Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 9 octobre 2008
Affaire C-404/07
Győrgy Katz
contre
István Roland Sós
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Fővárosi Bíróság)
«Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Décision-cadre 2001/220/JAI — Statut des victimes dans le cadre de procédures pénales — Accusateur privé se substituant au ministère public — Déposition de la victime en tant que témoin»
Sommaire de l'arrêt
Union européenne — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Statut des victimes dans le cadre des procédures pénales — Décision-cadre 2001/220
(Décision-cadre du Conseil 2001/220, art. 2 et 3)
La décision-cadre 2001/220, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, tout en imposant aux États membres, d'une part, d'assurer aux victimes un niveau élevé de protection ainsi qu'un rôle réel et approprié dans leur système judiciaire pénal et, d'autre part, de reconnaître les droits et intérêts légitimes de ces dernières et de faire en sorte qu'elles puissent être entendues et fournir des éléments de preuve, laisse aux autorités nationales un large pouvoir d'appréciation quant aux modalités concrètes de mise en oeuvre de ces objectifs.
Ainsi, les articles 2 et 3 de ladite décision-cadre doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’obligent pas une juridiction nationale à autoriser la victime d’une infraction à être entendue comme témoin dans le cadre d’une procédure d’accusation privée substitutive. Toutefois, à défaut d’une telle possibilité, la victime doit pouvoir être autorisée à faire une déposition qui puisse être prise en compte comme élément de preuve.
(cf. points 46, 50 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
9 octobre 2008
«Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2001/220/JAI – Statut des victimes dans le cadre de procédures pénales – Accusateur privé se substituant au ministère public – Déposition de la victime en tant que témoin»
Dans l’affaire C‑404/07,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 35 UE, introduite par le Fővárosi Bíróság (Hongrie), par décision du 6 juillet 2007, parvenue à la Cour le 27 août 2007, dans la procédure pénale engagée par
Győrgy Katz
contre
István Roland Sós,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), J. Klučka, Mme P. Lindh et M. A. Arabadjiev, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. B. Fülöp, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 juin 2008,
considérant les observations présentées:
– pour M. Katz, par Me L. Kiss, ügyvéd,
– pour M. Sós, par Me L. Helmeczy, ügyvéd,
– pour le gouvernement hongrois, par Mmes J. Fazekas, R. Somssich et K. Szíjjártó, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Troosters et B. Simon, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 juillet 2008,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 3 de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JO L 82, p. 1, ci-après la «décision-cadre»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M. Sós, lequel est poursuivi pour escroquerie par M. Katz, agissant en qualité d’accusateur privé substitutif.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union européenne
3 Selon le quatrième considérant de la décision-cadre:
«Il convient que les États membres rapprochent leurs dispositions législatives et réglementaires dans la mesure nécessaire à la réalisation de l’objectif consistant à offrir aux victimes de crimes un niveau élevé de protection, indépendamment de l’État membre dans lequel elles se trouvent.»
4 Aux termes de l’article 1er de la décision-cadre, on entend, aux fins de celle-ci, par:
«a) ‘victime’: la personne physique qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre;
[…]»
5 L’article 2 de la décision-cadre énonce:
«1. Chaque État membre assure aux victimes un rôle réel et approprié dans son système judiciaire pénal. Il continue à œuvrer pour garantir aux victimes un traitement dûment respectueux de leur dignité personnelle pendant la procédure et reconnaît les droits et intérêts légitimes des victimes, notamment dans le cadre de la procédure pénale.
2. Chaque État membre veille à ce que les victimes particulièrement vulnérables bénéficient d’un traitement spécifique répondant au mieux à leur situation.»
6 L’article 3 de la décision-cadre dispose:
«Chaque État membre garantit la possibilité aux victimes d’être entendues au cours de la procédure ainsi que de fournir des éléments de preuve.
Chaque État membre prend les mesures appropriées pour que ses autorités n’interrogent les victimes que dans la mesure nécessaire à la procédure pénale.»
7 Aux termes de l’article 5 de la décision-cadre:
«Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour atténuer, dans toute la mesure du possible, les difficultés de communication relatives à la compréhension ou à la participation de la victime ayant la qualité de témoin ou de partie à la procédure dans le cadre des étapes importantes de la procédure pénale concernée, d’une manière comparable aux mesures de ce type qu’il prend à l’égard des défendeurs.»
8 L’article 7 de la décision-cadre prévoit:
«Chaque État membre, selon les dispositions nationales applicables, offre à la victime qui a la qualité de partie ou de témoin, la possibilité d’être remboursée des frais exposés en raison de sa participation légitime à la procédure pénale.»
9 Selon l’information concernant les déclarations par lesquelles la République française et la République de Hongrie acceptent la compétence de la Cour de justice pour statuer à titre préjudiciel sur les actes visés à l’article 35 du traité sur l’Union européenne, publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 14 décembre 2005 (JO L 327, p. 19), la République de Hongrie a fait une déclaration au titre de l’article 35, paragraphe 2, UE, par laquelle elle a accepté la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes pour statuer selon les modalités prévues à l’article 35, paragraphe 3, sous a), UE.
10 Toutefois, aux termes de la décision du gouvernement hongrois (kormányhatározat) 2088/2003 (V. 15.), portant déclaration relative à la procédure de saisine à titre préjudiciel de la Cour de justice, du 15 mai 2003, «la République de Hongrie déclare, en vertu de l’article 35, paragraphe 2, UE, accepter la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes selon les termes de l’article 35, paragraphe 3, sous b), UE».
11 Il ressort de l’information concernant les déclarations par lesquelles la République de Hongrie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la République de Slovénie acceptent la compétence de la Cour de justice pour statuer à titre préjudiciel sur les actes visés à l’article 35 du traité sur l’Union européenne, publiée au Jounal officiel de l’Union européenne le 14 mars 2008 (JO L 70, p. 23), que la République de Hongrie a retiré la déclaration qu’elle avait faite antérieurement et «a déclaré accepter la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes conformément aux dispositions prévues à l’article 35, paragraphe 2, et à l’article 35, paragraphe 3, point b), du traité sur l’Union européenne».
La réglementation nationale
12 L’article 28, paragraphe 7, de la loi n° XIX de 1998, relative à la procédure pénale (Büntetőeljárásról szóló 1998 évi XIX. törvény), dispose:
«Dans le respect des conditions imposées par la présente loi, le ministère public engage les poursuites et, sauf en cas d’accusation privée ou d’accusation privée substitutive, exerce celles-ci devant le tribunal, ou décide de soumettre l’affaire à une procédure de médiation, de surseoir aux poursuites ou d’y renoncer partiellement. Le ministère public peut abandonner ou modifier les poursuites. Il peut examiner le dossier de la procédure pendant la phase juridictionnelle. Il a le pouvoir de prendre des réquisitions en ce qui concerne toute question soulevée dans le cadre de la procédure que le tribunal est appelé à trancher.»
13 L’article 31, paragraphe 1, de la même loi prévoit:
«Ne peut pas agir comme membre du ministère public, dans le cadre d’une procédure pénale:
[…]
b) quiconque prend ou a pris part à la procédure en tant que […] victime, accusateur privé, accusateur privé substitutif, partie civile ou plaignant, ou en tant que représentant de celui-ci ou encore toute personne proche d’une précédente,
c) quiconque prend ou a pris part à la procédure en tant que témoin, ou en tant qu’expert ou spécialiste,
[…]»
14 L’article 51, paragraphe 1, de ladite loi définit la victime comme une personne dont les droits ou les intérêts légitimes ont été lésés ou mis en péril par l’infraction pénale. En vertu du paragraphe 2 du même article, la victime est habilitée à:
«a) à moins que la présente loi n’en dispose autrement, être présente lors de l’accomplissement des actes de procédure et [à] examiner les pièces de procédure la concernant,
b) présenter des réquisitions et des observations à tous les stades de la procédure,
c) recevoir de la part du tribunal, du ministère public et de l’autorité d’instruction toute précision concernant ses droits et obligations dans le cadre de la procédure pénale,
d) exercer toute voie de recours dans les cas prévus par la présente loi.»
15 Aux termes de l’article 53, paragraphe 1, de la loi n° XIX de 1998:
«La victime peut se constituer accusateur privé substitutif, dans les cas prévus par cette loi, si:
a) le ministère public ou l’autorité d’instruction a pris une décision de classement sans suite ou de non-lieu,
b) le ministère public a partiellement renoncé à engager des poursuites,
c) le ministère public a abandonné les poursuites,
d) le ministère public n’a pas constaté l’existence d’une infraction justifiant l’action publique à l’issue de la procédure d’instruction et, partant, n’a pas engagé de poursuites ou il a – à l’issue de l’instruction ordonnée dans le cadre d’une procédure d’accusation privée – décidé de ne pas se charger lui-même des poursuites,
e) le ministère public a abandonné les poursuites au cours des débats, car il estime que l’infraction ne justifie pas l’action publique.»
16 L’article 236 de ladite loi énonce:
«Sauf disposition contraire de la présente loi, l’accusateur privé substitutif exerce, dans le cadre de la procédure juridictionnelle, les pouvoirs dévolus au ministère public, y compris le pouvoir de prendre des réquisitions visant à imposer des mesures coercitives impliquant la privation ou la restriction de la liberté du prévenu. L’accusateur privé substitutif ne peut pas requérir que le prévenu soit déchu de son autorité parentale.»
17 L’article 343, paragraphe 5, de la même loi dispose:
«L’accusateur privé substitutif ne peut pas étendre le champ des poursuites.»
Le cadre factuel et la question préjudicielle
18 Dans le cadre d’une action pénale engagée devant le Fővárosi Bíróság (cour de Budapest) par M. Katz à titre d’accusateur privé substitutif à l’encontre de M. Sós, il est reproché à celui-ci d’avoir commis des actes d’escroquerie visés à l’article 318, paragraphe 1, du code pénal hongrois (Büntető törvénykönyv) et ayant causé à M. Katz un préjudice significatif au sens du paragraphe 6, sous a), de cet article. Ladite action a été engagée à la suite d’une décision de non-lieu prononcée par le ministère public dans le cadre de la même affaire.
19 L’action publique engagée à titre d’accusateur privé substitutif constituerait un mode particulier de mise en mouvement de l’action publique prévu par les règles de procédure pénale hongroises. Outre les poursuites engagées sur réquisition du ministère public, le droit hongrois permettrait à la victime de certains délits mineurs d’entamer et de soutenir les poursuites: il s’agirait de l’«accusation privée» («magánvád»). L’«accusation privée substitutive» («pótmagánvád»), dont il est question dans le litige au principal, serait un troisième mode d’action publique qui permettrait à la victime d’une infraction d’intervenir, notamment lorsque le ministère public abandonne des poursuites qu’il a engagées. L’accusation privée et l’accusation privée substitutive ne devraient pas être confondues avec la constitution de partie civile.
20 La demande de M. Katz tendant à ce qu’il puisse, en tant que victime, être cité et entendu comme témoin dans le cadre de l’accusation privée substitutive en question a été rejetée par le Fővárosi Bíróság, qui a statué sur cette offre de preuve et clos les débats sur ce point.
21 Lors de sa plaidoirie devant la juridiction de renvoi, M. Katz a fait valoir que, en refusant d’entendre la victime, qui est également l’accusateur, en tant que témoin, la juridiction de renvoi a méconnu les principes du procès équitable et de l’égalité des armes consacrés par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»). Il a en outre soutenu avoir, au cours de l’instruction, déjà subi un préjudice en raison du fait que l’autorité d’instruction n’a pas respecté son obligation d’établir les faits alors que l’institution légale de l’accusateur privé substitutif permet précisément de remédier à cette situation afin que, grâce à la déposition de la victime comparaissant en personne, la vérité puisse être établie et cette dernière puisse obtenir réparation de son préjudice. Selon M. Katz, dans le cas contraire, la victime est défavorisée par rapport à la personne poursuivie.
22 Au cours d’une audience ultérieure de ladite juridiction, tenue le 6 juillet 2007, celle-ci a rouvert la procédure d’instruction. Elle a relevé que, si l’article 236 de la loi n° XIX de 1998 déroge à l’interdiction pour un accusateur privé substitutif d’agir comme membre du ministère public, aucune disposition de la même loi ne déroge à l’interdiction énoncée à l’article 31, paragraphe 1, de ladite loi, selon laquelle un témoin ne saurait agir comme membre du ministère public. Le Fővárosi Bíróság en a déduit qu’un accusateur privé substitutif ne peut pas être entendu comme témoin dans le cadre d’une telle procédure pénale. S’agissant de la procédure d’accusation privée, la loi en question comporterait une disposition expresse en vertu de laquelle l’accusateur privé peut être entendu comme témoin. Même si les procédures d’accusation privée et d’accusation privée substitutive sont sans doute de nature similaire, il ne saurait toutefois, en l’absence de tout renvoi de l’une à l’autre, être fait application des mêmes règles à ces deux types distincts de procédure.
23 Le Fővárosi Bíróság constate que le législateur hongrois lui-même a reconnu que l’institution de l’accusation privée substitutive est un instrument important permettant de pallier l’inaction des autorités judiciaires. Il ne ferait également aucun doute que cette institution légale implique que la victime se voie reconnaître une possibilité réelle d’obtenir, par une procédure contraignante, une décision de justice. Or, il pourrait être difficile, voire impossible, d’atteindre ce résultat si la victime agissant comme accusateur privé substitutif n’avait pas la possibilité d’être entendue comme témoin et si cette dernière elle-même ne pouvait pas, grâce à sa propre déposition, fournir des éléments de preuve, alors que, le plus souvent, ce serait la victime qui aurait connaissance des faits à établir.
24 Toutefois, il conviendrait également de reconnaître que, en disposant des compétences attribuées au ministère public, l’accusateur privé substitutif a des droits assez considérables. Étant donné son pouvoir de réquisition, il aurait la possibilité de fournir des éléments de preuve. De même, il aurait le droit de présenter des observations.
25 Le Fővárosi Bíróság s’interroge sur la portée des notions de rôle «réel et approprié» des victimes et de «possibilité» pour celles-ci «d’être entendues au cours de la procédure ainsi que de fournir des éléments de preuve», prévues respectivement aux articles 2 et 3 de la décision-cadre, et il se demande s’il faut y inclure la possibilité pour la juridiction nationale d’entendre comme témoin la victime d’une infraction dans le cadre d’une procédure d’accusation privée substitutive.
26 C’est dans ces conditions que le Fővárosi Bíróság, statuant en premier ressort, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les articles 2 et 3 de la décision-cadre […] doivent-ils être interprétés en ce sens que la juridiction nationale doit se voir garantir la possibilité d’entendre comme témoin la victime d’une infraction dans le cadre également d’une procédure d’accusation privée substitutive?»
Sur la recevabilité
27 Ainsi qu’il ressort du point 10 du présent arrêt, la République de Hongrie a, par la décision gouvernementale 2088/2003 du 15 mai 2003, déclaré accepter la compétence de la Cour pour statuer sur la validité et l’interprétation des actes visés à l’article 35 UE selon les modalités prévues au paragraphe 3, sous b), de cet article. Il est constant que la présente décision de renvoi a été introduite conformément à cette déclaration, en sorte que le Fővárosi Bíróság relève des juridictions qui sont habilitées à saisir la Cour au titre de l’article 35 UE.
28 Le gouvernement hongrois estime que la demande de décision préjudicielle est néanmoins irrecevable, en ce qu’elle serait hypothétique. Le Fővárosi Bíróság affirmerait à tort que le droit hongrois ne permet pas à l’accusateur privé substitutif d’être entendu comme témoin dans le cadre d’une procédure pénale. À l’appui de son argumentation, ce gouvernement invoque notamment l’avis n° 4/2007 de la section pénale du Legfelsöbb Bíróság (Cour suprême), du 14 mai 2007, qui déclare qu’«il n’y a pas d’obstacle légal, dans le cadre d’une procédure pénale, à ce qu’on interroge la victime agissant comme accusateur privé substitutif à titre de témoin». M. Katz considère également qu’il ne fait aucun doute que le droit hongrois autorise l’accusateur privé substitutif à être entendu comme témoin au cours de la procédure pénale.
29 Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 46, sous b), UE, les dispositions du traité CE relatives à la compétence de la Cour et à l’exercice de cette compétence, parmi lesquelles figure l’article 234 CE, sont applicables à celles du titre VI du traité UE, dans les conditions prévues à l’article 35 UE. Il en résulte que le régime prévu à l’article 234 CE a vocation à s’appliquer à la compétence préjudicielle de la Cour au titre de l’article 35 UE, sous réserve des conditions prévues à ce dernier article (voir, notamment, arrêt du 12 août 2008, Santesteban Goicoechea, C-296/08 PPU, non encore publié au Recueil, point 36 et jurisprudence citée).
30 À l’instar de l’article 234 CE, l’article 35 UE subordonne la saisine de la Cour à titre préjudiciel à la condition que la juridiction nationale «estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement», en sorte que la jurisprudence de la Cour relative à la recevabilité des questions préjudicielles posées au titre de l’article 234 CE est, en principe, transposable aux demandes de décisions préjudicielles présentées à la Cour en vertu de l’article 35 UE (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2007, Dell’Orto, C-467/05, Rec. p. I-5557, point 39 et jurisprudence citée).
31 Il s’ensuit que la présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée que dans des cas exceptionnels, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée des dispositions du droit de l’Union européenne visées dans ces questions n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées. Sauf en de telles hypothèses, la Cour est, en principe, tenue de statuer sur les questions préjudicielles portant sur l’interprétation des actes visés à l’article 35, paragraphe 1, UE (arrêt Dell’Orto, précité, point 40 et jurisprudence citée).
32 Ainsi qu’il ressort des points 18 à 25 du présent arrêt, la décision de renvoi expose les principaux faits à l’origine du litige au principal ainsi que les dispositions directement pertinentes du droit national applicable et elle explicite les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation de la décision-cadre, de même que le lien entre cette dernière et la législation nationale applicable en la matière.
33 Contrairement à ce que soutient le gouvernement hongrois, il n’est pas manifeste que, dans l’affaire au principal, le problème posé soit de nature hypothétique, ne serait-ce que dans la mesure où il est constant que la juridiction de renvoi a rejeté la demande de M. Katz tendant à être entendu comme témoin dans le cadre de la procédure d’accusation privée substitutive en cause au principal au motif que le droit hongrois ne prévoirait pas expressément ce droit dans une telle situation.
34 Pour le surplus, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales ni de juger si l’interprétation que donne la juridiction de renvoi de celles-ci est correcte (voir notamment, à propos de l’article 234 CE, arrêt du 14 février 2008, Dynamic Medien, C-244/06, non encore publié au Recueil, point 19).
35 Dès lors, il convient de répondre à la demande de décision préjudicielle.
36 En revanche, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de M. Katz visant à ce que la Cour élargisse la question posée de manière à ce qu’elle examine également si la décision-cadre implique que certains pouvoirs d’instruction reconnus au ministère public par le droit hongrois soient étendus à l’accusateur privé substitutif.
37 En effet, aux termes de l’article 35 UE, il appartient au juge national et non aux parties au litige au principal de saisir la Cour. La faculté de déterminer les questions à soumettre à la Cour est donc dévolue au seul juge national et les parties ne sauraient en changer la teneur (voir arrêt Santesteban Goicoechea, précité, point 46).
38 Par ailleurs, répondre aux questions formulées par M. Katz serait incompatible avec le rôle dévolu à la Cour par l’article 35 UE ainsi qu’avec l’obligation de cette dernière d’assurer la possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice, compte tenu du fait que, en vertu de cette dernière disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (arrêt Santesteban Goicoechea, précité, point 47).
Sur la question préjudicielle
39 Il est constant qu’une personne se trouvant dans la situation de M. Katz constitue une victime au sens de l’article 1er, sous a), de la décision-cadre, disposition selon laquelle la victime est la personne physique qui a subi un préjudice directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre.
40 Ainsi qu’il ressort des articles 5 et 7 de la décision-cadre, celle-ci envisage la situation de la victime qu’elle agisse en tant que témoin ou comme partie à la procédure.
41 Aucune disposition de la décision-cadre ne tend à exclure de son champ d’application la situation dans laquelle, dans le cadre d’une procédure pénale, la victime exerce, comme dans l’affaire au principal, les fonctions d’accusateur au lieu et place de l’autorité publique.
42 Il ressort du quatrième considérant de la décision-cadre qu’il convient d’offrir aux victimes d’infractions pénales un niveau élevé de protection.
43 Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre, les États membres assurent aux victimes un rôle réel et approprié dans leur système judiciaire pénal et ils reconnaissent les droits et intérêts légitimes des victimes, notamment dans le cadre de la procédure pénale.
44 L’article 3, paragraphe 1, de la décision-cadre dispose, en termes généraux, que les États membres garantissent la possibilité aux victimes d’être entendues au cours de la procédure et de fournir des éléments de preuve.
45 Par conséquent, si une victime qui agit en qualité d’accusateur privé substitutif peut revendiquer le bénéfice du statut des victimes tel que prévu par la décision-cadre, il n’en demeure pas moins que ni l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci ni aucune autre disposition de la décision-cadre n’apportent des précisions sur le régime des preuves applicable aux victimes dans le cadre des procédures pénales.
46 Force est dès lors de constater que la décision-cadre, tout en imposant aux États membres, d’une part, d’assurer aux victimes un niveau élevé de protection ainsi qu’un rôle réel et approprié dans leur système judiciaire pénal et, d’autre part, de reconnaître les droits et intérêts légitimes de ces dernières et de faire en sorte qu’elles puissent être entendues et fournir des éléments de preuve, laisse aux autorités nationales un large pouvoir d’appréciation quant aux modalités concrètes de mise en œuvre de ces objectifs.
47 Toutefois, sous peine de priver d’une grande partie de son effet utile l’article 3, paragraphe 1, de la décision-cadre et de méconnaître les obligations énoncées à l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci, ces dispositions impliquent, en tout état de cause, que la victime puisse faire une déposition dans le cadre de la procédure pénale et que cette déposition puisse être prise en compte en tant qu’élément de preuve.
48 Il convient d’ajouter que la décision-cadre doit être interprétée de manière à ce que soient respectés les droits fondamentaux, parmi lesquels il convient en particulier de relever le droit à un procès équitable, tel qu’il est énoncé à l’article 6 de la CEDH (voir, notamment, arrêt du 16 juin 2005, Pupino, C‑105/03, Rec. p. I‑5285, pont 59).
49 Il incombe dès lors à la juridiction de renvoi de s’assurer plus particulièrement que l’administration des preuves dans le cadre de la procédure pénale, considérée dans son ensemble, ne porte pas atteinte à l’équité de la procédure au sens de l’article 6 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (voir, notamment, arrêts du 10 avril 2003, Steffensen, C-276/01, Rec. p. I‑3735, point 76, et Pupino, précité, point 60).
50 Dans ces conditions, il convient de répondre à la question posée que les articles 2 et 3 de la décision-cadre doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’obligent pas une juridiction nationale à autoriser la victime d’une infraction à être entendue comme témoin dans le cadre d’une procédure d’accusation privée substitutive telle que celle en cause au principal. Toutefois, à défaut d’une telle possibilité, la victime doit pouvoir être autorisée à faire une déposition qui puisse être prise en compte comme élément de preuve.
Sur les dépens
51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
Les articles 2 et 3 de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’obligent pas une juridiction nationale à autoriser la victime d’une infraction à être entendue comme témoin dans le cadre d’une procédure d’accusation privée substitutive telle que celle en cause au principal. Toutefois, à défaut d’une telle possibilité, la victime doit pouvoir être autorisée à faire une déposition qui puisse être prise en compte comme élément de preuve.
Signatures Langue de procédure: le hongrois.