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Rapport de la Commission européenne du 24 avril 2009 sur l’application du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale - COM/2009/0174 final

 

Rapport de la Commission européenne du 24 avril 2009 sur l’application du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale

 

COM/2009/0174 final


1. INTRODUCTION

 

1.1. Contexte

 

Le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale («Bruxelles I») [1] , ci-après «le règlement», est le fondement de la coopération judiciaire européenne en matière civile et commerciale. Il fixe des règles uniformes pour résoudre les conflits de compétence et faciliter la libre circulation des décisions, des transactions judiciaires et des actes authentiques dans l’Union européenne. Il a remplacé la convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, modifiée par plusieurs conventions lors de l’adhésion de nouveaux États membres à ladite convention (ci-après la «convention de Bruxelles»)[2].

La Communauté européenne et le Danemark ont conclu un accord concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale qui assure l’application des dispositions du règlement au Danemark à compter du 1er juillet 2007[3]. La convention de Lugano de 1988 sur le même sujet lie les États membres, y compris le Danemark, d’une part, et l’Islande, la Norvège et la Suisse, d’autre part[4]. Cette dernière convention sera prochainement remplacée par une convention conclue par la Communauté, le Danemark et les États susmentionnés[5].

 

1.2. Le présent rapport

 

Le présent rapport a été élaboré conformément à l’article 73 du règlement, sur la base d’une étude générale commandée par la Commission au sujet de l’application pratique du règlement[6]. En outre, la Commission a demandé une étude visant à analyser les règles de compétence nationales existantes qui s’appliquent dans les cas où le défendeur n’est pas domicilié dans un État membre («compétence subsidiaire»)[7]. Elle a également commandé une étude[8] pour évaluer l’incidence d’une éventuelle ratification, par la Communauté, de la convention de La Haye sur les accords d’élection de for[9]. Le présent rapport a également tenu compte d’une étude sur l'exécution des décisions judiciaires dans l'Union européenne, commandée par la Commission en 2004[10]. Enfin, au cours de l'année 2005, le Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale a fourni des informations sur l’application pratique du règlement sur la base d’un questionnaire élaboré par la Commission.

L’objectif du présent rapport est de présenter au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen une évaluation de l’application du règlement. Il est accompagné d’un livre vert qui contient des pistes possibles en ce qui concerne les points soulevés. Les deux documents servent de base à une consultation publique sur le fonctionnement du règlement.

 

2. L’APPLICATION DU RÈGLEMENT EN GÉNÉRAL

 

2.1. Données statistiques concernant l’application du règlement

 

Dans la plupart des États membres, il n'existe pas de collecte systématique de données statistiques concernant l'application du règlement. Il a toutefois été possible de rassembler certaines données à partir des bases de données centrales des ministères de la justice de certains États membres, de contacts directs avec les juridictions des États membres, d’entretiens avec d'autres parties prenantes, de bases de données commerciales et universitaires et de publications de doctrine juridique.

Une distinction doit être établie entre les règles de compétence, d’une part, et les règles applicables à la reconnaissance et à l’exécution des décisions, d’autre part. En général, le règlement est principalement appliqué dans les centres économiques et les régions frontalières. Les règles de compétence sont généralement appliquées dans un nombre relativement restreint d’affaires, compris entre moins de 1 % pour l'ensemble des affaires civiles et 16 % dans les régions frontalières[11]. Les règles concernant la reconnaissance et l’exécution sont appliquées plus fréquemment mais il n’a pas été possible d’obtenir des informations complètes sur le nombre de déclarations constatant la force exécutoire prononcées par les juridictions. Les chiffres peuvent aller d’un niveau très faible (par exemple 10 déclarations en 2004 au Portugal) à un niveau plus élevé (par exemple 420 déclarations en 2004 au Luxembourg) avec de nouveau un point culminant dans les régions frontalières (par exemple 301 déclarations dans les juridictions du Landgericht Traunstein en Allemagne, situé près de la frontière autrichienne).

 

2.2. Évaluation générale du règlement

 

En général, le règlement est considéré comme un instrument hautement performant, qui a facilité les procès transfrontaliers au moyen d’un système efficace de coopération judiciaire reposant sur des règles de compétence complètes, une coordination des procédures parallèles et la circulation des décisions. Le système de coopération judiciaire établi par le règlement s’est adapté avec succès à l’évolution de l’environnement institutionnel (de la coopération intergouvernementale à un instrument d’intégration européenne) et aux nouveaux défis de la vie commerciale moderne. En tant que tel, il est très apprécié des praticiens.

Cette satisfaction générale quant au fonctionnement du règlement n’exclut pas pour autant de possibles améliorations.

 

3. ÉVALUATION SPÉCIFIQUE DE CERTAINS POINTS DU RÈGLEMENT

 

3.1. La suppression de l’exequatur

 

Conformément au mandat politique donné par le Conseil européen dans les programmes de Tampere (1999) et de La Haye (2004)[12], le principal objectif de la révision du règlement doit être la suppression de la procédure d’exequatur dans tous les domaines couverts par le règlement.

En ce qui concerne la procédure d’exequatur existante, l’étude générale montre que, lorsque la demande est complète, la procédure en première instance devant les juridictions des États membres tend à durer, en moyenne, de 7 jours à 4 mois. Toutefois, lorsque la demande est incomplète, la procédure est plus longue. Les demandes sont souvent incomplètes et les autorités judiciaires demandent des informations complémentaires, en particulier des traductions. Il est accédé à la plupart des demandes de déclaration constatant la force exécutoire (entre 90 % et 100 %). Seulement 1 à 5 % des décisions font l’objet d’un recours. Ce dernier peut durer entre un mois et trois ans, en fonction des habitudes procédurales des États membres et de la charge de travail des tribunaux.

Dans les cas où la déclaration constatant la force exécutoire est contestée, le motif du refus de la reconnaissance et de l’exécution le plus fréquemment invoqué est l’absence de signification ou de notification correcte conformément à l’article 34, paragraphe 2. L’étude générale révèle toutefois que de telles contestations connaissent rarement une issue favorable aujourd'hui[13]. Quant à l’ordre public, l’étude montre que ce motif est fréquemment invoqué mais rarement accepté. Lorsqu’il est admis, c’est généralement dans des cas exceptionnels dans le but de préserver les droits procéduraux du défendeur[14]. Il semble extrêmement rare, en matière civile et commerciale, que les juridictions appliquent l’exception d’ordre public à la décision sur le fond prononcée par la juridiction étrangère. Les autres motifs de refus sont rarement invoqués. L’incompatibilité entre des décisions est, dans une large mesure, évitée, du moins à l'échelle européenne, par l'application des dispositions du règlement sur la litispendance et la connexité. Quant au contrôle de certaines règles de compétence, il y a lieu d’examiner s’il est toujours compatible avec l'interdiction du contrôle de la compétence d'une juridiction étrangère; en outre, l'importance pratique de la règle est limitée en ce sens que la juridiction est en tout état de cause liée par les constatations de fait auxquelles la juridiction d’origine a procédé.

 

3.2. Le fonctionnement du règlement dans l’ordre juridique international

 

En tant que successeur de la convention de Bruxelles, le règlement se place du point de vue du défendeur dans la procédure judiciaire. Dans cette perspective, la plupart des règles de compétence du règlement ne s’appliquent que lorsque le défendeur est domicilié dans un État membre. Si tel n’est pas le cas, le règlement renvoie à la loi nationale («compétence subsidiaire»), sauf lorsque les juridictions d'un État membre ont compétence exclusive, conformément aux articles 22 ou 23 du règlement, ou dans certains types de litiges concernant des matières spécifiques (par exemple les marques communautaires)[15].

Le fonctionnement du règlement dans l’ordre juridique international a fait l’objet de plusieurs questions préjudicielles adressées à la Cour de justice des Communautés européennes. Dans l’affaire 412/98 (Josi), la Cour a précisé que les règles de compétence du règlement (anciennement la convention) s’appliquent à un litige entre un défendeur domicilié dans un État membre et un demandeur domicilié dans un pays tiers. En conséquence, les défendeurs domiciliés dans les États membres peuvent invoquer la protection conférée par le règlement dans des litiges impliquant des parties domiciliées dans des pays tiers. Dans l’affaire C-281/02 (Owusu), la Cour a constaté que les dispositions du règlement, en particulier la règle fondamentale de compétence des juridictions du domicile du défendeur, présentent un caractère impératif et que leur application ne saurait être écartée sur la base de la législation nationale. Tel est le cas, non seulement en ce qui concerne d’autres États membres, mais aussi lorsque le litige se rattache à un pays tiers et ne présente aucun autre lien de rattachement avec d’autres États membres. Enfin, le fonctionnement du règlement vis-à-vis des pays tiers a été analysé par la Cour dans son avis 1/03 dans lequel elle a estimé en particulier que les règles de compétence du règlement s'appliquent lorsque le défendeur est domicilié dans un État membre dans les affaires où les critères de rattachement relatifs à la compétence exclusive au titre des articles 22 et 23 du règlement se trouvent dans un pays tiers (absence de ce qui est appelé « effet réflexe »).

L’absence de règles harmonisées en matière de compétence subsidiaire entraîne un accès inégal des citoyens de la Communauté à la justice. L’étude sur la compétence résiduelle montre que c’est particulièrement le cas lorsqu'une partie ne pourrait bénéficier d'un procès équitable ou d’une protection suffisante devant les juridictions de pays tiers. L’étude montre également que l’absence de règles communes déterminant la compétence vis-à-vis de défendeurs de pays tiers risque de compromettre l'application de la législation communautaire obligatoire, notamment en ce qui concerne la protection des consommateurs (par exemple le logement en multipropriété), les agents commerciaux, la protection des données ou la responsabilité du fait des produits. Dans les États membres où il n’existe aucune protection juridictionnelle supplémentaire, les consommateurs ne peuvent pas engager de procédures contre des défendeurs de pays tiers. Il en va de même, par exemple, pour les salariés, les agents commerciaux, les victimes d’infractions au droit de la concurrence ou de préjudices liés à la responsabilité du fait des produits et les particuliers qui entendent se prévaloir des droits conférés par la législation communautaire sur la protection des données. Dans tous ces domaines, où il existe une législation communautaire contraignante, les demandeurs communautaires peuvent être privés de la protection qui leur est octroyée par les règles communautaires.

En outre, l’absence de règles communes sur l’effet dans la Communauté de décisions prononcées dans des pays tiers peut, dans certains États membres, conduire à des situations dans lesquelles ces décisions sont reconnues et exécutées même lorsqu’elles enfreignent la législation communautaire contraignante ou que le droit communautaire prévoit la compétence exclusive des juridictions des États membres.

Enfin, l’étude sur la compétence résiduelle montre que l’absence de règles harmonisées déterminant les cas dans lesquels les juridictions des États membres peuvent décliner leur compétence sur la base du règlement au profit des juridictions de pays tiers est source de beaucoup de confusion et d’incertitude.

 

3.3. L’élection de for

 

La loi applicable aux accords d’élection de for. Si l’article 23 du règlement, tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes, fixe dans le détail les conditions de validité des accords d'élection de for, il existe des incertitudes quant au caractère exhaustif de ces conditions. L’étude montre que dans certains cas, outre les conditions uniformes établies par le règlement, le consentement entre les parties est soumis, à titre résiduel, au droit national, déterminé par référence soit à la lex fori soit à la lex causae . Cela entraîne des conséquences indésirables en ce sens qu’un accord d’élection de for peut être considéré comme valable dans un État membre et non valable dans un autre.

Élection de for et litispendance. Des préoccupations ont été exprimées au sujet du fait que le règlement ne protègerait pas suffisamment les accords exclusifs d'élection de for. Ces inquiétudes résultent de la possibilité qu’une partie à un tel accord saisisse les tribunaux d'un État membre en violation de l’accord d'élection de for et entrave ainsi la procédure devant la juridiction choisie, dans la mesure où celle-ci fait suite à la première action. Dans l’affaire C-116/02 (Gasser), la Cour de justice des Communautés européennes a confirmé que la règle de litispendance du règlement fait obligation à la juridiction saisie en second lieu de surseoir à statuer tant que la première saisie n’a pas établi ou décliné sa compétence. Dans l’affaire C-159/02 (Turner), la Cour a confirmé en outre que les mécanismes procéduraux prévus par le droit national et permettant de renforcer l’effet d'accords d’élection de for (tels que les «anti-suit injunctions» ) sont incompatibles avec le règlement s’ils entravent la détermination par les juridictions d’autres États membres de leur compétence en vertu du règlement.

Les procédures parallèles qui en résultent peuvent conduire à des retards qui nuisent au bon fonctionnement du marché intérieur. Dans certains cas, une partie peut exploiter ces retards pour contrarier efficacement un accord valable d’élection de for, se procurant ainsi un avantage commercial indu[16]. Des procédures parallèles engendrent également des coûts supplémentaires et des incertitudes. Par ailleurs, on a observé que, lors de transactions de prêt aux entreprises, les prêteurs avaient tendance à saisir la justice prématurément pour s’assurer de la compétence de la juridiction désignée dans l’accord, avec les conséquences négatives qu’une telle action peut avoir en termes de déclenchement de clauses de défaut et de défaut croisé dans les accords de prêt. Ces situations sont particulièrement mal acceptées dans des circonstances spécifiques, par exemple lorsque la première action se limite à obtenir une décision déclaratoire négative, ce qui a pour effet de bloquer entièrement la procédure au fond.

La convention de La Haye sur les accords d’élection de for. La Commission a proposé de signer la convention sur les accords d’élection de for conclue le 30 juin 2005 sous les auspices de la Conférence de La Haye de droit international privé[17]. La convention s’appliquera à toutes les affaires dans lesquelles au moins une des parties réside dans un État contractant autre qu’un État membre de l’Union européenne, alors que le règlement s’applique lorsqu’au moins une des parties est domiciliée dans un État membre. Il faut donc assurer une application cohérente des règles de la convention et du règlement. La principale question est de savoir s’il est opportun de maintenir deux régimes juridiques différents, même en coordonnant les compétences entre les juridictions des États membres, selon que l’une des parties est domiciliée ou non dans un pays tiers[18]. En ce qui concerne la question de procédures parallèles, la convention ne prévoit aucune règle directe en matière de litispendance; la juridiction désignée par l'accord peut poursuivre le procès, nonobstant la procédure parallèle engagée ailleurs. Toute autre juridiction doit suspendre la procédure ou se déclarer incompétente sauf dans un nombre restreint de cas définis par la convention.

 

3.4. Propriété industrielle

 

L’application des dispositions du règlement en matière de propriété industrielle soulève des difficultés tant pour le titulaire de ces droits que pour ceux qui entendent les contester. La première concerne le fonctionnement de la règle de litispendance. Le contentieux en matière de propriété industrielle est l'un des domaines dans lesquels des parties ont cherché à anticiper l'exercice de la compétence d'une juridiction en engageant une procédure devant une autre juridiction qui est généralement, mais pas toujours, incompétente, de préférence dans un État où la procédure pour statuer sur la compétence et/ou sur le fond, est lente. De tels stratagèmes («torpillage») peuvent être particulièrement abusifs si la première procédure vise à obtenir une déclaration de non-responsabilité, empêchant ainsi efficacement l’autre partie d’engager la procédure au fond devant une juridiction compétente. Ils peuvent même conduire à l’impossibilité d’introduire une demande de dommages et intérêts: par exemple, lorsqu’une juridiction saisie d’une action en contrefaçon décline sa compétence à cause de l’introduction antérieure d’une action tendant à obtenir une décision déclaratoire dans un autre État membre, il se peut que la procédure en contrefaçon ne puisse être poursuivie et que les juridictions saisies de la demande en constatation n'aient pas compétence pour se prononcer sur l’action en contrefaçon.

Le torpillage est utilisé non seulement en ce qui concerne la décision déclaratoire, mais également dans le cadre de demandes reconventionnelles fondées sur l’invalidité d’un droit de propriété industrielle, tel qu’un brevet, formées dans des actions en contrefaçon. Les défendeurs dans une action en contrefaçon peuvent geler efficacement cette procédure en invoquant comme moyen de défense l'invalidité alléguée du brevet[19]. Comme la procédure concernant la validité d’un brevet doit être engagée devant les juridictions de l’État membre dans lequel le brevet a été enregistré, la juridiction saisie de l'action en contrefaçon est contrainte de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de l’action relative à la validité du brevet. Cela peut entraîner des retards importants, notamment lorsque le défendeur n’engage pas (rapidement) de procédure concernant la validité. En outre, les États membres n’offrent pas tous à la victime d’une violation d’un droit de propriété industrielle la possibilité d'intenter une action tendant à obtenir une décision déclaratoire positive concernant la validité.

Une autre difficulté signalée dans le cadre des litiges en matière de brevets est l’impossibilité d’engager une procédure unique contre plusieurs contrevenants à un brevet européen lorsqu’ils appartiennent à un groupe de sociétés et agissent conformément à une politique coordonnée[20]. L’obligation d’engager une action dans chacun des pays concernés engendrerait des coûts élevés pour les victimes et nuirait au traitement efficace des demandes.

 

3.5. Litispendance et connexité

 

L’application des dispositions du règlement relatives à la litispendance et à la connexité a également soulevé des inquiétudes dans certains autres cas.

En ce qui concerne la compétence exclusive en vertu de l’article 22 du règlement, l’étude ne révèle aucun besoin pratique immédiat d’exceptions à la règle de priorité. L’usage du torpillage a cependant été signalé dans d’autres secteurs spécifiques, tels que le crédit aux entreprises ou les affaires de concurrence. Il convient par conséquent d’examiner s’il est nécessaire d’améliorer globalement la règle de litispendance existante afin d’empêcher les tactiques procédurales abusives et d’assurer une bonne administration de la justice dans la Communauté.

En ce qui concerne la règle relative à la connexité, l’exigence voulant que les deux actions soient pendantes devant les tribunaux et le renvoi au droit national pour les conditions de jonction d’actions connexes empêchent un regroupement efficace des procédures au niveau communautaire. Il n’est actuellement pas possible de joindre des actions sur la base du règlement, notamment les actions d’une pluralité de demandeurs contre un même défendeur, devant les juridictions d'un même État membre[21]. Or, une telle jonction est souvent nécessaire, par exemple aux fins d’actions collectives intentées par des consommateurs et de recours en indemnité pour infraction aux règles de concurrence communautaires[22]. En outre, le dessaisissement de la juridiction saisie en second lieu, conformément à l’article 28, paragraphe 2, peut conduire à un conflit de compétence négatif (temporaire) si le tribunal premier saisi ne se déclare pas compétent pour connaître de la demande.

L’une des principales nouveautés du règlement est qu’il précise désormais le moment où la procédure est réputée pendante pour l’application des règles de litispendance et de connexité. Globalement, cette définition semble avoir fonctionné de manière satisfaisante. Certaines incertitudes sont cependant apparues au sujet de son interprétation qu’il pourrait être utile de clarifier, par exemple en ce qui concerne l’autorité chargée de la notification ou de la signification et la date et l’heure du dépôt auprès de la juridiction ou de réception par l’autorité chargée de la notification ou de la signification.

 

3.6. Mesures provisoires

 

La disparité des droits procéduraux nationaux rend encore difficile la libre circulation des mesures provisoires.

Une première difficulté se présente en ce qui concerne les mesures conservatoires ordonnées sans que le défendeur soit cité à comparaître et qui doivent être exécutées sans notification préalable à ce dernier. Dans l’affaire C-125/79 (Denilauler), la Cour de justice a jugé que de telles mesures sans que le défendeur soit entendu échappent au système de reconnaissance et d’exécution du règlement. Il n’est pas toutefois pas entièrement certain qu’elles ne puissent être reconnues et appliquées sur la base du règlement lorsque le défendeur a la possibilité de les contester par la suite.

Une deuxième difficulté se pose en ce qui concerne les ordonnances conservatoires visant à obtenir des informations et des preuves. Dans l’affaire C-104/03 (St. Paul Dairy), la Cour de justice à jugé qu’une mesure ordonnant l’audition d’un témoin pour permettre au demandeur d’évaluer l’opportunité d'intenter une action n’est pas couverte par la notion de mesures provisoires, ni même conservatoires. On ne sait pas exactement dans quelle mesure de telles ordonnances sont, en règle générale, exclues du champ d’application de l’article 31 du règlement. Il a été suggéré qu’un meilleur accès à la justice serait assuré si, pour de telles mesures, le règlement établissait la compétence des juridictions de l’État membre où se trouvent les informations ou les preuves recherchées, parallèlement à celle des juridictions compétentes pour connaître du fond. C’est particulièrement important en matière de propriété intellectuelle, où les preuves de l'infraction alléguée doivent être obtenues au moyen de mandats de perquisition, de «saisies contrefaçon» ou de «saisies description»,[23] ainsi que qu’en matière maritime.

D’autres difficultés ont été signalées en ce qui concerne l’application des conditions fixées par la Cour de justice dans les affaires C-391/95 (Van Uden) et C-99/96 (Mietz) pour l’octroi de mesures provisoires par une juridiction qui n’est pas compétente pour connaître du fond. En particulier, la façon dont il faut interpréter le «lien de rattachement réel entre l'objet de la mesure recherchée et la compétence territoriale» n’est pas claire. C’est le cas notamment lorsque la mesure vise à obtenir un paiement intermédiaire ou, plus généralement, lorsqu’elle ne concerne pas la saisie de biens.

Enfin, l'exigence d’une garantie de remboursement en cas de paiements intermédiaires a posé des difficultés d’interprétation et peut entraîner des coûts élevés s’il est jugé qu'un tel remboursement ne peut être assuré que par la fourniture de garanties bancaires par les demandeurs.

 

3.7. L’interface entre le règlement et l’arbitrage

 

L’arbitrage n’entre pas dans le champ d’application du règlement. Cette exclusion s’explique par le fait que la reconnaissance et l’exécution des accords d’arbitrage et des sentences arbitrales sont régies par la convention de New York de 1958, à laquelle tous les États membres sont parties. Malgré l’étendue du champ de l’exception, le règlement a été interprété dans certains cas de manière à inclure l’arbitrage et la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales. Les jugements incorporant une sentence arbitrale sont fréquemment (quoique pas toujours) reconnus et exécutés conformément au règlement. Des mesures provisoires portant sur le fond de la procédure d’arbitrage peuvent être octroyées sur le fondement de l’article 31 à condition que l’objet du litige entre dans le champ d’application du règlement[24].

L’étude révèle que l’interface entre le règlement et l’arbitrage pose des difficultés. En particulier, bien que le fonctionnement de la convention de New York de 1958 soit généralement jugé satisfaisant, il existe en parallèle une procédure judiciaire et une procédure d’arbitrage lorsque la validité de la clause d’arbitrage est confirmée par le tribunal d’arbitrage mais pas par la juridiction; les moyens procéduraux de droit national visant à renforcer l’efficacité des accords d’arbitrage (tels que les «anti-suit injunctions» ) sont incompatibles avec le règlement s’ils empêchent indûment les juridictions d’autres États membres d’établir leur compétence en vertu du règlement[25]; il n’y a pas d’attribution uniforme de la compétence pour les actions servant à la mise en œuvre d’une procédure d’arbitrage;[26] la reconnaissance et l’exécution de décisions rendues par les tribunaux en méconnaissance d’une clause d’arbitrage sont incertaines; la reconnaissance et l’exécution de décisions portant sur la validité d’une clause d’arbitrage ou l’annulation d’une sentence arbitrale sont incertaines; la reconnaissance et l’exécution de décisions incorporant une sentence arbitrale sont incertaines; et enfin, la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales, régies par la convention de New York, sont considérées comme moins rapides et moins efficaces que la reconnaissance et l’exécution de décisions.

 

3.8. Autres questions

 

Outre les principaux points examinés ci-dessus, les questions suivantes ont été soulevées.

 

3.8.1. Champ d’application

 

En ce qui concerne le champ d’application, aucun problème pratique important n’a été signalé hormis la question de l’arbitrage abordée ci-dessus. Les décisions interprétatives rendues par la Cour de justice fournissent des indications pertinentes pour l’interprétation de l’expression «en matière civile et commerciale» et les exclusions du champ d’application du règlement. L’étude générale révèle cependant des difficultés d’application pratique de l’article 71, qui concerne la relation entre le règlement et les conventions relatives à des matières particulières.

 

3.8.2. Autres questions ayant trait à la compétence

 

En ce qui concerne la notion de «domicile», le rapport montre qu’aucune difficulté ne se pose dans la pratique lorsque les juridictions appliquent leur notion nationale de «domicile» conformément à l’article 59, paragraphe 1, du règlement. Il est toutefois jugé difficile de déterminer selon la loi étrangère si une partie a un domicile dans un autre État membre (article 59, paragraphe 2).

Le fonctionnement de certaines règles de compétence pourrait être amélioré. À titre d’exemple, dans l’affaire C-462/06 (Glaxosmithkline), la Cour de justice a confirmé que l’article 6, paragraphe 1, n’est pas applicable dans le cadre de litiges en matière d’emploi. L’étude montre en outre qu’il est peut-être nécessaire de prévoir un motif de compétence non exclusive fondé sur le lieu où se situent les biens meubles. S’agissant de la compétence exclusive en matière de droits réels, l’étude signale le besoin d’une élection de for dans les contrats de location de bureaux et le la nécessité d’une certaine souplesse en ce qui concerne la location de résidences de vacances afin d’éviter des litiges dans un for éloigné pour toutes les parties. En ce qui concerne la compétence exclusive dans le domaine du droit des sociétés, des questions se posent quant à la portée de la règle de compétence exclusive et à l’absence de définition uniforme de la notion de «siège» d’une société, ce qui peut entraîner des conflits de compétence positifs et négatifs.

L’application non uniforme de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 11 portant sur les demandes en intervention conformément à l’article 65 pose également des difficultés. En particulier, les tiers ainsi que les parties attaquant un tiers en justice sont traités différemment selon les droits procéduraux nationaux des États membres. En outre, les juridictions ont du mal à apprécier l’effet des décisions rendues par les juridictions d’autres États membres suite à une mise en cause.

En matière maritime, des difficultés sont signalées en ce qui concerne la coordination des procédures visant à instituer un fonds de responsabilité et des actions individuelles en responsabilité. De même, le renvoi à la loi applicable au contrat de transport pour déterminer la force exécutoire d’une clause attributive de juridiction insérée dans un connaissement à l’égard du tiers porteur dudit connaissement[27]serait artificiel.

En matière de consommation, les types de contrats de crédit aux consommateurs couverts par l’article 15, paragraphe 1, points a) et b), du règlement ne correspondent plus à l’évolution du marché du crédit à la consommation, qui compte désormais de nombreux autres types de produits de crédit, comme le montre la directive 2008/48/CE relative aux contrats de crédit aux consommateurs[28].

Enfin, à la lumière des travaux en cours sur les recours collectifs au niveau communautaire, il se pose la question de l’opportunité d’élaborer des règles spécifiques de compétence pour ces actions spécifiques.

 

3.8.3. Autres questions ayant trait à la reconnaissance et l’exécution

 

Dans sa résolution du 18 décembre 2008, le Parlement européen a appelé la Commission à aborder la question de la libre circulation des actes authentiques[29]. L’étude générale signale également des difficultés dans la libre circulation des pénalités. Enfin, l’étude montre certains moyens permettant de limiter les coûts des procédures d’exécution.

 

[1] JO L 12 du 16.1.2001, p. 1.

[2] JO C 27 du 26.1.1998, p. 1.

[3] JO L 299 du 16.11.2005, p. 62.

[4] JO L 319 du 25.11.1988.

[5] JO L 339 du 21.12.2007, p. 1.

[6] L’étude, ci-après dénommée l’«étude générale» a été réalisée par le Prof. Dr. B. Hess, le Prof. Dr. T. Pfeiffer et le Prof. Dr. P. Schlosser. Elle est disponible à l’adresse

http://ec.europa.eu/justice_home/doc_centre/civil/studies/doc_civil_studies_en.htm.

[7] L’étude a été réalisée par le Prof. A. Nuyts. Elle est disponible à l’adresse

http://ec.europa.eu/justice_home/doc_centre/civil/studies/doc_civil_studies_en.htm.

[8] L’étude a été réalisée par GHK Consulting. Elle est disponible à l’adresse

http://ec.europa.eu/dgs/justice_home/evaluation/dg_coordination_evaluation_annexe_en.htm

[9] Voir la proposition de la Commission de signer la convention: COM(2008) 538 et SEC(2008) 2389 du 5.9.2008.

[10] «Study on making more efficient the enforcement of judicial decisions within the European Union: transparency of a debtor's assets, attachment of bank accounts, provisional enforcement and protective measures.» Cette étude a été réalisée par le Prof. dr. B. Hess et est disponible à l’adresse

http://ec.europa.eu/civiljustice/publications/docs/enforcement_judicial_decisions_180204_en.pdf

[11] Statistiques reposant sur des données recueillies principalement entre 2003 et 2005.

[12] Les conclusions du Conseil ont été mises en œuvre dans le programme de reconnaissance mutuelle en matière civile (JO C 12 du 15.1.2001) et le plan d’action mettant en œuvre le programme de La Haye - COM(2006) 331.

[13] C'est notamment le résultat de la suppression dans le règlement de l’exigence d’une signification ou notification régulière qui a réduit les possibilités d’abus de la part des défendeurs.

[14] Voir, par exemple, l’affaire C-7/98 (Krombach).

[15] Règlement (CE) n° 40/94 sur la marque communautaire (JO L 11 du 14.1.1994, p. 1).

[16] Il convient toutefois de noter l'absence de statistiques permettant d'établir si un tel comportement est fréquent.

[17] COM(2008) 538 du 5.9.2008.

[18] Une analyse approfondie des situations différentes découlant de la convention de La Haye et du règlement figure dans l’étude d’impact susmentionnée, notamment à l’annexe IV (cf. note de bas de page n° 8).

[19] Affaire C-315/01 (GAT).

[20] Affaire C-539/03 (Roche Nederland).

[21] Actuellement, l’article 6, paragraphe 1, autorise uniquement le regroupement d’actions engagées contre plusieurs défendeurs.

[22] Voir le livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs - COM(2008) 794 du 27.11.2008 - et le livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante - COM(2008) 165 du 2.4.2008.

[23] Voir à ce sujet les articles 7 et 9 de la directive 2004/48/CE.

[24] Affaire C-391/95 (Van Uden).

[25] Voir l’affaire C-185/07 (West Tankers).

[26] Voir l’affaire C-190/89 (Marc Rich). À titre d’exemple, il peut s’agir de procédures pour la désignation ou la récusation d’un arbitre, la détermination du siège de l’arbitrage, l’extension des délais ou la désignation d’un expert judiciaire pour la protection des preuves.

[27] Voir l’affaire C-387/98 (Coreck Maritime).

[28] Directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO L 133 du 22.05.2008, p. 66).

[29] Voir la résolution du Parlement européen du 18 décembre 2008 contenant des recommandations à la Commission sur l’acte authentique européen, consultable à l’adressehttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2008-0636+0+DOC+XML+V0//FR.

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