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CJUE, 19 septembre 2013, aff. C‑297/12, Procédures pénales contre Gjoko Filev et Adnan Osmani

 

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 septembre 2013

Procédures pénales contre Gjoko Filev et Adnan Osmani

 

«Espace de liberté, de sécurité et de justice – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115/CE – Article 11, paragraphe 2 – Décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée – Durée de l’interdiction d’entrée limitée en principe à cinq ans – Réglementation nationale prévoyant l’interdiction d’entrée sans limitation dans le temps en l’absence d’une demande de limitation – Article 2, paragraphe 2, sous b) – Ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour – Non-application de la directive»

Dans l’affaire C‑297/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Laufen (Allemagne), par décision du 13 juin 2012, parvenue à la Cour le 18 juin 2012, dans les procédures pénales contre

Gjoko Filev,

Adnan Osmani,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, U. Lõhmus (rapporteur), M. Safjan et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mars 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande et M. V. Kreuschitz, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98), et, en particulier, de l’article 11, paragraphe 2, de celle-ci.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de poursuites pénales engagées contre MM. Filev et Osmani, ressortissants respectivement de l’ancienne République yougoslave de Macédoine et de la République de Serbie, à la suite de leur entrée sur le territoire allemand plus de cinq ans après leur expulsion d’Allemagne, en violation des interdictions d’entrée, non limitées dans le temps, dont les décisions d’expulsion prises à leur encontre étaient assorties.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 4, 5 et 14 de la directive 2008/115 énoncent:

«(4)      Il est nécessaire de fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée.

(5)      La présente directive devrait arrêter un ensemble horizontal de règles, applicables à tous les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans un État membre.

[...]

(14)      Il y a lieu de conférer une dimension européenne aux effets des mesures nationales de retour par l’instauration d’une interdiction d’entrée excluant toute entrée et tout séjour sur le territoire de l’ensemble des États membres. La durée de l’interdiction d’entrée devrait être fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne devrait normalement pas dépasser cinq ans. [...]»

4        L’article 2 de la même directive, intitulé «Champ d’application», dispose à son paragraphe 2:

«Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers:

[...]

b)      faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition.»

5        L’article 3, point 6, de ladite directive définit la notion d’«interdiction d’entrée» comme étant «une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire interdisant l’entrée et le séjour sur le territoire des États membres pendant une durée déterminée, qui accompagne une décision de retour».

6        L’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/115 se lit comme suit:

«La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. Les États membres peuvent prévoir dans leur législation nationale que ce délai n’est accordé qu’à la suite d’une demande du ressortissant concerné d’un pays tiers. Dans ce cas, les États membres informent les ressortissants concernés de pays tiers de la possibilité de présenter une telle demande.»

7        Aux termes de l’article 11, paragraphes 1 et 2, de ladite directive:

«1.      Les décisions de retour sont assorties d’une interdiction d’entrée:

a)      si aucun délai n’a été accordé pour le départ volontaire, ou

b)      si l’obligation de retour n’a pas été respectée.

Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée.

2.      La durée de l’interdiction d’entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe. Elle peut cependant dépasser cinq ans si le ressortissant d’un pays tiers constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.»

 Le droit allemand

8        La loi relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral (Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet), dans sa version publiée le 25 février 2008 (BGBl. 2008 I, p. 162, ci-après l’«Aufenthaltsgesetz»), telle que modifiée par la loi portant transposition de directives de l’Union européenne en matière de droit de séjour et adaptation de dispositions nationales au code des visas de l’Union (Gesetz zur Umsetzung aufenthaltsrechtlicher Richtlinien der Europäischen Union und zur Anpassung nationaler Rechtsvorschriften an den EU-Visakodex), du 22 novembre 2011 (BGBl. 2011 I, p. 2258, ci-après la «loi du 22 novembre 2011»), comporte un article 11 dont le paragraphe 1 est libellé comme suit:

«Un ressortissant étranger qui a fait l’objet d’une mesure d’expulsion, de refoulement ou d’éloignement n’a plus le droit d’entrer sur le territoire fédéral et d’y séjourner. Aucun titre de séjour ne lui sera délivré, même lorsque les conditions requises par la présente loi à cet effet sont réunies. Les effets énoncés par les deux premières phrases peuvent être limités dans le temps à la demande de l’intéressé. Le délai doit être fixé compte tenu des circonstances du cas d’espèce et ne peut dépasser cinq années que lorsque le ressortissant étranger a été expulsé du fait d’une condamnation pénale ou lorsqu’il représente une menace grave pour l’ordre ou la sécurité publics. Lors de la détermination de la durée du délai, il convient de tenir compte du caractère volontaire ou non du retour du ressortissant étranger ainsi que, le cas échéant, du respect du délai imparti à cet effet. Le délai commence à courir à compter de la sortie du territoire. Aucune limitation dans le temps ne peut intervenir lorsqu’un ressortissant étranger a fait l’objet d’une mesure d’éloignement en raison d’un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ou sur le fondement d’un ordre d’éloignement adopté au titre de l’article 58a. L’autorité supérieure du Land peut autoriser, au cas par cas, des exceptions à la septième phrase.»

9        En vertu de l’article 14, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz, l’entrée d’un ressortissant étranger sur le territoire allemand est illégale lorsque, notamment, il n’est pas autorisé à y entrer en application de l’article 11, paragraphe 1, de cette loi, à moins qu’il ne dispose d’une autorisation d’entrée au titre du paragraphe 2 du même article.

10      L’article 95 de l’Aufenthaltsgesetz, intitulé «Dispositions pénales», prévoit à son paragraphe 2, point 1:

«Est passible d’une peine de privation de liberté jusqu’à trois ans ou d’une amende quiconque

1.      a)      entre sur le territoire fédéral ou

b)      y séjourne

en violation de l’article 11, paragraphe 1, première phrase.»

11      L’article 456a du code de procédure pénale dispose:

«1)      L’autorité chargée de l’exécution peut décider de suspendre l’exécution d’une peine de privation de liberté, une mesure de contrainte par corps ou une mesure de sûreté lorsque la personne condamnée est livrée à un gouvernement étranger en raison d’une autre infraction, est remise à une juridiction pénale internationale ou lorsque ladite personne est expulsée du territoire auquel s’applique la présente loi fédérale.

2)      Si la personne extradée, remise ou expulsée revient, l’exécution de la peine peut être reprise.

[...]»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Les faits relatifs à M. Filev

12      À la suite de la clôture de la procédure relative à sa demande d’asile, il a été ordonné à M. Filev, par décision du Bundesamt für die Anerkennung ausländischer Flüchtlinge (Office fédéral pour la reconnaissance des réfugiés étrangers) du 29 octobre 1992, de quitter le territoire allemand. Au cours des années 1993 et 1994, il a fait l’objet de mesures d’éloignement vers l’ancienne République yougoslave de Macédoine dont les effets n’étaient pas limités dans le temps.

13      Le 28 avril 2012, M. Filev est de nouveau entré sur le territoire allemand, où il a subi un contrôle de police. Celui-ci a révélé qu’il avait fait l’objet d’une décision de retour en 1992. À la suite de ce contrôle, une procédure pénale a été engagée à son encontre et il a été placé en détention provisoire.

14      Le 3 mai 2012, lors de l’audience devant la juridiction de renvoi, le ministère public a demandé la condamnation de M. Filev à une peine de 60 jours-amende d’un montant unitaire de 15 euros pour avoir commis les infractions prévues et réprimées par l’article 95, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), de l’Aufenthaltsgesetz en raison de son entrée illégale en Allemagne et, consécutivement, de son séjour illégal.

 Les faits relatifs à M. Osmani

15      Le 19 novembre 1999, M. Osmani a fait l’objet d’une décision d’expulsion adoptée par la ville de Stuttgart (Allemagne), en application des dispositions de la loi sur les étrangers (Ausländergesetz), alors en vigueur, prévoyant une telle mesure pour des infractions à la loi sur les produits stupéfiants. Les effets de la mesure d’expulsion n’étaient pas limités dans le temps.

16      Le 10 juin 2003, M. Osmani a été de nouveau condamné, du chef de trafic illicite de stupéfiants dans deux cas, à deux ans et huit mois au total de privation de liberté. Le 30 juin 2004, après avoir purgé une partie de cette peine, il a été libéré et a fait l’objet d’une mesure d’éloignement dont les effets n’étaient pas limités dans le temps. En application de l’article 456a du code de procédure pénale, le parquet de Stuttgart a ordonné l’exécution du reliquat de la peine de privation de liberté de 474 jours dans l’hypothèse où M. Osmani entrerait de nouveau sur le territoire allemand.

17      Le 29 avril 2012, M. Osmani est entré de nouveau sur le territoire allemand et a été soumis à un contrôle de police qui a révélé la mesure d’expulsion adoptée à son encontre. Une procédure pénale a alors été engagée contre lui. Lors de l’audience devant la juridiction de renvoi, le 3 mai 2012, le ministère public a demandé la condamnation de M. Osmani à une peine de privation de liberté de trois mois, assortie d’un sursis à l’exécution de celle-ci, pour avoir commis des infractions prévues et réprimées par l’article 95, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), de l’Aufenthaltsgesetz.

18      À la date de l’introduction de la demande de décision préjudicielle, M. Osmani purgeait le reliquat de la peine de privation de liberté à laquelle il a été condamné en 2003.

 Les questions préjudicielles dans les deux litiges

19      La juridiction de renvoi éprouve des doutes, au regard de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 et des considérants 4 et 5 de celle-ci, quant à la possibilité d’appliquer les articles 11, paragraphe 1, et 95, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), de l’Aufenthaltsgesetz dans les affaires dont elle est saisie.

20      À cet égard, elle rappelle que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 prévoit que la durée d’une interdiction d’entrée ne peut, en principe, dépasser cinq ans. Cette disposition aurait été dotée d’un effet direct en Allemagne entre le 24 décembre 2010, date limite prévue à l’article 20, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive pour la transposition de celle-ci, et le 26 novembre 2011, date de l’entrée en vigueur de la loi du 22 novembre 2011 transposant cette même directive, de sorte que des mesures d’expulsion ou d’éloignement adoptées plus de cinq ans avant la première date susmentionnée ne pourraient plus servir de fondement à une condamnation pénale au titre de l’article 95 de l’Aufenthaltsgesetz. Ladite juridiction relève, en outre, que l’article 11, paragraphe 1, de cette loi, telle que modifiée par la loi du 22 novembre 2011, ne prévoit pas de limitation dans le temps des effets de telles mesures, mais permet seulement à l’intéressé d’introduire une demande aux fins d’obtenir une telle limitation.

21      La juridiction de renvoi précise, d’une part, que M. Filev ne semble pas constituer une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, au sens de l’article 11, paragraphe 2, seconde phrase, de la directive 2008/115. D’autre part, il n’aurait pas introduit une demande de limitation dans le temps des mesures d’expulsion et d’éloignement prises à son encontre, la conséquence étant que celles-ci produisent des effets depuis près de 20 ans.

22      En ce qui concerne M. Osmani, la juridiction de renvoi relève, d’une part, que l’article 95, paragraphe 2, de l’Aufenthaltsgesetz prévoit des sanctions à l’encontre de ce dernier en raison de son entrée sur le territoire allemand après son expulsion en 1999 et/ou son éloignement en 2004 et, d’autre part, que l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/115 permet aux États membres de décider de ne pas appliquer celle-ci lorsque le retour d’une personne est prévu par une sanction pénale ou en est la conséquence. Toutefois, la même juridiction indique qu’aucune dérogation au titre de cette dernière disposition n’a été adoptée en droit allemand au cours de la période pendant laquelle ladite directive était dotée d’un effet direct en Allemagne, mais qu’une telle dérogation a été instituée par l’article 11, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz tel que modifié par la loi du 22 novembre 2011.

23      Dans ces conditions, l’Amtsgericht Laufen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, dont les trois premières sont communes aux deux litiges au principal et la quatrième est propre au seul litige concernant M. Osmani:

«1)      Convient-il d’interpréter l’article 11, paragraphe 2, de la directive [2008/115] en ce sens qu’il s’oppose à ce que les États membres sanctionnent pénalement toute infraction à des mesures administratives d’expulsion ou d’éloignement, lorsque la mesure d’expulsion ou d’éloignement précède de plus de cinq ans la nouvelle entrée?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 11, paragraphe 2, de la directive [2008/115] en ce sens qu’il s’oppose à ce que la République fédérale d’Allemagne sanctionne pénalement toute infraction à des mesures administratives d’expulsion ou d’éloignement qui ont été adoptées plus de cinq ans avant la date d’entrée en vigueur de la [loi du 22 novembre 2011]?

3)      Une disposition de droit national prévoyant que les effets des mesures d’expulsion et d’éloignement ne sont, en principe, pas limités dans le temps, à moins que l’intéressé n’ait introduit une demande de limitation, est-elle conforme au droit de l’Union, et plus particulièrement à l’article 11, paragraphe 2, de la directive [2008/115][?] Une telle norme satisfait-elle aux exigences du considérant 4 de ladite directive relatives à une politique migratoire bien gérée par des règles claires, transparentes et équitables?

[4)]      Convient-il d’interpréter la directive [2008/115] en ce sens qu’elle s’oppose à ce que des États membres prévoient que des mesures d’expulsion/d’éloignement qui étaient antérieures de cinq ans ou plus à la période durant laquelle la directive n’était pas transposée puissent ultérieurement de nouveau servir de fondement à des poursuites pénales, lorsque la mesure d’expulsion/d’éloignement était fondée sur une condamnation pénale[?]»

24      À la demande de la juridiction de renvoi, la chambre désignée a examiné la nécessité de soumettre la présente affaire à la procédure d’urgence prévue à l’article 104 ter, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, dans sa version applicable à la date de cette demande. Ladite chambre a décidé, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la troisième question

25      Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que l’article 11, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz, qui subordonne la limitation de la durée d’une interdiction d’entrée à l’introduction, par le ressortissant concerné d’un pays tiers, d’une demande tendant à obtenir le bénéfice d’une telle limitation.

26      Aux termes de l’article 11, paragraphe 2, première phrase, de la directive 2008/115, la durée de l’interdiction d’entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe.

27      Force est de constater qu’il découle clairement des termes «[l]a durée de l’interdiction d’entrée est fixée» qu’il existe une obligation pour les États membres de limiter les effets dans le temps, en principe à cinq ans au maximum, de toute interdiction d’entrée, et ce indépendamment d’une demande présentée à cette fin par le ressortissant concerné d’un pays tiers.

28      Cette interprétation ressort également de la deuxième phrase du considérant 14 de la directive 2008/115, qui énonce, elle aussi, que la durée de l’interdiction d’entrée devrait être fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne devrait normalement pas dépasser cinq ans.

29      Par ailleurs, ladite interprétation est corroborée, en premier lieu, par la définition de la notion d’«interdiction d’entrée» figurant à l’article 3, point 6, de ladite directive comme visant, notamment, une décision interdisant l’entrée et le séjour sur le territoire des États membres «pendant une durée déterminée».

30      En second lieu, s’agissant du délai pour un départ volontaire à fixer dans le cadre d’une décision de retour, l’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/115 dispose que les États membres peuvent prévoir, dans leur législation nationale, que ce délai ne soit accordé qu’à la suite d’une demande du ressortissant concerné d’un pays tiers. Un tel libellé tend à suggérer que, si le législateur de l’Union avait entendu prévoir une telle faculté pour les États membres en ce qui concerne la fixation d’une limite à la durée d’une interdiction d’entrée, il l’aurait énoncé expressément à l’article 11, paragraphe 2, de cette directive.

31      Contrairement à ce que le gouvernement allemand fait valoir dans ses observations soumises à la Cour, le fait de subordonner, dans le droit national, le bénéfice d’une telle limitation de la durée d’une interdiction d’entrée à la présentation d’une demande par le ressortissant concerné d’un pays tiers ne suffit pas pour atteindre l’objectif de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115.

32      En effet, cet objectif consiste, notamment, à assurer qu’une durée d’interdiction d’entrée ne dépasse pas cinq ans, sauf si la personne concernée constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.

33      Or, à supposer même que le droit national prévoie, ainsi que le prétend le gouvernement allemand en ce qui concerne sa réglementation nationale, que le ressortissant concerné d’un pays tiers soit informé de la possibilité de demander une limitation de la durée de l’interdiction d’entrée qui lui est imposée et que cette obligation d’information soit toujours respectée par les autorités nationales compétentes, il n’est toutefois pas garanti qu’une telle demande soit effectivement présentée par ce ressortissant. En l’absence d’une telle demande, l’objectif de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 ne saurait être considéré comme ayant été atteint.

34      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que l’article 11, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz, qui subordonne la limitation de la durée d’une interdiction d’entrée à l’introduction, par le ressortissant concerné d’un pays tiers, d’une demande tendant à obtenir le bénéfice d’une telle limitation.

 Sur les première et deuxième questions

35      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une infraction à une interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire d’un État membre, qui a été prononcée plus de cinq ans avant la date soit de la nouvelle entrée du ressortissant concerné d’un pays tiers sur ce territoire, soit de l’entrée en vigueur de la réglementation nationale transposant cette directive, donne lieu à une sanction pénale.

36      À cet égard, la Cour a déjà jugé que, si ni l’article 63, premier alinéa, point 3, sous b), CE, disposition qui a été reprise à l’article 79, paragraphe 2, sous c), TFUE, ni la directive 2008/115, adoptée notamment sur le fondement de la première de ces deux dispositions, n’excluent la compétence pénale des États membres dans le domaine de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier, ces derniers doivent aménager leur législation dans ce domaine de manière à assurer le respect du droit de l’Union. En particulier, lesdits États ne sauraient appliquer une réglementation pénale susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par cette directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile (voir arrêts du 28 avril 2011, El Dridi, C‑61/11 PPU, Rec. p. I‑3015, points 54 et 55, ainsi que du 6 décembre 2011, Achughbabian, C‑329/11, Rec. p. I‑12695, point 33).

37      Il s’ensuit qu’un État membre ne saurait sanctionner pénalement une infraction à une interdiction d’entrée relevant du champ d’application de la directive 2008/115 si le maintien des effets de cette interdiction n’est pas conforme à l’article 11, paragraphe 2, de cette directive.

38      Il convient dès lors d’examiner, eu égard aux circonstances des affaires au principal, si ledit article 11, paragraphe 2, s’oppose au maintien des effets d’interdictions d’entrée dont la durée est illimitée, prononcées avant la date à laquelle l’État membre concerné aurait dû transposer la directive 2008/115, au-delà de la durée maximale d’une telle interdiction prévue à cette disposition, à savoir une durée de cinq ans en principe.

39      À cet égard, il importe de relever d’emblée que ladite directive ne contient aucune disposition prévoyant un régime transitoire pour les décisions d’interdiction d’entrée adoptées avant qu’elle ne soit applicable.

40      Toutefois, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une règle nouvelle s’applique immédiatement, sauf dérogation, aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne (voir arrêts du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, Rec. p. I‑1049, point 50; du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, Rec. p. I‑5119, point 53, ainsi que du 1er mars 2012, O’Brien, C‑393/10, point 25).

41      Il en découle que la directive 2008/115 s’applique aux effets postérieurs à sa date d’applicabilité dans l’État membre concerné de décisions d’interdiction d’entrée prises en vertu des règles nationales applicables avant cette date (voir, par analogie, arrêt du 30 novembre 2009, Kadzoev, C‑357/09 PPU, Rec. p. I‑11189, point 38).

42      Dès lors, afin d’apprécier la conformité du maintien des effets de telles décisions avec l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 en ce qui concerne, en particulier, la durée maximale en principe de cinq ans prévue à cette disposition pour une interdiction d’entrée, il y a lieu de prendre en compte également la période pendant laquelle cette interdiction était en vigueur avant que la directive 2008/115 ne soit applicable (voir, par analogie, arrêts précités Kadzoev, point 36, ainsi que Bruno e.a., point 55).

43      En effet, la non-prise en compte de ladite période ne serait pas conforme à l’objectif poursuivi par l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 consistant, ainsi qu’il a été constaté au point 32 du présent arrêt, à assurer qu’une durée d’interdiction d’entrée ne dépasse pas cinq ans, à l’exception des cas visés dans la seconde phrase de cette disposition (voir, par analogie, arrêt Kadzoev, précité, point 37).

44      Il s’ensuit que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 s’oppose au maintien des effets d’interdictions d’entrée ayant une durée illimitée imposées avant la date d’applicabilité de la directive 2008/115, telles que celles en cause au principal, au-delà de la durée maximale d’interdiction prévue à cette disposition, sauf si ces interdictions d’entrée ont été prononcées à l’encontre de ressortissants de pays tiers constituant une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.

45      Par conséquent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une infraction à une interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire d’un État membre, qui a été prononcée plus de cinq ans avant la date soit de la nouvelle entrée sur ce territoire du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit de l’entrée en vigueur de la réglementation nationale transposant cette directive, donne lieu à une sanction pénale, à moins que ce ressortissant ne constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.

 Sur la quatrième question

46      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre prévoie qu’une mesure d’expulsion ou d’éloignement qui est antérieure de cinq ans ou plus à la période comprise entre la date à laquelle cette directive aurait dû être transposée et la date à laquelle elle l’a été effectivement, puisse ultérieurement de nouveau servir de fondement à des poursuites pénales, lorsque cette mesure était fondée sur une sanction pénale au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de ladite directive.

 Sur la recevabilité

47      Le gouvernement allemand considère que la quatrième question est irrecevable dans la mesure où une réponse à celle-ci n’est pas nécessaire pour trancher le litige au principal concernant M. Osmani. Il souligne que l’entrée sur le territoire allemand de ce dernier ayant donné lieu aux poursuites pénales en cause au principal s’est effectuée non pas au cours de la période comprise entre la date à laquelle la directive 2008/115 aurait dû être transposée et la date à laquelle elle l’a été effectivement, mais après cette dernière date. Il considère donc que la question de savoir si l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous b), de cette directive pouvait avoir un effet pendant ladite période ne serait pas déterminante.

48      À cet égard, il suffit de constater que la quatrième question vise non pas les effets éventuels de ladite exception pendant la période mentionnée au point précédent, mais l’incidence de l’existence de cette période sur la possibilité pour un État membre de se prévaloir d’une telle exception après l’entrée en vigueur de la réglementation nationale transposant ladite directive. Cette interrogation semble être pertinente pour la solution du litige concernant M. Osmani.

49      Il s’ensuit que la quatrième question posée par la juridiction de renvoi est recevable.

 Sur le fond

50      Il convient de rappeler que l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/115 permet aux États membres de décider de ne pas appliquer celle-ci aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet, notamment, d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national (voir, en ce sens, arrêts précités El Dridi, point 49, et Achughbabian, point 41).

51      Il y a lieu d’observer, à cet égard, que la juridiction de renvoi n’éprouve pas de doute quant au fait que M. Osmani relève du champ d’application personnel de ladite disposition. En effet, il ressort de la décision de renvoi que ce dernier, d’une part, a été expulsé en 1999 pour une durée illimitée, en application des dispositions de la loi sur les étrangers prévoyant une telle mesure pour les étrangers qui enfreignent les dispositions de la loi allemande sur les stupéfiants. D’autre part, en 2004, lorsqu’il purgeait une peine de privation de liberté à la suite d’une condamnation pour trafic de stupéfiants, M. Osmani a fait l’objet d’une mesure d’éloignement dont les effets n’étaient pas limités dans le temps.

52      Il importe de constater que l’usage, par un État membre, de la faculté prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/115 au plus tard à l’expiration du délai de transposition de cette directive a pour conséquence que les ressortissants de pays tiers y visés ne relèvent à aucun moment du champ d’application de cette directive.

53      En revanche, pour autant qu’un État membre n’a pas encore fait usage de cette faculté après l’expiration dudit délai de transposition, notamment en raison du fait qu’il n’a pas encore transposé la directive 2008/115 dans son droit national, il ne saurait se prévaloir du droit de restreindre le champ d’application personnel de cette directive au titre de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de celle-ci à l’égard des personnes auxquelles les effets de ladite directive étaient déjà applicables.

54      Dans ces conditions, une restriction du champ d’application personnel de la directive 2008/115 au titre dudit article 2, paragraphe 2, sous b), qui n’est effectuée qu’après l’expiration du délai de transposition de cette directive n’est pas non plus opposable à une personne, telle que M. Osmani, qui a fait l’objet d’une mesure d’éloignement le 30 juin 2004 et qui est entrée sur le territoire de cet État membre postérieurement à l’entrée en vigueur des règles nationales faisant usage de la faculté prévue à ladite disposition.

55      En effet, le fait d’opposer l’usage de la faculté prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/115 à une personne telle que M. Osmani, qui pouvait déjà invoquer directement les dispositions concernées de cette directive, aurait pour conséquence d’aggraver la situation de cette personne.

56      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre prévoie qu’une mesure d’expulsion ou d’éloignement qui est antérieure de cinq ans ou plus à la période comprise entre la date à laquelle cette directive aurait dû être transposée et la date à laquelle cette transposition a été effectuée, puisse ultérieurement de nouveau servir de fondement à des poursuites pénales, lorsque cette mesure était fondée sur une sanction pénale au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de ladite directive et que cet État membre a fait usage de la faculté prévue à cette disposition.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que l’article 11, paragraphe 1, de la loi relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral (Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet), qui subordonne la limitation de la durée d’une interdiction d’entrée à l’introduction, par le ressortissant concerné d’un pays tiers, d’une demande tendant à obtenir le bénéfice d’une telle limitation.

2)      L’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une infraction à une interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire d’un État membre, qui a été prononcée plus de cinq ans avant la date soit de la nouvelle entrée sur ce territoire du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit de l’entrée en vigueur de la réglementation nationale transposant cette directive, donne lieu à une sanction pénale, à moins que ce ressortissant ne constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.

3)      La directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre prévoie qu’une mesure d’expulsion ou d’éloignement qui est antérieure de cinq ans ou plus à la période comprise entre la date à laquelle cette directive aurait dû être transposée et la date à laquelle cette transposition a été effectuée, puisse ultérieurement de nouveau servir de fondement à des poursuites pénales, lorsque cette mesure était fondée sur une sanction pénale au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de ladite directive et que cet État membre a fait usage de la faculté prévue à cette disposition.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.

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