ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
21 février 2013
ProRail BV contre Xpedys NV et autres
«Règlement (CE) no 1206/2001 – Coopération dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale – Exécution directe de l’acte d’instruction – Désignation d’un expert – Mission effectuée partiellement sur le territoire de l’État membre de la juridiction de renvoi et partiellement sur le territoire d’un autre État membre»
Dans l’affaire C-332/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hof van Cassatie (Belgique), par décision du 27 mai 2011, parvenue à la Cour le 30 juin 2011, dans la procédure
ProRail BV
contre
Xpedys NV,
FAG Kugelfischer GmbH,
DB Schenker Rail Nederland NV,
Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen NV,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič (rapporteur), J.-J. Kasel et Mme M. Berger, juges,
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour ProRail BV, par Me S. Van Moorleghem, advocaat,
– pour Xpedys NV, DB Schenker Rail Nederland NV et Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen NV, par Me M. Godfroid, advocaat,
– pour le gouvernement belge, par MM. J.-C. Halleux et T. Materne, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par Mme K. Petersen, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement suisse, par M. D. Klingele, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mme A.-M. Rouchaud-Joët et M. R. Troosters, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2012,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 1206/2001 du Conseil, du 28 mai 2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (JO L 174, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ProRail BV (ci-après «ProRail»), à Xpedys NV (ci-après «Xpedys»), à FAG Kugelfischer GmbH (ci-après «FAG»), à DB Schenker Rail Nederland NV (ci-après «DB Schenker») et à Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen NV (ci-après la «SNCB»), à la suite d’un accident de train en provenance de Belgique et à destination des Pays-Bas.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) no 1206/2001
3 Selon le considérant 2 du règlement no 1206/2001, «[l]e bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer, et en particulier de simplifier et d’accélérer, la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention de preuves».
4 Aux termes des considérants 6 et 7 de ce règlement:
«(6) Jusqu’à présent, aucun acte juridique contraignant n’est en vigueur entre tous les États membres dans le domaine de l’obtention de preuves. La convention de La Haye du 18 mars 1970, sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale n’est en vigueur qu’entre onze États membres de l’Union européenne.
(7) Étant donné que, en matière civile et commerciale, pour statuer sur une affaire engagée devant une juridiction d’un État membre, il est souvent nécessaire de procéder à des actes d’instruction dans un autre État membre, l’action de la Communauté ne peut se limiter au domaine de la transmission des actes judiciaires et extrajudiciaires [...]. Il est donc nécessaire de continuer à améliorer la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention de preuves.»
5 Le considérant 15 dudit règlement est ainsi libellé:
«Afin de faciliter l’obtention des preuves, il importe qu’une juridiction d’un État membre puisse, conformément au droit de l’État membre dont elle relève, procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre, si ce dernier l’accepte, et dans les conditions définies par l’organisme central ou l’autorité compétents de l’État membre requis.»
6 L’article 1er du règlement no 1206/2001, intitulé «Champ d’application», dispose:
«1. Le présent règlement est applicable en matière civile ou commerciale, lorsqu’une juridiction d’un État membre, conformément aux dispositions de sa législation, demande:
a) à la juridiction compétente d’un autre État membre de procéder à un acte d’instruction ou
b) à procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre.
2. La demande ne doit pas viser à obtenir des moyens de preuve qui ne sont pas destinés à être utilisés dans une procédure judiciaire qui est engagée ou envisagée.
3. Dans le présent règlement, les termes ‘État membre’ désignent les États membres à l’exception du Danemark.»
7 Aux termes de l’article 3 du règlement no 1206/2001, intitulé «Organisme central»:
«1. Chaque État membre désigne un organisme central chargé:
a) de fournir des informations aux juridictions;
b) de rechercher des solutions aux difficultés qui peuvent se présenter à l’occasion d’une demande;
c) de faire parvenir, dans des cas exceptionnels, à la requête d’une juridiction requérante, une demande à la juridiction compétente.
2. Les États fédéraux, les États dans lesquels plusieurs systèmes juridiques sont en vigueur et les États ayant des unités territoriales autonomes ont la faculté de désigner plusieurs organismes centraux.
3. Chaque État membre charge également l’organisme central visé au paragraphe 1 de statuer sur les demandes relevant de l’article 17, ou désigne à cette fin une ou plusieurs autorités compétentes.»
8 Sous le chapitre II de ce règlement, relatif à la transmission et à l’exécution des demandes de procéder à un acte d’instruction, figure une section 3, intitulée «Exécution de l’acte d’instruction par la juridiction requise», composée des articles 10 à 16 dudit règlement.
9 L’article 10 du règlement no 1206/2001, intitulé «Dispositions générales relatives à l’exécution de la demande», dispose:
«1. La juridiction requise exécute la demande sans tarder et, au plus tard, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la demande.
2. La juridiction requise exécute la demande conformément au droit de l’État membre dont cette juridiction relève.
[...]»
10 L’article 17, qui régit l’exécution directe de l’acte d’instruction par la juridiction requérante, prévoit:
«1. Lorsqu’une juridiction souhaite procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre, elle présente une demande à l’organisme central ou à l’autorité compétente de cet État, visés à l’article 3, paragraphe 3 […].
2. L’exécution directe de l’acte d’instruction n’est possible que si elle peut avoir lieu sur une base volontaire, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des mesures coercitives.
Lorsque, dans le cadre de l’exécution directe d’un acte d’instruction, une personne est entendue, la juridiction requérante informe cette personne que l’acte sera exécuté sur une base volontaire.
3. L’acte d’instruction est exécuté par un magistrat ou par toute autre personne, par exemple un expert, désignés conformément au droit de l’État membre dont relève la juridiction requérante.
4. Dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, l’organisme central ou l’autorité compétente de l’État membre requis indiquent à la juridiction requérante […] s’il est déféré à cette demande et, le cas échéant, dans quelles conditions, conformément à la loi de l’État membre dont ils relèvent, l’acte doit être exécuté.
En particulier, l’organisme central ou l’autorité compétente peuvent charger une juridiction de l’État membre dont ils relèvent de participer à l’exécution de l’acte d’instruction afin de veiller à la bonne application du présent article et des conditions qui ont été fixées.
L’organisme central ou l’autorité compétente encouragent le recours aux technologies de communication, telles que la vidéoconférence et la téléconférence.
5. L’organisme central ou l’autorité compétente ne peuvent refuser l’exécution directe de la mesure d’instruction que si:
a) la demande sort du champ d’application du présent règlement tel que défini à l’article 1er, ou
b) la demande ne contient pas toutes les informations nécessaires en vertu de l’article 4, ou
c) l’exécution directe demandée est contraire aux principes fondamentaux du droit de l’État membre dont ils relèvent.
6. Sous réserve des conditions fixées conformément au paragraphe 4, la juridiction requérante exécute la demande conformément au droit de l’État membre dont elle relève.»
11 L’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1206/2001, qui régit la relation avec des accords ou arrangements auxquels les États membres sont ou seront parties, dispose:
«Le présent règlement ne fait pas obstacle au maintien ou à la conclusion par les États membres d’accords ou d’arrangements entre deux ou plusieurs d’entre eux visant à faciliter davantage l’obtention de preuves, pour autant qu’ils soient compatibles avec le présent règlement.»
Le règlement (CE) n° 44/2001
12 L’article 31 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 12, p. 1), dispose:
«Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.»
13 Sous le chapitre III du règlement no 44/2001, intitulé «Reconnaissance et exécution», figure l’article 32, qui prévoit:
«On entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès.»
14 Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement:
«Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
15 Le 22 novembre 2008, un train de marchandises en provenance de Belgique et à destination des Pays-Bas a déraillé à Amsterdam (Pays-Bas).
16 À la suite de cet accident, des procédures judiciaires ont été engagées tant devant les juridictions belges que devant les juridictions néerlandaises. La procédure devant ces dernières juridictions, qui ont été saisies au fond par ProRail, afin d’obtenir le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le réseau ferroviaire néerlandais, ne fait pas l’objet de la présente affaire.
17 Le litige au principal, dont les juridictions belges ont été saisies en référé, oppose ProRail à quatre autres sociétés ayant un rapport avec l’accident susmentionné, à savoir Xpedys, FAG, DB Schenker et la SNCB.
18 ProRail, société ayant son siège à Utrecht (Pays-Bas), assure la gestion des principales voies ferrées aux Pays-Bas et passe des contrats d’accès avec des entreprises de transport ferroviaire, notamment avec DB Schenker.
19 DB Schenker, ayant son siège également à Utrecht, est un transporteur ferroviaire privé dont le parc ferroviaire se compose de wagons ayant été initialement pris en location, en 2001, auprès de la SNCB, société dont le siège est situé à Bruxelles (Belgique).
20 Xpedys, dont le siège est situé également à Bruxelles, a repris, selon DB Schenker et la SNCB, la qualité de bailleur de ces wagons à partir du 1er mai 2008.
21 FAG, ayant son siège à Schweinfurt (Allemagne), est un constructeur de pièces de wagon telles que des essieux, des boîtes d’essieu, des barillets d’essieu et des cages de palier d’essieu.
22 Après l’accident, à savoir, le 11 février 2009, DB Schenker a assigné en référé devant le président du rechtbank van koophandel te Brussel (tribunal de commerce de Bruxelles), Xpedys et la SNCB en leur qualité de bailleurs d’une partie des wagons impliqués dans ledit accident, en vue d’obtenir la désignation d’un expert. ProRail et FAG sont intervenues à la procédure. Au cours de cette dernière, ProRail a demandé à la juridiction saisie de déclarer la demande de désignation d’un expert non fondée ou, dans l’hypothèse où un expert serait néanmoins désigné, de limiter sa mission à la constatation de l’avarie subie par les wagons, de ne pas ordonner l’expertise portant sur l’ensemble du réseau ferroviaire néerlandais et d’ordonner qu’il effectue sa mission conformément aux dispositions du règlement no 1206/2001.
23 Par ordonnance du 5 mai 2009, le président du rechtbank van koophandel te Brussel a déclaré fondé la demande en référé de DB Schenker. Il a désigné un expert et défini la mission de ce dernier, laquelle devait être effectuée en majeure partie aux Pays-Bas. Dans le cadre de cette expertise, l’expert devait se rendre sur le lieu de l’accident aux Pays-Bas ainsi qu’à tous les endroits où il pouvait effectuer des constatations utiles, afin de déterminer les causes de l’accident, les avaries subies par les wagons et l’étendue des dommages. En outre, il a été appelé à identifier le fabricant de certains éléments techniques des wagons et à se prononcer sur l’état de ces éléments, ainsi que sur le mode de chargement des wagons et la charge effective par essieu. Enfin, l’expert devait examiner le réseau et l’infrastructure ferroviaires gérés par ProRail et se prononcer sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, cette infrastructure pouvait également avoir été à l’origine de l’accident.
24 ProRail a interjeté appel de ladite ordonnance devant le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles), en demandant, à titre principal, que la désignation d’un expert soit jugée non fondée et, à titre subsidiaire, que la mission de l’expert belge soit limitée à la constatation du dommage subi par les wagons, dans la mesure où cette mission pouvait être effectuée en Belgique, qu’aucune expertise du réseau et de l’infrastructure ferroviaires néerlandais ni aucun décompte entre les parties ne soient autorisés ou, dans l’hypothèse où la désignation de l’expert est maintenue, que sa mission aux Pays-Bas s’effectue conformément à la procédure prévue par le règlement no 1206/2001.
25 Le hof van beroep te Brussel ayant rejeté l’appel comme non fondé, ProRail s’est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi, en invoquant la méconnaissance, d’une part, des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 et, d’autre part, de l’article 31 du règlement no 44/2001.
26 La juridiction de renvoi se demande si, lorsqu’une juridiction d’un État membre souhaite procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre, tel qu’une expertise judiciaire, une autorisation préalable en vertu des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 doit être demandée auprès des autorités de ce dernier État. Elle s’interroge également sur la pertinence, pour l’affaire pendante devant elle, de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, selon lequel les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.
27 Dans ces conditions, le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les articles 1er et 17 du [règlement no 1206/2001] doivent-ils, eu égard notamment à la réglementation européenne concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale ainsi qu’au principe suivant lequel les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans autre forme de procès, principe énoncé à l’article 33, paragraphe 1, du [règlement no 44/2001], être interprétés en ce sens que le juge qui ordonne une enquête judiciaire confiée à un expert dont la mission doit être exécutée en partie sur le territoire de l’État membre auquel appartient le juge, mais également en partie dans un autre État membre doit, pour l’exécution directe de cette dernière partie, uniquement et donc exclusivement faire usage de la procédure instituée par le règlement [no 1206/2001] et visée à l’article 17 [de celui-ci] ou bien doivent-ils être interprétés en ce sens que l’expert désigné par cet État peut également être, en dehors des dispositions du règlement [no 1206/2001], chargé d’une enquête qui doit être réalisée partiellement dans un autre État membre de l’Union européenne?»
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
28 Xpedys, DB Schenker et la SNCB soutiennent que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, au motif qu’elle présenterait un caractère purement hypothétique et serait dénuée de pertinence aux fins de la solution du litige au principal, dès lors que le règlement no 1206/2001 ne serait pas applicable à ce litige.
29 Ils font valoir, d’abord, que l’initiative de l’expertise transfrontalière a été prise par l’une des parties au litige au principal, et non par une juridiction, comme l’exigeraient les articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001. Ensuite, l’article 17 de ce règlement, lu à la lumière du considérant 7 de ce dernier, s’appliquerait uniquement lorsque la juridiction nationale est saisie au fond, ce qui n’est pas le cas dans ce litige. Ils estiment, en outre, que l’expertise transfrontalière ne saurait être considérée comme l’exercice d’un acte de puissance publique d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre. Enfin, l’application du règlement no 1206/2001 dans le cadre dudit litige aurait prolongé la durée de la procédure, ce qui serait contraire aux objectifs dudit règlement, à savoir la simplification et l’accélération de l’obtention de preuves.
30 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 12 avril 2005, Keller, C-145/03, Rec. p. I-2529, point 33; du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C-11/07, Rec. p. I-6845, points 27 et 32, ainsi que du 25 octobre 2012, Rintisch, C-553/11, point 15).
31 Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C-618/10, point 77, et Rintisch, précité, point 16).
32 Or, il y a lieu de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce.
33 En effet, il ressort clairement de la demande de décision préjudicielle que l’interprétation des articles 1er et 17 du règlement no 1206/2001 est nécessaire à la solution du litige au principal, le pourvoi en cassation formé devant le Hof van Cassatie étant fondé sur la violation de ces articles. Ainsi, l’interprétation par la Cour desdits articles permettra à la juridiction de renvoi de savoir si celles-ci s’opposent à ce que l’expertise en cause au principal, devant être effectuée en partie dans un autre État membre, soit ordonnée sans avoir recours audit règlement.
34 En ce qui concerne, plus particulièrement, l’argument selon lequel l’affaire en cause au principal ne relèverait pas du champ d’application du règlement no 1206/2001, étant donné que l’acte d’instruction a été ordonné non pas d’office, mais sur l’initiative de l’une des parties, il y a lieu de souligner qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement que celui-ci est applicable dès qu’une juridiction d’un État membre demande soit à une juridiction d’un autre État membre de procéder à un acte d’instruction, soit à procéder directement à un tel acte dans un autre État membre, peu importe à cet égard que l’initiative soit prise par une partie ou par la juridiction elle-même.
35 Ensuite, s’agissant de l’argument selon lequel il serait impossible d’appliquer le règlement no 1206/2001 dans le cadre d’une procédure en référé, il convient de constater que, selon l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement, la demande d’un acte d’instruction doit viser à obtenir des moyens de preuve qui sont destinés à être utilisés dans une procédure judiciaire qui est engagée ou envisagée. Partant, ledit règlement s’applique non seulement dans le cadre d’une procédure au fond, mais également lors d’une procédure de référé.
36 Enfin, quant aux affirmations selon lesquelles un expert, tel que celui en cause au principal, n’exercerait pas d’actes de puissance publique et que l’application du règlement no 1206/2001 dans le cadre de la procédure en cause aurait prolongé la durée de cette dernière, il convient de constater, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 32 de ses conclusions, que ces affirmations relèvent du fond de la présente affaire et ne sont donc pas de nature à affecter la recevabilité de celle-ci.
37 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.
Sur le fond
38 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 17 du règlement no 1206/2001, lus à la lumière de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, doivent être interprétés en ce sens que la juridiction d’un État membre, qui souhaite qu’un acte d’instruction confié à un expert soit effectué sur le territoire d’un autre État membre, est tenue de recourir au moyen d’obtention des preuves prévu par ces dispositions du règlement no 1206/2001, afin de pouvoir ordonner cet acte d’instruction.
39 À titre liminaire, il convient de constater que l’article 33 du règlement no 44/2001 n’est pas susceptible d’avoir une incidence sur la réponse à apporter à la question préjudicielle, étant donné que celle-ci porte sur l’obtention des preuves situées dans un autre État membre et non pas sur la reconnaissance par un État membre d’une décision rendue dans un autre État membre. Partant, il convient, afin de répondre à cette question, de se limiter à l’interprétation des articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 17 du règlement no 1206/2001.
40 Il y a lieu de relever que, selon l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1206/2001, ce dernier est applicable en matière civile ou commerciale, lorsqu’une juridiction d’un État membre, conformément aux dispositions de sa législation, demande à procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre.
41 Les conditions d’une telle exécution directe d’un acte d’instruction sont régies par l’article 17 de ce règlement. En application des paragraphes 1 et 4 de cet article, un tel acte peut être effectué directement dans l’État membre requis avec l’autorisation préalable de l’organisme central ou l’autorité compétente de cet État. Selon le paragraphe 3 dudit article, cet acte d’instruction est exécuté par un magistrat ou par toute autre personne, par exemple un expert, désigné conformément au droit de l’État membre dont relève la juridiction requérante.
42 À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’abord, que le règlement no 1206/2001 n’est applicable, en principe, que dans l’hypothèse où la juridiction d’un État membre décide de procéder à l’obtention des preuves selon l’un des moyens prévus par ce règlement, cas dans lequel elle est tenue de suivre les procédures afférentes à ces moyens (arrêt du 6 septembre 2012, Lippens e.a., C-170/11, point 28).
43 Ensuite, il importe de souligner que, selon les considérants 2, 7, 8, 10 et 11 du règlement no 1206/2001, celui-ci a pour finalité l’obtention simple, efficace et rapide des preuves dans un contexte transfrontalier. L’obtention, par une juridiction d’un État membre, de preuves dans un autre État membre ne doit pas conduire à un allongement de la durée des procédures nationales. C’est pourquoi ledit règlement a instauré un régime qui s’impose à tous les États membres, à l’exception du Royaume de Danemark, pour écarter les obstacles susceptibles d’apparaître dans ce domaine (voir arrêt du 17 février 2011, Weryński, C-283/09, Rec. p. I-601, point 62, ainsi que Lippens e.a., précité, point 29).
44 En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 62 de ses conclusions, ce règlement ne restreint pas les possibilités d’obtention des preuves situées dans d’autres États membres, mais vise à renforcer ces possibilités, en favorisant la coopération entre les juridictions dans ce domaine.
45 Or, ne répond pas à ces objectifs une interprétation des articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 17 du règlement no 1206/2001 selon laquelle la juridiction d’un État membre serait obligée, pour toute expertise devant être effectuée directement dans un autre État membre, de procéder selon le moyen d’obtention des preuves prévu par ces articles. En effet, dans certaines circonstances, il pourrait s’avérer plus simple, plus efficace et plus rapide, pour la juridiction ordonnant une telle expertise, de procéder à une telle obtention des preuves sans avoir recours audit règlement.
46 Enfin, l’interprétation selon laquelle le règlement no 1206/2001 ne régit pas l’obtention transfrontalière des preuves d’une manière exhaustive, mais vise uniquement à faciliter une telle obtention, permettant le recours à d’autres instruments ayant le même objectif, est corroborée par l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1206/2001, qui autorise expressément des accords ou des arrangements entre les États membres visant à faciliter davantage l’obtention de preuves, pour autant qu’ils sont compatibles avec ce règlement (arrêt Lippens e.a., précité, point 33).
47 Il convient toutefois de préciser que, dans la mesure où l’expert désigné par une juridiction d’un État membre doit se rendre sur le territoire d’un autre État membre afin d’effectuer l’expertise qui lui a été confiée, celle-ci pourrait, dans certaines circonstances, affecter l’autorité publique de l’État membre dans lequel elle doit avoir lieu, notamment lorsqu’il s’agit d’une expertise effectuée dans des endroits liés à l’exercice d’une telle autorité ou dans des lieux auxquels l’accès ou d’autre intervention sont, en vertu du droit de l’État membre dans lequel elle est effectuée, interdits ou ne sont permis qu’aux personnes autorisées.
48 Dans de telles circonstances, à moins que la juridiction souhaitant ordonner une expertise transfrontalière ne renonce à l’obtention de ladite preuve et à défaut d’un accord ou d’un arrangement entre les États membres au sens de l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1206/2001, le moyen d’obtention des preuves prévu aux articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 17 dudit règlement est le seul à permettre à la juridiction d’un État membre d’effectuer une expertise directement dans un autre État membre.
49 Il résulte de ce qui précède qu’une juridiction nationale souhaitant ordonner une expertise qui doit être effectuée sur le territoire d’un autre État membre n’est pas nécessairement tenue de recourir au moyen d’obtention des preuves prévu aux articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 17 du règlement no 1206/2001.
50 Une telle interprétation ne saurait être remise en cause par les arguments tirés de la genèse de ce règlement, et notamment par la circonstance que, dans ledit règlement, n’a pas été reprise la proposition d’une disposition prévoyant expressément, dans le cas d’une expertise transfrontalière, la possibilité de la désignation directe d’un expert par la juridiction d’un État membre sans autorisation ou information préalable de l’autre État membre.
51 En effet, cette disposition doit être comprise dans le contexte de la proposition initiale du règlement no 1206/2001 qui ne prévoyait qu’un seul moyen d’obtention des preuves, à savoir l’exécution d’un acte d’instruction par la juridiction requise d’un autre État membre. Ladite disposition, ne permettant pas qu’une expertise soit effectuée par la juridiction d’un autre État membre, représentait ainsi une exception à ce moyen d’obtention des preuves unique. Or, la circonstance qu’une telle disposition ne figure pas dans le règlement no 1206/2001 n’implique pas pour autant qu’une juridiction nationale ordonnant une expertise transfrontalière soit systématiquement tenue de recourir aux moyens d’obtention des preuves prévus par ce règlement.
52 Contrairement à ce que prétend ProRail, cette interprétation n’est également pas remise en cause par la constatation de la Cour au point 23 de l’arrêt du 28 avril 2005, St. Paul Dairy (C-104/03, Rec. p. I-3481), selon laquelle une demande d’audition d’un témoin dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt pourrait être utilisée comme un moyen d’échapper aux règles du règlement no 1206/2001 régissant, sous les mêmes garanties et avec les mêmes effets pour tous les justiciables, la transmission et le traitement de demandes formulées par une juridiction d’un État membre et visant à faire procéder à un acte d’instruction dans un autre État membre.
53 Comme la Cour l’a déjà jugé, cette constatation doit être comprise à la lumière des circonstances ayant donné lieu audit arrêt, dans lesquelles une demande d’audition provisoire d’un témoin, adressée directement à la juridiction de l’État membre de la résidence du témoin, laquelle n’était cependant pas compétente pour connaître de l’affaire au fond, pourrait effectivement être utilisée comme un moyen d’échapper aux règles du règlement no 1206/2001, en ce qu’elle est susceptible de priver la juridiction compétente, à laquelle cette demande devrait être adressée, de la possibilité de procéder à l’audition dudit témoin selon les règles prévues par ledit règlement (voir arrêt Lippens e.a., précité, point 36). Or, les circonstances de la présente affaire se distinguent de celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt St. Paul Dairy, précité, dans la mesure où la preuve devant être obtenue se situe, en majeure partie, dans un État membre autre que celui de la juridiction saisie, de sorte que cette dernière a la possibilité d’appliquer le règlement no 1206/2001.
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 17 du règlement no 1206/2001 doivent être interprétés en ce sens que la juridiction d’un État membre, qui souhaite qu’un acte d’instruction confié à un expert soit effectué sur le territoire d’un autre État membre, n’est pas nécessairement tenue de recourir au moyen d’obtention des preuves prévu par ces dispositions afin de pouvoir ordonner cet acte d’instruction.
Sur les dépens
55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
Les articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 17 du règlement (CE) no 1206/2001 du Conseil, du 28 mai 2001, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale, doivent être interprétés en ce sens que la juridiction d’un État membre, qui souhaite qu’un acte d’instruction confié à un expert soit effectué sur le territoire d’un autre État membre, n’est pas nécessairement tenue de recourir au moyen d’obtention des preuves prévu par ces dispositions afin de pouvoir ordonner cet acte d’instruction.
Signatures
Langue de procédure: le néerlandais.