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CJUE, 16 novembre 2011, aff. C-548/09 P, Bank Melli Iran contre Conseil de l'Union européenne

 

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 novembre 2011 (*)

 

Affaire C-548/09 P

Bank Melli Iran

contre

Conseil de l'Union européenne

«Pourvoi — Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire — Gel des fonds d’une banque — Défaut de notification de la décision — Base juridique — Droits de la défense»

Sommaire de l'arrêt

1.        Droit de l'Union — Principes — Droits de la défense — Droit à une protection juridictionnelle effective — Mesures restrictives à l'encontre de l'Iran

(Art. 254, § 1 et 2, CE; règlement du Conseil nº 423/2007, art. 7, § 2, et 15, § 3)

2.        Actes des institutions — Choix de la base juridique — Règlement concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran

(Art. 60 CE, 301 CE et 308 CE; position commune du Conseil 2007/140; règlement du Conseil nº 423/2007)

3.        Droit international public — Charte des Nations unies — Résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies — Obligation pour l'Union d'exercer ses compétences dans le cadre du respect de celles-ci — Limites

(Règlement du Conseil nº 423/2007, art. 7, § 2)

1.        Le principe de protection juridictionnelle effective implique que l’autorité de l’Union qui adopte un acte entraînant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité communique les motifs sur lesquels cet acte est fondé, dans toute la mesure du possible, soit au moment où cet acte est adopté, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après qu’il l’a été, afin de permettre à ces personnes ou entités l’exercice de leur droit de recours.

C’est en vue du respect de ce principe que l’article 15, paragraphe 3, du règlement nº 423/2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, impose au Conseil de donner les raisons individuelles et spécifiques pour les décisions prises conformément à l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement et de les porter à la connaissance des personnes, des entités et des organismes concernés. En effet, le gel des fonds a des conséquences considérables pour les entités concernées, dès lors qu’il est susceptible de restreindre l’exercice de leurs droits fondamentaux. Bien que le règlement nº 423/2007 ne prévoie pas la forme selon laquelle ces raisons sont «portées à la connaissance» des personnes, des entités et des organismes concernés, une publication au Journal officiel de l’Union européenne n'est pas suffisante. En effet, si la communication des raisons individuelles et spécifiques pouvait être considérée comme effectuée par la publication de la décision au Journal officiel, l’intérêt de prévoir explicitement cette communication, ainsi que le fait ledit article 15, paragraphe 3, ne saurait être perçu, dès lors que la décision de gel de fonds doit en tout état de cause être publiée, conformément à l’article 254, paragraphes 1 et 2, CE, compte tenu de sa nature réglementaire. Il s’ensuit que c’est par une communication individuelle que le Conseil doit s’acquitter de l’obligation prévue par cette disposition qui lui incombe.

Toutefois, si une communication individuelle est en principe nécessaire, aucune forme précise n’est requise par l’article 15, paragraphe 3, du règlement nº 423/2007, qui ne mentionne que l’obligation de «porter à la connaissance». Il importe qu’un effet utile soit donné à cette disposition, à savoir une protection juridictionnelle effective des personnes et entités concernées par des mesures restrictives adoptées en application de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement. Tel est le cas lorsque la communication n'a pas été effectuée par le Conseil, mais qu'une information suffisante a été transmise au destinataire par une autorité bancaire nationale et que le destinataire a été en mesure d'introduire un recours, l'absence de communication par le Conseil n’ayant pas eu pour conséquence de priver ce destinataire de la possibilité de connaître, en temps utile, la motivation de la décision litigieuse et d’apprécier le bien-fondé de la mesure de gel des fonds adoptée à son égard.

(cf. points 47-52, 55-56)

2.        Selon son intitulé, le règlement nº 423/2007 concerne l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran. Il ressort des considérants et de l’ensemble des dispositions de ce règlement que celui-ci a pour objet d’empêcher ou de freiner la politique adoptée par cet État en matière nucléaire, compte tenu du risque qu’elle présente, par des mesures restrictives en matière économique. Ainsi, ce sont bien les risques propres au programme iranien de prolifération nucléaire qui sont combattus et non pas l’activité générale de prolifération nucléaire.

Le but et le contenu de l’acte en question étant clairement l’adoption de mesures économiques visant la République islamique d’Iran, le recours à l’article 308 CE n’était pas nécessaire, l’article 301 CE constituant une base juridique suffisante en ce qu’il permet une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, cette action étant susceptible d’englober des mesures de gel de fonds d’entités, telle une banque, qui sont associées au régime du pays tiers concerné.

Quant à la nécessité d’inclure la position commune 2007/140 parmi les bases juridiques, elle est contredite par le texte même de l’article 301 CE, qui prévoit la possibilité d’adopter des mesures communautaires lorsqu’une position commune ou une action commune adoptées en vertu des dispositions du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) prévoient une action de la Communauté. Ce texte indique que la position commune ou l’action commune doivent exister pour que des mesures communautaires puissent être adoptées, mais non que ces mesures doivent être fondées sur cette position commune ou cette action commune.

En tout état de cause, une position commune ne saurait constituer la base juridique d’un acte communautaire. En effet, les positions communes du Conseil en matière de PESC, telles les positions communes 2007/140 et 2008/479, sont adoptées dans le cadre dudit traité UE, conformément à l’article 15 de celui-ci, tandis que les règlements du Conseil, tels que le règlement nº 423/2007, sont adoptés dans le cadre du traité CE. Le Conseil ne pouvait donc adopter un acte communautaire qu’en se fondant sur des compétences qui lui étaient conférées par le traité CE, soit en l'espèce les articles 60 CE et 301 CE.

(cf. points 68-72)

3.        Les résolutions du Conseil de sécurité, d’une part, et les positions communes du Conseil ainsi que les règlements de ce dernier, d’autre part, relèvent d’ordres juridiques distincts. De même, les actes adoptés dans le cadre, d’une part, des Nations unies et, d’autre part, de l’Union le sont par des organes qui disposent de pouvoirs autonomes, qui leur sont attribués par leurs chartes de base que sont les traités qui les ont créées.

Lors de l’élaboration de mesures communautaires ayant pour objet la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité visée par une position commune, la Communauté doit tenir dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée. De même, il y a lieu de tenir compte du texte et de l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité pour l’interprétation du règlement qui vise à mettre celle-ci en œuvre. Cependant, sans pour autant que cela remette en cause la primauté d’une résolution du Conseil de sécurité au plan international, le respect s’imposant aux institutions communautaires à l’égard des institutions des Nations unies ne peut avoir pour conséquence l’absence de contrôle de la légalité de l’acte communautaire au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire.

Ainsi, le pouvoir conféré au Conseil par l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 423/2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, est un pouvoir autonome. À cet égard, une obligation de «tenir dûment compte» des termes et des objectifs de la résolution concernée ne va en rien à l’encontre de la constatation que le Conseil statue de manière autonome, dans le respect des règles de son propre ordre juridique.

(cf. points 100, 102-106)






ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 novembre 2011 (*)

«Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds d’une banque – Défaut de notification de la décision – Base juridique – Droits de la défense»

Dans l’affaire C‑548/09 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 décembre 2009,

Bank Melli Iran, établie à Téhéran (Iran), représentée par Me L. Defalque, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et R. Szostak, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République française, représentée par Mme E. Belliard, ainsi que par MM. G. de Bergues, L. Butel et E. Ranaivoson, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Hathaway, en qualité d’agent, assisté de M. D. Beard, barrister,

Commission européenne, représentée par Mme S. Boelaert et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, Mme A. Prechal, présidents de chambre, M. A. Rosas (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, E. Juhász, D. Šváby, Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 mars 2011,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 juin 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Bank Melli Iran, banque iranienne détenue par l’État iranien, demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil (T‑390/08, Rec. p. II‑3967, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation du point 4 du tableau B de l’annexe de la décision 2008/475/CE du Conseil, du 23 juin 2008, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 163, p. 29, ci-après la «décision litigieuse»), en ce qu’il concerne Bank Melli Iran et ses succursales.

 Le cadre juridique

 Les résolutions 1737 (2006) et 1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations unies

2        En vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci-après la «prolifération nucléaire»), le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le «Conseil de sécurité») a, le 23 décembre 2006, adopté la résolution 1737 (2006), dont l’annexe énumère une série de personnes et d’entités impliquées dans la prolifération nucléaire et dont les fonds et les ressources économiques (ci-après les «fonds») devaient être gelés. La liste figurant en annexe de la résolution 1737 (2006) a été par la suite mise à jour par plusieurs résolutions, et notamment par la résolution 1747 (2007) du Conseil de sécurité, du 24 mars 2007, par laquelle les fonds de Bank Sepah, banque iranienne, et de sa filiale au Royaume-Uni, Bank Sepah International plc, ont été gelés. La requérante n’a pas fait l’objet de mesures de gel des fonds arrêtées par le Conseil de sécurité.

 La position commune 2007/140/PESC

3        En ce qui concerne l’Union européenne, la résolution 1737 (2006) a été mise en œuvre par la position commune 2007/140/PESC du Conseil, du 27 février 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 61, p. 49).

4        L’article 5, paragraphe 1, de la position commune 2007/140 est rédigé comme suit:

«Sont gelés tous les fonds [...] appartenant aux personnes et entités ci-après, de même que tous les fonds [...] que ces personnes ou entités possèdent, détiennent ou contrôlent, directement ou indirectement:

a)      les personnes et entités désignées à l’annexe de la résolution 1737 (2006), ainsi que les autres personnes et entités désignées par le Conseil de sécurité ou par le Comité conformément au point 12 de la résolution 1737 (2006); ces personnes et entités sont énumérées à l’annexe I;

b)      les personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui participent sont directement associées ou apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, ou les personnes ou entités agissant en leur nom ou sur leurs instructions, ou les entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites, telles qu’énumérées à l’annexe II.»

5        La requérante n’est pas mentionnée dans les annexes de la position commune 2007/140.

 Le règlement (CE) n° 423/2007

6        Dans la mesure où les compétences de la Communauté européenne étaient concernées, la résolution 1737 (2006) a été mise en œuvre par le règlement (CE) n° 423/2007, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 103, p. 1), adopté sur la base des articles 60 CE et 301 CE, visant la position commune 2007/140 et dont le contenu est en substance semblable à celui de cette dernière, les mêmes noms d’entités et de personnes physiques figurant à l’annexe de ce règlement.

7        L’article 5 du règlement n° 423/2007 interdit certaines transactions avec des personnes ou entités se trouvant en Iran ou aux fins d’une utilisation dans ce pays.

8        L’article 7 du règlement n° 423/2007 est rédigé comme suit:

«1.      Sont gelés tous les fonds [...] qui appartiennent aux personnes, aux entités ou aux organismes cités à l’annexe IV, de même que tous les fonds [...] que ces personnes, entités et organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe IV comprend les personnes, entités et organismes désignés par le Conseil de sécurité [...] ou par le comité des sanctions conformément au paragraphe 12 de la résolution 1737 (2006) du Conseil de sécurité [...].

2.      Sont gelés tous les fonds [...] qui appartiennent aux personnes, entités ou organismes cités à l’annexe V, de même que tous les fonds [...] que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe V comprend les personnes physiques et morales, entités et organismes non cités à l’annexe IV qui ont été reconnus conformément à l’article 5, paragraphe 1, point b), de la position commune 2007/140[...]:

a)      comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération; ou

b)      comme participant, étant directement associés ou apportant un appui à la mise au point par l’Iran de vecteurs d’armes nucléaires; ou

c)      comme agissant au nom ou sur les instructions d’une personne, d’une entité ou d’un organisme visé aux points a) ou b); ou

d)      comme une personne morale, une entité ou un organisme détenu ou contrôlé par une personne, une entité ou un organisme visé aux points a) ou b), y compris par des moyens illicites. 

3.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes cités aux annexes IV et V, ni dégagé à leur profit.

4.      Il est interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner les mesures visées aux paragraphes 1, 2 et 3.»

9        La requérante n’est pas mentionnée dans les annexes du règlement n° 423/2007.

10      Les articles 8 et 9 du règlement n° 423/2007 prévoient la possibilité de débloquer certains fonds pour permettre l’exécution d’un privilège ou d’une décision judiciaire, administrative ou arbitrale, ou encore en vue du paiement d’une dette échue. L’article 10 de ce règlement prévoit la possibilité de débloquer certains fonds afin de faire face, sous le contrôle de l’autorité compétente, à certaines dépenses, telles celles nécessaires pour subvenir aux besoins essentiels des personnes dont les fonds sont gelés ou régler les dépenses engagées pour la prestation de services juridiques.

11      L’article 13 du règlement n° 423/2007 impose aux personnes et aux entités concernées de fournir diverses informations aux autorités compétentes et de coopérer avec celles-ci.

12      L’article 15, paragraphes 2 et 3, dudit règlement est rédigé comme suit:

«2.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, établit, révise et modifie la liste des personnes, des organismes et des entités visée à l’article 7, paragraphe 2, en pleine conformité avec les décisions du Conseil relatives à l’annexe II de la position commune 2007/140[...]. La liste de l’annexe V est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

3.      Le Conseil donne les raisons individuelles et spécifiques pour les décisions prises en vertu du paragraphe 2 et les porte à la connaissance des personnes, des entités et des organismes concernés.»

13      L’article 16 du règlement n° 423/2007 prévoit que les États membres déterminent les sanctions applicables en cas de violation des dispositions du règlement.

 La résolution 1803 (2008) du Conseil de sécurité

14      Aux termes du point 10 de la résolution 1803 (2008) du Conseil de sécurité, du 3 mars 2008, ce dernier a demandé «à tous les États de faire preuve de vigilance s’agissant des activités menées par les institutions financières sises sur leur territoire avec toutes les banques domiciliées en Iran, en particulier la Banque Melli et la Banque Saderat, ainsi qu’avec leurs succursales et leurs agences à l’étranger, afin d’éviter que ces activités concourent à des activités posant un risque de prolifération, ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires».

 La position commune 2008/479/PESC

15      La position commune 2008/479/PESC du Conseil, du 23 juin 2008, modifiant la position commune 2007/140 (JO L 163, p. 43), a notamment remplacé l’annexe II de cette dernière. Cette annexe comporte un tableau A, intitulé «Personnes physiques», et un tableau B, intitulé «Entités».

16      Bien que la résolution 1803 (2008) n’ait pas imposé le gel des fonds de Melli Bank et de Bank Melli Iran, celui-ci est prévu par la position commune 2008/479. En effet, le tableau B, point 5, de l’annexe de cette dernière comprend, dans une première colonne intitulée «Nom», les indications suivantes:

«Bank Melli, Melli Bank Iran et toutes ses succursales et filiales

a)      Melli Bank plc

b)      Bank Melli Iran Zao».

17      Dans une deuxième colonne, intitulée «Informations d’identification», est indiquée une adresse en face du nom de chacune des banques concernées.

18      La troisième colonne, intitulée «Motifs», contient le texte suivant:

«Apporte ou tente d’apporter un soutien financier à des sociétés participant aux programmes nucléaire et de missiles de l’Iran ou achetant des biens destinés à ces programmes (AIO, SHIG, SBIG, AEOI, Novin Energy Company, Mesbah Energy Company, Kalaye Electric Company et DIO). La Bank Melli sert de facilitateur pour les activités sensibles de l’Iran. Elle a facilité de nombreux achats de matériels sensibles pour les programmes nucléaire et de missiles iraniens. Elle a fourni une série de services financiers pour le compte d’entités liées aux industries nucléaires et de missiles de l’Iran, y compris l’ouverture de lettres de crédit et la gestion de comptes. La plupart des sociétés précitées sont visées dans les résolutions 1737 et 1747 du [Conseil de sécurité].»

19      Dans la quatrième colonne, intitulée «Date d’inscription», est indiquée la date du «23.6.2008».

 La décision litigieuse

20      Le 23 juin 2008, le Conseil a également adopté la décision litigieuse. L’annexe de cette décision remplace l’annexe V du règlement n° 423/2007. Elle comprend un tableau A, intitulé «Personnes physiques», et un tableau B, intitulé «Personnes morales, entités et organes», comportant tous deux les mêmes colonnes que celles figurant à l’annexe de la position commune 2008/479. La requérante est inscrite au point 4 dudit tableau B. Les indications relatives à la requérante sont identiques à celles qui figurent à l’annexe de ladite position commune. Ladite décision a été publiée le 24 juin 2008 au Journal officiel de l’Union européenne.

21      Le 25 juin 2009 a été publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes, entités et organismes qui ont été inclus par le Conseil dans la liste des personnes, entités et organismes auxquels l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil s’applique (annexe V) (JO 2009, C 145, p. 1). Il y est rappelé que, conformément à l’article 15, paragraphe 2, dudit règlement, cette liste est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois. À cet effet, les personnes, entités ou organismes concernés peuvent adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle ils ont été inclus dans la liste en question, en y joignant les pièces justificatives requises. Toutes les demandes en ce sens doivent être envoyées au Conseil, dans un délai d’un mois à compter de la date de publication de cet avis.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

22      Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 18 septembre 2008, la requérante a introduit un recours en annulation, dirigé contre le point 4 du tableau B de l’annexe de la décision litigieuse, et a demandé au Tribunal:

–        à titre principal, d’annuler ledit point 4 en ce qu’il la concerne, ainsi que ses filiales et ses succursales;

–        à titre subsidiaire, de déclarer les articles 7, paragraphe 2, et 15, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 inapplicables au présent litige, et

–        en tout état de cause, de condamner le Conseil aux dépens.

23      La République française, le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission des Communautés européennes ont été admis à intervenir devant le Tribunal au soutien des conclusions du Conseil tendant au rejet du recours.

24      À l’appui de ses conclusions, la requérante invoquait cinq moyens. Le premier moyen était tiré d’une violation des formes substantielles, du traité CE, des règles de droit relatives à son application et de l’article 7, paragraphe 2, de la position commune 2007/140, d’un détournement de pouvoir, ainsi que d’un défaut de base juridique de la décision litigieuse. Le deuxième moyen était tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement. Le troisième moyen était tiré d’une violation du principe de proportionnalité et du droit de propriété. Le quatrième moyen était tiré d’une violation des droits de la défense, du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation prévue à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007. Le cinquième moyen était tiré d’un défaut de compétence du Conseil pour imposer des «sanctions pénales», telles que le gel des fonds, dans le cadre du traité.

25      À titre liminaire et avant d’examiner lesdits moyens, le Tribunal a rappelé, aux points 35 à 37 de l’arrêt attaqué, les principes applicables au contrôle juridictionnel.

26      Le Tribunal a ensuite examiné et rejeté chacun des moyens invoqués, ainsi que le recours dans son intégralité.

 Les conclusions des parties au pourvoi

27      Bank Melli Iran demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de lui allouer le bénéfice des conclusions qu’elle a présentées devant le Tribunal, et

–        de condamner la partie défenderesse aux dépens des deux instances.

28      Le Conseil demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.

29      La République française demande à la Cour de:

–        rejeter le pourvoi;

–        procéder à une substitution de motifs en ce qui concerne les points 86 à 88 de l’arrêt attaqué, par lesquels celui-ci a considéré que le Conseil était tenu de procéder à une notification individuelle aux personnes et aux entités concernées des mesures de gel de fonds adoptées sur le fondement du règlement n° 423/2007, et

–        condamner la requérante aux dépens.

30      Le Royaume-Uni demande à la Cour de rejeter le pourvoi.

31      La Commission demande à la Cour:

–        de constater qu’aucun des moyens invoqués par la requérante n’est de nature à entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué, et

–        en conséquence, de rejeter le pourvoi.

 Les moyens et les arguments des parties

32      Bank Melli Iran invoque trois moyens à titre principal et trois moyens à titre subsidiaire.

33      À titre principal, elle soutient, premièrement, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne retenant pas comme une formalité substantielle l’obligation de notification individuelle de l’acte attaqué et qu’il a entaché son raisonnement d’une motivation erronée, deuxièmement, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation des bases juridiques du règlement n° 423/2007 et qu’il a entaché son raisonnement d’une motivation erronée et, troisièmement, que le Tribunal a violé l’obligation de motivation des actes, ainsi que les droits de la défense et le principe de protection juridictionnelle effective.

34      À titre subsidiaire, elle fait valoir, premièrement, que le Tribunal a violé l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 et s’est contredit, deuxièmement, qu’il a commis une erreur d’appréciation quant au droit de propriété de la requérante et, troisièmement, que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en l’incluant et en la maintenant dans la liste figurant à l’annexe V dudit règlement.

 Sur le premier moyen invoqué à titre principal, tiré d’une violation de l’obligation de notification individuelle et d’une motivation erronée de l’arrêt attaqué

35      Ce moyen vise les points 86 à 90 de l’arrêt attaqué, qui sont rédigés comme suit:

«86      En revanche, l’affirmation du Conseil, soutenu par les intervenants, selon laquelle il a été satisfait à l’obligation de porter les motifs à la connaissance de la requérante par la publication de la décision [litigieuse] au Journal officiel ne saurait être acceptée. En effet, une décision telle que la décision [litigieuse], qui arrête une version modifiée de l’annexe V du règlement n° 423/2007, déploie des effets erga omnes, dès lors qu’elle s’adresse à un ensemble de destinataires déterminé de manière générale et abstraite, qui sont tenus de geler les fonds des entités incluses dans la liste de ladite annexe. Toutefois, une telle décision ne revêt pas une nature exclusivement générale, dès lors que le gel des fonds vise des entités nommément désignées, qui sont concernées directement et individuellement par les mesures restrictives individuelles arrêtées à leur égard (voir, en ce sens et par analogie, [arrêts de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, points 241 à 244, et du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, Rec. p. II‑4665], point 98). De surcroît, le gel des fonds a des conséquences considérables pour les entités concernées, dès lors qu’il est susceptible de restreindre l’exercice de leurs droits fondamentaux. Dans ces circonstances, étant donné la nécessité d’assurer le respect desdits droits, à la fois matériels et procéduraux [...], il convient de considérer que le Conseil est tenu, dans toute la mesure du possible, de porter les mesures de gel de fonds à la connaissance des entités concernées par une notification individuelle.

87      Les arguments soulevés par le Conseil ne sont pas de nature à modifier cette conclusion. En effet, premièrement, le fait que la notification individuelle s’avère impossible dans certains cas est sans préjudice de l’intérêt des entités à une telle notification et n’est donc pas pertinent dans les cas où l’adresse de l’entité concernée est connue. Deuxièmement, la règle selon laquelle nul n’est censé ignorer la loi ne saurait être invoquée à l’encontre de la requérante, dès lors que la décision [litigieuse] revêt, à son égard, la nature d’un acte individuel. Troisièmement, la distinction invoquée par le Conseil par rapport aux mesures de gel des fonds adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme est inopérante, le caractère diffamatoire ou non des motifs retenus pouvant uniquement être pertinent, le cas échéant, pour apprécier l’opportunité de la publication de la motivation au Journal officiel. En revanche, l’exigence d’une notification individuelle des mesures de gel des fonds résulte de ce que ces mêmes mesures affectent individuellement et de manière considérable les droits des entités concernées. Or, les effets des mesures de gel des fonds adoptées en vertu du règlement n° 423/2007 et de celles adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme étant comparables, il y a lieu de porter les mesures adoptées à la connaissance des entités visées de la même manière dans les deux cas.

88      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que le Conseil n’a pas respecté l’obligation de porter les motifs de la décision [litigieuse] à la connaissance de la requérante, découlant de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007, dès lors qu’il n’a pas procédé à une notification individuelle, alors qu’il ressort du contenu même de ladite décision qu’il connaissait l’adresse du siège de la requérante.

89      Toutefois, il ressort des annexes de la demande en référé, présentée par la requérante dans l’affaire T‑390/08 R, que, par lettre du 24 juin 2008, la Commission bancaire française a informé la succursale de la requérante à Paris de l’adoption de la décision [litigieuse] et de sa publication au Journal officiel, intervenue le même jour. Ainsi, la requérante a été informée, en temps utile et de source officielle, de l’adoption de la décision [litigieuse], ainsi que de ce qu’elle pouvait consulter la motivation de celle-ci au Journal officiel. De surcroît, elle a apparemment effectivement consulté le contenu de ladite décision, dont elle a annexé une copie à la requête.

90      Dans ces circonstances exceptionnelles, il y a lieu de conclure que le fait pour le Conseil de ne pas avoir porté les motifs de la décision [litigieuse] à la connaissance de la requérante par une notification individuelle n’a pas eu pour conséquence de priver cette dernière de la possibilité de connaître, en temps utile, la motivation de la décision [litigieuse] et d’apprécier le bien-fondé de la mesure de gel des fonds adoptée à son égard. Par conséquent, l’omission du Conseil ne justifie pas l’annulation de la décision [litigieuse].»

 Argumentation des parties

36      La requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne retenant pas comme étant une formalité substantielle, dont le non-respect entraîne l’annulation de l’acte, l’obligation de notification individuelle figurant à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007 et a entaché son raisonnement d’une motivation erronée.

37      Elle souligne que, selon l’article 254 CE, les décisions individuelles ne prennent effet que par leur notification. Une notification de la décision litigieuse aurait été d’autant plus importante que la requérante n’a pas été entendue avant l’adoption de celle-ci.

38      Citant l’arrêt du 8 juillet 1999, Hoechst/Commission (C‑227/92 P, Rec. p. I‑4443), la requérante fait valoir que la notification d’une décision est une forme substantielle dont le non-respect est un motif de nullité absolue de l’acte. Cette nullité ne pourrait être couverte par une mesure d’information donnée au destinataire de l’acte par une autre personne ou entité. Selon la requérante, la communication de la décision litigieuse qui a été effectuée par la Commission bancaire française ne pouvait dès lors satisfaire aux conditions de notification spécifiées dans le règlement n° 423/2007.

39      Outre la violation des formes substantielles, la requérante reproche au Tribunal d’avoir erronément motivé son arrêt en considérant que l’information donnée à la requérante par la Commission bancaire française couvrait la nullité et en retenant comme cause de justification à la défaillance du Conseil des «circonstances exceptionnelles», alors que l’absence de notification d’un acte faisant grief constituerait une violation d’une règle du droit de l’Union d’ordre public.

40      La République française et la Commission contestent le raisonnement du Tribunal et suggèrent à la Cour de procéder à une substitution de motifs. En effet, l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007 n’aurait pas imposé une notification individuelle de la décision litigieuse et aucune obligation de notification ne résulterait du droit primaire. C’est donc à tort que le Tribunal aurait exigé, au point 88 de l’arrêt attaqué, que le Conseil procède à une notification individuelle.

41      Le Conseil, la République française et la Commission soulignent la nature réglementaire d’une décision de gel des avoirs. Le Conseil relève que, malgré son raisonnement relatif à l’obligation de notification, le Tribunal n’a pas conclu que l’acte contesté constituait une décision et non un règlement.

42      La République française conteste en outre la comparaison effectuée par le Tribunal, au point 87 de l’arrêt attaqué, entre une mesure de gel des fonds adoptée dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire, qui vise des pays tiers, et celle adoptée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, qui vise des particuliers et des entités agissant de manière autonome. Il n’aurait jamais été soutenu qu’une mesure de sanction visant un pays tiers devait faire l’objet d’une notification individuelle à celui-ci. La différence d’objectifs se traduirait d’ailleurs par une différence de bases juridiques, le règlement n° 423/2007 ayant été adopté sur la base des articles 60 CE et 301 CE, tandis que les mesures adoptées en matière de terrorisme le seraient sur la base de l’article 308 CE.

43      Lors de l’audience, le Conseil a précisé que la notification des mesures de gel des fonds de personnes liées au terrorisme est effectuée conformément aux indications figurant au point 147 de l’arrêt du Tribunal Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, précité, c’est-à-dire que, afin d’éviter de porter atteinte aux intérêts légitimes de ces personnes, seule une motivation générale de la décision est publiée au Journal officiel de l’Union européenne, tandis que la motivation spécifique et concrète leur est notifiée.

44      Le Royaume-Uni rappelle qu’une notification a pour fonction d’informer le destinataire d’une décision et de lui permettre d’exercer un recours. En l’espèce, s’agissant de gel de fonds, une notification préalable n’aurait pas été possible compte tenu de l’effet de surprise requis. L’article 254 CE ne préciserait pas de quelle manière doit avoir lieu la notification. Le Royaume-Uni estime, à cet égard, qu’un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne en même temps que la décision attire suffisamment l’attention. En tout état de cause, l’entité concernée ressentirait immédiatement les effets de la mise en œuvre de la décision. En l’espèce, la succursale française de la requérante aurait été informée de la décision litigieuse et la requérante aurait pu exercer un recours. Le Royaume-Uni de même que le Conseil, la République française et la Commission soulignent que la requérante n’a subi aucun préjudice en raison du défaut de notification de la décision litigieuse.

 Appréciation de la Cour

45      Il y a lieu de relever, en premier lieu, que, malgré son intitulé, la décision litigieuse a la même nature qu’un règlement. Elle comporte uniquement une annexe, qui remplace l’annexe V du règlement n° 423/2007. Or, l’effet de cette annexe est déterminé à l’article 19, deuxième alinéa, de ce règlement qui prévoit que ledit règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, ce qui correspond aux effets d’un règlement tels que prévus à l’article 249 CE.

46      En principe, dès lors, le traité impose non pas la notification d’un tel acte, mais bien sa publication, conformément à l’article 254, paragraphes 1 et 2, CE.

47      En second lieu, s’agissant, plus particulièrement, de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007, il y a lieu de rappeler que le principe de protection juridictionnelle effective implique que l’autorité de l’Union qui adopte un acte entraînant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité communique les motifs sur lesquels cet acte est fondé, dans toute la mesure du possible, soit au moment où cet acte est adopté, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après qu’il l’a été, afin de permettre à ces personnes ou entités l’exercice de leur droit de recours (voir, en ce sens, arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 336).

48      Or, c’est en vue du respect de ce principe que l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007 impose au Conseil de donner les raisons individuelles et spécifiques pour les décisions prises conformément à l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement et de les porter à la connaissance des personnes, des entités et des organismes concernés.

49      En effet, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 86 de l’arrêt attaqué, le gel des fonds a des conséquences considérables pour les entités concernées, dès lors qu’il est susceptible de restreindre l’exercice de leurs droits fondamentaux.

50      Bien que le règlement n° 423/2007 ne prévoie pas la forme selon laquelle ces raisons sont «portées à la connaissance» des personnes, des entités et des organismes concernés, la thèse du Royaume-Uni, selon laquelle une publication au Journal officiel de l’Union européenne serait suffisante, ne saurait être retenue.

51      En effet, si la communication des raisons individuelles et spécifiques pouvait être considérée comme effectuée par la publication de la décision au Journal officiel de l’Union européenne, l’intérêt de prévoir explicitement cette communication, ainsi que le fait l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007, ne saurait être perçu, dès lors que ladite décision doit en tout état de cause être publiée, conformément à l’article 254, paragraphes 1 et 2, CE, compte tenu de sa nature réglementaire indiquée au point 45 du présent arrêt.

52      Il s’ensuit que c’est par une communication individuelle que le Conseil doit s’acquitter de l’obligation prévue par cette disposition qui lui incombe.

53      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’article 254, paragraphe 3, CE, auquel se réfère la requérante, qui concerne la notification proprement dite d’une décision, et dont il n’appert d’ailleurs pas que la violation aurait été invoquée par la requérante devant le Tribunal.

54      Il en est de même des points 68 à 73 de l’arrêt Hoechst/Commission, précité, auxquels se réfère la requérante et qui doivent être compris à la lumière des arguments des parties auxquels ils répondent et du contexte dans lequel ils s’inscrivent. Ainsi qu’il ressort des points 44 à 53 de l’arrêt Hoechst/Commission, précité, et des points 21 à 24 des conclusions de l’avocat général Cosmas dans cet arrêt, Hoechst AG invoquait l’absence d’authentification de la décision attaquée et le fait que ce n’était pas le texte adopté à la date indiquée qui lui avait été envoyé. Au point 69 dudit arrêt, la Cour a répondu à cette argumentation par référence aux points 48 et 49 de l’arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C‑137/92 P, Rec. p. I-2555), lesquels sont relatifs à des irrégularités telles que celle en cause dans cette affaire, à savoir l’absence d’authentification de l’acte. Quant au point 72 de l’arrêt Hoechst/Commission, précité, il renvoie de toute évidence à la question tranchée par l’arrêt Commission/BASF e.a., précité, à savoir les conséquences juridiques du défaut d’authentification d’un acte.

55      En l’espèce, la communication des raisons individuelles et spécifiques du gel des fonds prévue à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007 n’a pas été effectuée par le Conseil, mais une information suffisante a été transmise à la succursale de la requérante par la Commission bancaire française et la requérante a été en mesure d’introduire un recours. Eu égard à ces éléments, c’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 90 de l’arrêt attaqué, que le fait pour le Conseil de ne pas avoir porté les motifs de la décision litigieuse à la connaissance de la requérante n’a pas eu pour conséquence de priver cette dernière de la possibilité de connaître, en temps utile, la motivation de la décision litigieuse et d’apprécier le bien-fondé de la mesure de gel des fonds adoptée à son égard.

56      En effet, si, ainsi qu’il vient d’être exposé, une communication individuelle est en principe nécessaire, il suffit de constater qu’aucune forme précise n’est requise par l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007, qui ne mentionne que l’obligation de «porter à la connaissance». Il importe qu’un effet utile ait été donné à cette disposition, à savoir une protection juridictionnelle effective des personnes et entités concernées par des mesures restrictives adoptées en application de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement, ce qui a été le cas en l’espèce.

57      Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le premier moyen n’est pas fondé.

 Sur le deuxième moyen invoqué à titre principal, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation des bases juridiques du règlement n° 423/2007 et d’une motivation erronée de l’arrêt attaqué

58      Ce moyen vise les points 45 à 50 de l’arrêt attaqué, qui sont rédigés comme suit:

«45      Les articles 60 CE et 301 CE ont la particularité de constituer une passerelle entre les actions de la Communauté comportant des mesures économiques et les objectifs du traité UE, [dans sa version antérieure au traité de Lisbonne,] en matière de relations extérieures, dont la [politique étrangère et de sécurité commune (PESC)] (voir, en ce sens, arrêt Kadi [et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité], point 197). En effet, les articles 60 CE et 301 CE sont des dispositions qui envisagent expressément qu’une action de la Communauté puisse s’avérer nécessaire en vue de réaliser l’un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union par l’article 2 UE, à savoir la mise en œuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune.

46      Toutefois, cette circonstance est sans préjudice de la coexistence de l’Union et de la Communauté en tant qu’ordres juridiques intégrés mais distincts ainsi que de l’architecture constitutionnelle des piliers, voulues par les auteurs des traités actuellement en vigueur (voir, en ce sens, arrêt Kadi [et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité], point 202). Par conséquent, alors même que l’action de la Communauté dans le cadre des articles 60 CE et 301 CE met en œuvre l’un des objectifs de l’Union, elle est néanmoins entreprise sur le fondement du pilier communautaire. Partant, la légalité des actes pris dans ce domaine, tels que le règlement n° 423/2007 et les actes le mettant en œuvre, doit être appréciée par rapport aux conditions posées par les règles de ce même pilier, y compris en ce qui concerne la règle de vote appropriée.

47      Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la requérante, la position commune 2007/140, qui fait partie du deuxième pilier de l’Union, ne constitue pas une base juridique du règlement n° 423/2007 et des actes le mettant en œuvre, ce qui implique que la règle de vote applicable à l’adoption de ladite position commune et à sa modification est sans pertinence. En effet, l’existence d’une position commune ou d’une action commune adoptée préalablement dans le domaine de la PESC n’est qu’une condition posée par l’article 301 CE, celui-ci définissant également la règle de vote applicable à l’adoption des actes pris en son application.

48      Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que le règlement n° 423/2007 et la décision [litigieuse] ont été adoptés à la majorité qualifiée, en conformité avec la règle posée par l’article 301 CE. Il n’est pas non plus contesté que l’adoption du même règlement a été précédée de l’adoption à l’unanimité de la position commune 2007/140 et que l’adoption de la décision [litigieuse] a été précédée de l’adoption à l’unanimité de la position commune 2008/479, par laquelle la requérante a été inscrite sur la liste des entités visées par la mesure de gel des fonds en vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la position commune 2007/140. Dans ces circonstances, il convient de conclure que les conditions posées par l’article 301 CE ont été respectées.

49      Par conséquent, le grief de la requérante tiré du non-respect de la règle de vote applicable doit être rejeté.

50      Quant aux autres griefs de la requérante, il convient de rappeler qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt de la Cour du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, Rec. p. I‑11893, point 75, et arrêt du Tribunal du 13 janvier 2004, Thermenhotel Stoiser Franz e.a./Commission, T‑158/99, Rec. p. II‑1, point 164, et la jurisprudence citée). Or, en l’espèce, la requérante n’a pas apporté d’éléments suggérant que, en adoptant la décision [litigieuse], le Conseil poursuivait un but autre que celui d’empêcher la prolifération nucléaire en gelant les fonds des entités dont il considérait qu’elles participaient, étaient directement associées ou apportaient un appui aux activités concernées, conformément à la procédure prévue à cette fin par le traité CE et par le règlement n° 423/2007.»

 Argumentation des parties

59      La requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation des bases juridiques du règlement n° 423/2007 et a entaché son arrêt d’une motivation erronée.

60      La requérante rappelle que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 vise des entités qui «particip[ent], [sont] directement associé[es] ou apport[ent] un appui» à la prolifération nucléaire. Se fondant sur l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité (point 167), elle soutient que, dès lors que le critère pertinent adopté par le règlement n° 423/2007 et la décision litigieuse est non pas le fait d’être contrôlé par un pays tiers, mais celui de participer à certaines activités de prolifération nucléaire, ces dispositions sortent du champ d’application des articles 60 CE et 301 CE. Par conséquent, il aurait été indispensable de fonder lesdites dispositions non seulement sur les articles 60 CE et 301 CE, mais également sur l’article 308 CE, lequel requiert un vote à l’unanimité.

61      La requérante soutient que le Tribunal a également commis une erreur de droit en considérant que la position commune 2007/140 constituait non pas une base juridique du règlement n° 423/2007 et de la décision litigieuse, mais simplement une «condition» posée par l’article 301 CE. Ce faisant, le Tribunal aurait opéré une distinction qui ne figure pas dans les règles énoncées par le traité. La requérante souligne que la liste figurant à l’annexe V du règlement n° 423/2007 est identique à celle qui est mentionnée à l’annexe II de la position commune 2007/140, qui ne pourrait, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de cette dernière, être modifiée qu’à l’unanimité. Ledit règlement étant fondé sur les articles 60 CE et 301 CE ainsi que sur ladite position commune, cette annexe V aurait dû être modifiée selon la règle de l’unanimité. En adoptant la décision litigieuse au mépris de cette règle, le Conseil aurait commis un détournement de pouvoir.

62      La République française estime que le moyen invoqué par la requérante se heurte aux termes mêmes de l’article 301 CE.

63      Le Conseil, le Royaume-Uni et la Commission soulignent que le règlement n° 423/2007 vise clairement la République islamique d’Iran et que, dès lors, le recours à l’article 308 CE comme base juridique n’était pas nécessaire. À cet égard, l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, ne serait pas pertinent, puisqu’il viserait une situation différente. En effet, le règlement en cause dans cette affaire ne ferait pas référence à un pays tiers, contrairement à ce qui serait le cas en l’espèce. La Commission ajoute que, si la requérante conteste à présent ses liens avec la République islamique d’Iran, il s’agit d’un moyen nouveau qui est irrecevable.

64      S’agissant du détournement de pouvoir, la Commission considère que le Tribunal a correctement répondu au point 50 de l’arrêt attaqué, en faisant référence à la jurisprudence applicable en la matière.

 Appréciation de la Cour

65      La requérante conteste le raisonnement du Tribunal relatif à la base juridique du règlement n° 423/2007, considérant que ce dernier aurait dû être adopté à l’unanimité, soit sur le fondement des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, soit sur celui des articles 60 CE et 301 CE ainsi que de la position commune 2007/140. Par voie de conséquence, la décision litigieuse n’aurait pas pu être adoptée à la majorité qualifiée, ainsi que le prévoit l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 pour les modifications de la liste des personnes, des organismes et des entités visée à l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement.

66      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le choix de la base juridique d’un acte communautaire doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte (voir, notamment, arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 182).

67      Le recours aux articles 60 CE et 301 CE n’est pas contesté par la requérante. Elle conteste uniquement le fait que le règlement n° 423/2007 n’est fondé que sur ces dispositions.

68      Selon son intitulé, le règlement n° 423/2007 concerne l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran. Il ressort des considérants et de l’ensemble des dispositions de ce règlement que celui-ci a pour objet d’empêcher ou de freiner la politique adoptée par cet État en matière nucléaire, compte tenu du risque qu’elle présente, par des mesures restrictives en matière économique. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, ce sont bien les risques propres au programme iranien de prolifération nucléaire qui sont combattus et non pas l’activité générale de prolifération nucléaire.

69      Le but et le contenu de l’acte en question étant clairement l’adoption de mesures économiques visant la République islamique d’Iran, le recours à l’article 308 CE n’était pas nécessaire, l’article 301 CE constituant une base juridique suffisante en ce qu’il permet une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, cette action étant susceptible d’englober des mesures de gel de fonds d’entités qui, telle la Bank Melli Iran, sont associées au régime du pays tiers concerné.

70      Quant à la nécessité d’inclure la position commune 2007/140 parmi les bases juridiques, défendue par la requérante, il suffit de constater qu’elle est contredite par le texte même de l’article 301 CE, qui prévoit la possibilité d’adopter des mesures communautaires lorsqu’une position commune ou une action commune adoptées en vertu des dispositions du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, relatives à la PESC prévoient une action de la Communauté. Ce texte indique que la position commune ou l’action commune doivent exister pour que des mesures communautaires puissent être adoptées, mais non que ces mesures doivent être fondées sur cette position commune ou cette action commune.

71      En tout état de cause, une position commune ne saurait constituer la base juridique d’un acte communautaire. En effet, les positions communes du Conseil en matière de PESC, telles les positions communes 2007/140 et 2008/479, sont adoptées dans le cadre dudit traité UE, conformément à l’article 15 de celui-ci, tandis que les règlements du Conseil, tels que le règlement n° 423/2007, sont adoptés dans le cadre du traité CE.

72      Le Conseil ne pouvait donc adopter un acte communautaire qu’en se fondant sur des compétences qui lui étaient conférées par le traité CE, soit en l’espèce les articles 60 CE et 301 CE.

73      C’est dès lors à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 47 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’une position commune adoptée préalablement dans le domaine de la PESC n’est qu’une condition posée par l’article 301 CE.

74      S’agissant du grief tiré du détournement de pouvoir, il y a lieu de constater que la requérante ne démontre pas en quoi le point 50 de l’arrêt attaqué serait erroné.

75      Il résulte de ces éléments que le deuxième moyen invoqué à titre principal n’est pas fondé.

 Sur le troisième moyen invoqué à titre principal, tiré d’une violation de l’obligation de motivation de l’acte, des droits de la défense et du principe de protection juridictionnelle effective

76      Ce moyen concerne les points 80 à 85 de l’arrêt attaqué, rédigés comme suit:

«80      L’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 253 CE et, plus particulièrement en l’espèce, à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge communautaire et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. L’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit communautaire auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. Partant, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant pas être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge communautaire. Par ailleurs, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important dans le cas d’une première décision par laquelle les fonds d’une entité sont gelés qu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de la décision en cause, étant donné qu’il ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à son adoption (voir, en ce sens et par analogie, arrêt [du Tribunal Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, précité], points 138 à 140, et la jurisprudence citée).

81      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de la Communauté ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments (voir, par analogie, arrêt [Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité], point 342), le Conseil est tenu, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007, de porter à la connaissance de l’entité visée des raisons spécifiques et concrètes lors de l’adoption d’une décision de gel des fonds telle que la décision [litigieuse]. Il doit ainsi mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l’ont amené à la prendre. Dans toute la mesure du possible, cette motivation doit être communiquée soit concomitamment à l’adoption de la mesure en cause, soit aussitôt que possible après celle-ci (voir, en ce sens et par analogie, arrêt [du Tribunal Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, précité], points 143 à 148, et la jurisprudence citée).

82      Cependant, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt [du Tribunal Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, précité], point 141, et la jurisprudence citée).

83      Ainsi qu’il a été relevé au point 57 ci-dessus, la mise en œuvre de l’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 423/2007 requiert que l’entité concernée participe, qu’elle soit directement associée ou qu’elle apporte un appui à la prolifération nucléaire. Par conséquent, outre l’indication de la base juridique de la mesure adoptée, l’obligation de motivation à laquelle le Conseil est tenu porte précisément sur cette circonstance. En revanche, contrairement à ce que prétend la requérante, le Conseil n’était tenu de motiver ni son choix d’aller au-delà des mesures arrêtées par la résolution 1803 (2008), dès lors qu’il a été constaté au point 65 ci-dessus que la décision [litigieuse] ne mettait pas en œuvre cette résolution, ni celui de traiter la requérante différemment des autres banques iraniennes.

84      Dans le cas d’espèce, le Conseil a indiqué, tant dans le titre de la décision [litigieuse] qu’au considérant 2 de celle-ci, que les mesures prises étaient fondées sur l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007. Il a également précisé, au point 4 du tableau B de l’annexe de la décision [litigieuse], les raisons individuelles et spécifiques qui l’ont amené à considérer que la requérante apportait un soutien à la prolifération nucléaire. En effet, le Conseil a mentionné, premièrement, le type de soutien apporté par la requérante, à savoir la prestation de services financiers comprenant l’ouverture de lettres de crédit et la gestion de comptes, deuxièmement, les activités liées à la prolifération nucléaire concernées par ces services, à savoir l’achat de matériaux sensibles, et, troisièmement, les bénéficiaires du soutien fourni par la requérante, à savoir les huit entités nommément désignées.

85      Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la motivation de la décision [litigieuse] s’agissant de la requérante est suffisante […]»

77      Le troisième moyen invoqué à titre principal vise également le point 97 de l’arrêt attaqué, rédigé comme suit:

«À cet égard, il convient de rejeter l’allégation de la requérante selon laquelle le Conseil était tenu de lui fournir d’office un accès aux éléments de son dossier. En effet, lorsque des informations suffisamment précises, permettant à l’entité intéressée de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus à sa charge par le Conseil, ont été communiquées, le principe du respect des droits de la défense n’implique pas l’obligation pour ce dernier de donner spontanément accès aux documents contenus dans son dossier. Ce n’est que sur demande de la partie intéressée que le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels concernant la mesure en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 11 juillet 2002, Hyper/Commission, T‑205/99, Rec. p. II‑3141, points 63 à 65, et la jurisprudence citée). La communication spontanée des éléments de dossier constituerait effectivement une exigence excessive, étant donné qu’il n’est pas certain au moment de l’adoption d’une mesure de gel des fonds que l’entité visée entende vérifier, par le biais de l’accès au dossier, les éléments de fait sous-tendant les allégations retenues à sa charge par le Conseil.»

78      Il importe enfin de reproduire les points 102 à 104 de l’arrêt attaqué:

«102      Quant au fait que le Conseil n’a pas présenté spontanément les éléments de preuve à l’appui de la motivation de la décision [litigieuse], il ressort des points 97 ci-dessus et 107 ci-après qu’il n’y était pas tenu, que ce soit avant ou après l’introduction du présent recours.

103      De même, la requérante n’explique pas en quoi la nécessité de vérifier une à une ses relations avec les entités désignées dans la décision [litigieuse] l’aurait empêchée de demander l’accès au dossier du Conseil ou de demander une audition. Au contraire, ces démarches auraient pu faciliter les recherches à effectuer, grâce aux documents consultés ou aux précisions obtenues.

104      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que, faute pour la requérante d’avoir présenté une demande en ce sens auprès du Conseil, ce dernier n’était pas tenu de lui accorder un accès au dossier ou de procéder à une audition, ce qui implique que le grief tiré de la violation des droits de la défense doit être rejeté.»

 Argumentation des parties

79      La requérante conteste, premièrement, la conclusion du Tribunal, figurant aux points 84 et 85 de l’arrêt attaqué, selon laquelle elle aurait disposé d’informations suffisamment précises quant aux motifs du gel de ses fonds, deuxièmement, la conclusion du Tribunal, figurant au point 97 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le Conseil n’était pas tenu de lui donner un accès aux éléments du dossier, troisièmement, la conclusion du Tribunal, aux points 102 et 104 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, faute pour elle d’avoir présenté une demande en ce sens auprès du Conseil, ce dernier n’était pas tenu de lui accorder un accès au dossier, que ce soit avant ou après l’introduction du recours, ainsi que, quatrièmement, la conclusion du Tribunal, figurant au point 106 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il s’estimait en mesure d’exercer pleinement son contrôle.

80      La requérante rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, la personne visée doit recevoir, dès la procédure administrative, toutes les indications nécessaires à la défense de ses intérêts. Elle ajoute, citant l’arrêt du 27 juin 1991, Al-Jubail Fertilizer/Conseil (C‑49/88, Rec. p. I‑3187, points 17 et 18), que cette personne doit être mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances alléguées et des éléments de preuve retenus contre elle. La violation de ce droit ne pourrait pas, conformément à l’arrêt du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission (C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235, points 76 et 78), être régularisée du fait que l’accès au dossier a été rendu possible à un stade ultérieur, au cours d’un recours visant à l’annulation de la décision contestée. A fortiori, sur la base de cette jurisprudence, les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ne seraient pas respectés lorsque l’accès au dossier n’a jamais été donné, pas même lors de la procédure en annulation.

81      Les points contestés de l’arrêt attaqué seraient en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal lui-même, à savoir l’arrêt du 4 décembre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil (T‑284/08, Rec. p. II‑3487, points 74 et 75), ainsi qu’avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir les arrêts Saadi c. Italie du 28 février 2008 (§ 138 et 139) ainsi que A. et autres c. Royaume-Uni du 19 février 2009 (§ 126).

82      La République française et le Royaume-Uni font valoir que la décision litigieuse, au point 4 du tableau B de son annexe, comportait une information claire et suffisante en ce qui concerne la requérante. Il n’était dès lors pas nécessaire, selon ces États membres, de lui donner accès aux éléments du dossier, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 97 de l’arrêt attaqué.

83      La République française indique que l’arrêt du Tribunal People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, précité, n’est pas pertinent, puisqu’il concerne la procédure applicable aux sanctions en matière de terrorisme, alors que la décision litigieuse concerne des sanctions visant un pays tiers. Quant à la jurisprudence relative à des affaires de concurrence, le Conseil et le Royaume-Uni invoquent également son défaut de pertinence en l’espèce. Le Royaume-Uni et la Commission estiment en outre que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne permet pas d’étayer le raisonnement de la requérante.

84      Le Conseil et la Commission font valoir, s’agissant de la production des preuves au cours de la procédure judiciaire, que la requérante ne tient pas compte des points 30, 31 et 107 de l’arrêt attaqué, desquels il ressort «que la requête ne contient pas de moyen mettant en cause le constat du Conseil selon lequel la requérante a apporté un soutien financier à la prolifération nucléaire, alors même que ce constat constitue le fondement de la décision [litigieuse] en ce qu’elle concerne la requérante et que, par conséquent, un tel moyen pouvait être soulevé dès la formation du recours, le cas échéant en précisant que des preuves supplémentaires allaient être présentées dès qu’elles seraient disponibles» (point 30), si bien que le Tribunal a pu conclure, au point 107 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire, pour le Conseil, de produire des éléments de preuve à l’appui des motifs indiqués dans la décision en cause.

85      Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante a fait valoir qu’un moyen contestant l’apport d’un soutien financier à la prolifération nucléaire était implicitement inclus dans le recours introduit devant le Tribunal et qu’elle entendait le développer après avoir reçu le dossier de preuves sur lequel le Conseil s’était fondé pour adopter la décision litigieuse.

 Appréciation de la Cour

86      En ce qui concerne la branche du présent moyen, tirée de la violation de l’obligation de motivation, il y a lieu de constater au préalable que, en l’absence de notification, par le Conseil, des raisons individuelles et spécifiques motivant la décision litigieuse conformément à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 423/2007, c’est la motivation figurant dans ladite décision, telle qu’elle a été publiée et signalée à la requérante par la Commission bancaire française, qu’il convient de prendre en considération.

87      Le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, aux points 84 et 85 de l’arrêt attaqué, que la motivation de la décision litigieuse était suffisante au regard de la jurisprudence relative à l’obligation de motivation. Le Tribunal a notamment relevé que ladite décision indiquait la base juridique sur laquelle elle avait été adoptée ainsi que les raisons individuelles et spécifiques qui avaient amené le Conseil à considérer que la requérante apportait un soutien à la prolifération nucléaire en Iran. À la lecture de la motivation de la décision litigieuse, il y a lieu de confirmer que de tels éléments étaient suffisants pour permettre à la requérante de comprendre ce qui lui était reproché et d’apprécier le bien-fondé de ladite décision.

88      La question de la motivation de la décision litigieuse est cependant distincte de celle de la preuve du comportement reproché à la requérante, à savoir les faits mentionnés dans cette décision et la qualification de ces faits comme constituant une participation ou un appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point, par cet État, de vecteurs d’armes nucléaires, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 423/2007.

89      Ainsi que l’ont fait valoir le Royaume-Uni et la Commission, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme invoquée par la requérante n’est pas pertinente. En effet, les arrêts précités Saadi c. Italie ainsi que A. et autres c. Royaume-Uni sont relatifs à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), à savoir à l’interdiction absolue de la torture, des peines et des traitements inhumains et dégradants. Or, le droit de propriété, auquel le gel de fonds porte atteinte, ne jouit pas, que ce soit dans le contexte de la CEDH ou du droit de l’Union, d’une telle protection absolue (sur le caractère absolu de l’interdiction de la torture, voir arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C‑112/00, Rec. p. I‑5659, point 80), si bien que la jurisprudence invoquée ne lui est pas transposable.

90      Le règlement n° 423/2007 ne prévoit pas de procédure administrative préalable aux décisions de gel des fonds, qu’il s’agisse de la décision initiale, compte tenu de l’effet de surprise attendu, ou d’une décision de réexamen. Seul l’avis au Journal officiel de l’Union européenne décrit au point 21 du présent arrêt est relatif aux intérêts des personnes, entités et organismes inclus dans une liste en les autorisant à demander le réexamen de la décision par laquelle ils ont été inclus dans ladite liste, en joignant les pièces justificatives à leur demande.

91      Compte tenu, en l’espèce, de l’absence de procédure administrative organisée, la jurisprudence de l’Union invoquée par la requérante n’est pas pertinente. En effet, l’arrêt Al-Jubail Fertilizer/Conseil, précité, a été rendu dans le cadre d’une procédure de dumping, à laquelle s’appliquait le règlement (CEE) n° 2176/84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1), et l’arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, a été rendu dans une affaire de concurrence dans laquelle étaient applicables le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), et le règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l’article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268).

92      En tout état de cause, au point 97 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que ce n’est que sur demande de la partie intéressée que le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels concernant la mesure en cause. La requérante n’explique cependant pas en quoi le Tribunal aurait commis une erreur de droit en statuant ainsi. Par ailleurs, il ressort des constatations du Tribunal figurant aux points 103 et 104 de l’arrêt attaqué, non contestées par la requérante dans son pourvoi, que celle-ci n’a pas demandé au Conseil l’accès au dossier de ce dernier.

93      Il résulte de ces éléments que le troisième moyen invoqué à titre principal n’est pas fondé.

 Sur le premier moyen invoqué à titre subsidiaire, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 et d’une contradiction de motifs entachant l’arrêt attaqué

94      Ce moyen vise notamment les points 51, 52, 64 et 65 de l’arrêt attaqué, rédigés comme suit:

«51      En dernier lieu, dans la mesure où la requérante soutient que l’article 15, paragraphe 2, et l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 ne sauraient constituer une base juridique valable de la décision [litigieuse] dès lors qu’ils permettent au Conseil d’adopter des mesures de gel des fonds allant au-delà des mesures arrêtées par le Conseil de sécurité, il y a lieu de relever que rien dans les articles 60 CE et 301 CE ne permet de considérer que la compétence que ces dispositions confèrent à la Communauté est limitée à la mise en œuvre des mesures décidées par le Conseil de sécurité. Partant, le Conseil était compétent pour adopter non seulement l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 423/2007, qui met en œuvre la résolution 1737 (2006) en ordonnant le gel des fonds des entités qui y sont désignées, mais également l’article 7, paragraphe 2, du même règlement, qui permet l’adoption de mesures de gel des fonds visant d’autres entités qui, de l’avis du Conseil, participent, sont directement associées ou apportent un appui à la prolifération nucléaire.

52      Dans ce contexte, il est certes vrai que le [sixième] considérant du règlement n° 423/2007 impose au Conseil d’exercer le pouvoir qui lui est conféré par l’article 7, paragraphe 2, du même règlement ‘compte tenu des objectifs de la résolution 1737 (2006)’. Toutefois, l’obligation de poursuivre les objectifs de la résolution 1737 (2006) n’implique nullement que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 peut seulement être mis en œuvre à l’égard des entités visées par des mesures restrictives adoptées par le Conseil de sécurité en vertu de cette même résolution. L’absence de mesures prises par le Conseil de sécurité ou une prise de position spécifique par ce dernier peuvent, tout au plus, être prises en considération, avec d’autres éléments pertinents, dans le cadre de l’appréciation visant à déterminer si les conditions posées par l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 sont ou non remplies.

[...]

64      À titre liminaire, il ressort des points 51 et 52 ci-dessus que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 confère au Conseil un pouvoir autonome, dont la mise en œuvre est indépendante de l’adoption par le Conseil de sécurité de mesures restrictives visant les entités concernées. En effet, l’objet de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement et de la décision [litigieuse], qui a été adoptée en vertu de celui-ci, n’est pas de mettre en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, adoptées en matière de prolifération nucléaire, mais uniquement d’assurer que les objectifs poursuivis par l’une des résolutions en cause, à savoir la résolution 1737 (2006), soient atteints par le biais de l’adoption de mesures restrictives autonomes.

65      Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, ni l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 ni la décision [litigieuse] ne mettent en œuvre la résolution 1803 (2008), ce qui implique que le contenu et les objectifs de cette dernière résolution ne constituent pas un critère au regard duquel la compatibilité de la décision [litigieuse] avec le principe de proportionnalité doit être appréciée.»

 Argumentation des parties

95      La requérante soutient que le Tribunal a méconnu les limites du pouvoir d’appréciation du Conseil sur la base de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 en rejetant la pertinence des résolutions du Conseil de sécurité dans cette appréciation. Il aurait, dès lors, commis une erreur de droit et une erreur d’appréciation des faits en rejetant les moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité et du droit de propriété, sa motivation étant entachée d’une contradiction de motifs.

96      Selon la requérante, la relation entre le règlement n° 423/2007 et les résolutions du Conseil de sécurité ne peut pas être niée. Ledit règlement aurait eu pour objet de mettre en vigueur ces résolutions. Or, la résolution 1803 (2008) aurait demandé uniquement aux États une «vigilance» à l’égard de Bank Melli Iran.

97      En outre, le raisonnement du Tribunal serait entaché d’une contradiction de motifs. En effet, au point 52 de l’arrêt attaqué, le Tribunal relèverait la pertinence des résolutions du Conseil de sécurité tandis que, aux points 64 et 65 de l’arrêt attaqué, il décrirait le pouvoir du Conseil comme autonome.

98      Le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission insistent sur le caractère autonome des mesures adoptées par le Conseil. La République française relève que, dans la résolution 1803 (2008), le Conseil de sécurité s’en est remis à l’appréciation des États. En tout état de cause, le fait que le Conseil de sécurité aurait recommandé la vigilance n’impliquerait pas que le gel des fonds serait une mesure disproportionnée. La Commission souligne que le Conseil a poursuivi l’objectif de la résolution 1737 (2006).

99      Ces États membres et institutions relèvent, par ailleurs, les dérogations prévues par le règlement n° 423/2007, notamment à l’article 9 de celui-ci, et concluent à l’absence de violation du principe de proportionnalité.

 Appréciation de la Cour

100    Il importe au préalable de rappeler que les résolutions du Conseil de sécurité, d’une part, et les positions communes du Conseil ainsi que les règlements de ce dernier, d’autre part, relèvent d’ordres juridiques distincts.

101    Les résolutions du Conseil de sécurité, telles les résolutions 1737 (2006) et 1803 (2008), ont été adoptées dans le cadre de l’Organisation des Nations unies à laquelle ni l’Union ni la Communauté ne sont parties. Les positions communes du Conseil en matière de PESC, telles les positions communes 2007/140 et 2008/479, ont été adoptées dans le cadre du titre V du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, conformément à l’article 15 de celui-ci. Quant aux règlements du Conseil, tel le règlement n° 423/2007, ils ont été adoptés dans le cadre du traité CE, lequel constitue le pilier communautaire de l’Union.

102    Les actes adoptés dans le cadre, d’une part, des Nations unies et, d’autre part, de l’Union le sont par des organes qui disposent de pouvoirs autonomes, qui leur sont attribués par leurs chartes de base que sont les traités qui les ont créées.

103    Dans l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, la Cour a statué sur les liens existant entre une résolution du Conseil de sécurité et un règlement communautaire. Elle a notamment jugé, au point 296 dudit arrêt, que, lors de l’élaboration de mesures communautaires ayant pour objet la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité visée par une position commune, la Communauté doit tenir dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée.

104    La Cour a de même jugé à plusieurs reprises qu’il y avait lieu de tenir compte du texte et de l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité pour l’interprétation du règlement qui vise à mettre celle-ci en œuvre (arrêts du 30 juillet 1996, Bosphorus, C‑84/95, Rec. p. I‑3953, point 14; du 27 février 1997, Ebony Maritime et Loten Navigation, C‑177/95, Rec. p. I‑1111, point 20; du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, C‑117/06, Rec. p. I‑8361, point 54; Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 297; du 29 avril 2010, M e.a., C‑340/08, Rec. p. I‑3913, point 45, ainsi que du 29 juin 2010, E et F, C‑550/09, non encore publié au Recueil, point 72).

105    La Cour a cependant jugé également que, sans pour autant que cela remette en cause la primauté d’une résolution du Conseil de sécurité au plan international, le respect s’imposant aux institutions communautaires à l’égard des institutions des Nations unies ne pouvait avoir pour conséquence l’absence de contrôle de la légalité de l’acte communautaire au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, points 288 et 326).

106    Ces éléments supportent à suffisance la conclusion du Tribunal, figurant au point 64 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le pouvoir conféré au Conseil par l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 est un pouvoir autonome. À cet égard, une obligation de «tenir dûment compte» des termes et des objectifs de la résolution concernée ne va en rien à l’encontre de la constatation que le Conseil statue de manière autonome, dans le respect des règles de son propre ordre juridique. Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, le Tribunal ne s’est pas contredit en relevant, au point 52 de l’arrêt attaqué, la pertinence des résolutions du Conseil de sécurité, tout en décrivant le pouvoir du Conseil comme autonome, aux points 64 et 65 dudit arrêt.

107    Le Tribunal a considéré, au point 65 de l’arrêt attaqué, que le contenu et les objectifs de la résolution 1803 (2008) ne constituaient pas un critère au regard duquel la compatibilité de la décision litigieuse avec le principe de proportionnalité devait être appréciée. Cette affirmation doit être comprise à la lumière du texte de la résolution 1803 (2008), qui n’impose pas aux États des mesures précises, mais leur demande de faire preuve de vigilance, s’agissant des activités exercées par les institutions financières sises sur leur territoire, en particulier Bank Melli Iran, afin d’éviter que ces activités concourent à des activités posant un risque de prolifération nucléaire.

108    Un tel texte n’interdit en aucune manière aux États d’adopter des mesures concrètes de gel des fonds à l’égard de Bank Melli Iran.

109    Il résulte de ces éléments que le premier moyen invoqué à titre subsidiaire n’est pas fondé.

 Sur le deuxième moyen invoqué à titre subsidiaire, tiré d’une erreur d’appréciation quant au droit de propriété de la requérante

110    Ce deuxième moyen porte plus particulièrement sur les points 70 et 71 de l’arrêt attaqué, qui sont rédigés comme suit:

«70      Quatrièmement, en ce qui concerne les inconvénients causés à la requérante et la restriction apportée à ses droits fondamentaux, dont le droit de propriété et le droit d’exercer une activité économique, il convient d’observer que, selon une jurisprudence constante, lesdits droits font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect. Ainsi, le respect des droits fondamentaux constitue une condition de la légalité des actes communautaires (voir arrêt Kadi [et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité], point 284, et la jurisprudence citée). Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que les droits fondamentaux ne sont pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté. Ainsi, toute mesure restrictive économique ou financière comporte, par définition, des effets qui affectent le droit de propriété et le libre exercice des activités professionnelles, causant ainsi des préjudices, en particulier aux entités exerçant les activités que les mesures restrictives en cause visent à empêcher. L’importance des objectifs poursuivis par la réglementation litigieuse est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens, arrêts [précités de la Cour, Bosphorus], points 21 à 23, et Kadi [et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission], points 355 et 361).

71      En l’espèce, la liberté d’exercer une activité économique ainsi que le droit de propriété de la requérante sont restreints dans une mesure considérable, du fait de l’adoption de la décision [litigieuse], dès lors qu’elle ne peut, notamment, pas disposer de ses fonds situés sur le territoire de la Communauté ou détenus par des ressortissants communautaires, sauf en vertu d’autorisations particulières, et que ses succursales, domiciliées sur ledit territoire, ne peuvent pas conclure de nouvelles transactions avec leurs clients. Toutefois, étant donné l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationale, les inconvénients causés ne sont pas démesurés par rapport aux buts visés, et ce d’autant plus que, d’une part, ces restrictions ne concernent qu’une partie des actifs de la requérante et, d’autre part, les articles 9 et 10 du règlement n° 423/2007 prévoient certaines exceptions permettant aux entités visées par des mesures de gel des fonds de faire face aux dépenses essentielles.»

 Argumentation des parties

111    La requérante fait valoir que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment les arrêts précités Saadi c. Italie (§ 138 et 139) ainsi que A. et autres c. Royaume-Uni (§ 126), la protection des droits fondamentaux garantis par la CEDH ne peut pas être mise en balance avec la lutte contre le terrorisme et la protection contre celui-ci. Le même raisonnement s’appliquerait, pour les mêmes motifs, aux mesures à prendre pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. La justification donnée aux mesures restrictives prises, c’est-à-dire le maintien de la paix et de la sécurité internationales, constituerait une motivation erronée au regard de la protection des droits de l’homme dont la Cour assure le respect dans l’ordre juridique communautaire.

112    Le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission rappellent que le droit de propriété n’est pas absolu. Ils soulignent que l’arrêt attaqué est conforme à la jurisprudence de la Cour (arrêts précités Bosphorus ainsi que Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission) et à celle de la Cour européenne des droits de l’homme [arrêt Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande du 30 juin 2005, Recueil des arrêts et décisions 2005-VI, § 155]. Ils relèvent, par ailleurs, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme citée par la requérante n’est pas pertinente, dès lors qu’elle ne concerne pas le droit de propriété.

 Appréciation de la Cour

113    Sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur la question de savoir si la requérante, en tant qu’entité entièrement détenue par l’État iranien, pouvait invoquer la protection du droit de propriété en tant que droit fondamental, il suffit de constater que, à bon droit, le Tribunal a rappelé, au point 70 de l’arrêt attaqué, que les droits fondamentaux en cause dans la présente affaire ne sont pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté.

114    Tel est en effet le cas du droit de propriété et de la liberté d’exercer une activité économique (voir, notamment, arrêts du 14 mai 1974, Nold/Commission, 4/73, Rec. p. 491, point 14; du 10 juillet 2003, Booker Aquaculture et Hydro Seafood, C‑20/00 et C‑64/00, Rec. p. I‑7411, points 67 et 68; Swedish Match, précité, point 72, ainsi que Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 355). Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées au droit d’exercer librement une activité professionnelle, tout comme à l’usage du droit de propriété, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêt Swedish Match, précité, point 72).

115    À cet égard, le motif retenu par le Tribunal au point 71 de l’arrêt attaqué, faisant état de l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, est suffisant pour identifier l’objectif d’intérêt général poursuivi. Cet argument doit en effet être lu à la lumière des différents actes dans le contexte de l’adoption desquels la décision litigieuse s’inscrit.

116    Ainsi qu’il a été indiqué au point 89 du présent arrêt, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme invoquée par la requérante n’est pas pertinente.

117    Par ailleurs, le Tribunal a souligné, d’une part, que les restrictions ne concernent qu’une partie des actifs de la requérante et, d’autre part, que les articles 9 et 10 du règlement n° 423/2007 prévoient certaines exceptions permettant aux entités visées par des mesures de gel des fonds de faire face aux dépenses essentielles. Une telle considération constitue une vérification implicite mais suffisante du caractère proportionné desdites mesures.

118    Il y a dès lors lieu de rejeter le deuxième moyen invoqué à titre subsidiaire.

 Sur le troisième moyen invoqué à titre subsidiaire, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation résultant de l’inclusion et du maintien de la requérante dans la liste figurant à l’annexe V du règlement n° 423/2007

 Argumentation des parties

119    La requérante mentionne le règlement (CE) n° 1100/2009 du Conseil, du 17 novembre 2009, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 423/2007 et abrogeant la décision 2008/475 (JO L 303, p. 31). Ce règlement constituerait un élément nouveau permettant à la requérante de présenter des moyens nouveaux. Or, il ressortirait d’une lettre du Conseil du 18 novembre 2009 que ledit règlement se fonde tant sur les justifications qui avaient initialement conduit à l’inclusion de la requérante dans la liste figurant à l’annexe V du règlement n° 423/2007 que sur des éléments nouveaux, décrits dans une lettre du Conseil du 1er octobre 2009. Dans la mesure où la Cour estimerait que, malgré le dépôt d’une requête en annulation contre la décision litigieuse, la requérante ne s’est pas inscrite en faux, d’une manière certaine, fût-elle implicite, contre l’allégation du Conseil suivant laquelle elle participerait à la prolifération nucléaire, il lui serait maintenant loisible de contester cette allégation.

120    La requérante fait valoir que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en l’incluant et en la maintenant dans la liste figurant à l’annexe V du règlement n° 423/2007 et renvoie à cet égard à l’ensemble des documents qu’elle a déposés pour contester le règlement n° 1100/2009.

121    Le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission considèrent que ce moyen est irrecevable, car il revient à saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal.

 Appréciation de la Cour

122    Quand bien même le règlement n° 1100/2009 constituerait un élément nouveau permettant à la requérante de formuler un moyen nouveau, il suffit de constater que ce moyen serait relatif au litige au fond et non à la procédure de pourvoi. Or, dans le cadre de cette procédure, la compétence de la Cour est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges ou que le Tribunal aurait été tenu de soulever d’office.

123    Il s’ensuit que ledit moyen est irrecevable.

124    Aucun des moyens invoqués par la requérante n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

125    Aux termes de l’article 122 du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, de ce règlement applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et le Conseil, la République française, le Royaume-Uni et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Bank Melli Iran est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.

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