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CJUE, 15 novembre 2012, aff. C-456/11, Gothaer Allgemeine Versicherung AG et autres c/ Samskip GmbH

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

15 novembre 2012

Gothaer Allgemeine Versicherung AG et autres contre Samskip GmbH

 

«Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 44/2001 – Articles 32 et 33 – Reconnaissance des décisions de justice – Notion de ‘décision’ – Effets d’une décision de justice sur la compétence internationale – Clause attributive de juridiction»

Dans l’affaire C-456/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Bremen (Allemagne), par décision du 25 août 2011, parvenue à la Cour le 2 septembre 2011, dans la procédure

Gothaer Allgemeine Versicherung AG,

ERGO Versicherung AG,

Versicherungskammer Bayern-Versicherungsanstalt des öffentlichen Rechts,

Nürnberger Allgemeine Versicherungs-AG,

Krones AG

contre

Samskip GmbH,

 

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts (rapporteur), faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. E. Juhász, G. Arestis, J. Malenovský et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juillet 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour Gothaer Allgemeine Versicherung AG, ERGO Versicherung AG, Versicherungskammer Bayern-Versicherungsanstalt des öffentlichen Rechts, Nürnberger Allgemeine Versicherungs-AG, par Me K. Ramming, Rechtsanwalt,

–        pour Krones AG, par Mes A. Nerz et M. Theisen, Rechtsanwälte, assistés de MM. R. Geimer, professeur, et C. Wagner, Justiziar,

–        pour Samskip GmbH, par Me O. Hartenstein, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme F. Wannek, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par MM. J.-C. Halleux et T. Materne, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suisse, par M. D. Klingele, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. W. Bogensberger et Mme A.-M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2012,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 32 et 33 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant quatre sociétés d’assurances allemandes, à savoir, Gothaer Allgemeine Versicherung AG, ERGO Versicherung AG, Versicherungskammer Bayern-Versicherungsanstalt des öffentlichen Rechts et Nürnberger Allgemeine Versicherungs-AG (ci-après les «assureurs»), ainsi que Krones AG (ci-après «Krones»), une société allemande qui est assurée par ces derniers, à Samskip GmbH (ci-après «Samskip»), filiale allemande de la société Samskip Holding BV, une entreprise de transport et de logistique ayant son siège aux Pays-Bas, mais qui a été fondée en Islande, au sujet de la livraison par Samskip d’une installation de brasserie à un acheteur, Cerveceria Cuauthemoc Monezum SA (ci-après le «destinataire»), qui est une entreprise mexicaine.

3        Ledit litige a pour objet des demandes en réparation introduites devant les juridictions allemandes par les assureurs et Krones concernant de prétendus dommages causés à ladite installation durant le transport, alors que les juridictions belges, plus particulièrement le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique), avaient déjà rejeté comme irrecevables des demandes similaires introduites devant elles au motif que le connaissement («Bill of Lading») établi le 13 août 2006, date de la prise en charge de l’installation par Samskip à Anvers (Belgique), contenait une clause contractuelle désignant les juridictions islandaises comme étant compétentes en cas de litige et le droit islandais comme étant applicable au contrat de transport.

 

 Le cadre juridique

 

 Le droit international

4        La convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, qui a été approuvée au nom de la Communauté par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1, ci-après la «convention de Lugano»), énonce à son article 23, paragraphe 1, dont le libellé est largement similaire à celui de l’article 17 de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, faite à Lugano le 16 septembre 1988 (JO L 319, p. 9), à laquelle elle a succédé:

«Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État lié par la présente convention, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État lié par la présente convention pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue:

a)      par écrit ou verbalement avec confirmation écrite; ou

b)      sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles; ou

c)      dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.»

 Le droit de l’Union

5        Les considérants 2, 6 et 15 à 17 du règlement no 44/2001 sont libellés comme suit:

«(2)      Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.

[...]

(6)      Pour atteindre l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, il est nécessaire et approprié que les règles relatives à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions soient déterminées par un instrument juridique communautaire contraignant et directement applicable.

[...]

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome.

(16)      La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure.

(17)      Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. À cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le présent règlement.»

6        Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, dudit règlement, dont le libellé est en substance identique à celui de l’article 23, paragraphe 1, de la convention de Lugano, cité au point 4 du présent arrêt:

«Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue:

a)      par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou

b)      sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou

c)      dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.» 

7        L’article 32 du même règlement dispose:

«On entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès.»

8        L’article 33 du règlement no 44/2001 est libellé comme suit:

«1.      Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

2.      En cas de contestation, toute partie intéressée qui invoque la reconnaissance à titre principal peut faire constater, selon les procédures prévues aux sections 2 et 3 du présent chapitre, que la décision doit être reconnue.

3.      Si la reconnaissance est invoquée de façon incidente devant une juridiction d’un État membre, celle-ci est compétente pour en connaître.»

9        Aux termes de l’article 34 dudit règlement:

«Une décision n’est pas reconnue si:

1)      la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis;

2)      l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire;

3)      elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis;

4)      elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis.»

10      L’article 35 du règlement no 44/2001 prévoit:

«1.      De même, les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II ont été méconnues, ainsi que dans le cas prévu à l’article 72.

2.      Lors de l’appréciation des compétences mentionnées au paragraphe précédent, l’autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l’État membre d’origine a fondé sa compétence.

3.      Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine. Le critère de l’ordre public visé à l’article 34, point 1, ne peut être appliqué aux règles de compétence.»

11      Aux termes de l’article 36 du règlement no 44/2001:

«En aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

12      En 2006, Krones a vendu une installation de brasserie au destinataire. Elle a chargé Samskip d’organiser et de réaliser le transport de cette installation d’Anvers à Guadalajara (Mexique), via Altamira, une ville également située au Mexique.

13      L’envoi, composé de conteneurs et de bâtis de transport, a été remis à Samskip le 13 août 2006. Cette dernière a établi le même jour le connaissement désignant Krones comme expéditeur («shipper»), le destinataire comme consignataire («consignee»), Anvers comme port de chargement et Altamira comme port de destination. Dans les conditions inscrites au dos de ce document («Endorsements»), il est stipulé au point 2:

«Compétence juridictionnelle. Tout litige découlant du présent connaissement sera tranché en Islande en vertu du droit islandais.»

14      Selon les requérantes au principal, le chargement a été endommagé durant le transport maritime et une partie de ce chargement a également été endommagée lors du transport terrestre de Altamira à Guadalajara. Krones a cédé ses droits – à hauteur de la responsabilité maximale au titre du droit maritime de deux droits de tirage spéciaux, d’une valeur au moment de la cession de 235 666,46 euros – aux assureurs au prorata de leur participation au risque. Le destinataire a également cédé aux assureurs ses droits découlant du connaissement au prorata de leur participation au risque.

15      Le destinataire et les assureurs ont saisi les juridictions belges par un recours introduit le 30 août 2007 et ont appelé Samskip à se présenter le 16 octobre 2007 devant le rechtbank van koophandel te Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers). Cette juridiction a rendu un jugement en faveur des assureurs et du destinataire, mais le hof van beroep te Antwerpen a réformé ce jugement par son arrêt du 5 octobre 2009 dans lequel il s’est déclaré «sans compétence juridictionnelle».

16      Dans les motifs de son arrêt, le hof van beroep te Antwerpen a jugé que le destinataire ne disposait d’aucun droit de recours en vertu du contrat de transport. Les assureurs auraient certes un intérêt à agir en tant que successeurs en droit de Krones, mais ils seraient liés par la clause attributive de juridiction contenue dans le connaissement. En vertu du point 2 des clauses de celui-ci, il y aurait une compétence exclusive des juridictions islandaises pour connaître des litiges afférents au contrat de transport, raison pour laquelle les juridictions belges ne seraient pas compétentes. Cet arrêt est devenu définitif.

17      Au cours du mois de septembre 2010, les assureurs ont introduit devant le Landgericht Bremen des recours en réparation contre Samskip et Krones a introduit un recours en réparation contre cette dernière devant le Landgericht Landshut. Celui-ci a renvoyé ce dernier litige à la juridiction de renvoi par ordonnance du 3 juin 2011.

18      Le Landgericht Bremen relève que, selon Samskip, les recours sont irrecevables, car l’arrêt du hof van beroep te Antwerpen du 5 octobre 2009 produirait des effets juridiques non seulement en ce qui concerne l’absence de compétence des juridictions belges, mais également en ce qui concerne la constatation de la compétence des juridictions islandaises qui figure dans les motifs du même arrêt. En effet, Samskip estime que, en vertu des articles 32 et 33 du règlement no 44/2001, ledit arrêt a un effet contraignant à l’égard de la juridiction de renvoi.

19      Les assureurs et Krones considèrent qu’il peut tout au plus être inféré de l’arrêt du hof van beroep te Antwerpen du 5 octobre 2009 un effet contraignant en ce qui concerne la constatation selon laquelle les juridictions belges sont incompétentes. Cet arrêt n’aurait cependant pas d’autre effet, notamment en ce qui concerne l’absence de compétence des juridictions des États membres autres que le Royaume de Belgique en raison de la prétendue compétence des juridictions islandaises.

20      La juridiction de renvoi, en se référant à la doctrine allemande, relève que l’arrêt du hof van beroep te Antwerpen du 5 octobre 2009 est un «jugement portant sur la recevabilité» («Prozessurteil») qui rejette le recours comme irrecevable, les conditions requises pour rendre un jugement au fond n’étant pas remplies. De telles décisions de juridictions étrangères ne seraient pas susceptibles, dans leur grande majorité, d’être reconnues en Allemagne. Elle s’interroge donc sur la question de savoir si elle est tenue de reconnaître cet arrêt et, le cas échéant, si la portée d’une telle reconnaissance s’étend aux motifs de celui-ci.

21      Dans ces conditions, le Landgericht Bremen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les articles 32 et 33 du règlement no 44/2001 doivent-ils être interprétés en ce sens que relèvent aussi par principe de la notion de ‘décision’ les décisions qui s’épuisent dans la constatation que les conditions procédurales de recevabilité (jugement sur la recevabilité) ne sont pas remplies?

2)      Les articles 32 et 33 du règlement no 44/2001 doivent-ils être interprétés en ce sens que relève aussi de la notion de ‘décision’ un arrêt clôturant l’instance et qui rejette la compétence internationale sur le fondement d’une clause attributive de juridiction?

3)      Eu égard à la jurisprudence de la Cour de justice relative au principe de l’extension de l’effet (arrêt du 4 février 1988, Hoffmann, 145/86, Rec. p. 645), les articles 32 et 33 du règlement no 44/2001 doivent-ils être interprétés en ce sens que tout État membre doit reconnaître les décisions du tribunal d’un autre État membre relatives à l’effet d’une clause attributive de juridiction conclue entre les parties, lorsque, d’après le droit national du premier tribunal, la constatation relative à la validité de la clause attributive de juridiction devient définitive, et ce même lorsque la décision à ce sujet fait partie d’un jugement sur la recevabilité rejetant le recours?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur les première et deuxième questions

22      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 32 du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il vise également une décision par laquelle la juridiction d’un État membre décline sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction, quand bien même cette décision serait qualifiée de «jugement sur la recevabilité» par le droit d’un autre État membre.

23      Il convient de constater d’emblée que, conformément au libellé de l’article 32 du règlement no 44/2001, la notion de «décision» recouvre «toute» décision rendue par une juridiction d’un État membre, sans faire aucune distinction en fonction du contenu de la décision en cause, ce qui implique, en principe, que cette notion comprend également une décision par laquelle la juridiction d’un État membre décline sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction.

24      Au demeurant, la Cour a déjà jugé que l’article 25 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), dont l’interprétation fournie par la Cour vaut également, en principe, pour la disposition correspondante du règlement no 44/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland, C-406/09, Rec. p. I-9773, point 38), à savoir l’article 32 de ce règlement, ne se limite pas aux décisions qui mettent fin en tout ou en partie au litige, mais vise également les décisions avant dire droit ou qui ordonnent des mesures provisoires ou conservatoires (arrêt du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas, C-39/02, Rec. p. I-9657, point 46).

25      En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du règlement no 44/2001 doivent être interprétées de manière autonome en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2006, Reisch Montage, C-103/05, Rec. p. I-6827, point 29; du 23 avril 2009, Draka NK Cables e.a., C-167/08, Rec. p. I-3477, point 19, et du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C-189/08, Rec. p. I-6917, point 17).

26      Or, l’un des objectifs du règlement no 44/2001, tel qu’il ressort de son considérant 2, est de «simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres» liés par ce règlement, ce qui plaide également en faveur d’une interprétation de la notion de «décision» qui ne tienne pas compte de la qualification par le droit d’un État membre d’un acte adopté par une juridiction nationale, que ce soit celui de l’État membre d’origine ou celui de l’État membre requis. En effet, une interprétation de cette notion fondée sur les particularités de chaque droit national constituerait une entrave importante à la réalisation de cet objectif.

27      Par ailleurs, le considérant 6 du règlement no 44/2001 fait état de «l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale». Un tel objectif est de nature à corroborer la nécessité d’une interprétation de la notion de «décision» au sens de l’article 32 du règlement no 44/2001 qui inclut des décisions par lesquelles une juridiction d’un État membre décline sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction. En effet, l’absence de reconnaissance de telles décisions pourrait porter gravement atteinte à la libre circulation des décisions juridictionnelles.

28      Quant au système institué par le règlement no 44/2001, les considérants 16 et 17 de ce dernier soulignent l’importance du principe de la confiance réciproque entre les juridictions des États membres en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions juridictionnelles, ce qui suppose aussi que ladite notion ne soit pas interprétée de manière restrictive, afin d’éviter, notamment, des différends quant à l’existence d’une «décision».

29      En effet, il serait porté atteinte à cette confiance réciproque si une juridiction d’un État membre pouvait refuser de reconnaître une décision par laquelle une juridiction d’un autre État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction. Admettre qu’une juridiction d’un État membre puisse refuser de reconnaître une telle décision irait à l’encontre du système institué par le règlement no 44/2001, car un tel refus serait susceptible de compromettre le fonctionnement efficace des règles énoncées au chapitre II de ce règlement, relatives à la répartition de compétence entre les juridictions des États membres.

30      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 49 et 50 de ses conclusions, les dispositions des articles 33 à 35 du règlement no 44/2001 vont également à l’encontre d’une interprétation restrictive de la notion de «décision» au sens de l’article 32 de celui-ci. En effet, l’article 33 énonce le principe selon lequel les décisions doivent être reconnues, alors que les articles 34 et 35 prévoient des exceptions à ce principe, lesquelles doivent donc être interprétées de manière stricte. Au demeurant, l’article 35, paragraphe 3, dispose qu’il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine et que le critère de l’ordre public ne peut être appliqué aux règles de compétence.

31      Il y a lieu de relever qu’une interprétation restrictive de la notion de décision aurait pour conséquence de créer une catégorie d’actes adoptés par des juridictions, ne figurant pas au nombre des exceptions limitativement énumérées aux articles 34 et 35 du règlement no 44/2001, qui ne pourraient être qualifiés de «décisions» au sens dudit article 32 et que les juridictions des autres États membres ne seraient donc pas tenues de reconnaître. Force est de constater que l’existence d’une telle catégorie d’actes, comprenant notamment ceux par lesquels une juridiction d’un autre État membre déclinerait sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction, serait incompatible avec le système établi aux articles 33 à 35 du règlement no 44/2001, qui favorise la reconnaissance sans entraves des décisions de justice et exclut le contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine par celles de l’État membre requis.

32      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 32 du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il vise également une décision par laquelle la juridiction d’un État membre décline sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction, indépendamment de la qualification d’une telle décision par le droit d’un autre État membre.

 Sur la troisième question

33      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 32 et 33 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que la juridiction devant laquelle est invoquée la reconnaissance d’une décision par laquelle la juridiction d’un autre État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction est liée par la constatation relative à la validité de cette clause, qui figure dans les motifs d’un jugement devenu définitif déclarant l’action irrecevable.

34      Ainsi que la Cour l’a rappelé, en citant le rapport sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, élaboré par M. Jenard (JO 1979, C 59, p. 1), la reconnaissance doit «avoir pour effet d’attribuer aux décisions l’autorité et l’efficacité dont elles jouissent dans l’État où elles ont été rendues» (arrêt Hoffmann, précité, point 10). Dès lors, une décision étrangère reconnue en vertu de l’article 33 du règlement no 44/2001 doit déployer, en principe, dans l’État requis, les mêmes effets que ceux qu’elle a dans l’État d’origine (voir, en ce sens, arrêt Hoffmann, précité, point 11).

35      En outre, ainsi que cela a été rappelé au point 28 du présent arrêt, le principe de confiance réciproque entre les juridictions sous-tend le système établi par le règlement no 44/2001. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, un degré élevé de confiance mutuelle s’impose à plus forte raison lorsque les juridictions des États membres sont appelées à appliquer des règles communes de compétence. Dans cette mesure, ces règles ainsi que celles relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions de justice, figurant dans ce règlement, ne constituent pas des ensembles distincts et autonomes, mais sont étroitement liées (arrêt du 21 juin 2012, Wolf Naturprodukte, C-514/10, point 25). C’est un tel lien qui, d’une part, justifie le mécanisme simplifié de reconnaissance et d’exécution, énoncé à l’article 33, paragraphe 1, dudit règlement, selon lequel les décisions rendues dans un État membre sont, en principe, reconnues dans les autres États membres, et, d’autre part, conduit, en application de l’article 35, paragraphe 3, du même règlement, à l’absence de contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine (voir, en ce sens, avis 1/03, du 7 février 2006, Rec. p. I-1145, point 163).

36      Certes, dans l’affaire au principal, l’article 23 du règlement no 44/2001, relatif aux prorogations conventionnelles de compétence, ne saurait trouver à s’appliquer puisque la clause attributive de juridiction en cause attribue la compétence aux juridictions de la République d’Islande qui n’est pas un État membre. Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 76 de ses conclusions, la convention de Lugano, à laquelle est partie la République d’Islande, comporte, à son article 23, une disposition équivalente à celle de l’article 23 de ce règlement. Dans la mesure où une juridiction de l’État membre d’origine a constaté la validité d’une telle clause attributive de juridiction, dans le cadre de l’examen de sa propre compétence, il serait dès lors contraire au principe de la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union européenne qu’une juridiction de l’État membre requis examine de nouveau cette même question de validité.

37      Par ailleurs, il ressort de l’article 36 du règlement no 44/2001 que la décision de la juridiction de l’État membre d’origine ne peut «[e]n aucun cas […] faire l’objet d’une révision au fond», conformément audit principe de confiance réciproque. En effet, selon le rapport élaboré par M. Jenard (p. 46), «[l]’absence de révision quant au fond implique une entière confiance dans la juridiction de l’État d’origine; cette confiance quant au bien-fondé de la décision doit normalement s’étendre à l’application que le juge a faite des règles de compétence [harmonisées]».

38      Admettre que la juridiction de l’État membre requis puisse considérer comme nulle la clause attributive de compétence que la juridiction de l’État membre d’origine a reconnue comme valable irait à l’encontre de cette prohibition d’une révision de la décision au fond, notamment dans des circonstances où cette dernière juridiction aurait été susceptible de juger qu’elle était compétente en l’absence de cette clause. En effet, dans cette dernière hypothèse, une telle constatation de la part de la juridiction de l’État membre requis remettrait en cause non seulement la conclusion intermédiaire de la juridiction de l’État membre d’origine quant à la validité de la clause attributive de juridiction, mais également la décision de cette juridiction écartant sa propre compétence en tant que telle.

39      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 82 de ses conclusions, l’exclusion du contrôle de la compétence de la juridiction de l’État membre d’origine implique corrélativement une restriction à l’égard de la juridiction de l’État membre requis quant à la possibilité de vérifier sa propre compétence dans la mesure où cette dernière est liée par ce qui a été décidé par la juridiction de l’État membre d’origine. L’exigence d’uniformité dans l’application du droit de l’Union requiert que l’étendue précise de cette restriction soit définie au niveau de l’Union plutôt que de dépendre des différentes règles nationales relatives à l’autorité de la chose jugée.

40      Or, la notion d’autorité de la chose jugée dans le droit de l’Union ne s’attache pas qu’au dispositif de la décision juridictionnelle en cause, mais s’étend aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et sont, de ce fait, indissociables de ce dernier [voir, notamment, arrêts du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C-442/03 P et C-471/03 P, Rec. p. I-4845, point 44, ainsi que du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C-221/10 P, point 87]. Compte tenu du fait, relevé au point 35 du présent arrêt, que les règles communes de compétence appliquées par les juridictions des États membres trouvent leur source dans le droit de l’Union, plus particulièrement dans le règlement no 44/2001, et de l’exigence d’uniformité rappelée au point 39 du même arrêt, la notion d’autorité de la chose jugée du droit de l’Union est pertinente pour déterminer les effets que produit une décision par laquelle la juridiction d’un État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction.

41      Ainsi, une décision par laquelle la juridiction d’un État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction, au motif que cette clause est valide, lie les juridictions des autres États membres tant en ce qui concerne la décision d’incompétence de cette juridiction, contenue dans le dispositif de sa décision, qu’en ce qui concerne la constatation relative à la validité de cette clause, contenue dans les motifs de cette décision, qui constituent le soutien nécessaire de ce dispositif.

42      Par ailleurs, cette solution n’est pas remise en cause par l’argumentation invoquée par la République fédérale d’Allemagne, notamment sur le fondement du point 66 de l’arrêt du 28 avril 2009, Apostolides (C-420/07, Rec. p. I-3571), aux termes duquel il n’y a aucune raison d’accorder à un jugement, lors de son exécution, des droits qui ne lui appartiennent pas dans le droit national des État membres en cause. En effet, la reconnaissance des décisions des juridictions des États membres déclinant leur compétence en vertu du règlement no 44/2001, qui sont prises, ainsi que cela a été relevé au point 35 du présent arrêt, en application de règles communes de compétence prévues par le droit de l’Union, obéit à un régime propre, tel que décrit aux points 39 à 41 de cet arrêt.

43      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la troisième question que les articles 32 et 33 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que la juridiction devant laquelle est invoquée la reconnaissance d’une décision par laquelle la juridiction d’un autre État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction est liée par la constatation relative à la validité de cette clause, qui figure dans les motifs d’un jugement devenu définitif déclarant l’action irrecevable.

 

 Sur les dépens

 

44      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 32 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il vise également une décision par laquelle la juridiction d’un État membre décline sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction, indépendamment de la qualification d’une telle décision par le droit d’un autre État membre.

2)      Les articles 32 et 33 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que la juridiction devant laquelle est invoquée la reconnaissance d’une décision par laquelle la juridiction d’un autre État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction est liée par la constatation relative à la validité de cette clause, qui figure dans les motifs d’un jugement devenu définitif déclarant l’action irrecevable.

Signatures


Langue de procédure: l’allemand.

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