Communication de la Commission européenne du 26 novembre 1997 : «Vers une efficacité accrue dans l'obtention et l'exécution des décisions au sein de l'Union européenne»
COM/97/0609 final
Journal officiel n° C 033 du 31/01/1998 p. 0003
SOMMAIRE
La présente communication se caractérise par sa double fonction.
1. Son objet essentiel est de faciliter la reconnaissance et l'exécution des décisions rendues dans l'Union européenne, processus actuellement réglé, pour la matière civile et commerciale, par la convention de Bruxelles de 1968, dont les règles ont été étendues aux États membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE) par la convention de Lugano.
La convention de Bruxelles a permis de réaliser des progrès substantiels en matière d'exequatur des jugements rendus dans les États membres. De nouvelles avancées peuvent néanmoins être réalisées pour accélérer et simplifier la procédure, et la rendre ainsi plus adaptée aux besoins des citoyens et opérateurs dans un contexte d'accélération croissante des échanges, notamment au sein du marché intérieur.
Pour satisfaire à cet objectif, la proposition COM(97) 609 final (1*) contient plusieurs éléments. Il est proposé d'une part de limiter le contrôle de l'autorité chargée de donner l'exequatur à un contrôle de régularité formelle, sur la base notamment d'un document émis par une juridiction de l'État d'origine et attestant en particulier du caractère exécutoire du jugement auquel il est annexé. Il est proposé d'autre part de réaménager les motifs de non-reconnaissance du jugement, motifs qui ne pourront être examinés que sur recours du défendeur à l'exécution, lequel supportera également la charge de la preuve. Des propositions sont également faites pour que la décision autorisant l'exécution soit revêtue de l'exécution provisoire et pour faciliter la prise de mesures conservatoires et provisoires. Enfin, le régime des mesures conservatoires et provisoires a été réaménagé en mettant l'accent sur la dimension européenne de ces mesures. L'ensemble de ces propositions est contenu dans la proposition de convention annexée, qui est destinée à remplacer la convention de Bruxelles.
Cette proposition de convention contient également des dispositions destinées à tenir compte, notamment au niveau des règles de compétence, de l'évolution des relations économiques depuis la signature de la convention de Bruxelles, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice. Elle est complétée par deux propositions de nouveaux protocoles destinés à remplacer ceux qui sont annexés à la convention de Bruxelles (annexes 1 et 2) ainsi que par des suggestions pour la révision parallèle de la convention de Lugano (annexe 3). Lors de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, la Commission prendra les mesures nécessaires pour adapter les travaux au nouveau cadre juridique applicable à la coopération judiciaire civile.
2. La communication a également pour objet de recueillir les observations des professions juridiques et de toutes les parties intéressées sur une série de considérations qui vont au-delà de sa proposition législative. Elle ouvre un débat sur une approche commune de l'Union européenne en ce qui concerne certains aspects des droits procéduraux nationaux.
Faciliter la circulation des décisions d'un État membre à l'autre en vue de leur exécution est en effet indispensable, mais pas suffisant pour permettre aux citoyens et opérateurs de profiter pleinement des droits qui leur sont conférés au sein de l'espace de l'Union européenne. En effet, l'objectif doit être d'assurer le plus globalement possible un accès à la justice rapide, efficace et peu coûteux.
Des difficultés de l'accès à la justice au sein du marché intérieur en raison du maintien des frontières judiciaires ont été déjà relevées, plus particulièrement en matière de litiges de consommation (2). C'est en effet le domaine où, compte tenu du montant généralement faible des intérêts en jeu, les obstacles à l'accès à la justice sont ressentis avec le plus d'acuité (3). Ces difficultés sont également perçues par les opérateurs économiques, notamment par les petites et moyennes entreprises, comme un frein à l'activité économique (4).
Il est donc opportun d'offrir à ces consommateurs et économiques, mais aussi à tous les citoyens de l'Union, un environnement amélioré en matière procédurale. Il est proposé de suivre une approche progressive et prudente et de se concentrer dans un premier temps sur quelques questions essentielles. Dans ce contexte, il est opportun de réfléchir à la mise en place dans chaque État membre d'une procédure rapide tendant au paiement de créances de sommes d'argent, mais aussi d'instruments performants en vue d'une exécution efficace des jugements (en se concentrant dans un premier temps sur la saisie-arrêt sur compte bancaire). L'efficacité de l'exécution étant étroitement liée à la connaissance du patrimoine du débiteur, il y a lieu de réfléchir en outre aux différents moyens permettant d'assurer la transparence du patrimoine du débiteur ainsi qu'au développement de la coopération entre les autorités chargées de l'exécution.
Ces deux volets contribuent ensemble à la recherche d'une efficacité accrue dans l'obtention et l'exécution des décisions au sein de l'Union européenne.
Dans le cadre du second objectif, toute personne intéressée est invitée à faire part de ses commentaires sur la présente communication en les adressant avant le 30 avril 1998 à:
Monsieur J. Adrian Fortescue
Task Force «Coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures»
Commission européenne
Rue de la Loi 200
B-1049 Bruxelles.
INTRODUCTION
Objet de la communication
1. La libre circulation des titres au sein de l'Union européenne est actuellement assurée, pour l'essentiel de la matière civile et commerciale (5), grâce à la convention de Bruxelles de 1968, qui a été élaborée sur la base de l'article 220, quatrième tiret, du traité et successivement élargie à tous les nouveaux États membres. Cette convention est une convention double particulièrement achevée: elle fixe d'une part des règles en matière de compétence internationale des juridictions des États membres, ce qui permet en aval la reconnaissance de plein droit des décisions rendues, assortie d'une restriction sévère des motifs de refus de reconnaissance; elle prévoit d'autre part une procédure d'exequatur non seulement uniforme mais encore unilatérale, au moins dans la première phase.
2. Indissociable du processus communautaire, la convention de Bruxelles est liée à la Communauté et vise à accompagner les libertés prévues par le traité d'un régime de circulation plus fluide des jugements (6). L'interprétation autonome et unificatrice qu'en a donné la Cour de justice repose à cet effet sur le concept de non-discrimination et d'égalité de droits entre justiciables de l'Union européenne. Cette convention a servi de modèle à l'élaboration d'une convention similaire entre les États membres et les États de l'Association européenne de libre-échange (AELE), la convention de Lugano, signée le 16 septembre 1988 (7).
3. La convention de Bruxelles constitue à ce jour le seul instrument général en matière de coopération judiciaire civile entre les États membres. Elle laisse d'autre part intact le droit procédural national de chaque État membre. Le droit communautaire a en effet traditionnellement laissé le soin aux États membres de déterminer les modalités de fonctionnement de leurs autorités et juridictions. Il n'existe donc pas encore d'espace judiciaire européen mais plutôt une juxtaposition de normes juridiques nationales configurées en systèmes autonomes de procédure civile. Produits d'une évolution historique propre à chaque pays, ces systèmes se caractérisent par une grande hétérogénéité.
Dans ce contexte, la présente communication a un double objet:
- elle présente d'une part une série de propositions concrètes en vue de faciliter encore la reconnaissance et l'exécution des jugements au sein de l'Union européenne. Elle contient à cet effet une proposition de convention qui contient également des dispositions visant à tenir compte des développements récents dans les relations économiques ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice. Elle contient encore deux propositions de nouveaux protocoles annexés à la proposition de convention (annexes 1 et 2), ainsi que les suggestions de la Commission en ce qui concerne la révision parallèle de la convention de Lugano (annexe 3). Les propositions mentionnées sont fondées sur l'article K.3, paragraphe 2, point c), du traité sur l'Union européenne. Lors de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, elles seront adaptées pour tenir compte du nouveau cadre juridique applicable à la coopération judiciaire civile,
- elle a également pour objectifs de lancer une réflexion et de recueillir les réactions et suggestions de toutes les parties intéressées sur une possible action de l'Union européenne en faveur d'un accès équivalent des justiciables à une justice efficace, rapide et peu coûteuse. Cette partie ne contient pas de propositions opérationnelles et a pour objet de recueillir les réactions et opinions de toutes les parties intéressées sur les thèmes de réflexion suggérés.
Données du problème
4. Depuis sa signature, en 1968, la convention de Bruxelles a fait l'objet de changements très limités. Il n'a pas été procédé à une réévaluation d'ensemble des dispositions conventionnelles mais seulement aux adaptations rendues nécessaires par l'adhésion de nouveaux États membres. Par suite également des nouvelles adhésions, certaines dispositions de la convention de Lugano se sont écartées de celles de la convention de Bruxelles. La pratique de ces deux conventions a également progressivement mis en lumière des difficultés dans la mise en oeuvre de certaines dispositions.
5. D'autre part, malgré les progrès apportés par la convention de Bruxelles, l'obligation de mettre en oeuvre une procédure de reconnaissance et d'exequatur en vue d'une exécution à l'étranger engendre des délais supplémentaires, quelquefois très longs, et des coûts additionnels souvent importants. Ces coûts et délais s'ajoutent à ceux relatifs à la procédure dans l'État d'origine et sont de nature à privilégier lorsque c'est possible la juridiction de l'État où la décision doit être exécutée, de manière à éviter la procédure d'exequatur. Ces barrières additionnelles peuvent même, notamment en présence de créances d'un montant limité, remettre en cause l'intérêt d'une procédure judiciaire si la décision recherchée doit être exécutée contre un adversaire ou contre des biens situés à l'étranger. S'y ajoute le risque de disparition de patrimoine si l'exécution s'avère tardive. Ces barrières font donc encore obstacle à la libre circulation des jugements d'un État membre à l'autre.
6. Indépendamment de la question de la libre circulation des jugements, il y a lieu de constater que les rapports de droit privé entre personnes et opérateurs économiques de l'Union européenne se réalisent, même lorsqu'ils sont fondés sur une norme communautaire, dans un espace où coexistent des systèmes procéduraux très divergents, ce qui engendre un défaut de transparence des procédures, un coût inégal des procès et une efficacité inégale des techniques procédurales.
Les modalités d'introduction de la demande, la computation des délais, la charge de la preuve, les effets des recours, le caractère «exécutoire» du titre sont des éléments, parmi d'autres, dont le maniement s'avère particulièrement délicat pour un non-initié. Déjà difficilement accessibles aux justiciables au plan national, les règles de procédure le sont plus encore lorsqu'elles s'inscrivent dans le contexte d'un contentieux transfrontalier. Or, dans un espace intégré, chacun doit avoir accès facilement à la «règle du jeu» et connaître, dès avant de s'engager dans un procès, quels sont ses droits et obligations, quelles sont les formalités à observer, quels sont les effets des actes accomplis, l'efficacité des décisions requises et aussi les recours disponibles, de même que les règles qui gouvernent l'exécution des décisions.
À l'obstacle lié au manque de transparence s'ajoute celui du coût inégal des procédures (8). Le coût très élevé, dans certains États membres, des frais et des honoraires d'avocat, auxquels s'ajouteront, le cas échéant, les frais inhérents à une procédure d'exequatur, constitue un frein à l'accès à la justice et décourage purement et simplement beaucoup de justiciables d'y recourir (9).
Souvent opaques et diversement onéreuses, les procédures nationales sont également d'une efficacité très variable. Certains États membres ont mis en place des procédures spéciales, plus rapides, peu coûteuses et mieux adaptées aux besoins des milieux d'affaires et des citoyens. D'autres continuent par contre de privilégier des procédures plus sophistiquées, qui peuvent avoir pour corollaire l'engorgement des juridictions et un allongement considérable des délais d'obtention des décisions. Ces délais s'avèrent souvent très profitables aux débiteurs de mauvaise foi.
Contenu de la communication
7. L'amélioration de la libre circulation des jugements rendus par les juridictions des États membres est actuellement discutée au sein du Conseil dans deux contextes parallèles mais distincts, les travaux de révision des conventions de Bruxelles et de Lugano et ceux relatifs à la mise en place d'un «titre exécutoire européen».
8. Les travaux de réexamen des conventions de Bruxelles et de Lugano, actuellement dans une phase exploratoire, trouvent leur origine dans le fait que, pour des raisons de calendrier, il n'a pu être tenu compte, dans la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède à la convention de Bruxelles, des demandes de modifications de ces pays autres que de nature purement technique. D'autre part, le comité permanent de la convention de Lugano a exprimé le souhait réitéré, lors de ses troisième et quatrième sessions, de procéder à un rapprochement des dispositions des deux conventions.
Les États membres et la Commission partagent l'opinion que, à l'occasion de ces travaux de rapprochement, il doit être procédé à un réexamen de certaines dispositions des deux conventions, en tenant compte de la complexité croissante des relations humaines et des activités économiques, de l'évolution du contentieux concerné et de la jurisprudence de la Cour de justice. Sur la base de mémorandums écrits des États membres et des services de la Commission, des discussions préliminaires ont déjà eu lieu au sein du Conseil et du comité permanent de la convention de Lugano, et les dispositions qui devraient faire l'objet d'une révision ont été identifiées.
9. Dès 1995, les services de la Commission ont d'autre part engagé une réflexion sur l'opportunité du maintien de la procédure d'exequatur prévue par la convention de Bruxelles et sur la définition des contours juridiques possibles d'un titre exécutoire qui circulerait sans entraves d'un État membre à un autre. Ce titre exécutoire pourrait alors être qualifié de «titre exécutoire européen». La libre circulation des jugements, qui devrait être le corollaire des autres libertés de circulation, n'a pas en effet de réalité concrète dans le droit positif: pour franchir la frontière et recevoir exécution dans un autre État membre, tout titre exécutoire, judiciaire ou non, doit être muni d'un «passeport» délivré par l'État membre d'exécution, généralement sous la forme d'une «formule exécutoire».
Parallèlement à ces travaux, plusieurs États membres ont manifesté leur intérêt pour ce sujet, qui a été intégré dans le programme pluriannuel du Conseil dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (10). La Finlande a pris l'initiative d'organiser en mars 1997, à Helsinki, un séminaire réunissant autour de ce sujet de nombreux experts des milieux académiques et professionnels ainsi que des administrations des États membres (11). Sous la présidence des Pays-Bas, plusieurs réunions de réflexion ont déjà eu lieu au sein du Conseil.
La nécessité d'une procédure uniforme d'obtention du titre comme préalable à la suppression de la procédure d'exequatur a été une des composantes des débats menés dans ces diverses enceintes, ce qui explique l'intitulé de «titre exécutoire européen». Il est cependant ressorti des débats que la mise en place d'une procédure uniforme dans l'État d'origine et la suppression de la procédure d'exequatur sont deux questions distinctes, la réponse à l'une n'étant pas un préalable nécessaire à la solution de l'autre. Il en est également ressorti qu'une suppression totale de l'exequatur n'est pas envisageable, notamment en raison de différences procédurales marquées dans les États membres en ce qui concerne l'exécution. L'objet des travaux est donc plutôt la simplification et l'allégement maximaux de la procédure d'exequatur plutôt que sa suppression.
10. La question des mesures conservatoires et provisoires a été également évoquée lors des travaux préparatoires précités. La nécessité d'une mise en place rapide de telles mesures revêt une acuité particulière dans les litiges transfrontaliers, compte tenu des délais inhérents à une procédure à l'étranger ou à une procédure nationale doublée d'une procédure d'exequatur, mais aussi compte tenu de la grande variété des arsenaux judiciaires des États membres dans ce domaine. Ces mesures, qui ne sont visées par la convention de Bruxelles que de manière très marginale, doivent donc faire l'objet de règles particulières, tant en ce qui concerne la compétence pour les ordonner qu'en ce qui concerne les conditions de leur mise en oeuvre.
11. La proposition de convention contenue dans cette communication n'a pas pour objectif de réduire les divergences substantielles existantes entre les droits procéduraux nationaux. La Commission estime cependant opportun de franchir un pas supplémentaire et d'entamer un débat de fond sur la problématique du procès en Europe non plus sous le seul angle de la coopération entre juridictions mais sous un angle beaucoup plus large, celui d'un accès rapide, efficace et peu coûteux aux institutions judiciaires. La Commission entend associer étroitement les praticiens du droit et toutes les parties intéressées à cette réflexion.
La sécurité juridique, la confiance dans les institutions judiciaires sont en effet des conditions importantes pour le développement et le fonctionnement harmonieux de l'espace communautaire sans frontières. Il importe donc d'explorer, dans le respect du principe de subsidiarité et dans un souci de proportionnalité, mais aussi dans une perspective plus horizontale, en faveur de tout citoyen et de toute catégorie de justiciables, les voies par lesquelles cette sécurité et cette confiance peuvent être confortées.
12. La présente communication contient donc une deuxième partie décrivant les difficultés engendrées par les divergences dans les législations nationales en matière de procédure et abordant les thèmes sur lesquels la Commission souhaite des débats plus poussés.
- Le premier de ces thèmes concerne la procédure d'obtention d'un jugement dans l'État d'origine (II.1). Le principe de l'égalité des armes, la rapidité du monde des affaires et le risque de disparition du patrimoine du débiteur, gage du créancier, postulent que soient mises à la disposition des justiciables des procédures aux résultats comparables en termes de délais, de coût et d'efficacité. La Commission estime nécessaire d'accorder une attention particulière, dans un premier temps, à la possible mise en place dans chaque État membre d'une procédure rapide tendant au paiement de sommes d'argent.
- La présente communication contient également des éléments de réflexion sur la question de l'exécution proprement dite (II.2) des décisions judiciaires. Une approche graduelle s'impose. Il est proposé de limiter dans un premier temps la réflexion à la saisie-arrêt sur compte bancaire. Il conviendra de dégager les idées-forces susceptibles de constituer un socle commun au niveau européen.
- Étroitement liée aux voies d'exécution, la question de la transparence du patrimoine (II.3) constitue un autre thème important de réflexion. La Commission estime que les justiciables de l'Union européenne doivent disposer d'armes comparables à cet égard et propose de réfléchir à une possible généralisation de la procédure de «déclaration de patrimoine» déjà en usage dans plusieurs États membres.
- En dernier lieu, les créances doivent de plus en plus souvent être recouvrées à l'étranger. Une coopération internationale accrue devrait permettre de faciliter ce recouvrement. La Commission suggère donc d'accroître cette coopération, éventuellement sous la forme d'un système d'échange d'informations entre autorités d'exécution des États membres, dans le respect des législations et pratiques des États, notamment en matière de vie privée et de protection des données (II.4).
Perspectives
13. Figure désormais dans le nouveau traité l'objectif de maintenir et de développer l'Union en tant qu'«espace de liberté, de sécurité et de justice». Afin de mettre en place cet espace, la coopération judiciaire civile figure ainsi dans un nouveau chapitre du traité relatif aux politiques correspondant à cet objectif et fait l'objet de l'article 73 M. Cet article prévoit que des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, peuvent être prises dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur. Notamment, ces mesures peuvent viser l'élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de la procédure civile applicables dans les États membres. Le traité d'Amsterdam témoigne ainsi de la prise de conscience des États membres de l'extrême importance de ce domaine pour l'intégration européenne et pour l'efficacité du marché intérieur en particulier.
Il s'agit d'offrir aux entreprises et aux citoyens européens l'environnement dont ils ont besoin au niveau des procédures, quelles qu'elles soient, devant les tribunaux nationaux.
La convention de Bruxelles et les règles relatives à la procédure civile sont d'une importance toujours croissante dans les relations entre citoyens et entreprises dans un marché intérieur de plus en plus intégré, auquel le développement rapide des transactions électroniques ajoutera une nouvelle dimension dans les années à venir. Il semble essentiel d'accroître à l'avenir le caractère opérationnel des règles relatives notamment à l'exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale. Cette nécessité résulte, d'une part, d'un processus d'intégration de plus en plus étroit dans le marché intérieur et, d'autre part, des implications liées à un futur élargissement de la Communauté.
C'est donc dans la double perspective d'une intégration plus poussée et de l'élargissement que la Commission souhaite stimuler un débat sur la coopération en matière civile. La Commission estime en effet plus utile de présenter ses initiatives par étapes. Elle propose d'abord d'améliorer la circulation des jugements dans le cadre du régime juridique existant et d'initier dès maintenant la réflexion sur d'autres aspects du problème. Dans l'attente de l'entrée en vigueur du nouveau traité, elle présente donc des propositions fondées sur la base juridique actuellement disponible, tout en lançant une réflexion dans les domaines qui font l'objet de la présente initiative. Elle note que le traité d'Amsterdam permettra de substituer à l'instrument de la convention des instruments communautaires, avec les effets institutionnels qui s'y attachent, et sans exiger un processus de ratification de la part des États membres et des éventuels candidats à l'élargissement. La Commission se réserve de prendre de nouvelles initiatives complémentaires sur les sujets soumis à réflexion ou de présenter, à un moment approprié, une proposition dans le cadre du nouveau traité, consistant à transformer la convention en un instrument communautaire, et cela en veillant à maintenir, dans la mesure du possible, le parallélisme entre le futur instrument communautaire et la convention de Lugano, qui contient l'extension des règles de la convention de Bruxelles aux États membres de l'AELE.
I. LA LIBRE CIRCULATION DES JUGEMENTS
14. Tout effort d'améliorer la circulation des jugements en matière civile et commerciale au sein de l'Union européenne a un impact immédiat sur les conventions de Bruxelles et de Lugano. La Commission estime que l'objectif de permettre aux décisions des États membres d'être plus facilement reconnues et rendues exécutoires sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne doit être poursuivi sous la forme d'une révision générale des mécanismes conventionnels.
I.1. LA RÉVISION DES CONVENTIONS DE BRUXELLES ET DE LUGANO
15. La Commission partage avec les États membres l'opinion que l'exercice actuel de révision ne doit pas avoir pour effet de modifier la structure générale et les principes directeurs qui gouvernent les conventions et qui ont démontré leur efficacité.
L'objectif recherché est plutôt de rapprocher autant que possible les dispositions des deux conventions, notamment après les modifications apportées par les dernières conventions d'adhésion à la convention de Bruxelles (12). Il a été également convenu de procéder à une réévaluation de certaines dispositions des deux conventions à la lumière de l'usage qu'en a fait la pratique mais surtout à la lumière de l'interprétation qu'en a donné la Cour de justice. Après presque trente ans de pratique de la convention, il s'avère que c'est le titre II relatif à la compétence qui a soulevé le plus de difficultés d'application et d'interprétation. Dans ce contexte, la Commission propose un réaménagement de ces fors de compétence. Il s'agit aussi de renforcer la sécurité juridique et l'efficacité des mécanismes en prévoyant la définition autonome de certains concepts, au lieu de renvoyer aux concepts retenus par les droits nationaux [voir, par exemple, le concept de «juridiction première saisie», en matière de litispendance ou encore le concept «mesures provisoires» (voir chapitre II)]. Enfin, la nouvelle convention, tout comme la convention de Bruxelles, fait partie de «l'acquis» de l'Union: elle doit à ce titre être incluse dans l'acte d'adhésion de tout État tiers à l'Union et bénéficier de la procédure d'entrée en vigueur de celui-ci. Il est donc proposé de prévoir les dispositions nécessaires à cet effet.
I.2. LA PROCÉDURE SIMPLIFIÉE DE RECONNAISSANCE ET D'EXÉCUTION
16. La solution la plus radicale aux obstacles engendrés par la procédure d'exequatur consisterait en une suppression pure et simple de ladite procédure: les juges nationaux étant des juges européens, les décisions en provenance des autres États membres sont assimilées à des décisions internes et seraient soumises au même régime d'exécution, sans contrôles et formalités spécifiquement attachés au statut de décision «étrangère».
17. Cette solution est toutefois jugée prématurée par une large majorité des personnes consultées dans le cadre des travaux préparatoires. Pour pouvoir avoir force exécutoire, la décision étrangère a encore besoin d'un «passeport» lui permettant d'être assimilée à une décision rendue dans l'État requis. L'un des arguments généralement soulevés réside dans le pouvoir de commandement («imperium») sous-jacent à l'exécution d'une décision de justice. Ce pouvoir constitue une forme privilégiée d'expression de la souveraineté nationale. L'autre tient aux divergences substantielles que connaissent les systèmes procéduraux des États membres quant à la définition d'un titre «exécutoire», aux modalités d'exécution des décisions judiciaires, mais surtout quant aux statuts, pouvoirs et responsabilités des agents d'exécution. Il est généralement considéré que seul un rapprochement de ces définitions, modalités d'exécution et statuts professionnels pourrait ouvrir la voie à de nouveaux changements.
18. Par contre, même si la création d'un titre exécutoire européen qui circulerait sans contrôle d'un État membre à l'autre se heurte encore à des difficultés importantes, d'autres voies plus immédiatement accessibles s'offrent à l'Union européenne. Des progrès sensibles peuvent encore être faits en vue d'accélérer la libre circulation des titres en simplifiant encore la procédure de reconnaissance et d'exécution.
Au sein du Conseil, la question s'est posée de savoir si ces changements devaient être introduits par le biais d'une modification des dispositions pertinentes de la convention de Bruxelles ou s'il serait plus approprié de créer un instrument séparé qui ne s'appliquerait qu'aux jugements monétaires. La Commission estime que les changements qui sont possibles à l'heure actuelle doivent être effectués dans le contexte du réexamen de la convention de Bruxelles. D'une part, le nouveau régime de reconnaissance et d'exécution proposé doit s'appliquer à toutes les décisions en matière civile et commerciale tombant dans le champ de cette convention. Il n'existe pas de motif juridique justifiant que le système nouveau proposé soit appliqué ou non en fonction de la nature, monétaire ou non monétaire, de la créance concernée.
La création d'un instrument séparé aurait d'autre part beaucoup d'inconvénients et la solution pourrait s'avérer pire que le mal auquel les travaux se proposent de remédier. Cela aurait pour conséquence immédiate de vider le mécanisme de la convention de Bruxelles de la majeure partie de son champ d'application potentiel, malgré l'ambition affichée, dans le cadre de l'exercice de révision, de ne pas remettre fondamentalement en cause le contenu d'un instrument qui constitue un pilier fondamental de la libre circulation des jugements en Europe. En outre, la superposition de deux régimes «concurrents» aurait des conséquences négatives évidentes au niveau des usagers (magistrats, avocats, etc.), qui sont assez peu familiarisés, pour l'immense majorité d'entre eux, avec la convention de Bruxelles et qui seraient confrontés à des problèmes aigus d'interprétation dans les décisions mixtes.
19. L'approche proposée part du constat assez largement admis que l'intervention des autorités de l'État d'exécution peut être encore allégée et l'apposition de la formule exécutoire ou l'enregistrement de la décision être réduit à une quasi-formalité. Il s'avère en effet que les recours formés contre les décisions d'exequatur octroyées dans le cadre de la convention de Bruxelles sont en nombre négligeable. Il est donc opportun de s'interroger, dans un contexte de surcharge endémique des juridictions, dans l'ensemble des États membres, sur le maintien du caractère «juridictionnel» marqué que revêt actuellement la procédure d'exequatur, même au tout premier stade de la procédure. Sans interférer dans la responsabilité des États membres sur ce point, il serait bienvenu que les États membres s'efforcent de désigner, aux fins de l'octroi de l'exequatur, des autorités autres que des juridictions (fonctionnaires, greffes, etc.) Ceci aurait pour avantage immédiat de désengorger des juridictions déjà surchargées et traduirait ainsi de manière concrète le changement de nature de l'octroi de la formule exécutoire dans la phase initiale de la procédure, étant observé que les recours contre cet octroi doivent rester de nature judiciaire. Par contre, dans les États où l'exécution proprement dite des décisions, y inclus des décisions nationales, suppose l'autorisation préalable d'une juridiction, on pourrait trouver avantage à désigner la même juridiction. Cette désignation ne traduirait pas, alors, une méfiance à l'égard du juge étranger mais bien plutôt le désir, dans un souci de simplification, de regrouper dans une seule main le pouvoir de rendre la décision étrangère exécutoire et dans le même temps d'ordonner l'exécution proprement dite.
En ce qui concerne la procédure proprement dite, les propositions de la Commission reposent sur le principe que l'octroi de la formule exécutoire doit revêtir une certaine automaticité et ne faire l'objet que d'un contrôle formel, sans examen à ce stade de la procédure des motifs de refus d'exécution prévus par la convention. Ce contrôle sera facilité par la production, à l'appui de la décision à exécuter, d'un certificat uniforme et multilingue émanant des autorités de l'État d'origine (dont le modèle est annexé au projet de convention) et établissant de façon non équivoque les conditions essentielles auxquelles cette décision doit répondre pour bénéficier de l'exequatur. Il appartient alors à celui ou celle contre lequel l'exequatur a été obtenu de contester cet exequatur, en rapportant la preuve de l'existence d'un des motifs de refus d'exequatur encore prévus dans la convention.
20. Les modifications de procédure doivent en effet s'accompagner d'une révision des motifs qui permettent actuellement de s'opposer à la reconnaissance et à l'exécution d'une décision étrangère (article 37 bis). Il s'agit en particulier de reconsidérer le motif de refus tiré du concept d'ordre public, actuellement en porte à faux par rapport au processus d'intégration européenne et par rapport à la matière civile et commerciale visée. Il s'agit aussi du motif tiré du défaut d'assignation du défendeur régulièrement et en temps utile pour qu'il puisse se défendre. La lecture actuelle de cette disposition donne en effet au débiteur de mauvaise foi une arme redoutable pour se dérober à l'exécution. Enfin, en l'état actuel des législations des États membres, il n'apparaît pas nécessaire de maintenir la possibilité de refus d'exequatur en cas de méconnaissance du droit international privé de l'État requis en matière d'état des personnes, de capacité, de régimes matrimoniaux et de succession.
Pour éviter des recours purement dilatoires, la Commission estime d'autre part que la décision de l'État requis autorisant l'exécution doit être exécutoire par provision, comme est exécutoire la décision d'origine qui lui a été soumise. Des garde-fous doivent toutefois être introduits, permettant d'éviter d'éventuelles conséquences irréparables de l'exécution provisoire (article 36).
21. La Commission propose d'aménager sensiblement les mécanismes actuellement réglés de la convention de Bruxelles selon ces lignes directrices, sans exclure que ce nouvel aménagement constitue une étape et qu'une nouvelle réflexion sur la suppression pure et simple de l'exequatur soit à terme opportune.
I.3. LES MESURES CONSERVATOIRES ET PROVISOIRES
22. Les mesures provisoires et conservatoires constituent un élément d'une importance primordiale dans le contexte de la reconnaissance et de l'exécution des décisions étrangères. Les conséquences négatives des délais inhérents à la procédure peuvent être allégées ou compensées par une attitude favorable de l'État requis quant à l'octroi de telles mesures. Si ces mesures ont connu récemment, dans l'ensemble de l'Union européenne, un essor considérable à la mesure du besoin de rapidité inhérent au monde des affaires et donc de palliatifs aux délais judiciaires excessifs, cet arsenal judiciaire des États membres s'est enrichi selon un processus relativement divergent et surtout autonome. La convention de Bruxelles ne connaît en effet que deux dispositions relatives aux mesures conservatoires et provisoires, les articles 24 et 39, qui se contentent d'ailleurs de renvoyer au droit interne des États membres pour leur application concrète.
23. Un examen comparé des législations nationales montre une absence quasi générale de définition de la mesure conservatoire et provisoire ainsi qu'une hétérogénéité considérable des régimes juridiques en présence. Tout au plus peut-on trouver une relative convergence dans certaines fonctions attribuées à ces mesures: garantir l'exécution ultérieure de la décision à intervenir sur le fond (ou réaliser une anticipation de cette exécution), organiser temporairement la situation de fait ou de droit des protagonistes et sauvegarder les intérêts en présence, jusqu'au règlement du différend.
L'écart entre États membres se creuse néanmoins lorsque les mesures risquent de rendre inutile toute procédure au fond et de favoriser un certain détournement des règles de compétence normalement applicables (voir par exemple le «reféré-provision» de droit français, le «Befriedigungsverfügung» de droit allemand). Le recours au juge du provisoire pour prononcer de telles mesures est assez inégalement distribué, certains États refusant au juge du provisoire tout pouvoir d'anticiper sur le fond.
24. Des différences assez notables se rencontrent dans les conditions de délivrance de ces mesures. Bien que les législations des États membres conditionnent généralement l'octroi de ces mesures, en principe dotées d'une force exécutoire immédiate, à la vraisemblance de la créance alléguée («fumus boni juris») et à la vraisemblance du risque de non-recouvrement («periculum in mora»), la condition d'urgence fait de plus en plus souvent l'objet d'une interprétation libérale. Des différences sensibles existent également en ce qui concerne la nature des biens qui peuvent en faire l'objet, le type de mesures qui peuvent être prises ou encore les rapports entre la juridiction provisoire et la juridiction au fond.
Les éléments de forme sont également très peu homogènes. De nombreux États membres subordonnent les mesures conservatoires à l'autorisation préalable d'un juge, spécialisé dans certains États membres et non spécialisé dans d'autres, tandis que quelques uns d'entre eux permettent parfois de s'en dispenser. En outre, le caractère unilatéral à l'origine de la procédure est la règle que le débat doit être contradictoire, sauf urgence particulière, dès le début de la procédure, interdisant ainsi l'effet de surprise généralement attendu de ces mesures.
25. La convention de Bruxelles n'apporte aucune solution à ce morcellement des droits en matière de juridiction provisoire. L'article 24 se borne à instituer le principe d'une compétence dérogatoire aux autres règles de compétence au fond, sans indiquer le ou les bénéficiaires de cette compétence, et surtout ne définit pas ce que sont ces mesures conservatoires et provisoires. Pour pallier à ce manque, la Cour de justice a dû faire oeuvre d'interprétation. Elle a posé, par l'arrêt «Reichert II» (13), les premiers jalons d'une définition uniforme et autonome et elle a également précisé le régime de libre circulation des décisions ordonnant ces mesures. Quant à l'article 39, qui prévoit la prise de mesures conservatoires pendant la procédure de recours contre la décision autorisant l'exécution, la Cour de justice a fort opportunément précisé, par l'arrêt Capelloni et Aquilini contre Pelkmans (14) que la partie qui a demandé et obtenu l'autorisation d'exécution peut, en vertu de cet article et pendant le délai indiqué, faire procéder directement à des mesures conservatoires sans être tenue d'obtenir une autorisation spécifique.
26. La Commission estime nécessaire de poursuivre dans la voie tracée par la Cour et d'engager, au niveau de l'Union européenne une réflexion sur les moyens d'assurer une protection équivalente de tous les justiciables dans ce domaine. Tenant compte des différents systèmes juridiques et de la variété des mesures, cette réflexion devra notamment porter sur les fonctions recherchées par les mesures conservatoires et provisoires, les conditions minimales auxquelles elles devraient être soumises, la règle du contradictoire, la force exécutoire de la mesure ou encore les voies de recours.
27. La Commission propose de définir de manière uniforme la «mesure conservatoire ou provisoire». Il est suggéré de s'inspirer des principes directeurs arrêtés par la Cour de justice dans l'arrêt «Reichert II» (15).
28. Elle propose également de poser clairement, aux fins des mesures conservatoires et provisoires, une règle de compétence au profit de l'État membre sur le territoire duquel ces mesures peuvent être effectivement mises en oeuvre, même si ce sont les juridictions d'un autre État membre qui sont compétentes sur le fond du litige (article 18 bis). Le fondement de cette nouvelle règle de compétence est que l'urgence qui caractérise ces mesures provisoires et conservatoires est incompatible avec la mise en place d'une procédure d'exequatur. Cette règle doit s'exercer sans préjudice de la compétence naturelle du juge du fond pour statuer aussi sur les mesures provisoires (16).
D'autre part, lorsque une décision non exécutoire a été rendue au fond ou lorsque une décision exécutoire a été rendue au fond mais n'a pas encore reçu force exécutoire dans l'État requis, une telle décision doit permettre de prendre des mesures conservatoires dans l'État dans lequel ces mesures peuvent être exécutées (17). La décision au fond bénéficie déjà, en effet, en vertu de l'article 26 de la Convention de Bruxelles, d'une reconnaissance de plein droit, sur la base d'une présomption de régularité internationale, et doit valoir «titre conservatoire européen» (voir article 27).
En dernier lieu, lorsque la décision d'origine a été déclaré exécutoire dans l'État requis, et sans préjudice de l'exécution, cette décision doit emporter de plein droit l'autorisation de prendre les mesures conservatoires et provisoires prévues par la législation de l'État requis. La prise de ces mesures ne suppose pas que la décision autorisant l'exécution a été préalablement signifiée au défendeur. Les mesures restent en vigueur jusqu'à ce que le délai de recours ait expiré ou qu'il ait été statué définitivement sur un éventuel recours (voir article 36).
29. L'ensemble des modifications suggérées figure dans le projet de convention figurant à l'annexe 1. Par souci de commodités, de projet de convention respecte autant que possible la structure et la numérotation de la convention de Bruxelles et n'intègre que les dispositions pour lesquelles un changement par rapport à la convention de Bruxelles est souhaité.
II. DES PISTES DE RÉFLEXION POUR UNE AMÉLIORATION DE L'EFFICACITÉ DE LA JUSTICE DANS L'UNION EUROPÉENNE
30. L'hétérogénéité des systèmes procéduraux nationaux a pour conséquence que tous les justiciables ne sont pas, au sein de l'Union, dans une situation égale. Ils ne bénéficient pas d'instruments aux performances comparables alors que l'égalité des citoyens et des partenaires économiques au sein d'un espace intégré postule que les arsenaux judiciaires soient, d'un pays à l'autre, également pourvus. Ce décalage entre le droit et la réalité que constitue le maintien des frontières judiciaires au sein de l'Union a été mis en lumière à maintes reprises par les institutions communautaires (18). La Cour de justice a elle-même souligné que la mise en oeuvre de moyens de recours, lorsque des droits ont été lésés par une violation du droit communautaire, fait l'objet d'une véritable obligation à la charge des États membres, qui trouve également son fondement dans l'article 5 du traité CE (19).
31. Cette prise de conscience des institutions a déjà trouvé un certain écho dans plusieurs instruments communautaires. Sur la base des articles 66, 100 ou encore 100 A du traité CE, plusieurs actes de droit dérivé ont été adoptés par le Conseil, dont certaines dispositions contiennent des règles spéciales, règles de conflits de juridiction ou, plus rarement, règles de conflits de lois, sans toutefois exclure, dans des cas spécifiques, le rapprochement de règles procédurales substantielles (20). Cette technique rencontre toutefois ses limites dans l'objet même auquel elle se propose de contribuer. Ainsi, les travaux de rapprochement des règles nationales de conflit ou de droit matériel procédural ainsi amorcés ont eu l'inconvénient de se développer dans un cadre exclusivement sectoriel.
32. Sans préjudice d'éventuelles nouvelles propositions dans des domaines spécifiques, là où cela s'avérerait nécessaire, la Commission souhaite privilégier pour l'avenir une approche aussi horizontale que possible de ces questions, qui sera développée, après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, dans le cadre des nouvelles dispositions relatives à la coopération judiciaire civile (article 73 M). La complexité des problèmes soulevés, de même que l'enracinement très fort du droit procédural dans la tradition juridique nationale suggèrent toutefois une action progressive, prudente et proportionnée aux besoins. De même, une attention particulière devra être prêtée au respect de l'équilibre des intérêts des parties, et en particulier au respect des droits de la défense.
La Commission souhaite que l'attention soit portée sur certains points de divergence dont elle considère le maintien préjudiciable au fonctionnement harmonieux de la justice dans l'Union européenne. Ces aspects ont d'ailleurs déjà été abordés dans le cadre des travaux du Conseil relatifs au «Titre exécuto», ce qui témoigne d'un besoin et d'une sensibilisation à une possible approche commune au niveau de l'Union.
II.1. LA PROCÉDURE D'OBTENTION DU TITRE DANS L'ÉTAT MEMBRE D'ORIGINE
33. La généralisation et le rapprochement des procédures rapides tendant au paiement de sommes d'argent constitue, compte tenu des besoins croissants des citoyens et opérateurs économiques, un axe prioritaire de réflexion.
34. Une étude a en effet été réalisée en 1994 (21), à la demande de la Commission, dans le cadre de la stratégie communautaire pour le développement de l'entreprise et l'amélioration de l'environnement des entreprises. Cette étude a démontré que les opérateurs estiment que le cadre juridique des États membres est inégalement dissuasif pour les débiteurs de mauvaise foi et peut même, dans de nombreux États membres, profiter financièrement à ces derniers en leur assurant une certaine impunité. Elle révèle également que certaines petites et moyennes entreprises hésitent à s'engager dans le commerce international car elles savent que, en cas de non-paiement, il sera beaucoup plus difficile de récupérer une créance à l'étranger que dans leur propre pays.
35. Cette absence de cadre juridique adapté a été mise en lumière, dans le contexte du bon fonctionnement du marché intérieur, par la recommandation de la Commission du 12 mai 1995 concernant les délais de paiement dans les transactions commerciales (22). Considérant que les créanciers victimes de retards de paiement doivent avoir à leur disposition des moyens de recours rapides, efficaces et peu onéreux, la Commission a invité les États membres à améliorer l'efficacité des procédures juridictionnelles de règlement simplifié des litiges portant sur des montants limités, de même qu'à faciliter les modes de recouvrement pour des créances transfrontalières non contestées. Elle a toutefois dû constater. dans son rapport du 9 juillet 1997 (23) relatif à l'évaluation des effets de la recommandation de 1995, que la situation a peu évolué dans les États membres et que les PME restent hésitantes en matière d'activités à l'exportation.
36. L'approche de la Commission, qui a d'ailleurs reçu un large soutien du Parlement (24), est en effet fondée sur le constat des disparités sensibles qui se manifestent lors de la comparaison des systèmes nationaux. Les vingt dernières années ont en effet vu éclore dans chaque État membre, à des degrés très divers, une série de procédures particulières ou sommaires. La multiplication de ces procédures, qui traduit la volonté des États membres de lutter contre l'arriéré judiciaire endémique et l'encombrement des cours et tribunaux, manifeste du même coup la priorité que chacun d'eux entend accorder à l'efficacité de la protection judiciaire accordée à telle ou telle catégorie de droit ou de justiciables.
37. Un certain nombre d'États membres ont ainsi déjà mis en place ou sont en train de mettre en place, outre des procédures visant les petites créances ou plus spécifiquement les créances de consommation, des procédures tendant à rendre plus simple, plus rapide et moins coûteux le recouvrement de sommes d'argent. Ces procédures (25) n'existent toutefois pas dans tous les États membres (26). Lorsqu'elles existent, les conditions de fond et de forme auxquelles leur mise en oeuvre est subordonnée varient très sensiblement. Les points de divergence touchent à des aspects aussi fondamentaux que le montant maximal des créances pouvant faire l'objet de cette procédure, le caractère contradictoire ou unilatéral de cette dernière, les modes de preuves, les frais et taxes, le rôle de l'avocat. S'y ajoute un formalisme de portée inégale dans les États membres, voire une déjudiciarisation totale de la procédure (27).
38. Cette disparité croissante engendre une inégalité des armes en faveur des justiciables qui peuvent bénéficier d'une procédure d'injonction de payer très efficace et au détriment de ceux qui, à l'autre extrême, n'en disposent pas du tout et n'ont d'autre recours que les procédures dites «normales», généralement synonymes de coûts et de délais bien supérieurs. S'y ajoute le fait que, dans certains États membres, l'usage de la procédure d'injonction de payer est purement et simplement prohibé en cas de litige transfrontalier (28). Dans ce dernier cas, l'inégalité des dispositifs législatifs nationaux peut exercer une influence non négligeable sur le choix de la juridiction compétente («forum shopping»). La Commission estime nécessaire de réduire ces différences qui peuvent exercer une influence sur le comportement des débiteurs. Il a en effet été démontré (29), dans le cadre du suivi de la recommandation sur les délais de paiement interentreprises, qu'il y a beaucoup moins de retards de paiements dans les États membres où l'obtention et l'exécution des décisions de condamnation sont rapides, peu coûteuses et efficaces. Dans ces mêmes États, la proportion de retards de paiements intentionnels par rapport à l'ensemble des retards est nettement inférieure à la moyenne, qui est de 35 %. Les opérateurs doivent donc, pour profiter pleinement des avantages de la disparition des frontières, disposer d'une procédure rapide, efficace et peu coûteuse et répondant à des conditions de fond et de forme leur offrant une protection équivalente. Cette protection ne doit d'ailleurs pas être limitée aux opérateurs économiques mais être offerte à tout citoyen (consommateur, créancier d'aliments, etc.) confronté au non-paiement d'une créance.
39. La généralisation (30), dans tous les États membres, de la procédure d'injonction de payer aura également pour effet de faciliter, grâce à la familiarisation des autorités responsables, les procédures de reconnaissance et d'exequatur (31) prévues par la convention de Bruxelles. Il doit d'ailleurs être rappelé à ce sujet que nombre de travaux scientifiques effectués sur le «titre exécutoire européen» partaient du postulat qu'une procédure uniforme tendant au paiement d'une somme d'argent permettrait d'aboutir à la disparition totale de la procédure de reconnaissance et d'exécution (exequatur) prévue par la convention de Bruxelles.
40. Le principe essentiel est qu'une procédure lourde en paiement de somme d'argent doit être évité dans les affaires qui ne sont pas réellement contentieuses et où le débiteur ne conteste pas sa dette. Ce principe de l'inversion du contentieux postule que l'initiative procédurale n'incombe plus au demandeur mais bien au défendeur qui, s'étant vu notifier un ordre de paiement rendu sur demande du créancier, doit adopter une attitude active en saisissant le tribunal. La procédure se caractérise par les effets juridiques qu'elle fait produire au silence conscient du débibiteur. Des précautions particulières doivent donc être prises pour que les intérêts du débiteur défendeur soient efficacement protégés. La signification ou la notification du titre faisant droit à la demande du créancier revêt à cet effet une importance considérable, puisqu'elle fait courir le délai permettant au débiteur de faire valoir son opposition et d'ouvrir un débat contradictoire.
41. Une fois posés ces principes généraux, qui sont à la base de tous les systèmes existants, nombre de questions restent à résoudre. Il s'agit d'abord de déterminer comment respecter l'équilibre des droits des parties en présence, qu'il s'agisse de consommateurs, dont il faudrait éviter de renforcer la position d'infériorité existante sur le marché (32), ou d'autres catégories de personnes. Il faudra encore définir quel doit être le rôle de l'autorité judiciaire, de l'huissier de justice, ou encore de l'avocat. Le champ matériel, le montant maximal éventuel des créances, les modalités de la demande, les modes de preuve, les modes de signification de l'ordonnance, les moyens et délais de recours constituent autant de paramètres à prendre en considération lors de la réflexion sur les contours possibles d'une procédure européenne d'injonction de payer. Cette réflexion sera également guidée par la volonté de ne pas porter atteinte aux systèmes existants qui ont démontré leur efficacité.
II.2. L'EXÉCUTION DES DÉCISIONS
42. Un régime prompt et efficace d'exécution des décisions judiciaires constitue un des aspects de l'accès à la justice. La libre circulation des jugements est d'autre part illusoire si le titre ne se concrétise pas avec une efficacité équivalente dans tous les États membres.
43. Il n'est pas certain que, à l'heure actuelle, les législations nationales soient à même de répondre à cet objectif. Tout comme les mesures conservatoires et provisoires, les voies d'exécution forcée sont organisées de manière très différente et sont soumises à des conditions très divergentes d'un État membre à l'autre. Si tous les États membres connaissent un droit de l'exécution différent en fonction de la nature de l'obligation mise à la charge du débiteur et si la quasi-totalité d'entre eux conditionnent l'exécution forcée à une signification du titre sur lequel elle est fondée, voire à une mise en demeure du débiteur, il existe des grandes différences en ce qui concerne la nature des titres permettant l'exécution forcée (33), la force de la chose jugée n'étant pas le seul critère déterminant à cet égard. Les exceptions au principe généralement admis de saisissabilité de tous les biens du débiteur sont nombreuses et également très différentes selon les États. Il en va de même en ce qui concerne les voies de recours, le rôle de la juridiction dans le contentieux de l'exécution, la coût de l'exécution ou encore la publicité des mesures d'exécution.
44. La convention de Bruxelles ne vise qu'à faciliter la libre circulation des jugements en assouplissant les règles de l'exequatur. L'exécution proprement dite reste soumise aux règles de procédure de l'État dans lequel l'exécution a lieu. Le caractère exécutoire d'un titre ne se confond donc pas avec son exécution effective et il est loin d'être établi que «les conditions d'exécution des décisions et les risques liés aux difficultés qu'elles suscitent soient les mêmes dans tous les États membres» (34).
45. La diversité et la complexité des règles ainsi mise en lumière par la Cour de justice est en fait liée à la situation particulière du droit des voies d'exécution qui touche au droit des personnes, au droit des contrats, des régimes matrimoniaux et des successions, du droit fiscal, . . . ainsi que du droit des sûretés. Ce caractère multidisciplinaire, auquel s'ajoute le principe classique de territorialité des saisies, impose une approche prudente et très progressive du sujet.
46. Il est proposé de limiter la réflexion, dans un premier temps, à la problématique de la saisie bancaire, qui existe dans la quasi-totalité des États membres et qui est a priori une arme efficace contre le débiteur récalcitrant. Cette efficacité doit toutefois être relativisée en raison du principe de territorialité des saisies et des différences substantielles entre les législations nationales. Surtout, l'extrême volatilité du contenu des comptes bancaires constitue un frein sérieux à la mise en oeuvre de la saisie et à l'appréhension des fonds. Il est donc souhaitable de réfléchir sur les différents moyens de neutraliser ces obstacles et cette volatilité et de définir une approche commune de l'Union européenne.
47. Plusieurs questions méritent une attention spéciale. La détermination du lieu de la saisie est une de ces questions essentielles. La réponse à y apporter doit tenir compte du développement massif du transfert électronique de fonds. Le principe classique selon lequel ce lieu est celui où les fonds détenus par le banquier sont interceptés ou celui où le paiement est effectué par la banque (généralement son siège social) doit être réévalué à cet effet.
La portée de la saisie en ce qui concerne les fonds détenus par la succursale ou la filiale étrangère de la banque saisie pose également un problème particulier en relation avec le principe de territorialité des saisies. La filiale ou la succursale est très généralement considérée comme un établissement distinct de celui entre les mains duquel la saisie a été opérée, en tout cas en ce qui concerne le dessaisissement de celui-ci.
La date à laquelle le tiers saisi est tenu de délivrer des informations relatives au compte du débiteur, ou encore le sort des créances insaisissables versées sur le compte bancaire, sont autant de questions qui devront être soigneusement examinées. Il en est de même en ce qui concerne le traitement prioritaire accordé dans certains États au créancier saisissant, qui porte en germe un risque de discrimination à l'égard du créancier le plus «éloigné».
II.3. LA TRANSPARENCE DU PATRIMOINE
48. Faciliter, grâce à une procédure de reconnaissance et d'exequatur allégée, une prompte exécution des décisions étrangères est indispensable à une protection efficace des droits du créancier. Ce progrès peut néanmoins s'avérer, dans nombre de cas, illusoire si le débiteur s'avère insolvable ou s'il a dissimulé ses biens. Le créancier doit donc pouvoir évaluer avec précision la consistance réelle du patrimoine de son débiteur, dans ses éléments actifs et passifs, avant de juger de l'opportunité de poursuivre l'exécution.
49. Or ce patrimoine, qui représente le gage général des créanciers, a perdu beaucoup de sa transparence. Autrefois constitué pour l'essentiel de biens immobiliers facilement identifiables et donc saisissables, ses composantes se sont considérablement modifiées. Il s'est largement dématérialisé et fait désormais la part belle aux comptes bancaires, rémunérations diverses, parts sociales, valeurs mobilières ou parts sociales dans des sociétés disséminées à travers l'Europe. Le patrimoine est désormais caractérisé par une plus grande opacité et, à l'heure des progrès informatiques et d'Internet (35), par une plus grande volatilité.
50. Les législateurs nationaux ne sont pas restés insensibles à cette évolution et ont progressivement mis en place des mesures permettant de pallier, au moins partiellement, ce manque de transparence. Les moyens existant actuellement dans chaque État membre et permettant de découvrir et de localiser les différents éléments actifs et passifs du patrimoine du débiteur sont néanmoins caractérisés par une extrême diversité et sont loin d'assurer une protection équivalente de tous les créanciers.
51. Un de ces moyens consiste en l'obligation faite au débiteur, à la requête du créancier ou de la juridiction chargée de l'exécution, de révéler les éléments de son patrimoine. Dans un premier groupe d'États membres, il n'existe aucune règle légale de cette nature. Il appartient donc au créancier de faire les diligences nécessaires pour identifier et localiser ces éléments, au bénéfice le plus souvent du débiteur avisé ou trop bien conseillé Certains États membres ne connaissent d'ailleurs pas de dispositions permettant de sanctionner les agissements du débiteur visant à organiser son insolvabilité.
Dans un second groupe d'États membres, il existe une obligation de déclaration de patrimoine, effectuée sous la forme écrite ou oralement auprès d'une juridiction, le cas échéant sous prestation de serment, devant un greffier ou un officier judiciaire, ou encore devant les autorités spécialement chargées de l'exécution des décisions. Le débiteur qui se refuse à cette déclaration s'expose à des sanctions, voire à une peine d'emprisonnement. D'une manière générale, l'obligation de déclaration porte sur tous les types de biens immeubles ou meubles.
L'efficacité d'une telle déclaration de patrimoine dépend dans une large proportion de l'usage qui en est fait et de la publicité qui lui est donnée. Dans certains États membres, l'information obtenue par cette voie n'est divulguée qu'à la juridiction et aux parties. À l'inverse, la valeur dissuasive de l'obligation de déclaration s'avère bien plus grande là où l'information peut être portée à la connaissance de toute personne intéressée via les registres des juridictions, de sorte que l'obligation de déclaration de patrimoine constitue un moyen de pression très efficace contre les débiteurs de mauvaise foi.
52. La consultation des registres publics peut constituer une source d'information complémentaire non négligeable, voire une solution de remplacement dans les États membres où n'existe pas la déclaration de patrimoine. Là encore, l'étendue des informations accessibles par ce moyen varie largement d'un État membre à l'autre.
53. Par ailleurs, dans un certain nombre d'États membres, il entre dans les attributions des juridictions ou autorités chargées de l'exécution la faculté d'exiger la communication par des tiers, notamment les établissement bancaires et financiers, des informations sur les comptes détenus par les débiteurs. Dans d'autres États membres, cette possibilité est totalement exclue, le secret bancaire étant généralement invoqué pour justifier cette exclusion.
54. Des divergences assez sensibles existent donc au sein de l'Union européenne dans la manière d'appréhender le concept de transparence du patrimoine. D'une part, la discrétion de certains États membres est de nature à encourager les débiteurs de mauvaise foi à déplacer leurs biens dans un tel État membre pour éviter la saisie. D'autre part, les créanciers de l'Union européenne ne se trouvent pas en situation d'égalité selon qu'ils doivent rechercher le paiement de leur créance dans tel ou tel État membre. La Commission estime que la situation actuelle n'est pas satisfaisante et que l'efficacité des voies d'exécution dans l'Union européenne nécessite une action coordonnée. Il lui parait opportun de réfléchir, compte tenu de l'intérêt du système, à la généralisation de l'obligation de déclaration de patrimoine comme moyen d'en localiser les éléments actifs et passifs. Il devra également être tenu compte des procédures destinées à lutter contre l'insolvabilité organisée.
Cette approche a reçu un assez large soutien des professionnels qui ont été consultés par les services de la Commission dans le cadre des travaux préparatoires au séminaire d'Helsinki de mars 1997 sur le «Titre exécutoire européen». La Commission estime toutefois indispensable de concilier l'efficacité d'une telle procédure et, d'une part, les règles de l'insaisissabilité et, d'autre part, la protection du débiteur et des tiers contre toute mesure d'investigation inopportune, inadéquate ou excessive. Une attention particulière devra également être apportée à la protection des données. Elle entend donc procéder à des consultations larges en vue d'obtenir des avis circonstanciés des milieux intéressés.
II.4. L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS ENTRE LES AUTORITÉS D'EXÉCUTION
55. Il est une autre dimension que la réflexion sur une amélioration de l'efficacité des jugements doit intégrer, celle de la coopération des autorités chargées dans chaque État de l'exécution des jugements. Cette question est indissociable de celle de l'identification des biens objet de l'exécution et en constitue le complément naturel. La portée d'une future coopération sera en effet d'autant plus grande que des efforts sensibles auront été accomplis dans le sens d'une plus grande transparence du patrimoine. En l'état actuel, et bien que la coopération judiciaire civile soit un des objectifs de l'Union européenne, on doit toutefois constater l'absence, au niveau de l'Union européenne, de tout instrument multilatéral de portée générale ayant pour objet, par la mise en place d'un système d'assistance mutuelle, d'accélérer le règlement des litiges et l'exécution des jugements.
56. Ce constat a d'ailleurs été l'un des thèmes abordés lors du séminaire sur le «Titre exécutoire européen» organisé à Helsinki en mars 1997, en tant qu'élément contribuant à une plus grande efficacité des décisions judiciaires. La possibilité de mise en oeuvre d'un système d'échanges d'informations dans ce domaine a d'ailleurs fait l'objet de consultations des États membres dans le cadre des travaux sur le «Titre exécutoire européen» (voir point I.2). L'accueil reçu par cette proposition témoigne d'une certaine sensibilisation des États membres aux difficultés engendrées par l'absence d'un cadre formel de coopération, au niveau des juridictions, dans le domaine de l'efficacité des jugements.
57. La Commission considère pour sa part que l'amélioration des mécanismes législatifs de reconnaissance et d'exequatur est une question prioritaire mais que les résultats positifs attendus des efforts accomplis dans ce sens peuvent être encore accrus par une coopération active des autorités des États membres impliquées dans ces mécanismes. D'une part, une telle coopération permettrait de contourner les inconvénients du principe de territorialité des voies d'exécution, principe profondément ancré dans la tradition juridique des États membres. La difficulté, voire l'impossibilité dans certains cas, de localiser facilement et à moindre coût les biens susceptibles de satisfaire le créancier remet d'autre part en cause la libre circulation et l'effectivité des décisions et, plus généralement, la capacité des appareils judiciaires des États membres à répondre aux préoccupations des justiciables. Il est donc judicieux qu'un débat soit ouvert en vue de la détermination de l'opportunité, de la forme et des modalités possibles d'un système d'échange d'informations entre autorités d'exécution des États membres.
58. Pour être efficace, un tel système ne doit pas se limiter à l'échange d'informations sur la législation applicable dans l'État requis en matière d'exécution des décisions. L'objectif majeur de la coopération doit être en réalité l'obtention, au bénéfice du créancier, des informations disponibles dans l'État requis sur la personne du débiteur lui-même mais aussi sur la nature de ses biens, leur consistance en éléments actifs (y compris des créances détenues par des tiers) et passifs, ainsi que leur localisation.
59. Un examen comparé des instruments existant dans d'autres matières facilitera la définition des contours possibles du système. Il existe en effet une série d'instruments, notamment au niveau de l'Union européenne, dont l'objet est de permettre ou de faciliter l'information réciproque et la coopération des autorités.
À cet égard, le mécanisme prévu par la convention signée le 6 novembre 1990 dans le cadre de la coopération politique européenne et relative au recouvrement des pensions alimentaires (36) revêt un intérêt particulier. Selon l'article 3 de cette convention, les autorités désignées s'engagent en effet à coopérer en vue de l'efficacité des décisions et à mettre en oeuvre les moyens d'exécution forcée nécessaires, mais aussi à rechercher et localiser les biens du débiteur, de même qu'à obtenir des autorités de l'État toute information concernant le débiteur.
Le droit communautaire offre également plusieurs modèles de systèmes d'échange d'informations et d'assistance mutuelle entre autorités, dont l'objectif est d'assurer la bonne application des réglementations communautaires. Ces systèmes se sont particulièrement développés dans les domaines douanier et agricole, ainsi qu'en matière fiscale (37).
60. Lors de la réflexion à mener, les différences de cultures entre les États membres en ce qui concerne la responsabilité de la conduite du procès et de l'exécution des décisions, les disparités ou convergences entre les informations disponibles au sein de chaque État membre, de même que les divergences sensibles dans les statuts et les responsabilités des agents d'exécution, auront une influence non négligeable sur les débats et un certain nombre de paramètres devront être pris en considération.
Il importera en effet de définir avec précision qui pourrait avoir accès aux informations. Il serait sans doute préférable de réserver cet accès à des autorités, et non pas à de simples personnes privées. Il faudra donc déterminer quelles seraient les autorités susceptibles de recevoir des informations et celles susceptibles d'en donner. Sans doute un tel système devra-t-il ouvert à toute autorité, administrative, judiciaire ou exerçant à titre libéral, dès lors que cette autorité a reçu de l'État le pouvoir de procéder à l'exécution forcée des décisions. Une question annexe sera celle du degré de décentralisation auquel un tel système devrait aboutir.
Le champ d'application matériel du système et les conditions auxquelles devront répondre les demandes d'assistance devront être clairement définies. Il faudra également cerner les cas où l'assistance pourrait être valablement refusée ainsi que les limites qui peuvent être imposées au système par le légitime souci de la protection de la vie privée et de la protection des données personnelles ou encore par les règles nationales en vigueur dans l'État requis en matière de confidentialité des informations ou de secret bancaire.
(1*) Voir page 20 du présent Journal officiel.
(2) Livre vert sur l'accès des consommateurs à la justice et le règlement des litiges de consommation dans le marché unique - COM(93) 576; plus d'une centaine de contributions ont été adressées à la Commission.
(3) Un sondage Eurobaromètre réalisé en 1991 a révélé que les difficultés de règlement des litiges sont un des obstacles majeurs au développement d'achats de biens de consommation dans un autre État membre.
(4) Recommandation de la Commission du 12 mai 1995 concernant les délais de paiement dans les transactions commerciales (JO L 127 du 10.6.1995) et communication de la Commission relative à cette recommandation (JO C 144 du 10.6.1995).
(5) Seules certaines matières en sont exclues. Voir toutefois le projet de convention sur la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale («Bruxelles II»).
(6) Cour de justice des Communautés européennes - Affaire C-398/92, 10 février 1994, Mund et Festner, Recueil 1994, p. I-474.
(7) JO L 319 du 25.11.1988, p. 9.
(8) Il a été relevé dans le cadre du livre vert sur l'accès à la justice des consommateurs que le coût moyen (frais de justice et frais d'avocat) du règlement judiciaire d'un litige intracommunautaire portant sur un montant de 2 000 écus s'élève, pour le demandeur, à un montant d'environ 2 500 écus.
(9) Ainsi qu'il ressort des réponses au questionnaire diffusé par les services de la Commission dans le cadre des travaux préparatoires sur le «titre exécutoire européen» et de l'étude «Cost of Judicial Barriers for Consumers in the Single Market» réalisée pour la Commission dans le cadre du suivi du livre vert sur l'accès à la justice des consommateurs.
(10) JO C 319 du 26.10.1996.
(11) Afin de poursuivre leur propre réflexion et d'enrichir les débats, les services de la Commission ont diffusé largement auprès des associations européennes représentatives des milieux professionnels concernés (notaires, avocats, magistrats, huissiers et greffiers) un questionnaire préparatoire au séminaire d'Helsinki. La synthèse des réponses a été présentée à l'occasion de ce séminaire.
(12) La convention d'adhésion de l'Espagne et du Portugal de 1989 et la convention d'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède de 1996.
(13) Affaire C-261/90, Reichert II, 26.3.1992, Recueil 1992, p. 2149.
(14) Affaire 119/84, Cappelloni et Aquilini contre Pelkmans, Recueil 1985, p. 3147.
(15) Il appartiendra à la Cour de justice de déterminer si peuvent être qualifiées de mesures conservatoires et provisoires les mesures qui ont pour objet l'anticipation de la décision au fond. Voir question préjudicielle n° 1996, C-46/7, affaire C-391/95 Van Uden Maritime BV contre Firma Deco-Line, Peter Determan KG.
(16) Voir toutefois les limites apportées à la reconnaissance de ces mesures par l'arrêt «Denilauler» de la Cour de justice: la mesure conservatoire et provisoire ne sera pas reconnue si elle a été prise «ex parte» affaire 125/79, Denilauler contre Couchet, Recueil 1980, p. 1553.
(17) Voir l'article 68 de la loi française du 9 juillet 1991 sur les procédures d'exécution et l'article 1 414 du Code judiciaire belge.
(18) Voir notamment le Livre vert sur l'accès à la justice des consommateurs et le règlement des litiges de consommation [COM(93) 576] et le «Programme stratégique pour le marché intérieur» [COM(93) 256].
(19) Cour de justice des Communautés européennes.
(20) Voir par exemple la directive 84/450/CEE sur la publicité trompeuse, la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, les directives 88/357/CEE, 90/619/CEE, 92/49/CEE et 92/96/CEE en matière d'assurance, la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs dans le cadre d'une prestations de service.
(21) «European Late Payment Survey» - 1994 - Intrum Justitia.
(22) JO L 127 du 10.6.1995; voir communication relative à la recommandation de la Commission du 12 mai 1995 concernant les délais de paiement dans les transactions commerciales - JO C 144 du 10.6.1995, p. 3.
(23) JO C 216 du 17.7.1997, p. 10.
(24) JO C 211 du 22.7.1996.
(25) «Procédure d'injonction de payer» en France, «Mahnverfahren» en Allemagne, «decreto ingiuntivo» en Italie, «betalningsföreläggande» en Suède, «summiere rechtspleging om betaling te bekomen» aux Pays-Bas, etc.
(26) L'Espagne et le Portugal ne connaissent pas la procédure d'injonction de payer. Le Royaume-Uni et l'Irlande connaissent une procédure sommaire assez voisine.
(27) Le «kronofogdemyndighet» en Suède, par exemple.
(28) Il n'est d'ailleurs pas certain que cette restriction soit conforme à la lecture donnée par la Cour de justice de la convention de Bruxelles et de l'article 6 interdisant les discriminations (arrêt Mund et Festner, affaire C-398/92, 10 février 1994, Recueil p. I-467).
(29) European Payment Habits Survey - April 1997 - Intrum Justitia.
(30) Voir la communication précitée, page 9.
(31) Dans l'arrêt Klomps (16 juin 1981, affaire 166/80, Recueil 1981, p. 1953), la Cour de justice a admis que l'ordonnance d'injonction de payer est une «décision» au sens de la convention de Bruxelles.
(32) Voir livre vert sur l'accès à la justice des consommateurs.
(33) Certains des États membres opèrent une distinction entre le titre exécutoire et la formule exécutoire.
(34) Arrêt Mund et Festner précité, voir note 24 de bas de page.
(35) Livre vert de la Commission sur le commerce électronique [COM(97) 157].
(36) Cette convention a été ratifiée par quatre États membres seulement. Un examen de cette convention, en cours au sein du Conseil, notamment sur les motifs de non-ratification, devrait permettre des dégager des informations utiles.
(37) Voir notamment la directive 76/308/CEE du Conseil concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances résultant d'opérations faisant partie du système de financement du FEOGA ainsi que de prélèvements agricoles et de droits de douane (JO L 73 du 19.3.1976, p. 18).