Rapport de la Commission européenne du 23 février 2005 fondé sur l’article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres
COM/2005/0063 final
METHODE
En application de l’article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres,[1] la Commission soumet le présent rapport évaluant l’application de cet acte (ci-après «la décision-cadre»). L’enjeu de cette évaluation est important, dans la mesure où le mandat d'arrêt constitue la première mesure d’application du principe de reconnaissance mutuelle et la plus symbolique.
Les critères d’évaluation retenus par la Commission aux fins du présent rapport sont, d’une part, les critères généraux désormais habituellement employés pour évaluer la mise en oeuvre des décisions-cadres (effet utile, clarté et sécurité juridique, pleine application, respect du délai de transposition)[2], d’autre part, des critères propres au mandat d’arrêt qui sont principalement sa nature judiciaire, son efficacité et sa célérité.
Pour établir le présent rapport, la Commission se fonde, à titre principal, sur les dispositions nationales mettant en œuvre le mandat d’arrêt, telles que le texte lui en a été communiqué par les Etats membres (Art. 34-2), ainsi que sur les informations complémentaires transmises par le Conseil (Art. 34-3), notamment les réponses disponibles aux questionnaires adressés aux Etats membres par la présidence du Conseil.[3]
La Commission a de surcroît cherché à compléter son information, d’une part, en utilisant les réponses données au questionnaire du réseau judiciaire européen qui portait sur la pratique, jusqu’au 1.9.2004, du mandat d’arrêt , d’autre part, en entretenant un dialogue bilatéral avec les points de contact nationaux désignés à cet effet. Le contenu du présent rapport et de son annexe[4] demeure néanmoins tributaire des nombreux retards et insuffisances de transmission, de la qualité inégale de l’information obtenue et de la brièveté de la période examinée.
ÉVALUATION
Une procédure de remise devenue essentiellement judiciaire entre les Etats membres
Une mise en œuvre retardée, mais désormais quasi générale
Le mandat d'arrêt a été mis en œuvre par 24 Etats membres avec un retard allant jusqu’à 8 mois (CZ, DE). La moitié seulement ont respecté l’échéance fixée (BE, DK, ES, IE, CY, LT, HU, PL, PT, SI, FI, SE, UK). Ce retard a été la source de difficultés transitoires.
Néanmoins au 1er novembre 2004, tous les Etats membres avaient transposé la décision-cadre à l’exception de l’Italie où les travaux parlementaires sont toujours en cours. Plusieurs Etats membres ont dû à cette fin réviser leurs constitutions. Tous ont adopté une législation spécifique. Toutefois certains (notamment DK et EE) ont fait l’économie, pour certaines dispositions, de règles contraignantes, ce qui ne satisfait pas à l’exigence de sécurité juridique.
En pratique, dès le 1er janvier 2004, 8 Etats membres appliquaient entre eux le dispositif du mandat d'arrêt ; ils étaient 16 à la date de l’élargissement ils sont 24 depuis le 14.1. 2005, date d’entrée en application en CZ.
En 2004, le mandat d'arrêt a ainsi progressivement remplacé l’extradition entre les Etats membres et semble même l’avoir dépassée en volume. Rares sont les Etats membres qui ont pris la liberté de limiter son champ temporel ou matériel. S’agissant du premier, certains l’ont fait en conformité avec la décision-cadre, dès l’adoption de cette dernière, notamment en excluant son application à des faits antérieurs à une date déterminée (Art. 32 / FR, IT, AT). D’autres, toutefois, ont entendu procéder à cette limitation sans respecter la décision-cadre, que ce soit au regard de la procédure (Art. 32 / (CZ, LU, SI), du contenu de la limitation (CZ, LU) ou même de la date de prise d’effet (CZ). Dès lors les demandes d’extraditions que ces derniers continuent de présenter risquent d’être rejetées par les autres Etats membres.
Ont de même enfreint leurs obligations les Etats membres qui ont réduit le champ matériel d’application, à raison soit des seuils minimaux de peine exigés (Art. 2 / NL, AT, PL ; Art. 4-7b / UK), soit de certaines catégories d’infractions pour lesquelles ils ont rétabli (Art. 2 / BE, PL, SI) ou pris le risque de rétablir (EE, EL, FR) un contrôle de la double incrimination. Cependant la transposition de la liste des 32 catégories d’infractions pour lesquelles la double incrimination est abolie ne suscite pas à ce stade de difficultés majeures. Il reste regrettable que quelques Etats membres aient considéré qu’elle ne concernait pas les faits de tentative et de complicité (Art. 2 / EE, IE).
Une procédure de remise pour l’essentiel judiciarisée
La remise de personnes requises entre les Etats membres, en application de la décision-cadre (Art. 1-1), est devenue entièrement judiciaire. En atteste, par exemple, le fait que la très grande majorité des Etats membres autorise le contact direct entre autorités judiciaires , aux différentes étapes de la procédure (Art. 9-1, 15 et 23). Toutefois certains Etats membres ont désigné un organe exécutif en guise d’autorités judiciaires compétentes en tout (Art. 6/ DK) ou en partie (EE, LV, LT, FI, SE).
Autorisée par la décision-cadre, l’interposition d’une autorité centrale détenant le monopole des transmissions ne reste le choix que d’une minorité (Art. 7 / EE, IE, HU, MT, UK). Il convient néanmoins de déplorer les cas où les pouvoirs de décision confiés aux autorités centrales, outrepassant le simple rôle de facilitation que la décision-cadre permet de leur attribuer (EE, IE).
Une articulation progressive avec le régime externe de l’extradition
Si les remises entre Etats membres sont désormais régies pour l’essentiel dans le cadre du mandat d'arrêt, c’est avec plus de lenteur que le dispositif de l’Union s’insère dans l’ordonnancement des règles internationales (Art. 21 / MT ; Art. 28 / LT).
Tous les Etats membres n’ont pas encore notifié leur nouveau régime auprès du Conseil de l’Europe (Art. 28 de la Convention européenne d’extradition du 13.12.1957)[5]. Cette lacune devrait cependant être transitoire.
Une procédure plus efficace et rapide, respectueuse des garanties fondamentales
Des remises plus facilement acceptées
Gage d’une plus grande efficacité, la décision-cadre limite les motifs de refus de remise entre Etats membres, écartant toute décision en opportunité politique. De manière générale, le cadre qu’elle fixe a été respecté. De fait, l’efficacité du mandat d'arrêt peut s’apprécier, de façon provisoire, à l’aune des 2603 mandats émis, des 653 personnes arrêtées et des 104 personnes remises jusqu’en septembre 2004. En outre, il est à noter que la part des cas de refus d’exécution dans le total des mandats émis apparaît à ce jour modeste. La réalité ne peut que s’avérer supérieure à ces indications provisoires, fondées sur des déclarations d’une vingtaine d’Etats membres seulement.
Le nombre des motifs obligatoires de non-exécution repris de la décision-cadre s’échelonne de 3 à 10 selon les Etats membres. Tous les Etats membres ont transposé les trois motifs de non exécution obligatoire, avec quelques exceptions (Art. 3-1 / NL, UK) ou défauts (Art. 3-1 / DK, IE) ; Art. 3-2 / IE, UK). Les choix de transposition en ce qui concerne les sept motifs facultatifs conduisent en revanche à des situations très variées d’un Etat membre à l’autre, certains n’en ayant repris qu’une partie ou ayant laissé une plus grande marge d’appréciation à leurs autorités judiciaires, d’autres à l’opposé les ayant tous rendus obligatoires. En principe possible, sauf évolution contraire de la jurisprudence[6] (Art. 4-3), ce choix de transposition devient critiquable lorsqu’il va jusqu’à imposer aux autorités judiciaires d’exécution de poursuivre elles-mêmes plutôt que d’accepter le mandat d'arrêt, alors précisément que des poursuites sont en cours dans l’Etat membre d’émission (Art. 4-2).
La variété des régimes nationaux procède aussi de ce que tous n’ont pas retenu la possibilité de subordonner l’exécution des mandats à la satisfaction des trois garanties particulières envisagées par la décision-cadre. Cependant lorsqu’ils l’ont fait, certains Etats membres ont prévu d’exiger des conditions supplémentaires (Art. 5-1 / MT, UK ; Art. 5-3 / NL). De plus, il semble qu’en pratique, certaines autorités requièrent des assurances non prévues au formulaire, voire refusent la remise alors même que des assurances ont été données.
La remise des nationaux , qui constituait une innovation majeure de la décision-cadre, est entrée désormais dans les faits, sauf dérogation prévue par cette dernière (Art. 33 / AT). La plupart des Etats membres ont choisi de faire valoir cependant, à l’égard de leurs nationaux, la condition d’exécution de la peine sur leur territoire (Art. 4-6 et 5-3), à quelques exceptions (IE, SK, UK). Ce faisant, la plupart des Etats membres ont opté pour un traitement égal de leurs nationaux et de leurs résidents.
Des difficultés persistent néanmoins. Selon les informations de la Commission, il semble qu’il faille déplorer la pratique de certaines autorités judiciaires qui refusent l’exécution de mandats d’arrêt à l’égard des nationaux, en invoquant leur compétence (Art. 4-2 et 4-7), sans pour autant mener elles-mêmes à terme les poursuites. Par ailleurs, un Etat membre a introduit une clause de réciprocité et une conversion de la peine infligée à ses ressortissants (Art. 4-6 / CZ). Un autre a également considéré qu’il devait rétablir à l’égard de ses ressortissants le contrôle systématique de la double incrimination et conditionner leur remise à l’assurance qu’il pourrait convertir leur peine (Art. 5-3 / NL). Or cette condition, autorisée par la convention du 21.3.1983 sur le transfèrement des personnes condamnées, n’est pas reprise dans la décision-cadre. Par ailleurs, cette convention ne peut servir de base juridique pour l’exécution d’une peine prononcée dans un autre Etat que si cette dernière a déjà commencé, ce qui n’est normalement pas le cas lorsqu’un mandat d'arrêt est délivré aux fins d’exécution d’une peine.
Enfin l’introduction de motifs non prévus par la décision-cadre apparaît inquiétante. Le motif additionnel de refus pour cause de ne bis in idem vis-à-vis de la Cour pénale internationale, permettant à certains Etats membres de combler une lacune de la décision-cadre, est hors de cause. Il en va de même de la question des motifs explicites de refus pour violation des droits fondamentaux (Art. 1-3) ou discrimination (Considérants 12 et 13) que les deux tiers des Etats membres ont choisi d’introduire expressément, sous des formes diverses. Pour légitimes qu’ils soient, sauf à outrepasser la décision cadre (EL, IE, CY), ces motifs ne doivent être invoqués qu’exceptionnellement au sein de l’Union. Il importe plus encore de souligner l’introduction d’autres causes de refus, en contrariété avec la décision-cadre (Art. 3 / DK, MT, NL, PT, UK), telles que des motivations politiques, de sécurité nationale ou impliquant un contrôle au fond de l’affaire.
Des remises effectuées dans de meilleurs délais
Outre l’accélération due à une procédure entièrement judiciaire, la célérité du mandat d'arrêt repose sur la combinaison d’un formulaire unique, d’une pluralité de modes de transmission et d’un encadrement des délais de procédure. Les Etats membres ont généralement bien transposé ces points. De fait grâce à l’entrée en application de la décision-cadre, la durée moyenne d’exécution d’une demande est passée de plus de 9 mois à 43 jours, selon une estimation provisoire. Encore est-ce sans compter les cas fréquents où la personne consent à sa remise, la durée moyenne tombant alors à 13 jours.
Tous les Etats membres ont explicitement (sauf MT et UK) adopté le formulaire unique et prévu plusieurs modes de transmission possibles. A cet égard, une difficulté tient à ce que la décision-cadre ne prévoit pas de donner valeur de demande d’arrestation provisoire à une alerte Interpol, au contraire de ce qu’elle fait pour une alerte SIS (Art. 9-3). Dans l’attente de la mise en œuvre du second Système d’information de Schengen (SIS II), chaque Etat membre pourrait y pallier par une disposition nationale.
Par ailleurs, les exigences des Etats membres varient beaucoup dans le détail, quant aux délais de réception des mandats à compter de l’arrestation (de 2 à 40 jours), aux traductions (d’une seule langue acceptée à plus de quatre) et aux modes d’authentification (de l’exigence du seul original à un simple fax). Ces différences sont la cause, en pratique, de retards voire d’échecs de remises.
Plus particulièrement, quelques Etats membres imposent des exigences non prévues par la décision-cadre telles que des obligations de joindre des mentions ou pièces non prévues par le formulaire (Art. 8-1/ CZ, MT) ou d’émettre un mandat spécifique pour chaque incrimination (IE). Ces difficultés devraient toutefois pouvoir être résorbées progressivement grâce à l’homogénéisation des pratiques au sein de chaque système national et à une meilleure familiarisation avec les exigences des autres systèmes. Mais aussi grâce à une révision complète des alertes préexistantes, à une extension des moyens sécurisés de transmission (SIS II) et, plus généralement, à une consolidation de la confiance mutuelle. Une acceptation plus large par chaque Etat membre d’autres langues que les siennes est également de nature à faciliter le travail au sein de l’Union élargie.
Contrairement à la procédure d’extradition, l’exécution du mandat d'arrêt est enfermée dans des délais précis (Art. 17 et 23). Les Etats membres se sont dans l’ensemble très largement acquittés de leurs obligations dans ce domaine. En réalité, l’essentiel des remises semblent avoir lieu en deçà des délais maximum prévus.
Cependant, en cas de recours, quelques Etats membres n’ont pas consenti à fixer de délai à leurs juridictions supérieures (CZ, MT, PT, SK, UK) ou ont déterminé un délai maximal pour la procédure qui dépasse la norme de 60 jours (BE) voire le plafond de 90 jours (FR). A cet égard, il convient de remarquer que l’exercice des voies de recours internes ne constitue pas en soi une circonstance exceptionnelle (Art. 17-7). Pour l’heure, si les cas significatifs de retards restent rares, Eurojust en ayant été alors informé, il demeure trop tôt pour en tirer des conclusions.
Des remises consenties dans le respect des garanties fondamentales de la personne
Pour être plus efficace et plus rapide que la procédure d’extradition, le mandat d'arrêt n’en est pas moins soumis au respect entier des garanties individuelles. Contrairement à ce qu’ont fait certains Etats membres, le Conseil n’a pas entendu faire de la condition générale de respect des droits fondamentaux un motif explicite de refus en cas de violation. Cependant il va sans dire qu’une autorité judiciaire est toujours fondée à refuser l’exécution d’un mandat d'arrêt si elle constate que la procédure est entachée d’une violation de l’article 6 TUE et des principes constitutionnels communs aux Etats membres ; dans un système fondé sur la confiance mutuelle, une telle situation devrait rester exceptionnelle.
Tous les Etats membres ont transposé dans l’ensemble les dispositions de la décision-cadre relatives aux droits de la personne recherchée (Art. 11), le degré de détails pouvant varier d’un Etat membre à l’autre, notamment s’agissant de l’expression du consentement. Les insuffisances demeurent rares néanmoins, tenant surtout à des imprécisions procédurales (Art. 13 / DK, LV, PL, PT ; Art. 14 / DK). Il convient enfin de souligner que la facilitation née du mandat d'arrêt bénéficie également aux personnes concernées, qui en pratique consentent à leur remise désormais dans plus de la moitié des cas rapportés.
L’évaluation du mandat d'arrêt au regard de la garantie des droits fondamentaux conduit en effet à comparer la situation actuelle avec celle qui précédait. Plusieurs points positifs méritent d’être soulignés. La décision-cadre est plus précise en ce qui concerne le ne bis in idem . Elle a renforcé le droit à l’assistance d’un avocat (Art. 11-2, 12-2, 27-3 et 28-2), à l’examen de l’opportunité du maintien en détention provisoire (Art. 12), ainsi qu’à la déduction du montant de la condamnation de la période de privation de liberté subie (Art. 26). Plus généralement, par sa rapidité d’exécution, le mandat d'arrêt contribue à un meilleur respect du « délai raisonnable ». Par son efficacité, notamment pour obtenir la remise des ressortissants d’autres Etats membres, il facilite la décision de remettre en liberté provisoire les personnes quel que soit leur lieu de résidence au sein de l’Union européenne (Art. 12).
CONCLUSION
Nonobstant un retard initial indéniable, le mandat d'arrêt européen est désormais opérationnel dans la plupart des cas prévus. Son impact apparaît positif, les indicateurs disponibles étant orientés favorablement, tant en termes de judiciarisation, d’efficacité, que de célérité, le tout dans le respect des droits fondamentaux.
Ce succès global ne doit pas faire perdre de vue les efforts restant à consentir, tant de la part de l’Italie ou de certains Etats membres pour se conformer pleinement à la décision-cadre (notamment CZ, DK, EE, IE, LU, MT, NL, SI, UK), que de la part de l’Union pour combler certaines lacunes du dispositif.
Compte tenu de sa précocité, la présente évaluation demeure provisoire ; elle méritera d’être renouvelée, notamment sur la base d’une remontée d’information plus systématique. La Commission se réserve à ce titre de présenter des propositions visant à modifier la décision-cadre (Art. 34-3), à la lumière d’une plus longue expérience.
[1] JO L 190 du 18.7.2002, p. 1.
[2] COM(2001)771 du 13.12.2001, § 1.2.2.
[3] COPEN 96 du 10.10.2003 et COPEN 94 du 26.7.2004.
[4] SEC(2005) 267
[5] Conclusions du Conseil, 2-3.10.2003, point A/5.
[6] Gozutok (C – 187/01) et Brugge (C – 385/01), 11.2.2003.