» («annonce»), une annonce publicitaire de Products 4U. Le texte de cette annonce portait le titre, souligné et en couleur bleue, «Skiwerkstattzubehör» («matériel d’atelier de réparation de skis»). Il comprenait, en outre, sur deux lignes, les mots «Ski und Snowboardmaschinen» («machines pour skis et snowboards») ainsi que «Wartung und Reparatur» («entretien et réparation»). La dernière ligne de cette même annonce indiquait, en lettres vertes, l’adresse Internet de Products 4U. En cliquant sur le titre «Skiwerkstattzubehör» («matériel d’atelier de réparation de skis»), l’utilisateur était dirigé vers l’offre de «Wintersteiger-Zubehör» («accessoires Wintersteiger») contenue sur le site Internet de Products 4U. L’annonce publicitaire sur le site «google.de» ne précisait aucunement l’absence de tout lien économique entre Wintersteiger et Products 4U. Cette dernière n’a, par ailleurs, inséré aucune annonce publicitaire liée au terme de recherche «Wintersteiger» sur le domaine national de premier niveau autrichien de Google, soit sur le site Internet «google.at».

13      Soutenant que, par l’annonce insérée sur le site «google.de», Products 4U portait atteinte à sa marque autrichienne, Wintersteiger a introduit une action en cessation d’usage auprès des tribunaux autrichiens. S’agissant de la compétence de ces dernières juridictions à connaître de sa demande, Wintersteiger s’est fondée sur l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001. Elle a en effet fait valoir que le site «google.de» pouvait également être consulté en Autriche et que ce service de référencement se présentait en langue allemande.

14      Products 4U a contesté la compétence internationale des juridictions autrichiennes ainsi que, à titre subsidiaire, l’existence d’une atteinte à la marque Wintersteiger. Selon cette société, le site «google.de» s’adressant exclusivement aux utilisateurs allemands, l’annonce litigieuse était, de ce fait, uniquement destinée aux clients allemands.

15      La juridiction de première instance a considéré que même si le site «google.de» pouvait être consulté en Autriche par Internet, dans la mesure où Google proposait ses services par l’intermédiaire de sites Internet opérant sous des noms de domaines nationaux de premier niveau, le site «google.de» ne visait que l’Allemagne, de sorte que les juridictions autrichiennes n’étaient pas compétentes pour connaître de la demande introduite par Wintersteiger. La juridiction d’appel a, en revanche, confirmé sa compétence internationale, mais elle a considéré que Wintersteiger n’était titulaire d’aucun droit et a, pour cette raison, rejeté sa demande.

16      L’Oberster Gerichtshof, saisi d’un recours en «Revision», se pose en l’espèce la question de savoir dans quelles conditions la publicité faite au moyen de l’utilisation de la marque autrichienne Wintersteiger sur un site Internet opérant sous un nom de domaine national de premier niveau «.de» peut fonder la compétence des juridictions autrichiennes, au titre de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 44/2001, à connaître d’une action en cessation de l’usage d’une marque autrichienne. C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter les termes ‘lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’, figurant à l’article 5, point 3, [du règlement no 44/2001] lorsqu’il est fait état d’une atteinte, par une personne établie dans un autre État membre, à une marque de l’État du for par l’utilisation d’un mot clé (AdWord) identique à cette marque dans un moteur de recherche sur Internet, qui propose ses services sous différents domaines nationaux de premier niveau, en ce sens

a)      que la compétence n’est fondée que dans l’hypothèse où le mot clé est utilisé sur le site du moteur de recherche dont le domaine de premier niveau est celui de l’État du for;

b)      que la compétence est uniquement fondée par le fait que le site Internet du moteur de recherche sur lequel le mot clé est utilisé peut être consulté dans l’État du for, et

c)      que la compétence dépend, outre la possibilité de consulter le site Internet, de la réalisation de conditions supplémentaires?

2)      En cas de réponse positive à la [première question, sous c)]:

Selon quels critères convient-il de déterminer si, dans l’hypothèse de l’utilisation d’une marque de l’État du for en tant que mot clé (AdWord) sur le site Internet d’un moteur de recherche avec un domaine national de premier niveau autre que celui de l’État du for, la compétence en vertu de l’article 5, point 3, [du règlement no 44/2001] est fondée?»

 

  Sur les questions préjudicielles

 

17      Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, selon quels critères il convient de déterminer, en vertu de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, la compétence judiciaire pour connaître d’un litige relatif à l’atteinte alléguée à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l’utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à ladite marque sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous un domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre d’enregistrement de la marque.

18      À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que la règle de compétence spéciale prévue, par dérogation au principe de la compétence des juridictions du domicile du défendeur, à l’article 5, point 3, de ce règlement est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a., C‑509/09 et C‑161/10, Rec. p. I‑10269, point 40).

19      Il convient de rappeler aussi que l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire» figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 41 et jurisprudence citée).

20      Ces deux lieux peuvent constituer un rattachement significatif du point de vue de la compétence judiciaire, chacun d’entre eux étant susceptible, selon les circonstances, de fournir une indication particulièrement utile en ce qui concerne la preuve et l’organisation du procès (arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 41 et jurisprudence citée).

 Le lieu de la matérialisation du dommage

21      En ce qui concerne, premièrement, le lieu de la matérialisation du dommage, la Cour a déjà précisé que ce lieu est celui où le fait susceptible d’engager une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle a entraîné un dommage (arrêt du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C‑189/08, Rec. p. I‑6917, point 26).

22      Dans le contexte d’Internet, la Cour a de même précisé que, en cas d’atteintes alléguées aux droits de la personnalité, la personne qui s’estime lésée par des contenus mis en ligne sur un site Internet a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts (voir arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 52).

23      En effet, ainsi que la Cour l’a relevé à cette occasion, le critère du centre des intérêts de la personne lésée est conforme à l’objectif de prévisibilité de la compétence judiciaire dans la mesure où il permet à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 50).

24      Or, comme l’a souligné M. l’avocat général au point 20 de ses conclusions, cette appréciation, faite dans le contexte particulier des atteintes aux droits de la personnalité, ne saurait valoir également pour la détermination de la compétence judiciaire en ce qui concerne les atteintes aux droits de la propriété intellectuelle, telles que celles alléguées au principal.

25      En effet, contrairement à la situation d’une personne qui s’estime lésée dans ses droits de la personnalité, lesquels sont protégés dans tous les États membres, la protection accordée par l’enregistrement d’une marque nationale est, par principe, limitée au territoire de l’État membre d’enregistrement, de sorte que, en règle générale, son titulaire ne saurait se prévaloir de ladite protection en dehors de ce territoire.

26      Toutefois, la question de savoir si l’utilisation, à des fins publicitaires, d’un signe identique à une marque nationale sur un site Internet opérant uniquement sous un domaine national de premier niveau autre que celui de l’État membre d’enregistrement de ladite marque porte effectivement atteinte à celle-ci relève de l’examen au fond du recours que la juridiction compétente effectuera à l’aune du droit matériel applicable.

27      S’agissant de la compétence pour connaître d’une allégation d’atteinte à une marque nationale dans une situation telle que celle au principal, il y a lieu de considérer que tant l’objectif de la prévisibilité que celui de la bonne administration de la justice militent en faveur d’une attribution de la compétence, au titre de la matérialisation du dommage, aux juridictions de l’État membre dans lequel le droit en cause est protégé.

28      En effet, ce sont les juridictions de l’État membre d’enregistrement de la marque en cause qui sont les mieux à même d’évaluer, compte tenu de l’interprétation de la directive 2008/95 fournie, notamment, dans les arrêts du 23 mars 2010, Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, Rec. p. I‑2417, ainsi que du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, Rec. p. I‑6011, si, dans une situation telle que celle au principal, il est effectivement porté atteinte à la marque nationale protégée. Ces juridictions sont habilitées à connaître, d’une part, de l’intégralité du dommage prétendument causé au titulaire du droit protégé du fait de l’atteinte portée à celui-ci et, d’autre part, d’une demande visant à faire cesser toute atteinte audit droit.

29      Il y a donc lieu de considérer qu’un litige relatif à l’atteinte à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l’utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à ladite marque sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous un domaine national de premier niveau d’un autre État membre peut être porté devant les juridictions de l’État membre dans lequel la marque est enregistrée.

 Le lieu de l’événement causal

30      En ce qui concerne, deuxièmement, le lieu de l’événement causal d’une atteinte alléguée à une marque nationale du fait de l’utilisation d’un mot clé identique à ladite marque dans un moteur de recherche opérant sous un domaine national de premier niveau d’un autre État membre, il convient de relever que la limitation territoriale de la protection d’une marque nationale n’est pas de nature à exclure la compétence internationale des juridictions autres que celles de l’État membre dans lequel ladite marque est enregistrée.

31      Il est de jurisprudence constante que les dispositions du règlement no 44/2001 doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (arrêt eDate Advertising e.a., précité, point 38 et jurisprudence citée), parmi lesquels figurent l’objectif de prévisibilité de l’attribution de compétence et celui d’assurer la bonne administration de la justice et l’organisation utile du procès.

32      Il est notamment constant que le lieu de l’événement causal d’un dommage allégué peut constituer un rattachement significatif du point de vue de la compétence judiciaire, dès lors qu’il est susceptible de fournir une indication particulièrement utile en ce qui concerne l’administration de la preuve et l’organisation du procès.

33      Dans une situation telle que celle au principal, l’utilité de l’indication fournie par le lieu de l’événement causal consiste notamment dans la facilité avec laquelle la juridiction de ce lieu peut recueillir les preuves relatives audit événement.

34      En cas d’atteinte alléguée à une marque nationale enregistrée dans un État membre en raison de l’affichage, sur le site Internet d’un moteur de recherche, d’une publicité grâce à l’utilisation d’un mot clé identique à ladite marque, il convient de considérer comme événement causal non l’affichage de la publicité elle-même, mais le déclenchement, par l’annonceur, du processus technique d’affichage, selon des paramètres prédéfinis, de l’annonce que celui-ci a créée pour sa propre communication commerciale.

35      En effet, ainsi que la Cour l’a relevé dans le cadre de l’interprétation de la directive rapprochant les législations des États membres sur les marques, c’est l’annonceur sélectionnant le mot clé identique à la marque qui en fait un usage dans la vie des affaires et non le prestataire du service de référencement (arrêt Google France et Google, précité, points 52 et 58). Le fait générateur d’une atteinte éventuelle au droit des marques réside donc dans le comportement de l’annonceur ayant recours au service de référencement pour sa propre communication commerciale.

36      Certes, le déclenchement du processus technique d’affichage par l’annonceur s’effectue, en fin de compte, sur un serveur appartenant à l’exploitant du moteur de recherche utilisé par l’annonceur. Néanmoins, compte tenu de l’objectif de prévisibilité auquel doivent tendre les règles de compétence, le lieu d’établissement dudit serveur ne saurait, en raison de sa localisation incertaine, être considéré comme étant celui de l’événement causal pour les besoins de l’application de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

37      En revanche, dès lors qu’il s’agit d’un lieu certain et identifiable, tant pour le demandeur que pour le défendeur, et qu’il est, de ce fait, de nature à faciliter l’administration de la preuve et l’organisation du procès, il y a lieu de décider que le lieu d’établissement de l’annonceur est celui où le déclenchement du processus d’affichage est décidé.

38      Il découle de ce qui précède qu’un litige relatif à l’atteinte alléguée à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l’utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à ladite marque sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous un nom de domaine national de premier niveau d’un autre État membre peut également être porté devant les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’annonceur.

39      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un litige relatif à l’atteinte à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l’utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à ladite marque sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous un domaine national de premier niveau d’un autre État membre peut être porté soit devant les juridictions de l’État membre dans lequel la marque est enregistrée, soit devant celles de l’État membre du lieu d’établissement de l’annonceur.

 

 Sur les dépens

 

40      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’un litige relatif à l’atteinte à une marque enregistrée dans un État membre du fait de l’utilisation, par un annonceur, d’un mot clé identique à ladite marque sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous un domaine national de premier niveau d’un autre État membre peut être porté soit devant les juridictions de l’État membre dans lequel la marque est enregistrée, soit devant celles de l’État membre du lieu d’établissement de l’annonceur.

Signatures


Langue de procédure: l’allemand.

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