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CJUE, 5 juin 2014, aff. C‑360/12, Coty Germany GmbH c/ First Note Perfumes NV.

 

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

5 juin 2014

Coty Germany GmbH contre First Note Perfumes NV.

 

«Coopération judiciaire en matière civile – Règlements (CE) nos 40/94 et 44/2001 – Marque communautaire – Article 93, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 40/94 – Compétence internationale en matière de contrefaçon – Détermination du lieu où le fait dommageable s’est produit – Participation transfrontalière de plusieurs personnes à un même acte illicite»

Dans l’affaire C‑360/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 28 juin 2012, parvenue à la Cour le 31 juillet 2012, dans la procédure

Coty Germany GmbH, anciennement Coty Prestige Lancaster Group GmbH,

contre

First Note Perfumes NV,

 

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), J. Malenovský et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour Coty Germany GmbH, anciennement Coty Prestige Lancaster Group GmbH, par Mes K. Schmidt-Hern et U. Hildebrandt, Rechtsanwälte,

–        pour First Note Perfumes NV, par Me M. Dinnes, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par Mmes F. Wannek et J. Kemper ainsi que par M. T. Henze, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. A. Robinson, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suisse, par M.       D. Klingele, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. F. Bulst et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 novembre 2013,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 93, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), et de l’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Coty Germany GmbH (ci-après «Coty Germany»), anciennement Coty Prestige Lancaster Group GmbH, à First Note Perfumes NV (ci-après «First Note») au sujet d’une allégation d’atteinte à une marque communautaire et de violation de la loi relative à répression de la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb), du fait de la vente, en Belgique, de produits contrefaits à un entrepreneur allemand qui les a revendus en Allemagne.

 

 Le cadre juridique

 

 Le règlement n° 40/94

3        Le quinzième considérant du règlement n° 40/94 énonce:

«considérant qu’il est indispensable que les décisions sur la validité et la contrefaçon des marques communautaires produisent effet et s’étendent à l’ensemble de la Communauté, seul moyen d’éviter des décisions contradictoires des tribunaux et de l’Office [de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI)], et des atteintes au caractère unitaire des marques communautaires; que ce sont les règles de la convention [du 27 septembre 1968] concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la «convention de Bruxelles»] qui s’appliquent à toutes les actions en justice relatives aux marques communautaires, sauf si le présent règlement y déroge».

4        L’article 9 du même règlement, intitulé «Droit conféré par la marque communautaire», prévoit à ses paragraphes 1 et 3:

«1.            La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires:

a)      d’un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

c)      d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans la Communauté et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice.

[...]

3.      Le droit conféré par la marque communautaire n’est opposable aux tiers qu’à compter de la publication de l’enregistrement de la marque. Toutefois, une indemnité raisonnable peut être exigée pour des faits postérieurs à la publication d’une demande de marque communautaire qui, après la publication de l’enregistrement de la marque, seraient interdits en vertu de celle-ci. Le tribunal saisi ne peut statuer au fond tant que l’enregistrement n’a pas été publié.»

5        L’article 14, paragraphe 2, dudit règlement énonce:

«Le présent règlement n’exclut pas que des actions portant sur une marque communautaire soient intentées sur la base du droit des États membres concernant notamment la responsabilité civile et la concurrence déloyale.»

6        L’article 90 du règlement n° 40/94, intitulé «Application de la convention d’exécution», est libellé comme suit:

«1.      À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les dispositions de la [convention de Bruxelles], telle que modifiée par les conventions relatives à l’adhésion à cette convention des États adhérents aux Communautés européennes, l’ensemble de cette convention et de ces conventions d’adhésion étant ci-après dénommé ‘la convention d’exécution’, sont applicables aux procédures concernant les marques communautaires et les demandes de marque communautaire ainsi qu’aux procédures concernant les actions simultanées ou successives menées sur la base de marques communautaires et de marques nationales.

2.      En ce qui concerne les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 92:

a)      l’article 2, l’article 4, l’article 5, paragraphes 1, 3, 4 et 5, et l’article 24 de la convention d’exécution ne sont pas applicables;

[...]»

7        L’article 91, paragraphe 1, dudit règlement énonce:

«Les États membres désignent sur leurs territoires un nombre aussi limité que possible de juridictions nationales de première et de deuxième instance, ci-après dénommées ‘tribunaux des marques communautaires’, chargées de remplir les fonctions qui leur sont attribuées par le présent règlement.»

8        Aux termes de l’article 92 du même règlement, intitulé «Compétence en matière de contrefaçon et de validité»:

«Les tribunaux des marques communautaires ont compétence exclusive:

a)      pour toutes les actions en contrefaçon et – si la loi nationale les admet – en menace de contrefaçon d’une marque communautaire;

b)      pour les actions en constatation de non-contrefaçon, si la loi nationale les admet;

c)      pour toutes les actions intentées à la suite de faits visés à l’article 9 paragraphe 3 deuxième phrase;

d)      pour les demandes reconventionnelles en déchéance ou en nullité de la marque communautaire visées à l’article 96.»

9        L’article 93 du règlement n° 40/94, intitulé «Compétence internationale», dispose:

«1.      Sous réserve des dispositions du présent règlement ainsi que des dispositions de la convention d’exécution applicables en vertu de l’article 90, les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 92 sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

2.      Si le défendeur n’a ni son domicile, ni un établissement sur le territoire d’un État membre, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le demandeur a son domicile ou, si ce dernier n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

3.      Si ni le défendeur, ni le demandeur ne sont ainsi domiciliés ou n’ont un tel établissement, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre dans lequel l’[OHMI] a son siège.

[...]

5.      Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 92 à l’exception des actions en déclaration de non-contrefaçon d’une marque communautaire peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis ou sur le territoire duquel un fait visé à l’article 9 paragraphe 3 deuxième phrase a été commis.»

10      L’article 94 dudit règlement, intitulé «Étendue de la compétence», prévoit à son paragraphe 2:

«Un tribunal des marques communautaires dont la compétence est fondée sur l’article 93 paragraphe 5 est compétent uniquement pour statuer sur les faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé ce tribunal.»

 Le règlement n° 44/2001

11      Il ressort du considérant 2 du règlement n° 44/2001 que celui-ci vise, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur, à mettre en œuvre «[d]es dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement […]»

12      Les considérants 11, 12 et 15 dudit règlement énoncent:

«(11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[...]

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres [...]»

13      Les règles de compétence figurent au chapitre II dudit règlement, sous les articles 2 à 31 de celui-ci.

14      Le même chapitre II, section 1, intitulée «Dispositions générales», contient l’article 2, dont le paragraphe 1 est libellé comme suit:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

15      L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, qui appartient à la même section, dispose:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

16      L’article 5, point 3, dudit règlement, qui fait partie de la section 2 du chapitre 2 de celui-ci, intitulée «Compétences spéciales», prévoit:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[...]

3)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

17      L’article 68, paragraphe 2, du même règlement énonce:

«Dans la mesure où le présent règlement remplace entre les États membres les dispositions de la convention de Bruxelles, toute référence faite à celle-ci s’entend comme faite au présent règlement.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

18      Il ressort de la décision de renvoi que Coty Germany, établie à Mayence (Allemagne), produit et distribue des parfums et des produits cosmétiques. Elle est titulaire des droits sur la marque communautaire tridimensionnelle (noir/blanc) n° 003788767 représentant un flacon, enregistrée pour des produits de parfumerie.

19      Coty Germany commercialise le parfum pour femme dénommé «Davidoff Cool Water Woman» dans un flacon en couleur comportant des inscriptions qui reproduit ladite marque communautaire.

20      First Note, une société établie à Oelegem (Belgique), a pour activité le commerce de parfums en gros. Au cours du mois de janvier de l’année 2007, elle a vendu le parfum dénommé «Blue Safe for Women» à Stefan P. Warenhandel (ci-après «Stefan P.»), dont l’établissement commercial est situé en Allemagne. Il ressort de la décision de renvoi que ce dernier a pris livraison des produits chez First Note en Belgique et les a revendus, par la suite, sur le territoire allemand.

21      Coty Germany a formé un recours contre First Note, en soutenant que la distribution, par cette dernière, dudit parfum dans un flacon analogue à celui dont la représentation fait l’objet de la marque susmentionnée constitue une contrefaçon de marque, une publicité comparative illicite et une imitation déloyale.

22      Ce recours a été rejeté tant en première instance qu’en appel. L’arrêt rendu en appel a conclu à l’absence de compétence internationale des juridictions allemandes. Coty Germany a introduit un recours en «Revision» devant le Bundesgerichtshof. Au soutien de ce recours, elle invoque la marque communautaire n° 003788767 ainsi que le fait que, dans la loi relative à la répression de la concurrence déloyale, de telles pratiques commerciales sont interdites et, à titre subsidiaire, elle se fonde, dans l’hypothèse où un tel cumul de prétentions serait exclu, en premier lieu, sur la marque communautaire et, en second lieu, sur la loi allemande relative à la répression de la concurrence déloyale.

23      C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 93, paragraphe 5, du règlement [...] n°40/94 doit-il être interprété en ce sens qu’un fait de contrefaçon a été commis dans un État membre (État membre A) au sens de [ladite disposition] en cas de participation, par un acte intervenu dans un autre État membre (État membre B), à l’atteinte aux droits de marque commise dans le premier État membre (État membre A)?

2)      L’article 5, point 3, du règlement [...] n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens que le fait dommageable s’est produit dans un État membre (État membre A) lorsque le délit faisant l’objet de la procédure ou à l’origine des prétentions soulevées a été commis dans un autre État membre (État membre B) et consiste en la participation au délit (délit principal) commis dans le premier État membre (État membre A)?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question

24      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis» figurant à l’article 93, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 doit être interprétée en ce sens que, dans le cas d’une vente et d’une livraison d’un produit contrefait opérées sur le territoire d’un État membre, suivies d’une revente par l’acquéreur sur le territoire d’un autre État membre, les juridictions de ce dernier État sont, en vertu de ladite disposition, compétentes pour connaître d’une action en contrefaçon dirigée contre le vendeur initial qui n’a pas lui-même agi dans l’État membre dont relève la juridiction saisie.

25      Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la notion de «territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis» utilisée par l’article 93, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 doit être interprétée de manière analogue à celle de «lieu où le fait dommageable s’est produit» qui figure à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001.

26      À cet égard, il convient de relever que, nonobstant le principe de l’application du règlement n° 44/2001 aux actions en justice portant sur une marque communautaire, l’application de certaines dispositions de ce règlement aux procédures résultant des actions et des demandes visées à l’article 92 du règlement n° 40/94 se trouve exclue en vertu de l’article 90, paragraphe 2, de ce dernier règlement.

27      Compte tenu de cette exclusion, la compétence des tribunaux des marques communautaires prévus à l’article 91, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 pour connaître des actions et des demandes visées à l’article 92 de celui-ci résulte des règles prévues directement par ce même règlement, lesquelles ont, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 36 de ses conclusions, le caractère d’une lex specialis par rapport aux règles énoncées par le règlement n° 44/2001.

28      Plus particulièrement, en vertu des dispositions combinées des articles 90, paragraphe 2, et 92 du règlement n° 40/94, l’application de l’article 5, paragraphe 3, de la convention de Bruxelles auquel correspond l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 aux actions en contrefaçon d’une marque communautaire se trouve expressément exclue.

29      À cet égard, il convient de relever que l’article 93 du règlement n° 40/94 prévoit plusieurs chefs de compétence internationale.

30      En particulier, l’article 93, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 instaure, notamment, une compétence au profit des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace de l’être.

31      S’agissant de l’interprétation dudit article 93, paragraphe 5, compte tenu de ce qui a été relevé aux points 27 et 28 du présent arrêt, la notion de «territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis ou menace [de l’être]», figurant à cette disposition, doit être interprétée de façon autonome par rapport à la notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire» figurant à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001.

32      Par conséquent, la dualité des points de rattachement, à savoir celui du lieu de l’événement causal et celui de la matérialisation du dommage, retenue par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 (voir arrêt Bier, 21/76, EU:C:1976:166, point 19, et, en dernier lieu, arrêt Kainz, C-45/13, EU:C:2014:7, point 23 et jurisprudence citée), ne saurait automatiquement valoir pour l’interprétation de la notion de «territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis ou menace de l’être», figurant à l’article 93, paragraphe 5, du règlement n° 40/94.

33      Afin de déterminer si l’interprétation autonome de cette dernière disposition conduit néanmoins à reconnaître une telle dualité des points de rattachement, il y a lieu, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, de tenir compte, non seulement du libellé de ladite disposition, mais également de son contexte et de ses objectifs.

34      S’agissant du libellé de l’article 93, paragraphe 5, du règlement n° 40/94, la notion de «territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis» suggère, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 31 de ses conclusions, que ce point de rattachement se rapporte à un comportement actif de l’auteur de cette contrefaçon. Dès lors, le point de rattachement prévu par cette disposition vise le territoire de l’État membre où l’événement qui est à l’origine de la contrefaçon alléguée est survenu ou risque de survenir et non le territoire de l’État membre où ladite contrefaçon produit ses effets.

35      Il convient également de relever que l’existence d’une compétence juridictionnelle au titre dudit article 93, paragraphe 5, fondée sur le lieu où la contrefaçon alléguée produit ses effets, irait à l’encontre du libellé de l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement, qui limite la compétence des tribunaux des marques communautaires au titre de cet article 93, paragraphe 5, aux faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est située la juridiction saisie.

36      Par ailleurs, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 28 et 29 de ses conclusions, tant la genèse que le contexte du règlement n° 40/94 confirment la volonté du législateur de l’Union de déroger à la règle de compétence prévue à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 compte tenu, notamment, de l’insuffisance de cette dernière règle de compétence pour répondre aux problèmes particuliers relatifs à la violation d’une marque communautaire.

37      Par conséquent, la compétence juridictionnelle au titre de l’article 93, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 peut être établie uniquement au profit des tribunaux des marques communautaires de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a commis l’acte illicite allégué.

38      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que la notion de «territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis» figurant à l’article 93, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 doit être interprétée en ce sens que, dans le cas d’une vente et d’une livraison d’un produit contrefait opérées sur le territoire d’un État membre, suivies d’une revente par l’acquéreur sur le territoire d’un autre État membre, cette disposition ne permet pas d’établir une compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en contrefaçon dirigée contre le vendeur initial qui n’a pas lui-même agi dans l’État membre dont relève la juridiction saisie.

 Sur la seconde question

39      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’une allégation de publicité comparative illicite ou d’imitation déloyale d’un signe protégé par une marque communautaire, interdites par la loi relative à la répression de la concurrence déloyale de l’État membre dont relève la juridiction saisie, cette disposition permet d’établir la compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en responsabilité fondée sur ladite loi nationale introduite à l’encontre d’un des auteurs supposés établi dans un autre État membre et dont il est prétendu qu’il a commis dans celui-ci l’infraction alléguée.

40      À cet égard, il convient de relever que l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 40/94 dispose expressément que des actions portant sur une marque communautaire peuvent être intentées sur la base du droit des États membres concernant notamment la responsabilité civile et la concurrence déloyale.

41      Ces actions ne relèvent pas de la compétence des tribunaux des marques communautaires. La compétence pour connaître de telles actions n’est donc pas régie par le règlement n° 40/94. Partant, la compétence pour connaître des actions fondées sur la loi nationale relative à la répression de la concurrence déloyale doit être déterminée sur le fondement des dispositions du règlement n° 44/2001.

42      Ainsi, s’agissant d’une demande fondée sur la violation de la loi nationale relative à la répression de la concurrence déloyale, l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 est applicable en vue d’établir la compétence juridictionnelle de la juridiction saisie.

43      S’agissant de l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001, il y a lieu de rappeler d’emblée que les dispositions de ce règlement doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (arrêt Melzer, C‑228/11, EU:C:2013:305, point 22 et jurisprudence citée).

44      Ce n’est que par dérogation au principe fondamental énoncé à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, attribuant la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, que le chapitre II, section 2, de ce règlement prévoit un certain nombre d’attributions de compétences spéciales, parmi lesquelles figure celle prévue à l’article 5, point 3, dudit règlement (arrêt Melzer, EU:C:2013:305, point 23).

45      En ce que la compétence des juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire constitue une règle de compétence spéciale, elle est d’interprétation stricte et ne permet pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (arrêt Melzer, EU:C:2013:305, point 24).

46      Il n’en reste pas moins que les termes «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001, visent à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou l’autre de ces deux lieux (arrêt Melzer, EU:C:2013:305, point 25).

47      À cet égard, il est de jurisprudence constante que la règle de compétence prévue à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (arrêt Melzer, EU:C:2013:305, point 26).

48      L’identification de l’un des points de rattachement reconnus par la jurisprudence rappelée au point 46 du présent arrêt devant permettre d’établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis, il en résulte que ne peut être valablement saisie que la juridiction dans le ressort de laquelle se situe le point de rattachement pertinent (voir, en ce sens, arrêts Folien Fischer et Fofitec, C‑133/11, EU:C:2012:664, point 52, ainsi que Melzer, EU:C:2013:305, point 28).

49      En ce qui concerne le lieu de l’événement causal, il ressort de la décision de renvoi que plusieurs auteurs sont supposés être à l’origine du fait dommageable allégué et que First Note, qui est la défenderesse unique dans le litige au principal, a agi seulement en Belgique et, partant, en dehors du ressort de la juridiction devant laquelle elle a été attraite.

50      Or, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, dans des circonstances où un seul parmi plusieurs auteurs présumés d’un dommage allégué est attrait devant une juridiction dans le ressort de laquelle il n’a pas agi, il ne peut pas être considéré que l’événement causal s’est produit dans le ressort de cette juridiction au sens de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 (voir arrêt Melzer, EU:C:2013:305, point 40).

51      Par conséquent, l’article 5, point 3, dudit règlement ne permet pas d’établir, au titre du lieu de l’événement causal, la compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en responsabilité fondée sur la loi relative à la répression de la concurrence déloyale de l’État membre dont relève la juridiction saisie dirigée contre l’un des auteurs supposés du dommage qui n’a pas agi dans le ressort de la juridiction saisie (voir arrêt Melzer, EU:C:2013:305, point 41).

52      Cependant, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Melzer (EU:C:2013:305), dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi n’a pas limité sa question à l’interprétation de l’article 5, point 3, dudit règlement aux seules fins d’établir la compétence des juridictions allemandes au titre du lieu de l’événement causal du dommage allégué.

53      Dès lors, il y a lieu d’examiner également si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où plusieurs auteurs supposés du dommage allégué ont agi dans différents États membres, l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 permet d’établir, au titre du lieu de la matérialisation du dommage, la compétence des juridictions d’un État membre pour connaître d’une action en responsabilité fondée sur la loi relative à la répression de la concurrence déloyale du même État membre, dont relève la juridiction saisie, dirigée contre l’un des auteurs supposés du dommage qui n’a pas agi dans le ressort de la juridiction saisie.

54      Il est de jurisprudence constante que le lieu de la matérialisation du dommage est celui où le fait susceptible d’engager une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle a entraîné un dommage (voir arrêt Zuid-Chemie, C‑189/08, EU:C:2009:475, point 26).

55      S’agissant de dommages résultant d’atteintes à un droit de propriété intellectuelle et commerciale, la Cour a précisé que la matérialisation du dommage dans un État membre déterminé est subordonnée à la protection, dans ce dernier, du droit dont la violation est alléguée (voir arrêts Wintersteiger, C‑523/10, EU:C:2012:220, point 25, et Pinckney, C‑170/12, EU:C:2013:635, point 33).

56      Cette exigence est transposable aux cas dans lesquels est en cause la protection d’un tel droit au moyen d’une loi nationale relative à la répression de la concurrence déloyale.

57      Il y a donc lieu de considérer que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un litige relatif à une violation de ladite loi peut être porté devant les juridictions allemandes, pour autant que le fait commis dans un autre État membre a entraîné ou risque d’entraîner un dommage dans le ressort de la juridiction saisie.

58      À cet égard, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier, au vu des éléments dont elle dispose, dans quelle mesure la vente du parfum dénommé «Blue Safe for Women» à Stefan P., effectuée sur le territoire belge, a pu violer les dispositions de la loi allemande relative à la répression de la concurrence déloyale et a pu, de ce fait, entraîner un dommage dans le ressort de cette juridiction.

59      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’une allégation de publicité comparative illicite ou d’imitation déloyale d’un signe protégé par une marque communautaire, interdites par la loi relative à la répression de la concurrence déloyale de l’État membre dont relève la juridiction saisie, cette disposition ne permet pas d’établir, au titre du lieu de l’événement causal d’un dommage résultant de la violation de cette loi, la compétence d’une juridiction dudit État membre dès lors que celui des auteurs supposés qui y est attrait n’y a pas agi lui-même. En revanche, dans un tel cas, ladite disposition permet d’établir, au titre du lieu de la matérialisation du dommage, la compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en responsabilité fondée sur ladite loi nationale introduite contre une personne établie dans un autre État membre et dont il est allégué qu’elle a commis, dans celui-ci, un acte qui a entraîné ou risque d’entraîner, dans le ressort de la juridiction saisie, un dommage.

 

 Sur les dépens

 

60      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      La notion de «territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis» figurant à l’article 93, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, doit être interprétée en ce sens que, dans le cas d’une vente et d’une livraison d’un produit contrefait opérées sur le territoire d’un État membre, suivies d’une revente par l’acquéreur sur le territoire d’un autre État membre, cette disposition ne permet pas d’établir une compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en contrefaçon dirigée contre le vendeur initial qui n’a pas lui-même agi dans l’État membre dont relève la juridiction saisie.

2)      L’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’une allégation de publicité comparative illicite ou d’imitation déloyale d’un signe protégé par une marque communautaire, interdites par la loi relative à la répression de la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb) de l’État membre dont relève la juridiction saisie, cette disposition ne permet pas d’établir, au titre du lieu de l’événement causal d’un dommage résultant de la violation de cette loi, la compétence d’une juridiction dudit État membre dès lors que celui des auteurs supposés qui y est attrait n’y a pas agi lui-même. En revanche, dans un tel cas, ladite disposition permet d’établir, au titre du lieu de la matérialisation du dommage, la compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en responsabilité fondée sur ladite loi nationale introduite contre une personne établie dans un autre État membre et dont il est allégué qu’elle a commis, dans celui-ci, un acte qui a entraîné ou risque d’entraîner, dans le ressort de la juridiction saisie, un dommage.

Signatures


Langue de procédure: l’allemand.

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