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CJUE, 30 septembre 2010, aff. T-85/09, Yassin Abdullah Kadi c/ Commission européenne

 

 

Affaire T-85/09

Yassin Abdullah Kadi

contre

Commission européenne

 

 

« Politique étrangère et de sécurité commune — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Règlement (CE) nº 881/2002 — Gel des fonds et des ressources économiques d’une personne par suite de son inclusion dans une liste établie par un organe des Nations unies — Comité des sanctions — Inclusion par suite dans l’annexe I du règlement nº 881/2002 — Recours en annulation — Droits fondamentaux — Droit d’être entendu, droit à un contrôle juridictionnel effectif et droit au respect de la propriété »

Sommaire de l'arrêt

1.      Procédure — Répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal — Remise en cause par le Tribunal des points de droit tranchés par la Cour lors d'un précédent pourvoi

2.      Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Règlement instituant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Contrôle au regard des droits fondamentaux — Portée

(Règlement du Conseil nº 881/2002; règlement de la Commission nº 1190/2008)

3.      Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Règlement instituant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Droits de la défense

(Règlement du Conseil nº 881/2002; règlement de la Commission nº 1190/2008)

4.      Communautés européennes — Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions — Règlement instituant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Gel général et persistant des fonds, avoirs et autres ressources économiques desdites personnes et entités sans audition de ces dernières — Violation du droit de propriété

(Règlement du Conseil nº 881/2002; règlement de la Commission nº 1190/2008)

1.      Dans des circonstances où est en cause un acte adopté par la Commission en remplacement d’un acte antérieur annulé par la Cour, dans le cadre d’un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal ayant rejeté le recours en annulation formé contre ledit acte, le principe même du pourvoi et la structure juridictionnelle hiérarchique qui en est le corollaire recommandent en principe au Tribunal de ne pas remettre lui-même en cause les points de droit tranchés par la décision de la Cour. Il en va d’autant plus ainsi lorsque la Cour a statué en grande chambre et a manifestement entendu prononcer un arrêt de principe. Dès lors, si une réponse devait être apportée aux interrogations soulevées par les institutions, les États membres et les milieux juridiques intéressés, à la suite d'un arrêt de la Cour, il conviendrait que la Cour elle-même y pourvoie dans le cadre des futures affaires dont elle pourrait avoir à connaître. Par ailleurs, dans de telles circonstances, c’est en principe à la Cour, et non au Tribunal, qu’il revient, le cas échéant, d’opérer un revirement de jurisprudence, si cela lui apparaît justifié au regard, notamment, des graves inconvénients invoqués par les institutions et par les gouvernements des États membres.

(cf. points 121, 123)

2.      Dans le cadre d'un recours en annulation ayant pour objet le règlement nº 1190/2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement nº 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, il incombe au Tribunal d'assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité dudit règlement au regard des droits fondamentaux, sans faire bénéficier ce règlement d'une quelconque immunité juridictionnelle au motif qu'il vise à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

Il doit en aller ainsi, à tout le moins, aussi longtemps que les procédures de réexamen mises en œuvre par le comité des sanctions des Nations unies n'offrent manifestement pas les garanties d'une protection juridictionnelle effective. À cet égard, dès lors que le Conseil de sécurité n'a toujours pas estimé opportun d'établir un organe indépendant et impartial chargé de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions, le contrôle exercé par le juge communautaire sur les mesures communautaires de gel des fonds ne saurait être qualifié d'effectif que s'il porte, indirectement, sur les appréciations de fond effectuées par le comité des sanctions lui-même ainsi que sur les éléments qui les sous-tendent.

Le principe d'un contrôle juridictionnel complet et rigoureux des mesures de gels de fonds est d'autant plus justifié que ces mesures affectent de façon sensible et durable les droits fondamentaux des intéressés.

(cf. points 126-129, 151)

3.      Dès lors que le règlement nº 1190/2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement nº 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, impose à une personne des mesures restrictives du fait de son inclusion dans la liste contenue à l'annexe I de ce dernier règlement, sans fournir à ladite personne de garantie réelle quant à la communication des informations et des éléments de preuve retenus à sa charge ou quant à la possibilité pour celle-ci d'être utilement et effectivement entendue à cet égard, il doit être conclu que ce règlement a été arrêté selon une procédure au cours de laquelle les droits de la défense n'ont pas été respectés.

En outre, à défaut d'avoir eu le moindre accès utile aux informations et aux éléments de preuve retenus à sa charge et compte tenu des rapports qui existent entre les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, ladite personne n'a pas non plus pu défendre ses droits au regard desdits éléments dans des conditions satisfaisantes devant le juge communautaire, de sorte qu'une violation dudit droit à un recours juridictionnel effectif doit également être constatée.

(cf. points 181, 184)

4.      L'imposition à l'égard d'une personne des mesures restrictives, comme le gel de fonds, que comporte le règlement nº 1190/2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement nº 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, du fait de son inclusion dans la liste contenue à l'annexe I de ce dernier règlement, constitue une restriction injustifiée de son droit de propriété, dès lors que ledit règlement nº 1190/2008 a été adopté sans fournir aucune garantie réelle permettant à ladite personne d'exposer sa cause aux autorités compétentes, et ce dans une situation dans laquelle la restriction de son droit de propriété doit être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale et à la persistance des mesures de gel dont elle fait l'objet.

(cf. points 192-193)





ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

30 septembre 2010 (*)

 

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban – Règlement (CE) n° 881/2002 – Gel des fonds et des ressources économiques d’une personne par suite de son inclusion dans une liste établie par un organe des Nations unies – Comité des sanctions – Inclusion par suite dans l’annexe I du règlement n° 881/2002 – Recours en annulation – Droits fondamentaux – Droit d’être entendu, droit à un contrôle juridictionnel effectif et droit au respect de la propriété »

Dans l’affaire T‑85/09,

Yassin Abdullah Kadi, demeurant à Jeddah (Arabie saoudite), représenté par M. D. Anderson, QC, Mlle M. Lester, barrister, et M. G. Martin, solicitor,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. P. Hetsch, P. Aalto et F. Hoffmeister, puis par MM. Hetsch, Hoffmeister et E. Paasivirta, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop, Mme E. Finnegan et M. R. Szostak, en qualité d’agents,

par

République française, représentée par MM. G. de Bergues et L. Butel, en qualité d’agents,

et par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes S. Behzadi-Spencer et E. Jenkinson, en qualité d’agents, assistées de M. D. Beard, barrister,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (CE) n° 1190/2008 de la Commission, du 28 novembre 2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban (JO L 322, p. 25), pour autant que cet acte concerne le requérant,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, E. Moavero Milanesi et J. Schwarcz, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 juin 2010,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique et antécédents du litige

1        Pour un exposé détaillé des antécédents du litige ainsi que du cadre juridique qui leur était applicable, il est renvoyé aux points 3 à 45 de l’arrêt de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, ci-après l’« arrêt Kadi de la Cour »), rendu sur pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission (T‑315/01, Rec. p. II‑3649, ci-après l’« arrêt Kadi du Tribunal »), lequel s’était prononcé sur le recours en annulation introduit par le requérant, M. Yassin Abdullah Kadi, contre le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 139, p. 9), pour autant que cet acte le concernait.

2        Aux fins du présent arrêt, le cadre juridique et les antécédents du litige peuvent être résumés comme suit.

 Charte des Nations unies et traité CE

3        La charte des Nations unies a été signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son préambule affirme la résolution des peuples des Nations unies à préserver les générations futures du fléau de la guerre, à proclamer leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme et à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international. Selon son article 1er, les Nations unies ont notamment pour but de maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin de prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix, mais aussi de développer et d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

4        Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») s’est vu conférer la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Aux termes de l’article 25 de ladite charte, les membres de l’organisation des Nations unies (ONU) conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à cette charte.

5        Le chapitre VII de la charte des Nations unies définit les actions à entreprendre en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression. L’article 39, qui introduit ce chapitre, dispose que le Conseil de sécurité constate l’existence d’une telle menace et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Aux termes de l’article 41 de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions et peut inviter les membres des Nations unies à appliquer ces mesures.

6        En vertu de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, les décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales sont exécutées par les membres des Nations unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie.

7        L’article 103 de cette même charte énonce que, en cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.

8        Aux termes du premier alinéa de l’article 307 CE (devenu, après modification, article 351 TFUE), « [l]es droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité ».

9        Aux termes de l’article 297 CE (devenu, après modification, article 347 TFUE), « [l]es États membres se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement du marché commun ne soit affecté par les mesures qu’un État membre peut être appelé à prendre […] pour faire face aux engagements contractés par lui en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

 Actions du Conseil de sécurité contre le terrorisme international

10      Depuis la fin des années 1990, et plus encore après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, à Washington et en Pennsylvanie (États‑Unis), le Conseil de sécurité a fait usage de ses pouvoirs au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, en vue de combattre par tous les moyens, dans le respect de ladite charte et du droit international, les menaces que les actes de terrorisme font peser sur la paix et la sécurité internationales.

11      C’est ainsi que, le 15 octobre 1999, le Conseil de sécurité a adopté, en réponse aux attentats contre les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et de Dar Es Salaam (Tanzanie), la résolution 1267 (1999), dont le paragraphe 4, sous b), prescrit à tous les États, notamment, de geler les fonds et autres ressources financières des Taliban d’Afghanistan, en raison de leur soutien à Oussama ben Laden.

12      Au paragraphe 6 de la même résolution, le Conseil de sécurité a décidé de créer un comité du Conseil de sécurité (ci-après le « comité des sanctions », communément appelé aussi le « comité 1267 »), composé de tous ses membres, chargé notamment de veiller à la mise en œuvre, par les États, des mesures imposées par le paragraphe 4 de cette résolution.

13      La résolution 1333 (2000) du Conseil de sécurité, du 19 décembre 2000, a considérablement étendu et renforcé ce régime de mesures restrictives, dirigé à l’origine contre les seuls Taliban. C’est ainsi que son paragraphe 8, sous c), dispose, notamment, que tous les États devront geler sans retard les fonds et autres actifs financiers d’Oussama ben Laden et des individus et des entités qui lui sont associés, tels qu’identifiés par le comité des sanctions, et veiller à ce qu’aucuns fonds ou actifs financiers ne soient mis à la disposition ou utilisés au bénéfice d’Oussama ben Laden ou de ses associés, y compris l’organisation Al‑Qaida.

14      La résolution 1333 (2000) a été suivie par une série d’autres résolutions du Conseil de sécurité qui ont modifié, renforcé et actualisé le régime des mesures restrictives visant Oussama ben Laden, l’organisation Al‑Qaida, les Taliban et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés. Il s’agit, notamment, des résolutions 1390 (2002) du 16 janvier 2002, 1455 (2003) du 17 janvier 2003, 1526 (2004) du 30 janvier 2004, 1617 (2005) du 29 juillet 2005, 1735 (2006) du 22 décembre 2006, 1822 (2008) du 30 juin 2008 et 1904 (2009) du 17 décembre 2009. Toutes adoptées en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies, ces résolutions font notamment obligation à tous les États membres de l’ONU de geler les fonds et autres ressources économiques de toute personne ou entité associée à Oussama ben Laden, à Al‑Qaida ou aux Taliban, désignée par le comité des sanctions.

15      Outre la surveillance de l’application de ces mesures restrictives par les États, le comité des sanctions tient à jour une liste récapitulative (ci-après la « liste du comité des sanctions ») des personnes et des entités dont les fonds et autres ressources économiques doivent être gelés en vertu des résolutions précitées du Conseil de sécurité. Les États peuvent demander au comité des sanctions d’ajouter des noms à cette liste. Le comité des sanctions examine également les demandes de radiation de noms de ladite liste ainsi que les demandes de dérogation au gel des avoirs présentées en vertu de la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité. Les procédures à mettre en œuvre à ces fins sont actuellement définies, d’une part, dans les résolutions 1735 (2006), 1822 (2008) et 1904 (2009) et, d’autre part, dans les directives régissant la conduite des travaux du comité des sanctions, élaborées par celui-ci.

16      Selon le paragraphe 5 de la résolution 1735 (2006), les États doivent, lorsqu’ils proposent au comité des sanctions d’inscrire des noms sur la liste de celui-ci, fournir un exposé des motifs, le mémoire correspondant devant comporter un exposé aussi détaillé que possible des motifs de la demande d’inscription, y compris i) tous éléments permettant d’établir précisément que l’individu ou l’entité remplit les critères visés ; ii) la nature des éléments d’information, et iii) tous éléments d’information ou pièces justificatives pouvant être fournis. Selon le paragraphe 6 de cette même résolution, les États, au moment où ils présentent une demande d’inscription, sont priés de préciser les éléments du mémoire qui pourraient être divulgués aux fins de notification à l’individu ou à l’entité dont le nom est porté sur la liste du comité des sanctions, et ceux qui pourraient l’être aux États qui en font la demande.

17      Dans le cadre de l’engagement qu’il a pris d’assurer que des procédures équitables et claires soient en place pour l’inscription d’individus et d’entités sur la liste du comité des sanctions et pour leur radiation de cette liste, ainsi que pour l’octroi d’exemptions pour raisons humanitaires, le Conseil de sécurité a par ailleurs adopté, le 19 décembre 2006, la résolution 1730 (2006), par laquelle il a demandé au secrétaire général de l’ONU de créer au service du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité un point focal chargé de recevoir les demandes de radiation et d’accomplir les tâches décrites dans l’annexe de ladite résolution (ci-après le « point focal »). Ceux qui souhaitent présenter une demande de radiation peuvent désormais le faire par l’intermédiaire du point focal, selon la procédure décrite dans la résolution 1730 (2006) et son annexe, ou par l’intermédiaire de leur État de résidence ou de nationalité. Par une lettre (S/2007/178) datée du 30 mars 2007, le secrétaire général de l’ONU a fait savoir au président du Conseil de sécurité que le point focal pour les demandes de radiation avait été créé.

18      Dans le préambule de la résolution 1822 (2008), qui était la résolution pertinente à la date d’adoption de l’acte attaqué par la voie du préeacute;sent recours, le Conseil de sécurité réaffirme que le terrorisme, sous toutes ses formes et manifestations, constitue l’une des menaces les plus sérieuses contre la paix et la sécurité, réitère qu’il condamne le réseau Al‑Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et les autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés, insiste sur le fait que le terrorisme ne peut être vaincu que grâce à l’adoption d’une démarche suivie et globale, fondée sur la participation et la collaboration actives de l’ensemble des États et des organismes internationaux et régionaux, souligne la nécessité d’une mise en œuvre rigoureuse des mesures restrictives visées au paragraphe 1 de cette résolution, mais prend note également des difficultés auxquelles se heurte la mise en œuvre de ces mesures en reconnaissant les efforts déployés par les États et le comité des sanctions en vue d’assurer que des procédures équitables et claires soient en place pour l’inscription des intéressés sur la liste du comité des sanctions et pour leur radiation de cette liste et en se félicitant de la création du point focal. Ce même préambule réaffirme que les mesures en question ont un caractère préventif et sont indépendantes des règles pénales de droit interne.

19      Le paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008) prévoit le maintien des mesures restrictives résultant déjà des précédentes résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002). Au paragraphe 8 de cette résolution est réaffirmée l’obligation faite à tous les États de mettre en œuvre et de faire respecter les mesures visées au paragraphe 1 et il est demandé à tous les États de redoubler d’efforts en ce sens. Les paragraphes 9 à 18, 19 à 23 et 24 à 26 de cette même résolution concernent, respectivement, les procédures d’inscription sur la liste du comité des sanctions, de radiation de cette liste et de révision et de tenue à jour de celle-ci.

20      S’agissant de la procédure d’inscription, le Conseil de sécurité, au paragraphe 12 de la résolution 1822 (2008), réaffirme que les États doivent, lorsqu’ils proposent au comité des sanctions d’inscrire des noms sur sa liste, se conformer au paragraphe 5 de la résolution 1735 (2006) et fournir un exposé détaillé des motifs, et décide en outre que les États doivent, pour chaque demande d’inscription, préciser les éléments du mémoire correspondant qui pourraient être divulgués, notamment pour que le comité des sanctions puisse élaborer le résumé décrit au paragraphe 13 ou pour aviser ou informer la personne ou l’entité dont le nom est porté sur la liste. Le paragraphe 13 de cette même résolution prévoit notamment, d’une part, que le comité des sanctions, lorsqu’il ajoute un nom à sa liste, publie sur son site Web, en coordination avec les États ayant fait la demande d’inscription correspondante, un « résumé des motifs de l’inscription », et, d’autre part, que ce comité s’efforce de publier sur son site Web, en coordination avec les États ayant soumis les demandes d’inscription correspondantes, des « résumés des motifs ayant présidé aux inscriptions » de noms sur ladite liste, avant l’adoption de cette même résolution. Au paragraphe 17 de la même résolution, il est exigé que les États concernés prennent toutes les mesures possibles, conformes à leurs lois et pratiques internes, pour aviser ou informer en temps voulu la personne ou l’entité concernée de l’inscription de son nom sur la liste du comité des sanctions, et pour joindre à cet avis copie de la partie du mémoire pouvant être divulguée, des informations sur les motifs de l’inscription figurant sur le site Web du comité des sanctions, une description des effets de l’inscription tels qu’ils résultent des résolutions pertinentes, les modalités d’examen par le comité des sanctions des demandes de radiation de sa liste et les possibilités de dérogations.

21      S’agissant de la procédure de radiation, il est rappelé, au paragraphe 19 de la résolution 1822 (2008), que les personnes, groupes, entreprises et entités inscrits sur la liste du comité des sanctions ont la possibilité de soumettre une demande de radiation directement au point focal. En vertu du paragraphe 21 de cette résolution, le comité des sanctions est chargé d’examiner, conformément à ses directives, les demandes tendant à radier de sa liste le nom de membres d’Al‑Qaida ou des Taliban ou d’associés d’Al‑Qaida, d’Oussama ben Laden ou des Taliban qui ne rempliraient plus les critères établis dans les résolutions pertinentes.

22      Le préambule de la résolution 1904 (2009) souligne que les sanctions sont un instrument important prévu par la charte des Nations unies pour le maintien et le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales, de même que la nécessité d’une mise en œuvre rigoureuse des mesures visées au paragraphe 1 de cette résolution. Il y est précisé que le Conseil de sécurité prend note des difficultés d’ordres juridique et autre auxquelles se heurte la mise en œuvre des mesures prises par les États conformément audit paragraphe 1, se félicite des améliorations apportées aux procédures du comité des sanctions et exprime l’intention de continuer à œuvrer à rendre ces procédures équitables et transparentes.

23      Le paragraphe 1 de la résolution 1904 (2009) prévoit le maintien des mesures restrictives résultant déjà des précédentes résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002). Les paragraphes 8 à 19, 20 à 27 et 28 à 32 de cette résolution concernent, respectivement, les procédures d’inscription sur la liste du comité des sanctions, de radiation de cette liste et de révision et de tenue à jour de celle-ci.

24      S’agissant de la procédure d’inscription, le Conseil de sécurité, au paragraphe 11 de la résolution 1904 (2009), réaffirme que les États doivent, lorsqu’ils proposent au comité des sanctions d’inscrire des noms sur sa liste, se conformer au paragraphe 5 de la résolution 1735 (2006) et au paragraphe 12 de la résolution 1822 (2008) et fournir un exposé détaillé des motifs, et décide que l’exposé des motifs pourra être divulgué, sur demande, sauf les éléments que l’État membre jugerait confidentiels, et pourrait servir à l’établissement du résumé des motifs d’inscription sur la liste décrit au paragraphe 14.

25      S’agissant de la procédure de radiation, ainsi qu’il est précisé au paragraphe 20 de la résolution 1904 (2009), le Conseil de sécurité décide que, lorsqu’il examine les demandes de radiation de la liste du comité des sanctions, celui-ci sera assisté par un « bureau du médiateur », qui sera créé pour une période initiale de 18 mois à compter de la date d’adoption de cette résolution, prie le secrétaire général de l’ONU, en consultation étroite avec le comité des sanctions, de désigner une personnalité éminente jouissant d’une haute considération morale, connue pour son impartialité et son intégrité et possédant les hautes qualifications et l’expérience requises dans les domaines pertinents (droit, droits de l’homme, lutte antiterroriste, sanctions, etc.) pour exercer les fonctions de médiateur, dont le mandat est défini à l’annexe II de ladite résolution, et décide en outre que le médiateur exercera ses fonctions en toute indépendance et impartialité et ne sollicitera ni ne recevra d’instructions d’aucun gouvernement. Ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 21 de ladite résolution, le Conseil de sécurité décide que, après la désignation du médiateur, le bureau du médiateur recevra les demandes des personnes et des entités qui souhaitent être radiées de la liste du comité des sanctions, conformément aux modalités définies à l’annexe II de cette résolution, et que, après la désignation du médiateur, le mécanisme du point focal ne recevra plus de telles demandes. Il est prévu, au paragraphe 22 de cette même résolution, que le comité des sanctions est chargé de continuer d’examiner, conformément à ses directives, les demandes de radiation. Au paragraphe 25 de ladite résolution, le Conseil de sécurité encourage le comité des sanctions à tenir dûment compte, lorsqu’il examine les demandes de radiation, de l’avis des États à l’origine des inscriptions et des États de résidence, de nationalité ou de constitution et demande aux membres du comité des sanctions de faire tout leur possible pour motiver toute objection auxdites demandes de radiation.

26      L’annexe II de la résolution 1904 (2009) définit les tâches que le médiateur est habilité à accomplir, conformément au paragraphe 20 de cette résolution, lorsqu’il reçoit une demande de radiation. Celles-ci se subdivisent en une phase de collecte d’informations auprès des États concernés et une phase de concertation, au cours de laquelle le dialogue peut être engagé avec le requérant. À l’issue de ces deux phases, le médiateur établit et communique un « rapport d’ensemble » au comité des sanctions. Celui-ci examine alors la demande de radiation, avec le concours du médiateur, et décide, à l’issue de cet examen, s’il approuve la demande de radiation.

27      Le 7 juin 2010, le porte-parole du secrétaire général de l’ONU a annoncé la nomination par celui-ci de Mme Kimberly Prost, juge canadienne ad litem au Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie, comme médiatrice.

28      Les États membres de l’Union européenne réunis au sein du Conseil ayant considéré, dans diverses positions communes adoptées au titre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qu’une action de la Communauté européenne était nécessaire afin de mettre en œuvre les résolutions précitées du Conseil de sécurité, le Conseil a successivement adopté, notamment, le règlement (CE) n° 337/2000, du 14 février 2000, concernant l’interdiction des vols et le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 43, p. 1), le règlement (CE) n° 467/2001, du 6 mars 2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains vols vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement n° 337/2000 (JO L 67, p. 1), et le règlement n° 881/2002.

29      Ces deux derniers règlements prescrivent, notamment, le gel des fonds et des autres ressources économiques des personnes, des groupes et des entités désignés par le comité des sanctions et identifiés à leur annexe I. La Commission européenne est habilitée à modifier ou à compléter ladite annexe I sur la base des décisions du Conseil de sécurité ou du comité des sanctions. La procédure à mettre en œuvre à cette fin a été révisée, à la suite de l’arrêt Kadi de la Cour, par le règlement (UE) n° 1286/2009 du Conseil, du 22 décembre 2009, modifiant le règlement n° 881/2002 (JO L 346, p. 42).

30      Le 17 octobre 2001, le comité des sanctions a publié un addendum à sa liste, comprenant notamment le nom du requérant, identifié comme étant une personne associée à Oussama ben Laden.

31      Par le règlement (CE) n° 2062/2001 de la Commission, du 19 octobre 2001, modifiant, pour la troisième fois, le règlement n° 467/2001 (JO L 277, p. 25), le nom du requérant a été ajouté, avec d’autres, à l’annexe I dudit règlement. Le nom du requérant a par la suite été inscrit à l’annexe I du règlement n° 881/2002, lors de l’adoption de celui-ci.

32      Parallèlement au régime de sanctions décrit ci-dessus, qui ne vise que les personnes et entités nommément désignées par le comité des sanctions comme étant liées à Oussama ben Laden, à l’organisation Al‑Qaida et aux Taliban, existe un régime plus large de sanctions prévu par la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, du 28 septembre 2001, arrêtant des stratégies pour lutter par tous les moyens contre le terrorisme et, en particulier, contre son financement, qui a été adoptée elle aussi en réponse aux attentats terroristes du 11 septembre 2001.

33      Le paragraphe 1, sous c), de cette résolution dispose, notamment, que tous les États gèlent sans attendre les fonds et autres avoirs financiers des personnes qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent, des entités appartenant à ces personnes ou contrôlées par elles, et des personnes et des entités agissant au nom, ou sur instruction, de ces personnes. L’identification de ces personnes ou entités est toutefois laissée à l’entière discrétion des États.

34      Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution du Conseil de sécurité, le Conseil a notamment adopté, d’une part, la position commune 2001/931/PESC, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93), et, d’autre part, le règlement (CE) n° 2580/2001, du 27 décembre 2001, concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 70, rectificatif au JO 2010, L 52, p. 58).

35      Ces actes prescrivent, notamment, le gel des fonds et des autres ressources économiques des personnes, des groupes et des entités impliqués dans des actes de terrorisme, tels qu’identifiés par le Conseil lui-même et repris dans une liste en annexe, régulièrement révisée, sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente, en principe judiciaire, à l’égard des personnes, des groupes et des entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, fondée sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits.

36      Selon l’arrêt de la United Kingdom Supreme Court (Cour suprême du Royaume-Uni) du 27 janvier 2010, Her Majesty’s Treasury (Respondent) v Mohammed Jabar Ahmed and Others (Appellants), Her Majesty’s Treasury (Respondent) v Mohammed al-Ghabra (Appellant) and R (on the application of Hani El Sayed Sabaei Youssef) (Respondent) v Her Majesty’s Treasury (Appellant) [2010] UKSC 2 (ci-après l’« arrêt Ahmed e.a. de la UK Supreme Court », point 22), il ressort des rapports des États membres de l’Union au comité des sanctions que 11 des 27 États membres se reposent exclusivement sur le règlement n° 881/2002 pour se conformer à leurs obligations au titre de la résolution 1333 (2000). Les 16 autres États membres ont de surcroît adopté des mesures législatives visant directement à la mise en œuvre de ladite résolution en droit national, lesquelles coexistent donc avec le règlement n° 881/2002.

 Arrêts Kadi du Tribunal et de la Cour

37      Le 18 décembre 2001, le requérant a saisi le Tribunal d’un recours visant à l’annulation des règlements nos 467/2001 et 2062/2001, pour autant que ces actes le concernaient, aux motifs, notamment, que ceux-ci violaient son droit à être entendu ainsi que son droit à une protection juridictionnelle effective et qu’ils constituaient une atteinte disproportionnée à son droit de propriété. L’objet de ce recours a ultérieurement été modifié de façon à ce qu’il vise à l’annulation du règlement n° 881/2002, pour autant qu’il concernait le requérant.

38      Par son arrêt Kadi, prononcé le 21 septembre 2005, le Tribunal a rejeté ce recours. Il a notamment jugé, en substance, qu’il découlait des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire que le règlement n° 881/2002, dès lors qu’il visait à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, ne laissant place à aucune marge à cet effet, ne pouvait pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel quant à sa légalité interne sauf pour ce qui concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens et bénéficiait donc, sous cette réserve, d’une immunité juridictionnelle (voir, également, arrêt de la Cour du 3 décembre 2009, Hassan et Ayadi/Conseil et Commission, C‑399/06 P et C‑403/06 P, non encore publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Hassan de la Cour », point 69).

39      Partant, le Tribunal a jugé, dans son arrêt Kadi, que c’était au regard du seul jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger, que la légalité du règlement n° 881/2002 pouvait être examinée, y compris pour ce qui concernait les moyens tirés par le requérant d’une violation de ses droits fondamentaux (voir, également, arrêt Hassan de la Cour, point 70).

40      Par son arrêt Kadi, prononcé le 3 septembre 2008, la Cour a annulé l’arrêt Kadi du Tribunal et a annulé le règlement n° 881/2002, dans la mesure où il visait le requérant.

41      Nonobstant les articles 25 et 103 de la charte des Nations unies et les articles 297 CE et 307 CE, et bien qu’elle ait relevé, au point 293 de son arrêt Kadi, que le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies s’imposait lors de la mise en œuvre par la Communauté de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de ladite charte, la Cour a affirmé, au point 316 de ce même arrêt, que le contrôle, par elle, de la validité de tout acte communautaire au regard des droits fondamentaux devait être considéré comme l’expression, dans une communauté de droit, d’une garantie constitutionnelle découlant du traité CE en tant que système juridique autonome à laquelle un accord international – à savoir, en l’occurrence, la charte des Nations unies elle-même – ne saurait porter atteinte.

42      La Cour a également jugé, aux points 326 et 327 de son arrêt Kadi, que la thèse du Tribunal résumée aux points 38 et 39 ci-dessus était constitutive d’une erreur de droit. Selon la Cour, en effet, les juridictions communautaires doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes communautaires qui, tel le règlement n° 881/2002, visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies (voir, également, arrêt Hassan de la Cour, point 71).

43      La Cour en a conclu, au point 328 de son arrêt Kadi, que, les moyens du requérant étant fondés sur ce point, il y avait lieu d’annuler à cet égard l’arrêt Kadi du Tribunal.

44      Au point 348 de son arrêt Kadi, la Cour a par ailleurs jugé que, dès lors que le Conseil n’avait ni communiqué au requérant les éléments retenus à sa charge pour fonder les mesures restrictives qui lui avaient été imposées ni accordé à celui-ci le droit de prendre connaissance desdits éléments dans un délai raisonnable après l’imposition de ces mesures, l’intéressé n’avait pas eu la possibilité de faire connaître utilement son point de vue à cet égard. La Cour en a conclu audit point que les droits de défense du requérant, en particulier le droit d’être entendu, n’avaient pas été respectés.

45      En outre, la Cour a jugé, au point 349 de son arrêt Kadi, que, à défaut d’avoir été informé des éléments retenus à sa charge et compte tenu des rapports, relevés aux points 336 et 337 dudit arrêt, qui existent entre les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, le requérant n’avait pas non plus pu défendre ses droits à l’égard desdits éléments dans des conditions satisfaisantes devant le juge communautaire, de sorte qu’une violation dudit droit à un recours juridictionnel effectif devait également être constatée.

46      S’agissant, enfin, des griefs du requérant relatifs à la violation du droit au respect de la propriété qu’emporteraient les mesures de gel imposées en vertu du règlement n° 881/2002, la Cour a jugé, au point 366 de son arrêt Kadi, que les mesures restrictives qu’imposait ce règlement constituaient des restrictions au droit de propriété qui, en principe, pourraient être justifiées (voir, également, arrêt Hassan de la Cour, point 91).

47      La Cour a toutefois conclu, aux point 369 et 370 de ce même arrêt, que, dans les circonstances de l’espèce, où le règlement n° 881/2002, pour autant qu’il concernait le requérant, avait été adopté sans fournir à ce dernier aucune garantie lui permettant d’exposer sa cause aux autorités compétentes, et ce dans une situation dans laquelle la restriction de ses droits de propriété devait être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale et à la durée effective des mesures restrictives dont il faisait l’objet, l’imposition de ces mesures à son égard constituait une restriction injustifiée de son droit de propriété.

48      Conformément à l’article 231 CE, la Cour a maintenu les effets du règlement n° 881/2002 pour une période ne pouvant excéder trois mois, de façon à permettre au Conseil de remédier aux violations constatées, tout en tenant dûment compte de l’importante incidence des mesures restrictives en cause sur les droits et libertés du requérant. Elle a relevé à cet égard, d’une part, que l’annulation de ce règlement, pour autant qu’il concernait le requérant, avec effet immédiat, serait susceptible de porter une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’imposait ce règlement et que la Communauté se devait de mettre en œuvre, et, d’autre part, qu’il ne saurait être exclu que, sur le fond, l’imposition de telles mesures au requérant puisse tout de même s’avérer justifiée (points 373 à 376 de l’arrêt Kadi de la Cour).

 Suite des arrêts Kadi du Tribunal et de la Cour

49      Par lettre du 8 septembre 2008, le représentant permanent de la France auprès de l’ONU, agissant au nom de l’Union, a demandé au comité des sanctions de rendre d’urgence accessible sur son site Web, conformément au paragraphe 13 de la résolution 1822 (2008), le résumé des motifs ayant présidé à l’inscription du requérant sur la liste de ce comité.

50      Par lettre du 21 octobre 2008, le président du comité des sanctions a communiqué ledit résumé des motifs au représentant permanent de la France auprès de l’ONU, en autorisant sa communication au requérant et/ou à ses avocats. Ce résumé des motifs est libellé comme suit :

« L’individu Yasin Abdullah Ezzedine Qadi [...] satisfait aux conditions d’inscription par le [comité des sanctions] en raison de ses actes consistant en a) le fait de participer au financement, à l’organisation, à la facilitation, à la préparation ou à l’exécution d’actes ou d’activités en association avec le réseau Al-Qaida, Oussama ben Laden ou les Taliban, ou toute cellule, filiale ou émanation ou tout groupe dissident, sous leur nom, pour leur compte ou pour les soutenir ; b) le fait de fournir, vendre ou transférer des armements et matériels connexes à ceux-ci ; c) le fait de recruter pour le compte de ceux-ci ; d) le fait de soutenir, de toute autre manière, des actes commis par ceux-ci ou des activités auxquelles ils se livrent [voir résolution 1822 (2008) du Conseil de sécurité, paragraphe 2].

M. Qadi a reconnu qu’il était un membre fondateur de la Fondation Muwafaq et en dirigeait les activités. La Fondation Muwafaq a toujours fonctionné sous l’égide du Bureau afghan [Makhtab al-Khidamat] (QE.M.12.01.), organisation fondée par Abdullah Azzam et Oussama ben Laden [Usama Muhammed Awad Bin Laden] (QI.B.8.01.) et précurseur d’Al‑Qaida (QE.A.4.01.). Après la dissolution du Bureau afghan, début juin 2001 et son absorption par Al‑Qaida, plusieurs des organisations non gouvernementales qui lui étaient autrefois associées, notamment la Fondation Muwafaq, se sont également ralliées à Al‑Qaida.

En 1992, Qadi a confié à Shafiq Ben Mohamed Ben Mohamed Al‑Ayadi (QI.A.25.01.) la direction des bureaux européens de la Fondation Muwafaq. Au milieu des années 90, Al-Ayadi dirigeait aussi le bureau de la Fondation Muwafaq en Bosnie-Herzégovine. Qadi a recruté Al-Ayadi sur la recommandation du célèbre financier d’Al‑Qaida, Wa’el Hamza Abd al-Fatah Julaidan (QI.J.79.02.), qui a combattu aux côtés d’Oussama ben Laden en Afghanistan dans les années 80. Au moment de sa nomination par Al‑Qadi au poste de directeur pour l’Europe de la Fondation Muwafaq, Al‑Ayadi agissait au titre d’accords avec Oussama ben Laden. Al-Ayadi s’est rendu en Afghanistan au début des années 90 pour y suivre un entraînement paramilitaire, puis au Soudan, avec d’autres personnes, pour y rencontrer Oussama ben Laden, avec lequel ils ont conclu un accord officiel concernant l’accueil et la formation de Tunisiens. Ils ont rencontré Oussama ben Laden une deuxième fois et obtenu un accord visant à ce que les collaborateurs de ben Laden en Bosnie-Herzégovine accueillent des combattants tunisiens venus d’Italie.

En 1995, le dirigeant d’Al-Gama’at al Islamiyya, Talad Fuad Kassem, a déclaré que la Fondation Muwafaq avait fourni un appui logistique et financier à un bataillon de combattants en Bosnie-Herzégovine. Au milieu des années 90, la Fondation Muwafaq a contribué à l’appui financier fourni aux fins des activités terroristes de ces combattants, ainsi qu’au trafic d’armes en provenance d’Albanie et à destination de la Bosnie-Herzégovine. Une partie du financement de ces activités a été assurée par Oussama ben Laden.

Qadi était aussi l’un des principaux actionnaires de la Depositna Banka, établie à Sarajevo et aujourd’hui fermée, où Al‑Ayadi exerçait également des fonctions et représentait les intérêts de Qadi. Des réunions consacrées à la préparation d’un attentat contre un établissement américain en Arabie saoudite ont peut-être eu lieu dans cette banque.

Qadi était en outre propriétaire en Albanie de plusieurs sociétés qui transmettaient des fonds à des extrémistes ou confiaient à des extrémistes des postes leur permettant de contrôler les fonds des sociétés en question. Jusqu’à cinq des sociétés appartenant à Qadi en Albanie ont reçu des fonds de roulement versés par ben Laden. »

51      Par la suite, ce résumé des motifs a également été publié sur le site Web du comité des sanctions, conformément au paragraphe 13 de la résolution 1822 (2008).

52      Par lettre du 22 octobre 2008, le représentant permanent de la France auprès de l’Union a transmis ce même résumé des motifs à la Commission, en vue de permettre à celle-ci de se conformer à l’arrêt Kadi de la Cour.

53      Le 22 octobre 2008, la Commission a envoyé une lettre au requérant, l’informant du fait que, pour les motifs précisés dans le résumé des motifs fourni par le comité des sanctions et joint à ladite lettre, elle envisageait d’adopter un acte législatif en vue de maintenir son inscription à l’annexe I du règlement n° 881/2002, en vertu de son article 7, paragraphe 1, premier tiret. La Commission a ajouté que cette lettre avait pour objet de donner au requérant la possibilité de présenter ses observations sur les motifs indiqués dans le résumé des motifs et de lui fournir toute information qu’il jugerait pertinente, avant qu’elle n’adopte sa décision finale. Un délai lui était accordé à cette fin jusqu’au 10 novembre 2008.

54      Le résumé des motifs joint à cette lettre (ci‑après le « résumé des motifs ») est rédigé en des termes identiques au résumé des motifs communiqué par le comité des sanctions (voir point 50 ci-dessus).

55      Par lettre du 10 novembre 2008, le requérant a soumis ses observations en réponse à la Commission. Il a, notamment :

–        demandé à la Commission de produire les preuves corroborant les affirmations et les assertions figurant dans le résumé des motifs ainsi que les documents pertinents du dossier de la Commission ;

–        demandé à disposer d’une autre possibilité de formuler des observations sur ces preuves après les avoir reçues ;

–        tenté de réfuter, preuves à l’appui, les allégations formulées dans le résumé des motifs, dans la mesure où il s’estimait en mesure de répondre à des accusations générales.

56      Le 28 novembre 2008, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 1190/2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement n° 881/2002 (JO L 322, p. 25, ci-après le « règlement attaqué »).

57      Les considérants 3 à 6, 8 et 9 du préambule du règlement attaqué sont libellés comme suit :

« (3) Pour se conformer à l’arrêt [Kadi de la Cour], la Commission a communiqué à M. Kadi [le résumé des motifs] et [lui] a donné la possibilité de formuler des observations sur ces motifs pour faire connaître [son] point de vue.

(4)      La Commission a reçu des observations de M. Kadi [...] et les a examinées.

(5)      M. Kadi [...] figur[e] sur la liste des personnes, groupes et entités auxquels le gel des fonds et des ressources économiques devrait s’appliquer, liste établie par le [comité des sanctions].

(6)      Après avoir attentivement examiné les observations formulées par M. Kadi dans une lettre datée du 10 novembre 2008, la Commission estime, au vu du caractère préventif du gel des fonds et des ressources économiques, que l’inscription de M. Kadi sur la liste se justifie en raison de ses rapports avec le réseau Al‑Qaida.

[...]

(8)      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’ajouter M. Kadi [...] à l’annexe I.

(9)      Il convient d’appliquer le présent règlement à compter du 30 mai 2002 vu le caractère préventif et les objectifs du gel des fonds et des ressources économiques imposé par le règlement [...] n° 881/2002 et la nécessité de protéger les intérêts légitimes des opérateurs économiques qui se sont fiés à la légalité du règlement annulé [par l’arrêt Kadi de la Cour]. »

58      Aux termes de l’article 1er et de l’annexe du règlement attaqué, l’annexe I du règlement n° 881/2002 est modifiée en ce sens, notamment, que la mention suivante est ajoutée sous la rubrique « Personnes physiques » :

« Yasin Abdullah Ezzedine Qadi [alias a) Kadi, Shaykh Yassin Abdullah, b) Kahdi, Yasin ; c) Yasin Al-Qadi]. Né le 23 février 1955 au Caire, Égypte. Nationalité : saoudienne. Numéro de passeport : a) B 751550, b) E 976177 (délivré le 6 mars 2004, expire le 11 janvier 2009). Renseignement complémentaire : Jeddah, Arabie saoudite. »

59      Aux termes de l’article 2 du règlement attaqué, celui-ci est entré en vigueur le 3 décembre 2008 et s’applique à compter du 30 mai 2002.

60      Par lettre du 8 décembre 2008, la Commission a répondu aux observations du requérant du 10 novembre 2008, indiquant qu’elle avait examiné lesdites observations et qu’elle avait comparé le résumé des motifs et les arguments qu’il avait avancés à cet égard. Elle a fait valoir, notamment :

–        que, en lui transmettant le résumé des motifs et en l’invitant à lui faire part de ses observations, elle s’était conformée à l’arrêt Kadi de la Cour ;

–        que l’arrêt Kadi de la Cour ne lui imposait pas la « communication des preuves additionnelles » demandée par le requérant ;

–        que, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité exigeant un gel des avoirs « préventif », ce que confirmerait la « recommandation spéciale III sur le financement du terrorisme » du Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI), ledit gel doit reposer, en ce qui concerne le niveau de preuve requis, sur « des motifs ou une base raisonnables permettant de soupçonner que l’individu ou l’entité désigné est un terroriste, qui finance le terrorisme ou une organisation terroriste » ;

–        qu’elle était en droit d’ignorer les preuves avancées par le requérant en vue de réfuter les accusations formulées à son encontre, et plus particulièrement celles concernant l’abandon des poursuites pénales à sa charge en Suisse, en Turquie et en Albanie, au motif que ces preuves relevaient « du cadre des procédures pénales », qui ont « des exigences en matière de preuve différentes de celles applicables au [comité des sanctions], qui sont préventives par nature ».

61      La Commission a conclu son analyse comme suit : « [p]ar conséquent, après avoir examiné avec soin les observations que vous avez formulées dans une lettre datée du 10 novembre 2008, la Commission estime [que] votre inscription sur la liste se justifie en raison de vos rapports avec le réseau Al‑Qaida [ ; l]’exposé des motifs est joint à la présente ». La Commission a également joint le texte du règlement attaqué, a rappelé la possibilité d’attaquer ce règlement devant le Tribunal et a, enfin, attiré l’attention du requérant sur le fait que les personnes, groupes et entités concernés peuvent présenter à tout moment une demande de radiation au comité des sanctions, en précisant les détails des contacts utiles et l’adresse d’un site Web où le requérant pouvait obtenir de plus amples informations.

62      L’exposé des motifs joint à la lettre de la Commission du 8 décembre 2008 est identique au résumé des motifs.

 Procédure

63      C’est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 février 2009, le requérant a introduit le présent recours.

64      Par acte séparé, déposé au greffe le même jour, le requérant a introduit une demande visant à ce qu’il soit statué selon une procédure accélérée, conformément à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal. La Commission entendue, il a été fait droit à cette demande par décision du Tribunal (septième chambre) du 20 mars 2009.

65      La Commission a joint au mémoire en défense la lettre du représentant permanent de la France auprès de l’Union du 22 octobre 2008, accompagnant la transmission du résumé des motifs communiqué par le comité des sanctions (voir point 52 ci-dessus), qu’elle présente comme étant la totalité des documents qu’elle a reçus des Nations unies et sur lesquels repose le règlement attaqué.

66      Par ordonnances du 5 mai et du 3 juillet 2009, les parties entendues, le président de la septième chambre du Tribunal a admis l’intervention, d’une part, du Conseil de l’Union européenne et, d’autre part, de la République française et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, au soutien des conclusions de la Commission.

67      Par acte déposé au greffe le 18 novembre 2009, la Commission a déposé un document relatif à une procédure pendante entre le requérant et les autorités américaines devant la United States District Court for the District of Columbia (Cour de district des États-Unis pour le district de Columbia). Le requérant et le Conseil ont soumis leurs observations écrites sur ce document le 10 décembre 2009.

68      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

69      Par lettre du 10 juin 2010, le requérant a produit une copie de l’arrêt Ahmed e.a. de la UK Supreme Court.

70      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 17 juin 2010. Lors de celle-ci, le requérant a produit le « neuvième rapport de l’équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions, constituée en application de la résolution 1526 (2004) », afin d’aider le comité des sanctions à remplir son mandat, tel qu’il avait été transmis au président du Conseil de sécurité par le président du comité des sanctions, sous couvert d’une lettre datée du 11 mai 2009 (document S/2009/245, ci-après le « neuvième rapport de l’équipe de surveillance »).

 Conclusions des parties

71      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        adopter une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 64 de son règlement de procédure, visant à obtenir de la Commission qu’elle divulgue « tous les documents relatifs à l’adoption » du règlement attaqué ;

–        annuler le règlement attaqué, pour autant qu’il le concerne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

72      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

73      La Commission considère, par ailleurs, que, dès lors que l’inscription du requérant à l’annexe I du règlement n° 881/2002 repose exclusivement sur les documents joints au mémoire en défense, il n’y a pas lieu pour le Tribunal de demander leur production en tant que mesure d’organisation de la procédure.

74      Le Conseil, la République française et le Royaume-Uni soutiennent le premier chef de conclusions de la Commission.

 En fait

75      Le requérant est un ressortissant saoudien, homme d’affaires et financier, né en 1955. Il reconnaît avoir été, jusqu’à ce qu’elle cesse ses activités en 1998, un administrateur de la Fondation Muwafaq, qu’il décrit comme étant une fondation caritative établie à Jersey.

76      Les fonds du requérant sont gelés dans l’ensemble de l’Union depuis le 20 octobre 2001, initialement en vertu du règlement n° 2062/2001, adopté à la suite de son inscription sur la liste du comité des sanctions, opérée le 17 octobre 2001 (voir points 30 et 31 ci-dessus), puis en vertu du règlement n° 881/2002 et, enfin, en vertu du règlement attaqué, adopté à la suite de l’annulation partielle dudit règlement n° 881/2002 par l’arrêt Kadi de la Cour.

77      Le requérant soutient qu’il n’a jamais été mêlé au terrorisme et qu’il n’a jamais apporté aucun soutien, financier ou autre, au terrorisme, que ce soit en relation avec Oussama ben Laden ou autrement. Il n’aurait jamais été jugé ni reconnu coupable pour une quelconque infraction pénale relative au terrorisme, où que ce soit dans le monde.

78      Le requérant ajoute qu’il a été inscrit sur la liste du comité des sanctions, à la demande des États-Unis, en l’absence d’examen ou d’évaluation, réalisé de manière indépendante par les Nations unies, des allégations formulées à son encontre par les États-Unis. Or, nombre de ces allégations seraient manifestement fausses, telles celles faisant état de ce que le requérant a un frère ou qu’il est membre du clan des Dossari. Les autorités des États-Unis se seraient également fondées sur des allégations formulées dans certains articles de presse, notamment un article écrit par le journaliste Jack Kelley dans le numéro du quotidien USA Today du 29 octobre 1999, indiquant, entre autres, que la Fondation Muwafaq servait de « façade » à Oussama ben Laden. Or, M. Kelley aurait par la suite été contraint de démissionner à l’issue d’une enquête et un article correctif aurait été publié sur le site Internet d’USA Today le 13 avril 2004, confirmant que M. Kelley avait « fabriqué certains scoops » et que l’article sur lequel les autorités américaines s’étaient fondées contenait plusieurs erreurs.

 En droit

 Considérations liminaires

79      Après avoir émis un certain nombre de considérations liminaires concernant le niveau de contrôle juridictionnel approprié en l’espèce, le requérant invoque cinq moyens au soutien du présent recours. Le premier est tiré d’un défaut de base juridique suffisante. Le deuxième, qui se subdivise en deux branches, est tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Le troisième est tiré d’une violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE. Le quatrième est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits. Le cinquième, enfin, est tiré d’une violation du principe de proportionnalité.

80      Il convient d’examiner d’abord la question du niveau de contrôle juridictionnel approprié en l’espèce, qualifiée à juste titre de préalable par l’ensemble des parties, et ensuite, successivement, les deuxième et cinquième moyens du recours, qui répètent la substance des griefs déjà examinés par la Cour dans son arrêt Kadi.

81      Aux fins de cet examen, il n’y a pas lieu de faire droit à la mesure d’organisation de la procédure sollicitée par le requérant. Il n’est pas contesté, en effet, que la Commission a produit, en annexe au mémoire en défense, l’ensemble des documents au regard desquels a été adopté le règlement attaqué, qui sont susceptibles d’être visés par cette mesure.

 Sur le niveau de contrôle juridictionnel approprié en l’espèce

 Arguments des parties

82      En premier lieu, le requérant estime « opportun et nécessaire » que le Tribunal fasse usage, en l’espèce, d’un niveau de contrôle juridictionnel « approfondi et rigoureux ». Il se réfère, à cet égard, aux principes énoncés aux points 281 et 326 de l’arrêt Kadi de la Cour et au point 45 des conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous cet arrêt (Rec. p. I‑6363). Il renvoie également au niveau de contrôle « complet » défini par le Tribunal, pour apprécier la légalité de mesures communautaires de gel des fonds adoptées au titre du règlement n° 2580/2001, dans ses arrêts du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil (T‑228/02, Rec. p. II‑4665, ci‑après l’« arrêt OMPI », points 154, 155 et 159), du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil (T‑256/07, Rec. p. II‑3019, ci-après l’« arrêt PMOI I », points 141 à 143), et du 4 décembre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil (T‑284/08, Rec. p. II‑3487, ci-après l’« arrêt PMOI II », points 74 et 75).

83      En deuxième lieu, le requérant estime que des preuves particulièrement convaincantes sont requises pour justifier la mesure de gel des fonds en cause en l’espèce, pour les raisons suivantes :

–        cette mesure, draconienne et dépourvue de limites de temps ou de montant, constitue une atteinte considérable à ses droits fondamentaux, dont les conséquences peuvent être dévastatrices (conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous l’arrêt Kadi de la Cour, précitées, point 47) ;

–        cette mesure constitue une sanction, ainsi qu’il ressortirait objectivement des notes interprétatives du GAFI invoquées par la Commission, en ce sens qu’elle le catalogue publiquement comme un terroriste ou un partisan du terrorisme ;

–        ses avoirs sont gelés depuis 2001, alors que, s’agissant du maintien de ce gel, la Commission doit s’orienter par rapport au critère de l’existence d’une « menace actuelle ou future » plutôt que par rapport à celui d’un simple « comportement passé » (arrêt PMOI I, point 110).

84      En troisième lieu, le requérant considère que le Tribunal doit examiner le règlement attaqué avec une attention particulière, dès lors que celui-ci a prétendument été adopté en vue de remédier aux sérieuses violations des droits fondamentaux identifiées par la Cour dans son arrêt Kadi (notamment points 334, 358, 369 et 370 ; voir, également, arrêt PMOI I, points 60 à 62).

85      Selon la Commission et les gouvernements intervenants, il convient de parvenir à un juste équilibre entre le droit fondamental à un contrôle juridictionnel effectif dont dispose un individu dont les fonds sont gelés en vertu d’une mesure communautaire et la nécessité de lutter contre le terrorisme international conformément aux décisions contraignantes prises par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies.

86      À cet égard, la Commission propose de distinguer deux niveaux de contrôle juridictionnel, selon que la mesure en cause relève ou non de l’exercice d’un pouvoir propre, impliquant une appréciation discrétionnaire de la Communauté (arrêt OMPI, point 107).

87      Le premier niveau de contrôle, qualifié de « restreint », aurait été défini par le Tribunal dans les arrêts OMPI et PMOI, dans le cadre de la mise en œuvre de la position commune 2001/931 et du règlement n° 2580/2001. Il s’étendrait à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués comme justifiant la mesure de gel des fonds en cause, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels est fondée cette appréciation (arrêt OMPI, point 154), sans toutefois que le juge communautaire puisse substituer son appréciation des preuves, des faits et des circonstances justifiant l’adoption d’une telle mesure à celle des institutions communautaires (arrêt OMPI, point 159). Il se limiterait ainsi à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’appliquerait, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles la mesure de gel des fonds est fondée.

88      Contrairement à ce que soutient le requérant, ce premier niveau restreint de contrôle juridictionnel ne serait pas transposable à une affaire telle que celle de l’espèce, dans laquelle est en cause un acte communautaire adopté, conformément à la volonté unanimement exprimée par les États membres dans la position commune 2002/402/PESC du Conseil, du 27 mai 2002, concernant des mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al‑Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, et abrogeant les positions communes 96/746/PESC, 1999/727/PESC, 2001/154/PESC et 2001/771/PESC (JO L 139, p. 4), en vue de mettre en œuvre de manière collective des sanctions individuelles directement décidées à l’encontre d’individus et d’entités nommément désignés par le comité des sanctions.

89      La Commission rappelle, à cet égard, que le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies s’impose lors de la mise en œuvre, par la Communauté, de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies (arrêt Kadi de la Cour, point 293). Il s’ensuivrait que les institutions communautaires sont tenues, en vertu du traité CE, de se conformer aux décisions du comité des sanctions (arrêt Kadi de la Cour, point 296).

90      Les juridictions communautaires devraient néanmoins vérifier si l’adoption d’une mesure d’exécution communautaire est compatible avec les principes constitutionnels du traité CE, parmi lesquels figurent les droits fondamentaux (arrêt Kadi de la Cour, points 298 à 314). Ce contexte des Nations unies ne justifierait donc pas une « immunité de juridiction généralisée » dans le cadre de l’ordre juridique communautaire, aussi longtemps que la procédure de réexamen par le comité des sanctions n’offre pas les garanties d’une protection juridictionnelle (arrêt Kadi de la Cour, points 322 in fine, 326 et 327).

91      Selon la Commission et les gouvernements intervenants, le contrôle juridictionnel exercé par la Cour, dans les affaires mettant en cause des actes communautaires de mise en œuvre de sanctions décidées par le comité des sanctions, a porté jusqu’à présent sur la vérification du respect des garanties procédurales par l’autorité communautaire concernée (arrêt Kadi de la Cour, points 336 et 345 à 353). En revanche, la Cour ne se serait pas encore prononcée sur le niveau du contrôle juridictionnel des motifs sur lesquels repose la mesure communautaire d’exécution. Il appartiendrait ainsi au Tribunal de déterminer pour la première fois le niveau de contrôle adéquat, en accordant une attention particulière au contexte international dans lequel le règlement attaqué a été adopté.

92      À cet égard, la Commission souligne l’obligation faite à tout État membre de l’ONU, conformément à l’article 2, paragraphe 5, de la charte des Nations unies, de donner à cette organisation « pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions » de ladite charte. Au paragraphe 8 de sa résolution 1822 (2008), le Conseil de sécurité aurait par ailleurs récemment réaffirmé l’obligation faite à tous les États membres de mettre en œuvre et de faire respecter les sanctions prises à l’égard des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions.

93      Il en irait de même lorsque, au sein de l’Union, les décisions du comité des sanctions sont mises en œuvre non par chaque État membre à titre individuel, mais par l’adoption de mesures communautaires en vertu des articles 60 CE et 301 CE. La Commission relève que, dans son arrêt Kadi (point 294), la Cour a indiqué que, dans l’exercice de cette compétence, la Communauté se doit d’attacher une importance particulière au fait que, conformément à l’article 24 de la charte des Nations unies, l’adoption, par le Conseil de sécurité, de résolutions au titre du chapitre VII de cette charte constitue l’exercice de la responsabilité principale dont est investi cet organe international pour maintenir, à l’échelle mondiale, la paix et la sécurité, responsabilité qui, dans le cadre dudit chapitre VII, « inclut le pouvoir de déterminer ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir ».

94      La Commission et les gouvernements intervenants soutiennent que, en communiquant au requérant les motifs de son inscription à l’annexe I du règlement n° 881/2002, la Communauté lui donne la possibilité de faire part de son point de vue et de réfuter les allégations selon lesquelles il est lié au terrorisme international. Les observations présentées par l’intéressé devraient être examinées avec soin par la Commission. Si toutefois celui-ci entend attaquer les preuves qui sous-tendent le résumé des motifs du comité des sanctions, il n’appartiendrait pas à la Communauté de substituer après coup son appréciation de ces preuves à celle dudit comité. En outre, la Communauté ne serait pas en mesure d’effectuer une telle appréciation a posteriori, puisque ces preuves sont seulement communiquées par un État membre des Nations unies au comité des sanctions.

95      Lors de l’audience, la Commission a confirmé, d’une part, qu’elle ne disposait d’aucun des éléments de preuve en question. La production de ceux-ci doit, selon elle, être demandée aux États membres de l’ONU qui les détiennent.

96      En réponse à une question posée par le Tribunal, la Commission, soutenue par les gouvernements intervenants, a précisé, d’autre part, que la marge dont elle estime disposer pour remettre en cause les appréciations du comité des sanctions est particulièrement étroite et se limite, en réalité, au contrôle de l’erreur absolument manifeste de fait ou d’appréciation, telle qu’une erreur sur l’identité de la personne désignée. Dans l’éventualité où il apparaîtrait qu’une telle erreur a été commise, la Commission devrait prendre contact avec le comité des sanctions en vue d’obtenir qu’il y soit remédié.

97      Selon la Commission et les gouvernements intervenants, le fait d’accéder à la demande du requérant de mettre en place une procédure communautaire spécifique pour la communication et l’évaluation des preuves « minerait » le système de sanctions des Nations unies. Le comité des sanctions, qui serait spécialisé en la matière et soumis à des règles spécifiques de confidentialité et d’expertise, aurait précisément pour mission de traiter des preuves extrêmement sensibles. La Commission et les gouvernements intervenants ajoutent que, si chacun des 192 États membres des Nations unies devait se prononcer, à titre individuel, sur les preuves disponibles avant qu’une mesure d’exécution ne soit prise, le système centralisé de sanctions des Nations unies dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international « s’effondrerait » immédiatement et il serait impossible de parvenir à un juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux et la nécessité de lutter contre le terrorisme international.

98      Quant à la mise en œuvre par les juridictions communautaires du principe constitutionnel de protection juridictionnelle effective, à la suite de l’arrêt Kadi de la Cour, la Commission et les gouvernements intervenants font observer que, si ces juridictions sont bien compétentes pour contrôler le règlement attaqué, ce contrôle dépend lui-même du rôle limité imparti à la Communauté, qui n’aurait pas pour mission de contrôler la décision du comité des sanctions ou les preuves qui sont conservées exclusivement à New York. La Commission et les gouvernements intervenants soulignent encore que le pouvoir de décider qu’une personne est associée à Al‑Qaida et qu’il est donc nécessaire de geler ses avoirs pour l’empêcher de financer ou de préparer des actes de terrorisme a été confié au Conseil de sécurité et qu’il est difficile d’imaginer un domaine politique plus important et plus complexe, impliquant des évaluations portant sur la sauvegarde de la sécurité internationale et interne.

99      Selon la Commission et les gouvernements intervenants, il découle de ce qui précède que la Communauté, dans son ensemble, ne peut substituer sa propre appréciation à celle du comité des sanctions. La marge d’appréciation dont dispose ce dernier devrait être respectée non seulement par les instances politiques de la Communauté, mais aussi par ses juridictions. En l’occurrence, le Tribunal devrait donc respecter la décision de la Commission de ne pas substituer sa propre appréciation à celle du comité des sanctions, sauf si cette décision de la Commission apparaît manifestement erronée.

100    Dans le cas contraire, le Tribunal pourrait, selon la Commission et les gouvernements intervenants, imposer aux États membres de l’Union des obligations directement contradictoires en vertu de la charte des Nations unies et du droit communautaire. Si le Tribunal devait substituer son appréciation à celle du comité des sanctions et aboutir à la conclusion qu’une personne ne réunit pas les conditions pour figurer à l’annexe I du règlement n° 881/2002, les États membres de l’Union resteraient tenus, en tant que membres de l’ONU, de mettre en œuvre la décision du comité des sanctions, tout en étant obligés, en tant que membres de l’Union, de ne pas prendre de sanctions. Or, ajoute la Commission, il découle de l’article 103 de la charte des Nations unies qu’un État membre de l’Union ne peut invoquer le droit communautaire pour justifier l’inexécution des obligations qui lui incombent au titre de la charte des Nations unies.

101    Pour toutes ces raisons, la Commission invite le Tribunal à examiner, d’une part, si le requérant s’est effectivement vu accorder le droit d’être entendu et, d’autre part, si l’appréciation par la Commission des observations du requérant apparaît déraisonnable ou entachée d’une erreur manifeste.

102    Le Conseil conteste lui aussi l’interprétation que donne le requérant de l’arrêt Kadi de la Cour. Celui-ci sortirait certains passages de leur contexte et leur donnerait un sens que la Cour n’avait pas l’intention de leur donner. En réalité, ayant constaté, au point 351 de cet arrêt, qu’elle n’était pas en mesure de contrôler la légalité de l’acte attaqué, la Cour n’aurait pas examiné la question de l’étendue ou de l’intensité de son contrôle juridictionnel, ni donné la moindre orientation à cet égard.

103    Plus spécifiquement, le Conseil fait valoir que la question de savoir si le requérant était lié au réseau Al‑Qaida ou aux Taliban implique une évaluation par le comité des sanctions, fondée sur des considérations de sécurité, concernant les mesures qui doivent être prises afin de lutter contre le terrorisme sur la base des informations et des renseignements collectés.

104    La Cour aurait reconnu la primauté du rôle du Conseil de sécurité dans ce domaine, au point 294 de son arrêt Kadi. En pratique, cela signifierait que les institutions communautaires ne doivent pas substituer leur propre appréciation de l’existence ou non d’un lien entre un individu et le réseau Al‑Qaida ou les Taliban à celle contenue dans une résolution contraignante du Conseil de sécurité.

105    Le Conseil estime également que le Tribunal devrait, en l’espèce, adopter la même approche que celle suivie lorsque les institutions communautaires se livrent à des appréciations portant sur des objectifs complexes et définis de manière large. Selon une jurisprudence constante de la Cour, elles jouiraient alors d’un large pouvoir d’appréciation et leurs choix ne devraient être annulés que si elles ont commis une erreur manifeste d’appréciation ou si elles se sont rendues coupables d’un détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf, C‑248/95 et C‑249/95, Rec. p. I‑4475, points 24 et 25, et du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, Rec. p. I‑403, point 80).

106    En effet, les appréciations en cause en l’espèce seraient complexes et supposeraient une évaluation des mesures qui sont nécessaires pour garantir la sécurité internationale et intérieure. Elles nécessiteraient le savoir-faire des services de renseignements et le discernement politique que seuls, selon le Conseil, les gouvernements possèdent.

107    Le fait qu’en l’espèce l’appréciation soit celle du comité des sanctions, et non celle des institutions communautaires, n’affecterait pas sa nature et ne changerait rien au principe selon lequel le juge communautaire devrait s’abstenir de substituer sa propre appréciation à celle des autorités politiques compétentes. Le Conseil estime, à cet égard, que le Tribunal ne peut pas et ne devrait pas examiner le fond de l’appréciation, qui selon lui relève de la responsabilité exclusive des gouvernements dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

108    Lors de l’audience, le Conseil a soutenu, par ailleurs, qu’il ne ressortait pas de l’arrêt Kadi de la Cour que le contrôle juridictionnel – marginal – des mesures communautaires de gel des fonds doit s’étendre à l’appréciation des éléments de preuve en tant que tels (par opposition au contrôle – marginal – des motifs invoqués comme justifiant le gel des fonds). Cela ressortirait particulièrement nettement de certaines versions linguistiques dudit arrêt, notamment les versions anglaise et suédoise.

109    Le Conseil attire également l’attention sur les conséquences plus générales d’un contrôle approfondi du Tribunal, pour lequel plaide le requérant. À l’instar de la Commission et des gouvernements intervenants, le Conseil considère qu’un tel contrôle pourrait entraîner une situation dans laquelle les États membres seraient soumis à des obligations concurrentes contradictoires, en tant que membres des Nations unies et de l’Union.

110    Selon le Conseil, si tous les États membres des Nations unies adoptaient une telle approche, le système fondé sur les Nations unies ne fonctionnerait plus. Le Conseil relève que, dans son arrêt Kadi, la Cour a souligné le rôle primordial du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Selon lui, l’approche proposée par le requérant compromettrait la capacité du Conseil de sécurité à remplir cette fonction.

111    En conclusion, le Conseil estime que le Tribunal devrait réaffirmer le rôle primordial du Conseil de sécurité dans ce domaine et décider que les institutions communautaires ne doivent pas substituer leur propre appréciation de l’existence d’un lien entre un individu et le réseau Al‑Qaida ou les Taliban à celle contenue dans une résolution contraignante du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

 Appréciation du Tribunal

112    Il convient de souligner d’emblée que le Tribunal n’est pas lié au titre de l’article 61 du statut de la Cour de justice, dans le cadre de la présente instance, par les points de droit tranchés par l’arrêt Kadi de la Cour.

113    Or, les institutions et les gouvernements intervenants ont réitéré avec force, dans le cadre de la présente instance, les préoccupations déjà exprimées par eux, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kadi de la Cour, quant au risque de bouleversement du régime de sanctions mis en place par les Nations unies, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international, qui résulterait de l’instauration à un niveau national ou régional d’un contrôle juridictionnel du type de celui préconisé par le requérant à la lumière de l’arrêt Kadi de la Cour.

114    Il est vrai que, dès lors qu’est admise la compétence de principe du Conseil de sécurité pour adopter des sanctions visant des particuliers, plutôt que des États ou leur régime (smart sanctions), un tel contrôle juridictionnel est susceptible d’interférer avec les prérogatives du Conseil de sécurité, notamment pour ce qui est de la définition de ce qui constitue une menace à la paix ou à la sécurité internationales, de la constatation de l’existence d’une telle menace et de la détermination des moyens d’y mettre fin.

115    Plus fondamentalement, certains doutes ont pu être exprimés, dans les milieux juridiques, quant à la pleine conformité de l’arrêt Kadi de la Cour, d’une part, avec le droit international, et plus particulièrement avec les articles 25 et 103 de la charte des Nations unies, et, d’autre part, avec les traités CE et UE, et plus particulièrement avec l’article 177, paragraphe 3, CE, les articles 297 CE et 307 CE, l’article 11, paragraphe 1, UE et l’article 19, paragraphe 2, UE (voir, également, l’article 3, paragraphe 5, TUE et l’article 21, paragraphes 1 et 2, TUE, ainsi que la déclaration n° 13 de la conférence des gouvernements des États membres sur la politique étrangère et de sécurité commune, annexée au traité de Lisbonne, qui souligne que « l’UE et ses États membres demeureront liés par la charte des Nations unies et, en particulier, par la responsabilité principale incombant au Conseil de sécurité et à ses États membres du maintien de la paix et de la sécurité internationales »).

116    À cet égard, il a notamment été soutenu que, bien que la Cour ait affirmé, au point 287 de son arrêt Kadi, qu’il n’incombait pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’en demeure pas moins que contrôler la légalité d’un acte communautaire qui se borne à mettre en œuvre, au niveau de la Communauté, une telle résolution ne laissant aucune marge à cet effet revient nécessairement à contrôler, au regard des normes et des principes de l’ordre juridique communautaire, la légalité de la résolution ainsi mise en œuvre.

117    Il a d’ailleurs été observé que, aux points 320 à 325 de son arrêt Kadi, la Cour a procédé en tout état de cause à un tel contrôle juridictionnel de la conformité du régime de sanctions instauré par les Nations unies avec le régime de protection juridictionnelle des droits fondamentaux prévu par le traité CE, en réponse à l’argument de la Commission selon lequel lesdits droits fondamentaux étaient désormais suffisamment protégés dans le cadre de ce régime, compte tenu en particulier de l’amélioration de la procédure de réexamen qui conférait aux particuliers et aux entités concernés une possibilité acceptable d’être entendus par le comité des sanctions. La Cour a en particulier jugé, aux points 322 et 323 dudit arrêt, que la procédure de réexamen en question n’offrait « manifestement pas les garanties d’une protection juridictionnelle » et que les personnes ou entités concernées n’avaient « pas de possibilité réelle de défendre leurs droits ».

118    De même, si la Cour a affirmé, au point 288 de son arrêt Kadi, qu’un éventuel arrêt d’une juridiction communautaire par lequel il serait décidé qu’un acte communautaire visant à mettre en œuvre une telle résolution est contraire à une norme supérieure relevant de l’ordre juridique communautaire n’impliquerait pas une remise en cause de la primauté de cette résolution au plan du droit international, il a été relevé qu’un tel arrêt, aux termes duquel l’acte communautaire en question serait annulé, aurait nécessairement pour conséquence de rendre cette primauté inopérante dans l’ordre juridique communautaire.

119    Ainsi, alors que la Cour conçoit normalement les rapports entre le droit communautaire et le droit international à la lumière de l’article 307 CE [voir, à cet égard, arrêt du 14 janvier 1997, Centro-Com, C‑124/95, Rec. p. I‑81, points 56 à 61, où il a été jugé que l’article 234 CE (devenu, après modification, article 307 CE) peut permettre des dérogations même au droit primaire, en l’occurrence l’article 133 CE], elle a, dans son arrêt Kadi, exclu l’applicabilité de cet article lorsque sont en cause les « principes de la liberté, de la démocratie ainsi que du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés à l’article 6, paragraphe 1, UE, en tant que fondements de l’Union » (point 303) ou, selon une autre formule, les « principes qui relèvent des fondements mêmes de l’ordre juridique communautaire, parmi lesquels celui de la protection des droits fondamentaux » (point 304). S’agissant de ces principes, la Cour semble donc avoir interprété le cadre constitutionnel du traité CE comme étant celui d’un ordre juridique purement autonome, non subordonné aux normes supérieures du droit international, en l’occurrence le droit issu de la charte des Nations unies.

120    Enfin, la charte des Nations unies étant un accord entre États et son adoption ayant, de surcroît, précédé l’adoption du traité instituant la Communauté économique européenne, signé à Rome le 25 mars 1957, l’assimilation de cette charte à un accord international conclu entre la Communauté et un ou plusieurs États ou organisations internationales, au sens de l’article 300 CE, opérée aux points 306 à 309 de l’arrêt Kadi de la Cour, pour justifier la conclusion que sa « primauté au plan du droit communautaire ne s’éten[d] pas au droit primaire » (point 308), a pu susciter certaines interrogations.

121    Le Tribunal reconnaît que ces critiques ne sont pas dénuées de sérieux. Toutefois, s’agissant de leur pertinence, le Tribunal estime que, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, où est en cause un acte adopté par la Commission en remplacement d’un acte antérieur annulé par la Cour, dans le cadre d’un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal ayant rejeté le recours en annulation formé contre ledit acte, le principe même du pourvoi et la structure juridictionnelle hiérarchique qui en est le corollaire lui recommandent en principe de ne pas remettre lui-même en cause les points de droit tranchés par la décision de la Cour. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’espèce, la Cour a statué en grande chambre et a manifestement entendu prononcer un arrêt de principe. Dès lors, si une réponse devait être apportée aux interrogations soulevées par les institutions, les États membres et les milieux juridiques intéressés, à la suite de l’arrêt Kadi de la Cour, il conviendrait que la Cour elle-même y pourvoie dans le cadre des futures affaires dont elle pourrait avoir à connaître.

122    Il convient d’observer, incidemment, que, si certaines hautes juridictions nationales ont adopté une approche plutôt semblable à celle suivie par le Tribunal dans son arrêt Kadi [voir, en ce sens, la décision du Tribunal fédéral de Lausanne (Suisse) du 14 novembre 2007, dans l’affaire 1A.45/2007, Youssef Mustapha Nada c/Secrétariat d’État pour l’Économie, et l’arrêt de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) du 12 décembre 2007, dans l’affaire Al‑Jedda v. Secretary of State for Defence [2007] UKHL 58, lequel fait actuellement l’objet de l’affaire n° 27021/08, Al-Jedda c. Royaume-Uni, pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, ci‑après la « Cour EDH »], d’autres ont plutôt suivi l’approche de la Cour en considérant que le système de désignation du comité des sanctions était incompatible avec le droit fondamental à un recours juridictionnel effectif devant un tribunal indépendant et impartial (voir, en ce sens, l’arrêt de la Cour fédérale du Canada du 4 juin 2009 dans l’affaire Abousfian Abdelrazik v The Minister of Foreign Affairs and the Attorney General of Canada [2009] FC 580, cité au point 69 de l’arrêt Ahmed e.a. de la UK Supreme Court).

123    Or, limiter en l’espèce l’étendue et l’intensité du contrôle juridictionnel de la manière préconisée par la Commission et les gouvernements intervenants (voir points 86 à 101 ci-dessus) et par le Conseil (voir points 102 à 111 ci-dessus) reviendrait à opérer non pas un contrôle juridictionnel effectif du type de celui exigé par la Cour dans son arrêt Kadi, mais un simulacre d’un tel contrôle. Cela reviendrait, de facto, à retenir l’approche suivie par le Tribunal dans son propre arrêt Kadi, laquelle a été jugée par la Cour comme étant entachée d’une erreur de droit dans son arrêt sur pourvoi. Le Tribunal estime que c’est en principe à la Cour, et non à lui-même, qu’il revient, le cas échéant, d’opérer un tel revirement de jurisprudence, si cela lui apparaît justifié au regard, notamment, des graves inconvénients invoqués par les institutions et par les gouvernements intervenants.

124    Certes, comme le relèvent la Commission et le Conseil, la Cour a notamment rappelé, dans son arrêt Kadi, que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international (point 291), que le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies s’impose dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, lors de la mise en œuvre par la Communauté, par l’adoption d’actes communautaires pris sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE, de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies (point 293), que dans l’exercice de cette dernière compétence, la Communauté se doit d’attacher une importance particulière au fait que, conformément à l’article 24 de la charte des Nations unies, l’adoption, par le Conseil de sécurité, de telles résolutions constitue l’exercice de la responsabilité principale dont est investi cet organe international pour maintenir, à l’échelle mondiale, la paix et la sécurité, responsabilité qui, dans le cadre dudit chapitre VII, inclut le pouvoir de déterminer ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir (point 294), et que, lors de l’élaboration de mesures visant à la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, la Communauté doit tenir dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée ainsi que des obligations pertinentes découlant de la charte des Nations unies relatives à une telle mise en œuvre (point 296).

125    Il n’en demeure pas moins que la Cour a notamment relevé par ailleurs, dans son arrêt Kadi, que la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies doit intervenir conformément aux modalités applicables à cet égard dans l’ordre juridique interne de chaque membre de l’ONU (point 298), que les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne d’un acte communautaire tel que le règlement attaqué au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une telle résolution (point 299), qu’une telle immunité juridictionnelle d’un tel acte ne trouve aucun fondement non plus dans le traité CE (point 300), que le contrôle, par elle, de la validité de tout acte communautaire au regard des droits fondamentaux doit être considéré comme l’expression, dans une communautéeacute; de droit, d’une garantie constitutionnelle découlant du traité CE en tant que système juridique autonome à laquelle un « accord international » ne saurait porter atteinte (point 316), et que, en conséquence, « les juridictions communautaires doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes communautaires qui [...] visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies » (point 326).

126    C’est pourquoi le Tribunal considère, en définitive, qu’il lui incombe d’assurer en l’espèce, comme la Cour l’a dit pour droit aux points 326 et 327 de son arrêt Kadi, un contrôle, « en principe complet », de la légalité du règlement attaqué au regard des droits fondamentaux, sans faire bénéficier ledit règlement d’une quelconque immunité juridictionnelle au motif qu’il vise à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

127    Il doit en aller ainsi, à tout le moins, aussi longtemps que les procédures de réexamen mises en oeuvre par le comité des sanctions n’offrent manifestement pas les garanties d’une protection juridictionnelle effective, comme la Cour l’a laissé entendre au point 322 de son arrêt Kadi (voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous ledit arrêt, précitées, point 54).

128    Or, les considérations exprimées à cet égard par la Cour, aux points 323 à 325 de son arrêt Kadi, notamment en ce qui concerne le point focal, demeurent fondamentalement valables à l’heure actuelle, même en tenant compte du « bureau du médiateur », dont la création a été décidée en son principe par la résolution 1904 (2009) et qui a été très récemment pourvu. En substance, le Conseil de sécurité n’a toujours pas estimé opportun d’établir un organe indépendant et impartial chargé de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions. En outre, ni le mécanisme du point focal ni l’office du médiateur ne remettent en cause le principe selon lequel la radiation d’une personne de la liste du comité des sanctions requiert un consensus au sein de ce comité. De plus, le choix des éléments de preuve qui peuvent être révélés à l’intéressé continue à relever de l’entière discrétion de l’État qui a proposé l’inscription de celui-ci sur la liste du comité des sanctions, et aucun mécanisme ne garantit que l’intéressé dispose de suffisamment d’éléments d’information pour lui permettre de se défendre utilement (ni même qu’il connaisse l’identité de l’État qui a demandé son inscription sur la liste du comité des sanctions). Pour ces motifs au moins, la création du point focal et du médiateur ne saurait être assimilée à l’institution d’un recours juridictionnel effectif contre les décisions du comité des sanctions (voir également, à cet égard, les considérations énoncées aux points 77, 78, 149, 181, 182 et 239 de l’arrêt Ahmed e.a. de la UK Supreme Court et les considérations exprimées au point III du neuvième rapport de l’équipe de surveillance).

129    Dans ces conditions, le contrôle exercé par le juge communautaire sur les mesures communautaires de gel des fonds ne saurait être qualifié d’effectif que s’il porte, indirectement, sur les appréciations de fond effectuées par le comité des sanctions lui-même ainsi que sur les éléments qui les sous-tendent (voir également, en ce sens, arrêt Ahmed e.a. de la UK Supreme Court, point 81).

130    S’agissant, plus spécifiquement, de l’étendue et de l’intensité de ce contrôle juridictionnel qu’il revient au Tribunal d’exercer, la Commission soutient que, dans son arrêt Kadi, la Cour ne s’est pas prononcée sur cette question (voir point 91 ci-dessus). De même, le Conseil soutient que la Cour n’a pas examiné cette question, ni donné la moindre orientation à cet égard (voir points 102 et 108 ci-dessus).

131    Cette argumentation est manifestement erronée.

132    Premièrement, en énonçant, au terme d’un long raisonnement, que le contrôle de légalité en question devait être « en principe complet », et s’exercer « conformément aux compétences dont [les juridictions communautaires] sont investies en vertu du traité CE » (arrêt Kadi de la Cour, point 326), et en rejetant explicitement, de surcroît, la thèse du Tribunal selon laquelle l’acte en cause devait bénéficier d’une « immunité juridictionnelle » au motif qu’il se bornait à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies (arrêt Kadi de la Cour, point 327), la Cour a, au contraire, donné une indication parfaitement claire quant à ce que devaient normalement être l’étendue et l’intensité de ce contrôle.

133    Deuxièmement, la Cour a conclu, au point 336 de son arrêt Kadi, que ce contrôle devait pouvoir porter, notamment, sur la légalité des motifs sur lesquels l’acte communautaire attaqué est fondé. Or, il ressort de la jurisprudence invoquée audit point 336 comme justifiant cette conclusion (voir, en particulier, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 462), que ce contrôle de légalité des motifs s’étend, notamment, à la vérification du bien-fondé de l’acte attaqué ainsi que des vices dont il pourrait être entaché.

134    Troisièmement, la Cour a souligné, aux points 342 à 344 de son arrêt Kadi, que, si des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de la Communauté et de ses États membres peuvent s’opposer à la communication de certains éléments aux intéressés, cela ne signifie cependant pas, s’agissant du respect du principe de protection juridictionnelle effective, que des mesures restrictives telles que celles imposées par le règlement attaqué échappent à tout contrôle du juge communautaire dès lors qu’il est affirmé que l’acte qui les édicte touche à la sécurité nationale et au terrorisme. En pareil cas, il incombe au juge communautaire de mettre en œuvre, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il exerce, des techniques permettant de concilier, d’une part, les soucis légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption de l’acte concerné et, d’autre part, la nécessité d’accorder à suffisance au justiciable le bénéfice des règles de procédure.

135    Il ressort à l’évidence de ces points de l’arrêt Kadi de la Cour, ainsi que de la référence qui y est faite à l’arrêt de la Cour EDH Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 (Recueil des arrêts et décisions, 1996‑V, § 131), que la Cour a entendu faire porter son contrôle juridictionnel, « en principe complet », non seulement sur le bien-fondé apparent de l’acte attaqué, mais aussi sur les éléments de preuve et d’information sur lesquels les appréciations portées dans cet acte sont fondées.

136    L’équipe de surveillance l’a d’ailleurs compris en ce sens, dans la mesure où, au paragraphe 19 de son neuvième rapport, il est indiqué que, dans son arrêt Kadi, la Cour a estimé que les procédures suivies par l’Union pour appliquer les sanctions avaient porté atteinte aux droits fondamentaux des intéressés « dans la mesure où les éléments de preuve justifiant les mesures restrictives qui leur avaient été imposées ne leur avaient pas été communiqués et que, partant, ils n’avaient pas pu exercer leur droit de se défendre ».

137    La Cour a de surcroît récemment confirmé, dans le cadre d’une affaire relative à la mise en œuvre des sanctions prévues par le règlement n° 2580/2001, que la possibilité d’un « contrôle juridictionnel adéquat » de la légalité au fond d’une mesure communautaire de gel des fonds, visant, notamment, à la « vérification des faits ainsi que des éléments de preuve et d’information invoqués à son soutien », s’avère indispensable pour permettre d’assurer un juste équilibre entre les exigences de la lutte contre le terrorisme international et la protection des libertés et des droits fondamentaux (arrêt de la Cour du 29 juin 2010, E et F, C‑550/09, non encore publié au Recueil, point 57).

138    Quatrièmement, il convient de relever qu’une bonne partie des motifs développés par la Cour dans son arrêt Kadi, dans le cadre de son examen des moyens du requérant tirés de la violation de ses droits de la défense et du droit à un contrôle juridictionnel effectif, sont repris des motifs développés par le Tribunal, dans le cadre de son examen des moyens équivalents invoqués par la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt OMPI. C’est ainsi, notamment, que les points 336, 340, 342, 343, 344, 345, 346, 348, 349, 351 et 352 de l’arrêt Kadi de la Cour reprennent la substance, à tout le moins, des points correspondants 129, 128, 133, 156, 158, 160, 161, 162, 165, 166 et 173 de l’arrêt OMPI. Il y a lieu d’en déduire que, en reprenant l’essentiel de la motivation développée par le Tribunal dans l’arrêt OMPI, en relation avec les violations alléguées des droits de la défense et du droit à un contrôle juridictionnel effectif, la Cour a approuvé et entendu faire siens le niveau et l’intensité du contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt OMPI.

139    S’agissant de l’étendue et de l’intensité du contrôle juridictionnel approprié en l’occurrence, il y a donc lieu de transposer à la présente espèce les principes dégagés par le Tribunal dans son arrêt OMPI ainsi que dans sa jurisprudence subséquente dans le domaine du contentieux visé au point 82 ci-dessus, relatif à la mise en œuvre des mesures visées aux points 32 à 35 ci-dessus.

140    À cet égard, il convient de rappeler que, au point 153 de l’arrêt OMPI, le Tribunal a dit pour droit que le contrôle juridictionnel de la légalité d’une décision communautaire de gel des fonds est celui prévu à l’article 230, deuxième alinéa, CE, aux termes duquel le juge communautaire est compétent pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité CE ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir.

141    Le Tribunal a reconnu, au point 159 de l’arrêt OMPI, au point 137 de l’arrêt PMOI I, au point 55 de l’arrêt PMOI II et au point 97 de l’arrêt du 30 septembre 2009, Sison/Conseil (T‑341/07, non encore publié au Recueil), que l’institution communautaire compétente disposait d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de sanctions économiques et financières sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, conformément à une position commune adoptée au titre de la PESC. Ce pouvoir d’appréciation concerne, en particulier, les considérations d’opportunité sur lesquelles de telles décisions sont fondées.

142    Cependant (arrêts PMOI I, point 138, PMOI II, point 55, et Sison/Conseil, précité, point 98), si le Tribunal reconnaît à l’institution communautaire compétente une marge d’appréciation en la matière, cela n’implique pas qu’il doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par cette institution, des données pertinentes. Le juge communautaire doit notamment non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier la situation et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. Toutefois, dans le cadre de ce contrôle, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation en opportunité à celle de l’institution communautaire compétente (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, Rec. p. I‑9947, point 57, et la jurisprudence citée).

143    Au point 154 de l’arrêt OMPI (voir, également, arrêt PMOI II, point 74), le Tribunal a par ailleurs dit pour droit que le contrôle juridictionnel de la légalité d’une décision communautaire de gel des fonds s’étend à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués comme la justifiant, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels est fondée cette appréciation, ainsi que le Conseil l’avait d’ailleurs expressément reconnu dans ses écritures dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 21 septembre 2005, Yusuf et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (T‑306/01, Rec. p. II‑3533) (voir point 225 de cet arrêt). Le Tribunal doit également s’assurer du respect des droits de la défense et de l’exigence de motivation à cet égard, ainsi que, le cas échéant, du bien-fondé des considérations impérieuses exceptionnellement invoquées par l’institution communautaire compétente pour s’y soustraire.

144    Au point 155 de l’arrêt OMPI (voir, également, arrêt PMOI II, point 75), le Tribunal a relevé que, en l’occurrence, ce contrôle s’avère d’autant plus indispensable qu’il constitue la seule garantie procédurale permettant d’assurer un juste équilibre entre les exigences de la lutte contre le terrorisme international et la protection des droits fondamentaux. Les limitations apportées par les institutions communautaires compétentes aux droits de la défense des intéressés devant être contrebalancées par un strict contrôle juridictionnel indépendant et impartial (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, Rec. p. I‑3813, point 66), le juge communautaire doit pouvoir contrôler la légalité et le bien-fondé des mesures communautaires de gel des fonds, sans que puissent lui être opposés le secret ou la confidentialité des éléments de preuve et d’information utilisés par l’institution communautaire compétente.

145    À cet égard, le Tribunal a ajouté, au point 73 de l’arrêt PMOI II, que le Conseil n’est pas en droit de fonder sa décision de gel des fonds sur des informations ou sur des éléments de dossier communiqués par un État membre, si cet État membre n’est pas disposé à en autoriser la communication à la juridiction communautaire investie du contrôle de la légalité de cette décision. Au point 76 de l’arrêt PMOI II, le Tribunal a relevé que le refus du Conseil et des autorités françaises de communiquer, même à lui seul, certaines informations sur lesquelles l’acte attaqué en l’espèce était fondé, avait comme conséquence de ne pas permettre à celui-ci d’exercer son contrôle de légalité de la décision attaquée. Au point 78 de l’arrêt PMOI II, le Tribunal a conclu que, dans ces circonstances, il avait été porté atteinte au droit fondamental de la partie requérante à un contrôle juridictionnel effectif.

146    Au point 156 de l’arrêt OMPI, le Tribunal a souligné également, à cet égard, que, si la Cour EDH reconnaît que l’utilisation d’informations confidentielles peut se révéler indispensable lorsque la sécurité nationale est en jeu, cela ne signifie cependant pas, selon elle, que les autorités nationales échappent à tout contrôle des tribunaux internes dès lors qu’elles affirment que l’affaire touche à la sécurité nationale et au terrorisme (voir Cour eur. D. H., arrêts Chahal c. Royaume-Uni, précité, § 131, et la jurisprudence citée, et Öcalan c. Turquie du 12 mars 2003, n° 46221/99, non publié au Recueil des arrêts et décisions, § 106, et la jurisprudence citée).

147    Au point 158 de l’arrêt OMPI, le Tribunal a ajouté qu’il n’était pas nécessaire qu’il prenne position, dans le cadre du recours dont il était saisi, sur la question distincte de savoir si le requérant et/ou ses avocats pouvaient recevoir communication des éléments de preuve et d’information dont la confidentialité était alléguée, ou si la communication de ceux-ci devait être réservée au seul Tribunal, selon une procédure particulière restant à définir de façon à préserver les intérêts publics en cause tout en accordant à l’intéressé un degré suffisant de protection juridictionnelle.

148    À ces considérations bien établies dans la jurisprudence issue de l’arrêt OMPI, il convient d’ajouter certaines considérations fondées sur la nature et les effets des mesures de gel des fonds telles que celles en cause en l’espèce, appréhendées dans leur dimension temporelle.

149    Ces mesures sont en effet particulièrement oppressives pour ceux qui y sont astreints. Le requérant est assujetti, depuis près de dix ans maintenant, à un régime qui gèle indéfiniment l’intégralité de ses fonds et autres avoirs, dont il ne peut disposer sans avoir obtenu une dérogation du comité des sanctions. Au point 358 de son arrêt Kadi, la Cour avait déjà relevé que la restriction à l’usage du droit de propriété du requérant que comportait la mesure de gel de ses fonds devait être qualifiée de considérable eu égard à sa portée générale et compte tenu du fait qu’elle lui était applicable depuis le 20 octobre 2001. Dans son arrêt Ahmed e.a. (points 60 et 192), la UK Supreme Court a quant à elle estimé qu’il n’était pas exagéré d’affirmer que les personnes ainsi désignées sont en fait « prisonnières » des autorités étatiques : leur liberté de mouvement est sévèrement restreinte dès lors qu’elles n’ont pas accès à leurs fonds, et les effets du gel des fonds, sur elles-mêmes et leur famille, peuvent être accablants.

150    Il est même permis de se demander si l’appréciation portée par le Tribunal au point 248 de son arrêt Kadi, et reprise en substance par la Cour au point 358 de son arrêt Kadi, selon laquelle le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à leur utilisation, ne devrait pas être remise en cause, maintenant que près de dix ans se sont écoulés depuis le gel initial des fonds du requérant. Il en va de même de l’affirmation du Conseil de sécurité, rappelée à diverses reprises, notamment dans sa résolution 1822 (2008), selon laquelle les mesures en question « ont un caractère préventif et sont indépendantes des règles pénales de droit interne ». À l’échelle d’une vie humaine, dix ans représentent en effet une durée considérable, et la qualification des mesures en question comme étant de nature préventive ou répressive, conservatoire ou confiscatoire, civile ou pénale, paraît désormais ouverte (voir également, à cet égard, le neuvième rapport de l’équipe de surveillance, paragraphe 34). Tel est également l’avis du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme qui, dans un rapport à l’Assemblée générale des Nations unies du 2 septembre 2009, intitulé « Report [...] on the protection of human rights and fundamental freedoms while countering terrorism » (document A/HRC/12/22, point 42), indique ce qui suit :

« Les décisions individuelles d’inscription sur la liste étant actuellement illimitées dans le temps, elles peuvent aboutir à ce qu’un gel des avoirs temporaire devienne permanent, ce qui peut à son tour équivaloir à une peine criminelle en raison de la sévérité de la sanction. Cela risque d’aller bien au-delà de l’objectif des Nations unies de combattre la menace terroriste posée par un cas individuel. En outre, il n’existe pas d’uniformité concernant les standards de preuve et les procédures. Cela pose de sérieux problèmes en matière de droits de l’homme, puisque toutes les décisions pénales devraient être soit judiciaires, soit susceptibles de contrôle judiciaire. »

151    Bien que la discussion de cette question dépasse le cadre du présent litige, tel qu’il est défini par les moyens articulés dans la requête, le Tribunal considère que le principe d’un contrôle juridictionnel complet et rigoureux des mesures de gel des fonds telles que celle en cause en l’espèce est d’autant plus justifié que ces mesures affectent de façon sensible et durable les droits fondamentaux des intéressés, dès lors qu’est admise la prémisse, consacrée par l’arrêt Kadi de la Cour, selon laquelle aucune immunité de juridiction ne s’attache à de tels actes au motif qu’ils visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

152    C’est à la lumière et sous le bénéfice des considérations qui précèdent qu’il convient maintenant de procéder à l’examen des deuxième et cinquième moyens.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

 Arguments des parties

153    Le requérant, qui se réfère, notamment, à l’arrêt Kadi de la Cour (points 336, 337, 346 et 352), aux conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous ledit arrêt, précitées (point 52), et aux arrêts OMPI (points 138 et 144), PMOI I (points 131 et 176 ), et PMOI II (points 56 et 73), insiste sur le caractère fondamental du droit d’être entendu par les autorités administratives et du droit à une protection juridictionnelle effective, dans le contexte de l’adoption d’une mesure de gel des fonds. Il relève que ces droits n’ont pas été respectés par les institutions communautaires dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts (arrêt Kadi de la Cour, points 334, 345, 346 et 348 à 352 ; conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous cet arrêt, précitées, point 55 ; arrêts OMPI, points 165 et 173, PMOI I, points 177 à 186, et PMOI II, points 41 et 44).

154    Le requérant ajoute que l’importance de l’obligation pour les institutions communautaires de communiquer les faits, les preuves et les éléments de dossier sur lesquels repose une décision de gel des fonds est mise en exergue par la nature du contrôle juridictionnel dans ce contexte. Selon lui, le Tribunal doit être mis en mesure de réaliser un contrôle complet et effectif de la justesse matérielle des faits, des preuves et des informations à la base de la décision d’inscription à l’annexe I du règlement n° 881/2002, en vue de décider s’il existe des motifs raisonnables et des preuves suffisantes pour cette décision et s’il existe une erreur d’appréciation ou non.

155    Le requérant considère que, en adoptant le règlement attaqué, la Commission a de nouveau gravement méconnu les obligations clairement exposées dans les arrêts Kadi de la Cour, OMPI, PMOI I et PMOI II.

156    Premièrement, malgré l’arrêt Kadi de la Cour (point 352), ni le règlement n° 881/2002 ni le règlement attaqué ne prévoirait de procédure pour lui communiquer les preuves sur lesquelles repose la décision de geler ses avoirs ou pour lui permettre de formuler des observations sur ces preuves.

157    Deuxièmement, le simple envoi au requérant du résumé des motifs ne pourrait raisonnablement être considéré comme satisfaisant aux exigences d’une procédure équitable et d’une protection juridictionnelle effective. Le résumé des motifs contiendrait un certain nombre d’allégations générales, dépourvues de fondement, vagues et imprécises à l’encontre du requérant. Aucune preuve à l’appui de ces graves accusations n’y serait jointe. Dans ces conditions, le requérant serait dans l’impossibilité de réfuter les accusations portées contre lui et de faire connaître utilement son point de vue en réponse. En particulier :

–        le résumé des motifs indiquerait que le requérant « satisfait » aux « critères d’inscription » sur la liste des Nations unies, mais n’indiquerait pas quels aspects de ces critères [voir, à cet égard, le paragraphe 2 de la résolution 1822 (2008)] il est censé satisfaire ; par conséquent, le requérant ne saurait pas s’il est censé avoir participé à des activités d’Al‑Qaida, des Taliban ou d’un autre groupe, les avoir organisées ou les avoir soutenues ;

–        selon le résumé des motifs, le requérant aurait été un actionnaire important d’une banque dans laquelle des « réunions d’organisation d’une attaque contre une installation des États-Unis en Arabie saoudite se sont peut-être tenues » ; il n’existerait aucune indication en ce qui concerne l’attaque en cause, l’installation, la date, la tenue effective de ces réunions, le prétendu lien avec Al‑Qaida ou encore la prétendue implication du requérant ;

–        selon le résumé des motifs, le requérant aurait nommé M. Ayadi à un poste auprès de la Fondation Muwafaq et M. Ayadi « agissait en vertu d’accords » avec Oussama ben Laden ; la nature de ces prétendus accords ne serait pas spécifiée, ni les raisons pour lesquelles un prétendu lien avec M. Ayadi justifie le maintien du gel des avoirs du requérant ; il semblerait que M. Ayadi et le requérant soient tous deux inscrits à l’annexe I du règlement n° 881/2002 en raison de leurs liens mutuels ; selon le requérant, le fait d’inscrire une personne dans ladite annexe au simple motif de son prétendu lien avec l’autre constitue un raisonnement purement circulaire ;

–        selon le résumé des motifs, le requérant aurait « possédé plusieurs sociétés en Albanie qui ont fourni des fonds à des extrémistes ou qui ont employé des extrémistes à des postes auxquels ils contrôlaient les fonds des sociétés » ; aucune information relative aux sociétés, aux fonds, à la date, aux extrémistes ou à la prétendue implication du requérant ne serait fournie ; celui-ci souligne que, à l’issue d’une enquête poussée sur ses activités en Albanie, l’enquête pénale dirigée contre lui dans ce pays a été abandonnée en raison de l’absence de preuves à charge ;

–        le résumé des motifs se contenterait de reprendre et de réaffirmer, en des termes quasiment identiques, certaines des raisons avancées par l’Office de contrôle des actifs étrangers (Office of Foreign Assets Control ou OFAC) du ministère des Finances américain pour geler les avoirs du requérant aux États-Unis.

158    Il serait essentiel que le requérant se voie présenter les éléments retenus à sa charge par la Commission, de façon à disposer d’une opportunité loyale d’y répondre et de blanchir son nom. Le requérant relève que, chaque fois qu’il lui a été donné une occasion significative de faire connaître son point de vue et de contester les preuves, il l’a fait avec succès. Ainsi, l’enquête pénale dirigée contre lui en Suisse aurait été abandonnée en décembre 2007 à l’issue d’une investigation approfondie de plus de six années. Des enquêtes similaires en Turquie et en Albanie auraient été closes après que les investigations eurent démontré qu’il n’existait pas de raisons d’engager des poursuites contre lui.

159    Le requérant estime encore que les éléments invoqués à sa décharge sont d’une importance fondamentale et que la Commission, loin de pouvoir les ignorer, était tenue de les examiner individuellement et de prendre une décision motivée sur la question de savoir si, compte tenu de ces éléments, il existait des preuves convaincantes justifiant le maintien du gel de ses fonds. En outre, le requérant soutient que la Commission ne peut ignorer des preuves au motif que les éléments utilisés dans le cadre d’une enquête pénale peuvent être soumis à des « exigences différentes en matière de preuve ». Selon lui, les exigences de preuve en matière pénale sont tout à fait adaptées aux mesures de gel des fonds telles que celle en cause en l’espèce.

160    Le résumé des motifs ne permettrait pas davantage de garantir une protection juridictionnelle effective, car il ne contiendrait pas suffisamment d’informations pour permettre à une juridiction de déterminer si la décision de maintenir le gel de ses fonds est légitime et fondée sur des preuves irréfutables de la prétendue menace actuelle ou future qu’il représente, si elle est fondée sur une erreur manifeste d’appréciation ou si les faits sont matériellement exacts.

161    Troisièmement, le requérant soutient que la Commission a interprété et appliqué de manière erronée l’arrêt Kadi de la Cour en considérant, dans sa lettre du 8 décembre 2008, que les critères à appliquer à une décision de gel des fonds sont ceux exposés dans une note interprétative de la « recommandation spéciale III concernant le financement du terrorisme » du GAFI, à savoir s’il existe « des motifs raisonnables ou une base raisonnable permettant de soupçonner ou de penser qu’une personne ou une entité est un terroriste, une personne qui finance le terrorisme ou une organisation terroriste ».

162    Selon le requérant, la Cour a en effet jugé que les institutions communautaires ne peuvent imposer un gel des fonds pour la simple raison qu’elles considèrent (et moins encore parce que les Nations unies considèrent) qu’il existe des « motifs raisonnables » ou une « base raisonnable » permettant de soupçonner ou de penser quelque chose, sans fournir à l’intéressé les preuves à l’appui de ce soupçon ou de cette conviction. Les institutions communautaires ne pourraient donc pas se contenter de réutiliser un résumé d’accusations formulées par les Nations unies, dans une version recyclée d’accusations américaines, mais devraient elles-mêmes présenter des « preuves sérieuses et crédibles », des « informations précises ou [...] éléments de dossier » et des « raisons spécifiques et concrètes » pour lesquelles le maintien du gel des fonds reste justifié. Elles devraient également permettre à l’intéressé d’avoir une « pleine connaissance de cause » des faits et des circonstances justifiant le gel de ses avoirs, des preuves et des informations sur lesquelles il est fondé, et des informations suffisantes en vue de déterminer si une erreur matérielle s’est produite. Rien de tel ne se serait produit en l’espèce, même après que le requérant eut expressément demandé l’accès aux faits et aux preuves fondant les allégations formulées dans le résumé des motifs.

163    Quatrièmement, ce serait à tort que la Commission prétend justifier son approche en invoquant le « caractère préventif » des mesures de gel des fonds qui, selon elle, justifie son refus de divulguer au requérant les preuves fondant sa décision de maintien du gel de ses avoirs. Selon l’arrêt Kadi de la Cour, le contexte pertinent ne serait pas la nature « préventive » d’une telle mesure, mais plutôt son caractère importun et sa gravité ainsi que l’atteinte sérieuse aux droits fondamentaux de l’intéressé, qui requerrait davantage de protection procédurale, plutôt que moins. Le point 2 des notes interprétatives de la « recommandation spéciale III sur le financement du terrorisme », précitées, reconnaîtrait d’ailleurs que les objectifs des mesures de gel des fonds recommandées ne sont pas seulement préventifs, mais également punitifs.

164    Cinquièmement, les seules circonstances dans lesquelles la Cour envisage que les institutions puissent être en droit de ne pas divulguer des preuves relatives à des mesures de cette nature seraient celles « des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de la Communauté et de ses États membres », qui « peuvent s’opposer à la communication de certains éléments aux intéressés et, dès lors, à l’audition de ceux-ci sur ces éléments » (arrêt Kadi de la Cour, points 342 à 344).

165    Ces circonstances ne seraient pas présentes en l’espèce. En particulier, la Commission n’aurait présenté aucune raison crédible pour laquelle la divulgation de la lettre du représentant permanent de la France auprès de l’Union ou de tout autre élément de preuve à charge au requérant porterait préjudice aux relations internationales de l’Union.

166    La Commission répond que, conformément à son droit d’être entendu, le requérant s’est vu donner la possibilité de présenter ses arguments au cours de la procédure d’adoption du règlement attaqué. Le résumé des motifs communiqué par le comité des sanctions au représentant permanent de la France auprès de l’Union et transmis par celui-ci à la Commission aurait été envoyé dès le lendemain au requérant et à ses avocats, la possibilité lui étant également donnée d’exprimer son avis et de communiquer ses observations sur le fond. Le requérant y aurait répondu par lettre du 10 novembre 2008. Après avoir examiné avec soin ses observations, la Commission aurait pris la décision de l’inscrire à l’annexe I du règlement n° 881/2002. Ce règlement, accompagné d’une lettre, aurait été envoyé par courrier au requérant et à ses avocats.

167    Ayant effectivement été entendu au cours de la procédure administrative, le requérant serait par ailleurs pleinement en mesure de contester la motivation du règlement attaqué dans le cadre du présent recours, conformément à son droit à une protection juridictionnelle effective.

168    S’agissant du respect des droits de la défense, le Conseil estime lui aussi que la Commission a corrigé, au cours de la procédure d’adoption du règlement attaqué, les lacunes procédurales identifiées par la Cour dans son arrêt Kadi, en communiquant au requérant tous les éléments retenus à sa charge, à savoir le seul résumé des motifs, en le mettant en mesure de faire connaître utilement son point de vue à cet égard et en tenant dûment compte de celui-ci.

169    Le Conseil estime, dès lors, que les procédures révisées permettent également au Tribunal de remplir sa mission de contrôle, si bien que le droit à un recours juridictionnel effectif est lui aussi respecté.

170    Le Conseil ajoute que les garanties procédurales supplémentaires mises en œuvre en l’espèce par la Commission, à la suite de l’arrêt Kadi de la Cour, correspondent à celles mises en œuvre par lui-même à la suite de l’arrêt OMPI. Or, ces garanties auraient été approuvées par le Tribunal dans l’arrêt PMOI I. Le Conseil ne constate aucune différence de fait ou de droit susceptible d’amener le Tribunal à une conclusion différente en l’espèce.

 Appréciation du Tribunal

171    Dans le cadre d’un contrôle juridictionnel « en principe complet » de la légalité du règlement attaqué au regard des droits fondamentaux (arrêt Kadi de la Cour, point 326), et faute pour ce règlement de bénéficier d’une quelconque « immunité juridictionnelle » (arrêt Kadi de la Cour, point 327), il ressort de toute évidence des arguments et des explications avancés par la Commission et par le Conseil, notamment dans le cadre de leurs observations préliminaires sur le niveau de contrôle juridictionnel approprié en l’espèce, que les droits de la défense du requérant n’ont été « respectés » que de manière purement formelle et apparente, la Commission s’étant en réalité estimée rigoureusement tenue par les appréciations du comité des sanctions et n’ayant dès lors à aucun moment envisagé de remettre celles-ci en cause à la lumière des observations du requérant.

172    La Commission n’a, de ce fait, pas dûment tenu compte de l’opinion exprimée par l’intéressé, nonobstant ce qu’elle a affirmé aux considérants 4 à 6 du règlement attaqué, de sorte que le requérant n’a pas été mis en mesure de faire valoir utilement son point de vue.

173    En outre, la procédure suivie par la Commission, à la suite de la demande du requérant, ne lui a donné aucun accès, ne serait-ce que minime, aux éléments de preuve retenus à sa charge. En réalité, cet accès a été refusé à l’intéressé malgré sa demande expresse, sans aucune mise en balance de ses intérêts au regard de la nécessité de protéger la confidentialité des informations en question (voir, à cet égard, arrêt Kadi de la Cour, points 342 à 344).

174    Dans ces conditions, les quelques éléments d’information et les vagues allégations figurant dans le résumé des motifs apparaissent comme étant manifestement insuffisants pour permettre au requérant de réfuter de façon efficace les accusations dont il fait l’objet, en relation avec sa prétendue participation à des activités terroristes.

175    Il en va ainsi, à titre d’exemple particulièrement significatif, mais nullement exhaustif, de l’allégation, non autrement étayée et non susceptible, dès lors, d’une quelconque réfutation, selon laquelle le requérant aurait été actionnaire d’une banque bosniaque dans laquelle des réunions consacrées à la préparation d’un attentat contre un établissement américain en Arabie saoudite avaient « peut-être » eu lieu.

176    Cette conclusion est conforme à celle à laquelle est parvenue la Cour EDH dans son arrêt A. e.a. c. Royaume-Uni du 19 février 2009 (non encore publié au Recueil des arrêts et décisions). Dans cet arrêt, la Cour EDH a rappelé que, lorsqu’une personne est privée de liberté du fait de l’existence de motifs raisonnables de la soupçonner d’avoir commis une infraction, l’équité de la procédure garantie par l’article 5, paragraphe 4, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) commande qu’elle se voie offrir l’occasion de contester utilement les allégations dirigées contre elle, ce qui suppose en général la communication de tous les éléments à charge. La Cour EDH a également rappelé les restrictions qui peuvent être apportées au droit à la communication de toutes les preuves pertinentes, en présence d’un intérêt public important militant pour la confidentialité, par exemple pour protéger des témoins vulnérables ou des sources d’information, à condition que le détenu conserve la possibilité de contester utilement les allégations. La Cour EDH a alors procédé à une appréciation au cas par cas du caractère suffisant ou non, pour l’exercice des droits de la défense, des informations et des éléments de preuve communiqués aux requérants et a conclu à une violation de l’article 5, paragraphe 4, de la CEDH dans les cas où les éléments non confidentiels avaient consisté exclusivement en des assertions générales et où la juridiction nationale s’était fondée uniquement ou dans une mesure déterminante sur des pièces secrètes. Ainsi, dans un cas où les charges non confidentielles dirigées contre certains requérants avaient renfermé des allégations précises au sujet, par exemple, de l’achat d’équipements de télécommunication clairement identifiés, de la possession de tel ou tel document se rapportant à des terroristes présumés nommément désignés et de rencontres avec de tels terroristes présumés en des lieux et à des dates déterminés, la Cour EDH a estimé que les allégations en question étaient suffisamment circonstanciées pour permettre aux intéressés de les contester utilement. En revanche, dans un cas où il était essentiellement reproché à certains requérants d’avoir collecté des fonds destinés à des organisations terroristes liées à Al-Qaida, et où il ressortait des informations non confidentielles les concernant que d’importantes sommes avaient transité sur un compte bancaire et que des escroqueries avaient permis de collecter des fonds, mais où les éléments censés démontrer le lien entre l’argent recueilli et le terrorisme avaient été dissimulés aux requérants, la Cour EDH a estimé que ceux-ci n’avaient pas été en mesure d’opposer une véritable contestation aux griefs qui les visaient. De même, dans un cas où les charges non confidentielles pesant sur certains requérants, principalement axées sur l’appartenance présumée des intéressés à des organisations islamistes radicales liées à Al-Qaida, avaient un caractère très général et où les éléments retenus contre eux figuraient pour l’essentiel dans des documents secrets, la Cour EDH a estimé que les intéressés n’avaient pas été en mesure de contester utilement les allégations formulées contre eux.

177    En appliquant aux faits de l’espèce des critères identiques à ceux ainsi mis en œuvre par la Cour EDH, il est manifeste que le requérant n’a été mis en mesure de contester utilement aucune des allégations formulées contre lui, au vu du seul résumé des motifs qui lui a été communiqué. Le Tribunal reconnaît expressément, à cet égard, le bien-fondé de l’ensemble des observations et des arguments du requérant résumés au point 157 ci-dessus.

178    Il est significatif, également, que la Commission n’ait fait aucun effort sérieux pour réfuter les éléments à décharge avancés par le requérant, dans les rares cas où les allégations formulées contre lui étaient suffisamment précises pour lui permettre de comprendre ce qui lui était reproché.

179    Il s’ensuit que le règlement attaqué a été adopté en violation des droits de la défense du requérant.

180    Par ailleurs, la possibilité pour le requérant d’être entendu par le comité des sanctions, dans le cadre de la procédure de réexamen, en vue d’obtenir sa radiation de la liste de ce comité, n’est manifestement pas susceptible de remédier à cette violation de ses droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt Kadi de la Cour, points 319 à 325, et conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous cet arrêt, précitées, point 51).

181    En outre, à défaut d’avoir eu le moindre accès utile aux informations et aux éléments de preuve retenus à sa charge et compte tenu des rapports, déjà relevés par les juridictions communautaires, qui existent entre les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, le requérant n’a pas non plus pu défendre ses droits au regard desdits éléments dans des conditions satisfaisantes devant le juge communautaire, de sorte qu’une violation dudit droit à un recours juridictionnel effectif doit également être constatée (voir, en ce sens, arrêt Kadi de la Cour, point 349).

182    Il y a lieu de constater également qu’il n’a pas été remédié à cette violation dans le cadre du présent recours. En effet, dès lors qu’aucune information ou élément de preuve de cette nature ne peut faire l’objet d’une vérification par le juge communautaire, selon la position de principe adoptée par la Commission et soutenue par le Conseil et les gouvernements intervenants, ces institutions n’ont avancé aucun élément à cet effet (voir, en ce sens, arrêt Kadi de la Cour, point 350). Par ailleurs, bien que la Commission ait pris acte, dans le cadre du présent recours, de l’enseignement de l’arrêt Kadi de la Cour, il doit être constaté que cette institution n’a livré aucune indication quant aux éléments de preuve retenus contre le requérant.

183    Le Tribunal ne peut donc que constater qu’il n’est pas en mesure de procéder au contrôle de la légalité du règlement attaqué, de sorte qu’il doit être conclu que, pour ce motif également, le droit fondamental à un recours juridictionnel effectif dont le requérant bénéficie n’a, en l’espèce, pas été respecté (voir, en ce sens, arrêt Kadi de la Cour, point 351).

184    Partant, il doit être jugé que le règlement attaqué a été adopté sans fournir de garantie réelle quant à la communication des informations et des éléments de preuve retenus à charge du requérant ou quant à la possibilité pour celui-ci d’être utilement et effectivement entendu à cet égard, de sorte qu’il doit être conclu que ce règlement a été arrêté selon une procédure au cours de laquelle les droits de la défense n’ont pas été respectés, ce qui a également eu pour conséquence que le principe de protection juridictionnelle effective a été enfreint (voir, en ce sens, arrêt Kadi de la Cour, point 352).

185    Enfin, s’agissant de l’argument du Conseil selon lequel les garanties procédurales supplémentaires mises en œuvre en l’espèce par la Commission, à la suite de l’arrêt Kadi de la Cour, correspondent à celles qui ont été mises en œuvre par lui‑même à la suite de l’arrêt OMPI, et qui ont été approuvées par le Tribunal dans l’arrêt PMOI I, il méconnaît les différences procédurales profondes existant entre les deux régimes communautaires de gel des fonds invoqués.

186    Le régime communautaire de gel des fonds en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts OMPI et PMOI I se caractérise en effet par une procédure à deux niveaux, l’un national, l’autre communautaire (arrêt OMPI, point 117). Dans ce régime, les droits de la défense sont tout d’abord effectivement garantis dans le cadre de la procédure nationale, où l’intéressé doit être mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge (arrêt OMPI, point 119), sous le contrôle des juridictions nationales ou, le cas échéant, de la Cour EDH (arrêt OMPI, point 121). Ce sont précisément ces garanties des droits de la défense existant au niveau national, sous un contrôle juridictionnel effectif, qui dispensent les institutions communautaires de toute obligation de prévoir à nouveau des garanties portant sur le même objet au niveau communautaire (voir, en ce sens, arrêt OMPI, points 121 à 125).

187    À la différence de ce premier régime, le régime communautaire de gel des fonds en cause en l’espèce, s’il connaît lui aussi une procédure à deux niveaux, l’un onusien, l’autre communautaire, se caractérise par une absence de garanties des droits de la défense, sous un contrôle juridictionnel effectif, dans le cadre de la procédure devant le comité des sanctions (voir points 127 et 128 ci-dessus). Il s’ensuit, à l’inverse de ce qui a été jugé dans l’affaire OMPI, que les institutions communautaires sont tenues de veiller à ce que de telles garanties soient instaurées et mises en œuvre au niveau communautaire (voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous l’arrêt Kadi de la Cour, précitées, point 54).

188    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le deuxième moyen est fondé en chacune de ses deux branches, respectivement tirées d’une violation des droits de la défense et d’une violation du principe de protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt Kadi de la Cour, point 353).

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

 Arguments des parties

189    Le requérant, qui se réfère à l’arrêt Kadi de la Cour (points 283, 284, 355, 358, 360, 362, 369 et 370), soutient que l’atteinte à son droit de propriété découlant du règlement attaqué est encore plus grave que celle découlant du règlement n° 881/2002 en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, en raison de sa durée.

190    Il fait valoir que, dans ces conditions, la restriction imposée par le règlement attaqué n’est pas justifiée, car ce dernier a été adopté sans aucune des garanties que la Cour a considérées comme constituant des exigences fondamentales du droit communautaire et il n’est pas fondé sur des preuves convaincantes, mais sur de simples affirmations.

191    Se référant, notamment, aux points 355, 366, 369 et 370 de l’arrêt Kadi de la Cour, la Commission fait valoir que les circonstances de la présente affaire sont différentes de celles de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt. D’une part, dans sa correspondance échangée avec le requérant, la Commission aurait rappelé que les personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions avaient la possibilité de s’adresser directement au point focal de l’ONU à New York, en indiquant l’adresse du service à contacter et le site Web permettant d’obtenir de plus amples informations. D’autre part, la Commission aurait donné au requérant la possibilité de défendre sa cause devant les autorités de l’Union. La Commission estime avoir ainsi correctement appliqué les procédures imposées par la Cour.

 Appréciation du Tribunal

192    Il résulte de l’examen du deuxième moyen que le règlement attaqué a été adopté sans fournir aucune garantie réelle permettant au requérant d’exposer sa cause aux autorités compétentes, et ce dans une situation dans laquelle la restriction de son droit de propriété doit être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale et à la persistance des mesures de gel dont il fait l’objet (voir, en ce sens, arrêts Hassan de la Cour, point 92, et Kadi de la Cour, point 369).

193    Dès lors, il doit être conclu que, dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition au requérant des mesures restrictives que comporte le règlement n° 881/2002, du fait de son inclusion dans la liste contenue à l’annexe I de celui-ci, opérée par le règlement attaqué, constitue une restriction injustifiée de son droit de propriété (voir, en ce sens, arrêts Hassan de la Cour, point 93, et Kadi de la Cour, point 370).

194    Partant, les griefs du requérant relatifs à une violation du principe de proportionnalité, dans l’atteinte portée par le règlement attaqué à son droit fondamental au respect de la propriété, sont fondés (voir, en ce sens, arrêt Hassan de la Cour, point 94).

195    Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le règlement attaqué doit être annulé, pour autant qu’il concerne le requérant, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours.

 Sur les dépens

196    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

197    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les institutions et les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il y a donc lieu d’ordonner que le Conseil, la République française et le Royaume-Uni supporteront leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le règlement (CE) n° 1190/2008 de la Commission, du 28 novembre 2008, modifiant pour la cent et unième fois le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban, est annulé, pour autant qu’il concerne M. Yassin Abdullah Kadi.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par M. Kadi.

3)      Le Conseil de l’Union européenne, la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens.

Forwood

Moavero Milanesi

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 septembre 2010.

Signatures

Table des matières

 

Cadre juridique et antécédents du litige

Charte des Nations unies et traité CE

Actions du Conseil de sécurité contre le terrorisme international

Arrêts Kadi du Tribunal et de la Cour

Suite des arrêts Kadi du Tribunal et de la Cour

Procédure

Conclusions des parties

En fait

En droit

Considérations liminaires

Sur le niveau de contrôle juridictionnel approprié en l’espèce

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.

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