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CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-507/10, X c/ Y

 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 21 décembre 2011

Affaire C-507/10

X

contre

Y

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par le juge chargé des enquêtes préliminaires auprès du Tribunale di Firenze)

«Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Décision-cadre 2001/220/JAI — Statut des victimes dans le cadre de procédures pénales — Protection des personnes vulnérables — Audition de mineurs en tant que témoins — Procédure incidente d’administration anticipée de la preuve — Refus du ministère public de demander au juge chargé des enquêtes préliminaires de procéder à une audition»

 

Sommaire de l'arrêt

1.        Union européenne — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Statut des victimes dans le cadre des procédures pénales — Décision-cadre 2001/220 — Victime particulièrement vulnérable — Notion — Enfant en bas âge, prétendument victime d'actes de nature sexuelle — Inclusion

(Décision-cadre du Conseil 2001/220, art. 2, § 2, et 8, § 4)

2.        Union européenne — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Statut des victimes dans le cadre des procédures pénales — Décision-cadre 2001/220 — Protection des victimes particulièrement vulnérables — Modalités

(Art. 34 UE; charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 47; décision-cadre du Conseil 2001/220, art. 2, 3 et 8)

1.        Si la décision-cadre 2001/220, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, ne définit pas la notion de vulnérabilité de la victime, au sens des articles 2, paragraphe 2, et 8, paragraphe 4, de celle-ci, il ne saurait être contesté que lorsqu'un enfant en bas âge prétend avoir été victime, de façon répétée, d’actes de nature sexuelle de la part de son père, cet enfant est manifestement susceptible de faire l’objet d’une telle qualification eu égard notamment à son âge, ainsi qu’à la nature, à la gravité et aux conséquences des infractions dont il estime avoir été victime, en vue de bénéficier de la protection spécifique exigée par les dispositions précitées de la décision-cadre.

(cf. point 26)

2.        Les articles 2, 3 et 8, paragraphe 4, de la décision-cadre 2001/220, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à des dispositions nationales qui, d’une part, ne prévoient pas l’obligation pour le ministère public de solliciter la juridiction saisie pour qu’elle permette à une victime particulièrement vulnérable d’être entendue et de faire une déposition selon les modalités de l’incident probatoire lors de la phase d’instruction de la procédure pénale, et, d’autre part, n’autorisent pas ladite victime à former un recours devant un juge contre la décision du ministère public rejetant sa demande d’être entendue et de faire une déposition selon lesdites modalités.

En effet, aucune desdites dispositions de la décision-cadre ne prévoit de modalités concrètes de mise en œuvre des objectifs qu’elles énoncent. En l’absence de plus amples précisions dans ces dispositions et eu égard à l’article 34 UE, il convient d’admettre que la décision-cadre laisse aux autorités nationales un large pouvoir d’appréciation quant à ces modalités.

À cet égard, la circonstance que, selon les dispositions nationales, il appartient au ministère public de décider de soumettre au juge saisi la demande de la victime de recourir à la procédure de l’incident probatoire peut être considérée comme s’inscrivant dans la logique d’un système dans lequel le ministère public constitue un organe judiciaire chargé de l’exercice de l’action pénale. Toutefois, à la lumière de la nécessité que soient respectés les droits fondamentaux, les autorités nationales doivent s’assurer, dans chaque cas, que l’application d’une telle procédure n’est pas de nature à rendre la procédure pénale, considérée dans son ensemble, inéquitable.

Par ailleurs, afin de garantir que la victime puisse effectivement prendre part à la procédure pénale de manière adéquate, son droit à être entendue doit lui donner, outre la possibilité de décrire objectivement le déroulement des faits, l’occasion d’exprimer son point de vue. Toutefois, ni les dispositions de la décision-cadre ni l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne garantissent à la victime d’une infraction pénale un droit de provoquer l’exercice de poursuites pénales contre un tiers afin d’obtenir sa condamnation.

(cf. points 27-28, 33, 37-38, 42-44 et disp.)

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 décembre 2011

 

«Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2001/220/JAI– Statut des victimes dans le cadre de procédures pénales – Protection des personnes vulnérables – Audition de mineurs en tant que témoins – Procédure incidente d’administration anticipée de la preuve – Refus du ministère public de demander au juge chargé des enquêtes préliminaires de procéder à une audition»

Dans l’affaire C‑507/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le juge chargé des enquêtes préliminaires auprès du Tribunale di Firenze (Italie), par décision du 8 octobre 2010, parvenue à la Cour le 25 octobre 2010, dans la procédure pénale contre

X

en présence de:

Y,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J.N. Cunha Rodrigues (rapporteur), président de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Rosas, A. Ó Caoimh et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour X, par Me F. Bagattini, avvocato,

–        pour Y, par Mes G. Vitiello et G. Paloscia, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Arena, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement irlandais, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. de Ree, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme D. Recchia et M. R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2011,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, 3 et 8 de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JO L 82, p. 1, ci-après la «décision-cadre»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de M. X, soupçonné d’avoir commis des actes à caractère sexuel sur sa fille mineure Mlle Y.

 

 Le cadre juridique

 

 La décision-cadre

3        Selon l’article premier, sous a), de la décision-cadre, on entend, aux fins de celle-ci, par «victime» «la personne physique qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre».

4        Aux termes de l’article 2 de la décision-cadre, intitulé «Respect et reconnaissance»:

«1. Chaque État membre assure aux victimes un rôle réel et approprié dans son système judiciaire pénal. Il continue à oeuvrer pour garantir aux victimes un traitement dûment respectueux de leur dignité personnelle pendant la procédure et reconnaît les droits et intérêts légitimes des victimes, notamment dans le cadre de la procédure pénale.

2. Chaque État membre veille à ce que les victimes particulièrement vulnérables bénéficient d’un traitement spécifique répondant au mieux à leur situation.»

5        L’article 3 de la décision-cadre, intitulé «Audition et fourniture de preuves», dispose:

«Chaque État membre garantit la possibilité aux victimes d’être entendues au cours de la procédure ainsi que de fournir des éléments de preuve.

Chaque État membre prend les mesures appropriées pour que ses autorités n’interrogent les victimes que dans la mesure nécessaire à la procédure pénale.»

6        L’article 8 de la décision-cadre, intitulé «Droit à une protection», énonce:

«1. Chaque État membre garantit un niveau approprié de protection aux victimes et, le cas échéant, à leur famille ou aux personnes assimilées à des membres de leur famille, notamment en matière de sécurité et de protection de leur vie privée, dès lors que les autorités compétentes estiment qu’il existe un risque grave d’actes de rétorsion ou de solides indices laissant présumer une perturbation grave et intentionnelle de leur vie privée.

2. À cette fin, et sans préjudice du paragraphe 4, chaque État membre garantit la possibilité que soient adoptées, si nécessaire, dans le cadre d’une procédure judiciaire, des mesures appropriées de protection de la vie privée et de l’image de la victime, de sa famille ou des personnes assimilées à des membres de sa famille.

3. Chaque État membre veille également à éviter que les victimes et les auteurs d’infractions ne se trouvent en contact dans les locaux judiciaires, à moins que la procédure pénale ne l’impose. Le cas échéant, chaque État membre prévoit, à cette fin, la création progressive, dans les locaux judiciaires, de zones d’attente séparées pour les victimes.

4. Chaque État membre garantit, lorsqu’il est nécessaire de protéger les victimes, notamment les plus vulnérables, contre les conséquences de leur déposition en audience publique, qu’elles puissent, par décision judiciaire, bénéficier de conditions de témoignage permettant d’atteindre cet objectif, par tout moyen approprié compatible avec les principes fondamentaux de son droit.»

 La réglementation nationale

7        L’article 392, paragraphe 1 bis, du code de procédure pénale italien (ci-après le «CPP»), figurant au livre V de celui-ci, intitulé «Enquêtes préliminaires et audience préliminaire», dispose:

«Dans les procédures relatives aux délits visés aux articles […] 609 quater [….] du code pénal, le ministère public, y compris à la demande de la victime, ou la personne faisant l’objet de l’enquête, peuvent demander que le témoignage du mineur ou de la victime majeure soit recueilli dans le cadre de l’incident probatoire, même en dehors des cas prévus au paragraphe 1.»

8        L’article 394 du CPP prévoit:

«1. La victime peut demander au ministère public d’ouvrir un incident probatoire.

2. S’il ne fait pas droit à cette demande, le ministère public émet une décision motivée qu’il fait notifier à la victime.»

9        Aux termes de l’article 398, paragraphe 5 bis, du CPP:

«Dans les cas d’enquêtes concernant les délits prévus aux articles […] 609 quater [….] du code pénal, s’il y a des mineurs parmi les personnes concernées par la recherche de la preuve, le juge fixe par l’ordonnance mentionnée au paragraphe 2, le lieu, le délai et les modalités particulières pour procéder sous forme d’incident probatoire, lorsque les exigences de protection des personnes le rendent nécessaire ou opportun. À cet effet, l’audience peut avoir lieu ailleurs qu’au tribunal, dans les éventuelles structures d’assistance spécialisées, ou, à défaut, au domicile de la personne concernée par l’obtention de la preuve. Les dépositions doivent être intégralement documentées par des moyens d’enregistrement phonographiques ou audiovisuels. En cas d’indisponibilité d’appareils d’enregistrement ou de personnel technique, le juge aura recours aux formes de l’expertise ou du conseil technique. En outre l’interrogatoire fait l’objet d’un procès-verbal récapitulatif. Il n’est procédé à la transcription des enregistrements qu’à la demande des parties.»

 

 La procédure au principal et les questions préjudicielles

 

10      Il ressort de la décision de renvoi que Mme Z a porté plainte contre M. X pour s’être livré, au cours de l’année 2007, de façon répétée à des actes à caractère sexuel réprimés par l’article 609 quater du code pénal (ci-après le «CP»), en liaison avec les articles 81 et suivants du CP, sur leur fille, Mlle Y, alors âgée de cinq ans.

11      Cette plainte a justifié l’ouverture d’une enquête préliminaire, au cours de laquelle Mlle Y a été entendue à plusieurs reprises par différents experts en psychologie et en pédiatrie. À la suite de ces mesures, le ministère public a, le 8 mai 2008, demandé le classement sans suite de l’affaire.

12      Mlle Y s’étant opposée à ladite demande, le juge des enquêtes préliminaires a, conformément aux règles procédurales applicables, fixé une audience en chambre du conseil afin de permettre aux parties de s’exprimer sur le bien-fondé de cette demande et de solliciter, éventuellement, un supplément d’enquête ou le renvoi devant un tribunal. Au cours de ladite audience, Mlle Y a, en application de l’article 394 du CPP, demandé au ministère public qu’il soit procédé à son audition comme témoin dans le cadre d’une procédure incidente d’administration anticipée de la preuve, encore appelée procédure de l’«incident probatoire».

13      Le juge de renvoi, après avoir recueilli l’accord du ministère public sur la demande d’ouvrir une procédure d’incident probatoire, a ordonné l’audition de la mineure selon des modalités particulières conformément à l’article 398, paragraphe 5 bis, du CPP. À cette occasion, Mlle Y a confirmé avoir fait l’objet d’actes à connotation sexuelle de la part de son père.

14      Le 27 mai 2010, la Corte di Cassazione a annulé la décision du juge de renvoi de recourir à la procédure de l’incident probatoire.

15      Le 14 juillet 2010, le ministère public a demandé de nouveau le classement de l’affaire, demande à laquelle la victime s’est opposée.

16      Le juge de renvoi a fixé une nouvelle audience en chambre du conseil, au cours de laquelle Mlle Y a demandé au ministère public de renouveler la demande d’audition dans le cadre de l’incident probatoire. Le ministère public ne s’est pas prononcé sur cette demande et a réitéré sa demande de classement sans suite.

17      Le juge chargé des enquêtes préliminaires auprès du Tribunale di Firenze, s’interrogeant sur la compatibilité du régime procédural applicable aux victimes mineures en vertu des dispositions des articles 392, paragraphe 1 bis, 394 et 398 du CPP avec les articles 2, 3, et 8 de la décision-cadre, en ce que, d’une part, il n’oblige pas le ministère public à donner suite à la demande de la victime de recourir à la procédure de l’incident probatoire et, d’autre part, ne permet pas à la victime de former un recours devant un juge en cas de refus du ministère public de faire droit à ladite demande, a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de se prononcer sur la portée desdits articles de la décision-cadre.

 

 Sur la compétence de la Cour

 

18      Conformément à l’article 9 du protocole n° 36 sur les dispositions transitoires, annexé au traité FUE, les effets juridiques de la décision-cadre, qui a été adoptée sur la base du titre VI du traité UE avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, sont préservés aussi longtemps que la décision-cadre n’a pas été abrogée, annulée ou modifiée en application des traités.

19      Par ailleurs, l’article 10, paragraphe 1, du même protocole dispose que les attributions de la Cour en ce qui concerne les actes de l’Union dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, qui ont été adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en vertu du titre VI du traité UE, restent inchangées, y compris lorsqu’elles ont été acceptées conformément à l’article 35, paragraphe 2, UE. En application de l’article 10, paragraphe 3, de ce protocole, la mesure transitoire figurant au paragraphe 1 de celui-ci cesse de produire ses effets cinq ans après le 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

20      Il ressort de l’information relative à la date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 1er mai 1999 (JO L 114, p. 56), que la République italienne a fait une déclaration au titre de l’article 35, paragraphe 2, UE, par laquelle elle acceptait la compétence de la Cour pour statuer sur la validité et l’interprétation des actes visés à l’article 35 UE selon les modalités prévues au paragraphe 3, sous b), de cet article.

21      Il est constant en outre que la décision-cadre, fondée sur les articles 31 UE et 34 UE, relève des actes visés à l’article 35, paragraphe 1, UE, à propos desquels la Cour peut statuer à titre préjudiciel et il n’est pas contesté que le juge chargé des enquêtes préliminaires, agissant dans le cadre d’une procédure telle que celle en cause au principal, doit être considéré comme une juridiction d’un État membre au sens de l’article 35 UE (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2007, Dell’Orto, C‑467/05, p. I‑5557, point 35).

22      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux questions posées.

 

 Sur les questions préjudicielles

 

23      Par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 2, 3 et 8, paragraphe 4, de la décision-cadre doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions nationales, telles que celles des articles 392, paragraphe 1 bis, 398, paragraphe 5 bis, et 394 du CPP, qui, d’une part, ne prévoient pas l’obligation pour le ministère public de solliciter la juridiction saisie pour qu’elle permette à une victime particulièrement vulnérable d’être entendue et de faire une déposition selon les modalités de l’incident probatoire lors de la phase d’instruction de la procédure pénale, et, d’autre part, n’autorisent pas ladite victime à former un recours devant un juge contre la décision du ministère public rejetant sa demande d’être entendue et de faire une déposition selon lesdites modalités.

24      Conformément à l’article 3 de la décision-cadre, chaque État membre garantit la possibilité à toutes les victimes d’être entendues au cours de la procédure, ainsi que de fournir des éléments de preuve, et prend les mesures appropriées pour que ses autorités n’interrogent les victimes que dans la mesure nécessaire à la procédure pénale.

25      Les articles 2 et 8, paragraphe 4, de la décision-cadre obligent chaque État membre à œuvrer pour garantir à toutes les victimes notamment un traitement dûment respectueux de leur dignité personnelle pendant la procédure, à veiller à ce que les victimes particulièrement vulnérables bénéficient d’un traitement spécifique répondant au mieux à leur situation et à garantir, lorsqu’il est nécessaire de protéger les victimes, notamment les plus vulnérables, contre les conséquences de leur déposition en audience publique, qu’elles puissent, par décision judiciaire, bénéficier de conditions de témoignage permettant d’atteindre cet objectif, par tout moyen approprié compatible avec les principes fondamentaux de son droit.

26      Si la décision-cadre ne définit pas la notion de vulnérabilité de la victime, au sens des articles 2, paragraphe 2, et 8, paragraphe 4, de celle-ci, il ne saurait être contesté que lorsque, comme dans l’affaire au principal, un enfant en bas âge prétend avoir été victime, de façon répétée, d’actes de nature sexuelle de la part de son père, cet enfant est manifestement susceptible de faire l’objet d’une telle qualification eu égard notamment à son âge, ainsi qu’à la nature, à la gravité et aux conséquences des infractions dont il estime avoir été victime, en vue de bénéficier de la protection spécifique exigée par les dispositions précitées de la décision-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2005, Pupino, C‑105/03, Rec. p. I‑5285, point 53).

27      Aucune des trois dispositions de la décision-cadre mentionnées par le juge de renvoi ne prévoit de modalités concrètes de mise en œuvre des objectifs qu’elles énoncent, qui consistent, en particulier, à garantir à toutes les victimes un traitement «dûment respectueux de leur dignité personnelle», la possibilité d’«être entendues» au cours de la procédure ainsi que de «fournir des éléments de preuve» et qu’elles ne soient «interrogées que dans la mesure nécessaire à la procédure pénale», de même qu’à assurer aux «victimes particulièrement vulnérables» un «traitement spécifique répondant au mieux à leur situation» et à garantir que ces victimes soient, le cas échéant, protégées «contre les conséquences de leur déposition en audience publique» en bénéficiant, «par décision judiciaire», de «conditions de témoignage permettant d’atteindre ce dernier objectif par tout moyen approprié compatible avec les principes fondamentaux de son droit» (voir, en ce sens, arrêt Pupino, précité, point 54).

28      En l’absence de plus amples précisions dans les dispositions mêmes de la décision-cadre et eu égard à l’article 34 UE, qui accorde aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens nécessaires afin d’atteindre le résultat voulu par les décisions-cadres, il convient d’admettre que la décision-cadre laisse aux autorités nationales un large pouvoir d’appréciation quant aux modalités concrètes de mise en œuvre des objectifs qu’elle poursuit (voir, en ce sens, arrêts du 9 octobre 2008, Katz, C‑404/07, Rec. p. I‑7607, point 46; du 21 octobre 2010, Eredics et Sápi, C‑205/09, non encore publié au Recueil, points 37 et 38, ainsi que du 15 septembre 2011, Gueye et Salmerón Sánchez, C‑483/09 et C‑1/10, non encore publié au Recueil, points 57, 72 et 74).

29      Selon la réglementation en cause au principal, la déposition faite durant les enquêtes préliminaires doit généralement être réitérée à l’audience publique pour acquérir valeur de preuve. Il est néanmoins permis dans certains cas d’effectuer cette déposition une seule fois, au cours des enquêtes préliminaires, avec la même valeur probante, mais selon d’autres modalités que celles imposées lors de l’audience publique (arrêt Pupino, précité, point 55).

30      À propos de cette réglementation, la Cour a jugé que la réalisation des objectifs poursuivis par les dispositions précitées de la décision-cadre exige qu’une juridiction nationale ait la possibilité, pour les victimes particulièrement vulnérables, d’utiliser une procédure spéciale, telle que la procédure incidente d’administration anticipée de la preuve prévue en droit italien, ainsi que les modalités particulières de déposition également prévues, si cette procédure répond le mieux à la situation de ces victimes et s’impose afin de prévenir la déperdition des éléments de preuve, de réduire au minimum la répétition des interrogatoires et de prévenir les conséquences préjudiciables, pour lesdites victimes, de leur déposition en audience publique (arrêt Pupino, précité, point 56).

31      À la différence de ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pupino, précité, l’infraction en cause au principal relève des infractions pour lesquelles le recours à ladite procédure est, en principe, possible.

32      La juridiction de renvoi considère toutefois que l’absence d’obligation pour le ministère public de faire droit à la demande, formulée par une victime particulièrement vulnérable au cours de la phase d’instruction, de solliciter le juge saisi de recourir à ladite procédure et à l’audition, selon des modalités particulières également prévues, méconnaît les dispositions précitées de la décision-cadre. Le juge chargé des enquêtes préliminaires serait, en cas de refus du ministère public et en l’absence de demande en ce sens de la part de la personne qui fait l’objet de l’enquête, empêché de recourir à ladite procédure alors pourtant que, par ailleurs, ce même juge pourrait contraindre le ministère public à formuler les chefs d’accusation en vue de l’éventuel renvoi pour jugement de la personne poursuivie.

33      Ainsi qu’il a été observé aux points 27 et 28 du présent arrêt, aucune des trois dispositions de la décision-cadre mentionnées par le juge de renvoi ne prévoit de modalités concrètes de mise en œuvre des objectifs qu’elles énoncent. Eu égard au libellé de ces dispositions, et compte tenu de l’article 34 UE, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation aux autorités nationales quant à ces modalités.

34      Si, comme il a été relevé précédemment, des mesures spécifiques en faveur des victimes particulièrement vulnérables doivent être prévues par les États membres, il ne saurait en résulter nécessairement un droit en faveur de ces victimes de bénéficier, en toute hypothèse, d’un régime tel que celui de l’incident probatoire au cours de la phase d’instruction, afin d’atteindre les objectifs poursuivis par la décision-cadre.

35      L’article 8, paragraphe 4, de la décision-cadre oblige en particulier les États membres à garantir, lorsqu’il est nécessaire de protéger les victimes, notamment les plus vulnérables, «contre les conséquences de leur déposition en audience publique», qu’elles puissent, «par décision judiciaire, bénéficier de conditions de témoignage permettant d’atteindre cet objectif», et cela «par tout moyen approprié compatible avec les principes fondamentaux de son droit».

36      Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a observé aux points 53 à 58 de ses conclusions, n’outrepasse pas la marge d’appréciation dont disposent les États membres dans la mise en œuvre de cet objectif une législation nationale qui, dans un système juridique tel que celui en cause au principal, prévoit un régime procédural en vertu duquel le ministère public décide s’il y a lieu de faire droit à la demande de la victime de recourir à une procédure telle que celle de l’incident probatoire.

37      Outre que, comme il est énoncé au neuvième considérant de la décision-cadre, celle-ci n’impose pas aux États membres de garantir aux victimes un traitement équivalent à celui des parties au procès (voir, notamment, arrêt Gueye et Salmerón Sánchez, précité, point 53), la circonstance que, dans le système juridique pénal italien, il appartient au ministère public de décider de soumettre au juge saisi la demande de la victime de recourir, au cours de la phase d’instruction, à la procédure de l’incident probatoire, qui déroge au principe selon lequel les preuves sont recueillies au cours des débats, peut être considérée comme s’inscrivant dans la logique d’un système dans lequel le ministère public constitue un organe judiciaire chargé de l’exercice de l’action pénale.

38      Il résulte de ce qui précède, d’une part, que les dispositions nationales en cause au principal découlent des principes fondamentaux du système juridique pénal de l’État membre concerné qui, conformément à l’article 8, paragraphe 4, de la décision-cadre, doivent être respectés. D’autre part, l’appréciation de la demande d’une victime d’utiliser la procédure de l’incident probatoire doit tenir compte de la nécessité d’interpréter la décision-cadre de manière à ce que soient respectés les droits fondamentaux. À la lumière de cette nécessité, les autorités nationales doivent s’assurer, dans chaque cas, que l’application d’une telle procédure n’est pas de nature à rendre la procédure pénale, considérée dans son ensemble, inéquitable au sens des dispositions précitées.

39      Si, dans le système juridique italien, le juge chargé des enquêtes préliminaires peut obliger le ministère public à formuler l’accusation dans une affaire, en dépit du fait que ce dernier a souhaité classer celle-ci sans suite, il semble avéré que, dans un tel cas de figure, le ministère public peut toujours soumettre, le cas échéant, même au juge chargé de décider de la suite de la procédure, une demande de recourir à une procédure telle que celle de l’incident probatoire.

40      Par ailleurs, ainsi que le gouvernement italien l’a expliqué, s’agissant des débats devant le tribunal compétent en cas de renvoi pour jugement de l’inculpé, la victime est protégée conformément à plusieurs dispositions du CPP, qui prévoient notamment le huis clos et la possibilité de recourir aux modalités prévues à l’article 398, paragraphe 5 bis, du CPP, à savoir précisément les modalités que le juge de renvoi souhaiterait voir utilisées au cours de la phase d’instruction.

41      Ne remet pas non plus en cause la conclusion formulée au point 36 du présent arrêt la circonstance que la décision de refus du ministère public, qui doit être motivée, ne peut pas faire l’objet d’un contrôle par un juge, une telle circonstance étant la conséquence d’un système dans lequel la charge de l’accusation est, en principe, réservée au ministère public.

42      Certes, ainsi que la Cour l’a jugé (voir, notamment, arrêt Gueye et Salmerón Sánchez, précité, points 58 et 59), les articles 3, premier alinéa, et 2, paragraphe 1, de la décision-cadre impliquent en particulier que la victime puisse faire une déposition dans le cadre de la procédure pénale et que cette déposition puisse être prise en compte en tant qu’élément de preuve. Afin de garantir que la victime puisse effectivement prendre part à la procédure pénale de manière adéquate, son droit à être entendue doit lui donner, outre la possibilité de décrire objectivement le déroulement des faits, l’occasion d’exprimer son point de vue.

43      Toutefois, ni les dispositions de la décision-cadre ni l’article 47 de la charte (voir, à propos de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Asociación de Víctimas del Terrorismo c. Espagne du 29 mars 2001) ne garantissent à la victime d’une infraction pénale un droit de provoquer l’exercice de poursuites pénales contre un tiers afin d’obtenir sa condamnation.

44      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que les articles 2, 3 et 8, paragraphe 4, de la décision-cadre doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à des dispositions nationales, telles que celles des articles 392, paragraphe 1 bis, 398, paragraphe 5 bis, et 394 du CPP, qui, d’une part, ne prévoient pas l’obligation pour le ministère public de solliciter la juridiction saisie pour qu’elle permette à une victime particulièrement vulnérable d’être entendue et de faire une déposition selon les modalités de l’incident probatoire lors de la phase d’instruction de la procédure pénale, et, d’autre part, n’autorisent pas ladite victime à former un recours devant un juge contre la décision du ministère public rejetant sa demande d’être entendue et de faire une déposition selon lesdites modalités.

 

 Sur les dépens

 

45      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Les articles 2, 3 et 8, paragraphe 4, de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à des dispositions nationales, telles que celles des articles 392, paragraphe 1 bis, et 398, paragraphe 5 bis, et 394 du code de procédure pénale, qui, d’une part, ne prévoient pas l’obligation pour le ministère public de solliciter la juridiction saisie pour qu’elle permette à une victime particulièrement vulnérable d’être entendue et de faire une déposition selon les modalités de l’incident probatoire lors de la phase d’instruction de la procédure pénale, et, d’autre part, n’autorisent pas ladite victime à former un recours devant un juge contre la décision du ministère public rejetant sa demande d’être entendue et de faire une déposition selon lesdites modalités.

Signatures


Langue de procédure: l’italien.

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