Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 18 juillet 2007
Affaire C-367/05
Procédure pénale
contre
Norma Kraaijenbrink
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hof van Cassatie)
«Convention d'application de l'accord de Schengen — Article 54 — Principe 'ne bis in idem' — Notion de 'mêmes faits' — Faits différents — Poursuites dans deux États contractants — Faits liés par la même intention criminelle»
Sommaire de l'arrêt
1. Union européenne — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Protocole intégrant l'acquis de Schengen — Convention d'application de l'accord de Schengen — Principe ne bis in idem
(Convention d'application de l'accord de Schengen, art. 54)
2. Union européenne — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Protocole intégrant l'acquis de Schengen — Convention d'application de l'accord de Schengen — Principe ne bis in idem
(Convention d'application de l'accord de Schengen, art. 58 et 71)
1. L'article 54 de la convention d'application de l'accord de Schengen doit être interprété en ce sens que:
- le critère pertinent aux fins de l'application dudit article est celui de l'identité des faits matériels, compris comme l'existence d'un ensemble de faits indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l'intérêt juridique protégé;
- des faits différents consistant, notamment, d'une part, à détenir dans un État contractant des sommes d'argent provenant d'un trafic de stupéfiants et, d'autre part, à écouler dans des bureaux de change situés dans un autre État contractant des sommes d'argent provenant également d'un tel trafic ne doivent pas être considérés comme des «mêmes faits» au sens de cet article en raison du seul fait que l'instance nationale compétente constate que lesdits faits sont reliés par la même intention criminelle;
- il appartient à ladite instance nationale d'apprécier si le degré d'identité et de connexité entre toutes les circonstances factuelles à comparer est tel qu'il est possible, au vu du critère pertinent susmentionné, de constater qu'il s'agit des «mêmes faits» au sens dudit article 54.
(cf. point 36 et disp.)
2. Il ressort de l'article 58 de la convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS) que les États contractants ont le droit d'appliquer des dispositions nationales plus larges concernant l'effet ne bis in idem attaché aux décisions judiciaires rendues à l'étranger. Toutefois, cet article n'autorise nullement un État contractant à s'abstenir de juger une infraction liée aux stupéfiants en violation de ses obligations résultant de l'article 71 de la CAAS, lu en combinaison avec l'article 36 de la convention unique sur les stupéfiants, conclue à New York le 30 mars 1961 dans le cadre des Nations unies, au seul motif que le prévenu a déjà été condamné dans un autre État contractant pour d'autres infractions animées par la même intention criminelle. En revanche, lesdites dispositions ne s'opposent pas à ce que, en droit national, les instances compétentes saisies d'une seconde procédure tiennent compte, pour la fixation de la peine, des sanctions éventuellement déjà prononcées lors de la première procédure.
(cf. points 33-35)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
18 juillet 2007
«Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ‘ne bis in idem’ – Notion de ‘mêmes faits’ – Faits différents –Poursuites dans deux États contractants – Faits liés par la même intention criminelle»
Dans l’affaire C-367/05,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 35 UE, introduite par le Hof van Cassatie (Belgique), par décision du 6 septembre 2005, parvenue à la Cour le 29 septembre 2005, dans la procédure pénale contre
Norma Kraaijenbrink,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. J. Klučka, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. J. Makarczyk et L. Bay Larsen (rapporteur), juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juillet 2006,
considérant les observations présentées:
– pour Mme Kraaijenbrink, par Me M. De Boel, advocaat,
– pour le Royaume des Pays-Bas, par Mme H. G. Sevenster, en qualité d’agent,
– pour la République tchèque, par M. T. Boček, en qualité d’agent,
– pour la République hellénique, par M. M. Apessos ainsi que Mmes S. Trekli et M. Tassopoulou, en qualité d’agents,
– pour le Royaume d’Espagne, par M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent,
– pour la République d’Autriche, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,
– pour la République de Pologne, par M. J. Pietras, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Bogensberger et R. Troosters, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 décembre 2006,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54, lu en combinaison avec l’article 71 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19, ci-après la «CAAS»), signée à Schengen (Luxembourg), le 19 juin 1990.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée en Belgique à l’encontre de Mme Kraaijenbrink pour avoir effectué des opérations de blanchiment d’argent résultant d’un trafic de stupéfiants.
Le cadre juridique
Le droit communautaire
3 Aux termes de l’article 1er du protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne par le traité d’Amsterdam (ci-après le «protocole»), treize États membres de l’Union européenne, dont le Royaume de Belgique et le Royaume des Pays-Bas, sont autorisés à instaurer entre eux, dans le cadre juridique et institutionnel de l’Union ainsi que des traités UE et CE, une coopération renforcée dans le domaine relevant du champ d’application de l’acquis de Schengen, tel que défini à l’annexe dudit protocole.
4 Font partie de l’acquis de Schengen ainsi défini, notamment, l’accord entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985 (JO 2000, L 239, p. 13), ainsi que la CAAS.
5 En vertu de l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, du protocole, à compter de la date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, le 1er mai 1999, l’acquis de Schengen s’applique immédiatement aux treize États membres visés à l’article 1er de ce protocole.
6 En application de l’article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, seconde phrase, du protocole, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 20 mai 1999, la décision 1999/436/CE déterminant, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l’acquis de Schengen (JO L 176, p. 17). Il résulte de l’article 2 de cette décision, en liaison avec l’annexe A de celle-ci, que le Conseil a désigné, d’une part, les articles 34 UE et 31 UE et, d’autre part, les articles 34 UE, 30 UE et 31 UE, qui font partie du titre VI du traité sur l’Union européenne, intitulé «Dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale», comme bases juridiques respectivement des articles 54 à 58 et 71 de la CAAS.
7 Aux termes de l’article 54 de la CAAS, qui fait partie du chapitre 3, intitulé «Application du principe ne bis in idem», du titre III de celle-ci, lui-même intitulé «Police et sécurité»:
«Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation.»
8 L’article 58 de la CAAS, compris dans ce même chapitre, énonce:
«Les dispositions précédentes ne font pas obstacle à l’application de dispositions nationales plus larges concernant l’effet Ne bis in idem attaché aux décisions judiciaires prises à l’étranger.»
9 L’article 71 de la CAAS, qui fait partie du chapitre 6, intitulé «Stupéfiants», du même titre III, dispose:
«1. Les Parties Contractantes s’engagent, en ce qui concerne la cession directe ou indirecte de stupéfiants et de substances psychotropes de quelque nature que ce soit, y compris le cannabis, ainsi que la détention de ces produits et substances aux fins de cession ou d’exportation, à prendre, en conformité avec les Conventions existantes des Nations unies […], toutes mesures nécessaires à la prévention et à la répression du trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes.
2. Les Parties Contractantes s’engagent à prévenir et à réprimer par des mesures administratives et pénales l’exportation illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, y compris le cannabis, ainsi que la cession, la fourniture et la remise desdits produits et substances […].
[…]
5. En ce qui concerne la lutte contre la demande illicite de stupéfiants et substances psychotropes de quelque nature que ce soit, y compris le cannabis, les Parties Contractantes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir et lutter contre les effets négatifs de cette demande illicite. […]»
10 Il ressort de l’information relative à la date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 1er mai 1999 (JO L 114, p. 56), que le Royaume de Belgique a fait une déclaration au titre de l’article 35, paragraphe 2, UE, par laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour statuer selon les modalités prévues à l’article 35, paragraphe 3, sous b), UE.
Le droit international
11 L’article 36 de la convention unique sur les stupéfiants, conclue à New York le 30 mars 1961 dans le cadre des Nations unies (ci-après la «convention unique»), est libellé comme suit:
«1. a) Sous réserve de ses dispositions constitutionnelles, chaque Partie adoptera les mesures nécessaires pour que la culture et la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, la détention, l’offre, la mise en vente, la distribution, l’achat, la vente, la livraison, à quelque titre que ce soit, le courtage, l’envoi, l’expédition en transit, le transport, l’importation et l’exportation de stupéfiants non conformes aux dispositions de la présente Convention, ou tout autre acte qui, de l’avis de ladite Partie, serait contraire aux dispositions de la présente Convention, constituent des infractions punissables lorsqu’elles sont commises intentionnellement et pour que les infractions graves soient passibles d’un châtiment adéquat, notamment de peines de prison ou d’autres peines privatives de liberté.
[…]
2. Sous réserve des dispositions constitutionnelles de chaque Partie, de son système juridique et de sa législation nationale,
a) i) Chacune des infractions énumérées au paragraphe 1 sera considérée comme une infraction distincte, si elles sont commises dans des pays différents;
ii) la participation intentionnelle à l’une quelconque desdites infractions, l’association ou l’entente en vue de la commettre ou la tentative de la commettre, ainsi que les actes préparatoires et les opérations financières intentionnellement accomplis, relatifs aux infractions dont il est question dans cet article, constitueront des infractions passibles des peines prévues au paragraphe 1;
[…]»
Le droit national
12 L’article 65 du code pénal belge dispose:
«Lorsqu’un même fait constitue plusieurs infractions ou lorsque différentes infractions soumises simultanément au même juge du fond constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, la peine la plus forte sera seule prononcée.
Lorsque le juge du fond constate que des infractions ayant antérieurement fait l’objet d’une décision définitive et d’autres faits dont il est saisi et qui, à les supposer établis, sont antérieurs à ladite décision et constituent avec les premières la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, il tient compte, pour la fixation de la peine, des peines déjà prononcées. Si celles-ci lui paraissent suffire à une juste répression de l’ensemble des infractions, il se prononce sur la culpabilité et renvoie dans sa décision aux peines déjà prononcées. Le total des peines prononcées en application de cet article ne peut excéder le maximum de la peine la plus forte.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 Mme Kraaijenbrink, ressortissante néerlandaise, a été condamnée par jugement du 11 décembre 1998 de l’Arrondissementsrechtbank te Middelburg (Pays-Bas) à une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis pour des faits de recel de sommes d’argent provenant du trafic de stupéfiants, faits commis à plusieurs reprises aux Pays-Bas entre les mois d’octobre 1994 et de mai 1995, et ce en violation de l’article 416 du code pénal néerlandais (Wetboek van Strafrecht).
14 Par jugement du 20 avril 2001, le rechtbank van eerste aanleg te Gent a condamné Mme Kraaijenbrink à une peine d’emprisonnement de deux ans pour différentes violations de l’article 505 du code pénal belge en raison de transactions de change effectuées en Belgique entre les mois de novembre 1994 et de février 1996 au moyen de sommes d’argent provenant d’opérations de trafic de stupéfiants réalisées aux Pays-Bas. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 15 mars 2005 du hof van beroep te Gent, correctionele kamer.
15 Ces deux juridictions, se référant à l’article 71 de la CAAS et à l’article 36, paragraphe 2, sous a), i) et ii), de la convention unique, ont considéré que Mme Kraaijenbrink ne pouvait se prévaloir de l’article 54 de la CAAS. En effet, elles ont estimé que les délits de recel de sommes d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants commis aux Pays-Bas et les opérations de blanchiment de l’argent provenant de ce trafic réalisées en Belgique devaient être considérés dans ce dernier État comme des faits distincts nonobstant l’unité d’intention entre les délits de recel commis aux Pays-Bas et ceux de blanchiment d’argent commis en Belgique.
16 Mme Kraaijenbrink a alors introduit un pourvoi en cassation, invoquant, notamment, la violation du principe ne bis in idem énoncé à l’article 54 de la CAAS.
17 Le Hof van Cassatie observe tout d’abord que, contrairement à ce que prétend Mme Kraaijenbrink, le constat qu’il existe une «unité d’intention» entre les comportements illicites aux Pays-Bas et l’infraction de blanchiment d’argent commise en Belgique n’implique pas nécessairement la constatation que les sommes d’argent qui ont fait l’objet d’opérations de blanchiment en Belgique sont les sommes d’argent provenant du trafic de stupéfiants pour le recel duquel Mme Kraaijenbrink avait déjà été condamnée aux Pays-Bas.
18 En revanche, il résulte de l’arrêt du hof van beroep te Gent du 15 mars 2005, contre lequel le pourvoi en cassation a été introduit, qu’il s’agit, dans les deux États contractants, de faits différents qui sont néanmoins la manifestation successive et continue d’une même intention criminelle, de sorte que, s’ils avaient tous été commis en Belgique, ils seraient considérés comme un seul fait juridique qui aurait été jugé conformément à l’article 65 du code pénal belge.
19 Dès lors, le Hof van Cassatie estime que se pose la question de savoir si la notion de «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre des faits différents consistant, d’une part, à détenir dans un État contractant des sommes d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants et, d’autre part, à écouler dans des bureaux de change situés dans un autre État contractant des sommes d’argent de même provenance.
20 C’est dans ces conditions que le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:
«1) L’article 54 de la [CAAS], lu en combinaison avec l’article 71 de la même convention, doit-il être interprété en ce sens que des faits punissables consistant à avoir, aux Pays-Bas, acquis, détenu ou transféré des sommes d’argent en devises étrangères provenant du commerce de produits stupéfiants (faits pour lesquels des poursuites ont été engagées et une condamnation prononcée aux Pays-Bas pour recel commis en violation de l’article 416 du code pénal), faits qui sont différents des faits punissables consistant à écouler dans des bureaux de change situés en Belgique des sommes d’argent acquises aux Pays-Bas dans l’exercice du commerce de produits stupéfiants (faits poursuivis en Belgique en tant que recel et autres opérations relatives à des choses tirées d’une infraction conformément à l’article 505 du code pénal), doivent être également considérés comme les ‘mêmes faits’ au sens de l’article 54 précité lorsque le juge constate qu’ils sont reliés par une unité d’intention et constituent dès lors un seul et même fait d’un point de vue juridique?
2) En cas de réponse affirmative à la première question:
L’expression ‘ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie’ qui figure à l’article 54 de la [CAAS] doit-elle être interprétée en ce sens que, si l’expression les ‘mêmes faits’ couvre également des faits différents qui sont reliés par une unité d’intention et constituent dès lors un seul et même fait, cela implique que toute personne prévenue du délit de blanchiment en Belgique ne peut plus être poursuivie dès l’instant où elle a été condamnée aux Pays-Bas pour d’autres faits commis avec une même intention indépendamment de tous les autres faits qui ont été commis au cours de la même période mais qui n’ont été connus ou poursuivis en Belgique qu’après la date du jugement étranger lorsque celui-ci n’est plus susceptible de recours ou bien doit-elle être interprétée en ce sens qu’en pareil cas, le juge du fond peut condamner ces autres faits à titre accessoire en tenant compte des peines déjà prononcées, sauf à considérer que ces autres peines constituent à ses yeux un juste châtiment de tous les délits et sans que l’ensemble des peines prononcées puisse excéder le maximum de la peine la plus sévère?»
Sur la compétence de la Cour
21 Il ressort du point 10 du présent arrêt que, en l’occurrence, la Cour est compétente pour statuer sur l’interprétation de la CAAS en vertu de l’article 35 UE.
22 À cet égard, il importe de préciser que l’article 54 de la CAAS s’applique ratione temporis à une procédure pénale telle que celle de l’affaire au principal. En effet, s’il est vrai que la CAAS n’était pas encore en vigueur aux Pays-Bas au moment du prononcé de la première condamnation de Mme Kraaijenbrink dans cet État, elle l’était en revanche dans les deux États concernés lors de l’appréciation des conditions d’application du principe ne bis in idem par l’instance saisie de la seconde procédure, qui a donné lieu au présent renvoi préjudiciel (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2006, Van Esbroeck, C-436/04, Rec. p. I-2333, point 24).
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
23 À titre liminaire, il y a lieu de préciser que la circonstance, évoquée dans la première question préjudicielle, que la qualification juridique des faits pour lesquels une condamnation a été prononcée dans le premier État contractant est différente de celle des faits pour lesquels des poursuites ont été engagées dans le second est dénuée de pertinence puisqu’une qualification juridique divergente des mêmes faits dans deux États contractants différents ne saurait faire obstacle à l’application de l’article 54 de la CAAS (voir arrêt Van Esbroeck, précité, point 31).
24 Par ailleurs, l’article 71 de la CAAS, également évoqué dans la première question, ne contient aucun élément tendant à limiter le champ d’application de l’article 54 de la CAAS (voir arrêt Van Esbroeck, précité, point 40). Il en résulte que la référence aux conventions existantes des Nations unies faite audit article 71 ne saurait être comprise comme faisant obstacle à l’application du principe ne bis in idem énoncé à l’article 54 (voir arrêt Van Esbroeck, précité, point 41).
25 Dans ces conditions, il convient de comprendre que, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la notion de «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS doit être comprise en ce sens qu’elle couvre des faits différents consistant, notamment, d’une part, à détenir dans un État contractant des sommes d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants et, d’autre part, à écouler dans des bureaux de change situés dans un autre État contractant des sommes d’argent de même provenance, lorsque le juge national saisi de la seconde procédure pénale constate que lesdits faits sont reliés par la même intention criminelle.
26 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que le seul critère pertinent aux fins de l’application de l’article 54 de la CAAS est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles (voir arrêts Van Esbroeck, précité, point 36; du 28 septembre 2006, Gasparini e.a., C‑467/04, Rec. p. I‑9199, point 54, et Van Straaten, C-150/05, Rec. p. I-9327, point 48).
27 Pour déterminer s’il existe un tel ensemble de circonstances concrètes, les instances nationales compétentes doivent déterminer si les faits matériels des deux procédures constituent un ensemble de faits indissociablement liés dans le temps, dans l’espace ainsi que par leur objet (voir, en ce sens, arrêts précités Van Esbroeck, point 38; Gasparini e.a., point 56, ainsi que Van Straaten, point 52).
28 Il s’ensuit que le point de départ de l’appréciation de la notion de «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS est une prise en considération globale des comportements illicites concrets qui ont donné lieu à des poursuites pénales devant des juridictions des deux États contractants. Ainsi, l’article 54 de la CAAS ne peut devenir applicable que lorsque l’instance saisie de la seconde procédure pénale constate que les faits matériels, par leurs liens dans le temps, dans l’espace et par leur objet forment un ensemble indissociable.
29 En revanche, si les faits matériels ne forment pas un tel ensemble, la seule circonstance que l’instance saisie de la seconde procédure constate que l’auteur présumé de ces faits a agi avec la même intention criminelle ne saurait suffire pour assurer l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles qui relève de la notion de «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS.
30 Comme l’a souligné notamment la Commission des Communautés européennes, un lien subjectif entre des faits qui ont donné lieu à des poursuites pénales dans deux États contractants différents n’assure pas nécessairement l’existence d’un lien objectif entre les faits matériels en cause qui, par conséquent, pourraient se distinguer du point de vue temporel et spatial ainsi que par leur nature.
31 S’agissant plus particulièrement d’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle il n’a pas été clairement établi que ce sont les mêmes gains financiers dérivés du trafic de stupéfiants qui sont à l’origine, en tout ou en partie, des comportements illicites dans les deux États contractants concernés, il y a lieu de constater que, en principe, une telle situation n’est susceptible de relever de la notion de «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS que si un lien objectif peut être établi entre les sommes d’argent dans les deux procédures.
32 À cet égard, il appartient aux instances nationales compétentes d’apprécier si le degré d’identité et de connexité entre toutes les circonstances factuelles qui ont donné lieu auxdites procédures pénales contre la même personne dans les deux États contractants concernés est tel qu’il est possible de constater qu’il s’agit des «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS.
33 En outre, il importe, dans la présente affaire, de préciser qu’il ressort de l’article 58 de la CAAS que les États contractants ont le droit d’appliquer des dispositions nationales plus larges concernant l’effet ne bis in idem attaché aux décisions judiciaires rendues à l’étranger.
34 Toutefois, l’article 58 de la CAAS n’autorise nullement un État contractant à s’abstenir de juger une infraction liée aux stupéfiants en violation de ses obligations résultant de l’article 71 de la CAAS, lu en combinaison avec l’article 36 de la convention unique, au seul motif que le prévenu a déjà été condamné dans un autre État contractant pour d’autres infractions animées par la même intention criminelle.
35 En revanche, lesdites dispositions ne s’opposent pas à ce que, en droit national, les instances compétentes saisies d’une seconde procédure tiennent compte, pour la fixation de la peine, des sanctions éventuellement déjà prononcées lors de la première procédure.
36 Au vu de ces considérations, il y a lieu, par conséquent, de répondre à la première question que l’article 54 de la CAAS doit être interprété en ce sens que:
– le critère pertinent aux fins de l’application dudit article est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de faits indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt juridique protégé;
– des faits différents consistant, notamment, d’une part, à détenir dans un État contractant des sommes d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants et, d’autre part, à écouler dans des bureaux de change situés dans un autre État contractant des sommes d’argent provenant également d’un tel trafic ne doivent pas être considérés comme des «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS en raison du seul fait que l’instance nationale compétente constate que lesdits faits sont reliés par la même intention criminelle;
– il appartient à ladite instance nationale d’apprécier si le degré d’identité et de connexité entre toutes les circonstances factuelles à comparer est tel qu’il est possible, au vu du critère pertinent susmentionné, de constater qu’il s’agit des «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS.
Sur la seconde question
37 La seconde question n’a été posée que dans l’hypothèse où la réponse à la première question aurait confirmé qu’une intention criminelle commune est une condition suffisante en soi qui, si elle est remplie, permet de considérer également des faits différents comme des «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS.
38 Cette confirmation n’ayant pas été apportée par la Cour dans sa réponse à la première question, il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
39 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée le 19 juin 1990 à Schengen (Luxembourg), doit être interprété en ce sens que:
– le critère pertinent aux fins de l’application dudit article est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de faits indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt juridique protégé;
– des faits différents consistant, notamment, d’une part, à détenir dans un État contractant des sommes d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants et, d’autre part, à écouler dans des bureaux de change situés dans un autre État contractant des sommes d’argent provenant également d’un tel trafic ne doivent pas être considérés comme des «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen en raison du seul fait que l’instance nationale compétente constate que lesdits faits sont reliés par la même intention criminelle;
– il appartient à ladite instance nationale d’apprécier si le degré d’identité et de connexité entre toutes les circonstances factuelles à comparer est tel qu’il est possible, au vu du critère pertinent susmentionné, de constater qu’il s’agit des «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen.
Signatures
Langue de procédure: le néerlandais.