ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
1er juin 2016 (*)
« Renvoi préjudiciel – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Article 8, paragraphe 1, sous c) – Obligation d’inclure dans le mandat d’arrêt européen des informations relatives à l’existence d’un “mandat d’arrêtˮ – Absence de mandat d’arrêt national préalable et distinct du mandat d’arrêt européen – Conséquence »
Dans l’affaire C‑241/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), par décision du 22 mai 2015, parvenue à la Cour le 25 mai 2015, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de
Niculaie Aurel Bob-Dogi,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme C. Toader, M. A. Rosas, Mme A. Prechal (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,
avocat général : M. Y. Bot,
greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 janvier 2016,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement roumain, par M. R. Radu ainsi que par Mmes A. Buzoianu et R. Mangu, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. W. Bogensberger et I. Rogalski, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mars 2016,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1, et rectificatif, JO 2006, L 279, p. 30), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Roumanie, d’un mandat d’arrêt européen émis le 23 mars 2015, par le Mátészalkai járásbíróság (tribunal de district de Mátészalka, Hongrie), à l’encontre de M. Niculaie Aurel Bob-Dogi.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 5 à 8 et 10 de la décision-cadre sont ainsi rédigés :
« (5) L’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
(6) Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaireˮ de la coopération judiciaire.
(7) Comme l’objectif de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres agissant unilatéralement et peut donc, en raison de sa dimension et de ses effets, être mieux réalisé au niveau de l’Union, le Conseil peut adopter des mesures, conformément au principe de subsidiarité tel que visé à l’article 2 [UE] et à l’article 5 [CE]. Conformément au principe de proportionnalité, tel que prévu par ce dernier article, la présente décision-cadre n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
(8) Les décisions relatives à l’exécution du mandat d’arrêt européen doivent faire l’objet de contrôles suffisants, ce qui implique qu’une autorité judiciaire de l’État membre où la personne recherchée a été arrêtée devra prendre la décision de remise de cette dernière.
[...]
(10) Le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres [...] »
4 L’article 1er de la décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :
« 1. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.
2. Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.
3. La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [UE]. »
5 Les articles 3, 4 et 4 bis de la décision-cadre énoncent les motifs de non-exécution obligatoire et facultative du mandat d’arrêt européen.
6 L’article 8 de la décision-cadre, intitulé « Contenu et forme du mandat d’arrêt européen », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le mandat d’arrêt européen contient les informations suivantes, présentées conformément au formulaire figurant en annexe :
[...]
c) l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2 ;
[...] »
7 L’article 15 de la décision-cadre, intitulé « Décision sur la remise », dispose, à son paragraphe 2 :
« Si l’autorité judiciaire d’exécution estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, elle demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires, en particulier en relation avec les articles 3 à 5 et 8, et peut fixer une date limite pour leur réception, en tenant compte de la nécessité de respecter les délais fixés à l’article 17. »
Le droit roumain
8 La legea numărul 302/2004 privind cooperarea judiciară internaţională în materie penală (loi n° 302/2004 relative à la coopération judiciaire internationale en matière pénale), du 28 juin 2004, dans sa version en vigueur à la date des faits en cause au principal (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 377 du 31 mai 2011), vise à mettre en œuvre, notamment, la décision-cadre.
Le droit hongrois
9 L’article 25 de l’az Európai Unió tagállamival folytatott bűnügyi együttműködésről szóló 2012. évi CLXXX. törvény (loi n° CLXXX. de 2012 relative à la coopération en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne) (Magyar Közlöny 2012/160) dispose :
« 1) S’il convient d’ouvrir une procédure pénale à l’encontre du suspect, la juridiction délivre immédiatement un mandat d’arrêt européen en vue de son arrestation dans tout État membre de l’Union européenne et de sa remise, à condition que la gravité de l’infraction le justifie [...]
[...]
7) Le champ d’application du mandat d’arrêt européen s’étend aussi au territoire de la Hongrie. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Le 23 mars 2015, le Mátészalkai járásbíróság (tribunal de district de Mátészalka) a émis un mandat d’arrêt européen à l’encontre de M. Bob-Dogi, ressortissant roumain, dans le cadre de poursuites pénales engagées contre l’intéressé pour des faits ayant eu lieu, en Hongrie, le 27 novembre 2013, et pouvant être qualifiés de « blessures corporelles graves ».
11 Ces faits concernent un accident de la circulation survenu sur la voie publique, dont M. Bob-Dogi serait responsable en raison de la vitesse excessive du camion qu’il conduisait, et qui a causé de multiples fractures et lésions à M. Katona, ressortissant hongrois, qui conduisait un cyclomoteur lors de cet accident.
12 Le 30 mars 2015, un signalement relatif au mandat d’arrêt européen en cause au principal a été introduit dans le système d’information Schengen.
13 Le 2 avril 2015, M. Bob-Dogi a été appréhendé en Roumanie et, après avoir été placé en rétention, a été présenté devant la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), afin que cette juridiction statue sur sa mise en détention provisoire et sa remise aux autorités judiciaires hongroises.
14 Cette juridiction a, par une ordonnance du même jour, rejeté la proposition de détention provisoire de M. Bob-Dogi, qui lui avait été soumise par le ministère public, et a ordonné la remise en liberté immédiate de l’intéressé, celui-ci faisant l’objet, toutefois, d’une mesure de contrôle judiciaire pour une durée initiale de 30 jours, prolongée par la suite.
15 La juridiction de renvoi relève que, au point b) du mandat d’arrêt européen en cause au principal, intitulé « Décision sur laquelle le mandat d’arrêt se fonde », il est indiqué « parquet près le Nyíregyházi járásbíróság [(tribunal de district de Nyíregyháza, Hongrie)], K.11884/2013/4 », et, au point b), 1, de ce mandat d’arrêt, qui prévoit que soit indiqué le mandat d’arrêt ou la décision judiciaire ayant le même effet, il est fait référence au « mandat d’arrêt européen n° 1.B.256/2014/19-II, émis par le Mátészalkai járásbíróság [(tribunal de district de Mátészalka)], qui s’étend aussi au territoire de la Hongrie et qui constitue donc également un mandat d’arrêt national ».
16 Cette juridiction relève, en outre, que, s’agissant d’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un mandat d’arrêt européen se fonde sur lui-même et non pas sur un mandat d’arrêt national distinct et préalable, les juridictions roumaines, s’agissant de la suite à donner à un tel mandat d’arrêt européen, ne sont pas unanimes.
17 Selon la position majoritaire, il conviendrait, dans une telle situation, de distinguer les conditions de forme ainsi que les conditions de fond et de rejeter la demande d’exécution du mandat d’arrêt européen, au motif que celui-ci ne pallie pas l’absence de mandat d’arrêt national ou de décision juridictionnelle exécutoire.
18 D’autres juridictions auraient toutefois admis la demande d’exécution du mandat d’arrêt européen, au motif que les exigences légales étaient satisfaites, dès lors que les autorités judiciaires d’émission avaient indiqué expressément que le mandat d’arrêt européen délivré constituait également un mandat d’arrêt national, au sens de la législation de l’État membre d’émission.
19 À cet égard, la juridiction de renvoi considère que, dans le cadre de la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen, la décision devant être reconnue par l’autorité judiciaire d’exécution doit être une décision judiciaire nationale délivrée par l’autorité compétente, conformément aux règles de la procédure pénale de l’État membre d’émission du mandat d’arrêt européen.
20 Cette juridiction considère que des différences fondamentales existent entre un mandat d’arrêt européen et un mandat d’arrêt national. Ainsi, notamment, un mandat d’arrêt européen serait délivré afin d’arrêter et de remettre une personne, inculpée ou condamnée, qui se trouve sur le territoire de l’État membre d’exécution, alors que le mandat d’arrêt national serait délivré en vue d’arrêter une personne se trouvant sur le territoire de l’État membre d’émission.
21 En outre, selon ladite juridiction, l’émission du mandat d’arrêt européen est fondée sur un mandat d’arrêt ou une décision relative à l’exécution d’une peine, alors que le mandat d’arrêt national est délivré sur la base de conditions et de situations expressément régies par la procédure pénale de l’État membre d’émission.
22 La juridiction de renvoi estime que, en l’absence de mandat d’arrêt national, une personne ne peut être arrêtée et maintenue en état d’arrestation, et qu’il ne saurait être admis que le mandat d’arrêt européen se « transforme » en mandat d’arrêt national après la remise de la personne recherchée. Cette interprétation serait, par ailleurs, contraire aux droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union.
23 Cette juridiction en conclut que le mandat d’arrêt européen doit être fondé sur un mandat d’arrêt national délivré conformément aux dispositions de la procédure pénale de l’État membre d’émission, c’est-à-dire un mandat distinct du mandat d’arrêt européen.
24 Enfin, la juridiction de renvoi considère que, outre les motifs de refus facultatifs ou obligatoires prévus par la décision-cadre, la pratique judiciaire démontre qu’il existe d’autres motifs de refus implicites. Tel serait notamment le cas lorsque les conditions de fond ou de forme propres au mandat d’arrêt européen ne sont pas remplies, notamment en l’absence de mandat d’arrêt national délivré dans l’État membre d’émission, situation en cause dans l’affaire au principal.
25 Dans ces conditions, la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) En vue de l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, convient-il d’entendre par l’expression “existence d’un mandat d’arrêtˮ, un mandat d’arrêt national délivré conformément aux dispositions procédurales de l’État membre d’émission, c’est-à-dire distinct du mandat d’arrêt européen ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, l’absence de mandat d’arrêt national constitue-t-elle un motif implicite de non-exécution du mandat d’arrêt européen ? »
La procédure devant la Cour
26 La juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.
27 À l’appui de sa demande, cette juridiction a fait valoir, notamment, que M. Bob-Dogi n’était pas actuellement incarcéré, mais qu’il faisait l’objet d’une mesure de contrôle judicaire constituant également une mesure restrictive de la liberté individuelle.
28 Le 4 juin 2015, la Cour, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, a décidé qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette demande.
29 Par une décision du 30 juin 2015, le président de la Cour a accordé à l’affaire un traitement prioritaire, en application de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre doit être interprété en ce sens que la notion de « mandat d’arrêt », figurant à cette disposition, doit être comprise comme désignant un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen.
31 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort, en particulier, de son article 1er, paragraphes 1 et 2, de même que de ses considérants 5 et 7, la décision-cadre a pour objet de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition, du 13 décembre 1957, par un système de remise entre autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins de l’exécution de jugements ou de poursuites, ce dernier système étant fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle (arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15 et C-659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 75 ainsi que jurisprudence citée).
32 La décision-cadre tend ainsi, par l’instauration d’un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres (arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 76 ainsi que jurisprudence citée).
33 Le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d’arrêt européen repose lui-même sur la confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux, reconnus au niveau de l’Union, en particulier, dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15 et C-659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 77 ainsi que jurisprudence citée).
34 Enfin, il y a lieu de rappeler que le respect de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’impose, ainsi qu’il ressort de l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux États membres et, par conséquent, à leurs juridictions, lorsque celles-ci mettent en œuvre le droit de l’Union, ce qui est le cas lorsque l’autorité judiciaire d’émission et l’autorité judiciaire d’exécution appliquent les dispositions nationales adoptées en exécution de la décision-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15 et C-659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 84).
35 L’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, dont l’interprétation fait l’objet de la présente demande de décision préjudicielle, prévoit que le mandat d’arrêt européen doit contenir des informations, présentées conformément au formulaire figurant à son annexe, relatives à l’existence d’un « jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d&rsquorsquo;application des articles 1er et 2 » de la décision-cadre.
36 Ces informations doivent être mentionnées au point b) du formulaire, figurant à l’annexe de la décision-cadre, intitulé « Décision sur laquelle se fonde le mandat d’arrêt », et dont le point 1 prévoit que soit indiqué le « [m]andat d’arrêt ou [la] décision judiciaire ayant la même force ».
37 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle des indices font apparaître qu’une personne recherchée se trouvait déjà en dehors du territoire de la Hongrie lors de l’émission du mandat d’arrêt européen, une procédure dite « simplifiée » est appliquée dans cet État membre.
38 Cette pratique consiste à permettre qu’un mandat d’arrêt européen soit directement émis sans qu’ait été délivré, au préalable, un mandat d’arrêt national.
39 Dans ce cas, il est fait mention, dans le mandat d’arrêt européen, au point b), 1, du formulaire figurant à l’annexe de la décision-cadre, du mandat d’arrêt européen concerné, cette indication étant assortie, le cas échéant, de la mention selon laquelle le champ d’application de ce mandat s’étend également au territoire hongrois et que le mandat d’arrêt européen constitue donc également un mandat d’arrêt national.
40 Il ressort, par ailleurs, du dossier dont dispose la Cour que cette pratique se fonde, selon le droit hongrois, sur l’article 25, paragraphe 7, de la loi n° CLXXX. de 2012 relative à la coopération en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne, aux termes duquel le mandat d’arrêt européen est également valable sur le territoire hongrois.
41 Se pose, dès lors, la question de savoir si cette pratique, telle qu’appliquée dans l’affaire au principal, est conforme à la lettre et à l’esprit de la décision-cadre et, en particulier, à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de celle-ci.
42 À cet égard, il y a lieu de constater que, si la décision-cadre ne contient pas de définition de l’expression « mandat d’arrêt », figurant à son article 8, paragraphe 1, sous c), la notion de « mandat d’arrêt européen » est définie, à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre, comme étant une « décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté ».
43 C’est cette notion de « mandat d’arrêt européen » qui est utilisée de manière systématique dans l’intitulé, les considérants et les articles de la décision-cadre, hormis à cet article 8, paragraphe 1, sous c), ce qui laisse entendre que cette dernière disposition vise un mandat d’arrêt autre que le mandat d’arrêt européen visé par l’ensemble des autres dispositions de la décision-cadre, qui ne peut donc être qu’un mandat d’arrêt national.
44 Cette interprétation est également corroborée par le libellé du point b) du formulaire figurant à l’annexe de la décision-cadre, en particulier par les termes « Décision sur laquelle se fonde le mandat d’arrêt », formulaire auquel se réfère expressément l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision-cadre et dont il convient donc de tenir compte pour l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de celle-ci, dès lors que ces termes confirment que le mandat d’arrêt européen doit se fonder sur une décision judiciaire, ce qui implique qu’il s’agit d’une décision distincte de la décision d’émission dudit mandat d’arrêt européen.
45 Par ailleurs, alors que la pratique de la procédure dite « simplifiée » est conçue par les autorités judiciaires hongroises comme constituant une exception s’appliquant dans la seule hypothèse où des indices font apparaître que, lors de l’émission du mandat d’arrêt européen, la personne recherchée se trouvait déjà en dehors du territoire de la Hongrie, le libellé de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre ne contient aucune indication selon laquelle l’exigence que prévoit cette disposition admettrait une exception visant spécifiquement cette hypothèse.
46 Ces différents éléments de nature textuelle confirment que la notion de « mandat d’arrêt », figurant à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, désigne le seul mandat d’arrêt national, celui-ci devant être compris comme étant la décision judiciaire sur laquelle se greffe le mandat d’arrêt européen.
47 En revanche, l’interprétation contraire, selon laquelle ladite notion devrait être comprise comme ayant un caractère générique, incluant tout type de mandat d’arrêt, y compris le mandat d’arrêt européen, en ce qu’elle implique qu’il suffirait que le mandat d’arrêt européen se borne à opérer une simple « autoréférence », de sorte que, en définitive, il pourrait se fonder sur lui-même, doit être écartée, dès lors également qu’elle est de nature à priver la condition imposée à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre de toute portée propre et, ainsi, de son utilité.
48 Il en découle également que les termes « ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force », figurant à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, ne sauraient être compris comme se référant à la décision d’émission du mandat d’arrêt européen.
49 En outre, l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre selon laquelle le mandat d’arrêt européen doit nécessairement être fondé sur une décision judiciaire nationale distincte de ce mandat, prenant, le cas échéant, la forme d’un mandat d’arrêt national, découle non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la décision-cadre, dont il convient, selon la jurisprudence de la Cour, de tenir compte aux fins de son interprétation (voir en ce sens, notamment, arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C-237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 35 et jurisprudence citée).
50 S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, l’exactitude de cette interprétation est confirmée, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions, par la genèse de cette disposition, dès lors que, dans sa rédaction initiale, celle-ci énonçait que le mandat d’arrêt européen devait contenir des informations relatives au « fait qu’il existe ou non un jugement définitif ou toute autre décision judiciaire exécutoire ».
51 Ainsi, le fait que, dans sa rédaction définitive, cette disposition ne comporte plus d’élément ayant un caractère facultatif conforte une interprétation de celle-ci, selon laquelle le mandat d’arrêt européen doit, en toute hypothèse, être fondé sur l’une des décisions judiciaires nationales visées à ladite disposition, le cas échéant sur la décision d’émission d’un mandat d’arrêt national.
52 Enfin, quant aux objectifs poursuivis par la décision-cadre, il y a lieu de constater que l’émission d’un mandat d’arrêt européen selon la procédure dite « simplifiée » et, par conséquent, sans que soit émise, au préalable, une décision judiciaire nationale, telle qu’un mandat d’arrêt national, qui en constitue le fondement, est susceptible d’interférer avec les principes de reconnaissance et de confiance mutuelles fondant le système du mandat d’arrêt européen.
53 En effet, lesdits principes reposent sur la prémisse selon laquelle le mandat d’arrêt européen concerné a été émis en conformité avec les exigences minimales dont dépend sa validité, au nombre desquelles figure celle prévue à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre.
54 Or, en présence d’un mandat d’arrêt européen émis dans le cadre d’une procédure dite « simplifiée », tel que celui en cause au principal, qui se fonde sur l’existence d’un mandat d’arrêt, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, sans que le mandat d’arrêt européen fasse mention de l’existence d’un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution n’est pas en mesure de vérifier si le mandat d’arrêt européen concerné respecte l’exigence prescrite à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre.
55 De surcroît, le respect de l’exigence prescrite à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre revêt une importance particulière dès lors qu’elle implique que, lorsque le mandat d’arrêt européen est émis en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales, cette personne ait déjà pu bénéficier, à un premier stade de la procédure, des garanties procédurales et des droits fondamentaux, dont la protection doit être assurée par l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission, selon le droit national applicable, notamment en vue de l’adoption d’un mandat d’arrêt national.
56 Le système du mandat d’arrêt européen comporte, ainsi, en vertu de l’exigence prescrite à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, une protection à deux niveaux des droits en matière de procédure et des droits fondamentaux dont doit bénéficier la personne recherchée, dès lors que, à la protection judiciaire prévue au premier niveau, lors de l’adoption d’une décision judiciaire nationale, telle qu’un mandat d’arrêt national, s’ajoute celle devant être assurée au second niveau, lors de l’émission du mandat d’arrêt européen, laquelle peut intervenir, le cas échéant, dans des délais brefs, après l’adoption de ladite décision judiciaire nationale.
57 Or, cette protection judiciaire comportant deux niveaux fait par principe défaut dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle une procédure d’émission du mandat d’arrêt européen dite « simplifiée » est appliquée, dès lors que celle-ci implique que, préalablement à l’émission d’un mandat d’arrêt européen, aucune décision, telle que l’émission d’un mandat d’arrêt national, sur laquelle se greffe le mandat d’arrêt européen, n’a été prise par une autorité judiciaire nationale.
58 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre doit être interprété en ce sens que la notion de « mandat d’arrêt », figurant à cette disposition, doit être comprise comme désignant un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen.
Sur la seconde question
59 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un mandat d’arrêt européen, qui se fonde sur l’existence d’un « mandat d’arrêt » au sens de cette disposition, ne comporte pas de mention de l’existence d’un mandat d’arrêt national, l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’y donner suite.
60 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le domaine régi par la décision-cadre, le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 de cette décision-cadre, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve son application à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre, conformément auquel les États membres sont en principe tenus de donner suite à un mandat d’arrêt européen (arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15 et C-659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 79).
61 Il s’ensuit que l’autorité judiciaire d’exécution ne peut refuser d’exécuter un tel mandat que dans les cas, exhaustivement énumérés, de non-exécution obligatoire, prévus à l’article 3 de la décision-cadre, ou de non-exécution facultative, prévus aux articles 4 et 4 bis de cette décision-cadre. En outre, l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à l’article 5 de la décision-cadre (arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15 et C-659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 80).
62 Force est de constater que l’absence d’indication, dans le mandat d’arrêt européen, de l’existence d’un mandat d’arrêt national ne figure pas parmi les motifs de non-exécution énumérés auxdits articles 3, 4 et 4 bis de la décision-cadre et ne relève pas non plus du champ d’application de l’article 5 de celle-ci.
63 Toutefois, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 107 de ses conclusions, si ces dispositions de la décision-cadre ne laissent place à aucun motif de non-exécution autre que ceux énumérés à celles-ci, il n’en demeure pas moins que lesdites dispositions reposent sur la prémisse selon laquelle le mandat d’arrêt européen concerné satisfait aux exigences de régularité dudit mandat prévues à l’article 8, paragraphe 1, de la décision-cadre.
64 Or, dès lors que l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre comporte une exigence de régularité dont le respect constitue une condition de la validité du mandat d’arrêt européen, la méconnaissance de cette exigence doit, en principe, conduire l’autorité judiciaire d’exécution à ne pas donner suite à ce mandat d’arrêt.
65 Cela étant, avant d’adopter une telle décision, qui, par sa nature, doit demeurer exceptionnelle dans le cadre de l’application du système de remise instauré par la décision-cadre, celui-ci étant fondé sur les principes de reconnaissance et de confiance mutuelles, cette autorité doit, en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre, demander à l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission de fournir en urgence toute information complémentaire nécessaire lui permettant d’examiner la question de savoir si l’absence d’indication, dans le mandat d’arrêt européen, de l’existence d’un mandat d’arrêt national s’explique par le fait soit qu’un tel mandat d’arrêt national préalable et distinct du mandat d’arrêt européen fait effectivement défaut, soit qu’un tel mandat existe, mais n’a pas été mentionné.
66 Si, au regard des informations fournies en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre, ainsi que de toutes autres informations dont l’autorité judiciaire d’exécution dispose, cette autorité arrive à la conclusion que le mandat d’arrêt européen, alors qu’il se fonde sur l’existence d’un « mandat d’arrêt », au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre, a été délivré sans qu’ait été effectivement émis un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen, ladite autorité doit ne pas donner suite au mandat d’arrêt européen, au motif que celui-ci ne satisfait pas aux exigences de régularité prévues à l’article 8, paragraphe 1, de la décision-cadre.
67 Il résulte des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un mandat d’arrêt européen, qui se fonde sur l’existence d’un « mandat d’arrêt », au sens de cette disposition, ne comporte pas d’indication de l’existence d’un mandat d’arrêt national, l’autorité judiciaire d’exécution doit ne pas y donner suite si, au regard des informations fournies en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre ainsi que de toutes autres informations dont elle dispose, cette autorité constate que le mandat d’arrêt européen n’est pas valide, dès lors qu’il a été émis sans qu’ait effectivement été émis un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen.
Sur les dépens
68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
1) L’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens que la notion de « mandat d’arrêt », figurant à cette disposition, doit être comprise comme désignant un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen.
2) L’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un mandat d’arrêt européen, qui se fonde sur l’existence d’un « mandat d’arrêt », au sens de cette disposition, ne comporte pas d’indication de l’existence d’un mandat d’arrêt national, l’autorité judiciaire d’exécution doit ne pas y donner suite si, au regard des informations fournies en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée, ainsi que de toutes autres informations dont elle dispose, cette autorité constate que le mandat d’arrêt européen n’est pas valide, dès lors qu’il a été émis sans qu’ait effectivement été émis un mandat d’arrêt national distinct du mandat d’arrêt européen.
Signatures
*Langue de procédure: le roumain.