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CJUE, 14 novembre 2013, aff. C‑60/12, Procédure relative à l’exécution d’une sanction pécuniaire émise à l’encontre - Marián Baláž

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 novembre 2013

Procédure relative à l’exécution d’une sanction pécuniaire émise à l’encontre - Marián Baláž

 

«Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/214/JAI – Application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires – ‘Juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’ – L’‘Unabhängiger Verwaltungssenat’ en droit autrichien – Nature et étendue du contrôle de la part de la juridiction de l’État membre d’exécution»

Dans l’affaire C‑60/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 35 UE, introduite par le Vrchní soud v Praze (République tchèque), par décision du 27 janvier 2012, parvenue à la Cour le 7 février 2012, dans la procédure relative à l’exécution d’une sanction pécuniaire émise à l’encontre de

Marián Baláž,

 

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, MM. A. Tizzano, L. Bay Larsen, T. von Danwitz et A. Borg Barthet, présidents de chambre, MM. A. Rosas, J. Malenovský, A. Arabadjiev, Mme C. Toader (rapporteur), et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 mars 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et D. Hadroušek, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Russo, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes B. Koopman et C. Wissels, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer et M. P. Cede, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk et K. Ahlstrand-Oxhamre, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Troosters et Mme Z. Malůšková, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 juillet 2013,

rend le présent

 

Arrêt

 

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires (JO L 76, p. 16), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO L 81, p. 24, ci-après la «décision-cadre»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure d’exécution portant sur le recouvrement d’une amende infligée à M. Baláž, ressortissant tchèque, en raison d’une infraction routière commise par celui-ci en Autriche.

 

 Le cadre juridique

 

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 1, 2, 4 et 5 de la décision-cadre prévoient:

«(1)      Le Conseil européen réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999 a approuvé le principe de reconnaissance mutuelle, qui devrait devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l’Union.

(2)      Le principe de reconnaissance mutuelle devrait s’appliquer aux sanctions pécuniaires infligées par les autorités judiciaires et administratives afin d’en faciliter l’application dans un État membre autre que celui dans lequel les sanctions ont été imposées.

[...]

(4)      La présente décision-cadre devrait couvrir les sanctions pécuniaires relatives à des infractions routières.

(5)      La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 du traité et reflétés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et notamment son chapitre VI. [...]»

4        L’article 1er de la décision-cadre, intitulé «Définitions», se lit comme suit:

«Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par:

a)      ‘décision’, toute décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, lorsque la décision a été rendue par:

[...]

iii)      une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction en raison d’actes punissables au regard du droit national de l’État d’émission en ce qu’ils constituent des infractions aux règles de droit, pour autant que l’intéressé ait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale;

[...]

b)      ‘sanction pécuniaire’, toute obligation de payer:

i)      une somme d’argent après condamnation pour une infraction, imposée dans le cadre d’une décision;

[...]

c)      ‘État d’émission’, l’État membre dans lequel a été rendue la décision au sens de la présente décision-cadre;

d)      ‘État d’exécution’, l’État membre auquel a été transmise la décision aux fins d’exécution.»

5        L’article 3 de la décision-cadre, intitulé «Droits fondamentaux», prévoit:

«La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité [UE].»

6        L’article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre prévoit la transmission d’une décision, accompagnée d’un certificat établi selon un modèle figurant en annexe de la décision-cadre, à «un État membre dans lequel la personne physique ou morale à l’encontre de laquelle la décision a été prononcée possède des biens ou des revenus, a sa résidence habituelle ou son siège statutaire, s’il s’agit d’une personne morale».

7        L’article 5 de la décision-cadre, intitulé «Champ d’application», énumère les infractions à l’égard desquelles des décisions sont reconnues et exécutées en vertu de la décision-cadre. En particulier, le paragraphe 1 de cet article 5 dispose:

«Donnent lieu à la reconnaissance et à l’exécution des décisions, aux conditions de la présente décision-cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait, les infractions suivantes, si elles sont punies dans l’État d’émission et telles qu’elles sont définies par le droit de l’État d’émission:

[...]

–        conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière [...]»

8        L’article 6 de la décision-cadre, intitulé «Reconnaissance et exécution des décisions», énonce:

«Les autorités compétentes de l’État d’exécution reconnaissent une décision qui a été transmise conformément à l’article 4, sans qu’aucune autre formalité ne soit requise, et prennent sans délai toutes les mesures nécessaires pour son exécution, sauf si l’autorité compétente décide de se prévaloir d’un des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution prévus à l’article 7.»

9        Aux termes de l’article 7, paragraphes 2 et 3, de la décision-cadre:

«2.      L’autorité compétente de l’État d’exécution peut [...] refuser de reconnaître et d’exécuter la décision s’il est établi que:

[...]

g)      selon le certificat prévu à l’article 4, l’intéressé, dans le cas d’une procédure écrite, n’a pas été informé, conformément à la législation de l’État d’émission, personnellement ou par un représentant, compétent en vertu de la législation nationale, de son droit de former un recours et du délai pour le faire;

[...]

i)      selon le certificat prévu à l’article 4, l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sauf si le certificat indique que l’intéressé, conformément aux exigences procédurales définies dans la législation nationale de l’État d’émission:

i)      en temps utile,

–        soit a été cité à personne et a ainsi été informé de la date et du lieu fixés pour le procès qui a mené à la décision, soit a été informé officiellement et effectivement par d’autres moyens de la date et du lieu fixés pour ce procès, de telle sorte qu’il a été établi de manière non équivoque qu’il a eu connaissance du procès prévu,

et

–        a été informé qu’une décision pouvait être rendue en cas de non-comparution;

      ou

ii)      ayant eu connaissance du procès prévu, a donné mandat à un conseil juridique, qui a été désigné soit par l’intéressé soit par l’État, pour le défendre au procès, et a été effectivement défendu par ce conseil pendant le procès;

      ou

iii)      après s’être vu signifier la décision et avoir été expressément informé de son droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale:

–        a indiqué expressément qu’il ne contestait pas la décision,

ou

–        n’a pas demandé une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel dans le délai imparti;

[...]

3.      Dans les cas visés au paragraphe 1 et au paragraphe 2, points c), g), i) et j), avant de décider de ne pas reconnaître et de ne pas exécuter une décision, en tout ou en partie, l’autorité compétente de l’État d’exécution consulte l’autorité compétente de l’État d’émission par tous les moyens appropriés et, le cas échéant, sollicite sans tarder toute information nécessaire.»

10      L’article 20, paragraphes 3 et 8, de la décision-cadre prévoit:

«3.      Chaque État membre peut, lorsque le certificat visé à l’article 4 donne à penser que des droits fondamentaux ou des principes juridiques fondamentaux définis par l’article 6 du traité ont pu être violés, s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution de la décision. La procédure prévue à l’article 7, paragraphe 3, est applicable.

[...]

8.      Un État membre qui, au cours d’une année civile, a appliqué le paragraphe 3 informe, au début de l’année civile suivante, le Conseil et la Commission des cas où les motifs de non-reconnaissance et de non-exécution d’une décision visés dans cette disposition ont été opposés.»

 Le droit tchèque

11      Le droit tchèque prévoit la reconnaissance et l’exécution des sanctions pécuniaires imposées par les juridictions d’un État membre autre que la République tchèque conformément au code de procédure pénale. L’article 460o, paragraphe 1, de ce code, dans sa version applicable à la date des décisions des juridictions tchèques rendues dans l’affaire au principal (loi nº 141/1961 relative à la procédure pénale judiciaire, ci-après le «code de procédure pénale»), dispose:

«Les dispositions de la présente section s’appliquent à la procédure de reconnaissance et d’exécution d’une décision de condamnation définitive pour une infraction ou un autre délit, ou d’une décision adoptée sur la base de cette dernière, pour autant qu’elle ait été adoptée conformément aux règles de l’Union [...],

a)      qui a infligé une sanction pécuniaire,

[...]

si elle a été adoptée par une juridiction de la République tchèque dans le cadre d’une procédure pénale [...], ou par une juridiction d’un autre État membre de l’Union [...] dans le cadre d’une procédure pénale ou par une autorité administrative d’un tel État à la condition que la décision des autorités administratives portant sur une infraction ou un autre délit puisse faire l’objet d’une voie de recours, sur laquelle se prononce une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale [...]»

12      L’article 460r du code de procédure pénale se lit comme suit:

«(1)      Après le dépôt des observations écrites du ministère public, le Krajský soud [cour régionale] se prononce, en audience publique et par voie d’arrêt, sur la question de savoir si la décision d’un autre État membre de l’Union [...] en matière de sanctions pécuniaires et de prestations en espèces, que lui ont présentée les autorités compétentes de cet État, est reconnue et exécutée, ou si la reconnaissance et l’exécution de cette décision sont rejetées. L’arrêt est notifié à la personne condamnée et au ministère public.

[...]

(3)      Le Krajský soud refuse la reconnaissance et l’exécution de la décision d’un autre État membre de l’Union [...] en matière de sanctions pécuniaires et de prestations en espèces, visées au paragraphe 1, si

[...]

i)      la reconnaissance et l’exécution de la décision sont contraires aux intérêts de la République tchèque tels que protégés à l’article 377,

[...]

(4)      Si l’on constate l’existence du motif de rejet de la reconnaissance et de l’exécution de la décision d’un autre État membre de l’Union [...] en matière de sanctions pécuniaires et de prestations en espèces, visé au paragraphe 3, sous c) ou i), le Krajský soud, avant de prononcer le rejet de la reconnaissance et de l’exécution d’une telle décision, sollicite l’avis des autorités compétentes de l’État qui ont adopté la décision dont on demande la reconnaissance et l’exécution, notamment aux fins d’obtenir l’ensemble des informations nécessaires pour sa décision; le cas échéant, le Krajský soud peut demander à ces autorités compétentes de fournir sans délai les documents et les informations complémentaires nécessaires.»

 Le droit autrichien

13      Le système juridique autrichien distingue entre les infractions qui constituent des violations du «droit pénal administratif» et celles qui enfreignent le «droit pénal judiciaire». Dans les deux cas, les personnes accusées d’infractions ont accès à une juridiction.

14      La procédure à l’égard des infractions administratives est régie par la loi pénale de 1991 en matière administrative (Verwaltungsstrafgesetz 1991, BGBl. 52/1991, ci-après le «VStG»). Ces infractions sont traitées, en première instance, par le Bezirkshauptmannschaft (autorité administrative régionale, ci-après le «BHM»). Après l’épuisement des voies de recours devant cette autorité administrative, l’Unabhängiger Verwaltungssenat in den Ländern (ci-après l’«Unabhängiger Verwaltungssenat») est compétent en tant qu’instance d’appel.

 

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

 

15      Par lettre du 19 janvier 2011, le BHM Kufstein a adressé au Krajský soud v Ústí nad Labem (cour régionale d’Ústí nad Labem, République tchèque) une demande de reconnaissance et d’exécution de sa décision du 25 mars 2010 infligeant à M. Baláž une sanction pécuniaire pour infraction au code de la route. La lettre contenait un certificat établi en langue tchèque, tel que visé à l’article 4 de la décision-cadre, et la «décision de condamnation» («Strafverfügung»).

16      Il ressort de ces documents que, le 22 octobre 2009, M. Baláž, qui conduisait un véhicule de transport de marchandises, tractant une semi-remorque et immatriculé en République tchèque, n’avait pas respecté, en Autriche, le panneau «Accès interdit aux véhicules d’un poids supérieur à 3,5 tonnes». À ce titre, il a été condamné au paiement d’une amende de 220 euros, assortie d’une peine de privation de liberté de 60 heures en cas de non-paiement dans le délai imparti.

17      Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le certificat émis par le BHM Kufstein mentionnait que la décision en cause était une décision d’une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction, adoptée en raison d’actes punissables au regard du droit national de l’État d’émission en ce qu’ils constituaient des infractions aux règles de droit. En outre, ledit certificat indiquait que la personne concernée avait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence, notamment, en matière pénale.

18      Selon les indications fournies dans le même certificat, cette décision est devenue définitive et exécutoire le 17 juillet 2010. En effet, M. Baláž n’a pas fait opposition de ladite décision, nonobstant le fait qu’il avait été informé, conformément au droit de l’État d’émission, de son droit d’introduire un recours personnellement ou par l’intermédiaire d’un représentant désigné ou affecté conformément au droit interne.

19      Le Krajský soud v Ústí nad Labem a organisé, le 17 mai 2011, une audience publique aux fins de l’examen de la demande présentée par le BHM Kufstein. Dans le cadre de cette audience, il a été notamment établi que la décision de condamnation prise par le BHM Kufstein avait été notifiée à M. Baláž le 2 juillet 2010, par l’Okresní soud v Teplicích (tribunal d’arrondissement de Teplice, République tchèque) en langue tchèque et qu’elle contenait la mention de la possibilité de faire opposition à cette décision soit oralement, soit par écrit, y compris par voie électronique, dans un délai de deux semaines à compter de sa notification, ainsi que de la possibilité de faire valoir, dans l’opposition, des éléments de preuve pour sa défense et d’introduire un appel devant l’Unabhängiger Verwaltungssenat.

20      À l’issue de la procédure, ayant constaté que M. Baláž n’avait pas exercé le recours disponible («Einspruch»), le Krajský soud v Ústí nad Labem a rendu un jugement par lequel il a reconnu ladite décision et l’a déclarée exécutoire sur le territoire de la République tchèque.

21      Le 6 juin 2011, M. Baláž a interjeté appel de ce jugement devant le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague, République tchèque). Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, il a notamment fait valoir, d’une part, que les données figurant dans le certificat émis par le BHM Kufstein pouvaient être remises en question et, d’autre part, que la décision de ce dernier ne pouvait pas être exécutée dans la mesure où celle-ci n’était pas susceptible de faire l’objet d’un recours devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale. En effet, selon M. Baláž, la réglementation autrichienne ne prévoit un recours contre une décision en matière d’infraction routière que devant l’Unabhängiger Verwaltungssenat et ne permet donc pas de faire porter l’affaire devant une juridiction compétente notamment en matière pénale.

22      À cet égard, le Vrchní soud v Praze doit apprécier si la mesure adoptée par le BHM Kufstein est une décision au sens de l’article 460o, paragraphe 1, sous a), du code de procédure pénale et, partant, une décision au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre. Dans l’affirmative, il devra alors déterminer si les conditions de sa reconnaissance et de son exécution sur le territoire de la République tchèque sont remplies.

23      C’est dans ces conditions que le Vrchní soud v Praze a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La notion de ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’, visée à l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre [...] doit-elle être interprétée en tant que notion autonome du droit de l’Union [...]?

2)      a)      En cas de réponse affirmative à la première question, quels critères de définition généraux doit remplir une juridiction d’un État qui, sur initiative de la personne concernée, peut connaître d’une affaire relative à une décision adoptée par une autorité autre qu’une juridiction (autorité administrative) pour pouvoir être qualifiée de ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’ au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre?

b)      Peut-on qualifier l’Unabhängiger Verwaltungssenat [...] de ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’ au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre?

c)      En cas de réponse négative à la première question, la notion de ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’ au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre doit-elle être interprétée par l’autorité compétente de l’État d’exécution en application du droit de l’État dont l’autorité a adopté la décision au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre, ou en application du droit de l’État qui se prononce sur la reconnaissance et l’exécution d’une telle décision?

3)      La ‘possibilité de faire porter l’affaire’ devant une ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’ au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre est-elle également garantie lorsque la personne concernée ne peut obtenir directement l’examen de l’affaire devant une ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’, mais qu’elle doit tout d’abord attaquer la décision d’une autre autorité qu’une juridiction (autorité administrative) par un recours, qui rend la décision de cette autorité inopérante et donne lieu à une procédure ordinaire devant la même autorité, et que ce n’est que contre la décision de cette dernière, prise dans le cadre de cette procédure ordinaire, que l’on peut introduire un recours sur lequel statuera une ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’?

En rapport avec la garantie d’une ‘possibilité de faire porter l’affaire’, il convient de résoudre également la question de savoir si le recours sur lequel se prononce une ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’ a la nature d’un recours ordinaire (c’est-à-dire un recours dirigé contre une décision non définitive), ou d’un recours extraordinaire (c’est-à-dire un recours dirigé contre une décision définitive), ainsi que la question de savoir si la ‘juridiction ayant compétence notamment en matière pénale’ a le pouvoir, sur la base de ce recours, de procéder à un examen complet, tant du point de vue factuel que juridique?»

 

 Sur les questions préjudicielles

 

 Sur la première question et sur la deuxième question, sous a) et b)

24      Par sa première question et sa deuxième question, sous a) et b), qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la notion de «juridiction ayant compétence notamment en matière pénale», au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre, doit être interprétée en tant que notion autonome du droit de l’Union et, dans l’affirmative, quels sont les critères pertinents à cet égard. Elle demande également si l’Unabhängiger Verwaltungssenat répond à cette notion.

25      À cet égard, il convient de préciser que, contrairement à ce que soutiennent les gouvernements néerlandais et suédois, et ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 45 de ses conclusions, la notion de «juridiction ayant compétence notamment en matière pénale» ne saurait être laissée à l’appréciation de chaque État membre.

26      En effet, il découle de l’exigence d’application uniforme du droit de l’Union que, dans la mesure où l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre ne renvoie pas au droit des États membres en ce qui concerne la notion de «juridiction ayant compétence notamment en matière pénale», cette notion, décisive pour déterminer le champ d’application de la décision-cadre, requiert, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition dans laquelle elle s’insère et de l’objectif poursuivi par cette décision-cadre (voir, par analogie, arrêts du 17 juillet 2008, Kozłowski, C‑66/08, Rec. p. I‑6041, points 41 et 42, ainsi que du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, Rec. p. I‑11477, point 38).

27      Ainsi que cela ressort en particulier de ses articles 1er et 6 ainsi que de ses considérants 1 et 2, la décision-cadre a pour objectif de mettre en place un mécanisme efficace de reconnaissance et d’exécution transfrontalière des décisions infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou à une personne morale à la suite de la commission de l’une des infractions énumérées à l’article 5 de celle-ci.

28      Certes, lorsque le certificat visé à l’article 4 de la décision-cadre, accompagnant la décision infligeant une sanction pécuniaire, donne à penser que des droits fondamentaux ou des principes juridiques fondamentaux définis à l’article 6 TUE ont pu être violés, les autorités compétentes de l’État d’exécution peuvent refuser de reconnaître et d’exécuter une telle décision en présence de l’un des motifs de non-reconnaissance et de non-exécution énumérés à l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre ainsi qu’en vertu de l’article 20, paragraphe 3, de celle-ci.

29      Compte tenu du fait que le principe de reconnaissance mutuelle, qui sous-tend l’économie de la décision-cadre, implique, en vertu de l’article 6 de cette dernière, que les États membres sont en principe tenus de reconnaître une décision infligeant une sanction pécuniaire qui a été transmise conformément à l’article 4 de la décision-cadre, sans qu’aucune autre formalité soit requise, et de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour son exécution, les motifs de refus de reconnaissance ou d’exécution d’une telle décision doivent être interprétés d’une manière restrictive (voir, par analogie, arrêt du 29 janvier 2013, Radu, C‑396/11, point 36 et jurisprudence citée).

30      Une telle interprétation s’impose d’autant plus que la confiance réciproque entre les États membres, pierre angulaire de la coopération judiciaire dans l’Union, est assortie des garanties appropriées. À ce titre, il y a lieu de souligner que, en vertu de l’article 20, paragraphe 8, de la décision-cadre, un État membre qui, au cours d’une année civile, a appliqué l’article 7, paragraphe 3, de la décision-cadre, est tenu d’informer, au début de l’année civile suivante, le Conseil et la Commission des cas dans lesquels les motifs de non-reconnaissance et de non-exécution d’une décision visés à cette disposition ont été opposés.

31      Si l’autorité compétente de l’État d’exécution éprouve des doutes sur la question de savoir si les conditions susmentionnées pour la reconnaissance de la décision infligeant une sanction pécuniaire en cause dans un cas donné sont remplies, elle peut solliciter des informations supplémentaires de l’autorité compétente de l’État d’émission, avant de tirer toutes les conséquences des appréciations effectuées dans sa réponse par cette dernière autorité [voir en ce sens, en ce qui concerne la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO L 190, p. 1), arrêt Mantello, précité, point 50].

32      Dans ce contexte réglementaire, aux fins d’interpréter la notion de «juridiction», contenue à l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre, il convient de s’appuyer sur les critères dégagés par la Cour pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une «juridiction» au sens de l’article 267 TFUE. En ce sens, selon une jurisprudence constante, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance (voir, par analogie, arrêt du 14 juin 2011, Miles e.a., C‑196/09, Rec. p. I‑5105, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

33      S’agissant des termes «compétence notamment en matière pénale», il est vrai que la décision-cadre a été adoptée sur le fondement des articles 31, paragraphe 1, sous a), UE et 34, paragraphe 2, sous b), UE, dans le cadre de la coopération judiciaire en matière pénale.

34      Toutefois, aux termes de son article 5, paragraphe 1, le champ d’application de la décision-cadre inclut les infractions relatives à une «conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière». Or, ces infractions ne font pas l’objet d’un traitement uniforme dans les différents États membres, certains de ceux-ci les qualifiant d’infractions administratives alors que d’autres les considèrent comme des infractions pénales.

35      Il s’ensuit que, afin de garantir l’effet utile de la décision-cadre, il convient de recourir à une interprétation des termes «ayant compétence notamment en matière pénale» dans laquelle la qualification des infractions par les États membres n’est pas déterminante.

36      Pour ce faire, il faut que la juridiction compétente au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre applique une procédure qui réunit les caractéristiques essentielles d’une procédure pénale, sans toutefois qu’il soit exigé que cette juridiction dispose d’une compétence exclusivement pénale.

37      Pour apprécier si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’Unabhängiger Verwaltungssenat peut être considéré comme une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale au sens de la décision-cadre, il y a lieu d’effectuer une appréciation globale de plusieurs éléments objectifs caractérisant cet organisme et son fonctionnement.

38      À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, ainsi que le souligne à juste titre la juridiction de renvoi, la Cour a déjà jugé qu’un organisme tel que l’Unabhängiger Verwaltungssenat possède toutes les caractéristiques requises pour que lui soit reconnue la qualité de juridiction au sens de l’article 267 TFUE (arrêt du 4 mars 1999, HI, C‑258/97, Rec. p. I‑1405, point 18).

39      Ensuite, ainsi qu’il résulte des informations fournies par le gouvernement autrichien dans ses observations écrites et orales, même si l’Unabhängiger Verwaltungssenat est formellement institué en tant qu’autorité administrative indépendante, selon l’article 51, paragraphe 1, du VStG, celui-ci est toutefois compétent, entre autres, en tant qu’instance d’appel en matière d’infractions administratives, dont, notamment, les infractions routières. Dans le cadre de cette voie de recours, qui a un effet suspensif, il a une compétence de pleine juridiction et applique une procédure à caractère pénal qui est soumise au respect des garanties procédurales appropriées en matière pénale.

40      À ce titre, il convient de rappeler que figurent notamment, parmi les garanties procédurales applicables, le principe nulla poena sine lege, prévu à l’article 1er du VStG, le principe de l’incrimination uniquement en cas d’imputabilité ou de responsabilité pénale, prévu aux articles 3 et 4 du VStG, et le principe de la proportionnalité de la sanction à la responsabilité et aux faits, prévu à l’article 19 du VStG.

41      Il convient donc de qualifier l’Unabhängiger Verwaltungssenat de «juridiction ayant compétence notamment en matière pénale», au sens de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre.

42      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question et à la deuxième question, sous a) et b), que la notion de «juridiction ayant compétence notamment en matière pénale», visée à l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre, constitue une notion autonome du droit de l’Union et doit être interprétée en ce sens que relève de cette notion toute juridiction qui applique une procédure qui réunit les caractéristiques essentielles d’une procédure pénale. L’Unabhängiger Verwaltungssenat satisfait à ces critères et doit, par conséquent, être regardé comme relevant de ladite notion.

43      Eu égard à la réponse apportée à la première question et à la deuxième question, sous a) et b), il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question, sous c).

 Sur la troisième question

44      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre doit être interprété en ce sens qu’une personne doit être considérée comme ayant eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale dans l’hypothèse où, avant d’introduire son recours, celle-ci a été tenue de respecter une procédure administrative précontentieuse et si, à cet égard, la nature et l’étendue du contrôle exercé par la juridiction compétente sont pertinentes pour la reconnaissance et l’exécution de la décision infligeant une sanction pécuniaire.

45      S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si le droit de recours est garanti nonobstant l’obligation de respecter une procédure administrative préalable avant que l’affaire soit examinée par une juridiction compétente notamment en matière pénale au sens de la décision-cadre, il importe de souligner, ainsi que le font la juridiction de renvoi et l’ensemble des parties ayant soumis des observations à la Cour, que l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre n’exige pas que l’affaire puisse être directement soumise à une telle juridiction.

46      En effet, la décision-cadre s’applique également aux sanctions pécuniaires infligées par des autorités administratives. Par conséquent, ainsi que le souligne à juste titre le gouvernement néerlandais, il peut être exigé, selon les particularités des systèmes juridictionnels des États membres, qu’une phase administrative préalable ait lieu. Toutefois, l’accès à une juridiction compétente notamment en matière pénale, au sens de la décision-cadre, ne doit pas être soumis à des conditions qui le rendent impossible ou excessivement difficile (voir, par analogie, arrêt du 28 juillet 2011, Samba Diouf, C‑69/10, Rec. p. I‑7151, point 57).

47      S’agissant, en deuxième lieu, de l’étendue et de la nature du contrôle exercé par la juridiction qui peut être saisie, cette dernière doit être pleinement compétente pour examiner l’affaire en ce qui concerne aussi bien l’appréciation en droit que les circonstances factuelles et doit avoir notamment la possibilité d’examiner les preuves et d’établir sur cette base la responsabilité de l’intéressé ainsi que l’adéquation de la peine.

48      En troisième lieu, le fait que l’intéressé n’ait pas introduit de recours, et que, partant, la sanction pécuniaire en cause soit devenue définitive, n’a pas d’incidence sur l’application de l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre, étant donné que, selon cette disposition, il suffit que l’intéressé «ait eu la possibilité» de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale.

49      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre doit être interprété en ce sens qu’une personne doit être considérée comme ayant eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale dans l’hypothèse où, avant d’introduire son recours, celle-ci a été tenue de respecter une procédure administrative précontentieuse. Une telle juridiction doit être pleinement compétente pour examiner l’affaire en ce qui concerne aussi bien l’appréciation en droit que les circonstances factuelles.

 

 Sur les dépens

 

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      La notion de «juridiction ayant compétence notamment en matière pénale», visée à l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, constitue une notion autonome du droit de l’Union et doit être interprétée en ce sens que relève de cette notion toute juridiction qui applique une procédure qui réunit les caractéristiques essentielles d’une procédure pénale. L’Unabhängiger Verwaltungssenat in den Ländern (Autriche) satisfait à ces critères et doit, par conséquent, être regardé comme relevant de ladite notion.

2)      L’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre 2005/214, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprété en ce sens qu’une personne doit être considérée comme ayant eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale dans l’hypothèse où, avant d’introduire son recours, celle-ci a été tenue de respecter une procédure administrative précontentieuse. Une telle juridiction doit être pleinement compétente pour examiner l’affaire en ce qui concerne aussi bien l’appréciation en droit que les circonstances factuelles.

Signatures


Langue de procédure: le tchèque.

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