ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
5 novembre 2014
Sophie Mukarubega contre Préfet de police et Préfet de la Seine-Saint-Denis
«Renvoi préjudiciel – Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Procédure d’adoption d’une décision de retour – Principe du respect des droits de la défense – Droit d’un ressortissant de pays tiers en situation irrégulière d’être entendu avant l’adoption d’une décision susceptible d’affecter ses intérêts – Refus de l’administration, assorti d’une obligation de quitter le territoire, d’octroyer à un tel ressortissant un titre de séjour au titre de l’asile – Droit d’être entendu avant que la décision de retour soit rendue»
Dans l’affaire C‑166/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal administratif de Melun (France), par décision du 8 mars 2013, parvenue à la Cour le 3 avril 2013, dans la procédure
Sophie Mukarubega
contre
Préfet de police,
Préfet de la Seine-Saint-Denis,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur), E. Juhász, D. Šváby et C. Vajda, juges,
avocat général: M. M. Wathelet,
greffier: M. V. Tourrès, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 mai 2014,
considérant les observations présentées:
– pour Mme Mukarubega, par Me B. Vinay, avocat,
– pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues, D. Colas et F.-X. Bréchot, ainsi que par Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Michelogiannaki et L. Kotroni, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par M. J. Langer et Mme M. Bulterman, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes M. Condou-Durande et D. Maidani, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juin 2014,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98), ainsi que du droit d’être entendu dans toute procédure.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Mukarubega, ressortissante rwandaise, au préfet de police et au préfet de la Seine-Saint-Denis, concernant des décisions rejetant sa demande de titre de séjour en qualité de réfugié et portant obligation de quitter le territoire français.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 4, 6 et 24 de la directive 2008/115 sont libellés comme suit:
«(4) Il est nécessaire de fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée.
[...]
(6) Les États membres devraient veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente. Conformément aux principes généraux du droit de l’Union européenne, les décisions prises en vertu de la présente directive devraient l’être au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l’on prenne en considération d’autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier [...]
[...]
(24) La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la «Charte»].»
4 L’article 1er de ladite directive, intitulé «Objet», prévoit:
«La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme.»
5 L’article 2, paragraphe 1, de la même directive énonce:
«La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.»
6 Aux termes de l’article 3 de la directive 2008/115, intitulé «Définitions»:
«Aux fins de la présente directive, on entend par:
[...]
2) ‘séjour irrégulier’: la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou [...] plus, les conditions [...] d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre;
[...]
4) ‘décision de retour’: une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour;
5) ‘éloignement’: l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre;
[...]
7) ‘risque de fuite’: le fait qu’il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectifs définis par la loi, de penser qu’un ressortissant d’un pays tiers faisant l’objet de procédures de retour peut prendre la fuite;
[...]»
7 L’article 6 de ladite directive, intitulé «Décision de retour», énonce:
«1. Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.
[...]
4. À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour.
[...]
6. La présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour et/ou une décision d’éloignement et/ou d’interdiction d’entrée dans le cadre d’une même décision ou d’un même acte de nature administrative ou judiciaire, conformément à leur législation nationale, sans préjudice des garanties procédurales offertes au titre du chapitre III ainsi que d’autres dispositions pertinentes du droit communautaire et du droit national.»
8 L’article 7 de la même directive, intitulé «Départ volontaire», dispose:
«1. La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4.
[...]
4. S’il existe un risque de fuite, ou si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse, ou si la personne concernée constitue un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, les États membres peuvent s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours.»
9 L’article 12 de la directive 2008/115, intitulé «Forme», prévoit à son paragraphe 1, premier alinéa:
«Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles.»
10 L’article 13 de ladite directive, intitulé «Voies de recours», prévoit à ses paragraphes 1 et 3:
«1. Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.
[...]
3. Le ressortissant concerné d’un pays tiers a la possibilité d’obtenir un conseil juridique, une représentation juridique et, en cas de besoin, une assistance linguistique.»
Le droit français
11 Aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, tel que modifié par la loi n° 2011-672, du 16 juin 2011, relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (JORF du 17 juin 2011, p. 10290, ci-après le «Ceseda»):
«I. L’autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne [...] et qui n’est pas membre de la famille d’un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l’article L. 121‑1, lorsqu’il se trouve dans l’un des cas suivants:
[...]
3° Si la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé à l’étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré;
[...]
5° Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l’autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l’étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé.
La décision énonçant l’obligation de quitter le territoire français est motivée.
Elle n’a pas à faire l’objet d’une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l’indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III.
L’obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l’étranger est renvoyé en cas d’exécution d’office.
II. Pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d’aide au retour dans son pays d’origine. Eu égard à la situation personnelle de l’étranger, l’autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
Toutefois, l’autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l’étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français:
[...]
3° S’il existe un risque que l’étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants:
[...]
d) Si l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement;
e) Si l’étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage;
[...]
L’autorité administrative peut faire application du deuxième alinéa du présent II lorsque le motif apparaît au cours du délai accordé en application du premier alinéa.
[...]»
12 L’article L. 512‑1 du Ceseda dispose:
«I. L’étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 511‑1 peut, dans le délai de [30] jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision, ainsi que l’annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant. L’étranger qui fait l’objet de l’interdiction de retour prévue au troisième alinéa du III du même article L. 511‑1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander l’annulation de cette décision.
L’étranger peut demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle au plus tard lors de l’introduction de sa requête en annulation. Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine.
Toutefois, si l’étranger est placé en rétention en application de l’article L. 551‑1 [...], il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article.
II. L’étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les [48] heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision, ainsi que l’annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant.
Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus au I.
Toutefois, si l’étranger est placé en rétention en application de l’article L. 551‑1 [...], il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article.
III. En cas de décision de placement en rétention [...], l’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision dans les [48] heures suivant sa notification. Lorsque l’étranger a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, le même recours en annulation peut être également dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français et contre la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d’assignation. [...]
[...]»
13 L’article L. 512-3 du Ceseda prévoit:
«Les articles L. 551‑1 et L. 561‑2 sont applicables à l’étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français dès l’expiration du délai de départ volontaire qui lui a été accordé ou, si aucun délai n’a été accordé, dès la notification de l’obligation de quitter le territoire français.
L’obligation de quitter le territoire français ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n’a été accordé, avant l’expiration d’un délai de [48] heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n’ait statué s’il a été saisi. L’étranger en est informé par la notification écrite de l’obligation de quitter le territoire français.»
14 L’article L.742-7 du Ceseda énonce:
«L’étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l’objet d’une mesure d’éloignement prévue au titre Ier du livre V et, le cas échéant, des pénalités prévues au chapitre Ier du titre II du livre VI.»
15 L’article 24 de la loi n° 2000-321, du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration (JORF du 13 avril 2000, p. 5646) dispose:
«Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L’autorité administrative n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables:
[...]
3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière.»
16 D’après la décision de renvoi, le Conseil d’État a considéré, dans un avis contentieux du 19 octobre 2007, que, conformément à l’article 24, 3°, de la loi n° 2000-321, du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, l’article 24 de cette loi ne trouve pas à s’appliquer aux décisions portant obligation de quitter le territoire français, dans la mesure où le législateur, en prévoyant dans le Ceseda des garanties procédurales spécifiques, a entendu déterminer l’ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l’intervention et l’exécution de ces décisions.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17 Mme Mukarubega, née le 12 mars 1986 et de nationalité rwandaise, est entrée en France le 10 septembre 2009 munie de son passeport revêtu d’un visa.
18 Elle a demandé à être autorisée à séjourner en France au titre de l’asile. Pendant la durée de l’examen de sa demande, elle a bénéficié d’une autorisation provisoire de séjour, qui a été régulièrement renouvelée.
19 Par une décision du 21 mars 2011 rendue après l’audition de l’intéressée, le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile.
20 Mme Mukarubega a formé un recours contre cette décision devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Lors de l’audience tenue devant cette juridiction, Mme Mukarubega, assistée d’un avocat, a été entendue à l’aide d’un interprète.
21 Par une décision du 30 août 2012, notifiée à Mme Mukarubega le 10 septembre suivant, la CNDA a rejeté ce recours.
22 Compte tenu des décisions rendues par l’OFPRA et par la CNDA, le préfet de police a, par un arrêté du 26 octobre 2012, refusé de délivrer à Mme Mukarubega un titre de séjour en qualité de réfugié et a pris une décision obligeant cette dernière à quitter le territoire français, assortie d’un délai de départ volontaire de 30 jours et mentionnant le Rwanda comme pays à destination duquel Mme Mukarubega était susceptible d’être éloignée.
23 Mme Mukarubega s’est toutefois maintenue irrégulièrement sur le territoire français.
24 Au début du mois de mars 2013, elle a tenté de se rendre au Canada, sous une fausse identité en faisant usage d’un passeport belge obtenu frauduleusement. Elle a alors été appréhendée par les services de police et placée en garde à vue, le 4 mars 2013, pour «usage frauduleux d’un document administratif», infraction punie par les articles 441-2 et 441-3 du code pénal.
25 Au cours de cette garde à vue, qui s’est déroulée le 4 mars de 12 h 15 à 18 h 45, Mme Mukarubega a été entendue sur sa situation personnelle et familiale, sur son parcours, sur son droit au séjour en France et sur un retour éventuel au Rwanda.
26 Par un arrêté du 5 mars 2013, le préfet de la Seine-Saint-Denis, constatant que Mme Mukarubega se trouvait en situation irrégulière sur le territoire français, a pris à son égard une décision portant obligation de quitter le territoire français, sans lui accorder un délai de départ volontaire du fait de l’existence d’un risque de fuite. Le même jour, Mme Mukarubega a été informée de la possibilité de former un recours suspensif contre cette décision.
27 Par un autre arrêté du 5 mars 2013, le préfet de la Seine-Saint-Denis, constatant que Mme Mukarubega n’était pas en mesure de quitter immédiatement le territoire français eu égard à l’absence de moyen de transport disponible, qu’elle ne présentait pas de garanties suffisantes du fait de l’absence de document d’identité ou de voyage en cours de validité et d’adresse stable, qu’elle risquait de se soustraire à la mesure d’éloignement dont elle faisait l’objet, a estimé qu’elle ne pouvait pas être assignée à résidence et a ordonné qu’elle soit placée en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pour une durée de cinq jours, le temps strictement nécessaire à son départ.
28 Mme Mukarubega a alors été placée dans un centre de rétention administrative.
29 Par requêtes enregistrées le 6 mars 2013, Mme Mukarubega a demandé l’annulation de l’arrêté du 26 octobre 2012 et des deux arrêtés du 5 mars 2013 ainsi que la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour et le réexamen de sa situation.
30 Au soutien de ses recours, Mme Mukarubega fait valoir, en premier lieu, que l’arrêté du 5 mars 2013 portant placement en rétention serait dépourvu de base légale car il lui avait été notifié antérieurement à l’arrêté du même jour, portant obligation de quitter le territoire français, qui en constituait le fondement.
31 Mme Mukarubega fait valoir, en second lieu, que les décisions du 26 octobre 2012 et du 5 mars 2013 portant ordre de quitter le territoire auraient été prises en méconnaissance du principe de bonne administration énoncé à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte car elle n’aurait pas été mise à même de présenter ses observations avant que ces décisions ne soient prises. Le caractère suspensif du recours en annulation formé contre lesdites décisions ne saurait être considéré comme dispensant les autorités compétentes de mettre en œuvre le principe de bonne administration.
32 Le tribunal administratif de Melun a annulé, dans sa décision du 8 mars 2013, l’arrêté du 5 mars 2013 portant placement de Mme Mukarubega en rétention administrative pour défaut de base légale.
33 En ce qui concerne les arrêtés du 26 octobre 2012 et du 5 mars 2013 portant obligation de quitter le territoire français, le tribunal administratif de Melun formule les observations suivantes.
34 Cette juridiction considère que ces deux arrêtés constituent des «décisions de retour» au sens de l’article 3 de la directive 2008/115. En vertu de l’article L. 511‑1 du Ceseda, comme de l’article 6, paragraphe 6, de cette directive, l’étranger qui a déposé une demande de titre de séjour peut simultanément se voir opposer un refus de titre de séjour et être placé dans l’obligation de quitter le territoire. Ladite juridiction estime que, dans ces conditions, l’intéressé aura eu la possibilité de faire valoir devant l’administration tout élément relatif à sa situation au cours de la procédure. Elle observe toutefois qu’il est possible que la décision de rejet de la demande de titre de séjour intervienne, sans que l’intéressé en ait préalablement été averti, à l’issue d’une longue période après que la demande a été déposée, de sorte que la situation de celui-ci pourrait avoir évolué depuis ce dépôt.
35 La même juridiction ajoute que, d’après l’article 7, paragraphe 4, de ladite directive, s’il existe un risque de fuite, les États membres peuvent s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire et que, aux termes de l’article L. 512-3 du Ceseda, «l’obligation de quitter le territoire français ne peut faire l’objet d’une exécution d’office, ni avant l’expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n’a été accordé, avant l’expiration d’un délai de [48] heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n’ait statué s’il a été saisi».
36 I1 résulterait de ces dispositions qu’un étranger en situation irrégulière qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire peut saisir le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir, dont l’introduction aura pour effet de suspendre le caractère exécutoire de la mesure d’éloignement.
37 Dans ces conditions, le tribunal administratif de Melun a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Le droit d’être entendu dans toute procédure, lequel fait partie intégrante du principe fondamental du respect des droits de la défense, et est par ailleurs consacré par l’article 41 de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’il impose à l’administration, lorsqu’elle envisage de prendre une décision de retour pour un étranger en situation irrégulière, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour, et notamment dans la circonstance où un risque de fuite existe, de mettre en mesure l’intéressé de présenter ses observations?
2) Le caractère suspensif de la procédure contentieuse devant la juridiction administrative permet-il de déroger au caractère préalable de la possibilité pour un étranger en situation irrégulière de faire connaître son point de vue quant à la mesure d’éloignement défavorable qui est envisagée à son égard?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
38 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit d’être entendu dans toute procédure, tel qu’il s’applique dans le cadre de la directive 2008/115 et notamment de l’article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une autorité nationale n’entende pas le ressortissant d’un pays tiers spécifiquement au sujet d’une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l’issue d’une procédure pendant laquelle ledit ressortissant a été entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour.
39 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, aux termes de son considérant 2, la directive 2008/115 poursuit la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement fondée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité. Ainsi qu’il résulte tant de son intitulé que de son article 1er, la directive 2008/115 établit à cette fin des «normes et procédures communes» qui doivent être appliquées par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (voir arrêts El Dridi, C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, points 31 et 32; Arslan, C‑534/11, EU:C:2013:343, point 42, ainsi que Pham, C‑474/13, EU:C:2014:2096, point 20).
40 Sous son chapitre III, intitulé «Garanties procédurales», la directive 2008/115 fixe les conditions de forme auxquelles sont soumises les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée et les décisions d’éloignement, lesquelles doivent notamment être rendues par écrit et être motivées, et oblige les États membres à mettre en place des voies de recours effectives contre ces décisions (voir, en ce qui concerne les décisions d’éloignement, arrêt G. et R., C‑383/13 PPU, EU:C:2013:533, point 29).
41 Cependant, force est de constater que, si les auteurs de la directive 2008/115 ont ainsi entendu encadrer de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants de pays tiers concernés en ce qui concerne les décisions de retour, les décisions d’interdiction d’entrée et les décisions d’éloignement, ils n’ont pas, en revanche, précisé si, et dans quelles conditions, devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d’être entendus ni les conséquences qu’il conviendrait de tirer de la méconnaissance de ce droit (voir, en ce sens, arrêt G. et R., EU:C:2013:533, point 31).
42 Selon une jurisprudence constante de la Cour, le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union dont le droit d’être entendu dans toute procédure fait partie intégrante (arrêts Sopropé, C‑349/07, EU:C:2008:746, points 33 et 36; M., C‑277/11, EU:C:2012:744, points 81 et 82, ainsi que Kamino International Logistics, C‑129/13, EU:C:2014:2041, point 28).
43 Le droit d’être entendu dans toute procédure est aujourd’hui consacré non seulement par les articles 47 et 48 de la Charte, qui garantissent le respect des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable dans le cadre de toute procédure juridictionnelle, mais également par l’article 41 de celle-ci, qui assure le droit à une bonne administration. Le paragraphe 2 de cet article 41 prévoit que ce droit à une bonne administration comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard (arrêts M., EU:C:2012:744, points 82 et 83, ainsi que Kamino International Logistics, EU:C:2014:2041, point 29).
44 Ainsi que la Cour l’a rappelé au point 67 de l’arrêt YS e.a. (C‑141/12 et C‑372/12, EU:C:2014:2081), il résulte clairement du libellé de l’article 41 de la Charte que celui-ci s’adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Cicala, C‑482/10, EU:C:2011:868, point 28). Partant, le demandeur d’un titre de séjour ne saurait tirer de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte un droit d’être entendu dans toute procédure relative à sa demande.
45 Un tel droit fait en revanche partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l’Union.
46 Le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (voir, notamment, arrêt M., EU:C:2012:744, point 87 et jurisprudence citée).
47 Selon la jurisprudence de la Cour, la règle selon laquelle le destinataire d’une décision faisant grief doit être mis en mesure de faire valoir ses observations avant que celle-ci soit prise a pour but que l’autorité compétente soit mise à même de tenir utilement compte de l’ensemble des éléments pertinents. Afin d’assurer une protection effective de la personne concernée, elle a notamment pour objet que cette dernière puisse corriger une erreur ou faire valoir tels éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent dans le sens que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (voir, en ce sens, arrêt Sopropé, EU:C:2008:746, point 49).
48 Ledit droit implique également que l’administration prête toute l’attention requise aux observations ainsi soumises par l’intéressé en examinant, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et en motivant sa décision de façon circonstanciée (voir arrêts Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14, et Sopropé, EU:C:2008:746, point 50), l’obligation de motiver une décision de façon suffisamment spécifique et concrète pour permettre à l’intéressé de comprendre les raisons du refus qui est opposé à sa demande constituant ainsi le corollaire du principe du respect des droits de la défense (arrêt M., EU:C:2012:744, point 88).
49 Conformément à la jurisprudence de la Cour, le respect du droit d’être entendu s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (voir arrêts Sopropé, EU:C:2008:746, point 38; M., EU:C:2012:744, point 86, ainsi que G. et R., EU:C:2013:533, point 32).
50 L’obligation de respecter les droits de la défense des destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts pèse ainsi en principe sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des mesures entrant dans le champ d’application du droit de l’Union (arrêt G. et R., EU:C:2013:533, point 35).
51 Lorsque, comme dans l’affaire au principal, ni les conditions dans lesquelles doit être assuré le respect des droits de la défense des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ni les conséquences de la méconnaissance de ces droits ne sont fixées par le droit de l’Union, ces conditions et ces conséquences relèvent du droit national pour autant que les mesures arrêtées en ce sens sont du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir en ce sens, notamment, arrêts Sopropé, EU:C:2008:746, point 38; Iaia e.a., C‑452/09, EU:C:2011:323, point 16, ainsi que G. et R., EU:C:2013:533, point 35).
52 Ces exigences d’équivalence et d’effectivité expriment l’obligation générale pour les États membres d’assurer le respect des droits de la défense que les justiciables tirent du droit de l’Union, notamment en ce qui concerne la définition de modalités procédurales (voir, en ce sens, arrêt Alassini e.a., C-317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 49).
53 Toutefois, selon une jurisprudence de la Cour également constante, les droits fondamentaux, tels que le respect des droits de la défense, n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à la condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts Alassini e.a., C-317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 63; G. et R., EU:C:2013:533, point 33, ainsi que Texdata Software, C‑418/11, EU:C:2013:588, point 84).
54 En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt Solvay/Commission, C‑110/10 P, EU:C:2011:687, point 63), notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêts Commission e.a./Kadi, C-584/10 P, C-593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée, ainsi que G. et R., EU:C:2013:533, point 34).
55 C’est donc dans le contexte d’ensemble de la jurisprudence de la Cour concernant le respect des droits de la défense et du système de la directive 2008/115 que les États membres doivent, d’une part, déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré le respect du droit, pour les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, d’être entendus et, d’autre part, tirer les conséquences de la méconnaissance de ce droit (voir, en ce sens, arrêt G. et R., EU:C:2013:533, point 37).
56 Dans l’affaire au principal, ni la directive 2008/115 ni la législation nationale applicable n’établissent une procédure spécifique pour garantir aux ressortissants de pays tiers en situation irrégulière le droit d’être entendu avant l’adoption d’une décision de retour.
57 Toutefois, s’agissant du système de la directive 2008/115 régissant les décisions de retour en cause au principal, il convient de relever que, une fois constatée l’irrégularité du séjour, les autorités nationales compétentes doivent, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive et sans préjudice des exceptions prévues à l’article 6, paragraphes 2 à 5, de celle-ci, adopter une décision de retour (voir, en ce sens, arrêts El Dridi, EU:C:2011:268, point 35, et Achughbabian, C‑329/11, EU:C:2011:807, point 31).
58 En outre, l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115 permet aux États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour. Par ailleurs, la définition de la notion de «décision de retour» figurant à l’article 3, point 4, de cette directive associe la déclaration de séjour illégal à l’obligation de retour.
59 Par conséquent et sans préjudice des exceptions prévues à l’article 6, paragraphes 2 à 5, de ladite directive, l’adoption d’une décision de retour découle nécessairement de celle constatant le caractère irrégulier du séjour de l’intéressé.
60 Ainsi, étant donné que la décision de retour est étroitement liée, en vertu de la directive 2008/115, à la constatation du caractère irrégulier du séjour, le droit d’être entendu ne saurait être interprété en ce sens que, lorsque l’autorité nationale compétente envisage d’adopter dans le même temps une décision constatant un séjour irrégulier et une décision de retour, cette autorité devrait nécessairement entendre l’intéressé de manière à lui permettre de faire valoir son point de vue spécifiquement sur cette dernière décision, dès lors que celui-ci a eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue au sujet de l’irrégularité de son séjour et des motifs pouvant justifier, en vertu du droit national, que ladite autorité s’abstienne de prendre une décision de retour.
61 Toutefois, en ce qui concerne la procédure administrative à suivre, selon le considérant 6 de la directive 2008/115, les États membres devraient veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente (arrêt Mahdi, C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 40).
62 Par conséquent, il découle de l’obligation de prendre, à l’égard des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, une décision de retour, prescrite par l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, aux termes d’une procédure équitable et transparente, que les États membres doivent, dans le cadre de l’autonomie procédurale dont ils disposent, d’une part, prévoir explicitement dans leur droit national l’obligation de quitter le territoire en cas de séjour irrégulier et, d’autre part, pourvoir à ce que l’intéressé soit valablement entendu dans le cadre de la procédure relative à sa demande de séjour ou, le cas échéant, sur l’irrégularité de son séjour.
63 En ce qui concerne, d’une part, l’exigence de prévoir, dans le droit national, l’obligation de quitter le territoire en cas de séjour irrégulier, il convient de relever que l’article L. 511-1, I, 3º, du Ceseda prévoit explicitement que l’autorité française compétente peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n’est pas membre de la famille d’un tel ressortissant si la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour lui a été refusé ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré.
64 En outre, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’article L. 742‑7 du Ceseda précise que l’étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire ont été définitivement refusés et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l’objet d’une mesure d’éloignement.
65 Dès lors, l’obligation de quitter le territoire en cas de séjour irrégulier est explicitement prévue dans le droit national.
66 En ce qui concerne, d’autre part, le respect du droit d’être entendu au sujet de la demande de séjour et, le cas échéant, au sujet de l’irrégularité du séjour, dans le contexte de l’adoption des décisions de retour en cause au principal, il convient de constater que, par la première décision de retour en cause au principal, à savoir l’arrêté en date du 26 octobre 2012, pris moins de deux mois après la notification à Mme Mukarubega de la décision de la CNDA confirmant celle de l’OFPRA de lui refuser le statut de réfugié, les autorités françaises ont refusé de reconnaître à l’égard de Mme Mukarubega un droit de séjour au titre de l’asile et l’ont obligée, de manière concomitante, à quitter le territoire français.
67 En l’occurrence, il convient de constater que la première décision de retour est intervenue à la suite de la clôture de la procédure d’examen du droit de séjour de Mme Mukarubega au titre de l’asile, procédure dans le cadre de laquelle elle a été en mesure d’exposer de manière exhaustive l’ensemble des motifs de sa demande d’asile, et après qu’elle a épuisé toutes les voies de recours prévues par le droit national concernant le rejet de cette demande.
68 Mme Mukarubega n’a d’ailleurs pas contesté qu’elle avait été entendue sur sa demande d’asile, d’une part, par l’OFPRA et, d’autre part, par la CNDA de manière utile et effective et dans des conditions qui lui avaient permis d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande. Ce que Mme Mukarubega reproche notamment aux autorités nationales compétentes est de ne pas l’avoir entendue sur l’évolution de sa situation personnelle entre la date de sa demande d’asile et la date de l’adoption de la première décision de retour, soit pendant une période de 33 mois.
69 Or, il convient de relever qu’un tel argument n’est pas pertinent, puisque Mme Mukarubega a été entendue une seconde fois sur sa demande d’asile le 17 juillet 2012 par la CNDA, soit six semaines avant la décision de cette dernière de lui refuser l’asile et un peu plus de trois mois avant la première décision de retour.
70 Ainsi, Mme Mukarubega a pu présenter, de manière utile et effective, ses observations au sujet de l’irrégularité de son séjour. Par conséquent, l’obligation de l’entendre spécifiquement au sujet de la décision de retour avant d’adopter ladite décision prolongerait la procédure administrative inutilement, sans accroître la protection juridique de l’intéressée.
71 À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 72 de ses conclusions, il convient de relever que le droit d’être entendu avant l’adoption d’une décision de retour ne peut être instrumentalisé pour rouvrir indéfiniment la procédure administrative et ce en vue de préserver l’équilibre entre le droit fondamental de l’intéressé d’être entendu avant l’adoption d’une décision lui faisant grief et l’obligation des États membres de lutter contre l’immigration illégale.
72 Il en résulte que, dans de telles circonstances, la première décision de retour prise à l’égard de Mme Mukarubega, à la suite de la procédure qui a conduit à lui refuser le statut de réfugiée et à établir ainsi le caractère irrégulier de son séjour, en est le prolongement logique et nécessaire au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et a été adoptée en conformité avec le droit d’être entendu.
73 En ce qui concerne l’adoption de la seconde décision de retour à l’égard de Mme Mukarubega le 5 mars 2013, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, avant l’adoption de cette décision, Mme Mukarubega a été placée en garde à vue sur le fondement de l’article 62-2 du code de procédure pénale pour l’usage frauduleux d’un document administratif.
74 L’audition de Mme Mukarubega a eu lieu le 4 mars 2013, de 15 h 30 à 16 h 20. Il ressort du procès-verbal de cette audition que Mme Mukarubega a notamment été entendue sur son droit de séjour en France. Elle a été interrogée sur le point de savoir si elle acceptait de retourner dans son pays d’origine et si elle désirait rester en France.
75 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 90 de ses conclusions, si l’audition a été opérée principalement sous forme de questions et de réponses, Mme Mukarubega a été invitée, au cours de celle-ci, à ajouter toutes les observations qu’elle considérait comme étant pertinentes.
76 Il ressort clairement de ce procès-verbal que Mme Mukarubega savait qu’elle n’avait aucun droit de séjourner légalement en France malgré les nombreuses démarches qu’elle avait entreprises à cet égard et qu’elle connaissait les conséquences de sa situation irrégulière. Mme Mukarubega a indiqué que, en raison du fait qu’elle était en situation irrégulière et ne pouvait ni travailler ni rester en France, elle s’était procuré un faux passeport belge pour se rendre au Canada.
77 Dans ses observations écrites, le gouvernement français indique que, dans le cadre de la garde à vue, Mme Mukarubega «a été auditionnée par les services de police sur sa situation, notamment au regard du droit au séjour», que, «ainsi, elle a indiqué avoir tenté de quitter le territoire français pour se rendre au Canada munie d’un passeport obtenu frauduleusement en Belgique», qu’«elle n’a fourni aucun élément concernant les raisons de sa présence sur le territoire français pouvant justifier un éventuel droit au séjour en France» et que, «en particulier, elle n’a pas déclaré une intention de présenter une nouvelle demande de protection internationale».
78 Le gouvernement français ajoute que, dans le cadre de la garde à vue qui a précédé la seconde décision de retour, Mme Mukarubega n’a pas tenté de faire valoir que sa situation exceptionnelle était de nature à permettre une régularisation de son séjour en France.
79 Il s’ensuit que Mme Mukarubega a bénéficié de la possibilité d’être entendue en prenant en considération d’autres facteurs que «le simple fait du séjour irrégulier», au sens du considérant 6 de la directive 2008/115.
80 Compte tenu des modalités de l’audition de Mme Mukarubega et dans la mesure où les garanties mises en place par la législation et la jurisprudence françaises ont été respectées, le fait que cette audition a duré 50 minutes ne peut permettre en soi de conclure qu’elle a été insuffisante.
81 Dès lors que la seconde décision de retour a été prise peu de temps après l’audition de Mme Mukarubega au sujet de l’irrégularité de son séjour et que celle-ci a pu présenter, de manière utile et effective, ses observations à ce sujet, il découle des considérations évoquées au point 70 du présent arrêt que les autorités nationales ont adopté la seconde décision de retour en conformité avec le droit d’être entendu.
82 Il convient donc de répondre à la première question que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit d’être entendu dans toute procédure, tel qu’il s’applique dans le cadre de la directive 2008/115 et, notamment, de l’article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité nationale n’entende pas le ressortissant d’un pays tiers spécifiquement au sujet d’une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l’issue d’une procédure ayant pleinement respecté son droit d’être entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour.
Sur la seconde question
83 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit pour un ressortissant d’un pays tiers en situation irrégulière d’introduire, en application du droit national, une procédure contentieuse à caractère suspensif devant une juridiction nationale permet aux autorités nationales administratives de ne pas l’entendre avant l’adoption d’un acte lui faisant grief, à savoir, en l’occurrence, une décision de retour.
84 Cette question a été posée dans l’hypothèse où, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le droit d’être entendu n’a pas été respecté. En raison de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde.
Sur les dépens
85 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
Dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit d’être entendu dans toute procédure, tel qu’il s’applique dans le cadre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et, notamment, de l’article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité nationale n’entende pas le ressortissant d’un pays tiers spécifiquement au sujet d’une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l’issue d’une procédure ayant pleinement respecté son droit d’être entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour.
Signatures
Langue de procédure: le français.