ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
12 avril 2016 (*)
«Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE-Turquie – Décision nº 1/80 – Article 13 – Clause de ‘standstill’ – Regroupement familial – Réglementation nationale prévoyant de nouvelles conditions plus restrictives en matière de regroupement familial pour des membres de famille n’étant pas économiquement actifs de ressortissants turcs économiquement actifs demeurant et détenant un droit de séjour dans l’État membre en question – Condition d’ancrage suffisant pour permettre une intégration réussie»
Dans l’affaire C‑561/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), par décision du 3 décembre 2014, parvenue à la Cour le 5 décembre 2014, dans la procédure
Caner Genc
contre
Integrationsministeriet,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, F. Biltgen, C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Borg Barthet, J. Malenovský, E. Levits, Mme K. Jürimäe, M. M. Vilaras, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. T. Millett, greffier adjoint,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 octobre 2015,
considérant les observations présentées:
– pour M. Genc, par Me T. Ryhl, advokat,
– pour le gouvernement danois, par M. C. Thorning, en qualité d’agent, assisté de Me R. Holdgaard, advokat,
– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mmes M. Clausen et C. Tufvesson, ainsi que par MM. D. Martin et F. Erlbacher, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 janvier 2016,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 de la décision nº 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la «décision nº 1/80»), et jointe à l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’«accord d’association»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Genc à l’Integrationsministeriet (ministère de l’Intégration) au sujet du rejet par ce dernier de sa demande de délivrance d’un permis de séjour au Danemark au titre du regroupement familial.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord d’association
3 Il résulte de l’article 2, paragraphe 1, de l’accord d’association que celui-ci a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc.
4 Aux termes de l’article 12 de l’accord d’association, «les Parties contractantes conviennent de s’inspirer des articles [39 CE], [40 CE] et [41 CE] pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles» et, aux termes de l’article 13 de cet accord, ces parties «conviennent de s’inspirer des articles [43 CE] à [46 CE] inclus et [48 CE] pour éliminer entre elles les restrictions à la liberté d’établissement».
La décision nº 1/80
5 L’article 13 de la décision nº 1/80 dispose:
«Les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi.»
6 Aux termes de l’article 14 de la décision nº 1/80:
«1. Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.
2. Elles ne portent pas atteinte aux droits et obligations découlant des législations nationales ou des accords bilatéraux existant entre la Turquie et les États membres de la Communauté, dans la mesure où ils prévoient, en faveur de leurs ressortissants, un régime plus favorable.»
Le protocole additionnel
7 Le protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) nº 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1, ci-après le «protocole additionnel»), fait partie intégrante de l’accord d’association, ainsi qu’il ressort de son article 62.
8 L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel énonce:
«Les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.»
Le droit danois
9 La loi sur les étrangers (Udlændingeloven), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après la «loi danoise sur les étrangers»), prévoit, à son article 9, paragraphe 1, point 2, sous d), qu’il peut être délivré, sur demande, un titre de séjour à un enfant mineur âgé de moins de 15 ans, non marié, d’une personne résidant au Danemark ou de son conjoint si cet enfant habite chez le titulaire de la garde légale et ne forme pas une famille indépendante en raison d’une relation stable, et lorsque la personne résidant au Danemark dispose d’un titre de séjour pour une durée indéterminée ou bien d’un titre de séjour avec possibilité de séjour permanent.
10 L’article 9, paragraphe 13, de la loi danoise sur les étrangers, qui a été introduit par la loi nº 427, du 9 juin 2004, relative à la modification de la loi danoise sur les étrangers et de la loi sur l’intégration, dispose:
«Le titre de séjour en vertu du paragraphe 1, point 2 [de l’article 9 de cette loi] ne peut être délivré, dans le cas où le demandeur et l’un de ses parents résident dans le pays d’origine ou dans un autre pays, que si le demandeur a ou peut avoir un ancrage suffisant au Danemark pour permettre une intégration réussie. Cela ne s’applique pas toutefois si la demande est présentée dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la personne résidant sur le territoire danois a rempli les conditions prévues à l’article 9, paragraphe 1, point 2, [de ladite loi], ou si des motifs très spécifiques, notamment l’unité familiale, plaident en sens contraire.»
11 Les travaux préparatoires de l’article 9, paragraphe 13, de la loi danoise sur les étrangers mentionnent que l’objectif de cette disposition est d’empêcher que les parents choisissent à dessein de laisser leur enfant dans l’État d’origine avec l’un de ses deux parents jusqu’à ce qu’il ait presque atteint l’âge adulte, bien que cet enfant eût pu obtenir un titre de séjour au Danemark à une date antérieure, de manière à ce qu’il reçoive une éducation conforme à la culture de l’État d’origine et ne soit pas imprégné dans son enfance des normes et des valeurs danoises.
12 Il ressort de la décision de renvoi que, selon la pratique décrite à la note du ministère de l’Intégration du 2 juillet 2007, la capacité de l’enfant mineur à parvenir à une intégration réussie relève d’une appréciation discrétionnaire dans le cadre de laquelle il est tenu particulièrement compte de paramètres tels que la durée et le caractère du séjour de l’enfant concerné dans les États respectifs et, notamment, l’éventuel séjour antérieur de cet enfant au Danemark, l’État dans lequel celui-ci a passé la majeure partie de son enfance et de son adolescence, l’endroit où il est allé à l’école, le point de savoir si l’enfant concerné parle la langue danoise, s’il parle la langue de l’État d’origine et si cet enfant a été imprégné durant son enfance des valeurs et des normes danoises à un degré suffisant pour qu’il existe ou qu’il puisse exister un ancrage suffisant au Danemark lui permettant une intégration réussie dans cet État membre. En outre, il est accordé, en rapport avec les autres éléments, une certaine importance au point de savoir si celui des parents qui réside au Danemark est bien intégré et présente un lien étroit avec la société danoise.
13 Il ressort également de la décision de renvoi qu’il existe, dans certains cas exceptionnels, des motifs très spécifiques en vertu desquels la condition d’existence d’un ancrage suffisant dans l’État membre concerné permettant une bonne intégration n’est pas requise. Tel est, notamment, le cas où le refus du regroupement familial serait contraire aux engagements internationaux du Royaume de Danemark ou à l’intérêt supérieur de l’enfant concerné au sens de la convention de New York sur les droits de l’enfant, signée le 20 novembre 1989 et ratifiée par tous les États membres, ou bien lorsque, en raison d’une maladie ou d’un handicap graves, il serait indéfendable, sur le plan humanitaire, de renvoyer le parent résidant au Danemark dans un État qui n’offre pas de possibilité d’accueil et de traitement, ou lorsque le parent qui réside dans l’État d’origine est incapable de prendre soin de l’enfant en cause.
14 La juridiction de renvoi précise que l’article 9, paragraphe 13, de la loi danoise sur les étrangers ne s’applique qu’aux demandes de regroupement familial entre ressortissants d’États tiers résidant au Danemark et les membres de leur famille, et que, à la date où la décision nº 1/80 est entrée en vigueur, aucune règle telle que celle de l’article 9, paragraphe 13, de la loi danoise sur les étrangers ne s’appliquait.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 M. Genc, requérant au principal, est un ressortissant turc né le 17 août 1991. Son père, qui est également ressortissant turc, est venu au Danemark le 14 décembre 1997 et dispose, depuis le 21 avril 2001, d’un titre de séjour dans cet État membre pour une durée indéterminée.
16 Les parents de M. Genc ont divorcé en vertu d’un jugement du 30 décembre 1997 rendu par le tribunal d’Haymana (Turquie). Bien que le père du requérant au principal ait obtenu la garde légale tant de M. Genc que des deux frères aînés de ce dernier, après le divorce, le requérant au principal a continué de vivre en Turquie chez ses grands-parents.
17 Les deux frères aînés de M. Genc bénéficient d’un titre de séjour au Danemark depuis le mois de mai 2003.
18 Le 5 janvier 2005, le requérant au principal a sollicité pour la première fois un titre de séjour au Danemark. À cette date, son père était un travailleur salarié dans cet État membre.
19 Le 15 août 2006, l’office danois des migrations (Udlændingeservice) a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. Genc, sur le fondement de l’article 9, paragraphe 13, de la loi danoise sur les étrangers, au motif que l’intéressé n’avait pas ou ne pouvait pas avoir un ancrage suffisant au Danemark pour lui permettre une intégration réussie dans cet État membre. Cette décision a été confirmée par le ministère de l’Intégration le 18 décembre 2006.
20 En particulier, dans sa décision du 18 décembre 2006, le ministère de l’Intégration, en tenant compte notamment du fait que M. Genc est né en Turquie où il a passé toute son enfance et y a reçu une éducation jusqu’à cette date, qu’il n’est jamais venu au Danemark, qu’il parle uniquement la langue turque, qu’il ne présente aucun élément de rattachement d’aucune sorte à la société danoise et que son père n’a vu ce dernier qu’à deux reprises au cours des deux dernières années, a conclu que le requérant au principal n’a pas été imprégné durant sa jeunesse des valeurs et des normes danoises à un degré tel qu’il a ou peut avoir un ancrage suffisant au Danemark pour lui permettre une intégration réussie.
21 De même, le ministère de l’Intégration a estimé que le père de M. Genc ne pouvait pas non plus être considéré comme étant si bien intégré et comme ayant lui-même un ancrage suffisamment important dans la société danoise permettant d’aboutir au regard du requérant au principal à une conclusion différente de celle énoncée au point précédent.
22 Enfin, le ministère de l’Intégration a relevé qu’il n’existe aucun motif spécifique, notamment l’unité familiale, qui plaide en faveur de la délivrance d’un titre de séjour à M. Genc, nonobstant le fait que celui-ci n’ait pas ou ne puisse pas avoir un ancrage suffisant au Danemark pour lui permettre une intégration réussie, et qu’il n’existe pas non plus d’obstacles majeurs à la possibilité pour le père du requérant au principal de se rendre en Turquie afin de pouvoir poursuivre une vie familiale avec ce dernier, ou bien de poursuivre une vie familiale dans les mêmes conditions que celles ayant suivi son entrée volontaire au Danemark au cours de l’année 1997.
23 Le 17 septembre 2007, le ministère de l’Intégration a refusé de réexaminer la demande de titre de séjour présentée par M. Genc.
24 Le requérant au principal a saisi le Glostrup Ret (tribunal de Glostrup, Danemark) qui, par un jugement du 9 décembre 2011, a confirmé la décision du ministère de l’Intégration de refuser le titre de séjour sollicité.
25 M. Genc a fait appel de ce jugement devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark).
26 L’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) relève que, dans l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066), la Cour a admis que la clause de «standstill» concernant la liberté d’établissement, prévue à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, doit être interprétée en ce sens qu’elle fait obstacle à l’introduction par un État membre de nouvelles restrictions quant à la possibilité d’obtenir le regroupement familial avec un conjoint originaire de Turquie.
27 Toutefois, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) émet, tout d’abord, des doutes sur la conformité dudit arrêt tant à la jurisprudence antérieure de la Cour sur les clauses de «standstill» qu’au contexte historique et à la finalité de l’accord d’association.
28 Ensuite, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le principe juridique qui ressort de l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066) au regard de la clause de «standstill» visée à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel s’applique également en ce qui concerne la disposition figurant à l’article 13 de la décision nº 1/80, compte tenu de la rédaction différente de ces dispositions.
29 Enfin, ladite juridiction, en partant du constat que, dans les arrêts Demir (C‑225/12, EU:C:2013:725) et Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066), la Cour a jugé que de nouvelles restrictions relevant d’une clause de «standstill» peuvent être admises si la restriction est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, s’interroge sur la conformité d’une telle interprétation au regard de l’arrêt Dereci e.a. (C‑256/11, EU:C:2011:734), ainsi que sur le point de savoir quelles sont les orientations selon lesquelles il convient de procéder au test de restriction et à l’évaluation de la proportionnalité.
30 C’est dans ce contexte que l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de sursoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La règle de ‘standstill’ contenue à l’article 13 de la décision nº 1/80 et/ou la règle de ‘standstill’ figurant à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel doivent-elles être interprétées en ce sens que de nouvelles conditions restrictives d’accès au regroupement familial des membres de la famille qui ne sont pas économiquement actifs, notamment les enfants mineurs, de citoyens turcs qui sont économiquement actifs et qui résident et disposent d’un titre de séjour dans un État membre, relèvent de l’obligation de ‘standstill’ eu égard à:
a) l’interprétation faite par la Cour des règles de ‘standstill’ dans les arrêts Derin (C‑325/05, EU:C:2007:442), Ziebell (C‑371/08, EU:C:2011:809), Dülger (C‑451/11, EU:C:2012:504), ainsi que Demirkan (C‑221/11, EU:C:2013:583),
b) l’objectif et le contenu de l’accord d’association tels qu’ils ont été interprétés dans les arrêts Ziebell (C‑371/08, EU:C:2011:809) et Demirkan (C‑221/11, EU:C:2013:583), et aussi compte tenu de:
– la circonstance que l’accord d’association et les protocoles et les décisions y afférents ne comportent pas de dispositions sur le regroupement familial, et
– la circonstance que le regroupement familial dans ce qui était alors la Communauté européenne et désormais l’Union européenne a toujours été réglementé dans des actes de droit dérivé, actuellement la directive 2004/38/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77)]?
2) Dans la réponse à la première question, il est demandé à la Cour d’indiquer si un éventuel droit dérivé au regroupement familial des membres de la famille de citoyens turcs économiquement actifs qui disposent d’un titre de séjour et résident dans un État membre vaut pour les membres de la famille des travailleurs turcs au sens de l’article 13 de la décision nº 1/80 ou s’il s’applique uniquement aux membres de la famille de travailleurs non salariés turcs au sens de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel?
3) En cas de réponse affirmative aux première et deuxième questions, il est demandé à la Cour d’indiquer si la règle de ‘standstill’ contenue à l’article 13, paragraphe 1, de la décision nº 1/80 doit être interprétée en ce sens que de nouvelles restrictions ‘justifiée[s] par une raison impérieuse d’intérêt général, [...] propre[s] à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et [qui ne vont] pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre’ (au-delà de ce qu’indique l’article 14 de la décision nº 1/80) sont licites?
4) En cas de réponse affirmative à la troisième question, il est notamment demandé à la Cour d’indiquer:
a) selon quelles orientations il convient de procéder au test de restriction et à l’évaluation de la proportionnalité. Il est demandé à la Cour d’indiquer s’il convient de suivre les mêmes principes que ceux dégagés par la Cour dans sa jurisprudence sur le regroupement familial dans le cadre de la libre circulation des citoyens de l’Union qui s’appuie sur la directive 2004/38 et les dispositions du traité TFUE, ou bien s’il y a lieu de procéder à une appréciation différente?
b) dans le cas où il convient de procéder à une appréciation différente de celle qui résulte de la jurisprudence de la Cour sur le regroupement familial dans le cadre de la libre circulation des citoyens de l’Union, il est demandé à la Cour d’indiquer s’il y a lieu de se référer à l’appréciation de la proportionnalité réalisée dans le cadre de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, sur le droit au respect de la vie familiale dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – et si tel n’est pas le cas, quels sont les principes qui s’appliquent?
c) nonobstant la méthode d’évaluation à appliquer: une règle telle que celle de l’article 9, paragraphe 16, de la loi danoise sur les étrangers, telle que modifiée (auparavant article 9, paragraphe 13) – selon laquelle le regroupement familial entre une personne qui est citoyenne d’un pays tiers et qui dispose d’un titre de séjour et réside au Danemark et son enfant mineur est soumis, dans des cas où l’enfant et son autre parent résident dans le pays d’origine ou dans un autre pays, à la condition que l’enfant présente ou puisse présenter un ancrage au Danemark suffisant pour permettre une intégration réussie dans le pays – peut-elle être considérée comme ‘justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, [...] propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et [qui ne va] pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre’?»
31 Par lettre déposée au greffe de la Cour le 30 mars 2015, le gouvernement danois a, en vertu de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, demandé que la Cour siège en grande chambre.
Sur les questions préjudicielles
32 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, subordonnant le regroupement familial entre un travailleur turc résidant légalement dans l’État membre concerné et son enfant mineur à la condition que ce dernier présente ou puisse présenter un ancrage suffisant dans cet État membre pour lui permettre une intégration réussie, lorsque l’enfant concerné et son autre parent résident dans l’État d’origine ou dans un autre État, et, que la demande de regroupement familial est introduite après un délai de deux ans à compter de la date à laquelle le parent résidant dans l’État membre concerné a obtenu un titre de séjour pour une durée indéterminée ou bien un titre de séjour avec possibilité de séjour permanent, constitue une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de la décision nº 1/80 et/ou de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et, dans l’affirmative, si une telle restriction peut être toutefois justifiée.
33 Il est de jurisprudence constante que les clauses de «standstill» énoncées à l’article 13 de la décision nº 1/80 et à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel prohibent de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure interne qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc d’une liberté économique sur le territoire de l’État membre concerné à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables à la date d’entrée en vigueur de ladite décision ou dudit protocole à l’égard de cet État membre (voir, en ce sens, arrêts Savas, C‑37/98, EU:C:2000:224, point 69, ainsi que Sahin, C‑242/06, EU:C:2009:554, point 63 et jurisprudence citée).
34 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la disposition nationale en cause au principal, à savoir l’article 9, paragraphe 13, de la loi danoise sur les étrangers, a été introduite après la date de l’entrée en vigueur au Danemark de la décision nº 1/80 et du protocole additionnel, et que ladite disposition entraîne un durcissement des conditions d’admission, en matière de regroupement familial, existant auparavant, pour les enfants mineurs de travailleurs ressortissants d’un État tiers, de sorte qu’elle rend plus difficile ledit regroupement.
35 Par ailleurs, il est constant que M. Genc souhaite entrer au Danemark pour y rejoindre son père. Il est également constant que, à la date où M. Genc a introduit sa demande de séjour, son père exerçait une activité salariée au Danemark.
36 Dans ces conditions, c’est le père du requérant au principal qui est celui dont la situation se rapporte à une liberté économique, en l’occurrence la libre circulation des travailleurs, et qui, en tant que travailleur régulièrement intégré au marché du travail au Danemark, relève, donc, de l’article 13 de la décision nº 1/80 (voir, en ce sens, arrêts Savas, C‑37/98, EU:C:2000:224, point 58, ainsi que Abatay e.a., C‑317/01 et C‑369/01, EU:C:2003:572, points 75 à 84).
37 Par conséquent, c’est à la seule situation du travailleur turc résidant dans l’État membre concerné, en l’occurrence, le père de M. Genc, qu’il convient de se référer pour déterminer s’il y a lieu, au titre de la clause de «standstill» visée à l’article 13 de la décision nº 1/80, d’écarter l’application d’une mesure nationale telle que celle en cause au principal, s’il s’avère que celle-ci est de nature à affecter sa liberté d’exercer une activité salariée dans cet État membre.
38 Partant, il y a lieu d’examiner si l’introduction d’une nouvelle réglementation durcissant les conditions de la première admission des enfants mineurs de ressortissants turcs résidant dans l’État membre concerné en qualité de travailleurs salariés, tels que le père de M. Genc, par rapport à celles applicables à la date de l’entrée en vigueur de la décision nº 1/80 dans cet État membre, peut constituer une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de cette décision, à l’exercice par lesdits ressortissants turcs de la libre circulation des travailleurs dans ledit État membre.
39 À cet égard, il importe de rappeler que la Cour a déjà jugé qu’une réglementation qui rend un regroupement familial plus difficile en durcissant les conditions de la première admission, sur le territoire de l’État membre concerné, des conjoints des ressortissants turcs, par rapport à celles applicables lors de l’entrée en vigueur du protocole additionnel, constitue une «nouvelle restriction», au sens de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, à l’exercice de la liberté d’établissement par lesdits ressortissants turcs (arrêt Dogan, C‑138/13, EU:C:2014:2066, point 36).
40 Il en est ainsi puisque la décision d’un ressortissant turc de s’établir dans un État membre pour y exercer une activité économique de manière stable peut être influencée négativement lorsque la législation de cet État membre rend difficile ou impossible le regroupement familial, de sorte que ledit ressortissant peut, le cas échéant, se voir obligé de choisir entre son activité dans l’État membre concerné et sa vie de famille en Turquie (voir, en ce sens, arrêt Dogan, C‑138/13, EU:C:2014:2066, point 35).
41 Par ailleurs, la Cour a jugé que, étant donné que la clause de «standstill» énoncée à l’article 13 de la décision nº 1/80 est de même nature que celle inscrite à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et que ces deux clauses poursuivent un objectif identique, l’interprétation de cet article 41, paragraphe 1, doit valoir également s’agissant de l’obligation de statu quo qui constitue le fondement dudit article 13 en matière de libre circulation des travailleurs (arrêt Commission/Pays-Bas, C‑92/07, EU:C:2010:228, point 48).
42 Il s’ensuit que l’interprétation que la Cour a consacrée au point 36 de l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066) est transposable à l’affaire au principal.
43 Dans la mesure où la juridiction de renvoi et le gouvernement danois nourrissent des doutes sur la compatibilité de l’interprétation qui ressort de l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066) avec l’objectif exclusivement économique de l’accord d’association, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 40 du présent arrêt, ce qui a conduit la Cour, dans l’arrêt Dogan, à conclure que la réglementation en cause au principal dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, relevait du champ d’application de la clause de «standstill» visée à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel était l’existence d’un lien entre l’exercice par un ressortissant turc des libertés économiques dans un État membre et le regroupement familial, en ce sens que les conditions d’entrée et de séjour des membres de la famille dudit ressortissant au titre du regroupement familial étaient susceptibles d’affecter l’exercice de telles libertés par celui-ci.
44 Ainsi, ce n’est que dans la mesure où une réglementation nationale durcissant les conditions du regroupement familial, telle que celle en cause au principal, est de nature à affecter l’exercice par des travailleurs turcs, tels que le père de M. Genc, d’une activité économique sur le territoire de l’État membre concerné, qu’il y a lieu de considérer qu’une telle réglementation entre dans le champ d’application de la clause de «standstill» visée à l’article 13 de la décision nº 1/80, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 27 de ses conclusions.
45 Dès lors, les clauses de «standstill» énoncées à l’article 13 de la décision nº 1/80 et à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, telles qu’interprétées par la Cour, ne comportent aucunement la reconnaissance d’un droit au regroupement familial ni d’un droit d’établissement et de séjour en faveur des membres de la famille des travailleurs turcs.
46 S’agissant du regroupement familial, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066), la jurisprudence de la Cour n’attribue à la clause de «standstill» aucun effet autre que d’interdire que le regroupement familial soit soumis à de nouvelles conditions qui seraient de nature à affecter l’exercice par un ressortissant turc des libertés économiques dans un État membre.
47 Enfin un lien tel que celui décrit au point 43 du présent arrêt n’existait aucunement dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Demirkan (C‑221/11, EU:C:2013:583) auquel le gouvernement danois renvoie en particulier.
48 En effet, cet arrêt concernait une ressortissante turque souhaitant se prévaloir de la clause de «standstill» énoncée à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, lors de son entrée dans l’État membre concerné, du fait qu’elle aurait été, une fois arrivée sur le territoire de cet État membre, bénéficiaire de services. La Cour ayant toutefois jugé que la notion de «libre prestation de services» visée à cette disposition n’englobait pas la libre prestation de services passive (voir, en ce sens, arrêt Demirkan, C‑221/11, EU:C:2013:583, points 60 et 63), le lien entre l’entrée et le séjour de ladite ressortissante dans l’État membre concerné et l’exercice d’une liberté économique faisait défaut et empêchait, dès lors, celle-ci d’invoquer ladite clause de «standstill».
49 L’interprétation qui ressort de l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066) est, en outre, cohérente avec celle développée par la Cour, au sujet de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, selon laquelle l’objectif de cette autre disposition de ladite décision consiste à favoriser le regroupement familial dans l’État membre d’accueil en vue de faciliter l’emploi et le séjour du travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi dans l’État membre concerné (voir arrêts Kadiman, C‑351/95, EU:C:1997:205, points 34 à 36; Eyüp, C‑65/98, EU:C:2000:336, point 26, et Ayaz, C‑275/02, EU:C:2004:570, point 41).
50 Par conséquent, il y a lieu de conclure qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui rend un regroupement familial plus difficile en durcissant les conditions de la première admission, sur le territoire de l’État membre concerné, des enfants mineurs de ressortissants turcs résidant dans cet État membre en qualité de travailleurs, par rapport à celles applicables lors de l’entrée en vigueur de la décision nº 1/80, et qui, partant, est de nature à affecter l’exercice d’une activité économique par ces ressortissants sur ledit territoire, constitue une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de cette décision, à l’exercice par lesdits ressortissants turcs de la libre circulation des travailleurs dans cet État membre.
51 Enfin, il convient de rappeler qu’une restriction qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc de la libre circulation des travailleurs sur le territoire national à des conditions plus restrictives que celles applicables à la date d’entrée en vigueur de la décision nº 1/80 est prohibée sauf à ce qu’elle relève des limitations visées à l’article 14 de cette décision ou à ce qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt Demir, C‑225/12, EU:C:2013:725, point 40).
52 En effet, aux termes de l’article 12 de l’accord d’association, les parties à celui-ci ont, conformément au but exclusivement économique qui constitue le fondement de l’association CEE-Turquie, convenu de s’inspirer des dispositions du droit primaire de l’Union relatives à la libre circulation des travailleurs, si bien que les principes admis dans le cadre desdites dispositions doivent être transposés, dans la mesure du possible, aux ressortissants turcs bénéficiant de droits au titre de cet accord d’association (voir, en ce sens, arrêt Ziebell, C‑371/08, EU:C:2011:809, points 58 et 65 à 68).
53 Il convient donc de vérifier si la disposition nationale en cause au principal est licite en ce qu’elle répond aux critères énoncés au point 51 du présent arrêt.
54 À cet égard, il y a lieu de relever que la condition prévue à l’article 9, paragraphe 13, de la loi danoise sur les étrangers ne relève pas de l’article 14 de la décision nº 1/80. Le gouvernement danois fait, en revanche, valoir que cette condition est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir garantir une intégration réussie, et qu’elle est proportionnée puisque cette disposition est à la fois propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
55 S’agissant du point de savoir si l’objectif d’atteindre une intégration réussie peut constituer une telle raison impérieuse, il y a lieu de rappeler l’importance accordée, dans le cadre du droit de l’Union, aux mesures d’intégration, ainsi qu’il ressort de l’article 79, paragraphe 4, TFUE, qui évoque la promotion de l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres d’accueil comme une action des États membres à encourager et à appuyer, et de plusieurs directives, telles que les directives 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO L 251, p. 12), et 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), qui prévoient que l’intégration des ressortissants d’États tiers est un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de l’Union énoncé dans le traité.
56 Dans ces conditions, l’objectif consistant à garantir une intégration réussie des ressortissants d’États tiers dans l’État membre concerné, invoqué par le gouvernement danois, peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 35 de ses conclusions.
57 S’agissant de la proportionnalité de la disposition nationale en cause au principal, dans la mesure où une telle disposition constitue une restriction à la liberté de circulation des travailleurs turcs, ainsi qu’il a été constaté au point 50 du présent arrêt, il convient de relever qu’une telle appréciation doit être effectuée au regard de cette liberté, telle qu’elle bénéficie aux ressortissants turcs, conformément aux dispositions régissant l’association CEE-Turquie, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 37 et 38 de ses conclusions.
58 Il ressort de la décision de renvoi que la disposition nationale en cause au principal implique que, pour pouvoir bénéficier du regroupement familial dans des circonstances telles que celles où l’enfant concerné et l’un de ses parents résident dans l’État d’origine ou dans un autre État, il est, en principe, exigé que cet enfant ait ou puisse avoir un ancrage suffisant au Danemark pour lui permettre une intégration réussie dans cet État membre.
59 Ladite condition ne s’applique toutefois que si la demande est présentée plus de deux ans après la date à laquelle le parent résidant sur le territoire danois a obtenu un titre de séjour pour une durée indéterminée ou bien un titre de séjour avec possibilité de séjour permanent.
60 Étant donné que l’exigence d’apporter la preuve d’un ancrage suffisant au Danemark vise à garantir aux enfants concernés une intégration réussie dans cet État membre, ainsi que le gouvernement danois le soutient, il y a lieu de considérer que la réglementation nationale en cause au principal part de la présomption selon laquelle les enfants pour lesquels la demande de regroupement familial n’a pas été introduite dans le délai imparti se trouvent dans des circonstances telles que leur intégration au Danemark n’est garantie que s’ils remplissent une telle exigence.
61 Or, il apparaît que cette exigence, prétendument justifiée par l’objectif de permettre l’intégration des enfants mineurs concernés au Danemark, devient toutefois applicable en fonction non pas de la situation personnelle des enfants pouvant avoir une incidence négative sur leur intégration dans l’État membre concerné, telle que leur âge ou leurs liens avec cet État membre, mais d’un critère qui, d’emblée, apparaît comme étant étranger aux chances de parvenir à une telle intégration, à savoir le délai séparant l’octroi au parent concerné d’un titre de séjour définitif au Danemark de la date de l’introduction de la demande de regroupement familial.
62 À cet égard, il est difficile de comprendre en quoi l’introduction d’une demande de regroupement familial après le délai de deux ans qui suit l’obtention d’un titre de séjour définitif au Danemark par le parent résidant dans cet État membre placerait l’enfant dans une situation moins favorable pour lui permettre de s’intégrer au Danemark, de telle sorte que le demandeur serait tenu d’apporter la preuve d’un ancrage suffisant de cet enfant dans cet État membre.
63 En effet, la circonstance que la demande de regroupement familial a été introduite avant ou après les deux ans qui suivent l’obtention du titre de séjour définitif par le parent résidant dans l’État membre concerné ne saurait être un indice en soi déterminant des intentions des parents du mineur concerné par cette demande quant à son intégration dans cet État membre.
64 Par ailleurs, l’adoption du critère en cause, aux fins de déterminer quels sont les enfants pour lesquels un ancrage suffisant au Danemark doit être prouvé, conduit à des résultats incohérents en ce qui concerne l’appréciation de la capacité de parvenir à une intégration réussie dans cet État membre.
65 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 51 de ses conclusions, ce critère, d’une part, s’applique sans tenir compte de la situation personnelle de l’enfant concerné et de ses liens au regard de l’État membre en question et, d’autre part, risque de conduire à des discriminations en fonction de la date de l’introduction de la demande de regroupement familial entre enfants se trouvant dans des situations personnelles tout à fait similaires, tant en ce qui concerne leur âge que leurs liens avec le Danemark ainsi que leur relation avec le parent y résidant.
66 À cet égard, il convient de relever que, en ce qui concerne notamment l’appréciation de la situation personnelle de l’enfant concerné, cette appréciation par les autorités nationales doit se faire, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, sur la base de critères suffisamment précis, objectifs et non discriminatoires, qui doivent être examinés au cas par cas, en donnant lieu à une décision motivée susceptible d’un recours effectif afin de prévenir une pratique administrative de refus systématique.
67 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées qu’une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, subordonnant le regroupement familial entre un travailleur turc résidant légalement dans l’État membre concerné et son enfant mineur à la condition que ce dernier présente ou puisse présenter un ancrage suffisant dans cet État membre pour lui permettre une intégration réussie, lorsque l’enfant concerné et son autre parent résident dans l’État d’origine ou dans un autre État, et que la demande de regroupement familial est introduite après un délai de deux ans à compter de la date à laquelle le parent résidant dans l’État membre concerné a obtenu un titre de séjour pour une durée indéterminée ou bien un titre de séjour avec possibilité de séjour permanent, constitue une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de la décision nº 1/80. Une telle restriction n’est pas justifiée.
Sur les dépens
68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
Une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, subordonnant le regroupement familial entre un travailleur turc résidant légalement dans l’État membre concerné et son enfant mineur à la condition que ce dernier présente ou puisse présenter un ancrage suffisant dans cet État membre pour lui permettre une intégration réussie, lorsque l’enfant concerné et son autre parent résident dans l’État d’origine ou dans un autre État, et que la demande de regroupement familial est introduite après un délai de deux ans à compter de la date à laquelle le parent résidant dans l’État membre concerné a obtenu un titre de séjour pour une durée indéterminée ou bien un titre de séjour avec possibilité de séjour permanent, constitue une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de la décision nº 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association et jointe à l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963.
Une telle restriction n’est pas justifiée.
Signatures
* Langue de procédure: le danois.