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CJUE, 30 novembre 2009, aff. C-357/09 PPU, Said Shamilovich Kadzoev (Huchbarov)

 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 30 novembre 2009

Affaire C-357/09 PPU

Said Shamilovich Kadzoev (Huchbarov)

 

(demande de décision préjudicielle, introduite par

l’Administrativen sad Sofia-grad)

«Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes — Directive 2008/115/CE — Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Article 15, paragraphes 4 à 6 — Délai de rétention — Prise en compte de la durée pendant laquelle l’exécution d’une décision d’éloignement a été suspendue — Notion de 'perspective raisonnable d’éloignement'»

Sommaire de l'arrêt

1.        Visas, asile, immigration — Politique d'immigration — Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Rétention à des fins d’éloignement — Durée maximale — Calcul — Inclusion de la période de rétention accomplie dans le cadre d’une procédure d’éloignement initiée avant l'entrée en vigueur du régime prévu par la directive 2008/115

(Directive du Parlement européen et du Conseil nº 2008/115, art. 15, § 5 et 6)

2.        Visas, asile, immigration — Politique d'immigration — Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Rétention à des fins d’éloignement — Durée maximale — Calcul — Exclusion de la période accomplie en centre de placement provisoire au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile

(Directive du Parlement européen et du Conseil nº 2008/115, art. 15)

3.        Visas, asile, immigration — Politique d'immigration — Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Rétention à des fins d’éloignement — Durée maximale — Calcul — Arrêté de reconduite forcée à la frontière faisant l'objet d'un recours juridictionnel — Inclusion de la période de rétention accomplie pendant la durée de la procédure de recours

(Directive du Parlement européen et du Conseil nº 2008/115, art. 15, § 5 et 6)

4.        Visas, asile, immigration — Politique d'immigration — Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Rétention à des fins d’éloignement — Contrôle juridictionnel — Délai maximal de rétention expiré — Prise en considération par le juge des perspectives raisonnables d’éloignement — Exclusion

(Directive du Parlement européen et du Conseil nº 2008/115, art. 15, § 4 et 6)

5.        Visas, asile, immigration — Politique d'immigration — Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Rétention à des fins d’éloignement — Perspective raisonnable d'éloignement — Notion

(Directive du Parlement européen et du Conseil nº 2008/115, art. 15, § 4, 5 et 6)

6.        Visas, asile, immigration — Politique d'immigration — Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier — Rétention à des fins d’éloignement — Délai maximal de rétention expiré — Possibilité de ne pas libérer immédiatement la personne retenue — Absence

(Directive du Parlement européen et du Conseil nº 2008/115, art. 15, § 4 et 6)

1.        L’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens que la durée maximale de rétention qui y est prévue doit inclure la période de rétention accomplie dans le cadre d’une procédure d’éloignement initiée avant que le régime de cette directive ne soit d’application.

(cf. point 39, disp. 1)

2.        La période durant laquelle une personne a été placée en centre de placement provisoire sur le fondement d’une décision prise au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile ne doit pas être considérée comme une rétention aux fins d’éloignement au sens de l’article 15 de la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

En effet, la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115 et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, notamment en vertu des directives 2003/9, relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres, et 2005/85, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, et des dispositions nationales applicables, relèvent de régimes juridiques distincts.

Toutefois, si un demandeur d’asile reste placé sous un régime de rétention à des fins d’éloignement alors que sont en cours des procédures d’asile ouvertes à la suite de ses demandes d’asile, la période de rétention correspondant à la période durant laquelle lesdites procédures d’asile étaient en cours doit être prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement visée à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115.

(cf. points 45, 47-48, disp. 2)

3.        L’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens que la période pendant laquelle l’exécution de l’arrêté de reconduite forcée à la frontière a été suspendue en raison d’une procédure de recours juridictionnel introduite par l’intéressé contre cet arrêté est prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement lorsque, pendant la durée de cette procédure, l’intéressé a continué à séjourner dans un centre de placement provisoire.

En effet s’il en était autrement, la durée de la rétention à des fins d’éloignement pourrait varier, le cas échéant de manière considérable, d’un cas à l’autre dans un même État membre ou bien d’un État membre à l’autre, en raison des particularités et des circonstances propres aux procédures judiciaires nationales, ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115, qui est de garantir une durée de rétention maximale commune aux États membres.

(cf. points 54, 57, disp. 3)

4.        L’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer lorsque les possibilités d’allongement des délais de rétention prévus à l’article 15, paragraphe 6, de ladite directive sont épuisées au moment du contrôle juridictionnel de la rétention de la personne concernée.

(cf. point 62, disp. 4)

5.        L’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens que seule une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés aux paragraphes 5 et 6 de ce même article correspond à une perspective raisonnable d’éloignement et que cette dernière n’existe pas lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais.

(cf. point 67, disp. 5)

6.        L’article 15, paragraphes 4 et 6, de la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas, lorsque la période maximale de rétention prévue par cette directive a expiré, de ne pas libérer immédiatement l’intéressé au motif qu’il n’est pas en possession de documents valides, qu’il fait preuve d’un comportement agressif et qu’il ne dispose pas de moyens de subsistance propres ni d’un logement ou de moyens fournis par l’État membre à cette fin.

(cf. point 71, disp. 6)

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

30 novembre 2009

 

«Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Article 15, paragraphes 4 à 6 – Délai de rétention – Prise en compte de la durée pendant laquelle l’exécution d’une décision d’éloignement a été suspendue – Notion de ‘perspective raisonnable d’éloignement’»

Dans l’affaire C‑357/09 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre des articles 68 CE et 234 CE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (Bulgarie), par décision du 10 août 2009, parvenue à la Cour le 7 septembre 2009, dans la procédure

Said Shamilovich Kadzoev (Huchbarov),

 

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, Mme C. Toader, présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, P. Kūris, E. Juhász, G. Arestis, L. Bay Larsen (rapporteur), T. von Danwitz et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. N. Nanchev, administrateur,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 10 août 2009, parvenue à la Cour le 7 septembre 2009 et complétée le 10 septembre 2009, de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure d’urgence, conformément à l’article 104 ter du règlement de procédure,

vu la décision du 22 septembre 2009 de la deuxième chambre de faire droit à ladite demande,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 octobre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Kadzoev, par Mes D. Daskalova et V. Ilareva, advokati,

–        pour le gouvernement bulgare, par M. T. Ivanov et Mme E. Petranova, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement lituanien, par Mme R. Mackevičienė, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes S. Petrova et M. Condou-Durande, en qualité d’agents,

l’avocat général entendu,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15, paragraphes 4 à 6, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure administrative engagée à l’initiative du directeur de la Direktsia «Migratsia» pri Ministerstvo na vatreshnite raboti (direction de la migration auprès du ministère de l’Intérieur) et visant à obtenir que l’Administrativen sad Sofia-grad (la cour administrative de Sofia) statue d’office sur le maintien de la rétention de M. Kadzoev (Huchbarov) au centre spécial de placement temporaire des étrangers de ladite direction implanté à Busmantsi (ci-après le «centre de placement temporaire»), situé dans la circonscription de Sofia.

 

 Le cadre juridique

 

 La réglementation communautaire

3        La directive 2008/115 a été adoptée notamment sur le fondement de l’article 63, premier alinéa, point 3, sous b), CE. Aux termes du neuvième considérant de celle-ci:

«Conformément à la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres [(JO L 326, p. 13, et rectificatif JO 2006, L 236, p. 36)], le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur.»

4        L’article 15 de la directive 2008/115, figurant dans le chapitre relatif à la rétention à des fins d’éloignement, est rédigé comme suit:

«1.      À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a)      il existe un risque de fuite, ou

b)      le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

2.      La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.

La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.

Si la rétention a été ordonnée par les autorités administratives, les États membres:

a)      soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention,

b)      soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.

Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale.

3.      Dans chaque cas, la rétention fait l’objet d’un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit d’office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire.

4.      Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5.      La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.

6.      Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison:

a)      du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou

b)      des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires».

5        Selon l’article 20 de la directive 2008/115, les États membres sont tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci, sous réserve de son article 13, paragraphe 4, au plus tard le 24 décembre 2010.

6        Conformément à l’article 22 de cette directive, celle-ci est entrée en vigueur le 13 janvier 2009.

 La réglementation nationale

7        La transposition de la directive 2008/115 en droit bulgare résulte de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie (DV n° 153, de 1998), telle que modifiée le 15 mai 2009 (DV n° 36, de 2009, ci-après la «loi sur les étrangers»).

8        Selon la juridiction de renvoi, l’article 15, paragraphe 4, de cette directive n’est toutefois pas encore transposé dans la législation bulgare.

9        En vertu de l’article 44, paragraphe 6, de la loi sur les étrangers, lorsqu’une mesure administrative coercitive ne peut pas être appliquée à un étranger parce que son identité n’est pas établie, ou parce qu’il y a un risque évident de dissimulation, l’organe qui a pris cette mesure peut ordonner le placement de cet étranger dans un centre de placement temporaire des étrangers, afin d’organiser sa reconduite à la frontière de la République de Bulgarie ou son expulsion.

10      Avant la transposition de la directive 2008/115, le placement dans un tel centre n’était limité par aucun délai.

11      Actuellement, aux termes de l’article 44, paragraphe 8, de la loi sur les étrangers, «[l]e placement dure tant que les circonstances visées au paragraphe 6 existent, mais ne peut dépasser six mois. Exceptionnellement, lorsque la personne refuse de coopérer avec les autorités compétentes, qu’il y a un retard dans l’obtention des documents indispensables à la reconduite ou à l’expulsion, ou que la personne constitue une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public, la période de placement peut être étendue à douze mois».

12      L’article 46a, paragraphes 3 à 5, de la loi sur les étrangers dispose:

«3)      Tous les six mois, le chef du centre de placement temporaire des étrangers présente une liste des étrangers qui y ont séjourné pendant plus de six mois en raison des obstacles à leur éloignement du territoire. La liste est envoyée à la cour administrative du lieu du centre de rétention.

4)      À l’issue de chaque période de six mois de placement dans un centre de placement temporaire, la cour statue d’office à huis clos sur l’extension, la substitution ou la fin de la rétention. La décision de la cour n’est pas susceptible de recours.

5)      Lorsque la cour annule l’ordre de placement attaqué ou ordonne la libération de l’étranger, ce dernier est libéré immédiatement du centre de placement temporaire.»

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

13      Le 21 octobre 2006, un individu a été arrêté par les forces de l’ordre bulgares près de la frontière avec la Turquie. Il était dépourvu de documents d’identité et s’est présenté sous le nom de Said Shamilovich Huchbarov, né le 11 février 1979 à Groznyï (Tchétchénie). Il a déclaré qu’il ne voulait pas que le consulat de Russie fût informé de son arrestation.

14      Par arrêté du 22 octobre 2006, émanant des services de police compétents, une mesure administrative coercitive de reconduite à la frontière a été prise contre cette personne.

15      L’intéressé a été placé en rétention le 3 novembre 2006 au centre de placement temporaire, dans l’attente que l’exécution de cet arrêté soit possible, c’est-à-dire jusqu’à l’obtention de documents lui permettant de voyager à l’étranger et de la garantie de moyens financiers suffisants pour l’acquisition d’un titre de transport à destination de la Tchétchénie. Ledit arrêté est devenu exécutoire le 17 avril 2008, à l’issue d’un contrôle juridictionnel.

16      Le 14 décembre 2006, l’intéressé a déclaré, devant les autorités du centre de placement temporaire, que son vrai nom était non pas Huchbarov, mais Kadzoev.

17      Au cours de deux procédures administratives devant l’Administrativen sad Sofia-grad, a été produit un acte de naissance dont il résulte que M. Kadzoev est né le 11 février 1979 à Moscou (ex-Union soviétique), de père tchétchène, Shamil Kadzoev, et de mère géorgienne, Loli Elihvari. Cependant, une carte d’identité provisoire de citoyen de la République de Tchétchénie-Itchkérie, valable jusqu’au 3 février 2001, qui avait été établie au nom de Said Shamilovich Kadzoev, né le 11 février 1979 à Groznyï, a également été produite. Néanmoins, l’intéressé a continué à se présenter devant les autorités sous les noms de Kadzoev ou de Huchbarov.

18      Pendant la période comprise entre le mois de janvier de l’année 2007 et le mois d’avril de l’année 2008, il y a eu un échange de courriers entre les autorités bulgares et russes. Contrairement aux convictions des autorités bulgares, les autorités russes ont fait valoir que la carte d’identité provisoire établie au nom de M. Said Shamilovich Kadzoev émanait de personnes et d’une autorité inconnues de la Fédération de Russie et ne pouvait, dès lors, être considérée comme un document prouvant la citoyenneté russe de la personne concernée.

19      Le 31 mai 2007, pendant son séjour au centre de placement temporaire, M. Kadzoev a introduit une demande d’obtention du statut de réfugié. Son recours à l’encontre du refus des autorités administratives bulgares de faire droit à cette demande a été rejeté par jugement de l’Administrativen sad Sofia-grad du 9 octobre 2007. Le 21 mars 2008, l’intéressé a introduit une deuxième demande d’asile, qu’il a cependant retirée le 2 avril suivant. Le 24 mars 2009, M. Kadzoev a introduit une troisième demande en ce sens. Par décision du 10 juillet 2009, l’Administrativen sad Sofia-grad a rejeté la demande de M. Kadzoev et lui a refusé l’asile. Cette dernière décision ne peut faire l’objet d’un recours.

20      Le 20 juin 2008, l’avocat de M. Kadzoev a déposé une demande de substitution de la mesure de rétention par une mesure plus légère, à savoir l’obligation pour M. Kadzoev de signer périodiquement un registre tenu par les autorités de police de son lieu de séjour. Estimant que celui-ci n’avait pas d’adresse effective en Bulgarie, les autorités compétentes ont rejeté cette demande au motif que les conditions requises n’étaient pas réunies.

21      Le 22 octobre 2008, une demande similaire a été introduite, qui a également été rejetée.

22      À l’issue d’une procédure administrative engagée à la demande de M. Kadzoev devant la Commission pour la protection contre les discriminations et ayant donné lieu à une procédure devant le Varhoven administrativen sad (Cour suprême administrative), ce dernier a, tout comme ladite commission, admis, dans sa décision du 12 mars 2009, qu’il était impossible d’établir de manière certaine l’identité et la citoyenneté de M. Kadzoev, de sorte qu’elle l’a considéré comme apatride.

23      Il résulte de la décision de renvoi que, selon le Centre d’assistance des gens ayant survécu aux tortures, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés et Amnesty International, il est vraisemblable que M. Kadzoev ait été victime de tortures ainsi que de traitements humiliants et inhumains dans son pays d’origine.

24      Malgré les efforts déployés par les autorités bulgares, certaines organisations non gouvernementales et M. Kadzoev lui-même pour trouver un pays tiers sûr pouvant accueillir ce dernier, aucun accord n’a été obtenu et, jusqu’à présent, il n’a pas reçu de documents de voyage. Ainsi, la République d’Autriche et la Géorgie, auxquelles les autorités bulgares en avaient fait la demande, ont refusé d’accueillir M. Kadzoev. La République de Turquie, à laquelle les autorités bulgares s’étaient également adressées, n’a quant à elle pas répondu.

25      L’Administrativen sad Sofia-grad précise que M. Kadzoev est toujours placé en rétention au centre de placement temporaire.

26      L’affaire au principal a été introduite par le dépôt d’un acte administratif émanant du directeur de la direction de la migration auprès du ministère de l’Intérieur, demandant à cette juridiction de statuer d’office, sur le fondement de l’article 46a, paragraphe 3, de la loi sur les étrangers, sur le maintien de la rétention de M. Kadzoev.

27      Ladite juridiction relève que, avant la modification de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie aux fins de la transposition de la directive 2008/115, la durée du placement en centre de placement temporaire n’était limitée par aucun délai. Elle indique qu’il n’existe pas de règles transitoires régissant les situations dans lesquelles des décisions ont été prises avant cette modification. Ainsi, la question de l’applicabilité des nouvelles règles issues de cette directive aux délais et aux motifs de prolongation de ces délais devrait faire l’objet d’une interprétation, notamment en raison du fait que, en l’espèce au principal, la durée maximale de rétention prescrite par ladite directive avait été dépassée avant l’adoption de celle-ci.

28      Par ailleurs, aucune disposition expresse ne préciserait si, dans une situation telle que celle au principal, les délais visés à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 doivent s’entendre comme incluant la période durant laquelle l’étranger se trouvait en rétention, alors qu’il existait une interdiction légale d’exécuter une mesure administrative de «reconduite forcée à la frontière» au motif qu’une procédure d’obtention du statut humanitaire et de réfugié avait été engagée par M. Kadzoev.

29      Enfin, ladite juridiction indique que, s’il était admis qu’il n’existe aucune «perspective raisonnable d’éloignement» au sens de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115, la question se poserait de savoir s’il y a lieu d’ordonner, conformément à cette disposition, la libération immédiate de M. Kadzoev.

30      C’est dans ces conditions que l’Administrativen sad Sofia-grad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 […], doit-il être interprété en ce sens que:

a)      lorsque le droit national de l’État membre ne prescrivait pas un délai maximal de la rétention ni des motifs de prolongation de la rétention avant la transposition des exigences de cette directive et que, lors de la transposition de [celle-ci], il n’a pas été prévu que les nouvelles dispositions aient un effet rétroactif, ces exigences de ladite directive ne s’appliquent-elles et ne font-elles courir le délai qu’à compter de leur transposition dans le droit national de l’État membre?

b)      dans les délais prévus pour la rétention en centre spécialisé en vue de l’éloignement, au sens de ladite directive, on ne compte pas la durée pendant laquelle a été suspendue l’exécution d’une décision d’éloignement [du territoire] de l’État membre en vertu d’une disposition expresse, en raison du déroulement d’une procédure d’octroi du droit d’asile sur demande d’un ressortissant d’un État tiers, alors même que, pendant la durée de cette procédure, il a continué à séjourner dans ce même centre spécialisé de rétention, si la législation nationale de l’État membre le permet?

2)      L’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 […] doit-il être interprété en ce sens que dans les délais prévus pour la rétention en centre spécialisé en vue de l’éloignement, au sens de ladite directive, on ne compte pas la durée pendant laquelle l’exécution d’une décision d’éloignement [du territoire] de l’État membre a été suspendue en vertu d’une disposition expresse au motif qu’est pendante une procédure de recours juridictionnel contre ladite décision, alors même que, pendant la durée de cette procédure, il a continué à séjourner dans ce même centre spécialisé de rétention, lorsque le ressortissant ne possédait pas de documents d’identité valides et qu’il existe dès lors un doute sur son identité ou lorsqu’il ne possède pas de moyens de subsistance ou encore lorsqu’il a un comportement agressif?

3)      L’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115 […] doit-il être interprété en ce sens que l’éloignement n’est pas raisonnablement possible lorsque:

a)      au moment du contrôle de la rétention par le juge, l’État dont l’intéressé est ressortissant a refusé de lui délivrer un document de voyage en vue de son retour et que, jusqu’audit moment, il n’y a pas eu d’accord avec le pays tiers afin que l’intéressé y soit accueilli, alors même que les organes administratifs de l’État membre poursuivent leurs efforts en ce sens?

b)      au moment du contrôle de la rétention par le juge, il existait un accord de réadmission conclu entre l’Union européenne et l’État dont l’intéressé est ressortissant, mais que, en raison de l’existence de nouvelles preuves – à savoir un acte de naissance de l’intéressé –, l’État membre ne s’est pas référé aux dispositions dudit accord à condition que l’intéressé ne souhaite pas son retour?

c)      les possibilités d’allongement des délais de rétention prévues à l’article 15, paragraphe 6, de la directive [2008/115] sont épuisées, dans l’hypothèse où aucun accord de réadmission n’a été conclu avec le pays tiers au moment du contrôle de la rétention [de l’intéressé] par le juge, eu égard à l’article 15, paragraphe 6, sous b), de ladite directive?

4)      L’article 15, paragraphes 4 et 6, de la directive 2008/115 […] doit-il être interprété en ce sens que, si, lors du contrôle de la rétention destinée à l’éloignement du ressortissant d’un pays tiers, il est constaté qu’il n’existe pas de motif raisonnable pour son éloignement et que sont épuisés les motifs de prolongation de sa rétention, dans ce cas:

a)      il ne convient néanmoins pas d’ordonner sa libération immédiate si les conditions suivantes sont cumulativement réunies: l’intéressé ne dispose pas de documents d’identité valides, quelle que soit leur durée de validité, si bien qu’il existe un doute sur son identité, il a un comportement agressif, il ne dispose d’aucun moyen de subsistance et il n’existe aucune personne tierce qui se soit engagée à assurer sa subsistance?

b)      en vue de la décision sur la libération, il convient d’apprécier, de façon circonstanciée, si le ressortissant du pays tiers dispose, conformément aux dispositions du droit national de l’État membre, des moyens nécessaires pour séjourner sur le territoire de l’État membre ainsi que d’une adresse à laquelle il puisse résider?»

 

 Sur la procédure d’urgence

 

31      L’Administrativen sad Sofia-grad a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence prévue à l’article 104 ter du règlement de procédure.

32      La juridiction de renvoi a motivé cette demande en faisant valoir que l’affaire pose la question de savoir s’il y a lieu de maintenir M. Kadzoev en rétention au centre de placement temporaire ou de le libérer. Eu égard à la situation de cette personne, ladite juridiction a indiqué qu’il conviendrait que la procédure ne soit pas suspendue pour une durée prolongée.

33      La deuxième chambre de la Cour, l’avocat général entendu, a décidé de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence et de renvoyer l’affaire devant la Cour aux fins de son attribution à la grande chambre.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question, sous a)

34      Par sa première question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que la durée maximale de rétention qui y est prévue doit également inclure la période de rétention accomplie avant que le régime de cette directive ne soit d’application.

35      Il convient de relever que l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 fixe la durée maximale de la rétention à des fins d’éloignement.

36      Si la période de rétention à des fins d’éloignement accomplie avant que le régime de la directive 2008/115 ne soit d’application n’était pas prise en compte pour le calcul de la durée maximale de rétention, des personnes dans une situation telle que celle de M. Kadzoev pourraient faire l’objet d’une rétention dépassant les délais maximaux visés à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de cette directive.

37      Une telle situation ne serait pas conforme à l’objectif poursuivi par lesdites dispositions de la directive 2008/115, consistant à garantir, en tout état de cause, que la rétention à des fins d’éloignement n’excède pas dix-huit mois.

38      Au demeurant, l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la réglementation antérieure.

39      Il y a donc lieu de répondre à la première question, sous a), que l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115, doit être interprété en ce sens que la durée maximale de rétention qui y est prévue doit inclure la période de rétention accomplie dans le cadre d’une procédure d’éloignement initiée avant que le régime de cette directive ne soit d’application.

 Sur la première question, sous b)

40      Par sa première question, sous b), la juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans le calcul du délai de rétention aux fins d’éloignement prévu à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115, doit être incluse la période pendant laquelle l’exécution de la décision d’éloignement a été suspendue en raison de l’examen d’une demande d’asile introduite par un ressortissant d’un pays tiers, alors que celui-ci a, pendant la durée de la procédure relative à cette demande, continué à séjourner dans le centre de placement temporaire.

41      Il convient de rappeler que le neuvième considérant de la directive 2008/115 énonce que, «[c]onformément à la directive 2005/85 […], le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur».

42      En vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 3, de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO L 31, p. 18), les demandeurs d’asile peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est fixée par cet État membre, mais, lorsque cela s’avère nécessaire, les États membres peuvent obliger un demandeur à demeurer dans un lieu déterminé conformément à leur droit national, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public.

43      L’article 21 de la directive 2003/9 dispose que les États membres font en sorte que les décisions négatives quant à l’octroi des avantages prévus par cette directive ou les décisions prises en vertu de l’article 7 de celle-ci qui affectent individuellement les demandeurs d’asile puissent faire l’objet d’un recours dans le cadre des procédures prévues dans le droit national. Il est prévu, au moins en dernière instance, la possibilité de voies de recours devant une instance juridictionnelle.

44      Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2005/85, les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile et, conformément au paragraphe 2 de ce même article, lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les États membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide.

45      Ainsi, la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115 et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, notamment en vertu des directives 2003/9 et 2005/85 et des dispositions nationales applicables, relèvent de régimes juridiques distincts.

46      Il appartient à la juridiction nationale de déterminer si le séjour de M. Kadzoev au centre de placement temporaire pendant la période durant laquelle il était demandeur d’asile était conforme aux conditions prévues par les dispositions communautaires et nationales relatives au domaine de l’asile.

47      S’il devait s’avérer qu’aucune décision n’a été prise portant sur le placement de M. Kadzoev au centre de placement provisoire dans le cadre des procédures ouvertes à la suite des demandes d’asile de celui-ci, évoquées au point 19 du présent arrêt, et que sa rétention est donc restée basée sur le régime national antérieur de rétention à des fins d’éloignement ou sur le régime de la directive 2008/115, la période de rétention de M. Kadzoev correspondant à la période durant laquelle lesdites procédures d’asile étaient en cours devrait être prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement visée à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115.

48      Par suite, il convient de répondre à la première question préjudicielle, sous b), que la période durant laquelle une personne a été placée en centre de placement provisoire sur le fondement d’une décision prise au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile ne doit pas être considérée comme une rétention aux fins d’éloignement au sens de l’article 15 de la directive 2008/115.

 Sur la deuxième question

49      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que la période pendant laquelle l’exécution de l’arrêté de reconduite forcée à la frontière a été suspendue en raison d’une procédure de recours juridictionnel introduite par l’intéressé contre cet arrêté est prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement lorsque, pendant la durée de cette procédure, l’intéressé a continué à séjourner dans un centre de placement provisoire.

50      À cet égard, il importe de relever que l’article 13, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/115 prévoit, notamment, que le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour devant une autorité judiciaire ou administrative compétente, ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance. Cette autorité ou cette instance est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale.

51      Or, ni l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 ni aucune autre disposition de cette directive ne permettent de considérer que des périodes de rétention aux fins d’éloignement ne devraient pas être incluses dans la durée maximale de rétention définie audit article 15, paragraphes 5 et 6, en raison de la suspension de l’exécution de la décision d’éloignement.

52      En particulier, il convient de relever que la suspension de la décision d’éloignement en raison d’une procédure de recours juridictionnelle introduite contre cette décision ne figure pas parmi les motifs de prolongation de la période de rétention prévus à l’article 15, paragraphe 6, de la directive 2008/115.

53      Ainsi, la période de rétention accomplie par la personne concernée pendant la procédure par laquelle la légalité de la décision d’éloignement fait l’objet d’un contrôle juridictionnel doit être prise en compte aux fins du calcul de la durée de rétention maximale prévue à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115.

54      S’il en était autrement, la durée de la rétention à des fins d’éloignement pourrait varier, le cas échéant de manière considérable, d’un cas à l’autre dans un même État membre ou bien d’un État membre à l’autre, en raison des particularités et des circonstances propres aux procédures judiciaires nationales, ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115, qui est de garantir une durée de rétention maximale commune aux États membres.

55      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt du 29 janvier 2009, Petrosian (C‑19/08, non encore publié au Recueil), invoqué par le gouvernement bulgare. En effet, dans cette affaire portant sur l’interprétation du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO L 50, p. 1), la Cour a jugé que, lorsque, dans le cadre de la procédure de transfert du demandeur d’asile, la législation de l’État membre requérant prévoit l’effet suspensif d’un recours, le délai d’exécution du transfert prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous d), de ce règlement court, non pas déjà à compter de la décision juridictionnelle provisoire suspendant la mise en œuvre de la procédure de transfert, mais seulement à compter de la décision juridictionnelle qui statue sur le bien-fondé de la procédure et qui n’est plus susceptible de faire obstacle à cette mise en œuvre.

56      Une telle interprétation de l’article 20, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 343/2003 ne saurait être transposée dans le cadre de l’interprétation de l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115. En effet, tandis que le délai en cause dans l’arrêt Petrosian, précité, détermine le temps disponible pour l’État membre requérant pour exécuter le transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre qui est tenu de le réadmettre, les délais maximaux prévus à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 servent l’objectif de limiter la privation de liberté d’un individu. En outre, ces derniers délais posent une limite à la durée de la rétention aux fins d’éloignement, et non pas à la mise en œuvre de la procédure d’éloignement en tant que telle.

57      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que la période pendant laquelle l’exécution de l’arrêté de reconduite forcée à la frontière a été suspendue en raison d’une procédure de recours juridictionnel introduite par l’intéressé contre cet arrêté est prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement lorsque, pendant la durée de cette procédure, l’intéressé a continué à séjourner dans un centre de placement provisoire.

 Sur la troisième question

58      Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à se voir clarifier, à la lumière des éléments factuels propres à l’espèce au principal, le sens de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115, et notamment de la notion de «perspective raisonnable d’éloignement».

 Sur la troisième question, sous c)

59      Par sa troisième question, sous c), la juridiction de renvoi demande si l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il n’existe pas de perspective raisonnable d’éloignement lorsque les possibilités d’allongement des délais de rétention prévus au paragraphe 6 du même article sont épuisées dans l’hypothèse où aucun accord de réadmission n’a été conclu avec le pays tiers au moment du contrôle juridictionnel de la rétention de la personne concernée.

60      Force est de relever que, dès lors que la durée maximale de rétention prévue à l’article 15, paragraphe 6, de la directive 2008/115 est atteinte, la question de savoir s’il n’existe plus de «perspective raisonnable d’éloignement»au sens du paragraphe 4 de ce même article ne se pose pas. En effet, dans un tel cas, la personne concernée doit, en tout état de cause, être immédiatement remise en liberté.

61      Ainsi, l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115 ne peut trouver à s’appliquer que pour autant que les délais maximaux de rétention prévus à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de cette directive ne sont pas expirés.

62      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la troisième question, sous c), que l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer lorsque les possibilités d’allongement des délais de rétention prévus à l’article 15, paragraphe 6, de la directive 2008/115 sont épuisées au moment du contrôle juridictionnel de la rétention de la personne concernée.

 Sur la troisième question, sous a) et b)

63      S’agissant de la troisième question, sous a) et b), il convient de souligner que, selon l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres.

64      Ainsi qu’il ressort de l’article 15, paragraphes 1 et 5, de la directive 2008/115, la rétention d’une personne à des fins d’éloignement ne peut être maintenue que pendant que le dispositif d’éloignement est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise, pour autant qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

65      Aussi faut-il que, au moment du réexamen de la légalité de la rétention par la juridiction nationale, il apparaisse qu’il existe une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 pour qu’il puisse être considéré qu’il subsiste une «perspective raisonnable d’éloignement» au sens de l’article 15, paragraphe 4, de cette directive.

66      Ainsi, une perspective raisonnable d’éloignement n’existe pas lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais.

67      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la troisième question, sous a) et b), que l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que seule une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés aux paragraphes 5 et 6 de ce même article correspond à une perspective raisonnable d’éloignement et que cette dernière n’existe pas lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais.

 Sur la quatrième question

68      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphes 4 et 6, de la directive 2008/115 permet, bien que la période maximale de rétention prévue par cette directive ait expiré, de ne pas libérer immédiatement l’intéressé au motif qu’il n’est pas en possession de documents valides, qu’il fait preuve d’un comportement agressif et qu’il ne dispose pas de moyens de subsistance propres ni d’un logement ou de moyens fournis par l’État membre à cette fin.

69      À cet égard, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort notamment des points 35, 52 et 59 du présent arrêt, l’article 15, paragraphe 6, de la directive 2008/115 n’autorise en aucun cas le dépassement du délai maximal défini dans cette disposition.

70      La possibilité de placer une personne en rétention pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique ne saurait trouver son fondement dans la directive 2008/115. Dès lors, aucune des circonstances évoquées par la juridiction de renvoi ne saurait constituer en soi un motif de rétention en vertu des dispositions de cette directive.

71      Par voie de conséquence, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 15, paragraphes 4 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas, lorsque la période maximale de rétention prévue par cette directive a expiré, de ne pas libérer immédiatement l’intéressé au motif qu’il n’est pas en possession de documents valides, qu’il fait preuve d’un comportement agressif et qu’il ne dispose pas de moyens de subsistance propres ni d’un logement ou de moyens fournis par l’État membre à cette fin.

 

 Sur les dépens

 

72      La procédure revêtant, à l’égard de la partie au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux de ladite partie, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      L’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens que la durée maximale de rétention qui y est prévue doit inclure la période de rétention accomplie dans le cadre d’une procédure d’éloignement initiée avant que le régime de cette directive ne soit d’application.

2)      La période durant laquelle une personne a été placée en centre de placement provisoire sur le fondement d’une décision prise au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile ne doit pas être considérée comme une rétention aux fins d’éloignement au sens de l’article 15 de la directive 2008/115.

3)      L’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que la période pendant laquelle l’exécution de l’arrêté de reconduite forcée à la frontière a été suspendue en raison d’une procédure de recours juridictionnel introduite par l’intéressé contre cet arrêté est prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement lorsque, pendant la durée de cette procédure, l’intéressé a continué à séjourner dans un centre de placement provisoire.

4)      L’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer lorsque les possibilités d’allongement des délais de rétention prévus à l’article 15, paragraphe 6, de la directive 2008/115 sont épuisées au moment du contrôle juridictionnel de la rétention de la personne concernée.

5)      L’article 15, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que seule une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés aux paragraphes 5 et 6 de ce même article correspond à une perspective raisonnable d’éloignement et que cette dernière n’existe pas lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais.

6)      L’article 15, paragraphes 4 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas, lorsque la période maximale de rétention prévue par cette directive a expiré, de ne pas libérer immédiatement l’intéressé au motif qu’il n’est pas en possession de documents valides, qu’il fait preuve d’un comportement agressif et qu’il ne dispose pas de moyens de subsistance propres ni d’un logement ou de moyens fournis par l’État membre à cette fin.

Signatures


Langue de procédure: le bulgare.

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