Communication de la Commission européenne du 26 mai 2011 sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administrativesUne politique intégrée pour protéger l’argent des contribuables
COM/2011/0293 final
La protection des intérêts financiers de l’Union européenne est un élément essentiel de l’agenda politique de la Commission en vue de consolider et de renforcer la confiance du public et lui donner l’assurance que l’argent des contribuables est utilisé correctement. Le traité de Lisbonne a considérablement renforcé les instruments permettant d’agir dans ce domaine (articles 85, 86 et 325 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – TFUE). En vertu des articles 310, paragraphe 6, et 325 TFUE, l’Union européenne et les États membres ont l’obligation de combattre toute forme d’activité illégale affectant les intérêts financiers de l’Union. L’UE a ainsi mis en place un vaste ensemble d’instruments destinés à prévenir ou détecter tout usage irrégulier des fonds du budget de l’UE.
La présente communication, qui s’inscrit dans une approche intégrée qui inclura les nouvelles stratégies antifraude et anticorruption de la Commission, répond à ce défi en définissant la ligne qu’entend suivre la Commission pour protéger les fonds publics européens contre toutes les formes d’agissements criminels, fraude comprise. La protection des fonds européens grâce à une action juridique efficace et uniforme dans l’ensemble de l’Union doit devenir une priorité pour les autorités nationales.
Outre l’effort général à consentir pour fixer un minimum de règles commune de droit pénal, la politique intégrée de protection des intérêts financiers de l’UE par le droit pénal et les enquêtes administratives devra aussi être cohérente, crédible et efficace. C’est à cette seule condition qu’elle permettra de poursuivre et de traduire en justice les délinquants, y compris la criminalité organisée, et qu’elle exercera un effet dissuasif sur les malfaiteurs potentiels. Cette politique doit également tenir compte du fait que la protection de l’argent des contribuables implique souvent de s’intéresser à des affaires transfrontalières affectant de multiples juridictions, d’où la nécessité d’une coopération entre divers services administratifs et répressifs.
1. Pourquoi une action est-elle nécessaire?
La grande variété de systèmes et de traditions juridiques européens complique singulièrement la protection des intérêts financiers de l’Union contre la fraude et toute autre activité criminelle. Les règles de financement de l’Union européenne ont été simplifiées avec raison[1], mais il faut également renforcer les moyens de lutter contre le détournement des fonds européens. Ces considérations valent également pour les pays candidats à l’adhésion.
Le budget de l’Union, alimenté par l’argent du contribuable, doit exclusivement financer l’application des politiques approuvées par le législateur européen. Or, en 2009, les États membres ont signalé des cas de fraude présumée pour une valeur de 279,8 millions d’euros impliquant des fonds de l’UE gérés nationalement[2]. Même si ce chiffre n’est qu’un indicateur de la dimension financière du problème, il n’en montre pas moins que les efforts de prévention doivent être complétés par des mesures efficaces et équivalentes de droit pénal.
Malgré les progrès réalisés au cours des quinze dernières années, le niveau de protection des intérêts financiers de l’Union par le droit pénal varie toujours considérablement au sein de l’Union. Les enquêtes pénales concernant la fraude et les autres délits contre les intérêts financiers de l’Union se caractérisent par un cadre juridique et procédural morcelé: la police, les procureurs et les juges des différents États membres décident, sur la base de leurs propres règles nationales, de l’opportunité et des modalités des interventions destinées à protéger le budget de l’Union européenne. Malgré les tentatives visant à établir des normes minimales dans ce domaine, la situation a peu évolué: la convention de 1995 relative à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne et ses actes liés[3], qui contiennent des dispositions (incomplètes) en matière de sanctions pénales, n’ont été pleinement mises en œuvre que par cinq États membres[4].
Chaque fois que les intérêts financiers de l’Union subissent un préjudice, tous les citoyens, en tant que contribuables, deviennent des victimes et la mise en œuvre des politiques de l’Union est compromise. La protection des intérêts financiers de l’Union contre la fraude et la corruption est une priorité de la Commission, et le Parlement européen a constamment réclamé un renforcement de son efficacité et de sa crédibilité[5]. Il a notamment demandé l’adoption de toutes les mesures nécessaires à la création d’un Parquet européen. Au sein du Conseil, un vif soutien à une intensification de la lutte contre la fraude s’est manifesté[6].
La Commission entend se consacrer activement à ce sujet d’inquiétude commun. Elle compte s’appuyer pour ce faire sur le traité de Lisbonne, qui offre à l’UE un cadre clair pour renforcer son action dans le domaine du droit pénal. Elle a d’ailleurs déjà pris plusieurs initiatives en ce sens[7]. La Commission attachera une importance particulière aux aspects communicationnels dans ses futures initiatives législatives afin de sensibiliser les professions juridiques et, le cas échéant, le grand public, à ces questions. Elle continuera également à faire en sorte que toute initiative nouvelle dans les politiques de l’UE prenne en compte, dès sa conception, la nécessité de protéger les intérêts financiers de l’Union.
2. Quels sont les défis au niveau de la politique pénale?
En mars 2011, la Commission a proposé une réforme de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) en vue de renforcer l’efficacité des enquêtes administratives. Il faut également étudier comment surmonter les difficultés pour obtenir des données précises sur l’ampleur des fraudes et les poursuites dans les États membres, comment renforcer la coopération dans les affaires transfrontalières et comment améliorer l’efficacité des actions en justice dans le domaine pénal.
- Un nombre croissant de dossiers concernant toutes les formes graves de criminalité est soumis à Eurojust par les autorités nationales à des fins de coordination et de conseil. Ce nombre a augmenté régulièrement depuis la création d’Eurojust en 2002, passant de 208 dossiers à 1 372 dossiers en 2009[8]. Étant donné la mission actuelle d’Eurojust, cela donne une idée de l’évolution des dossiers comportant une dimension transfrontalière.
- 60 % des personnes interrogées dans une étude récente (procureurs nationaux spécialisés dans la protection des intérêts financiers) considèrent la dimension européenne comme un facteur handicapant, et 54 % limitent donc parfois leurs enquêtes aux éléments nationaux; 40 % estiment que la législation nationale les dissuade d’engager des poursuites dans des affaires européennes et 37 % ont déjà renoncé à contacter une institution européenne dans des cas pertinents, essentiellement parce que cela prend beaucoup de temps[9]
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3. Insuffisance de la protection contre le détournement de fonds du budget de l’UE
Depuis l’adoption du livre blanc sur la réforme de la Commission en 2000[10], la Commission accorde une attention particulière à la gestion financière saine[11] et elle a renforcé ses systèmes de contrôle interne pour combattre la fraude. Les mesures prises comprenaient la réforme du Statut du personnel (introduction de dispositions sur les conflits d’intérêt et obligation de signaler les actes potentiellement illicites, fraude comprise, à la hiérarchie ou à l’OLAF[12]), en 2004 et la révision des standards de contrôle interne et du cadre sous-jacent, en 2007[13]. Ainsi, les structures de contrôle actuellement en place ne visent pas seulement à assurer la régularité et la légalité des transactions, mais aussi à réduire les risques de fraude et d’irrégularités
Ces structures comportent aussi toute une série d’outils pour prévenir les irrégularités affectant son budget, tels les contrôles, les audits, l’établissement de rapports, les systèmes d’alerte précoce et l’étanchéité à la fraude[14], mais des instruments plus efficaces sont également requis pour combattre les activités délictueuses portant préjudice au budget de l’Union.
Les États membres ont l’obligation juridique (article 325 du TFUE et convention relative à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne) de combattre toutes les activités illégales portant atteinte aux intérêts de l’Union et d’ériger la fraude au détriment du budget de l’Union en infraction pénale passible de sanctions. À l’heure actuelle, toutefois, les sanctions applicables à la fraude vont d’amendes légères à de longues peines de prison. De plus, les législations des États membres ne prévoient pas systématiquement de sanctions en cas de corruption de fonctionnaires ou de titulaires (élus ou nommés) de fonctions publiques[15].
Cette situation empêche d’assurer une protection par le droit pénal uniforme dans l’ensemble de l’Union, et peut aisément aboutir à des issues différentes dans des cas individuels similaires, en fonction des dispositions pénales nationales applicables. Elle risque aussi d’inciter les aux auteurs d’infractions à choisir le lieu de leurs activités délictueuses, ou à se déplacer après avoir commis une infraction, si les dispositions pénales se limitent à sanctionner le comportement dans un seul État membre donné.
4. Insuffisance des actions intentées contre les activités criminelles
Étant donné l’ampleur des intérêts financiers en jeu, la protection du budget de l’Union requiert des enquêtes et des poursuites au pénal plus fréquentes et plus approfondies de la part des autorités judiciaires. C’est une tâche difficile, dans la mesure où les délits portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne nécessitent souvent des enquêtes et des procédures couvrant plusieurs États membres.
À l’heure actuelle, ces enquêtes pénales sont menées par les différents ministères publics des États membres, dans le cadre de leur législation pénale respective. Toutefois, les autorités nationales compétentes ne semblent pas toujours disposer des ressources juridiques suffisantes et des structures appropriées qu leur permettraient d’engager des poursuites judiciaires adéquates dans les affaires affectant l’Union. Ce constat vaut également pour les pays adhérents.
Du fait des différences entre les cadres juridiques des États membres et des entraves aux enquêtes transfrontalières, d’ordre opérationnel et organisationnel, qui en résultent, les intérêts financiers européens ne sont pas protégés de manière uniforme dans l’ensemble de l’Union.
Dans les affaires impliquant des infractions portant préjudice au budget de l’Union, le taux de condamnation est influencé de manière positive par la gravité et la solidité des dossiers transmis aux autorités judiciaires, ainsi que par la qualité et la pertinence des preuves fournies. Il faut néanmoins préciser que ce taux peut varier de 14 % à 80 % dans les États membres (avec une moyenne de 41 %)[16].
Les autorités judiciaires nationales n’ouvrent pas systématiquement d’enquête pénale à la suite d’une recommandation de l’OLAF. Il est parfois difficile de discerner la raison précise de cette inertie. De plus, les affaires de fraude au budget de l’Union font trop souvent l’objet d’un examen sommaire avant d’être classées sans suite[17]. Cela entraîne des disparités au niveau de la protection offerte par la législation pénale dans l’ensemble de l’Union.
Dans un certain nombre d’affaires de fraude portant atteinte au budget de l’UE, les organes d’investigation criminelle nationaux s’abstiennent d’ouvrir une enquête, invoquant des motifs discrétionnaires tels que le manque d’intérêt public ou le faible degré de priorité. Les enquêtes pénales impliquant plusieurs États membres ont tendance à être très longues[18] et soumises à des normes différentes en matière de preuve, ce qui réduit les probabilités de condamnation.
Depuis 2000, 93 dossiers OLAF sur un total de 647 ont été classés sans suite par les ministères publics nationaux, sans raison particulière. 178 autres dossiers l’ont été pour des motifs discrétionnaires. Même si ces décisions pouvaient être fondées dans certains cas, il n’en demeure pas moins que ces chiffres dénotent un taux de classement sans suite plutôt élevé.
La longueur des actions pénales (en particulier lorsqu’elles sont finalement abandonnées) peut aussi sensiblement retarder les sanctions disciplinaires, dans la mesure où il faut attendre l’issue de ces poursuites pénales dans les affaires impliquant des fonctionnaires de l’Union[19]. Il faut généralement attendre cinq ans pour qu’une décision judiciaire soit prise après l’ouverture d’un dossier par l’OLAF. De plus, les contraintes en matière de délais et de prescription diffèrent largement selon les États membres.
5. Les raisons des défaillances observées pour ce type de délits
Les défaillances constatées s’expliquent en partie par la diversité des traditions et des systèmes juridiques, à l’origine de pratiques judiciaires distinctes selon les États membres. Mais il existe aussi des lacunes très concrètes au niveau de la qualité de la justice, susceptibles d’être comblées par l’Union:
6. Absence de cadre commun homogène en matière de droit pénal
Les problèmes susmentionnés témoignent d’insuffisances dans les cadres juridiques nationaux visant à la protection des fonds publics. Entravées par une transposition incomplète et inadéquate de la convention relative à la protection des intérêts financiers, les règles de l’Union n’ont eu jusqu’à présent que peu d’impact. Les autorités judiciaires des États membres usent donc de leurs propres instruments traditionnels de droit pénal pour combattre les infractions commises aux dépens du budget de l’UE: il existe donc vingt-sept manières de réagir à une réalité unique. Cette situation est peu adaptée à des affaires complexes qui, de par leur nature, dépassent le contexte national et nécessitent davantage qu’une réponse nationale.
L’analyse de l’activité judiciaire d’un État membre donné pour les affaires transmises par l’OLAF révèle le caractère inégal de la protection des intérêts financiers de l’Union européenne. Dans 73 % des enquêtes externes, les autorités de cet État n’ont pris aucune mesure supplémentaire et, dans 62 % des cas OLAF, elles n’ont jamais ouvert d’enquête pénale.
Malgré les tentatives passées d’harmonisation des règles de l’Union[20], des différences considérables subsistent entre les législations des États membres:
- Il existe de grandes divergences dans les définitions des infractions pénales concernées (tels le détournement de fonds ou l’abus de pouvoir), dans les sanctions prévues et dans les délais de prescription applicables à ces délits. Ainsi, certains comportements manifestement inacceptables ne sont absolument pas couverts par la législation pénale de plusieurs États membres, ou ne le sont que par des dispositions plus faibles, d’où un impact dissuasif très variable selon les États.
- Dans le cadre de l’application des règles anticorruption, le concept de fonctionnaire peut varier: alors qu’un même comportement restera impuni dans certains États membres, il entraînera dans d’autres une condamnation suivie d’une sanction pénale et d’une révocation.
- En cas d’infraction commise par une société, la responsabilité pénale des chefs d’entreprises et des personnes morales est engagée dans certains États membres, mais ne l’est pas dans d’autres États. Cette situation incite à rechercher la juridiction la plus accommodante (forum shopping).
L’OLAF est confronté à un problème récurrent concernant la définition du conflit d’intérêts[21]. Les enquêtes montrent que, dans certains États membres, le bénéficiaire d’un marché public peut participer à la préparation d’un appel d’offres ouvert sans pour autant commettre un délit. La sanction d’un tel comportement doit pouvoir s’appuyer sur une infraction pénale comme la corruption.
Des efforts avaient déjà été réalisés pour remédier à cette fragmentation, mais les limites de l’ancien cadre juridique européen, qui ne couvrait que partiellement la législation pénale, avaient entravé la mise en œuvre de solutions juridiques suffisamment crédibles.
Quinze ans après la signature de la convention relative à la protection des intérêts financiers, et du fait de son application incomplète dans les États membres, les incohérences et les lacunes du droit pénal et procédural applicable nuisent à l’efficacité de la protection des intérêts financiers en autorisant l’impunité pour certains délits pénaux dans plusieurs États membres.
7. Coopération insuffisante entre les autorités
La protection du budget de l’Union européenne nécessite souvent de mener des enquêtes transfrontalières et d’appliquer des décisions dans d’autres pays. Les déficiences des mécanismes de coopération sont donc clairement visibles:
8. Limites de l’assistance juridique mutuelle
L’assistance juridique mutuelle est peu demandée, en raison de la complexité de ses procédures. C’est par exemple le cas en matière de recouvrement des avoirs, y compris pour les règles sur le gel et la confiscation, qui sont pourtant un élément vital de la lutte contre la fraude. Les autorités judiciaires des États membres peuvent être réticentes au lancement de telles mesures, en raison de leur complexité, de la longueur des procédures associées aux règles de l’assistance juridique mutuelle, et de l’incertitude quant aux résultats, en particulier dans les affaires transfrontalières.
Même en cas de requête d’assistance juridique mutuelle entre autorités administratives et judiciaires d’États membres, il est fréquent que la demande ne soit pas traitée suffisamment rapidement.
Dans certains cas de corruption et de fraude, l’action pénale est toujours en cours alors que l’OLAF avait transmis le dossier à l’autorité judiciaire nationale de nombreuses années auparavant. Ces retards s’expliquent principalement par la lenteur des procédures d’assistance juridique mutuelle, mais aussi par le manque de «pilotage» des pousuites au niveau européen.
9. Preuves inutilisées
Il est fréquent que les résultats des enquêtes administratives de l’UE ne soient pas utilisés par les juridictions pénales nationales, parce que des règles de procédure restrictives limitent l’utilisation des preuves réunies dans une juridiction étrangère. Ces preuves sont parfois jugées insuffisantes pour ouvrir une enquête criminelle.
10. Restriction des poursuites aux affaires nationales
Les poursuites sont insuffisantes lorsque les autorités nationales ne sont pas habilitées à enquêter sur des cas de fraude impliquant des événements, des suspects et des victimes à l’étranger, notamment lorsque le préjudice affecte non le budget national, mais le budget de l’Union européenne.
Certaines autorités nationales n’engagent des poursuites judiciaires que si la menace d’atteinte aux intérêts de l’Union provient exclusivement de leur territoire.
Dans une affaire Eurojust impliquant plusieurs États membres et pays tiers, des soupçons de fraude douanière à grande échelle (plus d’1 million d’euros) n’ont pas donné lieu à des poursuites par les autorités nationales des États membres concernés. Dans une autre affaire douanière, aucune solution pratique n’a pu être trouvée face au refus des autorités judiciaires et douanières d’un État membre de participer aux activités de coordination de l’OLAF. Ce refus de coopérer était dû à une interprétation rigide de la législation nationale en matière de compétence judiciaire.
11. Pouvoirs d’investigation insuffisants
L’OLAF effectue des enquêtes administratives, et l’Unité européenne de coopération judiciaire (Eurojust) apporte son soutien aux autorités judiciaires des États membres en leur fournissant coordination et conseils pour les formes graves de criminalité, dont la lutte contre la fraude. Ces deux organes de l’Union européenne pourraient jouer un rôle plus actif dans la protection des intérêts financiers de l’Union.
- Une réforme de l’OLAF est actuellement en cours pour améliorer son efficacité. Elle devrait renforcer les capacités de l’OLAF par une concentration de ses activités sur les cas prioritaires et en le dotant de moyens juridiques adéquats pour mener ses enquêtes administratives. Toutefois, les différences dans les lois et pratiques en matière de procédure pénale des États membres entraînent des réponses inégales au sein de l’Union.
- Eurojust est actuellement confronté à des limitations en matière de supervision des poursuites liées à la protection des intérêts financiers de l’UE. Sa réforme de 2008 ne lui a pas permis d’adapter ses tâches et sa structure aux ambitions énoncées dans le traité de Lisbonne. À l’heure actuelle, Eurojust n’a ni la capacité de lancer des enquêtes criminelles, ni d’engager des poursuites judiciaires de sa propre initiative.
12. Nouveaux instruments de protection des intérêts financiers de l’Union européenne introduits par le traité de Lisbonne
Le traité de Lisbonne a doté l’Union de compétences renforcées dans les domaines de la protection des intérêts financiers de l’UE et de la coopération judiciaire en matière pénale. Les premières mesures prises sur cette base par l’Union ont été l’adoption du programme de Stockholm[22] et du programme de travail 2001 de la Commission[23].
Quatre méthodes de protection des intérêts financiers européens sont mentionnées dans le traité sur le fonctionnement de l’UE:
i) les mesures de coopération judiciaire en matière pénale (article 82);
ii) les directives contenant des rrègles minimales de droit pénal (article 83);
iii) l a législation relative à la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (article 310, paragraphe 6, et article 325, paragraphe 4);
iv) l’article 85, qui prévoit l’attribution de compétences d’investigation à Eurojust, et l’article 86, qui prévoit la possibilité d’instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust, afin de lutter contre la criminalité affectant les intérêts financiers de l’Union.
S’il est jugé nécessaire de s’appuyer sur le droit pénal, notamment par une définition plus précise des infractions et l’introduction de règles minimales pour les sanctions, pour atteindre l’objectif légitime de lutte contre la fraude à l’encontre du budget de l’Union européenne, certains principes directeurs devront être observés.
En premier lieu, il est indispensable de respecter les droits fondamentaux. La Charte des droits fondamentaux de l’UE contient plusieurs dispositions pertinentes dans le contexte des poursuites pénales, telles que le droit à un recours effectif et à un jugement équitable, la présomption d’innocence et les droits de la défense, les principes de légalité, la protection des données à caractère personnel et l’interdiction de la double peine. Ces droits sont définis plus précisément par la législation (sur la protection des données par exemple[24]). Les futures propositions de la Commission seront soumises à une évaluation approfondie de leur impact sur les droits fondamentaux[25].
En deuxième lieu, étant donné les disparités des approches du droit pénal selon les États membres, une attention particulière devra être accordée à la valeur ajoutée qu’un rapprochement des législations pénales nationales peut apporter à la protection des intérêts financiers de l’Union.
En troisième lieu, il conviendra d’engager une réflexion sur le renforcement du rôle que les organes européens (l’OLAF, Eurojust et un éventuel Parquet européen) pourraient jouer, successivement ou simultanément, pour améliorer les enquêtes, les poursuites et l’assistance dans les affaires d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.
L’Union est à la croisée des chemins et doit faire des choix. Des travaux s’imposent à trois niveaux distincts: les procédures (4.1), le droit pénal matériel (4.2) et les aspects institutionnels (4.3).
13. Le renforcement des procédures pénales et administratives
La première étape doit consister à faciliter l’action des procureurs et des juges contre les fraudeurs où qu’ils se trouvent dans l’Union, y compris à l’étranger, moyennant un renforcement des instrument déjà existants, comme le Réseau judiciaire européen en matière pénale ou le Réseau européen de formation judiciaire.
Le recouvrement des avoirs joue un rôle central dans la protection des intérêts financiers de l’UE. La crainte de perdre des biens acquis de manière illicite est souvent plus forte que la crainte des sanctions pénales elles-mêmes. De plus, il est juste que les fonds publics perdus du fait d’activités criminelles soient à nouveau mis à la disposition de projets publics lorsqu’ils sont récupérés. Conformément aux recommandations du programme de Stockholm[26], la Commission prépare donc une proposition législative sur le recouvrement et la confiscation des avoirs. Dans le cadre des travaux de révision du règlement financier de l’UE, la Commission a déjà proposé que les créances détenues par l’Union ne soient pas traitées moins favorablement que les celles détenues par les organismes publics des États membres dans lesquels la procédure de recouvrement a été menée[27].
S’il existe les bases requises pour les échanges entre autorités policières et judiciaires des divers États membres, ce n’est pas encore le cas pour les échanges transversaux d’informations entre la police, les douanes, les autorités fiscales, les autorités judiciaires et les autres services compétents. La Commission a l’intention de remédier à cette situation en remplaçant sa proposition de 2004[28] relative à l’assistance administrative mutuelle aux fins de la protection des intérêts financiers.
La confiance mutuelle entre autorités judiciaires et administratives pourrait être améliorée si des règles de procédure équivalentes s’appliquaient. On disposerait ainsi d’une meilleure base pour faire en sorte que les éléments de preuve recueillis en lien avec la protection des intérêts financiers de l’UE bénéficient de la reconnaissance mutuelle. La Commission envisage une initiative législative visant à assurer la force probante des rapports d’enquête de l’OLAF et réfléchit aussi à d’autres mesures à même de faciliter la réunion transnationale de preuves.
14. Renforcement du droit pénal matériel
Le droit pénal est un des piliers de l’action de l’UE en matière de prévention et de lutte contre les actes portant préjudice au budget de l’Union.
En raison des lacunes subsistantes et d’une transposition déficiente de la convention relative à la protection des intérêts financiers, la Commission va préparer une initiative sur la protection des intérêts financiers de l’UE qui remplacera sa proposition pendante relative à la protection pénales des intérêts financiers[29]. Toute nouvelle mesure devra garantir la cohérence et l’équité dans l’application des sanctions pénales liées à la fraude, compte tenu des spécificités de la perpétration du délit . Il conviendra dans ce cadre d’envisager la définition d’infractions type supplémentaires, notamment pour le détournement de fonds et l’abus de pouvoir, dans des proportions adaptées à la protection des intérêts financiers de l’Union. La question du rapprochement des règles en matière de compétence juridictionnelle et de délais prescriptifs sera aussi examinée de plus près afin d’améliorer les résultats des enquêtes pénales.
Cette proposition pourrait être complétée, dans des proportions adaptées à la protection des intérêts financiers de l’Union, par des dispositions plus systématiques couvrant l’aide et la complicité, l’incitation, la tentative, ainsi que l’intention et la négligence. Elle pourrait aussi inclure des règles plus claires en matière de responsabilité pénale des titulaires de charges publiques nommés ou élus et des personnes morales dans le cadre de la protection des intérêts financiers.
15. Renforcement du cadre institutionnel
Toute mesure de prévention et de lutte contre la fraude affectant ses intérêts financiers que prendrait l’Union en vue d’instaurer une protection effective et équivalente sur tout son territoire requiert au préalable une évaluation de l’adéquation des structures dont elle dispose pour s’attaquer aux menaces pesant sur ses intérêts financiers. Pour ce faire, et conformément au traité de Lisbonne, une analyse approfondie des aspects au niveau desquels il convient de prévoir un renforcement des structures européennes pour traiter les mesures d’enquête pénale va être réalisée.
- Il est indispensable de moderniser les capacités d’Eurojust, peut-être en lui donnant le pouvoir de déclencher de sa propre initiative des enquêtes pénales sur les activités délictueuses portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union[30].
- De plus, un ministère public européen spécialisé, comme le Parquet européen, pourrait contribuer à la création d’un espace cohérent et homogène en prévoyant l’application de règles communes à la fraude et aux autres infractions affectant les intérêts financiers européens, et en recherchant, poursuivant et renvoyant en jugement les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union[31].
- L’OLAF, qui est actuellement le seul organe d’investigation de l’UE chargé de protéger les intérêts financiers européens, fait l’objet d’une réforme visant à renforcer son efficacité dans l’exercice de sa mission. Il convient d’examiner la façon dont le rôle de l’OLAF peut être adapté au nouveau contexte institutionnel moyennant une clarification de l’interaction entre procédures administratives et procédures judiciaires.
Notre vision pour 2020 : prendre les mesures nécessaires de droit pénal et administratif, en vue de réduire le plus possible les activités criminelles affectant le budget de l’UE
Une politique de tolérance zéro vis-à-vis de la fraude aux dépens de l’Union nécessite d’instaurer des mesures adéquates pour que ce type de délit fasse l’objet de poursuites homogènes partout dans l’Union. L’UE doit rechercher un niveau de protection efficace, proportionné et dissuasif de ses intérêts financiers grâce à des procédures pénales rapides et à des sanctions applicables sur tout son territoire, accentuant ainsi leur caractère dissuasif. À cette fin, il convient d’utiliser pleinement les possibilités inscrites dans le traité de Lisbonne pour veiller à ce que l’argent des contribuables fasse l’objet d’une protection équivalente dans l’ensemble de l’Union, grâce à des poursuites pénales renforcées qui ne s’arrêtent pas aux frontières nationales et à des règles minimales communes de droit pénal.
[1] La simplification est considérée comme une des priorités clés de la révision du règlement financier de l'UE – voir (COM(2010) 815 du 22.12.2010.
[2] COM(2010) 382, p. 6. Ce chiffre correspond à un stade précoce de l'ouverture des enquêtes sur les éventuelles irrégularités, à la suite de premiers soupçons d'infraction pénale. Il ne peut donc pas être considéré comme se référant à des cas de fraude établie, ni comme correspondant à un montant non recouvrable.
[3] Convention du 26 juillet 1995 (JO C 316, 27.11.1995, p. 49) (fraude); premier protocole ( JO C 313 du 23.10.1996, p. 2 ) et convention du 26 mai 1997 (JO C 195 du 25.6.1997) (corruption); protocole du 29 novembre 1996 (JO C 151 du 20.5.1997, p. 2) (interprétation de la Cour de justice européenne); deuxième protocole du 19 juin 1997 (JO C 221 du 19.7.1997, p. 12 ) (blanchiment d’argent).
[4] Premier rapport sur la mise en œuvre des instruments relatifs à la protection des intérêts financiers, COM(2004)709; deuxième rapport - COM(2008)77, qui énumère en annexe les difficultés concrètes de mise en œuvre rencontrées par les États membres, comme les différences notables dans la définition des infractions de fraude et de corruption, ou le manque de considération pour les spécificités de la législation de l'UE.
[5] Voir notamment ses résolutions 2009/2167 (INI) du 6 mai 2010 et 2010/2247(INI) du 6 avril 2011 sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne et la lutte contre la fraude.
[6] Voir par exemple la résolution du Conseil relative à une politique globale de l’UE contre la corruption (14 avril 2005), les conclusions du groupe de travail sur le Parquet européen organisé par la présidence espagnole (premier semestre 2010), et la déclaration de la présidence belge (second semestre 2010) sur le programme de Stockholm.
[7] Voir notamment son livre vert relatif à l'obtention de preuves en matière pénale, COM(2009) 624, et les mesures de droit procédural comme la directive 2010/64/UE du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, JO L 280 du 26.10.2010, p. 1, ou la proposition de la Commission de directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, COM (2010) 392/3.
[8] Voir le Rapport annuel 2009 d’Eurojust, annexe, figure 1, p. 50.
[9] Voir le document de travail des services de la Commission SEC(2011) 621.
[10] Livre blanc sur la réforme de la Commission , COM(2000)200.
[11] Voir article 28 du Règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil du 25 juin 2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248 du 16.9.2002, p.1).
[12] Statut du personnel – règlement (CEE) 31/62, tel que modifié.
[13] Voir communication sur la révision des standards de contrôle interne et du cadre sous-jacent – renforcer l'efficacité des contrôles, SEC(2007)1341.
[14] Outils institutionnels en matière de contrôle, d'audit, d'établissement de rapports (règlement (CE) n° 2035/2005 - JO L 345 du 28.12.2005; règlement (CE) n° 1083/2006 - JO L 371 du 27.12.2006; règlement (CE) n° 1198/2006 - JO L 223 du 15.8.2006; règlement (CE, Euratom) n° 1553/89 - JO L 155 du 7.6.1989; règlement (CE, Euratom) n° 1150/2000 - JO L 130 du 31.5.2000); d'alerte précoce (décisions de la Commission C(2004) 193 et C(2008) 3872; d'étanchéité à la fraude (Prévenir la fraude en s'appuyant sur les résultats opérationnels: une approche dynamique de l'étanchéité à la fraude - COM(2007) 806).
[15] Les législations des États membres ne prévoient pas toujours de sanctions en cas de corruption d’élus et de parlementaires. Voir le document de travail des services de la Commission SEC(2011)621, section 3.1 (tableaux comparatifs des législations).
[16] Voir le document de travail des services de la Commission SEC(2011) 621: les tableaux 2.2.a et 2.2.c montrent que certains États membres ont des taux de condamnation élevés, et d’autres des taux extrêmement faibles.
[17] Voir le document de travail des services de la Commission SEC(2011) 621: les tableaux 2.2.a et 2.2.c donnent les pourcentages d’affaires transmises aux autorités judiciaires nationales et classées sans procès.
[18] Voir le document de travail des services de la Commission SEC(2011) 621, tableau 2.2.a: les statistiques des douze dernières années concernant les affaires en attente de décision judiciaire et les affaires ayant fait l’objet d’une décision judiciaire illustrent les divergences importantes entre les États membres.
[19] Annexe IX, article 25 du Statut des fonctionnaires de l’Union européenne.
[20] Voir par exemple la proposition de la Commission relative à la protection pénale des intérêts financiers, COM(2001) 272, telle que modifiée par COM(2002) 577. Cela reste vrai malgré la législation existante de l’UE en matière de marchés publics, telle la directive 2004/17/CE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, JO L 134, 30.4.2004, p. 1.
[21] Voir le Livre vert sur la modernisation de la politique de l’UE en matière de marchés publics, COM(2011) 15, section 5.
[22] JO C 115 du 4.5.2010, p. 1 (voir par exemple les orientations pour les enquêtes financières et la question du recouvrement des avoirs, point 4.4.5).
[23] COM(2010) 623 (voir par exemple la stratégie de lutte contre la fraude ou la législation régissant l’OLAF, point 32 de l’annexe I et point 81 de l’annexe II).
[24] Directive 95/46/CE (pour les États membres), JO L 281 du 23.11.1995, p. 31, et règlement (CE) n° 45/2001 (pour les institutions de l’UE), JO L 8 du 12.1.2001, p. 1.
[25] Voir la Stratégie pour la mise en œuvre effective de la Charte des droits fondamentaux par l’Union européenne, COM(2010) 573.
[26] JO 2010 C 115 du 4.5.2010, p. 1, section 4.4.5.
[27] COM (2010) 815, article 79.
[28] COM(2004) 509, telle que modifiée par COM(2006) 473.
[29] COM(2001)272 telle que modifiée par COM(2002)577.
[30] Article 85 TFUE.
[31] Article 86 TFUE.