Livre vert de la Commission européenne du 11 décembre 2001 sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen
COM/2001/0715 final
Sommaire
1. Introduction
1.1. Les origines de la proposition de la Commission visant à créer un procureur européen
1.2. Les motifs de présentation à ce stade d'un Livre vert
1.2.1. La fraude aux intérêts financiers communautaires : un phénomène à réprimer
1.2.2. La question du procureur européen : un débat à poursuivre
1.3. Les objectifs du Livre vert
1.3.1. Élargir le débat à tous les milieux intéressés
1.3.2. Approfondir la question de la faisabilité de la proposition
2. Prémisses du débat
2.1. Valeur ajoutée du procureur européen : rappel des arguments à l'appui de la proposition faite par la Commission en 2000
2.1.1. Surmonter le morcellement de l'espace pénal européen
2.1.2. Dépasser le caractère lourd et inadapté des méthodes classiques de la coopération judiciaire entre les États membres
2.1.3. Donner une suite judiciaire aux enquêtes administratives effectuées
2.1.4. Renforcer l'organisation et l'efficacité des recherches à l'intérieur des institutions communautaires
2.2. Respect des droits fondamentaux
2.3. Articulation avec les priorités politiques européennes en matière de justice et affaires intérieures
2.3.1. Complémentarité avec les objectifs du Conseil européen de Tampere
2.3.2. Spécificité de la proposition par rapport aux objectifs du Conseil européen de Tampere
2.4. Base juridique
3. Schéma général
3.1. Une compétence matérielle limitée à la protection des intérêts financiers des Communautés
3.1.1. Une responsabilité particulière des Communautés
3.1.2. Le maintien du champ actuel de la protection des intérêts financiers communautaires
3.2. Vers un espace commun de recherches et de poursuites
3.2.1. Les pouvoirs du procureur européen : une direction centralisée des recherches et des poursuites
3.2.2. Une articulation harmonieuse avec les systèmes pénaux nationaux
4. Statut juridique et organisation interne
4.1. Statut du procureur européen
4.1.1. Principe d'indépendance
4.1.2. Conditions de nomination et de destitution
4.1.3. Rôle hiérarchique du procureur européen
4.2. Organisation déconcentrée du ministère public européen
4.2.1. Principe de déconcentration des procureurs européens délégués
4.2.2. Principe de subordination au procureur européen
4.3. Moyens de fonctionnement du parquet européen
5. Droit pénal matériel
5.1. Choix de la méthode législative : unification communautaire ou harmonisation des législations nationales
5.2. Incriminations communes
5.2.1. Infractions pour la protection des intérêts financiers communautaires, ayant déjà fait l'objet d'un accord entre les États membres
5.2.2. Autres infractions envisagées pour la protection des intérêts financiers communautaires
5.2.3. Infractions envisageables au-delà de la protection des intérêts financiers communautaires
5.3. Sanctions communes
5.4. Responsabilité des personnes morales
5.5. Régimes de prescription
6. Procédure
6.1. Information et saisine
6.2. Phase préparatoire
6.2.1. Droits fondamentaux
6.2.2. Ouverture des recherches et des poursuites
6.2.3. Conduite des recherches
6.2.4. Issue des poursuites
6.3. Phase de jugement
6.3.1. Choix de l'État membre de renvoi en jugement
6.3.2. Exercice de l'action publique
6.3.3. Les Communautés européennes, victimes de droit commun
6.3.4. Systèmes de preuves
6.3.5. Causes d'extinction de l'action publique
6.3.6. Exécution du jugement
6.4. Garantie de l'intervention d'un juge
6.4.1. Fonctions du juge
6.4.2. Désignation du juge des libertés
6.4.3. Désignation du juge contrôlant l'acte de renvoi en jugement
7. Relations avec les autres acteurs
7.1. Coopération avec les autorités des États membres
7.2. Relations avec les acteurs de la coopération pénale institués dans le cadre de l'Union européenne
7.2.1. Eurojust
7.2.2. Europol
7.2.3. Réseau judiciaire européen
7.3. Relations avec les institutions, organes et organismes communautaires
7.3.1. Cas général
7.3.2. Rôle futur de l'OLAF
7.4. Relations avec les pays tiers
8. Contrôle juridictionnel des actes du procureur européen
8.1. Actes du procureur européen susceptibles de recours
8.1.1. Actes de recherche comportant une restriction ou une privation de la liberté des personnes
8.1.2. Autres actes de recherche
8.1.3. Décision de classement ou de non-lieu
8.1.4. Renvoi en jugement
8.2. Droits de recours
8.2.1. Recours de droit interne
8.2.2. Recours devant la Cour de justice
9. Conclusion
ANNEXE n° 1 Contribution complémentaire de la Commission à la Conférence intergouvernementale sur les réformes institutionnelles du 29 septembre 2000 80
ANNEXE n°2 Schémas simplifiés de procédure 90
ANNEXE n°3 Cas fictif de fraude traitée par le procureur européen 94
ANNEXE n°4 Rappel des questions posées 99
1. Introduction
La nécessité de poursuivre de manière plus effective les auteurs de la criminalité portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes a conduit la Commission à proposer la création en ce domaine d'un procureur européen. Cette proposition, parce qu'elle méritait à la fois d'être approfondie et largement discutée, justifie aujourd'hui la présentation par la Commission du présent Livre vert.
Bien que basé sur une proposition de principe déjà adoptée par la Commission, le présent document constitue un support de consultation, comme tout Livre vert. Un effort de réflexion préalable sur les possibilités de mise en oeuvre de la proposition doit permettre, en un second temps, de se prononcer de façon plus éclairée sur son principe même.
1.1. Les origines de la proposition de la Commission visant à créer un procureur européen
A l'occasion de la Conférence intergouvernementale de Nice, la Commission a proposé pour répondre au phénomène de fraude aux finances de l'Europe, de remédier au morcellement de l'espace pénal européen par l'institution d'un procureur européen [1]. En effet, la protection des intérêts financiers communautaires appelle, en raison de sa spécificité, une réponse particulière pour surmonter les limites de la coopération judiciaire classique.
[1] Contribution complémentaire de la Commission à la Conférence intergouvernementale sur les réformes institutionnelles - La protection pénale des intérêts financiers communautaires : un Procureur européen, 29.9.2000, COM(2000)608. Voir annexe n° 1. Cette contribution complète l'avis de la Commission au titre de l'article 48 TUE sur la réunion d'une conférence des représentants des gouvernements des États membres en vue de modifier les traités, Adapter les institutions pour réussir l'élargissement, 26.1.2000, COM (2000) 34, 5 b).
Historiquement, l'idée d'un approfondissement particulier de la protection pénale des intérêts financiers communautaires est apparue, à la suite de l'attribution de ressources propres à la Communauté, avec un premier projet de modification du traité, daté du 6 août 1976 [2]. Elle s'est développée avec la signature d'instruments conventionnels notamment la convention du 26 juillet 1995, adoptés dans le cadre de la coopération « justice et affaires intérieures » (ci-après dénommé troisième pilier), mais non encore ratifiés par tous les États membres [3]. Elle a trouvé une première consécration dans le Traité d'Amsterdam, avec l'inscription d'une base juridique (article 280 du traité CE) permettant au législateur communautaire de légiférer dans une mesure limitée en matière de protection pénale des intérêts financiers communautaires. Sur cette base, la Commission a récemment adopté une proposition de directive dans ce domaine [4]. Cette même spécificité de la protection pénale des intérêts financiers a sous-tendu la proposition de création d'un procureur européen.
[2] Ancien projet de traité portant modification des traités instituant les Communautés européennes en vue d' adopter une réglementation commune sur la protection pénale des intérêts financiers des Communautés ainsi que sur la poursuite des infractions aux dispositions desdits traités, COM(76)418, (JO C 222 du 22.9.1976).
[3] Convention du 26 juillet 1995 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO C 316 du 27.11.95, p. 48) et ses protocoles additionnels (JO C 313 du 23.10.1996, p. 1 ; JO C 221 du 19.7.1997, p. 11 ; JO C 151 du 20.5.1997, p. 1).
[4] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté, présentée par la Commission le 23.5.2001 (COM(2001)272).
Cette proposition a été précédée d'un travail préparatoire approfondi. Depuis bientôt dix ans, à la demande du Parlement européen et de la Commission, des groupes d'experts de la matière pénale de tous les États membres travaillent sur le thème de la protection pénale des intérêts financiers des Communautés [5]. Les résultats de leurs travaux, salués par le Parlement européen [6] et la Commission, ont abouti à la proposition d'un ensemble de règles relatives à la protection pénale des intérêts financiers communautaires, bien connu sous le nom de « Corpus juris ». Ils s'appuient sur une vaste étude comparée des systèmes pénaux nationaux, concluant à la faisabilité du projet [7].
[5] Analyse comparée des rapports des États membres relatifs aux mesures prises au niveau national pour lutter contre le gaspillage et le détournement des moyens communautaires et Document de synthèse, Commission européenne, 13.11.1995, COM(95)556 ; voir également plusieurs études commandées par la Commission : Étude comparative sur la protection des intérêts financiers de la Communauté, 3 volumes, 1992-1994 ; Étude sur les systèmes de sanctions administratives et pénales dans les États membres des Communautés européennes, 2 volumes, 1994 ; La transaction dans l'Union européenne, 1995.
[6] Résolution sur la création d'un espace juridique et judiciaire européen pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne contre la criminalité internationale, Parlement européen, 12.6.1997 (JO C 200 du 30.6.1997, p. 157).
[7] Corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, sous la direction de M. Delmas-Marty, Economica, Paris, 1997. A la suite de ces recommandations, les experts ont plus récemment révisé le Corpus juris (http://www.law.uu.nl/wiarda/corpus/index1.htm) et achevé une importante étude comparative relative à l'examen de sa nécessité, sa légitimité et sa faisabilité, analysant l'impact que peut avoir un procureur européen sur les systèmes de poursuite nationaux des États membres : La mise en oeuvre du Corpus juris dans les États membres, M. Delmas-Marty / J.A.E. Vervaele, Intersentia, Utrecht, 2000, 4 volumes. Pour les besoins du Livre vert, sauf précision contraire, il est toujours fait référence à cette seconde version, dite « de Florence », du Corpus juris (CJ).
Toutefois, la réflexion ne saurait s'arrêter au stade de ces études. La Commission a soumis en 2000 la contribution précitée. Elle mène sa propre réflexion, laquelle ne s'inspire d'aucun modèle national particulier, mais recherche le système le plus adapté aux spécificités de l'objectif de protection des intérêts financiers communautaires, en s'alignant sur les plus hautes exigences de protection des droits fondamentaux.
1.2. Les motifs de présentation à ce stade d'un Livre vert
La contribution soumise par la Commission à la Conférence intergouvernementale, consistant à réviser le Traité CE afin d'y prévoir une base juridique permettant la création du procureur européen [8], n'a pas été reprise par les chefs d'État et de gouvernement réunis à Nice en décembre 2000. D'une part, la Conférence intergouvernementale n'a pas bénéficié du temps nécessaire pour examiner la proposition. D'autre part, le souhait d'un approfondissement de ses implications pratiques a été exprimé.
[8] COM(2000)608 précité.
En effet, les fondements de cette proposition demeurent. De plus, certaines réactions ont été encourageantes. Aussi, conformément à son plan d'action 2001-2003 pour la protection des intérêts financiers des Communautés [9], la Commission s'est-elle engagée à adopter le présent Livre vert, afin de préciser sa réflexion et d'élargir le débat.
[9] COM(2000)254.
Il s'agit de répondre au scepticisme qui a trop souvent accueilli la proposition, en expliquant d'un point de vue pratique et en débattant des possibilités de mise en oeuvre concrète d'une solution qui apparaît ambitieuse et, à raison, novatrice.
1.2.1. La fraude aux intérêts financiers communautaires : un phénomène à réprimer
En effet, la fraude demeure un phénomène à réprimer. Dans le contexte général actuel, marqué par une lutte renforcée au plan international contre la criminalité financière, l'ampleur des activités illégales préjudiciables aux fonds communautaires mérite ici d'être rappelée.
Dans le total des cas d'irrégularité détectés par la Commission et les États membres, la part de ceux qui appellent un traitement pénal - caractérisés par un élément d'intentionnalité - a été estimée en 1999 par la Commission et les États membres à environ 20% des cas connus et à près de 50% des montants correspondants. Ainsi entendue, la fraude portant atteinte aux intérêts financiers communautaires décelée tant par les États membres que par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) en 1999 portait sur un montant total évalué à 413 millions d'euros [10].
[10] Commission européenne, Protection des intérêts financiers des Communautés, lutte contre la fraude, rapport annuel 1999, COM (2000) 718, 4 et 5.
Au total, ces affaires représentaient des fraudes, au titre des ressources propres européennes, de l'ordre de 122 millions d'euros (soit 0.9 % des ressources propres traditionnelles) et au titre des dépenses, de 291 millions d'euros (soit 0.3 % du budget), dont 170 millions d'euros en ce qui concerne les dépenses agricoles, 73 millions s'agissant des dépenses directes des Communautés et 48 millions pour les actions structurelles.
La description du phénomène de fraude, au travers de statistiques et d'exemples, est faite chaque année par la Commission, depuis 1991, dans son rapport annuel sur la protection des intérêts financiers communautaires et la lutte contre la fraude [11].
[11] Commission européenne, Protection des intérêts financiers des Communautés, lutte contre la fraude, rapport annuel 2000, COM (2001) 255.
Les moyens de détection administrative mis en place au niveau communautaire ont été perfectionnés au fil des années [12]. Ceux-ci s'accompagnent d'un effort redoublé en termes de prévention de la fraude, dans le cadre de la réforme de la gestion de la Commission à laquelle contribue la stratégie antifraude de l'OLAF.
[12] Les chefs d'État et de gouvernement, réunis à Cologne en juin 1999, se sont félicités de la création rapide de l'OLAF et du dispositif juridique qui l'accompagne, qu'ils avaient demandée lors du Conseil européen de Vienne en décembre 1998.
Cependant prévention et détection ne suffisent pas à elles seules. La nécessité d'une répression effective demeure. En effet, l'implication de la criminalité organisée est avérée dans nombre de cas qu'ont eu à connaître depuis des années les services de la Commission, et tout particulièrement l'Unité de coordination et de lutte contre la fraude (UCLAF) créée en 1988 et devenue en 1999, Office européen de lutte antifraude (OLAF), indépendant dans sa fonction d'enquête administrative. La fraude au détriment des intérêts financiers communautaires est principalement le résultat d'affaires importantes et impliquant le système pénal de plusieurs États membres. Il s'agit de cas complexes au caractère transnational marqué.
Un problème d'une telle ampleur ne peut rester sans réponse appropriée. A la spécificité de cette criminalité doit correspondre une solution particulière. Compte tenu de sa nature, cette réponse comporte une dimension répressive, qui doit correspondre aux exigences fixées par le Traité d'Amsterdam. L'article 280 du Traité CE oblige en effet d'ores et déjà à une protection des intérêts financiers des Communautés effective, dissuasive et équivalente dans tous les États membres. Dans ce contexte, la Communauté doit garantir aux états membres et aux contribuables européens que les faits de fraude et de corruption sont effectivement poursuivis, y compris au plan pénal. Faute de quoi, la crédibilité de la construction européenne pourrait être gravement entamée aux yeux de l'opinion publique.
1.2.2. La question du procureur européen : un débat à poursuivre
A cet égard, la discussion relative à la création d'un procureur européen n'a pas attendu le Livre vert pour faire montre d'une certaine vigueur.
Au niveau européen, les limites des espaces judiciaires nationaux face à la criminalité économique et financière transnationale sont dénoncées depuis plusieurs années par des praticiens, magistrats, policiers ou avocats. De l'appel de Genève, lancé le 1er octobre 1996, à la récente déclaration de Trèves du 15 septembre 2001 en faveur d'une relance de la question du procureur européen dans la perspective de l'élargissement de l'Union, en passant par le manifeste de Strasbourg du 20 octobre 2000, les milieux professionnels se sont appropriés le sujet dans plusieurs États membres. De façon plus latente, cette préoccupation figure désormais parmi les attentes générales des citoyens européens, sortant des cercles spécialisés ou universitaires [13].
[13] Selon, par exemple, un sondage annuel réalisé en décembre 2000 dans huit États membres par l'institut Louis-Harris pour le quotidien Le monde, 68% des sondés se déclaraient favorables à l'harmonisation des systèmes judiciaires des États membres.
Le Parlement européen a joué un rôle moteur, appelant de ses voeux, à de nombreuses reprises depuis les années 1990, l'aboutissement d'un tel projet, afin de donner un prolongement effectif, au stade des poursuites pénales, à la prévention et à la détection administrative de la fraude [14].
[14] Voir notamment : résolution du Parlement européen sur le rapport annuel 1996 de la Commission (JO C 339 du 10.11.1997 p. 68) ; résolution sur les poursuites pénales dans l'Union européenne (Corpus Juris), 13.4.1999 ; résolution du 19 janvier 2000 sur l'établissement d'une protection pénale des intérêts financiers de l'Union (JO C 304 du 24.10.2000, p. 126) ; résolution du 13.4.2000 en vue de la Conférence intergouvernementale ; résolution du 16.5.2000 sur le rapport annuel 1998 de la Commission sur la protection des intérêts financiers des Communautés ; résolution du 13.12.2000 sur la stratégie antifraude de la Commission (JO C 232 du 17.8.2001, p.191) ; résolution du 14 mars 2001 sur le rapport annuel 1999 de la Commission sur la protection des intérêts financiers des Communautés.
Plus récemment, le comité des experts indépendants [15], le comité des sages [16], ainsi que le comité de surveillance de l'OLAF [17], ont recommandé en 1999, chacun en ce qui le concerne, la création d'un procureur européen compétent à cet égard.
[15] Second rapport sur la réforme de la Commission, 10.9.1999, recommandation 59.
[16] Rapport de MM. Dehaene, Simon et Von Weizsäcker, 18.10.1999, 2.2.6..
[17] Avis 5/99 et 2/2000 du comité de surveillance de l'OLAF, in Rapport d'activités juillet 1999 - juillet 2000 (JO C 360 du 14.12.2000).
Au niveau national, le débat s'est étoffé sur le plan politique, du moins dans certains États membres. Sans prétendre aucunement à l'exhaustivité, il est éclairant de rappeler à cet égard certaines opinions.
Au Royaume-Uni, la House of Lords a publié l'audition relative à la poursuite des fraudes aux finances communautaires, menée par sa commission parlementaire chargée des Communautés européennes [18]. Le président de cette dernière, sans partager les conclusions du Corpus juris, admet que la mise en place d'un régime spécial pour poursuivre la fraude devrait être considérée en cas de retard ou d'échec des efforts de coopération judiciaire intergouvernementale restant à mener.
[18] Prosecuting fraud on the Communities' finances - The Corpus juris, 8.5.1999, Select committee on the European Communities, House of Lords, Londres.
En France, la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne examinant le thème de la lutte contre la fraude en Europe présente la question d'un procureur européen comme un des termes du choix restant à faire aujourd'hui en cette matière [19]. Son rapporteur, concluant que l'efficacité de la répression en ce domaine est un véritable problème, se déclare favorable à l'institution d'un procureur européen.
[19] Rapport d'information sur la lutte contre la fraude dans l'Union européenne, Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, Paris, 22.6.2000, n°2507.
En Allemagne, le gouvernement fédéral a répondu à la demande d'un groupe de parlementaires du Bundestag relative aux progrès envisageables au niveau communautaire en matière pénale, notamment en vue de la protection des intérêts financiers des Communautés [20]. Selon cette réponse, en dépit de réserves importantes sur la partie générale de l'étude Corpus juris, la création d'un procureur européen devrait être envisagée dans le contexte d'une éventuelle unification sectorielle du droit pénal matériel et procédural et faire fond sur l'expérience acquise avec l'établissement d'Eurojust, considéré par le gouvernement allemand comme l'embryon d'un futur procureur européen.
[20] Bundestagsdrucksache 14/4991, 14.12.2000, p. 32 et s.
Aux Pays-Bas, le Ministre de la Justice qualifie la contribution de la Commission à la Conférence intergouvernementale comme d'intérêt. Il estime qu'elle peut contribuer de façon raisonnable à une discussion de fond, relative aux mesures nécessaires pour améliorer la lutte contre la fraude communautaire, à laquelle il se déclare prêt [21].
[21] Lettre à la Commission pour la Justice du Parlement néerlandais, relative à la coopération judiciaire en matière pénale, 5.7.2001.
Dans la perspective beaucoup plus large de la lutte contre la criminalité dans l'Union européenne, certains chefs de gouvernement ont désormais recours, sous des acceptions diverses, au terme de « parquet européen » lorsqu'ils font part de leur vision sur l'avenir de l'Europe [22].
[22] Motion du SPD sur l'Europe, présentée par le Chancelier allemand Schröder, le 30.4.2001, adoptée en novembre 2001 ; discours sur l'avenir de l'Union européenne du Premier ministre français Jospin, 23.5.2001
A tout le moins, de telles opinions attestent, tout à la fois, de l'intérêt suscité par le sujet et de la nécessité d'un débat sur les modalités de fonctionnement de ce que pourrait être un procureur européen. Pour sa part, la Commission propose, sur un terrain à la fois plus étroit et particulier, une solution novatrice destinée à répondre à un besoin spécifiquement commun. Le présent Livre vert trouve ici sa raison d'être.
1.3. Les objectifs du Livre vert
La nature du Livre vert le distingue des travaux préparatoires jusqu'ici accomplis. Il vise à élargir et approfondir le débat sur la proposition de la Commission, en vue de son examen par la Convention qui préparera la prochaine révision des traités.
1.3.1. Élargir le débat à tous les milieux intéressés
Dans cette perspective, le premier objectif du Livre v
ert est d'engager tout au long de 2002 une consultation aussi large que possible avec tous les milieux intéressés : parlements, autorités publiques communautaires et nationales, professions liées au procès pénal, universitaires, organisations non gouvernementales concernées, etc. La consultation porte sur les missions et le fonctionnement qui pourraient être ceux d'un procureur européen compétent pour protéger les finances communautaires. Le Livre vert doit permettre d'organiser le débat autour de quelques axes et de lui donner une large audience, dans un esprit de bonne gouvernance.
Les axes ici retenus sont les suivants :
- Prémisses du débat (chapitre 2)
- Schéma général (chapitre 3)
- Statut juridique et organisation interne (chapitre 4)
- Droit matériel (chapitre 5)
- Droit de la procédure (chapitre 6)
- Relations avec les autres acteurs (chapitre 7)
- Contrôle juridictionnel (chapitre 8)
Sur chacun de ces thèmes, la Commission expose tout d'abord les éléments utiles pour éclairer le débat. Elle dégage ensuite certaines options et exprime parfois sa préférence au stade actuel de sa réflexion. Elle pose enfin les questions sur lesquelles, à tout le moins, elle souhaite recueillir l'avis des cercles concernés. Si les préférences de la Commission, prises ensemble, dessinent un système cohérent, celui-ci n'est assurément pas le seul possible et ne saurait prédéterminer le débat.
1.3.2. Approfondir la question de la faisabilité de la proposition
Le Livre vert est également une occasion pour la Commission de préciser sa réflexion, au-delà des études préparatoires approfondies menées depuis plusieurs années. En effet, dans sa communication du 29 septembre 2000 la Commission n'a proposé d'intégrer dans le traité que les caractéristiques essentielles du procureur européen (nomination, démission, mission, indépendance), tout en renvoyant au droit dérivé pour les règles et modalités nécessaires à son fonctionnement.
C'est sur l'esquisse de ce que pourrait être ce droit dérivé que porte précisément le Livre vert. Ce droit devrait notamment établir au niveau communautaire des incriminations (fraude, corruption, blanchiment, etc.) et des peines relatives aux activités préjudiciables aux intérêts financiers des Communautés. Il devrait déterminer l'articulation du dispositif communautaire notamment avec les systèmes pénaux nationaux. Il devrait traiter des modalités de saisine du procureur européen, de ses pouvoirs d'investigation, de l'ouverture et de l'issue des recherches. Il devrait également prévoir le contrôle juridictionnel des actes du procureur.
Si la réflexion portait en 2000 sur la légitimité et les raisons d'une telle création, elle s'étend donc au stade du Livre vert à la faisabilité et aux modalités envisageables pour assurer le fonctionnement du procureur européen. Au-delà du principe que la Commission a déjà exposé dans sa précédente communication, il s'agit ici, dans un souci de transparence des travaux préparatoires, d'envisager les conditions concrètes de mise en oeuvre de la proposition.
La Commission souhaite recueillir vos commentaires sur le présent Livre vert, notamment sur chacune des questions signalées par un encadré et rappelées en annexe.
Afin de faciliter les échanges de vue, un site Internet est mis à disposition, sur lequel sont accessibles le présent Livre vert et une série de liens utiles.
http://europa.eu.int/olaf/livre_vert
Jusqu'au 1er juin 2002, les réponses peuvent être données de préférence par voie électronique à l'adresse suivante :
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
ou envoyées par la voie postale à :
Commission européenne
Office européen de lutte antifraude (Unité A.2)
Réponse au Livre vert sur le procureur européen
Rue Joseph II, 30
B-1049 Bruxelles
Les commentaires reçus seront publiés sur le site Internet, sauf demande expresse de traitement confidentiel de la part de l'auteur.
Une audition publique avec les acteurs intéressés sera organisée en 2002. Sur la base de l'ensemble des réponses recueillies, la Commission soumettra des conclusions, et le cas échéant une nouvelle contribution, dès 2003, dans le cadre de la préparation de la révision des Traités.
2. Prémisses du débat
Lors de sa contribution à la Conférence intergouvernementale de Nice, la Commission a pour la première fois exposé les raisons pour lesquelles le procureur européen constituerait un moyen de protection pénale efficace des intérêts financiers communautaires. Cette proposition est liée à plusieurs conditions qui méritent d'être rappelées préalablement au débat. Moyennant une révision des traités ( 2.4), elle apporte une valeur ajoutée par rapport à la situation actuelle ( 2.1), dans le respect des droits fondamentaux ( 2.2) et s'inscrit comme un complément particulier au regard des priorités politiques européennes en matière de justice ( 2.3).
2.1. Valeur ajoutée du procureur européen : rappel des arguments à l'appui de la proposition faite par la Commission en 2000
L'exercice au niveau communautaire de la fonction de recherches et de poursuites apporterait une valeur ajoutée par rapport à la situation actuelle. En effet, pour légitimes et irremplaçables qu'ils soient, les dispositifs existants ne permettent pas, en l'absence d'une structure institutionnelle spécifique sur le plan communautaire, une action de poursuite transnationale suffisamment efficace. La communication de la Commission du 29 septembre 2000 développe et illustre certains arguments, de ce fait plus brièvement rappelés ici [23].
[23] Cf. annexe n°1.
2.1.1. Surmonter le morcellement de l'espace pénal européen
L'implication de la criminalité organisée dans la fraude aux intérêts financiers communautaires et le caractère transnational de cette dernière obligent actuellement à une coopération avec dix-sept ordres judiciaires appliquant des règles de fond et de procédure différentes [24]. A la faveur de l'élargissement de l'Union, ces difficultés vont s'accroître avec l'augmentation du nombre d'États membres et du nombre d'opérateurs et administrations impliqués dans la gestion des fonds communautaires.
[24] Certains États membres comportent plusieurs ordres juridiques nationaux, à l'instar du Royaume-Uni avec l'Angleterre et le Pays de Galles, l'Écosse, ainsi que l'Irlande du Nord.
Les carences du dispositif actuel tiennent pour l'essentiel au morcellement de l'espace pénal européen. Certes des exceptions au principe de la territorialité nationale, de plus en plus nombreuses, ont été introduites dans les conventions internationales entre les États membres [25]. Néanmoins il demeure qu'en principe les autorités policières et judiciaires des États membres n'ont compétence pour agir que sur leur territoire propre. Le cloisonnement entre ces autorités a conduit à des recherches et des poursuites concurrentes, partielles ou inexistantes.
[25] Par exemple : Convention d'application de l'Accord de Schengen du 19 juin 1990 (articles 39 et s. : observation et poursuite transfrontalière) ; Convention du 18 décembre 1997 relative à l'assistance mutuelle et la coopération entre les administrations douanières (Naples II) ; Convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale (livraisons surveillées, équipes communes d'enquête, enquêtes discrètes).
Comme en témoigne l'exemple de poursuites concurrentes et inabouties développé par la Commission au paragraphe 1.1 de sa communication à la Conférence intergouvernementale de Nice (voir annexe n°1).
De façon plus spécifique, avant l'adoption du Traité d'Amsterdam, la signature de la convention du 26 juillet 1995 et de ses protocoles additionnels a représenté un premier pas important vers la protection pénale des intérêts financiers communautaires. Toutefois ces dispositions ne sont toujours pas entrées en vigueur à ce jour, faute de ratification par tous les États membres [26]. Pour cette raison notamment, la Commission a présenté la proposition de directive précitée du 23 mai 2001 visant à faire adopter sur la base de l'article 280 du traité CE les dispositions de droit pénal matériel contenues dans les instruments du troisième pilier [27].
[26] Fin septembre 2001, respectivement trois et huit États membres n'avaient toujours pas notifié de ratification de la convention sur la Protection des intérêts financiers et du protocole du 19.6.1997 précités.
[27] COM(2001)272 précité.
Cependant, ces dispositions ne suffiront pas à elles seules à résorber le morcellement de l'espace pénal européen, dans la mesure où l'action publique continuera de s'exercer au niveau national.
Aussi, tout en conservant dix-sept systèmes judiciaires pénaux différents, le présent livre vert montre que la Communauté disposerait grâce au procureur européen et à la direction centralisée des recherches et des poursuites du moyen d'assurer une protection de ses intérêts financiers effective et équivalente dans toute l'Union européenne, telle que fixée par le traité.
2.1.2. Dépasser le caractère lourd et inadapté des méthodes classiques de la coopération judiciaire entre les États membres
Il existe d'ores et déjà des formes de coopération pénale internationale, que le renforcement de la coopération judiciaire dans le cadre du troisième pilier vient désormais conforter. Toutefois aucun des textes actuellement en vigueur, proposés ou négociés n'apporte de réponse suffisante à la question spécifique des poursuites pénales des atteintes portées aux intérêts financiers communautaires.
Or le développement de la criminalité organisée portant atteinte à ces intérêts rend les instruments classiques de l'entraide judiciaire inadaptés, et les progrès accomplis en matière de coopération judiciaire limités. Ces insuffisances suscitent délais, recours dilatoires, voire impunité. Cela s'avère particulièrement préjudiciable à la reconstitution des circuits financiers en aval de la fraude.
Comme l'illustre l'exemple de recours successifs cité par la Commission au paragraphe 1.2 de sa communication à la Conférence intergouvernementale de Nice (voir annexe n°1).
Comme développé par la suite, le procureur européen permettrait de résoudre ces difficultés. Il assurerait en effet une interface entre le niveau communautaire et les autorités judiciaires nationales. Seraient ainsi plus facilement évitées, dans les affaires de fraudes financières transnationales, la destruction de preuves et la fuite de suspects, que favorise pour l'heure le défaut de coopération judiciaire verticale entre la Communauté et les États membres.
2.1.3. Donner une suite judiciaire aux enquêtes administratives effectuées
L'expérience opérationnelle accumulée montre les difficultés de faire aboutir les enquêtes administratives sur le terrain des poursuites judiciaires. Dans la configuration actuelle de l'acquis communautaire [28], aussi efficace que soit la coordination administrative que procure l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), doté désormais d'une unité de magistrats assurant une fonction de conseil judiciaire, les poursuites pénales demeurent incertaines. En effet, la Communauté ne dispose pas d'une fonction de poursuite pénale qui complète l'action de prévention et d'enquête administrative.
[28] Règlement (CE) n° 1073/99 du Parlement européen et du Conseil et règlement (Euratom) n° 1074/99 du Conseil, du 25.5.1999, relatifs aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (JO L 136 du 31.5.1999) ; décision de la Commission du 28.4.1999 instituant l'Office européen de lutte antifraude (JO L 136 du 31.5.1999) ; accord interinstitutionnel du 25.5.1999 relatif aux enquêtes internes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (JO L 136 du 31.5.1999) ; règlement (Euratom, CE) n° 2185/96 du Conseil du 11.11.1996 relatif aux contrôles et vérifications sur place effectués par la Commission pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes contre les fraudes et autres irrégularités (JO L 292 du 15.11.1996) ; règlement (CE, Euratom) n°2988/95 du Conseil du 18.12.1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312 du 23.12.1995).
La transmission d'informations entre États membres et par l'Office européen de lutte anti-fraude à ces derniers se heurte à des obstacles résultant des différences dans les règles régissant les poursuites judiciaires dans chaque État membre. Si, pour les mêmes faits, l'enquête est confiée dans certains États membres à un magistrat et dans d'autres à une autorité administrative, la relation directe entre les uns et les autres s'avère le plus souvent impossible, en fait comme en droit. Les autorités nationales concernées n'ont de plus pas toutes le même accès à l'information en application des diverses règles nationales relatives notamment aux secrets fiscal [29], des affaires ou de l'instruction pénale. L'intégration de la fonction de recherches et de poursuites que représenterait la création du procureur européen serait à même d'aplanir ces difficultés.
[29] Rapport final sur le premier exercice d'évaluation consacré à l'entraide judiciaire en matière pénale, approuvé par le Conseil du 28.5.2001 (JO C 216 du 1.8.2001), III e) : « Les évaluations ont montré que la question des infractions fiscales restait sensible, au point que l'entraide judiciaire pouvait être limitée et ralentie dans ce domaine ou, au pire, refusée" (sous point e, infractions fiscales) ».
Enfin, la diversité des règles nationales gouvernant l'administration de la preuve prive souvent de tout effet utile devant les tribunaux d'un État membre, les éléments recueillis dans un autre.
En atteste l'exemple de non-admissibilité des preuves développé par la Commission au paragraphe 1.3 de sa communication à la Conférence intergouvernementale de Nice (voir annexe n°1).
Tout tribunal du fond applique les règles en vigueur dans son ressort (principe forum regit actum), notamment en ce qui concerne l'admissibilité des preuves. Il ne reconnaît pas nécessairement les règles du lieu où ont été effectués les actes de recherche, si celles-ci sont différentes, ce qui a alors pour effet de rendre inadmissibles les preuves que ces actes ont permis de recueillir. Cette situation est de nature à ruiner les efforts d'investigation entrepris dans les affaires de fraude transnationale.
Un cas type de fraude en l'absence de reconnaissance des preuves
Dans une affaire récente, un importateur d'huile d'olive était soupçonné d'avoir présenté de fausses déclarations aux douanes pour éviter le payement des droits agricoles (ressources communautaires éludées). Il avait eu recours à une série de compagnies implantées dans plusieurs États membres, respectivement pour le transport, la distribution, la vente et le financement. Les preuves avaient été ainsi dispersées au travers du territoire des Communautés. En l'espèce, le dossier pénal supposait pour être complet de pouvoir utiliser les résultats d'enquêtes administratives diligentées entre autres par l'OLAF, et d'enquêtes judiciaires, y compris les éléments obtenus au moyen de commissions rogatoires internationales.
Lors du jugement de l'affaire en question, le tribunal pénal de l'État membre saisi de l'affaire, a déclaré la plus grande partie des preuves inadmissibles, pour le motif qu'elles étaient obtenues par une autorité administrative (OLAF) ou par des auxiliaires de justice (police judiciaire) et non par un ministère public ou des juges d'instruction. Les déclarations des personnes privées (chauffeurs des camions), dûment établies par les autorités de justice, ont également été rejetées.
Il s'agit seulement d'un exemple parmi d'autres. Dans certains États Membres les règles de preuves sont plus strictes encore en matière de preuve documentaire et exigent la preuve directe orale devant les tribunaux.
Le présent livre vert montre que la création d'un espace commun de recherches et de poursuites, guidé par un principe d'admissibilité mutuelle des preuves, conduirait à surmonter ce dernier obstacle. Les éléments recueillis au moyen des actes de recherche des autorités administratives et judiciaires, dirigés par le procureur européen, le cas échéant sur autorisation du juge de liberté, seraient reconnus comme preuves admissibles par les tribunaux pénaux sur tout le territoire communautaire [30].
[30] Cf. ci-dessous 6.3.4 (systèmes de preuves).
2.1.4. Renforcer l'organisation et l'efficacité des recherches à l'intérieur des institutions communautaires
Pour l'heure, il n'existe pas d'instance judiciaire européenne compétente pour mener des recherches à l'intérieur des institutions communautaires. L'Office européen de lutte antifraude (OLAF) demeure un service administratif d'enquête malgré l'assistance qu'il peut offrir dès à présent aux autorités judiciaires. La poursuite des affaires internes aux instances communautaires demeure soumise à la bonne volonté des autorités nationales de poursuite de l'Etat membre où elles se trouvent.
Un exemple : la fraude interne aux institutions communautaires
Un cas d'enquête interne, diligenté par l'OLAF et ayant connu des suites judiciaires dans plusieurs États membres, a concerné une situation dans laquelle des fonctionnaires étaient soupçonnés d'intervenir dans l'attribution de fonds européens à des entreprises où ils avaient des intérêts. Ces dernières étaient situées dans plusieurs États membres, voire dans des centres financiers situés en dehors du territoire des Communautés.
Plusieurs obstacles se sont présentés à l'occasion de ce type d'affaires. Les prérogatives de l'OLAF, de nature administrative, sont insuffisantes pour traiter l'ensemble des faits, qui peuvent impliquer le recours à des interrogatoires, à des perquisitions domiciliaires, à des recherches bancaires, voire à l'émission de commissions rogatoires internationales.
La question de la détermination des autorités nationales de poursuite qui doivent être saisies d'un même fait, lorsque plusieurs sont susceptibles d'être compétentes, est actuellement difficile. La disparité des droits nationaux concernés s'avère une source de complexité considérable lorsque est envisagée l'utilisation en justice des auditions recueillies par l'Office, par exemple les exigences procédurales d'un État membre pour la protection des droits individuels ont été considérées comme insuffisantes dans le cadre de la procédure pénale d'un autre. La diversité des régimes de prescription est également cause de transmission hors délais. Par ailleurs, une autorité judiciaire a pu être amenée à prendre une décision de classement sans suite considérant que les sanctions disciplinaires et le départ du fonctionnaire concerné ne rendaient pas les poursuites opportunes.
L'organisation et l'efficacité des investigations internes aux institutions ne pourraient qu'être renforcées par la création d'un procureur européen [31]. Ainsi, la proposition de la Commission fait droit, de façon plus particulière, à la demande réitérée du Parlement européen d'une initiative relative à la création d'un procureur européen compétent à l'intérieur des institutions de l'Union européenne [32].
[31] Voir en ce sens l'avis 3/2001 du 6.9.2001du Comité de surveillance de l'OLAF, sur l'instauration éventuelle d'un procureur européen compétent pour les enquêtes internes.
[32] Résolution du Parlement européen du 16.5.2000 sur le rapport annuel 1998 de la Commission sur la protection des intérêts financiers des Communautés et la lutte contre la fraude, 2 ; résolution du 13.12.2000 sur la stratégie antifraude de la Commission, 12 (JO C 232 du 17.8.2001, p.192) ; considérant 14 de la proposition de directive relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté précitée, telle qu'amendée par le Parlement européen, le 29.11.2001 (PE 305.612).
2.2. Respect des droits fondamentaux
Le procureur européen serait soumis, dans l'exercice de ses fonctions, au respect des droits fondamentaux, tels que notamment garantis par l'article 6 du Traité UE, les principes fondamentaux du droit communautaire consacrés par la Cour de justice des Communautés européennes (dénommé ci-après Cour de justice), la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne [33] et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
[33] JO C 364 du 18.12.2000.
En particulier, comme développé plus loin, tous les actes coercitifs mis en oeuvre par le procureur européen devraient être contrôlés voir délivrés par un juge, désigné au niveau national comme « juge des libertés » [34].
[34] Cf. ci-dessous 6.4 (garantie des libertés par le juge).
Certes l'instauration d'un procureur européen permettrait, tel est son but, de poursuivre et de mettre en accusation des personnes qui aujourd'hui agissent encore dans l'impunité. Néanmoins, le dispositif proposé contribuerait également à améliorer le sort des personnes accusées [35]. Par définition, il réduirait l'enchevêtrement de poursuites nationales diverses. Il permettrait une accélération de la phase préparatoire du procès et, de ce fait, du procès lui-même. Il devrait également conduire les autorités nationales à modérer le recours à la détention provisoire et aux mesures restrictives de liberté aux fins de maintenir l'accusé sur leur territoire, dans la mesure où l'efficacité des poursuites sur l'ensemble du territoire des Communautés serait sensiblement accrue.
[35] Au sens du présent Livre vert, le terme d'accusé est employé de façon générique et peut correspondre selon la terminologie juridique employée d'un État membre à l'autre, à la notion de prévenu, d'inculpé ou d'accusé. Est ici défini comme accusé, la personne soupçonnée à qui le procureur européen a notifié les charges retenues contre elle.
2.3. Articulation avec les priorités politiques européennes en matière de justice et affaires intérieures
Le traité d'Amsterdam prévoit au rang des objectifs de l'Union européenne son développement « en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière [...] de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène » [36].
[36] Article 2 TUE.
Les chefs d'État et de gouvernement réunis, les 15 et 16 octobre 1999, à Tampere, ont conféré une priorité politique forte à la mise en place de cet espace.
La contribution de la Commission à la Conférence intergouvernementale 2000 contribue à sa façon à ce même objectif général. Elle ne contredit en rien l'esprit de Tampere. Elle complète les efforts faits par ailleurs pour renforcer la coopération judiciaire générale, dont l'établissement prévu d'Eurojust représente la dernière étape en date [37], par un approfondissement de l'intégration dans un domaine spécifique de compétences partagées entre la Communauté et les États membres (article 280 CE).
[37] Cf. ci-dessous 7.2.1. (Eurojust)
2.3.1. Complémentarité avec les objectifs du Conseil européen de Tampere
Sur bien des points, la proposition de création d'un procureur européen trouve un terrain favorable dans les orientations de Tampere.
Le diagnostic sur lequel la Commission fonde sa proposition est, dans son principe général, le même. Le Conseil européen a en effet reconnu que « les auteurs d'infractions ne doivent pouvoir, par aucun moyen, mettre à profit les différences entre les systèmes judiciaires des États membres » [38].
[38] Conclusion n°5 de la Présidence du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999.
Certains objectifs généraux sont également communs, puisqu'il s'agit dans tous les cas de contribuer à cet « espace de liberté, de sécurité et de justice » visé par le traité d'Amsterdam. La proposition de créer un espace commun de poursuites et de recherches y contribuerait significativement dans le domaine spécifique de la protection des intérêts financiers communautaires. La garantie des droits fondamentaux, dont l'importance a déjà été rappelée ci-dessus, doit parallèlement équilibrer le renforcement de l'efficacité des poursuites obtenu avec la mise en place d'un ministère public européen, conformément aux conclusions de Tampere selon lesquelles « il faut parvenir à mettre en place de manière équilibrée à l'échelle de l'Union des mesures de lutte contre la criminalité tout en protégeant la liberté des particuliers et des opérateurs économiques et les droits que leur reconnaît la loi » [39].
[39] Conclusion n° 40.
L'un des principaux vecteurs de la création d'un système de poursuites dans le domaine de la protection pénale des intérêts financiers des Communautés, tout en maintenant intégralement la fonction de jugement au plan national, réside dans le principe de la reconnaissance mutuelle des actes juridictionnels entre États membres. Ce dernier suppose la confiance mutuelle dans les systèmes juridiques nationaux et un socle fondamental commun. Il implique de ne plus recourir à aucune décision supplémentaire de validation ou d'exequatur. Principe de reconnaissance mutuelle, dont le Conseil européen fait précisément « la pierre angulaire de la coopération judiciaire » au sein de l'Union, précisant qu'il doit « aussi s'appliquer aux décisions précédant la phase de jugement, en particulier à celles qui permettraient aux autorités compétentes d'agir rapidement pour obtenir des éléments de preuve et saisir des avoirs faciles à transférer » [40].
[40] Conclusions n° 33 et 36.
En outre, l'un des instruments renforçant l'action du procureur européen ici discuté serait un mandat d'arrêt européen. Identifié comme une priorité à Tampere, cet instrument fait d'ores et déjà l'objet, dans un contexte plus large, d'une proposition de décision cadre de la part de la Commission [41] et d'un vif regain d'intérêt de la part de toutes les institutions européennes, qui ont déclaré que « l'Union européenne accélèrera la mise en oeuvre d'un véritable espace judiciaire européen commun, ce qui implique entre autres la création d'un mandat européen d'arrestation et d'extradition, conformément aux conclusions de Tampere, et la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et des jugements » [42]. La proposition de créer un procureur européen s'inscrit dans cette dynamique.
[41] Proposition de la Commission de décision cadre sur le mandat d'arrêt européen et les procédures de soumission entre États membres de L'Union européenne, COM(2001)522.
[42] Déclaration commune des Chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne, de la Présidente du Parlement européen, du Président de la Commission européenne et du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, 14.9.2001.
2.3.2. Spécificité de la proposition par rapport aux objectifs du Conseil européen de Tampere
Cependant, par d'autres aspects, cette proposition complète les orientations politiques adoptées à Tampere. Circonscrite, elle ne concurrence en rien les initiatives plus générales qui voient le jour dans le cadre du troisième pilier. Bien au contraire, elle les prolonge par d'autres moyens dans le contexte communautaire du premier pilier, en les adaptant aux spécificités de la protection pénale des intérêts financiers communautaires.
Ainsi, par exemple, si Eurojust est destiné, selon les conclusions de Tampere, à recevoir des attributions relevant de la coopération judiciaire, dans un champ de compéacute;tence très large, pour sa part, le procureur européen serait une instance communautaire, dotée de pouvoirs propres de poursuite dans le domaine bien spécifique de la protection des intérêts financiers communautaires.
Par ailleurs, le Conseil européen a demandé, concernant la justice de façon générale, au Conseil et à la Commission d'engager des travaux « sur les aspects du droit procédural pour lesquels la fixation de normes minimales communes est considérée comme nécessaire » [43]. Quant aux moyens, la Commission va plus loin, en ce qui concerne la phase préparatoire des procès portant spécifiquement sur les atteintes aux finances communautaires, pour laquelle elle propose en partie une harmonisation procédurale. Les actes du procureur européen - sous le contrôle du juge national, dit des libertés, qui en aurait reçu la fonction -seraient ainsi valables dans tous les États membres, en tant qu'actes d'une instance commune.
[43] Conclusion n° 37 de la Présidence du Conseil européen de Tampere.
Fondamentalement, la création d'un espace commun de recherches et de poursuites en matière de protection des intérêts financiers communautaires ne constitue pas un commencement expérimental, qui préfigurerait un quelconque devenir de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Elle forme bien plutôt l'aboutissement logique de l'intégration communautaire. Le marché intérieur et les politiques communautaires qui l'accompagnent ont conduit à doter les Communautés de moyens financiers propres, dont la protection contre la criminalité implique aujourd'hui de les compléter par une fonction de poursuite au niveau communautaire. A des intérêts fondamentalement communs doit en effet correspondre une protection commune.
En somme, avec le procureur européen pour la protection pénale des intérêts financiers des Communautés, tout en restant dans le cadre de « l'Europe de la justice », il ne s'agit pas tant de la justice « en Europe » que de la justice « pour l'Europe ».
2.4. Base juridique
La proposition discutée ici suppose la détermination d'une base juridique. L'article 280 du traité CE stipule que les mesures adoptées par le législateur communautaire et destinées à combattre les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté « ne concernent ni l'application du droit pénal national ni l'administration de la justice dans les États membres ». Le traité CE - a fortiori le traité Euratom dont la rédaction n'a pas sur ce point évolué depuis Maastricht - ne permet donc pas en l'état actuel de mettre en place un espace pénal européen comprenant un organe judiciaire commun tel qu'un procureur.
La révision des traités instituant les Communautés européennes est donc une condition nécessaire. Elle seule peut consacrer la légitimité politique de la proposition. La Commission a ainsi proposé l'insertion d'un article 280 bis dans le traité CE. Selon cette proposition, la modification nécessaire du traité devrait se limiter à prévoir les conditions de nomination et de démission du procureur européen et à définir ses missions et les principales caractéristiques de sa fonction. Il conviendrait au surplus, en cas de pareille révision du traité CE, de compléter les dispositions de l'article 183A du traité Euratom par des dispositions semblables à celles de l'article 280 bis CE proposés.
Dans ce contexte, il serait souhaitable que la Convention qui sera chargée de préparer la prochaine révision des traités examine cette question.
Les traités ainsi révisés renverraient au droit dérivé pour les dispositions relatives au statut et au fonctionnement du procureur européen. C'est pourquoi, aux termes de l'article 280 bis proposé, est prévue l'adoption, par co-décision du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne statuant à la majorité qualifiée, des règles suivantes.
« 2. (...) Le Conseil, conformément à la procédure de l'article 251 fixe le statut du procureur européen.
3. Le Conseil statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, fixe les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen en arrêtant, notamment
(a) des règles établissant les éléments constitutifs des infractions pénales relatives à la fraude et à toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté, ainsi que les peines encourues pour chacune d'entre elles ;
(b) des règles de procédure applicables aux activités du procureur européen, ainsi que des règles gouvernant l'admissibilité des preuves ;
(c) des règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure pris par le procureur européen dans l'exercice de ses fonctions. ».
Ces règles de droit dérivé, sur lesquelles porte précisément le présent Livre vert, devraient ce faisant déterminer l'articulation du dispositif communautaire avec les systèmes pénaux nationaux. Le Livre vert doit dans ce contexte permettre de débattre de deux questions centrales : celle de savoir comment créer le procureur européen sans instituer, pour assurer son contrôle, une juridiction spéciale au niveau communautaire et celle du degré d'harmonisation du droit pénal matériel et procédural nécessaire à son bon fonctionnement.
3. Schéma général
Aux termes de l'article 280 bis CE proposé par la Commission, le procureur européen serait « chargé de rechercher, de poursuivre et de renvoyer en jugement les auteurs ou complices des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté et d'exercer devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions, dans les conditions fixées» par le législateur communautaire.
Pour la bonne compréhension, il convient de cerner en première approche le schéma général de la proposition. A cette fin, la Commission s'est donnée les lignes directrices suivantes. Le procureur européen ne doit avoir qu'une compétence d'attribution, circonscrite au champ défini ci-dessous. Dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, cette compétence doit rester limitée au minimum nécessaire à la poursuite effective et équivalente des activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers communautaires sur l'ensemble du territoire des Communautés européennes (article 280 CE).
Dans le cadre du présent Livre vert, la Commission ne propose de fixer dans le droit communautaire que le minimum nécessaire au bon fonctionnement du procureur européen. Le principe est donc le renvoi au droit national, l'exception - dûment justifiée par la nécessité d'assurer l'efficacité du procureur européen - étant le recours au droit communautaire.
Dans cet esprit est ici délimité ce que pourrait être le champ de compétence matérielle du procureur européen ( 3.1), agissant au sein d'un espace commun de poursuites et de recherches ( 3.2). Sont en particulier esquissés ses principaux pouvoirs ( 3.2.1.) et sa place par rapport aux ordres juridiques nationaux ( 3.2.2.).
3.1. Une compétence matérielle limitée à la protection des intérêts financiers des Communautés
Les compétences que la Commission propose d'attribuer au procureur européen sont limitées au champ de la protection des intérêts financiers communautaires tel que d'ores et déjà circonscrit par les dispositions de l'article 280 du traité CE.
Certes il existe d'autres intérêts fondamentalement communs, tels que la monnaie unique, la fonction publique européenne, la marque communautaire, etc. Cependant dans la droite ligne de sa contribution de septembre 2000, la Commission ne propose aucune extension de la compétence du procureur européen à des incriminations allant au-delà de la protection des intérêts financiers communautaires, qu'il s'agisse d'autres infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions par les agents communautaires [44] ou encore de faux monnayage de l'euro, enjeu nouveau et non moins crucial [45]. Le présent Livre vert ne mentionne ces thèmes qu'à titre d'hypothèses, afin d'éclairer pleinement le débat.
[44] Cf. ci-dessous 5.2.3 (infractions au-delà de la protection des intérêts financiers communautaires).
[45] Articles 3 et 4 de la décision cadre du Conseil du 29.5.2000 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l'euro (JO L 140 du 2.6.2000).
3.1.1. Une responsabilité particulière des Communautés
Les Communautés européennes sont chargées d'une responsabilité renforcée à l'égard de la protection des intérêts financiers communautaires. Le Traité d'Amsterdam a prévu explicitement cette responsabilité, au côté des États membres, aux termes de l'article 280 CE.
Les Communautés européennes sont dotées d'un budget depuis les origines de la construction européenne. En vertu des articles 274 et 276 du Traité CE, la Commission européenne est responsable de l'exécution du budget devant l'Autorité budgétaire, que forment le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne.
S'agissant plus spécifiquement de la protection des intérêts financiers communautaires, le Traité CE fixe un degré élevé d'exigence. La protection doit être effective, dissuasive et assurée de manière équivalente entre États membres. L'effectivité suppose qu'au-delà de la détection administrative des fraudes, des sanctions soient réellement prononcées et appliquées. L'expérience montre qu'une dissuasion crédible suppose de pouvoir opposer, aux cas les plus graves, une réponse non seulement administrative mais encore pénale, incluant des mesures de recherche coercitives et des peines pouvant aller jusqu'à la privation de liberté. Enfin, l'équivalence implique que la répression pénale soit homogène en tout point de la Communauté.
Ce niveau particulièrement élevé d'exigence est pleinement justifié par le fait que les fonds communautaires constituent depuis les origines de la construction européenne des intérêts fondamentalement communs.
Or ces intérêts sont la cible de la criminalité financière, organisée dans les cas les plus graves. Cette criminalité opère en utilisant les techniques de communication les plus récentes. Se déjouant des frontières, elle présente un caractère transnational fortement marqué. Dans ce contexte, les Communautés doivent garantir que les faits de fraude et de corruption sont effectivement poursuivis au plan judiciaire. Les intérêts financiers communautaires justifient des moyens de protection particuliers.
3.1.2. Le maintien du champ actuel de la protection des intérêts financiers communautaires
Avec le procureur européen, il n'est pas question d'élargir les compétences matérielles des Communautés. Le champ des intérêts financiers communautaires demeurerait celui que définit déjà l'article 280 du Traité CE.
Il convient donc de rappeler que les intérêts financiers des Communautés à protéger comprennent le budget général, les budgets gérés par les Communautés ou pour leur compte et certains fonds non budgétisés [46], gérés pour leur propre compte, par des organismes communautaires n'ayant pas le statut d'institution [47]. La protection des intérêts financiers concerne non seulement la gestion des crédits budgétaires, mais s'étend actuellement à toute mesure affectant ou susceptible d'affecter le patrimoine des Communautés [48], par exemple les biens immobiliers.
[46] Par exemple, le Fonds européen de développement, géré par la Commission et la Banque européenne d'investissement
[47] Rapport explicatif de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, approuvé par le Conseil le 26.5.1997, partie III, 1.1 (JO C 191 du 23.6.1997, p. 1).
[48] Deuxième considérant des règlements n° 1073/99 et n° 1074/99.
Du côté des dépenses, il s'agit essentiellement de celles qui sont gérées par les États membres : subventions dispensées dans le cadre des garanties agricoles [49] et des actions structurelles [50]. Il s'agit, en second lieu, des dépenses directement gérées par les Communautés [51].
[49] Fonds européen d'orientation et de garantie agricole - section garantie.
[50] Fonds social européen, Fonds européen de développement régional, Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, section «orientation», Instrument financier d'orientation de la pêche, Fonds de cohésion.
[51] Politiques concernant divers domaines tels que formation, jeunesse, culture, information, énergie, environnement, marché intérieur, réseaux transeuropéens, recherche, actions extérieures, etc.
Un exemple d'affaire comportant un volet interne : détournement de fonds destinés aux programmes d'aides extérieures
À la suite de soupçons concernant la destination finale de l'aide humanitaire prévue par quatre contrats attribués par l'Office humanitaire ECHO, l'UCLAF a diligenté une enquête administrative [52]. L'un des contrats concernait la région africaine des Grands Lacs et les trois autres l'ex-Yougoslavie, pour la période allant de 1993 à 1995. Le montant des financements alloués à la société X ayant en charge leur exécution et aux sociétés «off-shore» qui lui étaient liées, s'élevait à 2,4 millions d'écus.
[52] Cet exemple a déjà fait l'objet d'une publication. Voir Commission européenne, Protection des intérêts financiers des Communautés, lutte contre la fraude, rapport annuel 1998, COM (1999) 590, 2.2.5.2.
Une première vérification dans les Etats membres A et B, en 1997, a montré qu'une partie des fonds avait été utilisée pour financer de façon irrégulière du personnel externe travaillant pour la Commission, au sein et en dehors de ses locaux.
Par ailleurs, une mission de contrôle en ex-Yougoslavie, en 1998, a démontré que les trois contrats concernant cette région n'avaient pas été exécutés sur le terrain, et que, ni les personnes prévues, ni l'équipement n'avaient été employés comme indiqué.
Au plan disciplinaire, plusieurs fonctionnaires communautaires ont été sanctionnés pour avoir bénéficié de paiements de sociétés directement impliquées dans cette affaire pour des travaux qui n'ont pas été effectués, en tout ou partie. Les sanctions sont allées de la rétrogradation à la révocation avec perte d'une partie des droits à pension.
Malgré des tentatives pour reconstituer les dépenses concernées, les moyens mis en oeuvre dans le cadre de l'enquête administrative sont demeurés insuffisants, pour expliquer l'utilisation de l'ensemble des fonds. Par exemple, un contrôle sur place, effectué sur la base du règlement n° 2185/96, auprès de la société X, en 1998, n'a permis d'accéder à aucun enregistrement comptable justifiant les montants versés au titre de l'exécution des contrats.
Les éléments susceptibles de poursuites pénales ont été transmis aux autorités nationales de poursuite de l'Etat membre A et C. La procédure judiciaire n'est pas encore clôturée à cette date.
Du côté des ressources, sont concernées les recettes provenant des droits sur les échanges avec les pays tiers dans le cadre de la politique agricole commune et les cotisations prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre [53], d'une part, et les droits de douane sur les échanges avec les pays tiers, d'autre part. En outre, le procureur devrait être compétent en ce qui concerne les recettes provenant de l'application d'un taux uniforme à l'assiette de la TVA des États membres, dans les cas transnationaux dont le traitement au niveau communautaire apparaît particulièrement pertinent. En revanche, le procureur européen ne serait pas compétent pour les recettes provenant de l'application d'un taux uniforme à la somme des produits nationaux bruts (PNB) des États membres.
[53] Soit les deux premières catégories de ressources propres visées à l'article 2 paragraphe 1 de la décision 94/728/CE, Euratom du Conseil, du 31 octobre 1994, relative au système des ressources propres des Communautés européennes.
Un exemple d'affaire externe : fraude à la TVA
Outre certains types courants de fraudes (impôt éludé sur les ventes ou récupéré sur des achats fictifs), il existe une fraude liée à l'actuel système communautaire transitoire de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) fondé sur le principe d'imposition dans le pays de destination. Ces transactions frauduleuses reposent sur des carrousels de marchandises et sur des sociétés "boîtes aux lettres" créées pour une courte période. Des organisations criminelles ont échafaudé des transactions pour profiter des règles d'exemption de TVA en matière de livraisons intra-communautaires ainsi que des règles d'exemption favorables aux exportations. Ceci afin d'obtenir, par l'usage de fausses déclarations, la restitution de la TVA sans même l'avoir préalablement acquittée.
Les modes opératoires de fraude à la TVA au plan international sont connus. Il demeure néanmoins difficile pour une seule autorité nationale de déceler ces cas dans la pratique, car la situation comptable dans un Etat membre pris isolément apparaît toujours en ordre. La plupart des États membres reconnaissent que la fraude internationale à la TVA est un problème important et ce, même à supposer que la fraude à la TVA nationale soit plus significative, en termes de perte totale de recettes, que la fraude à la TVA transnationale. Cette dernière touche particulièrement les produits à forte valeur ajoutée, aisés à transporter rapidement (par exemple : composants d'ordinateurs, téléphones mobiles, métaux précieux).
Les difficultés actuelles
Tous les cas de fraude à la TVA sont loin d'être identifiés à temps et en conséquence traités correctement. L'OLAF ne peut intervenir pour assurer la coordination que si les autorités nationales lui en font la demande expresse, au cas par cas [54]. Il n'est pas rare que la poursuite de ce type d'affaires soit abandonnée, en raison des efforts de recherche transnationale et de coordination au niveau européen qu'il exige. Même avec Eurojust, la coordination ne pourra pas être suffisante puisque Eurojust n'en sera pas systématiquement saisi [55]. L'information globale du procureur européen et sa saisine prioritaire rendraient beaucoup plus systématique le traitement.
[54] COM(1999)590 précité, 2.3.
[55] Cf. ci-dessous 7.2.1 (Eurojust).
Dans ce domaine, la coopération entre l'OLAF et les services judiciaires dans certains États membres a été accrue pour faciliter le rassemblement de témoignages nécessaires au lancement d'actions en justice. Cependant le procureur européen serait utile pour le lien qu'il pourrait établir entre autorités judiciaires et autorités administratives en particulier fiscales. En effet, aucune autorité judiciaire nationale n'est en mesure de travailler directement avec toutes les autorités fiscales des Etats membres, ce que pourrait au contraire le procureur européen.
Ainsi définis, les intérêts financiers communautaires appellent un dispositif de protection effectif au plan pénal. Avec le procureur européen, la Commission propose d'établir un instrument nouveau afin de permettre à la Communauté d'assurer effectivement l'une de ses responsabilités les plus exigeantes, dans le cadre d'un champ matériel déjà défini.
3.2. Vers un espace commun de recherches et de poursuites
L'idée du procureur européen est née de la nécessité de résoudre la contradiction devenue injustifiable entre, d'un côté, le cloisonnement du territoire des Communautés européennes entre dix-sept espaces pénaux nationaux et, de l'autre, les atteintes graves portées à des intérêts communs, spécifiquement communautaires.
La Commission propose que le procureur européen exerce les pouvoirs qui pourraient lui être confiés, sur l'ensemble du territoire des Communautés tel que celui-ci est défini aux termes de l'article 299 du Traité CE.
Dans le cadre de ce territoire, le procureur européen agirait au sein d'un espace commun de recherches et de poursuite, puisque ses actes auraient la même valeur dans tous les États membres. C'est là un minimum nécessaire pour que le procureur européen puisse fonctionner. La constitution de cet espace commun constitue un saut qualitatif par rapport à la simple coordination entre des espaces nationaux cloisonnés.
Au-delà de ce premier pas indispensable, cet espace commun pourrait avoir une consistance variable selon les options présentées dans le présent Livre vert. Son contenu dépend en effet du degré d'harmonisation choisi pour la procédure, notamment les mesures de recherche, ainsi que pour la reconnaissance des preuves.
3.2.1. Les pouvoirs du procureur européen : une direction centralisée des recherches et des poursuites
Spécialisé en matière de protection des intérêts financiers communautaires mais compétent sur tout le territoire des Communautés européennes, le procureur européen devrait être doté d'un ensemble cohérent de pouvoirs. Avant de détailler plus avant les procédures envisageables, il importe pour la clarté du débat de présenter, d'une façon schématique, le rôle du procureur [56]. Des schémas de procédure figurent en annexe [57].
[56] Cf. ci-dessous 6 pour la présentation de ces pouvoirs d'un point de vue procédural.
[57] Cf. annexe n°2.
L'originalité de la proposition tient dans le fait qu'elle consiste à confier à une instance communautaire la direction centralisée des recherches et des poursuites, au sein d'un espace commun. Les actes du procureur européen seraient valables dans l'ensemble de cet espace. La phase de jugement demeurerait cependant entièrement au niveau national. La création du procureur européen est sans préjudice, d'une part, de l'approfondissement de la coopération judiciaire générale, d'autre part, de la prévention au niveau communautaire de la criminalité financière internationale.
* Le procureur européen devrait rassembler les preuves, à charge et à décharge, afin de permettre, le cas échéant, d'engager des poursuites à l'encontre des auteurs des infractions communes définies pour protéger les intérêts financiers des Communautés [58]. Il devrait ainsi être chargé de la direction et de la coordination des poursuites [59]. Le procureur européen aurait une compétence spécialisée, prioritaire sur les compétences des autorités de poursuite nationales, mais pour autant articulée avec celles-ci afin d'éviter les doubles emplois [60].
[58] Cf. ci-dessous 5 (droit matériel).
[59] Ce principe, qui apparaît comme une innovation dans le cadre communautaire, est d'ores et déjà acquis dans l'ordre juridique international. Le statut de la Cour pénale internationale adopté à Rome le 17.7.1998 a prévu l'institution d'un procureur, international, doté de pouvoirs de recherches aux fins de poursuite sur le territoire des États parties. Les quinze États membres de l'Union européenne ont signé cette convention et le Conseil a marqué son attachement à son entrée en vigueur rapide, aux termes de sa position commune du 11.6.2001 concernant la Cour pénale internationale (JO L 155 du 12.6.2001 p. 19).
[60] Cf. ci-dessous 6.2.2.2 en ce qui concerne le cas des affaires mixtes.
* Recourant aux autorités de recherche existantes (police) pour l'exécution des investigations, le procureur européen exercerait la direction des activités de recherche dans les affaires qui le concernent [61]. Il permettrait de renforcer davantage la garantie judiciaire sur les recherches menées à l'intérieur des institutions européennes [62].
[61] Cf. ci-dessous 6.2.3.2 (relations de travail avec les services de recherche nationaux).
[62] Cf. ci-dessous 7.3 (rôle futur de l'OLAF).
* Les actes accomplis sous l'autorité du procureur européen, dès lors qu'ils pourraient mettre en jeu les libertés individuelles et les droits fondamentaux, devraient être soumis au contrôle du juge national exerçant la fonction de juge des libertés [63]. Le contrôle ainsi exercé dans un État membre serait reconnu dans toute la Communauté, afin de permettre l'exécution des actes autorisés et l'admissibilité des preuves recueillies dans tout autre État membre.
[63] Cf. ci-dessous 6.4 (garantie des libertés par le juge).
* Le procureur européen aurait compétence, sous le contrôle du juge, pour renvoyer en jugement les auteurs des faits poursuivis, devant les juridictions nationales [64].
[64] Cf. ci-dessous 6.3.1 (choix de l'Etat de renvoi en jugement).
* Le procureur devrait lors du procès lui-même exercer l'action publique devant les juridictions nationales, afin de défendre les intérêts financiers des Communautés. La Commission tient pour essentiel que la fonction de jugement demeure au niveau national. Il n'est pas question de créer une instance juridictionnelle communautaire pour juger du fond [65].
[65] Cf. ci-dessous 6.3.2 (exercice de l'action publique).
3.2.2. Une articulation harmonieuse avec les systèmes pénaux nationaux
Les systèmes nationaux constituent le fondement de la protection pénale contre la criminalité transnationale et restent indispensables. La proposition du procureur européen vise seulement à combler une lacune particulière. Il ne consiste en aucun cas à créer un système pénal communautaire complet et autonome.
La proposition cherche au contraire à établir un instrument supplémentaire qui s'articule harmonieusement avec les ordres juridiques nationaux grâce à l'institution de procureurs européens délégués situés dans les Etats membres (voir chapitre suivant). Elle a pour ambition de mettre en mesure les juridictions nationales de juger effectivement une partie de la criminalité transnationale dans un domaine où l'intégration communautaire (fonds communs, ressources propres) rend de plus en plus vaine une répression isolée. Ainsi les tribunaux nationaux, en tant que juges de droit communautaire, appliqueraient à cette catégorie particulière d'infractions les mêmes règles incorporées dans l'ordre juridique national, comme ils appliquent déjà aujourd'hui les règles de droit communautaire dans tous les domaines du traité CE.
La centralisation de la direction des poursuites, n'implique pas de bouleverser les systèmes judiciaires nationaux. Les différentes traditions juridiques présentes en Europe connaissent une convergence certaine depuis plusieurs décennies. Les fonctions de recherches et de poursuites, répondant aux mêmes besoins, existent dans tous les États membres. Les structures, si elles demeurent différentes, ne se sont pas moins rapprochées. Les causes en sont multiples, mais cette convergence doit beaucoup à la soumission des États membres aux garanties du procès équitable défendues par la Convention européenne des droits de l'homme. Ces constatations sont confirmées par les travaux réalisés par des experts représentant tous les systèmes pénaux nationaux, qu'ils soient continentaux ou de « common law » [66].
[66] Voir notamment La mise en oeuvre du Corpus juris dans les États membres, opus précité, volume 1, p. 42 et s. : « Le résultat de cette évolution est que, du point de vue juridique, les systèmes nationaux en vigueur en Europe sont devenus nettement plus compatibles qu'ils ne l'étaient. [...] C'est ce qui rend possible la synthèse que constitue la proposition d'un ministère public européen qui consacre le principe d'une poursuite à caractère public et non privé (hérité de la tradition inquisitoire), mais exclut le recours à un juge d'instruction, remplacé par « un juge des libertés » exerçant la garantie judiciaire de façon impartiale et neutre (dans l'esprit de la tradition accusatoire). »
La proposition vise uniquement à rendre les systèmes judiciaires nationaux plus efficaces en une matière devenue intrinsèquement commune. C'est pourquoi le procureur européen s'analyse plus comme une attribution de compétences communes que comme un transfert de compétences nationales entièrement préexistantes.
Question générale Quelle appréciation portez-vous sur le schéma général proposé pour le procureur européen, à savoir sur :
son domaine d'action (limité à la seule dimension financière des intérêts communautaires) *
ses pouvoirs *
son articulation avec les systèmes pénaux nationaux *
4. Statut juridique et organisation interne
Le statut et l'organisation interne de ce que pourrait être le procureur européen méritent d'être ici précisés. Le terme de procureur européen peut à cet égard désigner, tantôt l'organe proposé dans son ensemble, tantôt la personne placée à son sommet ( 4.1). Dans le premier cas, il est synonyme de ministère public ou encore de parquet européen si on y inclut le personnel administratif ( 4.3) ; dans le second cas, il s'entend par rapport aux procureurs européens délégués ( 4.2).
4.1. Statut du procureur européen
Le procureur européen étant destiné à exercer des pouvoirs judiciaires, son statut et plus particulièrement les conditions de sa nomination et, le cas échéant, de sa destitution, doivent lui conférer une pleine légitimité pour exercer ses fonctions.
4.1.1. Principe d'indépendance
S'inspirant de certaines dispositions prévues pour assurer l'indépendance des membres de la Cour de justice, la Commission a proposé d'inscrire dans le Traité CE que « le procureur européen est choisi parmi des personnalités offrant toutes les garanties d'indépendance, et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles. Dans l'accomplissement de ses devoirs, il ne sollicite ni n'accepte aucune instruction » [67].
[67] Paragraphe 2 du projet d'article 280 bis.
Cette indépendance est une caractéristique essentielle du procureur européen. Elle se justifie dans la mesure où le procureur européen serait un organe judiciaire spécialisé. Son indépendance devrait s'entendre tant à l'égard des parties au procès, dans le cadre d'une procédure contradictoire [68], qu'à l'égard des États membres et des institutions, organes et organismes communautaires.
[68] Cf. ci-dessous 6.2.1. (principes généraux de la phase préparatoire)
A ce titre, le procureur européen devrait disposer et être perçu comme disposant de toutes les compétences requises. Il devrait exercer ses fonctions de façon impartiale et n'être guidé que par le souci du respect de la légalité.
4.1.2. Conditions de nomination et de destitution
Tant la nomination que la destitution éventuelle du procureur européen doivent refléter les principes d'indépendance et de légitimité.
4.1.2.1. Nomination du procureur européen
La Commission a proposé la nomination du procureur européen, entendu ici comme personne placée au sommet du parquet européen, par le Conseil à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission et après avis conforme du Parlement européen [69]. Une telle procédure reprend des éléments de la procédure prévue par le Traité de Nice pour la nomination de la Commission (majorité qualifiée au Conseil, vote du Parlement européen). Elle apparaît de nature à garantir la pleine légitimité du procureur européen.
[69] Paragraphe 1 du projet d'article 280 bis.
Le rôle de proposition que tiendrait la Commission dans la procédure de nomination du procureur européen découle de sa responsabilité particulière à l'égard de la protection des intérêts financiers communautaires.
Quant à la durée de validité de la nomination, la Commission a proposé un mandat non renouvelable de six ans [70]. Le procureur européen disposerait ainsi d'un mandat long, dont la durée dépasse par exemple celle d'une législature du Parlement européen ou celle du mandat de la Commission. Le caractère non renouvelable du mandat conforterait l'indépendance du procureur européen de la façon la plus ferme [71].
[70] Paragraphe 1 du projet d'article 280 bis.
[71] A titre de comparaison, les mêmes motifs ont justifié de conférer au procureur près la future cour pénale internationale un mandat de neuf ans non renouvelable (article 42 du statut de la cour pénale internationale précité).
Se pose en outre la question de savoir si le procureur européen devrait être ou non soumis au statut des fonctionnaires et autres agents des Communautés.
4.1.2.2. Destitution et autres cas mettant fin à l'exercice des fonctions du procureur européen
La Commission a proposé que le procureur européen réponde de ses actes en cas de faute grave dans l'exercice de ses fonctions. Les conditions d'une éventuelle destitution disciplinaire du procureur européen doivent cependant refléter, selon la Commission, le principe de son indépendance. En tout état de cause, la décision de destitution ne peut revenir qu'à une juridiction, située au niveau communautaire, soit à la Cour de justice.
C'est pourquoi la proposition d'article 280 bis du Traité CE prévoit que si le procureur européen « ne remplit plus les conditions nécessaires à l'exercice de ses fonctions ou s'il a commis une faute grave, il peut être déclaré démissionnaire par la Cour de Justice à la requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission. » [72].
[72] Paragraphe 2 du projet d'article 280 bis.
Par ailleurs, le statut du ministère public européen devrait envisager trois autres cas dans lesquels il est mis fin aux fonctions du procureur européen : le décès, la démission sur initiative du procureur européen et l'arrivée à terme de son mandat.
4.1.3. Rôle hiérarchique du procureur européen
Le procureur européen, chef du ministère public européen, serait chargé de la direction et de la coordination des recherches et des poursuites, pour toutes les infractions relevant de sa compétence, dans l'ensemble de l'espace commun défini à cet effet.
Cette responsabilité devrait se traduire par des pouvoirs d'organisation interne de son service, d'instruction, à l'égard des procureurs européens délégués, ainsi que de définition de lignes de conduite en matière criminelle, dans les limites fixées par le législateur communautaire [73].
[73] Cf. ci-dessous 6.2.2.1 (légalité ou opportunité des poursuites).
4.2. Organisation déconcentrée du ministère public européen
L'architecture d'ensemble du procureur européen reposerait sur une répartition des tâches entre un procureur européen, centralisant le minimum nécessaire au niveau communautaire, et des procureurs européens délégués, appartenant aux systèmes judiciaires nationaux, qui exerceraient concrètement l'action publique.
4.2.1. Principe de déconcentration des procureurs européens délégués
Dans l'esprit du principe de subsidiarité, la Commission propose que l'organisation du procureur européen soit déconcentrée, afin de garantir l'intégration de son action dans les ordres juridiques nationaux, sans bouleversement pour ces derniers. Le procureur européen s'appuierait dans les États membres sur des procureurs européens délégués, afin de garantir le raccordement entre le dispositif communautaire et les systèmes judiciaires nationaux [74].
[74] COM(2000)608 précité.
4.2.1.1. Statut des procureurs européens délégués
Selon le volume d'affaires à traiter et l'organisation judiciaire interne des États membres, un ou plusieurs procureurs européens délégués pourraient être institués dans chaque État membre. Les procureurs européens délégués seraient habilités par le procureur européen sur proposition de leur État membre d'origine, parmi les fonctionnaires nationaux chargés dans leurs États membres respectifs de fonctions de poursuite pénale et pouvant faire valoir à ce titre une expérience certaine. Ils pourraient s'agir, selon les États membres, de procureurs nationaux, ayant ou non le statut de magistrat, ou bien de fonctionnaires désignés à cette fin, là où l'institution du ministère public n'est pas connue.
La Commission n'envisage pas nécessairement de proposer un statut européen autonome pour les procureurs délégués. Ceux-ci pourraient conserver leur statut national pour tous les aspects relatifs au recrutement, à la nomination, à l'avancement, à la rémunération, à la protection sociale, à la gestion courante, etc. Seul leur régime hiérarchique et disciplinaire serait affecté pour le temps de leur mandat, comme précisé ci-dessous. Cette solution apparaît celle dont les implications pour le droit des États membres sont les plus légères. Le régime statutaire applicable aux procureurs européens délégués devrait en tout état de cause être examiné en étroite liaison avec les États membres, notamment à fin de garantir qu'ils puissent exercer leurs fonctions en toute indépendance.
Les procureurs européens délégués seraient désignés pour un mandat à durée déterminée. A la différence du procureur européen, ce mandat pourrait être renouvelable, afin de tenir compte du vivier de recrutement disponible dans les États membres. Ceci également afin de permettre une certaine spécialisation des personnes concernées dans le domaine des intérêts financiers communautaires, tout en ayant la garantie de leur connaissance pratique et actualisée du système de poursuite national.
Quant à la possibilité de cumuler ce mandat européen avec un mandat national, un choix est à faire entre plusieurs options.
Selon une première option, le mandat des procureurs européens délégués serait exclusif de tout autre. Cette exclusivité garantirait leur spécialisation pleine et entière. Elle viserait à prévenir à la source les conflits d'intérêts et de priorités en termes de politique criminelle, ainsi qu'à assurer la pleine effectivité de leur action.
Selon une seconde option, le mandat des procureurs européens délégués pourrait impliquer une simple spécialisation (« double casquette »). Ces derniers auraient le devoir de se consacrer à la poursuite des activités illégales portant atteinte à la protection des intérêts financiers communautaires, et subsidiairement à leurs activités ordinaires y compris répressives. La prévalence des intérêts communautaires devrait l'emporter en cas de sollicitations concurrentes au titre de leurs deux fonctions. Cette solution a l'avantage de faciliter la résolution des affaires mixtes nécessitant la poursuite d'atteintes aux intérêts tant communautaires que nationaux, examinées plus bas [75].
[75] Cf. ci-dessous 6.2.2.2 (affaires mixtes).
Selon une troisième option, le choix entre les deux précédentes pourrait être laissé à l'appréciation de chaque État membre.
La responsabilité disciplinaire des procureurs européens délégués, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leur mandat européen, devrait être prévue devant la Cour de justice, par symétrie avec le régime applicable au procureur européen lui-même [76]. Ce dernier, en tant que chef hiérarchique du ministère public européen, aurait un rôle à jouer dans la procédure disciplinaire à prévoir. La sanction disciplinaire la plus forte pour un procureur délégué serait la perte de son mandat européen.
[76] Cf. Ci-dessus 4.1.2.2. (destitution du procureur européen).
Dans l'hypothèse susmentionnée d'un cumul des mandats, les procureurs européens délégués resteraient responsables au plan disciplinaire en ce qui concerne leur mandat national, sous réserve de la garantie effective de leur indépendance. La relation entre les effets des deux procédures disciplinaires doit donc être envisagée. La perte de son mandat européen n'aurait pas de conséquence en vertu du droit communautaire sur le statut national du procureur européen délégué. En revanche, dans le cas d'une destitution de son mandat national, le procureur européen délégué sanctionné ne remplirait plus une des conditions pour exercer son mandat européen, qu'il perdrait alors automatiquement.
4.2.1.2. Rôle des procureurs européens délégués
Le rôle des délégués du procureur européen serait essentiel, puisqu'ils seraient habilités par le procureur européen pour accomplir tout acte pour lequel le procureur européen aurait reçu compétence. En pratique, ils devraient constituer le levier d'action du procureur européen, car c'est à eux que reviendrait le plus souvent l'exercice concret des compétences, aussi bien au stade des recherches que des poursuites.
Le champ d'action de chaque procureur européen délégué serait naturellement du ressort de son État membre. Mais chacun pourrait être autorisé par le procureur européen à agir sur le territoire de tout autre État membre, en coopération avec le procureur européen délégué de ce dernier. Les procureurs européens délégués seraient ainsi tenus entre eux à une obligation d'assistance.
Cette déconcentration s'inscrit dans la logique qui préside à la mise en réseau des moyens judiciaires des États membres (Magistrats de liaison, Réseau judiciaire européens, ...) [77]. Loin de créer un système communautaire autonome, l'organisation proposée repose principalement sur les capacités judiciaires des États membres, dans un esprit d'intégration communautaire.
[77] Cf. ci-dessous 7.2 (acteurs institués dans le cadre de l'Union européenne).
4.2.2. Principe de subordination au procureur européen
Cependant, pour d'évidentes raisons de cohérence et d'unité d'action, le procureur européen devrait demeurer hiérarchisé. Placé à son sommet, le procureur européen aurait la responsabilité de diriger et coordonner l'action des procureurs délégués, en fonction des besoins des recherches et des poursuites. Les procureurs délégués seraient placés, pour la durée de leur mandat, dans la hiérarchie du ministère public européen - à l'exclusion ou non de toute autre selon l'option retenue au paragraphe précédent - et tenus d'obéir aux instructions, générales aussi bien que particulières, du procureur européen. En toute hypothèse, ils ne pourraient recevoir aucune instruction de leurs autorités nationales, en ce qui concerne la protection des intérêts financiers communautaires.
Le procureur européen devrait répondre, selon la Commission, à un principe d'indivisibilité, similaire à celui que connaissent les parquets au niveau national, signifiant que tout acte accompli par un procureur délégué engage l'ensemble du procureur européen. Chaque procureur délégué recevrait à cette fin une délégation du procureur européen. Sous le contrôle du procureur européen, les procureurs européens délégués devraient être par conséquent substituables en droit.
Question n° 1 Que pensez-vous de la structure et de l'organisation internes proposées pour le ministère public européen * La mission européenne confiée aux procureurs européens délégués devrait-elle être exclusive ou bien peut-elle être combinée avec une mission nationale *
4.3. Moyens de fonctionnement du parquet européen
Il reviendrait naturellement au droit communautaire dérivé de préciser le statut du parquet européen, notamment dans ses aspects les plus concrets (budget, personnel, etc.) selon la procédure prévue à l'article 251 du traité CE (majorité qualifiée au Conseil et codécision avec le Parlement).
L'organisation du procureur européen étant déconcentrée, la structure du siège du nouvel organe à créer devrait être réduite au minimum nécessaire à son bon fonctionnement. Les services centraux du procureur européen devraient être légers en comparaison des services des procureurs délégués européens, au sein desquels devrait se concentrer l'essentiel des ressources humaines et des moyens de fonctionnement. La synergie avec les moyens d'ores et déjà existant au niveau national devrait en particulier contribuer à l'efficience de l'ensemble du dispositif.
Le procureur européen aurait toute autorité sur la gestion des ressources humaines et des moyens de fonctionnement du parquet européen, pour ce qui est de son siège. Il devrait être secondé dans cette tâche par un ou plusieurs adjoints [78].
[78] A titre de comparaison, le personnel du Procureur près la Cour pénale internationale sera recruté, nommé et géré par le procureur, secondé par un ou plusieurs procureurs adjoints (article 42 et 44 du statut ce ladite cour).
Le procureur européen devrait disposer de son propre budget, imputé au budget général des Communautés européennes. Ce budget serait géré en toute indépendance par le procureur européen, dans le cadre des traités et des règles financières prises pour leur application. Chaque procureur européen délégué, restant soumis à son statut national, demeurerait rémunéré par son État membre. Cependant, le surcoût éventuel du parquet européen, en termes de frais de fonctionnement pour les États membres, pourrait être imputé au budget propre du procureur européen.
Le personnel du parquet européen pourrait être recruté, nommé et géré par le procureur européen, s'agissant du personnel du siège, et par l'État membre selon ses propres règles, s'agissant du personnel déconcentré. Le pouvoir propre en matière de personnel du procureur européen devrait s'exercer dans le respect des règles communautaires prévues à cet effet , notamment le statut des fonctionnaires et autres agents des Communautés.
Si le procureur européen a vocation à voir son siège établi selon la procédure prévue pour les organismes communautaires, les procureurs européens délégués seraient, à la discrétion des États membres, basés dans leurs capitales nationales ou régionales respectives, ou dans tout autre lieu apparaissant adapté à l'exercice pratique de leur fonction compte tenu de l'implantation territoriale des juridictions nationales compétentes.
5. Droit pénal matériel
La Commission a proposé d'inscrire dans le Traité CE que le Conseil, en codécision avec le Parlement européen fixe « les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen en arrêtant, notamment [...] a) des règles établissant les éléments constitutifs des infractions pénales relatives à la fraude et à toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté, ainsi que les peines encourues pour chacune d'entre elles ;[...] ».
Il est en effet nécessaire d'envisager les règles spécifiques, relatives à la définition de ces infractions ( 5.2) et aux sanctions correspondantes ( 5.3). Quant à prévoir pour le bon fonctionnement du procureur européen des règles matérielles plus générales, en matière de responsabilité pénale ( 5.4) ou de prescription ( 5.5), l'opportunité doit en être évaluée sans préjudice de l'acquis. Pour chacun de ces domaines se pose la question de la méthode législative la mieux adaptée ( 5.1).
5.1. Choix de la méthode législative : unification communautaire ou harmonisation des législations nationales
La Commission est d'avis que la création d'un espace commun de recherches et de poursuites dans le domaine particulier de la protection des intérêts financiers des Communautés ne nécessite pas une « codification générale du droit pénal » entre les États membres.
Le procureur européen aura besoin pour fonctionner d'un ensemble de règles de droit matériel, à l'instar de celles qu'appliquent les autorités nationales de poursuite.
En théorie, la définition de ces règles peut être obtenue en combinant différentes méthodes :
- un renvoi pur et simple au droit interne des États membres (sans aucune harmonisation) ;
- une harmonisation partielle de certaines dispositions nationales, dont le degré peut être plus ou moins élevé, complétée pour le reste par un renvoi au droit national ;
- une harmonisation totale de certaines dispositions nationales, le contenu des règles communautaires se substituant à celui des règles nationales concernées ;
- une unification, c'est à dire la création d'un corpus juridique communautaire autonome distinct du droit des États membres.
En pratique, l'acquis potentiel en matière de protection pénale des intérêts financiers communautaires a jusqu'à présent emprunté la voie d'une harmonisation, plus ou moins forte selon les domaines. Telle est bien la méthode sous-jacente aux dispositions de la Convention du 26 juillet 1995 et de ses protocoles additionnels, d'une part, et de la proposition précitée de directive du 23 mai 2001, d'autre part.
Au-delà, la question du choix de la méthode la mieux adaptée à la définition du droit matériel commun nécessaire au bon fonctionnement du procureur européen, se pose de façon renouvelée dans le cadre du présent Livre vert.
De manière générale, deux logiques distinctes doivent être conciliées. La première est celle de l'harmonisation totale, voire de l'unification. L'action du procureur européen serait d'autant plus facilitée que le droit matériel tendrait à être harmonisé voire unifié. En outre, une harmonisation totale ou une unification du droit garantirait par définition l'équivalence de la protection au travers de la Communauté qu'exige le Traité CE. Enfin, à l'égard des justiciables, cette logique contribuerait à établir une plus grande sécurité juridique, en simplifiant l'accès aux règles applicables. Elle ne trouve cependant de légitimité que dans la mesure où elle apparaît proportionnelle à l'objectif spécifique recherché : la protection pénale des intérêts financiers communautaires. Elle sera donc d'autant plus facilement concevable qu'elle s'applique à des domaines qui relèvent spécialement du procureur européen, par exemple la définition des éléments constitutifs des infractions relevant de sa compétence ou la durée du délai de prescription correspondant.
La seconde logique est celle du renvoi, partiel ou total, au droit national. Celle-ci semble la méthode la mieux adaptée pour déterminer des règles générales qui dépassent la protection des intérêts financiers communautaires, en dépit de la diversité qu'elle oblige à maintenir au regard de l'objectif de protection équivalente dans la Communauté. Les ordres juridiques nationaux seront d'autant moins affectés que le procureur européen sera amené à prendre en compte chacun d'entre eux, selon l'État membre dans lequel il agit.
La conciliation souhaitable entre ces deux logiques implique de répondre, pour chaque domaine du droit matériel, à deux questions : quelles règles unifiées ou harmonisées * et dans le second cas, jusqu'à quel degré de précision * Ce sont ces questions qui reviennent dans les sections suivantes.
Pour leur part, les auteurs du Corpus juris ont proposé une harmonisation plus poussée en matière de droit pénal général. La Commission considère cependant qu'une telle harmonisation doit rester proportionnelle à l'objectif particulier de la protection pénale des intérêts financiers communautaires et être modulée selon un degré variable en fonction des différents domaines visés ci-dessous (voir 5.2 à 5.5).
Enfin, il importe de garder présent à l'esprit tout au long des développements qui suivent que le procureur européen devrait s'inscrire dans une dynamique évolutive. D'une part, la Commission cherche à esquisser avec le présent Livre vert un débat sur le minimum nécessaire au bon fonctionnement du procureur européen. Une fois ce dernier établi sur un socle commun suffisant, après la période nécessaire à l'adoption de sa base et son cadre juridiques, l'expérience dira s'il est opportun de compléter ou non le minimum nécessaire à son action.
D'autre part, la diversité des systèmes pénaux nationaux devrait tendanciellement se réduire au rythme des avancées accomplies dans le cadre plus vaste de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, rendant par ricochet la tâche du procureur européen plus aisée. La confiance que la Commission accorde à la méthode de l'harmonisation y trouve son fondement : l'harmonisation spécifique proposée pour le procureur européen sera parallèlement complétée par une évolution générale de son environnement juridique, guidée par le principe de reconnaissance mutuelle.
5.2. Incriminations communes
En ce qui concerne la définition de ces incriminations, la Commission pourrait accorder sa préférence à un degré d'harmonisation élevé correspondant à une précision égale ou supérieure à celle de sa proposition de directive précitée du 23 mai 2001.
En effet, en application du principe de légalité, le procureur ne peut qu'être chargé de poursuivre certaines infractions, très précisément établies. S'agissant d'un ministère public compétent sur l'ensemble du territoire communautaire, une définition commune des incriminations poursuivies apparaît donc comme une condition indispensable à son fonctionnement.
Conformément au principe de spécialité du procureur européen, même s'il est possible d'imaginer d'autres chefs d'incriminations ( 5.2.3), ces infractions communes devraient viser exclusivement la protection des intérêts financiers communautaires. A cet égard, certaines infractions ont d'ores et déjà fait l'objet d'un accord entre les États membres ( 5.2.1). D'autres peuvent être envisagées, en s'inspirant notamment des travaux du Corpus juris ( 5.2.2).
5.2.1. Infractions pour la protection des intérêts financiers communautaires, ayant déjà fait l'objet d'un accord entre les États membres
Un accord substantiel existe déjà entre les États membres sur le contenu de ce qui pourrait devenir le noyau d'un droit pénal spécial en ce domaine. Les dispositions de droit pénal matériel de la convention de Bruxelles du 26 juillet 1995 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et ses protocoles additionnels [79], repris intégralement par la proposition de directive du 23 mai 2001 [80], constituent une référence incontournable pour la définition des infractions susceptibles d'entrer dans le chef des compétences du procureur européen. Ces dernières sont la fraude, la corruption et le blanchiment de capitaux qui leur est lié.
[79] JO C 316 du 27.11.95, p. 48 ; JO C 313 du 23.10.1996, p. 1 ; JO C 221 du 19.7.1997, p. 11 ; JO C 151 du 20.5.1997, p. 1 précités. Voir également les rapports explicatifs sur la convention (JO C 191 du 23.6.1997, p. 1) et le deuxième protocole (JO C 91 du 31.3.1999, p. 8).
[80] COM(2001)272 précité.
5.2.1.1. Fraude
L'article 3 de la proposition de directive précitée, reprenant les dispositions de l'article premier de la convention du 26 juillet 1995, définit la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes, en matière de dépenses, comme « tout acte ou omission intentionnel relatif à l'utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la perception ou la rétention indue de fonds provenant du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte, à la non-communication d'une information en violation d'une obligation spécifique, ayant le même effet, ou au détournement de tels fonds à d'autres fins que celles pour lesquelles ils ont initialement été octroyés ».
Les mêmes textes définissent la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes, en matière de recettes, comme « tout acte ou omission intentionnel relatif à l'utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte, à la non-communication d'une information en violation d'une obligation spécifique, ayant le même effet, ou au détournement d'un avantage légalement obtenu, ayant le même effet ».
De tels actes doivent être punissables soit comme infraction principale, soit à titre de complicité, d'instigation ou de tentative de fraude.
Au-delà de cet acquis potentiel, la définition pourrait être unifiée (dépenses et ressources) et élargie. En s'inspirant de la proposition du Corpus juris, une seule définition de la fraude pourrait être retenue, quel qu'en soit l'objet, dépenses ou ressources des Communautés [81]. L'effet de la fraude pourrait être étendu au cas de mise en danger des intérêts financiers communautaires, afin d'éviter de faire de la réussite des agissements frauduleux une condition nécessaire à leur poursuite. Enfin, l'élément d'intentionnalité pourrait être complété par la prise en compte des cas de négligence grave.
[81] Article 1 CJ.
5.2.1.2. Corruption
Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, de la proposition de directive, reprenant les dispositions de l'article 2 du protocole du 27 septembre 1996 à la convention de 1995 [82], la corruption passive est constituée du « fait intentionnel, pour un fonctionnaire, directement ou par interposition de tiers, de solliciter ou de recevoir des avantages, de quelque nature que ce soit, pour lui-même ou pour un tiers, ou d'en accepter la promesse, pour accomplir ou ne pas accomplir, de façon contraire à ses devoirs officiels, un acte de sa fonction ou un acte dans l'exercice de sa fonction, qui porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes ».
[82] La notion de fonctionnaire est, quant à elle, définie à l'article 2 de la proposition de directive, reprenant les dispositions de l'article 1 du protocole du 27 septembre 1996 à la convention de 1995.
Quant à la corruption active, elle est définie à l'article 4, paragraphe 2, de la proposition de directive, reprenant les dispositions de l'article 3 du même protocole, comme « le fait intentionnel, pour quiconque, de promettre ou de donner, directement ou par interposition de tiers, un avantage, de quelque nature que ce soit, à un fonctionnaire, pour lui-même ou pour un tiers, pour qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, de façon contraire à ses devoirs officiels, un acte de sa fonction ou un acte dans l'exercice de sa fonction qui porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes ».
Corruptions passive et active doivent être punissables soit comme infraction principale, soit à titre de complicité ou d'instigation (article 5 du protocole précité).
5.2.1.3. Blanchiment de capitaux
L'article 6 de la proposition de directive, reprenant les dispositions de l'article premier du protocole du 19 juin 1997 à la convention de 1995, renvoie pour la définition du blanchiment de capitaux lié au produit de la fraude - du moins dans les cas graves - et de la corruption active et passive, à la notion générale de blanchiment de capitaux, telle que précisée par la directive modifiée du 10 juin 1991 [83].
[83] Article 1er, troisième tiret, de la directive 91/308/CEE du Conseil modifiée, du 10.6.1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 166 du 28. 6. 1991, p. 77).
Cette dernière définit le blanchiment de capitaux comme le fait de commettre intentionnellement soit « la conversion ou le transfert de biens, dont celui qui s'y livre sait qu'ils proviennent d'une activité criminelle ou d'une participation à une telle activité, dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine illicite desdits biens ou d'aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes », soit « la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l'origine, de l'emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels de biens ou de droits y relatifs dont l'auteur sait qu'ils proviennent d'une activité criminelle ou d'une participation à une telle activité », soit encore « l'acquisition, la détention ou l'utilisation de biens en sachant, au moment de la réception de ces biens, qu'ils proviennent d'une activité criminelle ou d'une participation à une telle activité ». En outre, il y a blanchiment de capitaux même si les activités qui sont à l'origine des biens à blanchir sont localisées sur le territoire d'un autre État membre ou sur celui d'un pays tiers.
La participation à l'un des actes précédents, l'association pour commettre ledit acte, les tentatives de le perpétrer, le fait d'aider, d'inciter ou de conseiller quelqu'un à le faire ou le fait d'en faciliter l'exécution sont également répréhensibles.
5.2.2. Autres infractions envisagées pour la protection des intérêts financiers communautaires
La création d'un procureur européen représentant un saut qualitatif vers l'espace de liberté, de sécurité et de justice, la réflexion ne saurait ici se limiter à l'hypothèse d'une simple reconduction à l'identique de l'acquis de l'Union. Le procureur européen devrait être compétent pour poursuivre d'autres infractions liées à la protection des intérêts financiers communautaires, telles que précisées ci-dessous.
La définition de ces infractions communes pourrait notamment s'inspirer des avancés réalisées dans le cadre du troisième pilier et des propositions de l'étude Corpus juris précitée, qu'il s'agisse soit de développer les chefs d'incrimination précédents, soit de les compléter par de nouvelles dispositions. La Commission manifeste ici son intérêt pour une telle démarche.
5.2.2.1. Fraude en matière de passation de marché
L'idée d'introduire au niveau communautaire une infraction en matière de fraude au droit des marchés publics apparaît pertinente, compte tenu des montants en jeu et des lacunes importantes décelées dans le droit de plusieurs États membres [84]. En particulier, l'incrimination d'escroquerie s'avère peu efficace dans la mesure où la preuve du préjudice matériel est difficile à apporter.
[84] La mise en oeuvre du Corpus juris dans les États membres, opus précité, tome 1, partie II, chapitre 1, I-2.
C'est pourquoi le fait de faire accepter une offre déterminée à une autorité adjudicataire, quelle qu'elle soit, par certains moyens violant les règles communautaires relatives aux marchés publics tels que, par exemple, un accord illicite, ou de le tenter, pourrait être érigé en infraction pénale commune, dès lors que l'offre porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers des Communautés.
5.2.2.2. Association de malfaiteurs
Comme le montre depuis plusieurs années l'activité opérationnelle de la Commission et des États membres, la criminalité organisée est bien souvent à l'origine des atteintes portées aux intérêts financiers communautaires. Il pourrait donc importer de viser spécifiquement la participation à une organisation criminelle, dans le but de prévenir la commission des autres infractions communes [85].
[85] Voir notamment article 4 CJ.
En effet, il n'est pas nécessaire d'attendre la réalisation du préjudice financier communautaire pour réprimer les activités de ceux qui en font le projet et se donnent, de manière structurée, les moyens d'y parvenir. De plus, un chef d'incrimination de ce type peut aider à démanteler une organisation criminelle en remontant jusqu'à ses dirigeants. Cette solution permettrait de concrétiser dans un domaine particulier la volonté de principe affirmée à Tampere par le Conseil européen, « fermement décidé à renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité organisée et transnationale » [86].
[86] Conclusion n° 40.
Pourrait être ainsi retenue, soit comme incrimination commune en tant que telle, soit comme circonstance aggravante des incriminations communes visées jusqu'ici, la participation à une association de malfaiteurs [87], entendue comme une organisation pérenne composée d'au moins trois personnes en vue de réaliser des actes de fraude, de corruption, de blanchiment ou tout autre acte visé aux termes des infractions communes à définir.
[87] Voir notamment l'action commune du 21.12.1998 adoptée par le Conseil sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les États membres de l'Union européenne (JO L 351 du 29.12.1998).
5.2.2.3. Abus de fonction
Les atteintes portées aux intérêts financiers par des fonctionnaires n'impliquent pas toujours que ces derniers y trouvent un avantage, comme dans les cas de corruption. C'est pourquoi l'incrimination plus générale et à titre subsidiaire de l'abus de fonction portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés pourrait être éventuellement envisagée [88].
[88] Voir notamment article 7 CJ.
Il s'agirait d'ériger en infraction pénale le fait pour un fonctionnaire en charge de la gestion d'intérêts financiers communautaires de porter intentionnellement atteinte à ces derniers, en abusant des pouvoirs qui lui sont attribués à cette fin.
5.2.2.4. Révélation de secret de fonction
Dans l'exposé des motifs du projet de traité de 1976 sur la responsabilité et la protection en matière pénale des agents des Communautés européennes, la Commission soulignait déjà que, ni les autorités nationales, ni les organisations privées ne doivent hésiter à fournir des renseignements confidentiels utiles aux autorités communautaires, au motif que la violation du secret n'est pas sanctionnée pénalement [89].
[89] Ancien projet de traité portant modification du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes en vue d' adopter une réglementation commune sur la responsabilité et la protection en matière pénale des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes, (JO C 222 du 22.9.1976).
C'est pourquoi pourrait être définie comme infraction pénale communautaire, la révélation par un agent public, en violation d'un secret de fonction, d'une information acquise dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions, dès lors que cette révélation porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers communautaires [90].
[90] Voir notamment article 8 CJ.
5.2.3. Infractions envisageables au-delà de la protection des intérêts financiers communautaires
Pour éclairer pleinement le débat, il est loisible de rappeler que la proposition de la Commission aurait pu dépasser la protection pénale des intérêts financiers afin de prévoir notamment une protection pénale générale de la fonction publique européenne, envisagée dès le début des années 1970 [91]. Un tel choix aurait alors pu conduire, par exemple, à viser de manière générale - c'est à dire sans lien nécessaire avec les intérêts financiers des Communautés - l'abus de fonction et la révélation de secret de fonction, ou encore à rendre compétent le procureur européen pour poursuivre des faits aussi divers que le simple vol des effets personnels au sein des institutions, les atteintes à la protection des données ou le favoritisme dans l'application du droit communautaire.
[91] JO C 222 du 22.9.1976.
Tel n'est cependant pas l'objet de la proposition de la Commission, qui s'en tient aux intérêts financiers communautaires (article 280 bis proposé).
Question n° 2 Pour quels chefs d'incrimination le procureur européen devrait-il être rendu compétent * Les définitions d'incriminations acquises dans le cadre de l'Union européenne devraient-elles être complétées *
5.3. Sanctions communes
Il importe également d'établir au niveau communautaire les règles relatives aux peines correspondant aux infractions entrant dans le champ de compétence du procureur européen.
Un effort prioritaire d'harmonisation dans ce domaine apparaît justifié et nullement contradictoire avec les conclusions du Conseil européen de Tampere selon lesquelles : « en ce qui concerne le droit pénal national, les efforts visant à trouver un accord sur des définitions, des incriminations et des sanctions communes doivent porter essentiellement, dans un premier temps, sur un nombre limité de secteurs revêtant une importance particulière, tels que la criminalité financière (blanchiment d'argent, corruption, contrefaçon de l'euro),... » [92].
[92] Conclusion de la Présidence n° 48.
Le respect de l'acquis en matière de protection des intérêts financiers des Communautés implique de ne pas fixer le niveau des sanctions pénales en dessous de ce que prévoit d'ores et déjà la proposition de directive du 23 mai 2001 et les dispositions conventionnelles qu'elle reprend. Ces textes stipulent que les comportements de fraude, de corruption et de blanchiment de capitaux qu'ils visent doivent être passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, incluant, au moins dans les cas graves, des peines privatives de liberté pouvant entraîner l'extradition. Ils prévoient la confiscation des instruments et du produit correspondant.
L'article 3 de la proposition de directive, reprenant les dispositions de l'article 2 de la convention du 26 juillet 1995, précise de surcroît que doit être considérée comme fraude grave toute fraude portant sur un montant minimal ne pouvant pas être fixé à plus de 50 000 euros. Par ailleurs, la proposition de directive, aux termes de son article 11, reprenant les dispositions de l'article 4 du protocole du 19 juin 1997, prévoit des sanctions, le cas échéant pénales, à l'encontre des personnes morales déclarées responsables en matière de fraude, de corruption active ou de blanchiment de capitaux.
Dans le respect des principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines rappelés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne [93], la Commission est d'avis qu'il conviendrait d'aller plus loin dans la voie de l'harmonisation des sanctions pénales correspondant aux infractions définies. Cet effort d'harmonisation, s'il devrait être plus élevé eu égard à la nature commune des incriminations concernées, doit cependant rester cohérent avec le débat plus général, en cours au sein de l'Union européenne, sur l'harmonisation des peines.
[93] Article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Le niveau maximal des sanctions - des peines privatives de liberté aussi bien que des amendes - devrait être déterminé par le législateur communautaire, le juge national ayant la liberté dans cette limite d'apprécier le niveau de la sanction qu'il prononce. La possibilité de recourir à des peines alternatives ou complémentaires devrait également être envisagée. En particulier, un type communautaire de peines complémentaires pourrait être établi, ouvrant par exemple la possibilité de prononcer une exclusion de la fonction publique européenne, de l'accès aux subventions ou encore de l'accès aux marchés publics dès lors que des financements communautaires sont sollicités [94].
[94] Voir notamment article 14 CJ.
Si les effets sur le niveau maximal des peines de circonstances aggravantes ou atténuantes pourraient être prévus au niveau communautaire, la définition de ces circonstances pourrait être renvoyée au droit national. De même, conviendrait-il de prévoir le régime des peines applicable en cas de concours d'infractions.
Par ailleurs, il devrait être prévu que le procureur européen puisse demander la confiscation des instruments et des produits des infractions relevant de sa compétence, dans l'esprit de l'acquis de l'Union en ce domaine [95]. Enfin, un dispositif permettant la publication des décisions définitives de justice pourrait être conçu.
[95] Décision cadre du Conseil du 26.6.2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (JO L 182 du 5.7.2001, p .1).
5.4. Responsabilité des personnes morales
S'agissant du régime de la responsabilité pénale, la Commission estime que le principe de proportionnalité serait respecté à s'en tenir à l'acquis et au degré d'harmonisation qu'elle suggère dans sa proposition de directive du 23 mai 2001. A l'exception des règles d'ores et déjà prévues par les textes en ce qui concerne la responsabilité des chefs d'entreprise et des personnes morales, il serait donc renvoyé de façon générale aux droits des États membres. Cette solution, à laquelle la Commission attache une préférence, lui semble suffire à assurer le minimum nécessaire au fonctionnement du procureur européen [96].
[96] Pour un avis différent, favorable à une harmonisation poussée en matière de droit pénal général de la responsabilité, voir articles 9 à 13 CJ proposant de compléter les règles conventionnelles en matière de responsabilité des entreprises et de poser les bases d'une définition communautaire de l'élément moral, de l'erreur, de la responsabilité pénale individuelle et de la tentative
Plus précisément, les articles 8 et 9 de la proposition de directive du 23 mai 2001, reprenant les dispositions de l'article 3 respectivement de la convention du 26 juillet 1995 et du protocole du 19 juin 1997 prévoient déjà une certaine harmonisation des règles relatives à la responsabilité, en ce qui concerne d'une part les chefs d'entreprise, d'autre part les personnes morales.
Sur cette base, les chefs d'entreprise ou toute personne ayant le pouvoir de décision ou de contrôle au sein d'une entreprise devraient pouvoir être déclarés pénalement responsables selon les principes définis par leur droit interne, en cas de fraude, de corruption et de blanchiment du produit de ces dernières, commis par une personne soumise à leur autorité et pour le compte de l'entreprise.
De même, les personnes morales devraient être tenues pour responsables de la commission, de la participation (en qualité de complice ou d'instigateur) ou de la tentative d'un fait de fraude, de corruption active et de blanchiment de capitaux, commis pour leur compte par toute personne qui exerce un pouvoir de direction en leur sein [97]. Leur responsabilité devrait également être prévue lorsque le défaut de surveillance ou de contrôle de la part d'une personne ci-dessus visée a rendu possible la commission de ces faits pour le compte de ladite personne morale par une personne soumise à son autorité.
[97] Ceci que la personne agisse individuellement ou bien en tant que membre d'un organe de la personne morale. Le pouvoir de direction ici visé peut être un pouvoir de représentation de la personne morale ou la détention d'une autorité pour prendre des décisions au nom de la personne morale ou pour exercer un contrôle au sein de la personne morale
La responsabilité de la personne morale ainsi envisagée n'exclut pas la responsabilité pénale des personnes physiques auteurs, instigateurs ou complices du fait de fraude, de corruption active ou de blanchiment de capitaux.
5.5. Régimes de prescription
La prescription des incriminations entrant dans le chef de compétence du procureur européen constitue une cause d'extinction de son action. Or, les règles relatives à la prescription sont très variables d'un État membre à l'autre et le seront plus encore dans la perspective de l'élargissement de l'Union. Aussi l'égalité de traitement des justiciables requiert-elle un réel effort d'harmonisation de ces règles.
Le maintien d'une trop grande diversité, alors même que la poursuite pénale des atteintes aux finances communautaires serait rendue efficace, constituerait une source de difficultés. Si plusieurs personnes, concernées par les mêmes faits, sont poursuivies dans plusieurs États membres, une inégalité de traitement risque de s'en suivre. Pour des faits identiques concernant une même personne, les poursuites forcloses dans tel État membre pourraient encore être permises dans tel autre, où risquerait de venir se concentrer, pour ce seul motif, toute la procédure.
Par ailleurs, l'action de poursuite du procureur européen ne devrait pas être entravée par un délai de prescription trop bref. L'expérience acquise par la Commission et les États membres dans le domaine de la détection administrative des fraudes atteste de la longueur des investigations requises. Complexité de la matière financière, caractère transnational des agissements, gravité des faits impliquant dans certains cas la criminalité organisée démultiplient en effet les difficultés au stade des recherches. A titre d'exemple, l'étude Corpus juris se prononce pour l'ensemble des infractions qu'elle définit en faveur d'un délai de 5 ans sur une période maximale de 10 ans.
La Commission marque sa préférence à tout le moins pour que les durées des prescriptions s'agissant des incriminations relevant de la compétence du procureur européen soient définies au niveau communautaire. En l'absence d'acquis sur ce point, elle souhaite réfléchir à la durée du délai de prescription à fixer, pour chaque infraction retenue, une durée identique pour tous les chefs d'incriminations ne s'imposant pas avec la force de l'évidence. Enfin, pour l'ensemble des autres règles y relatives, notamment l'interruption de la prescription, la possibilité d'un renvoi au droit national sous réserve de reconnaissance mutuelle entre les États membres devrait être évaluée.
Question n° 3 La création d'un procureur européen devrait-elle s'accompagner de l'adoption de certaines règles communes supplémentaires, en matière de :
- sanctions *
- responsabilité *
- prescription *
- autre *
Dans l'affirmative, dans quelle mesure *
6. Procédure
La Commission a proposé d'inscrire dans le Traité CE que le Conseil de l'Union européenne statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, soit en codécision avec le Parlement européen, « fixe les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen en arrêtant, notamment [...] b) des règles de procédure applicables aux activités du procureur européen, ainsi que des règles gouvernant l'admissibilité des preuves ; c) des règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure pris par le procureur européen dans l'exercice de ses fonctions. »
Le fonctionnement du procureur européen suppose la définition d'un cadre procédural propre qui s'articule avec les systèmes judiciaires nationaux. Ce cadre procédural devrait être défini au niveau le plus approprié en vertu des principes de subsidiarité et d'effectivité, tantôt à l'échelon européen, tantôt au niveau national.
Les méthodes identifiées au chapitre précédent peuvent être à cet égard combinées. Dans la mesure où cela est essentiel au bon fonctionnement du procureur européen, la définition d'un socle propre de règles de procédure européennes peut s'avérer indispensable. Cependant un rapprochement, total ou partiel, des procédures nationales peut être suffisant, dès lors que le fonctionnement du procureur européen ne requiert qu'une équivalence entre les États membres. Pour le reste, il devrait être autant que possible renvoyé au droit national. S'agissant de la procédure pénale, la Commission s'appuie plus particulièrement dans le cadre du Livre vert sur le principe de reconnaissance mutuelle.
Il convient à ce stade de détailler, pour chaque phase de la procédure, les pouvoirs du procureur européen exposés plus haut de façon générale [98] et les garanties correspondantes au regard des libertés fondamentales. La question des voies de recours est quant à elle examinée au chapitre 8.
[98] Cf. ci-dessus 3.3 (pouvoirs du procureur européen).
Le procureur européen devrait diriger et coordonner les recherches et les poursuites en vue de la protection des intérêts financiers communautaires. A cette fin, dûment informé ( 6.1), il devrait être prévu qu'il puisse exécuter, directement ou par délégation, des actes de recherche ( 6.2). Il devrait également décider du renvoi en jugement de l'accusé et choisir la juridiction nationale saisie à cette fin ( 6.3). Cependant, compte tenu de leur incidence sur les droits fondamentaux des personnes, certains de ces actes devraient être soumis au contrôle préalable d'un juge, afin que soient respectés notamment les principes de légalité, de garantie judiciaire et de proportionnalité ( 6.4).
6.1. Information et saisine
A la différence de l'information, ouverte à tous et sans réponse obligée, on entend aux fins du présent Livre vert par saisine du procureur européen, son information officielle par une autorité publique, aux fins de poursuite. La saisine obligerait donc le procureur européen à donner une réponse motivée, quelle qu'elle soit, à la demande qui lui est faite.
Le procureur européen devrait pouvoir être informé ou saisi de tout fait pouvant constituer l'une des infractions communautaires prédéfinies [99]. La question se pose de savoir qui serait compétent pour ce faire et dans quelle mesure la saisine devrait être obligatoire ou facultative.
[99] Cf. ci-dessus 5 (droit matériel).
Les citoyens européens sont en droit d'exiger un niveau élevé de protection des intérêts financiers communautaires. Toute personne, physique ou morale, résidente ou non, pourrait informer par tout moyen le procureur européen de faits dont elle a connaissance. Le procureur européen pourrait ainsi tenir compte de toute information obtenue [100].
[100] Voir, à titre de comparaison sur ce point, articles 17 du statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda (T.P.I.R) et article 18 du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (T.P.I.Y).
En outre une obligation de saisine du procureur européen devrait être plus spécifiquement mise à la charge de certaines autorités, nationales ou communautaires, ayant des compétences particulières [101].
[101] Sans préjudice des obligations de communication à la Commission des cas d'irrégularités que prévoit déjà la législation communautaire dans le cadre de la gestion et du contrôle administratifs et financiers.
S'inspirant d'obligations analogues fréquemment rencontrées dans les systèmes nationaux, la Commission exprime une préférence pour une saisine ou une information du procureur européen rendue obligatoire à l'égard des autorités et agents communautaires [102], ainsi que des autorités nationales quelles qu'elles soient, dans l'exercice de leur fonction : agents des administrations, notamment douanières et fiscales [103], services de police, autorités judiciaires.
[102] Voir notamment ci-dessous 7.3 pour le rôle de l'Office européen de lutte antifraude.
[103] Les autorités fiscales ont un devoir de confidentialité étendu. Toutefois ce devoir ne va jamais sans exceptions. Il y aurait donc lieu de compléter ces dernières, afin de rendre possible l'information du procureur européen.
A l'origine même de la proposition de créer un procureur européen se trouve l'idée selon laquelle, à des intérêts proprement communautaires, doit correspondre à l'échelon européen une fonction de poursuite des auteurs des faits qui leur portent atteinte. Dès lors, envisager une saisine facultative du procureur européen reviendrait à contrarier ce principe. Les autorités de poursuite nationales ne disposent pas, sur les affaires qui leur sont soumises, d'une vue englobant tout le territoire communautaire. Tel fait paraissant anodin à leur niveau, peut s'avérer, au-delà de leur ressort, l'élément d'un ensemble d'une gravité certaine. C'est pourquoi la Commission tient pour important le principe d'une saisine systématique du procureur européen dès lors que les intérêts financiers communautaires sont en cause.
Ainsi le procureur européen pourrait, soit être saisi par les autorités nationales ou communautaires compétentes, soit se saisir lui-même sur la base des informations dont il dispose [104].
[104] Cf. annexe n°2, premier schéma.
Question n° 4 Dans quel cas et par qui le procureur européen devrait-il être obligatoirement saisi *
6.2. Phase préparatoire
Aux termes de l'article 280 bis CE proposé par la Commission, le procureur européen serait « chargé de rechercher, de poursuivre et de renvoyer en jugement les auteurs ou complices des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté [...], dans les conditions fixées» par le législateur communautaire. La phase préparatoire commence à partir des premiers actes de recherche conduits par le procureur européen et s'étend jusqu'à la décision de classement ou de renvoi en jugement [105].
[105] Cf. annexe n°2, deuxième schéma.
6.2.1. Droits fondamentaux
A titre préalable, il va de soi que le procureur européen devrait agir dans le plein respect des droits fondamentaux, tels qu'ils sont notamment garantis par l'article 6 du Traité UE, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces principes incluent notamment le droit de propriété, le respect de la vie privée et le secret de la correspondance et des communications.
Le procureur européen devrait également agir conformément aux traités, et plus particulièrement au protocole sur les privilèges et immunités, dans le respect du statut des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes.
6.2.1.1. Droits de la défense et protection de l'accusé
Sans pouvoir être exhaustif, il convient de souligner l'importance que revêtent certains principes généraux au stade préparatoire du procès. Durant cette phase, le procureur européen conduirait les recherches nécessaires à la manifestation de la vérité, en recueillant tout élément utile à la mise en état de l'affaire. Ses investigations seraient conduites, à charge et à décharge, sans désemparer [106].
[106] Article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et article 47, alinéa 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (délai raisonnable).
Dès ce moment, la réalisation par le procureur européen d'actes faisant grief à l'accusé serait soumise au principe de la présomption d'innocence [107], ainsi qu'au principe de la procédure contradictoire. Ce dernier principe implique, au sens du Livre vert, le droit d'accès pour les parties et leur avocat au dossier détenu par le procureur européen. Il implique aussi, en ce qui concerne plus particulièrement l'accusé, le respect des droits de la défense, en particulier le droit de s'exprimer pleinement sur les faits qui le concerne [108]. L'action du procureur européen devrait être également soumise au principe d'équité et au respect du droit à ce que seuls les éléments ayant une valeur probante puissent fonder ses conclusions.
[107] Article 6, paragraphe 2, de la Convention et article 48, paragraphe 1, de la Charte précitées.
[108] Article 6, paragraphe 3, de la Convention et article 48, paragraphe 2, de la Charte précitées.
6.2.1.2. Droit à ne pas être poursuivi pénalement deux fois pour la même infraction
La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reconnaît, aux termes de son article 50, que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». Ce principe, dit « ne bis in idem », est largement reconnu par de nombreuses conventions internationales [109].
[109] Voir notamment les dispositions des article 7 de la convention du 25 juillet 1995 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes précitée et article 54 de la convention d'application de Schengen.
L'importance de son application aux actions du procureur européen ne fait aucun doute. La question se pose cependant de savoir à partir de quand, dans le courant de la phase préparatoire, le principe trouve à s'appliquer. La jurisprudence sur ce point n'est pas stabilisée [110].
[110] Affaire C 187/01, pendante devant la Cour de justice.
Dans le cadre de réflexion du présent Livre vert, il est cependant loisible d'avancer l'hypothèse suivante. Le procureur européen ne devrait pas pouvoir ouvrir des poursuites à l'encontre d'une personne ayant déjà été acquittée ou condamnée par un jugement pénal définitif pour une même infraction. Il devrait pour autant pouvoir s'assurer qu'il s'agit bien de la même personne et des mêmes faits. C'est pourquoi il pourrait être concevable de prévoir que le procureur européen puisse ordonner une enquête préliminaire, ne valant pas ouverture des poursuites, aux fins de s'assurer du respect du principe « ne bis in idem ». Dans le cas où l'enquête montre que l'affaire est déjà jugée, le procureur européen doit renoncer à poursuivre. Le principe « ne bis in idem » devrait aussi valoir pour d'autres décisions définitives qui font obstacle à l'exercice ultérieur des poursuites, telle la transaction. Au contraire, si l'enquête révèle que l'affaire a été classée par les autorités nationales de poursuite en raison d'une insuffisance d'éléments de preuve, le procureur européen peut poursuivre à son niveau s'il détient des éléments nouveaux.
6.2.2. Ouverture des recherches et des poursuites
Les recherches ne pourraient débuter qu'après l'ouverture des poursuites, sur instruction du procureur européen. Cette ouverture supposerait que les faits connus soient susceptibles de constituer, ou à tout le moins laissent soupçonner, une infraction communautaire relevant de la compétence du procureur européen.
6.2.2.1. Légalité ou opportunité des poursuites
Ces conditions réunies, se pose une question essentielle : le procureur européen aurait-il alors la simple possibilité ou bien l'obligation de poursuivre * Dans le premier cas, il s'agirait d'un système d' « opportunité des poursuites » ; dans le second, de « légalité des poursuites ». Les systèmes nationaux apportent à cette question des réponses diverses, mais toujours mixtes.
Le choix s'agissant du procureur européen doit être fait au niveau communautaire. La création d'un procureur européen doit permettre de renforcer et d'unifier la protection des intérêts financiers communautaires. Ceci implique en principe une poursuite uniforme dans tout l'espace judiciaire européen, donc sans marge d'appréciation laissée au procureur européen. Par ailleurs, l'indépendance du procureur européen trouve sa juste contrepartie dans une application sans faille du droit. La Commission marque pour ces raisons sa préférence en l'espèce pour un système de légalité des poursuites, doté d'exceptions destinées à le tempérer.
A cet égard, le rapprochement observé entre les différents systèmes nationaux devrait faciliter une telle solution. La mixité entre les systèmes de légalité, d'une part, et d'opportunité, d'autre part caractérise désormais la situation dans les États membres. Les systèmes d'opportunité n'existent qu'encadrés, par exemple par l'exigence d'une motivation des décisions de classement et par l'organisation de recours contre les décisions. De même, les systèmes de légalité sont assouplis par diverses possibilités de classement sous condition.
Soumis au principe de la légalité des poursuites, le procureur européen aurait la possibilité de classer, non seulement pour des raisons techniques s'imposant à lui [111], mais également pour des motifs d'opportunité, tels que ceux qui suivent.
[111] Cf. ci-dessous 6.2.4.1 (classement des poursuites ou non-lieu).
Tout d'abord, les exceptions au principe de légalité pourraient avoir pour principal objectif de ne pas encombrer le procureur européen avec des affaires mineures du point de vue de la protection des intérêts financiers communautaires, en vertu de l'adage « de minimis non curat praetor ». Plusieurs méthodes sont envisageables pour y parvenir. Un critère, par exemple, de « faible gravité au regard des intérêts financiers des Communautés » pourrait être laissé à l'appréciation du procureur européen sous le contrôle des juridictions. De façon plus précise, un seuil financier pourrait être déterminé, correspondant au montant de l'infraction en deçà duquel le procureur européen serait libre de poursuivre ou non. La première voie apparaît la plus souple ; la seconde, plus rigoureuse, comporte un risque d'effet de seuil que l'appréciation du procureur européen permettrait néanmoins de maîtriser.
En second lieu, il pourrait être prévu de déroger au principe de la légalité des poursuites eu égard à l'utilité de telles poursuites sur l'issue du procès. En particulier, il pourrait être laissé l'opportunité au procureur européen de ne poursuivre une même personne que sur une partie suffisante des charges retenues contre elle. Cette disposition pourrait se montrer utile dès lors que les recherches d'ores et déjà réalisées sur certaines de ces charges apparaissent suffisantes pour obtenir un jugement et qu'il est raisonnable de penser que la prolongation des recherches n'aura pas pour effet de modifier significativement la sentence finale.
Un troisième objectif qui pourrait être poursuivi moyennant une exception au principe de la légalité des poursuites est celui de la plus grande efficacité du recouvrement des sommes correspondant aux intérêts financiers lésés. Il s'agit ici de la technique de la transaction, connue de certains États membres, dont la possibilité mérite à tout le moins la discussion. Dans cette hypothèse, à la condition que l'accusé ait réparé le dommage causé en restituant -en accord avec l'ordonnateur - les fonds irrégulièrement perçus ou en versant les droits et taxes éludés, il lui serait ouvert la possibilité de conclure un accord avec le procureur européen sur l'extinction de toute action publique, présente ou ultérieure. Moyennant le paiement bénévole d'une somme, l'accusé bénéficierait de l'absence de jugement. Cette possibilité pourrait s'avérer utile dès lors que les perspectives d'aboutir à une condamnation sont faibles. Elle ne peut cependant être envisagée de façon acceptable que pour les infractions qui portent sur un montant financier modeste. De manière générale, les conditions de la transaction devraient être conçues de façon à ne pas constituer un échappatoire ou une source d'iniquité.
Quel que soit le motif d'exception aux poursuites, il pourrait toujours être prévu qu'aucune exception ne puisse jouer dans certaines circonstances aggravantes, telles que définies par renvoi au droit national.
Dans le cas où le procureur européen déciderait de ne pas poursuivre, il devrait clôturer le dossier, et si les poursuites sont ouvertes, prendre une décision de classement [112]. A la suite de quoi, il transmettrait le dossier pour information aux autorités nationales de poursuite, à charge pour celles-ci d'apprécier si telle affaire ayant échappé à la légalité des poursuites au niveau communautaire, ne présente pas néanmoins un intérêt au vu du contexte national pour poursuivre d'autres types d'infractions (voir ci-dessous) [113]. Toujours dans le respect du principe « ne bis in idem », ceci pourrait notamment être le cas si l'auteur est déjà connu des services de recherches pour avoir commis, par ailleurs, des infractions nationales.
[112] Cf. ci-dessous 6.2.4.1 (classement).
[113] Cette information par le procureur européen est à distinguer du renvoi aux autorités nationales de poursuite dans le cadre du partage des affaires communautaires. Cf. ci-dessous 6.2.2.2 a).
Question n° 5 Le procureur européen devrait-il être guidé par le principe de légalité des poursuites, comme le propose la Commission, ou par le principe d'opportunité des poursuites * Quelles exceptions devraient être prévues dans chacun des cas *
6.2.2.2. Répartition des affaires entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite
Les champs de compétence matérielle de chacun étant délimités, il est essentiel d'organiser clairement la répartition en pratique des affaires entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite. Par esprit de cohérence, afin de limiter les cas où un même comportement fait l'objet de poursuites parallèles. Par souci d'économie de moyens, afin de limiter le double emploi des ressources. Par égard pour la justice, afin d'éviter tout manquement au principe « ne bis in idem » et, à l'inverse, dans le but d'écarter les conflits de compétence négatifs, où personne ne s'estime compétent pour poursuivre. Résoudre cette question facilite en outre en aval la décision sur le point de savoir qui doit représenter l'accusation devant la juridiction de jugement.
a) Le cas des affaires communautaires
Le principe du procureur européen est que celui-ci est compétent à l'égard des infractions définies pour la protection des intérêts financiers communautaires. Il reste à dire dans quelle mesure cette compétence matérielle devrait conduire à une attribution des affaires au procureur européen, exclusive ou bien partagée avec les autorités nationales de poursuite.
Plutôt qu'une exclusivité, il convient de reconnaître deux principes pour permettre au procureur européen d'assurer son rôle : sa saisine systématique et la primauté de celle-ci. Tout d'abord, comme vu plus haut, sa saisine devrait être systématique dès lors qu'existent des éléments permettant de faire le lien avec une infraction aux intérêts financiers communautaires. En second lieu, sa saisine devrait en toute logique entraîner le dessaisissement des autorités nationales de poursuite, en appliquant la règle « ne bis in idem » à la phase de recherches.
Sous réserve de ces deux principes de saisine systématique du procureur européen et de primauté de son action sur les poursuites nationales, la répartition des affaires communautaires pourrait être partagée entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite. En effet, en vertu du principe de subsidiarité, certaines affaires relatives à la protection des intérêts financiers des Communautés pourraient être laissées entre les mains des autorités nationales :
- En application d'un seuil fixé a priori par le législateur, exprimé par exemple comme un montant de l'infraction, le procureur européen étant tout de même tenu informé afin de garder une visibilité d'ensemble sur la criminalité concernée.
- Sur la base d'un pouvoir de renvoi du procureur européen aux autorités nationales de poursuite ; pouvoir qu'il pourrait moduler, au vu de la pratique, dans le cadre de lignes directrices, prévoyant par exemple le renvoi en règle générale dans le cas où l'affaire se limite au territoire d'un seul État membre.
- Dans tous les cas, en conséquence d'une des exceptions au principe de la légalité des poursuites mentionnées ci-dessus, sauf cas de transaction.
b) Le cas des affaires mixtes
Différente est la question des affaires mixtes où apparaissent à la fois une infraction communautaire et une infraction nationale. Il importe à cet égard de savoir comment les affaire faisant appel à l'intervention du procureur européen mais dépassant son champ de compétence seront traitées.
La mixité est une situation courante en pratique, dans la mesure où la majorité des fonds européens sont perçus et gérés par les autorités nationales.
Les exemples d'affaire mixte sont nombreux, tels le détournement d'une subvention communautaire par voie de corruption d'un agent national ou encore la contrebande d'une marchandise permettant d'éluder à la fois les droits d'accises (recettes nationales), la TVA et les droits de douane (ressources propres).
Le cas le plus simple est celui où les infractions, et partant l'action publique, peuvent être disjointes. Le procureur européen, informé ou saisi de l'ensemble des faits, ne poursuivrait alors qu'au titre de l'infraction communautaire, renvoyant pour le reste aux autorités nationales de poursuite.
Néanmoins, l'imbrication peut être plus complexe dans le cas des véritables affaires mixtes. Il est possible de distinguer deux situations : a) un même comportement relève de deux qualifications pénales, nationale et communautaire, concernant un intérêt à protéger identique ; b) deux comportements connexes (c'est à dire distincts mais étroitement liés) correspondent respectivement à deux qualifications pénales, nationale et communautaire. Dans les deux cas, la concentration des poursuites peut présenter un intérêt opérationnel.
Les affaires mixtes ne pourraient pas être traitées par les seules autorités nationales de poursuite, sous peine de vider de sa substance la fonction du procureur européen. L'institution de procureurs européens délégués, notamment dans l'hypothèse où ils cumulent des fonctions européennes et nationales, devrait faciliter le traitement de telles affaires. La création de l'Unité Eurojust également, en ce qui la concerne [114]. Néanmoins il reste à limiter les risques de conflits entre les politiques criminelles communautaire et nationales ou encore entre la procédure communautaire, applicable s'agissant de l'infraction communautaire, et la procédure nationale, d'application en ce qui concerne l'infraction nationale.
[114] Cf. ci-dessous 7.2.1 (Eurojust).
c) L'organisation du dialogue entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite
Pour résoudre la question précédente, mais aussi de façon générale, il conviendrait d'organiser un mécanisme de consultations entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite, qui avec l'expérience de la pratique consoliderait progressivement les liens de confiance mutuelle. L'instauration d'une obligation de saisine du procureur européen, notamment à la charge des autorités nationales de poursuite devrait constituer le socle de ce dialogue [115]. Le dialogue entre procureurs européen et nationaux devrait être soumis au principe du plein respect de la sécurité juridique. En tout état de cause, les procureurs européens délégués auraient accès aux casiers judiciaires [116].
[115] Voir notamment article 18- 5 CJ. Contrairement à l'obligation de coopération des États, au stade des recherches, avec les procureurs des juridictions pénales internationales les plus récentes (article 29 du statut du T.P.I.Y. ; article 28 du statut du T.P.I.R. ; article 93 du statut de la C.P.I.), l'assistance serait ici directe entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite.
[116] Voir en outre le Titre VI « Registre relatif aux poursuites pour fraude » du projet soumis au Conseil par la Commission, en vue de l'adoption du protocole du 19.6.1997 à la convention du 26.7.1995 précités (JO C 83 du 20.3.1996, p. 10).
Compte tenu de l'obligation de saisir le procureur européen, au sujet de toute affaire touchant aux intérêts financiers communautaires, celui-ci déciderait le cas échéant de déférer aux autorités nationales les infractions qui affectent « principalement » des intérêts nationaux [117]. Pour préciser ce qu'il convient d'entendre par « principalement », le législateur communautaire pourrait définir des orientations plus précises et, dans ce cadre, le procureur européen pourrait adopter des lignes directrices. Celles-ci devraient tenir compte des principes de primauté du droit communautaire sur le droit national et de primauté de la lex specialis sur la loi générale.
[117] Voir notamment article 19 du Corpus juris (CJ), version dite « de Florence ».
Inversement, dans les cas où le procureur européen ne déferrerait pas l'affaire mixte aux autorités nationales, il pourrait recourir à un dispositif de poursuites conjointes, associant procureur européen délégué et autorités nationales de poursuite, le procureur européen étant chef de file.
Dans tous les cas, dès lors qu'un des niveaux de poursuite, national ou communautaire, déferrerait l'intégralité d'une affaire mixte à l'autre, le second devrait conduire les poursuites en intégrant la nécessité de protéger également les intérêts du premier.
En dernier ressort, si des juridictions différentes devaient être saisies parallèlement, il conviendrait de recourir à un mécanisme de règlement des conflits de compétence devant la Cour de justice, comme examiné plus bas [118].
[118] Voir notamment article 28- 1 CJ et ci-dessous 8 (contrôle juridictionnel).
Question n° 6 Compte tenu des pistes de réflexion mentionnées dans le présent Livre vert, quel partage des attributions prévoir entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite, notamment afin de permettre le traitement des affaires mixtes *
6.2.3. Conduite des recherches
6.2.3.1. Mesures de recherche
Dans son domaine de compétence, le procureur européen aurait la charge de diriger et coordonner les recherches. En vertu de la présomption d'innocence, il lui reviendrait d'apporter la preuve de la culpabilité de l'accusé, en instruisant à charge et à décharge. Étant compétent pour des infractions qui peuvent être sérieuses, il apparaît légitime qu'il puisse, dans la mesure du nécessaire, accéder à tout l'éventail des mesures de recherche qui existent au niveau national pour lutter contre semblable délinquance financière [119].
[119] Au sens du présent Livre vert, le terme « mesure de recherche » désigne une catégorie générale « d'actes de recherche » individuels.
A cette fin, il est concevable qu'il puisse, moyennant l'intervention d'un juge dès lors que les droits fondamentaux sont en jeu, collecter et saisir toute information utile, auditionner les témoins et interroger les suspects, contraindre ces derniers à comparaître devant lui, perquisitionner, procéder à des saisies, y compris de la correspondance, geler des avoirs, recourir à des écoutes téléphoniques et à d'autres formes d'interception des communications utilisant les plus récentes technologies de l'information, utiliser les techniques d'investigation spéciales, utiles en matière financière et reconnues par le droit conventionnel [120] (enquête discrète, livraison contrôlée), demander la délivrance d'un mandat d'arrêt, le placement sous contrôle judiciaire ou encore la mise en détention provisoire.
[120] Convention du 18.12.1997 relative à l'assistance mutuelle et à la coopération douanière entre les administrations douanière (Naples II) ; convention du 29.5.2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union européenne (JO C 197 du 12.7.2000, p. 1).
Le présent Livre vert devrait à cet égard être le cadre d'un approfondissement de la réflexion sur la garantie judiciaire dans la phase préparatoire du procès et sur le niveau pertinent, national ou le cas échéant européen, auquel devraient être encadrées et contrôlées de telles mesures.
Le procureur européen ne pourrait fonctionner s'il devait recourir à des mesures coercitives définies uniquement au niveau national et sans reconnaissance mutuelle. Dans une telle hypothèse, le cloisonnement lié à l'existence de la commission rogatoire internationale et de l'extradition, ne serait pas surmonté. La consistance de l'espace commun de recherches et de poursuites serait significativement amoindrie.
A l'inverse, il importe d'éviter une « codification pénale européenne », qui n'apparaît pas proportionnelle à l'objectif recherché. Il ne s'agit ici que de rendre efficace la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers communautaires, non de créer un système judiciaire européen complet.
La reconnaissance mutuelle des mesures coercitives nationales pourrait suffire au fonctionnement du procureur européen dès lors qu'il existe un socle commun suffisant entre les États membres. A cet égard, outre la soumission commune de ces derniers au respect des droits fondamentaux, les instruments adoptés ou en cours de préparation dans le cadre du troisième pilier (gel des avoirs [121], transfèrement temporaire aux fins d'une instruction de personnes détenues, audition par vidéoconférence ou téléconférence, livraisons surveillées, interceptions des télécommunications [122], mandat d'arrêt européen [123]...) invitent à penser que ce socle est en cours de consolidation, même s'il est trop tôt pour préjuger de son contenu précis.
[121] Initiative des gouvernements de la République française, du Royaume de Suède et du Royaume de Belgique visant à faire adopter par le Conseil une décision cadre relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel des avoirs ou des preuves (JO C 75 du 7.3.2001, p. 3.).
[122] Convention du 29.5.2000 précitée.
[123] COM(2001)522 précité.
La reconnaissance mutuelle automatique par les États membres des mesures coercitives mises en oeuvre par le procureur européen sous le contrôle du juge national des libertés permettrait de surmonter les limites de la commission rogatoire internationale et de l'extradition, puisqu'elle conférerait à ces mesures coercitives une validité sur tout le territoire des Communautés dans le cadre d'un espace commun.
Plus précisément, en ce qui concerne les mesures de recherche nationales, auxquelles aurait recours le procureur européen, [voir ci-dessous b) et c)] la reconnaissance mutuelle signifierait qu'en cas d'exécution dans un État membre d'un acte de recherche autorisé par le juge des libertés d'un autre État membre, le procureur européen n'aurait pas à demander une nouvelle autorisation.
Il est possible de l'illustrer en prenant l'exemple de la perquisition de trois filiales d'une même entreprise, situées dans les États membres A, B et C. (Par hypothèse en l'espèce, la perquisition d'entreprise n'est soumise à autorisation préalable d'un juge que dans les deux premiers États membres, en application de leur droit national respectif.) Le procureur européen pourrait demander l'autorisation de la perquisition au juge des libertés de l'État membre A, s'en prévaloir également dans l'État membre B - sans seconde autorisation - et procéder ainsi aux perquisitions de façon simultanée dans les trois filiales en A, B et C.
En outre, l'idée d'une admissibilité mutuelle entrerait en jeu, en ce qui concerne les preuves recueillies au moyen de tels actes de recherche, comme examiné plus bas [124].
[124] Cf. ci-dessous 6.3.4 (systèmes de preuves).
Pour ce qui est en revanche des mesures de recherche communautaires, à savoir des actes du procureur européen [décrits sous a)], elles auraient la même portée juridique dans tout l'espace commun de recherches et de poursuites, en vertu même de leur nature communautaire.
a) Les mesures de recherche communautaires à la discrétion du procureur européen : collecte ou saisie d'informations, audition ou interrogatoire de personnes,...
Les mesures de recherche communautaires du procureur européen ne nécessitent l'exercice d'aucun pouvoir coercitif: copie ou saisie d'information, audition de témoins ou interrogatoires d'accusé consentant. Elles devraient donc être laissées à sa discrétion. La question se pose de savoir s'il ne conviendrait pas d'y inclure de surcroît les visites d'entreprise, l'autorisation de ces dernières par un juge n'étant pas un principe commun aux États membres.
En tout état de cause, ces mesures devraient être encadrées par une procédure précise, établie au niveau communautaire. A cet effet, les droits de la défense devraient être pleinement garantis. Les droits de l'accusé pourraient ici s'inspirer des dispositions des statuts des juridictions pénales internationales les plus récents prévues aux fins de protéger l'accusé : assistance d'un conseil, traduction, droit au silence, droit à ne pas s'avouer coupable, information préalable sur ses droits (usage de ses déclarations comme preuves, notification des charges présumées,...).
b) Les mesures de recherche soumises au contrôle du juge des libertés : comparution forcée, perquisition domiciliaire, saisie, gel des avoirs, interceptions des communications, enquête discrète, livraison contrôlée ou surveillée,...
Le procureur européen devrait également pouvoir recourir à des mesures coercitives valables et exécutables dans l'espace communautaire de recherches et poursuites. Ces actes devraient être cependant soumis au contrôle du juge des liberté, juge national [125]. Ils seraient ensuite exécutés sous la direction du procureur européen, par les autorités compétentes [126].
[125] Cf. ci-dessous 6.4 (garantie des libertés par le juge).
[126] Cf. ci-dessous 6.2.3.2. (relation de travail avec les services de recherche nationaux) et 7.3. (rôle futur de l'OLAF).
Le droit national applicable serait au stade de l'autorisation, celui de l'État membre du juge des libertés et au stade de l'exécution, celui de l'État membre du lieu d'exécution de l'acte de recherche, à supposer qu'il s'agisse d'un État membre différent. Entre les États membres, l'autorisation devrait être mutuellement reconnue et les preuves légalement recueillies sur cette base, mutuellement admissibles.
Il convient au préalable de s'assurer du fait que le droit interne de chaque État membre prévoit la possibilité des mêmes mesures coercitives. La reconnaissance mutuelle présuppose de s'assurer d'un minimum d'homogénéité des dispositions nationales relatives aux mesures de recherche. Il ne s'agit pas d'harmoniser les diverses réglementations nationales relatives à ce sujet, mais de vérifier qu'à tout le moins une réglementation nationale encadre dans chaque État membre les mesures de recherche auxquelles le procureur européen pourrait recourir. Par exemple, pour qu'il soit permis de prévoir dans le droit communautaire dérivé la possibilité pour le procureur européen de recourir à l'interception des communications, une législation nationale concernant cette dernière doit à tout le moins être en vigueur dans chaque État membre.
Quant aux modalités d'autorisation par le juge des libertés (autorisation préalable ou a posteriori, procédure normale ou d'urgence, etc.), le droit national auquel il serait renvoyé en déciderait. Le principe de reconnaissance mutuelle s'appliquerait aux formes, non au principe, du contrôle par le juge national des libertés.
Dans l'exemple précédent, il est concevable que l'autorisation obtenue du juge des libertés de l'État membre A le soit en vertu d'une procédure simplifiée, qui n'existe pas dans l'État membre B, mais qui y est pourtant reconnue en vertu de la reconnaissance mutuelle. En revanche, le procureur européen ne pourrait pas se dispenser de toute forme d'autorisation dans les États membres A et B, au motif que l'État membre C autorise, dans son for, la perquisition d'entreprise sans autorisation d'un juge.
c) Les mesures de recherche délivrées par le juge des libertés, sur demande du procureur européen : mandat d'arrêt, placement sous contrôle judiciaire ou détention provisoire
Ce qui vient d'être exposé, au cas précédent, vaudrait a fortiori pour les mesures de recherche restrictives ou privatives de liberté. Toutefois ces dernières, au contraire des précédentes, se matérialiseraient par des actes, non pas du procureur européen, mais du juge des libertés, en raison de la gravité de leurs effets.
Pour obtenir la délivrance d'un mandat d'arrêt, le placement sous contrôle judiciaire ou la détention provisoire, le procureur européen devrait par conséquent en faire la demande au juge.
En particulier, la Commission est d'avis que le procureur européen devrait pouvoir demander à toute autorité judiciaire nationale compétente la délivrance d'un mandat d'arrêt, dans les conditions prévues mutatis mutandis par les dispositions de la proposition de la Commission de décision cadre sur le mandat d'arrêt européen [127].
[127] COM(2001)522 précité.
Ce dernier, exécutable dans tout l'espace commun de recherches et de poursuites, permettrait au procureur européen de demander la recherche, l'arrestation et la remise de la personne identifiée, sur le fondement motivé d'une infraction présumée. Chaque mandat d'arrêt européen devrait faire l'objet d'une mention dans le Système d'information Schengen (SIS). Aux fins de protéger ses droits, la personne arrêtée pourrait s'opposer à l'exécution du mandat devant le juge des libertés de l'État membre d'exécution.
Le mandat d'arrêt européen rendrait sans objet la procédure d'extradition dans le domaine de compétence du procureur européen. En particulier, les principes de double incrimination et d'interdiction de l'extradition des ressortissants nationaux ne devraient plus en principe trouver à s'appliquer dans ce contexte . Cette évolution s'inscrit dans l'esprit des conclusions de Tampere qui visent à réduire les cas de recours à l'extradition et à développer un titre exécutoire européen [128].
[128] Conclusions n° 35 et 37.
Question n° 7 La liste des mesures de recherche envisagées pour le procureur européen vous paraît-elle suffisante, afin notamment de surmonter le morcellement de l'espace pénal européen * Quel encadrement (droit applicable, contrôle - voir 6.4) prévoir pour de telles mesures de recherche *
6.2.3.2. Relation de travail avec les services de recherche nationaux
La proposition de créer un procureur européen n'implique pas d'instituer un auxiliaire de justice au niveau communautaire pour effectuer l'ensemble des actes de recherche utiles dans les États membres [129]. Le procureur européen devrait pouvoir s'appuyer sur les services nationaux de recherche, policiers et judiciaires, le cas échéant constitués en équipes communes d'enquête [130], pour exécuter concrètement les actes autorisés ou délivrés par le juge des libertés [131].
[129] Cf. ci-dessous 7.3 en ce qui concerne la question plus particulière des actes de recherche à l'intérieur des institutions communautaires.
[130] Article 13 de la convention précitée du 29.5.2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale.
[131] Sans qu'il s'agisse là de l'objet du présent Livre vert, il convient de remarquer que dans certaines cas, strictement limités en vertu du principe de subsidiarité, l'existence de pouvoirs de recherche exercés au niveau européen pourrait contribuer à l'efficacité accrue du procureur européen. Il s'agit en particulier d'affaires transnationales impliquant les dépenses directes (dépenses gérées par les Communautés, sans recourir aux administrations des États membres), par exemple lorsque les co-contractants et sous-contractants de la Commission concernés sont situés dans plusieurs États membres. Voir également ci-dessous 7.3 (rôle futur de l'OLAF).
Plusieurs possibilités sont envisageables pour fonder leur relation de travail.
Selon une première option, le procureur européen serait doté d'un pouvoir d'instruction directe, dans le cadre de l'accomplissement de ses fonctions, à l'égard des services de recherche des États membres.
Une seconde option reviendrait à prévoir, de façon plus générale, une obligation d'assistance des seconds à l'endroit du premier. Le procureur européen aurait le droit de demander le concours, par exemple de la police de l'État membre concerné pour procéder à une perquisition, et la police ne pourrait pas refuser d'apporter une réponse à cette demande.
Une troisième option, consisterait à se conformer dans chaque État membre au système de relations existant entre autorités nationales de poursuite et autorités nationales de recherche.
A titre d'illustration, dans cette dernière hypothèse, le procureur européen délégué d'un État membre A pourrait requérir directement le concours de la police à l'instar de tout procureur national de cet État membre, cependant que dans un autre État membre B, où les autorités nationales de poursuite n'ont pas de pouvoir d'instruction sur la police, le procureur européen délégué ne pourrait que faire des suggestions à cette dernière.
La préférence de la Commission va plutôt à cette troisième solution, pour autant que la liberté d'organisation interne qu'elle ménagerait ne remette pas en cause les principes communautaires d'effectivité et d'équivalence. Les procureurs européens délégués auraient en ce cas les mêmes pouvoirs vis-à-vis des autorités nationales de recherche que les autorités nationales de poursuite.
Question n° 8 Quelles solutions faut-il envisager pour assurer l'exécution des actes de recherche diligentés par le procureur européen *
6.2.4. Issue des poursuites
6.2.4.1. Classement des poursuites ou non-lieu
Dès lors qu'il renonce à poursuivre, le procureur européen devrait prendre une décision formelle, dite de classement ou de non-lieu. Dans tous les cas, ceci devrait être possible à tout moment de la phase préparatoire. Une cause d'extinction de l'action publique, totalement indépendante de la volonté du procureur européen, peut en outre survenir à tout moment, y compris dans la phase préparatoire [132].
[132] Cf. ci-dessous 6.3.5 (causes d'extinction de l'action publique dans la phase de jugement)
Il n'est pas nécessaire de revenir ici sur le cas où le procureur européen décide en opportunité du classement de l'affaire en application d'une des exceptions au principe de la légalité des poursuites, déjà mentionné [133], et qui précisément intervient sans que ces dernières soient nécessairement ouvertes.
[133] Cf. ci-dessus 6.2.2.1 (légalité ou opportunité des poursuites).
Le procureur européen peut également être conduit à prendre une décision de classement ou non-lieu, à l'occasion des poursuites qu'il a engagées.
- Ceci serait rendu obligatoire par toute cause d'extinction de l'action publique : le délai de la prescription est échu [134], l'auteur des faits disparaît ou décède, ou encore une mesure nationale générale, telle une amnistie ou un acte de grâce, est adoptée.
[134] Cf. ci-dessus 5.5 (délai de prescription).
- Le classement devrait de plus être rendu possible dans des cas limitativement énumérés : l'infraction n'est pas constituée, des éléments suffisamment probants font défaut, ou encore l'auteur des faits demeure inconnu.
La forme de cette décision devrait être déterminée selon une procédure communautaire. Il pourrait être prévu l'obligation pour le procureur européen de motiver sa décision. Elle serait notifiée à l'accusé, à la victime - en l'espèce la Commission représentant les Communautés - et aux autorités nationales de poursuite, dans le cadre du dialogue mentionné plus haut.
Comme vu plus haut, à condition que le principe « ne bis in idem » le permette, le classement d'une affaire en opportunité par le procureur européen n'aurait pas pour conséquence d'empêcher les autorités nationales de poursuivre de leur côté, pour des infractions nationales [135]. A l'inverse, la question se pose de l'effet, pour ces autorités, du classement par le procureur européen des poursuites menées à leur terme. Il pourrait logiquement être prévu qu'en cas de découverte d'un fait nouveau, les autorités nationales en informent le procureur européen.
[135] Cf. ci-dessus 6.2.2.2 b) et c) (répartition des affaires entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite)
6.2.4.2. Renvoi en jugement
Alternativement, à l'issue des recherches, le procureur européen pourrait prendre une décision de renvoi en jugement. Pour ce faire, ayant agi avec impartialité et diligence, il devrait avoir acquis suffisamment de preuves pour soutenir que l'accusé a commis une infraction relevant de sa compétence. Compte tenu des charges recueillies, la condamnation devrait en ce cas être plus probable que l'acquittement.
Quant aux formes du renvoi en jugement, il reviendrait au procureur européen délégué compétent de se soumettre à toutes les exigences de la procédure pénale nationale. Généralement, dans les systèmes pénaux, un acte d'accusation précise l'identité de l'accusé, les faits et les charges retenues contre lui [136]. La forme, le contenu et le contrôle de cet acte par le juge seraient entièrement déterminés par le droit national [137]. Il en irait de même de l'ensemble de la phase de jugement.
[136] Voir par exemple, article 58, paragraphe 3 du statut de la Cour pénale internationale.
[137] Cf. ci-dessous 6.4 (juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement).
Question n° 9 Dans quelles conditions le procureur européen devrait-il pouvoir prendre une décision de classement ou bien renvoyer en jugement *
6.3. Phase de jugement
Aux termes de l'article 280 bis CE proposé par la Commission, le procureur européen serait « chargé [...] d'exercer devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative [aux infractions portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté], dans les conditions fixées» par le législateur communautaire [138].
[138] Cf. annexe n°2, troisième schéma.
6.3.1. Choix de l'État membre de renvoi en jugement
S'agissant d'affaires complexes faisant intervenir plusieurs États membres, le procureur européen devrait déterminer dans lequel ou lesquels de ces États il convient d'exercer le renvoi en jugement.
Même lorsque la convention précitée du 25 juillet 1995 et ses protocoles auront été ratifiés [139], la compétence pour juger d'une même affaire d'infraction aux intérêts financiers communautaires pourra toujours être revendiquée par une pluralité d'États membres. Les critères de compétences juridictionnelles adoptés par les États de l'Union dans le cadre du troisième pilier visent principalement à garantir qu'il existe toujours au moins un État membre compétent pour juger les infractions définies [140]. Ces critères ne déterminent pas pour autant un État membre unique qui serait tout désigné au procureur européen pour le renvoi en jugement.
[139] La proposition de directive du 23.5.2001 précitée ne reprend pas les dispositions de la convention et de ses protocoles qui tombent sous l'exception de l'article 280 CE, paragraphe 4, concernant l'application du droit pénal national et l'administration de la justice dans les États membres. Ces dispositions n'entreront en vigueur qu'après leur ratification par tous les États membres.
[140] Article 4 de la convention du 25.7.1995 et article 6 de son protocole additionnel du 27.9.1996.
Le principe de direction centralisée des poursuites conduit logiquement à ce que ce soit le procureur européen qui choisisse, parmi les États membres compétents en vertu des instruments conventionnels, l'État membre de renvoi en jugement. Serait ainsi évité tout conflit positif de compétences, où plusieurs États membres mènent chacun leur procès. A cet égard, le procureur européen devrait pouvoir concentrer le renvoi en jugement dans un seul État membre. Il devrait également pouvoir disjoindre l'action publique pour renvoyer en jugement des parties distinctes d'une affaire complexe dans autant d'États membres que nécessaire. Ces deux possibilités devraient pouvoir se combiner.
Cependant le choix de l'État membre de renvoi en jugement n'est pas neutre au sein d'un espace judiciaire partiellement harmonisé, puisqu'il détermine non seulement le régime linguistique, la praticabilité du procès (auditions des témoins, transports sur les lieux,...), le juge compétent mais encore, au-delà du socle commun, le droit national applicable. C'est pourquoi deux questions sont essentielles, celle des critères et celle du contrôle du choix de l'État membre de renvoi.
Ce choix devrait suivre certains critères, tout en laissant une liberté d'appréciation au procureur européen afin de pouvoir tenir compte des besoins de l'affaire. Ces critères, qu'il reviendrait au législateur communautaire d'énoncer, pourraient être notamment le lieu de commission de l'infraction, la nationalité de l'accusé, son lieu de résidence (personne physique) de siège ou d'implantation (personne morale), le lieu où se trouvent les preuves ou encore le lieu de détention de l'accusé. En tout état de cause, le choix d'un juge national des libertés au niveau de la phase préparatoire ne devrait pas prédéterminer l'État membre de renvoi en jugement [141].
[141] Cf. ci-dessous 6.4 (garantie de l'intervention d'un juge).
Ces critères devraient être pondérés, un même critère pouvant désigner plusieurs lieux. Plutôt que hiérarchisés, ils devraient être combinés à la manière d'un faisceau d'indices. Une relation entre l'infraction commise et la juridiction choisie devrait être par principe établie, tout en laissant une flexibilité au procureur européen, qui devrait choisir le forum qui apparaît le plus appropriée à une bonne administration de la justice [142].
[142] La notion de bonne administration de la justice concourt à la mise en oeuvre des principes de délai raisonnable, d'équité et d'efficacité du procès.
S'agissant de la question du contrôle du choix de l'État membre de renvoi, il est possible, selon une première option, de laisser au procureur européen l'entière responsabilité du choix de l'État membre de renvoi. En effet, le principe de la reconnaissance mutuelle est désormais fondé au sein de l'Union européenne sur une confiance à l'égard de tous les systèmes judiciaires nationaux. Ceux-ci sont basés sur un socle solide de principes communs, au rang desquels figurent notamment, outre la règle « non bis in idem » appliquée cette fois à la phase de jugement, les principes de légalité, de non-rétroactivité et de proportionnalité des délits et des peines [143].
[143] Article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Les fondements d'un procès contradictoire sont acceptés par tous les États membres. Les droits à un recours effectif et à l'accès à un tribunal indépendant et impartial, préalablement établi par la loi, sont reconnus [144]. Aux droits fondamentaux rappelés plus haut dans le cadre de la phase préparatoire du procès, s'ajoutent au stade du procès lui-même, notamment, les principes du doute bénéficiant à l'accusé et du degré de certitude - au-delà de tout doute raisonnable - nécessaire pour prononcer une condamnation.
[144] Article 47, alinéas 1 et 2, de la Charte et article 6, paragraphe 1, de la Convention précitées.
Les droits de l'accusé, de la victime et des témoins sont garantis dans tous les systèmes nationaux. Sont en particulier consacrés le droit de se taire afin de ne pas concourir à sa propre accusation [145], ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter [146].
[145] En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que le procureur européen ne recourt à aucun élément de preuve obtenu par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'accusé (C.E.D.H. Aff. Funke c. France, 25.2.1993, 44). Le procureur européen pourrait néanmoins faire usage de données obtenues de l'accusé en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect (C.E.D.H. Aff. Saunders c. Royaume-Uni, 17.12.1996, 69).
[146] Article 47, alinéa 2, de la Charte et article 6, paragraphe 3, de la Convention précitées.
Toutefois, certains arguments peuvent plaider en faveur d'un contrôle du choix de l'État membre de renvoi. Dans la mesure où le droit pénal général ne serait pas harmonisé et où le procureur européen bénéficierait d'une indispensable marge d'appréciation, ce dernier ne devrait pas pour autant se livrer à une sélection abusive du forum, c'est-à-dire éviter systématiquement les renvois en jugement dans les États membres dont le système judiciaire lui semblerait moins praticable. Dès lors, s'il était jugé nécessaire d'exercer un contrôle sur le choix du forum, celui-ci ne pourrait être confié qu'à un juge.
La deuxième option consiste à contrôler le choix fait par le procureur européen de l'Etat membre de renvoi et à attribuer cette fonction à un juge national. Le juge exerçant la fonction de contrôle de l'acte d'accusation exercerait naturellement un contrôle de la légalité, en particulier quant à sa compétence, au regard du droit national. La question se pose de savoir s'il conviendrait d'élargir ce contrôle à l'erreur manifeste du choix de l'État membre de renvoi, au regard du droit communautaire (critères précités). Même sans donner au juge national le pouvoir de censurer le choix en opportunité du procureur européen quant au forum, le contrôle de l'abus ou de l'erreur manifeste fait surgir la possibilité, à la marge, de voir une même affaire refusée, en tout ou partie, par un État membre ou plusieurs. Les critères de compétence juridictionnelle tirés de la convention du 25 juillet 1995 devraient théoriquement rendre une telle situation impossible. Avec cette deuxième option, quelques cas de déclin de compétence, pouvant aller jusqu'à des conflits négatifs de compétence, sont néanmoins à prévoir en pratique. Ils devraient être réglés par une juridiction placée au niveau communautaire, qui ne peut être en l'état que la Cour de justice [147].
[147] Cf. ci-dessous 8 (contrôle juridictionnel).
En effet, une troisième option consistant à créer une juridiction spéciale au niveau communautaire pour contrôler le choix par le procureur européen de l'État membre de renvoi en jugement dépasserait l'ambition de la proposition de la Commission. Son hypothèse est néanmoins discutée plus bas, en liaison avec la question du contrôle de l'acte de renvoi en jugement lui-même, afin d'éclairer pleinement le débat [148].
[148] Cf. ci-dessous 6.4.3 (désignation du juge contrôlant le renvoi en jugement).
Question n° 10 Selon quels critères choisir le ou les État(s) membre(s) de renvoi en jugement * Faut-il contrôler le choix du procureur européen à ce sujet * Dans l'affirmative, à qui ce contrôle devrait-il être confié *
6.3.2. Exercice de l'action publique
Le procureur européen serait chargé d'exercer l'action publique devant les juridictions nationales et selon le droit national.
Pas plus qu'elle n'implique la création d'une juridiction européenne, la proposition de la Commission ne suppose la création d'une action publique proprement européenne. Elle est en outre parfaitement neutre par rapport à l'organisation des juridictions de jugement. Certes la complexité des affaires financières et transfrontalières peut faire douter de la parfaite adaptation de juges non professionnels pour en juger [149]. Cependant la Commission regarde cette question comme relevant du choix de chaque État membre, conformément au principe de subsidiarité.
[149] Voir notamment l'évolution dans la rédaction de l'article 26, paragraphe 1, CJ.
Le procureur européen, c'est à dire en pratique le procureur européen délégué dans l'État membre de renvoi en jugement, exercerait l'action publique conformément à l'organisation de la justice et à la procédure nationales. En effet, bien que les sources du droit de la procédure pénale diffèrent d'un État membre à l'autre, il existe beaucoup moins de différences entre les États membres au stade du procès que lors de la phase préparatoire.
Le besoin de direction centralisée, pour des raisons d'efficacité, ne concerne donc pas la phase de jugement. Le droit national resterait en principe applicable, sous réserve d'amendements limités visant à prévoir l'exercice de l'action publique par le procureur européen dans les affaires où sont concernés les intérêts financiers des Communautés.
6.3.3. Les Communautés européennes, victimes de droit commun
La place de la victime dans le procès pénal varie fortement d'un État membre à l'autre. Certains prévoient son intervention sous la forme de la constitution de partie civile, en vue d'obtenir réparation du dommage causé, cette procédure pouvant aller jusqu'au déclenchement des poursuites à l'initiative de la victime. La constitution de partie civile présente l'avantage de ne pas obliger &agagrave; l'ouverture d'un second procès au plan civil. D'autres États membres permettent à la victime d'apporter son expertise lors du procès, au titre de l'« amicus curiae ».
En l'espèce, si le déclenchement des poursuites n'appartiendrait qu'au procureur européen, les Communautés européennes pourraient néanmoins avoir intérêt à une participation au procès, dans la mesure où le procureur européen agit en toute indépendance. Plusieurs hypothèses présentent un intérêt pour la défense des finances communautaires, telles que la constitution comme partie civile des Communautés représentées par la Commission, ou bien le rôle d'expert ou encore de témoin que peuvent être conduits à jouer des agents de l'OLAF ou d'autres services communautaires.
La Commission ne retient pas l'hypothèse d'une uniformité du rôle des Communautés en tant que victime dans tous les procès où seraient en cause les intérêts financiers communautaires. Elle souhaiterait plus simplement que soient garantis aux Communautés, dans chaque État membre, les mêmes droits que ceux dont bénéficie une victime ordinaire.
6.3.4. Systèmes de preuves
L'absence de reconnaissance automatique des preuves légalement recueillies dans un État membre dans l'ensemble de l'Union fait trop souvent échec à l'efficacité des poursuites dans les affaires transnationales. Cette situation nuit à l'exploitation des investigations lors de la phase pénale des affaires. Son maintien ruinerait les efforts de centralisation de la direction des poursuites consentis avec la création d'un ministère public européen. L'efficacité du procureur européen, qui se mesure à la possibilité d'utiliser lors du procès les éléments de preuve qu'il aura su rassembler, requiert donc de surmonter cette difficulté.
6.3.4.1. Admissibilité des preuves
Le simple renvoi au droit national ne peut pas résoudre, par définition, la question de l'admissibilité des preuves dans le cadre d'un espace européen de recherches et de poursuites. Les preuves recueillies dans un État membre doivent en effet pouvoir être admises par les juridictions de tout autre État de l'Union, afin de permettre la concentration des poursuites dans l'État membre choisi pour le renvoi en jugement. Basées sur un socle de principes communs, les règles de preuve sont trop diverses dans le détail pour fonder le travail du procureur européen.
En outre, le procureur européen serait mis devant l'obligation regrettable de devoir choisir entre sélection abusive du forum (concentration des renvois en jugement dans le ou les États membres les plus souples en matière d'administration de la preuve) ou impunité et iniquité dans les poursuites (inefficacité d'un grand nombre de poursuites, au gré des variations des règles de preuve).
Pour autant, cette impasse ne peut raisonnablement conduire à emprunter la voie d'une unification communautaire des règles de preuve. Cette hypothèse, qui reviendrait à s'engager vers une codification pénale européenne générale, serait dépourvue de proportionnalité avec l'objectif particulier qui se limite à la recherche de l'efficacité dans la poursuite de certaines atteintes à des intérêts fondamentalement communs. Elle recèlerait enfin un risque de forte complexité dès lors que deux systèmes de preuve parallèles devraient coexister, à l'échelon communautaire et au niveau national.
Ni unification sous forme d'un code complet des règles d'admissibilité des preuves, ni simple renvoi au droit national, l'admissibilité mutuelle des preuves paraît la solution la plus réaliste et satisfaisante en la matière. Selon celle-ci, toute juridiction nationale saisie au fond d'une affaire pénale où sont en cause les intérêts financiers communautaires aurait l'obligation d'admettre en l'espèce toute preuve légalement recueillie selon le droit national d'un autre État membre. En vertu de l'idée d'admissibilité mutuelle avancée par le Conseil européen à Tampere, « les éléments de preuve légalement recueillis par les autorités d'un État membre devraient être recevables devant les juridictions des autres États membres, compte tenu des règles qui y sont applicables » [150].
[150] Conclusion n° 36 de la Présidence du Conseil européen de Tampere.
En complément, il est souhaitable d'évaluer s'il est opportun de créer un procès verbal européen d'interrogatoire ou d'audition pouvant servir de modèle au procureur européen, dans les cas où il exécuterait lui-même de telles mesures, sans recourir aux autorités nationales de recherche. Dans le respect des droits de l'accusé, le droit communautaire devrait prévoir alors la possibilité pour le procureur européen de recourir à des modalités spécialement adaptées aux recherches transfrontalières : procès-verbal européen d'audition établi sur la base d'un témoignage et procès-verbal européen d'interrogatoire établi sur la base des déclarations de l'accusé, y compris dans les deux cas par vidéoconférence [151].
[151] Voir notamment article 32 CJ.
6.3.4.2. Exclusion des preuves illégalement recueillies
La condition préalable à toute admissibilité mutuelle des preuves demeure que ces dernières soient légalement recueillies dans l'État membre où elles se trouvent. La question de l'exclusion des preuves obtenues en violation des règles de droit mérite donc d'être posée.
Le droit à respecter sous peine d'exclusion des preuves serait principalement le droit national du lieu où se situent les preuves, lequel intègre dans tous les États membres les principes de l'article 6 TUE, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il inclurait certaines règles communautaires, telles que celles encadrant le mandat d'arrêt ou le procès-verbal européen en tant que ceux-ci participent à l'administration de la preuve.
La décision d'exclusion échoirait, selon les préférences de la Commission susmentionnées, au juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement (juge ad hoc de la mise en état ou juge du fond selon les États membres) [152]. Les règles d'exclusion seraient celles de l'État membre dans lequel les preuves ont été prélevées. Ceci a pour conséquence que toute juridiction nationale compétente pour les affaires dans le domaine de la protection pénale des intérêts financiers communautaires aurait à connaître des règles de preuve des autres États membres concernés. Cette situation est bien connue en matière de droit international privé. Les difficultés pratiques sur ce point devraient être aplanies grâce aux progrès accomplis pour faciliter la mise en réseau des systèmes judiciaires des États membres (magistrats de liaison, réseau judiciaire européen).
[152] Cf. ci-dessous 6.4.3 (désignation du juge contrôlant le renvoi en jugement).
De la même façon, l'utilisation dans le procès pénal des preuves obtenues lors d'une procédure administrative communautaire doit être conditionnée au respect - dès la phase administrative, dès lors qu'existe des éléments permettant de faire le lien avec une infraction pénale - des exigences de la procédure pénale (droits de la défense). Ainsi les preuves recueillies dans le cadre d'une enquête administrative interne aux institutions communautaires pourraient être rendues obligatoirement recevables devant les juridictions nationales dès lors qu'elles ont été collectées sans aucune atteinte aux droits fondamentaux [153].
[153] Par exemple, l'obligation imposée aux agents communautaires de coopérer avec l'OLAF dans le cadre des enquêtes administratives internes, doit s'entendre comme ne faisant pas obstacle au droit fondamental, déjà mentionné, de ne pas participer à sa propre inculpation (C.E.D.H. Aff. Saunders précitée).
Quant à la valeur probante des preuves, c'est à dire leur capacité à convaincre le juge, il va sans dire qu'elle appartient à la libre appréciation des juridictions dans le cadre du droit national applicable.
Question n° 11 Le principe selon lequel les preuves légalement recueillies dans un État membre devraient être admissibles devant les juridictions de tout autre État membre vous paraît-il de nature, en ce qui concerne le procureur européen, à surmonter l'obstacle que constitue la diversité des règles d'admissibilité des preuves *
6.3.5. Causes d'extinction de l'action publique
Sous réserve du classement par le procureur européen [154], les poursuites engagées trouveraient logiquement leur terme dans le cas où la juridiction rendrait sa décision qu'il s'agisse d'une condamnation ou d'un acquittement.
[154] Cf. ci-dessus 6.2.4.1. (classement des poursuites).
Cependant, dans l'intervalle de la phase de jugement, l'action publique peut toujours s'éteindre pour les motifs déjà évoqués au sujet de la phase préparatoire du procès. Pour mémoire, le délai de prescription de l'action peut s'avérer échu [155]. L'accusé peut décéder, dans le cas d'une personne physique, ou disparaître, dans le cas d'une personne morale. Une mesure nationale générale peut venir s'opposer à toute poursuite, telle une amnistie ou un acte de grâce. De manière générale, les causes d'extinction de l'action publique dans la phase de jugement seraient déterminées par le droit national applicable au procès.
[155] Cf. ci-dessus 5.5 (délai de prescription).
6.3.6. Exécution du jugement
La Commission n'envisage pas de conférer au procureur européen un rôle au stade de l'exécution du jugement du fond, à la différence de la fonction confiée généralement aux parquets nationaux en ce domaine [156]. Le renvoi au droit national sur ce point devrait être facilité par les avancées découlant du Conseil européen de Tampere.
[156] Pour une option inverse, voir notamment article 23 CJ.
6.4. Garantie de l'intervention d'un juge
Les actes mis en oeuvre par le procureur européen ayant une incidence sur les droits fondamentaux des personnes devraient être soumis à l'appréciation préalable d'un juge, dont il convient de préciser le rôle. A cet égard, la Commission a proposé d'inscrire dans le Traité CE que le législateur communautaire puisse fixer « les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen en arrêtant, notamment [...] c) des règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure pris par le procureur européen dans l'exercice de ses fonctions. »
6.4.1. Fonctions du juge
De manière générale, tout juge chargé de contrôler les actes du procureur européen devrait présenter toutes les garanties d'un organe juridictionnel. Il devrait s'agir d'un juge compétent, indépendant et impartial conformément aux principes généraux reconnus par tous les États membres [157].
[157] Article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; article 6- 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le rôle du juge chargé de contrôler les actes du procureur européen consiste à exercer la garantie judiciaire. A ce titre, deux fonctions sont à distinguer.
- Pendant la phase préparatoire, le juge exerçant la fonction de contrôle des actes coercitifs, dit juge des libertés, délivre ou autorise, sur la base d'un contrôle de la légalité et de la proportionnalité, les actes respectivement demandés ou pris par le procureur européen qui comportent une restriction des droits fondamentaux (voir 6.4.2.).
- A l'issue de la phase préparatoire, sur la base de la décision du procureur européen, le juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement confirme les charges sur la base desquelles le procureur européen entend requérir et la validité de la saisine de la juridiction de renvoi. Il s'agit d'examiner, si les preuves sont suffisantes, admissibles et si la procédure suivie est régulière, afin d'éviter un procès illégitime et la stigmatisation qui s'en suit pour l'accusé (voir 6.4.3.).
6.4.2. Désignation du juge des libertés
D'un point de vue organique, il est théoriquement concevable d'accompagner la création du procureur européen de l'institution d'une juridiction communautaire chargée d'exercer la fonction de juge des libertés. Mais au regard de quel droit, sinon d'un droit européen * Cette solution aurait en effet pour conséquence d'obliger à créer une législation commune en matière de mesures de recherche, c'est à dire à prévoir un droit européen complet de la perquisition, de la saisie, des interceptions de communication, de la comparution forcée, de l'arrestation, du contrôle judiciaire, de la détention provisoire, etc. Tel n'est pas le choix de la Commission.
Au demeurant, le juge des libertés pourrait être situé au niveau national [158]. Il n'est pas nécessaire de créer à cette fin une chambre préliminaire européenne. Les États membres demeureraient libres quant au nombre et à l'organisation des juges des libertés. Ces derniers pourraient être désignés par chaque État membre, par exemple au sein des juridictions siégeant aux lieux où sont établis les procureurs européens délégués correspondants. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ses fonctions devraient être rendues incompatibles avec celles de la juridiction de jugement [159].
[158] Sous réserve du respect des dispositions de l'article 234 CE et de la jurisprudence de la CJCE « Foto-Frost » (Aff. C-314/85, Rec. 1987, p. 4199.
[159] Voir notamment arrêt CEDH du 24.5.1989, Affaire Hauschildt c/ Danemark, série A n°54 et arrêt CEDH du 24.8.1993, affaire Nortier c/ Pays-Bas, série A n°267.
D'un point de vue fonctionnel, le juge national des libertés saisi serait celui de l'État membre auquel appartient le procureur européen délégué compétent. Plusieurs juges des libertés nationaux pourraient donc intervenir dans une même affaire dès lors qu'elle implique l'action du procureur européen dans plusieurs États membres.
A cet égard trois options sont possibles. Selon la première option, le procureur européen devrait s'adresser au juge des libertés de chaque État membre au sein duquel il souhaite exécuter un acte de recherche.
Selon la seconde option, le procureur européen pourrait s'adresser à un seul juge national des libertés, qui délivrerait ou autoriserait tous les actes nécessaires aux recherches, exécutables sur l'ensemble du territoire des Communautés en vertu du principe de reconnaissance mutuelle.
Enfin la troisième option consisterait à laisser le procureur européen libre, dans la mesure prévue par le droit dérivé, de combiner les deux possibilités précédentes. S'agissant de demander au juge des libertés la délivrance ou l'autorisation d'actes dont le lieu d'exécution est par avance connu, le procureur européen devrait s'adresser au juge national des libertés situé dans l'État membre du lieu d'exécution. Concernant, à l'inverse, des actes dont le lieu d'exécution n'est pas déterminé à l'avance, le procureur européen pourrait choisir de concentrer ses demandes devant un seul juge national des libertés, lequel prendrait une décision reconnue à travers tout le territoire des Communautés.
Soit par exemple, la nécessité pour le procureur européen de procéder à l'égard de l'accusé, d'une part, à la perquisition de son véhicule et de son domicile situé dans un État membre A, d'autre part à l'interception de certains de ses appels depuis un téléphone portable. A cette fin, le procureur pourrait demander au juge des libertés de l'État membre A l'autorisation de l'ensemble des mesures mentionnées et perquisitionner l'immeuble sis sur le territoire de A. Il pourrait en outre se fonder sur la même autorisation, mutuellement reconnue, pour perquisitionner le véhicule et intercepter les communications téléphoniques de l'accusé, alors même que celui-ci s'est entre temps déplacé vers un autre État membre B.
La Commission exprime sa préférence pour l'une ou l'autre des deux dernières options. Elles seules correspondent au principe de la création d'un espace commun de recherches et de poursuite. Aux fins de l'efficacité des recherches, les décisions du juge des libertés de tout État membre devraient être reconnues partout au sein de cet espace. Le fonctionnement du juge national des libertés participe en effet du principe de reconnaissance mutuelle. Pour donner effet de territorialité européenne aux mesures de recherche du procureur, les actes délivrés ou autorisés par les juges nationaux des libertés devraient être exécutoires dans tout l'espace européen.
Une fois encore, la reconnaissance mutuelle est rendue possible par le socle juridique qu'ont en commun les États membres. Les mesures de recherche envisagées ici existent dans les procédures pénales de tous les États membres. Elles y sont partout soumises au respect des principes reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'Homme. La juxtaposition des droits nationaux n'est donc pas un obstacle à la reconnaissance mutuelle des décisions des juges nationaux des libertés.
La commission rogatoire internationale n'aurait plus d'objet s'agissant de la protection des intérêts financiers communautaires. Le droit européen se limiterait à étendre la validité des actes du juge national des libertés au territoire de l'Union. Pour le reste, le droit interne régirait toute la procédure d'octroi et de contrôle des actes.
A titre d'exemple, si une perquisition devait être effectuée dans un État membre A en vertu du mandat donné par un juge national des libertés d'un autre État membre B, elle ne pourrait pas être refusée mais devrait obligatoirement être exécutée selon le droit de A.
Question n° 12 A qui confier la fonction de contrôle des actes de recherche exécutés sous l'autorité du procureur européen *
6.4.3. Désignation du juge contrôlant l'acte de renvoi en jugement
D'un point de vue organique, plusieurs options sont concevables s'agissant du juge contrôlant l'acte de renvoi en jugement. Il peut en effet être envisagé deux possibilités selon que le juge est situé à l'échelon européen ou bien au niveau national.
La première possibilité pour organiser la fonction de contrôle du renvoi en jugement consiste à instituer une chambre préliminaire européenne. Cette voie a déjà été évoquée plus haut en ce qui concerne le contrôle du choix de l'État membre [160]. Elle pourrait faire écho aux dispositifs retenus auprès de certaines juridictions pénales internationales (« juge de la mise en état » du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie [161] et plus encore, « chambre préliminaire » de la future Cour internationale pénale [162]).
[160] Cf. ci-dessus 6.3.1 (choix de l'État membre de renvoi en jugement).
[161] Article 65 ter du règlement de procédure et de preuve du T.P.I.Y. du 11.2.1194, amendé le 10.7.1998.
[162] Article 56 et s. du statut de la Cour pénale internationale précité.
Une telle chambre serait compétente pour examiner la décision du procureur européen de renvoyer en jugement. Le contrôle de la chambre préliminaire européenne pourrait porter non seulement sur le choix du forum, mais encore sur le caractère suffisant des preuves. Elle pourrait être saisie d'office ou bien seulement sur recours de l'accusé.
La création d'une juridiction communautaire chargée de la mise en état, éventuellement sous forme d'une chambre spécialisée de la Cour de justice, aurait pour avantage de confier le contrôle du renvoi en jugement à une juridiction unique et spécialisée et d'assurer directement l'unité dans l'application du droit. La nécessité de réviser le traité pour instituer une telle chambre va cependant au-delà de la contribution de la Commission à la Conférence intergouvernementale. Elle conduit à envisager une autre solution.
Selon la seconde possibilité, le juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement serait un juge national, désigné par chaque État membre comme étant doté de cette compétence. Cette solution n'oblige donc pas à créer une nouvelle juridiction. D'un État membre à l'autre, le type de juridiction désignée pourrait être très différent. En effet, selon les États membres, le juge qui contrôle de manière générale l'acte d'accusation et qui purge la procédure des causes de nullité, peut être un juge ad hoc ou le juge du fond. Cette solution, respectueuse de la variété des systèmes judiciaires, autorise la désignation, comme juge contrôlant le renvoi en jugement, des juridictions les plus diverses d'un État membre à l'autre.
La préférence de la Commission va à la seconde possibilité évoquée. La création d'une instance juridictionnelle communautaire nouvelle lui semble pouvoir être évitée, sous réserve comme vu plus haut d'un règlement par la Cour de justice des conflits de compétence, destinés à rester rares en pratique. Dans tous les cas, il convient de prévoir une flexibilité dans le choix du juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement qui doit pouvoir appartenir à un État membre autre que celui où se situe le juge des libertés.
D'un point de vue fonctionnel, le procureur européen saisirait le juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement de l'État membre qu'il pressent pour le jugement. Son choix doit correspondre aux critères communautaires, discutés plus haut, établis pour le choix de l'État membre où se tient le procès, complétés le cas échéant par le droit national applicable, sous le contrôle a posteriori de la Cour de justice [163].
[163] Cf. ci-dessous 8 (contrôle juridictionnel).
Question n° 13 A qui confier la fonction de contrôle de l'acte de renvoi en jugement *
***
Question n° 14 Les droits fondamentaux de la personne vous paraissent-ils suffisamment protégés, tout au long de la procédure proposée pour le procureur européen * En particulier, le droit à ne pas être poursuivi pénalement deux fois pour la même infraction est-il bien garanti (voir 6.2.1.) *
7. Relations avec les autres acteurs
L'insertion du procureur européen dans le contexte institutionnel actuel mérite une grande attention, au regard notamment des évolutions en cours au sein de l'Union européenne.
7.1. Coopération avec les autorités des États membres
La création du procureur européen ne bouleverserait en rien les systèmes de recherches et de poursuites nationaux. Il convient de rappeler, à titre de synthèse, que resteraient au niveau national :
- les forces de police judiciaire,
- le contrôle judiciaire (juge des libertés et, le cas échéant, juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement),
- la fonction de jugement,
- la fonction d'exécution du jugement.
C'est pourquoi, au-delà du partage des compétences explicité jusqu'ici, une coopération permanente entre le procureur européen et les autorités des États membres serait nécessaire. Le droit communautaire dérivé devrait prévoir la nature de la relation liant le procureur européen aux autorités nationales, policières et judiciaires.
D'une part, le dialogue déjà mentionné entre procureur européen et autorités de poursuite nationales devrait être organisé et nourri en pratique, notamment dans le traitement des affaires mixtes, pour faciliter les consultations réciproques, l'échange d'information et l'assistance [164].
[164] Cf. ci-dessus 6.2.2.2 (répartition des affaires)
D'autre part, s'agissant de l'exécution des actes de recherche délivrés ou autorisés par le juge des libertés, plusieurs options ont été présentées plus haut [165], l'objectif demeurant que le procureur européen puisse obtenir le concours des autorités nationales de recherche.
[165] Cf. ci-dessus 6.2.3.2 (travail avec les services de recherche nationaux).
7.2. Relations avec les acteurs de la coopération pénale institués dans le cadre de l'Union européenne
Les compétences du procureur européen se limitant au domaine de la protection des intérêts financiers communautaires, il ne devrait pas exister de difficultés pour assurer la complémentarité de ses fonctions, à la fois plus intégrées et plus spécialisées, avec celles des instances de coopération en matière pénale. A ce stade, compte tenu des évolutions en cours au sein de l'Union européenne (troisième pilier), il n'est possible de tracer que de simples pistes de réflexion. Il convient en particulier de réfléchir à un système équilibré et cohérent avec les partenaires suivants.
7.2.1. Eurojust
Une Unité européenne de coopération judiciaire (Eurojust) devrait être très prochainement créée dans le cadre du troisième pilier, afin notamment de faciliter la coopération entre les autorités judiciaires des États membres et de contribuer à une bonne coordination des poursuites dans le domaine de la criminalité grave, notamment lorsqu'elle est organisée. La création d'Eurojust est prévue par les conclusions du Conseil européen de Tampere [166] et le traité de Nice [167]. Par décision du Conseil du 14 décembre 2000, une unité provisoire (« Pro-Eurojust ») a d'ores et déjà été établie et est entrée en fonction le 1er mars 2001 [168]. Le présent Livre vert ne saurait préjuger du rôle exact qui incombera à Eurojust, tout au plus peut-il avancer les éléments de réflexion suivants.
[166] Conclusions de la Présidence n°46.
[167] Articles 29 et 31 TUE modifiés (JO C 80 du 10.3.2001).
[168] JO L 324 du 21.12.2000, p. 2.
Alors que le procureur européen devrait être une instance communautaire dotée de pouvoirs propres de poursuite dans le domaine spécifique de la protection des intérêts financiers communautaires, Eurojust est destiné à recevoir des attributions relevant de la coopération judiciaire dans un champ de compétence très large [169]. En toute logique, la création du procureur européen permettrait d'envisager, le cas échéant, de conserver la compétence d'Eurojust en matière de criminalité financière, à condition que soit prévue la compétence prioritaire du procureur européen en matière de protection des intérêts financiers communautaires. Ce partage clair de compétences devrait s'accompagner d'une coopération active dans les cas d'affaires trans-piliers [170]. Leurs fonctions seraient par conséquent complémentaires, le procureur européen et Eurojust procédant, selon la méthode respectivement du premier et du troisième pilier, à la réalisation, chacun en ce qui le concerne, de l'objectif gén&eaceacute;ral d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.
[169] Communication de la Commission concernant la création d'Eurojust, 22.11.2000 (COM(2000)746) ; Projet de décision du Conseil instituant Eurojust du 19.10.2001 (Document EUROJUST 12 n°12727).
[170] Au sens du présent Livre vert, la distinction est faite entre, d'une part, les affaires mixtes - qui concernent les infractions définies pour la protection des intérêts financiers communautaires mais aussi les infractions nationales - et les affaires trans-piliers - qui concernent les intérêts financiers communautaires mais aussi des incriminations relevant du domaine du troisième pilier et pour lesquelles Eurojust serait compétent. Les affaires trans-piliers sont ainsi une catégorie particulière d'affaires mixtes : toutes appellent une coopération avec les autorités nationales de poursuite, mais les affaires trans-piliers font de surcroît appel à la coopération dans le cadre d'Eurojust.
Cette complémentarité implique concrètement que le procureur européen et Eurojust coopèrent de manière étroite et régulière dans le cadre de leurs compétences respectives, notamment pour échanger toute information utile. Cet échange devrait être mis en oeuvre dans le respect des principes relatifs à la protection des données.
A n'en pas douter, des affaires trans-piliers pourront survenir, tel par exemple un trafic combiné de drogue (troisième pilier) et de contrebande de cigarettes portant atteinte aux ressources propres des Communautés (premier pilier).
En présence d'affaires trans-piliers dépassant le champ de la protection des intérêts financiers communautaires, chacun devrait ainsi apporter sa valeur ajoutée sur la base d'un échange d'informations, le dialogue entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite s'élargissant alors à l'Unité Eurojust [171].
[171] Cf. ci-dessus 6.2.2.2. c) (dialogue entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite).
7.2.2. Europol
L'Office européen de police (Europol), créé dans le cadre du troisième pilier par la convention Europol du 26 juillet 1995 [172] et entré en fonction le 1er juillet 1999, est chargé de renforcer la prévention et la lutte contre la criminalité organisée, notamment par l'échange et l'analyse d'informations provenant des autorités policières des États membres. Des discussions sont en cours, lesquelles visent à élargir le champ de compétence d'Europol et à lui donner des pouvoirs à caractère plus opérationnel. Il ne peut donc pas être préjugé non plus, aujourd'hui, du rôle exact qui sera celui d'Europol.
[172] JO C 316 du 27.11.1995, p. 1.
Au stade actuel est prévue une coopération entre Europol et la Commission y compris l'OLAF pour assurer l'échange d'informations et la complémentarité de leurs fonctions respectives. La complémentarité entre le procureur européen et Europol devrait être envisagée également.
Un échange réciproque d'information devrait être conçu de façon adéquate, dans le respect des principes relatifs à la protection des données. Une bonne coopération devrait permettre au procureur européen d'avoir accès à toutes les données pertinentes en matière de protection des intérêts financiers communautaires.
Pour l'illustrer, il est possible d'imaginer le cas d'une organisation criminelle identifiée par Europol, laquelle se livrerait à des activités illégales, telles le trafic d'êtres humains mais également la contrebande d'alcool ; l'information du procureur européen sur les aspects de l'affaire préjudiciables aux ressources propres communautaires s'avérerait nécessaire.
Réciproquement, elle devrait conduire le procureur européen à transmettre à Europol toute information ressortant de la compétence de celui-ci.
Par exemple, à l'occasion d'une affaire de contrebande de produits agricoles doublée d'un système de collecte et de blanchiment des profits illicites, le procureur européen devrait informer l'Office européen de police de l'existence d'un tel système si ce dernier était soupçonné d'être utilisé à d'autres fins illégales, comme celle d'un trafic européen de véhicules volés.
7.2.3. Réseau judiciaire européen
Le procureur européen devrait constituer par le truchement des procureurs européens délégués un réseau judiciaire spécialisé, lui permettant de répondre à ses propres besoins. Néanmoins, toute synergie utile devrait être recherchée avec les dispositifs généraux existants. Le procureur européen pourrait, au cas par cas, coopérer avec les magistrats de liaison, encadrés par l'action commune du 22 avril 1996 [173].
[173] Action commune du Conseil du 22 avril 1996 venue encadrer la pratique de l'échange entre États membres de magistrats ou fonctionnaires, experts en matière de procédures de coopération judiciaire, sur la base d'arrangements bilatéraux ou multilatéraux (JO L 105 du 27.4.1996, p. 1.).
Un rapprochement, en tant que de besoin, avec le Réseau judiciaire européen pourrait être plus utile encore. Ce réseau a essentiellement pour mission de faciliter les contacts et la coopération entre les autorités directement et localement compétentes, en participant à la circulation de l'information générale sur le droit et les procédures applicables dans le cadre d'enquêtes transnationales. Créé dans le cadre du troisième pilier par une action commune du Conseil du 29 juin 1998 [174], il est composé de points de contact. Ces derniers sont des personnes relevant des autorités compétentes au sein des États membres, dont ils couvrent tout ou partie du territoire.
[174] JO L 191 du 7.7.1998, p. 4.
Le Réseau judiciaire européen visant principalement les relations directes bilatérales entre les autorités compétentes, ses fonctions sont différentes et complémentaires de celles du procureur européen. Les points de contact du Réseau judiciaire européen pourraient être des interlocuteurs utiles du procureur européen et notamment des procureurs européens délégués, particulièrement en ce qui concerne les affaires mixtes mêlant intérêts communautaires et intérêts nationaux [175]. En pratique, il est possible d'envisager que les procureurs européens délégués participent à certaines réunions du Réseau, à l'invitation de ce dernier.
[175] Cf. ci-dessus 6.2.2.2. (répartition des affaires).
Question n° 15 Quelles devraient être les modalités d'une bonne articulation des relations entre le procureur européen et les acteurs de la coopération pénale institués dans le cadre de l'Union européenne *
7.3. Relations avec les institutions, organes et organismes communautaires
7.3.1. Cas général
Les institutions, organes et organismes institués dans le cadre des traités CE et Euratom, ainsi que leurs agents, devraient avoir obligation respectivement de saisir ou informer le procureur européen de tout fait susceptible de constituer une infraction relevant de la compétence de ce dernier, dont ils auraient connaissance [176].
[176] Les institutions, au sens de l'article 7 TCE, sont le Parlement européen, le Conseil, la Commission, la Cour de justice et la Cour des comptes. Les organes et organismes sont toutes les autres instances communautaires.
La question se pose de savoir dans quelle mesure l'OLAF devrait continuer d'être rendu destinataire de cette information, comme le prévoit actuellement la législation [177].
[177] Article 7 des règlements n° 1073/99 et 1074/99 précités ; article 2 de la décision modèle annexée à l'accord interinstitutionnel du 25.5.1999 précité.
7.3.2. Rôle futur de l'OLAF
La responsabilité de l'Office européen de lutte antifraude, telle qu'établie par le législateur, concerne la sauvegarde d'intérêts communautaires contre des comportements irréguliers susceptibles de relever de poursuites administratives ou pénales. L'OLAF a été doté lors de sa création de pouvoirs d'enquête de nature administrative, tout en ayant vocation à transmettre une partie des résultats de son travail opérationnel aux autorités judiciaires nationales. Aux termes de la décision portant création de l'OLAF : «L'Office est l'interlocuteur direct des autorités policières et judiciaires. » [178].
[178] Article 2, paragraphe 6, de la décision de la Commission du 28.4.1999 précitée.
La création d'un procureur européen compétent pour la protection des intérêts financiers communautaires aurait donc une incidence certaine sur le rôle actuel de l'OLAF, dans la mesure où les recherches et les poursuites judiciaires dans ce domaine seraient alors diligentées par le niveau communautaire. Les champs de compétence matérielle (« rassemblement des éléments de faits ») de l'Office et du procureur européen se recoupant en partie, il conviendrait de bien les articuler [179].
[179] Cf. ci-dessus 6.1 (information et saisine).
Les obligations actuelles d'informer l'OLAF devraient être adaptées eu égard à la saisine obligatoire du procureur européen. Par ailleurs, afin d'éviter toute déperdition d'effort dans les recherches, le procureur européen devrait pouvoir utiliser pour ses propres fins les résultats du travail d'enquête de l'OLAF [180]. Ceci implique que soit prévue une obligation pour l'Office de transmettre des informations au procureur européen.
[180] Cf. ci-dessus 6.3.4 (système de preuves).
Tout en préservant l'acquis communautaire en matière de contrôles administratifs, le statut et les fonctions de l'OLAF devraient donc être reconsidérés à la lumière des pouvoirs conférés au procureur européen. Plusieurs options sont envisageables, dont la présentation détaillée ne saurait faire l'objet du présent Livre vert. La Commission souhaite en effet procéder préalablement à l'évaluation du dispositif actuel, comme le prévoit la législation [181]. Sont donc simplement indiqués ici certains choix fondamentaux qui devraient être effectués.
[181] Le présent Livre vert est sans préjudice du rapport d'évaluation de l'application des règlements n° 1073/99 et 1074/99 précités, prévu par l'article 15 desdits règlements, que la Commission établira en prenant en compte la perspective de création du procureur européen.
En premier lieu, il conviendrait de s'interroger sur l'éventualité d'attribuer à l'OLAF des pouvoirs de recherche judiciaire à l'intérieur des institutions, organes et organismes européens, car la création d'un procureur européen sous la garantie d'un juge national des libertés ou d'une chambre spéciale de la Cour de justice ouvrirait la voie à l'exercice d'un contrôle judiciaire sur l'Office.
Dans ce contexte, on pourrait examiner si la dualité fonctionnelle de l'OLAF - actuellement service de la Commission bénéficiant cependant d'une indépendance quant à la fonction d'enquête - devrait être maintenue ou si, en revanche, il ne conviendrait pas de détacher entièrement de la Commission une partie de l'Office. En tout état de cause, ces questions ne pourront trouver de réponse avant l'évaluation du dispositif actuel de l'OLAF que la Commission établira conformément à la législation en vigueur.
Question n° 16 Dans la perspective de l'évaluation du statut de l'OLAF que la Commission devra mener, quels éléments relatifs à l'articulation entre l'Office et le procureur européen vous paraissent-ils pertinents*
7.4. Relations avec les pays tiers
Dans la limite de son domaine de compétence, le procureur européen devrait être l'interlocuteur direct des autorités compétentes des pays tiers, en matière d'entraide judiciaire.
Toutefois, l'entraide judiciaire avec les pays tiers est régie par des conventions liant les États membres, non les Communautés. L'hypothèse de conventions liant directement les Communautés et ces pays ne peut être écartée. De tels accords pourraient utilement permettre au procureur européen d'adresser des commissions rogatoires internationales aux autorités judiciaires des pays signataires.
En l'état actuel, cependant, la solution la plus simple pourrait consister à prévoir le droit pour le procureur européen de demander aux autorités de poursuite compétentes des États membres d'adresser directement une demande d'entraide judiciaire au pays tiers concerné, selon les règles du droit international applicable. Ces mêmes autorités pourraient être tenues à une obligation de diligence afin d'y répondre.
En outre, lorsque la coopération avec certains pays tiers revêt un caractère régulier, le procureur européen gagnerait à disposer au sein de ces pays d'un point de contact central pour toutes les affaires liées à la protection des intérêts financiers communautaires.
Parmi les pays tiers, les relations avec tout pays candidat à l'adhésion revêtent une importance particulière. Ces derniers bénéficient et bénéficieront d'aides importantes de la part du budget communautaire. Aussi les experts des pays candidats actuels ont-ils été associés au travail préparatoire dit du Corpus Juris. [182].
[182] Étude sur les sanctions pénales et administratives, le recouvrement, la dénonciation et le Corpus juris dans les pays candidats, rapport général, Ch. Van den Wingaert, 19.9.2001, (à paraître).
Question n° 17 Quelles devraient être les relations du procureur européen avec les pays tiers, notamment les pays candidats, pour améliorer la lutte contre les activités portant atteinte aux intérêts financiers communautaires *
8. Contrôle juridictionnel des actes du procureur européen
La Commission a proposé d'inscrire dans le Traité CE que le législateur communautaire puisse fixer « les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen en arrêtant, notamment [...] c) des règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure pris par le procureur européen dans l'exercice de ses fonctions. »
Comme discuté plus haut, le procureur européen serait soumis à plusieurs types de contrôles distincts. D'une part, la garantie judiciaire serait assurée par le contrôle a priori du juge national des libertés et du juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement [183]. D'autre part, la responsabilité du procureur européen pourrait être engagée sur le plan disciplinaire [184]. Restent à envisager ici les voies de recours juridictionnelles.
[183] Cf. ci-dessus 6.4.2 (juge des libertés).
[184] Cf. ci-dessus 4.1.2.2 et 4.2.1.1 (régimes disciplinaires, respectivement du procureur européen et des procureurs européens délégués).
Une voie de recours juridictionnelle devrait être ouverte contre toute mesure du procureur européen constituant une restriction des droits fondamentaux de la personne.
8.1. Actes du procureur européen susceptibles de recours
8.1.1. Actes de recherche comportant une restriction ou une privation de la liberté des personnes
Parmi l'ensemble des actes de recherche mis en oeuvre par le procureur européen, devraient pouvoir faire l'objet d'un recours juridictionnel, ceux qui impliquent une restriction ou une privation de la liberté des personnes. Ces actes sont précisément ceux que délivrerait le juge des libertés à la demande du procureur européen : mandat d'arrêt, mise en détention provisoire, placement sous contrôle judiciaire.
Dans tous les États membres, tout accusé a d'ores et déjà le droit d'introduire un recours contre de tels actes, selon des voies que prévoit le droit interne, conformément aux exigences de l'article 5, paragraphe 4, de la Convention européenne des droits de l'homme. La création du procureur européen ne conduirait donc à aucune adjonction sur ce point, le renvoi au droit national devant y suffire.
8.1.2. Autres actes de recherche
S'agissant des actes de recherche effectués par le procureur européen sur autorisation du juge des libertés (saisie, gel des avoirs, interception des communications, enquête discrète, livraison contrôlée...), la Commission est d'avis que la création du procureur européen ne devrait être l'occasion ni d'une augmentation des opportunités de manoeuvres dilatoires du fait de l'ouverture de nouvelles voies de recours, ni d'une suppression de certaines voies de recours nationales existantes.
Les voies de recours nationales prévues contre les mesures concernées ici sont variables d'un Etat membre à l'autre. Quand elles existent, elles continueraient d'être ouvertes s'agissant du procureur européen.
A titre d'exemple, si une perquisition devait être effectuée dans un État membre A en vertu de l'autorisation donnée au procureur européen par un juge national des libertés d'un autre État membre B, les voies de recours de B et de A, si elles existent, seraient respectivement ouvertes contre l'autorisation elle-même (contestation du droit de perquisitionner) et contre les actes pris pour son exécution (heure et modalités de la perquisition).
Néanmoins, pour l'efficacité d'action du procureur européen, il serait sans doute souhaitable de prévoir, au titre de l'harmonisation minimale des voies de recours internes, le principe du caractère non suspensif de tels recours.
Quant aux actes de recherche autonomes du procureur européen (documentation, audition, interrogatoire,...), ils ne seraient pas, en principe, attaquables en tant que tels.
8.1.3. Décision de classement ou de non-lieu
Dans le cadre légal, la décision de classer une affaire relèverait de l'appréciation du procureur européen. Il s'agit toutefois de savoir si les Communautés, en leur qualité de victime, ne devraient pas se voir reconnaître un intérêt pour agir contre une décision de classement comportant une appréciation discrétionnaire du procureur européen, à tout le moins dans certains cas.
En effet, le procureur européen agissant en toute indépendance, les Communautés pourraient être d'avis qu'il importe de poursuivre dans une affaire où le procureur européen a au contraire estimé qu'il pouvait classer.
Cette divergence d'appréciation pourrait, par exemple, porter sur le caractère suffisant des preuves recueillies. Tel pourrait être également le cas, dans l'hypothèse où la transaction est rendue possible [185], si le procureur européen transige d'une façon que les Communautés regardent comme abusive.
[185] Cf. ci-dessus 6.2.2.1 (transaction).
Or les droits des Communautés en tant que victime étant toujours, par hypothèse [186], déterminés par le système pénal national de l'État membre de renvoi en jugement, la question se pose de leur contenu en l'absence de toutes poursuites dans quelque État membre que ce soit. Néanmoins, si un intérêt pour agir contre une décision de classement du procureur européen devait être reconnu aux Communautés, il conviendrait de réfléchir à ce que devraient être ses modalités : recours administratif gracieux * recours juridictionnel * et dans ce dernier cas, devant quelle juridiction *
[186] Cf. ci-dessus 6.3.3 (les Communautés, victimes de droit commun).
8.1.4. Renvoi en jugement
L'acte de renvoi en jugement serait soumis aux mêmes possibilités de recours, devant les juridictions nationales, que celles que prévoit le droit national s'agissant d'un acte de renvoi en jugement pris par une autorité nationale de poursuite. A cet égard tout juge de fond saisi vérifie en principe qu'il est bien compétent au regard des règles de compétence internationales.
La seule question spécifique qui se pose s'agissant d'un renvoi en jugement par le procureur européen est celle de savoir si le choix en opportunité d'un État membre parmi plusieurs susceptibles d'être compétents pour le renvoi, doit être ou non soumis à un recours juridictionnel ouvert à l'accusé. En effet, l'accusé pourrait exciper d'un intérêt pour agir, dans la mesure où le choix de l'État membre détermine le lieu, le droit et la langue du procès [187].
[187] En ce sens, voir article 28, paragraphe 1, d), CJ.
Aucun de ces arguments ne reste cependant sans réponse. S'agissant de l'éloignement géographique, il est loisible d'en relativiser la portée, si l'on veut bien considérer que l'accusé s'y est de lui-même exposé en agissant dans plusieurs États membres. Pour le droit applicable, le principe de reconnaissance mutuelle et le socle commun des droits fondamentaux que partagent les procédures pénales des États membres ne rend pas l'objection insurmontable. Enfin, en ce qui concerne la langue, le droit à un interprète reconnu à l'accusé en vertu de l'article 6, paragraphe 3, lettre e) de la Convention européenne des droits de l'Homme apporte précisément une réponse sur ce point.
A l'inverse, ouvrir une voie de recours à l'accusé contre le choix en opportunité de l'État membre de jugement présente plusieurs inconvénients. Il faudrait déterminer à cette fin le juge compétent, ce qui conduit de nouveau à la question de la création d'une juridiction communautaire spéciale. Supposer que l'acte de saisine concerne directement et individuellement l'accusé - condition générale de recevabilité d'un recours individuel -, ne va pas de soi. Fondamentalement, l'instauration d'une telle voie de recours affaiblirait le principe d'un espace commun de recherches et de poursuites. Elle ouvrirait la voie à une contestation systématique par la défense, à des fins qui pourraient être dilatoires. Pour ces raisons, cette hypothèse ne pourrait être conçue qu'à condition d'être strictement encadrée juridiquement.
Question n° 18 Quels devraient être les voies de recours ouvertes contre les actes pris par le procureur européen ou mis en oeuvre sous son autorité, dans l'exercice de ses fonctions *
8.2. Droits de recours
Plus généralement, il convient de situer la place de l'ensemble du dispositif (procureur européen, juge des libertés, juge contrôlant le renvoi en jugement, juge du fond) au sein des systèmes juridictionnels existants, tant au plan national que communautaire.
8.2.1. Recours de droit interne
8.2.1.1. Dans la phase préparatoire
En toute logique, les voies de recours ouvertes contre les décisions du juge national des libertés seraient les voies de recours internes. Il en va de même en ce qui concerne la contestation non pas de la mesure de recherche telle qu'autorisée par le juge, mais des seules modalités de sa mise en oeuvre par le procureur européen. Par ailleurs, une voie de recours devrait exister pour une tierce personne affectée par de telles mesures qui n'a pas eu de possibilité d'être entendue préalablement par le juge des libertés (par exemple, l'auteur de correspondance saisie).
Les voies de recours ouvertes contre les décisions du juge exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement seraient, selon le cas, les voies de recours internes s'agissant de l'option d'un juge national, ou des voies de recours communautaires s'agissant de l'option d'une chambre préliminaire européenne.
Compte tenu des préférences exprimées par la Commission, le principe général serait le renvoi au droit national.
8.2.1.2. Dans la phase de jugement
La proposition de création d'un procureur européen ne doit pas bouleverser les systèmes judiciaires nationaux. La Commission est en conséquence d'avis que les voies de recours internes ne devraient pas en être affectées.
Certes l'équivalence de la protection des intérêts financiers des Communautés pourrait justifier la recherche d'un rapprochement de l'organisation des diverses voies de recours ouvertes dans les États membres en ce domaine. Il serait ainsi envisageable d'édicter au niveau européen certains principes communs [188]. Les États membres pourraient s'engager à prévoir, par exemple, une possibilité d'interjeter appel de tout jugement de première instance ou à prévoir, s'agissant d'un appel interjeté par le condamné, l'exclusion de l'aggravation de la peine prononcée. Néanmoins une telle orientation ne serait pas indispensable au bon fonctionnement du procureur européen ; la Commission souhaite concentrer ses propositions sur la phase préparatoire du procès.
[188] Voir notamment article 27 CJ.
De façon plus proportionnelle à l'objectif recherché, l'action du procureur européen devrait s'insérer dans les systèmes juridictionnels nationaux. Cette exigence devrait conduire à prévoir les mêmes possibilités de recours pour lui que celles qui sont ouvertes aux autorités chargées de l'accusation en droit interne. En particulier, le procureur européen devrait en principe pouvoir faire appel de toute décision d'acquittement.
8.2.2. Recours devant la Cour de justice
Afin de respecter l'équilibre actuel entre les compétences communautaires et nationales, la Commission est d'avis que la Cour de justice ne devrait avoir aucune compétence pour contester les décisions rendues par les juridictions nationales en matière pénale. Il importe pour autant de situer le dispositif proposé par rapport au système juridictionnel communautaire, le premier n'étant pas totalement étranger au second [189].
[189] COM (2000) 34, 5 « le système juridictionnel de l'Union », précité.
En vertu du traité, la Cour de justice est chargée d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du droit communautaire. Il en découle s'agissant du procureur européen que la Cour de justice devrait être compétente, dans les conditions prévues par l'article 234 CE, pour l'interprétation à titre préjudiciel de l'article 280 bis CE et des règles communautaires prises pour son application.
La création du procureur européen n'affecterait pas les voies de recours en manquement (articles 226 à 228 CE) et en carence (article 232 CE), dans la mesure où, d'une part, le procureur européen ne serait pas considéré comme une institution mais comme un organe communautaire, et où, d'autre part, la Commission demeure la gardienne des traités. La Cour de justice pourrait en conséquence être saisie seulement par la Commission ou par les États membres d'un différend dans l'application de l'article 280 bis CE et des règles communautaires prises pour son application, dans les conditions de droit commun actuelles.
Enfin, en l'état des dispositions des articles 178 et 288 CE relatives à la responsabilité extra contractuelle de la Communauté, celle-ci doit réparer les dommages causés par le procureur européen ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions [190].
[190] Arrêt de la C.J.C.E du 2.12.1992, Aff. C-370/89, SGEEM et Etroy / BEI, Rec. 1992, p. 6211.
Le recours en annulation prévu aux termes de l'article 230 CE, s'il devait être étendu à l'encontre de certains actes du procureur européen, impliquerait une révision sur ce point du traité. Toutefois, la Commission est d'avis que la garantie judiciaire devrait au contraire s'exercer autant que possible au niveau des États membres et qu'en conséquence les voies de recours contre les actes du procureur européen devraient être organisées devant le juge national [191].
[191] Cf. ci-dessus 6.4.2 (juges des libertés).
Reste, selon les options choisies, que la compétence de la Cour de justice pourrait être élargie à certaines types de contentieux. Pour mémoire, une première hypothèse déjà formulée consistant à donner àagrave; l'accusé la possibilité de contester le choix de l'État membre de jugement fait par le procureur européen, un recours direct devait alors être prévu, sans doute devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes.
Une deuxième hypothèse également précitée reviendrait à rendre la Cour de justice compétente pour connaître des questions de compétence, élevées par le procureur européen ou par les juridictions nationales, que ces conflits surgissent entre États membres ou bien entre ces derniers et la Communauté. En particulier, dans le cas où le juge national exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement serait rendu compétent pour contrôler l'erreur manifeste du choix du forum par le procureur européen, la Cour de justice devrait alors pouvoir être saisie par le procureur européen de déclins ou conflits négatifs de compétence, dans le respect du principe de délai raisonnable du procès.
En tout état de cause, aucune de ces hypothèses ne porterait atteinte au principe selon lequel la compétence juridictionnelle du fond en matière pénale appartient aux juridictions nationales.
9. Conclusion
En conclusion, la Commission souhaite connaître l'avis de tous les cercles concernés sur les modalités de mise en oeuvre de sa proposition, afin d'en tirer des conclusions et, le cas échéant, de soumettre une nouvelle contribution dans le cadre de la préparation de la prochaine révision des Traités.
La proposition faite par la Commission en 2000 ressort quelque peu précisée du présent Livre vert. Ainsi les préférences qu'elle exprime à ce stade pour certaines options pourraient conduire la Commission à proposer de compléter les dispositions actuelles du traité par une base juridique permettant :
* la nomination d'un procureur européen, indépendant, centralisant la direction des recherches et des poursuites et exerçant ainsi l'action publique devant les juridictions compétentes des États membres, dans le domaine de la protection des intérêts financiers communautaires
* et l'adoption d'un cadre de règles spécifiques à cet effet, déterminant notamment :
- son statut, caractérisé par une organisation très déconcentrée reposant sur des procureurs européens délégués et le concours des autorités nationales de recherche dans les États membres ;
- les règles de droit pénal matériel qu'il applique, tendant plutôt vers l'unification pour les plus spécifiques (infractions relevant de sa compétence, peines correspondantes, délai de prescription) ou simplement harmonisées (responsabilité des personnes morales), et pour toutes les autres, les plus nombreuses, déterminées par un renvoi aux droits nationaux ;
- la procédure pénale suivie par le procureur européen, dans le respect des droits fondamentaux, basée à titre principal sur la reconnaissance mutuelle des mesures de recherche prévues par le droit national (perquisition, etc.), le cas échéant harmonisées au niveau européen (mandat d'arrêt européen, etc.), sous le contrôle d'un juge national des libertés, et à titre subsidiaire sur certaines règles communautaires propres (ouverture, classement, procès-verbal européen, etc.) ;
- les exceptions au principe de la légalité des poursuites et le partage des affaires, notamment mixtes, avec les autorités nationales de poursuite ;
- le régime d'admissibilité des preuves, basé sur le principe selon lequel les preuves recueillies dans un Etat membre doivent être admises par les juridictions de tout autre Etat membre ;
- les relations du procureur européen avec les autres acteurs, au plan européen et international, en particulier les possibilités d'échange d'information dans le respect de la protection des données ;
- les voies de recours ouvertes à l'encontre des actes pris sous l'autorité du procureur européen, soit principalement les voies internes et subsidiairement celles à prévoir, si nécessaire, devant la Cour de justice.
L'organisation des juridictions (juge des libertés, juge contrôlant le renvoi en jugement, juge du fond) et la phase du procès, de même que l'exécution des peines resteraient, quant à elles, entièrement gouvernées par le droit national, sous réserve du principe de l'exercice de l'action publique par le procureur européen.
Désormais, la proposition de centraliser au niveau communautaire la direction des recherches et des poursuites dans le domaine spécifique de la protection des intérêts financiers communautaires, ce afin de garantir une répression efficace et équivalente au sein d'un espace commun, est offerte au débat le plus large, sans autre limite à la réflexion que le respect des droits fondamentaux et des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
ANNEXE n° 1 Contribution complémentaire de la Commission à la Conférence intergouvernementale sur les réformes institutionnelles du 29 septembre 2000
La protection pénale des intérêts financiers communautaires : un Procureur européen [192]
[192] COM (2000) 608.
Introduction
Dans son avis du 26 janvier 2000 « Adapter les institutions pour réussir l'élargissement » [193], la Commission suggère à propos de la protection des intérêts financiers de la Communauté de prévoir dans le traité une base juridique en vue de mettre en place un système de règles relatif aux infractions et aux peines encourues, aux dispositions de procédure nécessaires pour la poursuite de ces infractions, et aux dispositions concernant les attributions et les missions d'un procureur européen chargé d'effectuer sur l'ensemble du territoire européen la recherche de faits de fraude et leurs poursuites devant les juridictions nationales. Dans le cadre de sa nouvelle stratégie antifraude, la Commission a confirmé son souhait de renforcer sur ce point la protection des intérêts financiers communautaires.
[193] COM (2000) 34, http://europa.eu.int/comm/igc2000/offdoc/opin_igc_fr.pdf
En effet, la fraude et autres irrégularités portant atteinte aux intérêts financiers communautaires portait en 1998 sur un montant total évalué, tant par les États membres que par la Commission, à plus d'un milliard d'euros [194]. L'implication de la criminalité organisée dans la fraude aux intérêts financiers communautaires et le caractère transnational de cette dernière présupposent une coopération avec quinze ordres judiciaires appliquant des règles de fond et de procédure différentes. Les méthodes actuelles de coopération s'avèrent fréquemment insuffisantes pour surmonter les difficultés rencontrées par les autorités judiciaires et policières dans leur lutte contre cette fraude.
[194] Protection des intérêts financiers des Communautés, lutte contre la fraude, rapport annuel 1998, -1.3, COM (99) 590 final.
Ces difficultés vont s'accroître avec l'augmentation du nombre d'États membres et du nombre d'opérateurs et administrations impliqués dans la gestion des fonds communautaires.
Les compétences que la présente communication propose d'attribuer au procureur européen sont limitées strictement au champ de la protection des intérêts financiers de la Communauté tel que d'ores et déjà défini et circonscrit dans l'article 280 (1) du traité CE.
La communication propose aussi de n'intégrer dans le traité que les caractéristiques essentielles du procureur européen (nomination, démission, mission, indépendance), tout en renvoyant au droit dérivé pour les règles et modalités nécessaires à son fonctionnement.
1. Les complexités à surmonter compte tenu des responsabilités spécifiques de la Communauté en matière de protection des intérêts financiers communautaires
Les carences du dispositif actuel tiennent pour l'essentiel au morcellement de l'espace pénal européen, qui résulte de ce que les autorités policières et judiciaires nationales n'ont compétence pour agir que sur leur territoire propre. Les méthodes classiques d'entraide judiciaire et la coopération entre les polices restent lourdes et souvent inadaptées à une lutte efficace contre les fraudes transnationales. L'expérience montre les difficultés de faire aboutir les enquêtes administratives sur le terrain des poursuites judiciaires pénales.
Or, la protection des intérêts financiers communautaires doit être assurée avec un niveau particulièrement élevé d'exigence et de manière équivalente entre États membres, dans la mesure où il s'agit de fonds mis en commun. C'est par ailleurs à la Communauté au même titre qu'aux États membres qu'incombe la protection des intérêts financiers. Dans ce contexte, l'Union européenne doit garantir aux états membres et à leurs citoyens que les faits de fraude et de corruption sont effectivement poursuivis au plan judiciaire.
1.1. Le morcellement de l'espace pénal européen
L'article 280 TCE stipule que les mesures adoptées en codécision et destinées à combattre les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté « ne concernent ni l'application du droit pénal national ni l'administration de la justice dans les États membres ». Le traité CE ne permet donc pas en l'état actuel de mettre en place un espace pénal européen comprenant un organe judiciaire commun tel qu'un procureur.
La signature de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes du 26 juillet 1995 et de ses protocoles additionnels constitue un premier pas vers la protection pénale des intérêts financiers communautaires. Ces textes élaborés dans le cadre de la coopération intergouvernementale du « troisième pilier » constituent un acquis important, puisqu'ils érigent les comportements de fraude, détournement de fonds et corruption, en infractions passibles de sanctions pénales dans chaque État membre.
Cependant, la convention et ses protocoles ne sont toujours pas entrés en vigueur, faute de ratification par toutes les parties contractantes. Lorsqu'ils seront d'application, une incertitude persistera quant à la façon dont ils seront transposés dans les législations pénales nationales par toutes les parties. Plus encore, ces dispositions ne suffiront pas à elles seules à résorber le morcellement de l'espace pénal européen, dans la mesure où l'action publique continuera de s'exercer au niveau national.
Ainsi, face à quinze systèmes judiciaires pénaux différents, la Communauté ne dispose que de moyens très limités pour assurer une protection des intérêts financiers communautaires effective et équivalente dans les États membres, telle que fixée par le traité. Dans la configuration actuelle, aussi efficace que soit la coordination administrative que procure l'Office européen de lutte antifraude, les poursuites pénales demeurent incertaines. En effet, la Communauté ne dispose pas des instruments qui complètent l'action de prévention et d'enquête administrative au moyen d'une fonction de poursuite pénale.
Exemple :
Le cloisonnement entre les autorités judiciaires des États membres conduit à des poursuites concurrentes, partielles ou inexistantes.
L'interdiction d'exportation de la viande bovine de certains territoires de la Communauté en raison de l'infection par la BSE a été contournée par des opérateurs de trois États membres, à l'occasion d'exportations vers un pays tiers. L'action de la Commission et la mise à jour de ce circuit de fraude aux subventions agricoles ont conduit par la suite à l'ouverture de poursuites judiciaires concurrentes dans plusieurs États membres à raison des mêmes faits et des mêmes personnes. Alors que l'ouverture des procédures judiciaires date de la mi-1997, les faits poursuivis ne sont au stade du jugement que dans un seul de ces États membres.
Cette situation est inacceptable, notamment dans les domaines communautaires comportant des subventions comme la politique agricole commune.
1.2. Le caractère lourd et inadapté des méthodes classiques de la coopération judiciaire entre les États membres
Les dispositifs nationaux constituent le fondement de la protection pénale contre la criminalité transnationale et restent indispensables. Il existe aussi d'ores et déjà des formes de coopération pénale internationale, que le renforcement de la coopération judiciaire dans le cadre du troisième pilier vient désormais conforter.
Mais le développement de la criminalité organisée portant atteinte aux intérêts financiers communautaires rend les instruments classiques de l'entraide judiciaire inadaptés, et les progrès accomplis en matière de coopération judiciaire insuffisants. En effet, il n'existe pas de possibilité d'assurer l'interface entre le niveau communautaire et les autorités judiciaires nationales dans le cadre actuel du traité.
Exemple :
Les insuffisances de la coopération entre Etats membres en matière pénale suscitent délais, recours dilatoires et impunité. Elles favorisent trop souvent, dans les affaires de fraudes financières transnationales, la destruction de preuves et la fuite de suspects. Cela s'avère particulièrement préjudiciable à la reconstitution des circuits financiers en aval de la fraude aux intérêts financiers communautaires.
Ainsi par exemple, à l'occasion d'une audition publique devant le Parlement européen, le procureur d'un État membre a souligné qu'il avait été confronté jusqu'à 60 recours successifs dans l'État requis pour une même affaire susceptible de mettre en cause les intérêts financiers communautaires. Les recours ont été introduits l'un après l'autre, afin de bénéficier chaque fois du délai nécessaire au juge pour les rejeter. Dans de telles conditions, quand la commission rogatoire internationale en cause est exécutée, elle est généralement devenue inutile.
1.3. Les difficultés de faire suivre les enquêtes administratives de poursuites judiciaires
De nombreux cas, tirés de l'expérience communautaire ces dernières années, témoignent ainsi d'obstacles persistants dans un domaine où précisément la responsabilité particulière de la Communauté et des États membres exige une perception claire des intérêts à protéger et une plus grande efficacité des poursuites au niveau du territoire de la Communauté.
Exemple :
La transmission d'informations entre États membres et par l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) à ces derniers se heurte à des obstacles résultant des différences dans les règles régissant les poursuites judiciaires dans chaque Etat membre. Si, pour les mêmes faits, l'enquête est confiée dans certains États membres à un magistrat et dans d'autres à une autorité administrative, la relation directe entre les uns et les autres s'avère le plus souvent impossible, en fait comme en droit. Les autorités nationales concernées n'ont de plus pas toutes le même accès à l'information en application des diverses règles nationales relatives notamment aux secrets fiscal, des affaires ou de l'instruction pénale.
Exemple :
Une tentative de poursuivre les organisateurs d'un important trafic transnational frauduleux, au détriment des ressources propres de la Communauté qui a eu lieu dans deux États membres A et B, constitue à cet égard un cas réel exemplaire. Le juge d'un troisième État membre (C), lieu de résidence de l'inculpé, saisi de l'affaire par les autorités douanières nationales, l'a déclarée irrecevable, notamment au motif que l'attestation fournie par les autorités de l'État membre A était insuffisante aux fins de poursuites dans l'État membre C. Cette attestation confirmait pourtant que l'infraction constatée était répréhensible au regard du droit de l'État membre A et faisait référence aux peines encourues dans cet État par les auteurs des faits. Selon les règles de l'Etat membre C, le juge n'a pas pu admettre la valeur de l'attestation émise par les autorités douanières de l'État membre A.
***
2. Le dispositif proposé
Pour légitimes et irremplaçables qu'ils soient, les dispositifs existants constituent, en l'absence d'une structure institutionnelle spécifique sur le plan communautaire, autant d'obstacles à l'action de poursuite des policiers et des juges et d'avantages pour les criminels. Compte tenu de la rédaction du traité CE, la Commission recommande donc, pour répondre à la situation actuelle, de compléter le droit primaire pour permettre la création d'un procureur européen, en renvoyant pour son organisation et son fonctionnement au droit communautaire dérivé. Cette modification serait limitée à la protection des intérêts financiers communautaires.
2.1. Une réflexion préparatoire mûre et approfondie
La proposition de la Commission à la Conférence intergouvernementale se fonde sur un travail préparatoire approfondi. Depuis bientôt dix ans, à la demande du Parlement européen et de la Commission, un groupe d'experts de la matière pénale de tous les États membres travaille sur le thème de la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté. Les résultats de leurs travaux ont abouti à la proposition d'un ensemble de règles relatives à la protection pénale des intérêts financiers communautaires, bien connu sous le nom de « Corpus juris » [195]. Ce travail recommande la création d'un espace judiciaire communautaire s'agissant de la phase préparatoire du procès, précisément par l'insertion harmonieuse dans les systèmes nationaux d'un procureur européen, à l'exclusion de toute communautarisation de la fonction de jugement pénal [196].
[195] Corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, sous la direction de Mme Delmas-Marty, Economica, Paris, 1997. Le texte du Corpus juris est également disponible sur Internet (http://www.law.uu.nl/wiarda/corpus/index1.htm).
[196] A la suite de ces recommandations, les experts ont achevé plus récemment une importante étude comparative relative à l'examen de la nécessité, la légitimité et de la faisabilité du « Corpus juris », analysant l'impact que peut avoir un procureur européen sur les systèmes de poursuite nationaux : La mise en oeuvre du Corpus juris dans les États membres, Mme Delmas-Marty / J.A.E. Vervaele, Intersentia, Utrecht, 2000.
Les auteurs du « Corpus juris » ont précisé ce que pourrait être l'architecture d'un ministère public européen, indépendant, chargé en matière de protection des intérêts financiers communautaires de diriger les recherches et d'exercer l'action publique devant les juridictions nationales compétentes, ainsi que l'articulation de son action avec les procédures nationales.
Il devrait s'agir d'une organisation très décentralisée. Le procureur européen s'appuierait dans les États membres sur des procureurs européens délégués, afin de garantir le raccordement entre le dispositif communautaire et les systèmes juridictionnels nationaux.
2.2. L'objet de la réforme
Dans cet esprit, la Commission recommande l'institution d'un procureur européen, indépendant, pour protéger les intérêts financiers des Communautés.
Cet ajout viendrait compléter la réforme de la juridiction communautaire, telle que l'a proposée la Commission, dans sa contribution complémentaire à la Conférence intergouvernementale du 1er mars 2000 [197], par un organe judiciaire ayant pour fonction l'exercice de l'action publique devant les juridictions compétentes des États membres et susceptible d'exercer sur le territoire communautaire un contrôle pénal continu sur l'activité d'enquête, en vue de faire respecter le droit et de protéger les finances communautaires. Il ne s'agit pas pour autant de communautariser la fonction de jugement pénal qui continue de relever de la compétence nationale.
[197] Contribution complémentaire de la Commission à la Conférence intergouvernementale sur les réformes institutionnelles - La réforme de la juridiction communautaire (COM/2000/0109 final).
2.3. Les modalités de la réforme
Selon la Commission, la modification nécessaire du traité peut se limiter à prévoir les conditions de nomination et de démission du procureur européen et à définir ses missions et les principales caractéristiques de sa fonction au moyen d'un nouvel article 280 bis. Le traité renverrait au droit dérivé pour les dispositions relatives au statut et au fonctionnement du procureur européen.
2.3.1. La nomination du procureur européen (paragraphes 1 et 2 du nouvel article 280 bis)
La Commission propose la nomination du procureur européen par le Conseil à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission et après avis conforme du Parlement européen. La proposition, qui devrait revenir à la Commission compte tenu de sa responsabilité particulière à l'égard de la protection des intérêts financiers communautaires, serait présentée, par exemple, sur la base d'une liste de candidats parmi lesquels le Conseil pourrait choisir le procureur européen. La Commission estime également opportun de fixer les conditions d'une éventuelle démission du procureur européen (paragraphe 2 du nouvel article 280 bis). Quant à la durée du mandat la Commission propose un mandat non renouvelable de six ans (paragraphe 1 du nouvel article 280 bis). Il faut en particulier souligner une caractéristique essentielle du procureur européen : son indépendance en tant qu'organe judiciaire (paragraphe 2 du nouvel article 280 bis). En dehors de ces éléments indispensables au procureur, le traité révisé renverrait au droit communautaire dérivé le soin d'en préciser le statut (composition, siège, etc.) selon la procédure prévue à l'article 251 du traité CE (majorité qualifiée au Conseil et codécision avec le Parlement).
2.3.2. Les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen (paragraphe 3 du nouvel article 280 bis)
En ce qui concerne les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen, un dispositif spécifique mais limité aux activités portant atteinte aux intérêts financiers communautaires est nécessaire pour en garantir le bon fonctionnement, tant sur plan du droit pénal matériel que de la procédure pénale. Ces règles devraient être arrêtées par le Conseil selon la procédure de codécision.
Afin de permettre au procureur de disposer de compétences claires, il conviendrait ainsi d'établir, sur une base plus explicite et au niveau communautaire des incriminations (fraude, corruption, blanchiment, etc.) et des peines relatives aux activités préjudiciables aux intérêts financiers de la Communauté. La rigueur du droit pénal se concilie en effet difficilement avec l'existence de divergences à travers le territoire de la Communauté, quand il s'agit d'assurer la protection effective et équivalente des intérêts financiers communautaires. Les incriminations communes établies devraient donc pouvoir être uniformément applicables dans l'ordre juridique national par les juridictions pénales nationales, en tant que juges de droit commun du droit communautaire, ce qui suppose l'adoption de règles spécifiques. Dans cette perspective, le contenu des instruments négociés dans le cadre de la convention précitée du 26 juillet 1995 et ses protocoles additionnels offre d'ores et déjà une bonne base réunissant l'accord des États membres.
En outre, il est indispensable de fixer des règles de procédure (p.ex.: modalités de saisine du procureur européen, pouvoirs d'investigation, ouverture et clôture des recherches) et de contrôle juridictionnel (p.ex. contrôle des actes du procureur sous mandat ou non du juge national des libertés) encadrant l'exercice des fonctions du procureur. A cet égard, le « Corpus juris » élabore certaines options, non exhaustives, de règles de procédure et de coordination avec les autorités nationales compétentes. En tout état de cause, l'établissement de ces règles devra faire l'objet de propositions de droit dérivé dans le respect des systèmes et traditions juridiques nationaux. D'où il résulte la nécessité de prévoir l'adoption, conformément à la procédure prévue l'article 251 du traité CE :
- des règles relatives aux infractions (paragraphe 3, alinéa a, du nouvel article 280 bis) ;
- des règles de procédure applicables aux activités du procureur, ainsi que des règles gouvernant l'admissibilité des preuves (paragraphe 3, alinéa b, du nouvel article 280 bis) ;
- des règles applicables au contrôle juridictionnel des actes du procureur, lesquelles sont indispensables pour l'accomplissement de ses fonctions (paragraphe 3, alinéa c, du nouvel article 280 bis).
Ces règles de droit dérivé devraient aussi déterminer l'articulation du dispositif communautaire avec les systèmes juridictionnels nationaux.
***
En conclusion, la Commission propose à la Conférence de compléter les dispositions actuelles du traité relatives à la protection des intérêts financiers de la Communauté par une base juridique permettant :
* la nomination d'un procureur européen indépendant, exerçant l'action publique devant les juridictions compétentes des États membres, dans le domaine de la protection des intérêts financiers communautaires et dans le cadre de règles spécifiques adoptées à cet effet
* et l'adoption ultérieure par le droit dérivé :
- de son statut,
- des règles de droit substantiel relatives à la protection des intérêts financiers par le procureur européen (infractions, peines),
- des règles de procédure pénale et d'admissibilité des preuves,
- des règles relatives au contrôle juridictionnel des actes pris par le procureur dans l'exercice de ses fonctions.
Texte actuel du Traité CE
Article 280
1. La Communauté et les États membres combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres.
2. Les États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté que celles qu'ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.
3. Sans préjudice d'autres dispositions du présent traité, les États membres coordonnent leur action visant à protéger les intérêts financiers de la Communauté contre la fraude. A cette fin, ils organisent, avec la Commission, une collaboration étroite et régulière entre les autorités compétentes.
4. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, arrête, après consultation de la Cour des comptes, les mesures nécessaires dans les domaines de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté et de la lutte contre cette fraude en vue d'offrir une protection effective et équivalente dans les États membres. Ces mesures ne concernent ni l'application du droit pénal national ni l'administration de la justice dans les États membres.
5. La Commission, en coopération avec les États membres, adresse chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport sur les mesures prises pour la mise en oeuvre du présent article.
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Texte proposé
Article 280 nouveau
1. La Communauté et les États membres combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres.
2. Les États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté que celles qu'ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.
3. Sans préjudice d'autres dispositions du présent traité, les États membres coordonnent leur action visant à protéger les intérêts financiers de la Communauté contre la fraude. A cette fin, ils organisent, avec la Commission, une collaboration étroite et régulière entre les autorités compétentes.
4. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, arrête, après consultation de la Cour des comptes, les mesures nécessaires dans les domaines de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté et de la lutte contre cette fraude en vue d'offrir une protection effective et équivalente dans les États membres. Sans préjudice des dispositions de l'article 280 bis ces mesures ne concernent ni l'application du droit pénal national ni l'administration de la justice dans les États membres.
5. La Commission, en coopération avec les États membres, adresse chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport sur les mesures prises pour la mise en oeuvre du présent article.
Article 280 bis
1. En vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l'article 280 paragraphe 1, le Conseil, statuant sur proposition de la Commission à la majorité qualifiée et après avis conforme du Parlement européen, nomme pour une durée de six ans non renouvelable un procureur européen. Le procureur européen est chargé de rechercher, de poursuivre et de renvoyer en jugement les auteurs ou complices des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté et d'exercer devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions, dans les conditions fixées par les règles prévues au paragraphe 3.
2. Le procureur européen est choisi parmi des personnalités offrant toutes les garanties d'indépendance, et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs des plus hautes fonctions juridictionnelles. Dans l'accomplissement de ses devoirs, il ne sollicite ni n'accepte aucune instruction. S'il ne remplit plus les conditions nécessaires à l'exercice de ses fonctions ou s'il a commis une faute grave, il peut être déclaré démissionnaire par la Cour de Justice à la requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission. Le Conseil, conformément à la procédure de l'article 251 fixe le statut du procureur européen.
3. Le Conseil statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, fixe les conditions d'exercice des fonctions du procureur européen en arrêtant, notamment
(a) des règles établissant les éléments constitutifs des infractions pénales relatives à la fraude et à toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté, ainsi que les peines encourues pour chacune d'entre elles ;
(b) des règles de procédure applicables aux activités du procureur européen, ainsi que des règles gouvernant l'admissibilité des preuves ;
(c) des règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure pris par le procureur européen dans l'exercice de ses fonctions.
ANNEXE n°2 Schémas simplifiés de procédure
Les schémas suivants permettent de visualiser quelques éléments principaux de la procédure que pourrait suivre le procureur européen. Ils ne reflètent ni toutes les situations, ni toutes les options envisagées dans le Livre vert. Aide à la bonne compréhension du texte, il ne saurait en tenir lieu.
ANNEXE n°3 Cas fictif de fraude traitée par le procureur européen
L'exemple de fraude qui suit - noms et faits compris - est purement fictif et n'est conçu qu'aux fins d'illustration du présent Livre vert.
Les faits
Soit l'entreprise "Meat International", dont le siège est installé à Londres, qui exerce dans le secteur de l'import-export de viandes depuis des années. Suite à une crise alimentaire dans ce secteur, elle a augmenté considérablement ses importations de viande de qualité en provenance d'Amérique Latine, du Brésil et d'Argentine notamment. Elle a exporté parallèlement des quantités significatives de viande communautaire vers la Russie. A ces fins, elle a utilisé les ports d'Anvers et de Lisbonne pour les importations et celui de Rotterdam pour les exportations.
Importation de viande
En matière d'importations, l'entreprise "Meat International" a fait montre d'inventivité afin d'éluder au maximum les droits de douane (ressource communautaire).
* En premier lieu, elle a joué sur la nature de la marchandise. Elle a déclaré 20% des importations de viande de qualité comme relevant de la catégorie « abats », soumise à un droit de douane très faible.
* Par ailleurs, l'entreprise a joué sur l'origine de la marchandise, pour profiter indûment d'avantages tarifaires préférentiels. En effet, l'Argentine a le droit d'exporter vers la Communauté un contingent de viande de qualité "Hilton Beef", à un tarif préférentiel (droits de douane nuls ou très faibles). Pour bénéficier de cet avantage tarifaire, l'opérateur doit obtenir des attestations d'authenticité du Ministère de l'Agriculture argentin. L'entreprise "Meat International" a importé de manière systématique de la viande de moindre qualité provenant du Paraguay, en lieu et place de la viande "Hilton Beef". Elle a eu recours, pour parvenir à ses fins, à des attestations indûment délivrées, moyennant le versement d'une somme de 5.000 US$ par container au fonctionnaire responsable en Argentine.
* Les containers correspondants ont été importés et mis en libre circulation au sein de l'Union européenne, via les ports d'Anvers et de Lisbonne. Les entreprises "Meat International Antwerp" et "Meat International Lisboa" ont fait les déclarations en douane en leur qualité d'expéditeurs. L'entreprise de transport "Transeurope" à Madrid était responsable pour la distribution à partir d'Anvers et de Lisbonne vers des clients situés dans toute l'Europe.
Exportation de viande
Du côté des exportations, « Meat International » a bénéficié de façon indue de subventions (dépenses communautaires).
* L'entreprise a acheté au Royaume Uni des viandes britanniques dont l'introduction sur le marché communautaire ou l'exportation vers les pays tiers est interdite (embargo), en grandes quantités et à des prix symboliques. Ces viandes ont été surgelées, transportées illégalement à Anvers où l'entreprise "Label International" les a étiquetées comme viandes d'origine belge. Par la suite la viande a été exportée en Russie, exportation subventionnée par la Communauté au moyen des restitutions à l'exportation.
* Les déclarations en douane ont été faites par l'expéditeur "Meat International Antwerp". Une partie a été exportée vers la Russie par bateau à partir du port de Rotterdam, l'autre a été acheminée par transport routier grâce à "Transeurope".
Préjudice financier
Les gains de l'entreprise ont été considérables, du fait des droits de douane éludés et des restitutions obtenues. Pour en masquer l'importance, l'entreprise a créé, en Argentine, en Europe et aux Caraïbes, une série de sociétés sans réelle activité, pour procéder à des facturations sans contrepartie. A travers ces sociétés l'entreprise a entre autres acheté des actions en bourse à Londres et des immeubles à Lugano. De cette manière les impôts sur les sociétés sont fortement éludés.
Suites pénales : sans le Procureur européen
* Les officiers de la douane découvrent à Anvers un container de viande de qualité d'origine argentine au lieu des abats déclarés. D'où leur vient le soupçon de fausses déclarations douanières en vue d'éluder les droits de douane. Lors de la vérification de la comptabilité de l'expéditeur "Meat International Antwerp", il s'avère que ce trafic dure depuis un certain temps.
* Le juge d'instruction belge est saisi de l'affaire par le service des douanes. Ce dernier demande à la police judiciaire d'interroger les dirigeants de l'entreprise "Meat International", à Londres, et les dirigeants et les chauffeurs de l'entreprise "Transeurope", à Madrid ; il souhaite également perquisitionner les entreprises. Des commissions rogatoires internationales sont lancées. Cinq mois plus tard, le juge d'instruction reçoit des résultats. Il découvre que l'entreprise "Transeurope" et "Meat International Antwerp (l'expéditeur) appartiennent à la société "Meat International" et qu'il s'agit donc d'un réseau constitué de façon permanente dans le but de commettre des délits.
* Les autorités judiciaires belges ouvrent une instruction pénale contre "Meat International Antwerp et "Meat International". Le tribunal correctionnel d'Anvers condamne les directeurs des deux entreprises à des lourdes amendes pénales et à des peines de prison avec sursis.
* Mais l'exécution des sanctions promet d'être difficile voire impossible. En effet, alertée par les investigations effectuées, l'entreprise "Meat International" vend ses valeurs en bourse à Londres et les fait réinvestir, par le biais de ses sociétés offshores, dans des immeubles à Lugano. Son directeur, qui dispose aussi de la nationalité suisse, s'est installé à Lugano, après la perquisition. Le directeur de "Meat International Antwerp" a quant à lui pris la fuite, emportant les fonds disponibles de l'entreprise.
* Parallèlement, les autorités policières néerlandaises découvrent, à l'occasion d'un contrôle de routine, dans un camion de l'entreprise "Transeurope", de la viande avec des étiquettes belges à destination de la Russie, qu'ils jugent suspectes. Compte tenu des circonstances, ils saisissent la viande. Des contrôles physiques confirment qu'il s'agit en réalité de viande d'origine britannique, sous embargo.
* Les autorités judiciaires néerlandaises lancent des commissions rogatoires internationales en Belgique et en Espagne, afin de recueillir plus de preuves auprès des entreprises "Meat International", "Meat International Antwerp" et "Transeurope". Les éléments ainsi obtenus montrent que la société "Transeurope" a des liaisons avec la société "Meat International Lisboa" et que les fausses étiquettes ont été apposées par l'entreprise "Label International".
* Les preuves sont communiquées aux autorités judiciaires portugaises. Par le biais du réseau judiciaire européen ou d'Eurojust, les autorités judiciaires portugaises sont informées de l'affaire. Les autorités néerlandaises décident de classer sans suite, eu égard la faiblesse du lien avec les Pays-Bas et le fait qu'il n'y a pas d'antécédents.
* Malheureusement, au Portugal, le Ministère Public est confronté au fait que les preuves n'ont pas été recueillies, durant l'exécution des commissions rogatoires internationales, conformément aux exigences du droit de procédure pénale portugais. En effet, elles ont été collectées par des officiers de police judiciaire, et non par le Ministère Public ou un juge d'instruction, ce qui a comme conséquence l'inadmissibilité des preuves au Portugal.
* Enfin, les autorités policières et judiciaires en Angleterre se limitent à exécuter les demandes de commissions rogatoires internationales. Elles n'ouvrent aucune enquête vis-à-vis de "Meat International".
Suites Pénales avec le Procureur européen (suivant les préférences de la Commission européenne)
* Les autorités douanières belges saisissent le Procureur européen, sur la base de leur soupçon à l'encontre des entreprises qui ont introduit de fausses déclarations, afin d'éluder les droits de douane. De leur côté, les autorités policières néerlandaises saisissent au même moment le Procureur européen, des faits constatés avec la viande découverte, qui laissent soupçonner une fraude au régime des restitutions à l'exportation. Dans les deux cas, les entreprises mentionnées dans l'affaire sont « Transeurope », le transporteur, « Meat International Antwerp », l'expéditeur et l'entreprise « Meat International ».
* Grâce à la coordination et à la centralisation de ces informations, le Procureur européen a l'avantage, recueillant des éléments épars, d'obtenir une vision plus globale de ce qui est en réalité une même affaire. D'une part, il se rend compte qu'il y a une liaison entre les deux volets, ne serait-ce que parce que les mêmes entreprises sont impliquées. D'autre part, il a alors suffisamment d'information pour comprendre qu'il s'agit d'une importante affaire de fraude communautaire, transfrontalière, comportant des opérations dans plusieurs pays, ce qui légitime des recherches de sa part. Il ne renvoie donc pas l'affaire aux autorités judiciaires nationales.
* En premier lieu, le Procureur européen demande aux procureurs européens délégués des États membres concernés des informations complémentaires sur les entreprises en cause. L'échange des informations disponibles auprès des autorités policières et judiciaires complète le dossier. Il appert dès lors clairement que l'entreprise « Meat International » réalise aussi des opérations d'importation, via le port de Lisbonne où elle utilise « Meat International Lisboa » comme expéditeur. De plus, l'information échangée montre que les sociétés « Meat International Antwerp », « Meat International Lisboa » et « Transeurope » appartiennent toutes à la société « Meat International ».
* Le Procureur européen soupçonne en conséquence l'existence d'une organisation criminelle qui a pour but de commettre des délits économiques et financiers au préjudice du budget de la Communauté. Pour étayer ses soupçons, il décide de soumettre l'organisation à des interceptions de communication (téléphone, fax, courrier électronique). Il soumet sa décision au contrôle du juge de liberté du Royaume Uni, État où siège l'entreprise principale. L'autorisation du juge de liberté obtenue, les interceptions sont exécutées sous la direction du procureur européen, par les autorités compétentes dans les États Membres concernés. L'autorisation du juge de liberté britannique est en effet mutuellement reconnue dans l'espace commun de recherches et de poursuites. Les interceptions fournissent assez vite des preuves convaincantes de l'existence du réseau, de la portée de leur activité criminelle, des flux financiers et du fait que le directeur de « Meat International » est l'auteur principal de l'affaire.
* Responsable de la coordination et de la direction de la recherche judiciaire, le Procureur européen demande une action de recherche transnationale aux fins 1) d'interroger les personnes clefs dans les entreprises concernées ; 2) de saisir la comptabilité des entreprises ; 3) de geler les avoirs des entreprises et 4) de faire arrêter les dirigeants de « Meat International ». Les procureurs délégués exécutent les actes de recherche correspondant.
* Pour le gel des avoirs et pour le mandat d'arrêt, le juge des libertés est saisi au Royaume Uni. Il donne son autorisation au gel des avoirs et délivre un mandat d'arrêt européen contre le directeur de « Meat International ». Cette autorisation et ce mandat d'arrêt valent titres exécutoires dans tout l'espace commun de recherches et de poursuites, peu importe où se trouvent les avoirs et la personne concernés.
* Les actes de recherche effectués dans plusieurs États membres livrent des preuves documentaires, relatives au montage frauduleux des importations et exportations, à la division du travail entre les entreprises, à la répartition des profits entre leurs dirigeants et aux flux financiers de blanchiment des avoirs. Sont alors gelés, à Londres, des actifs importants, à Anvers et à Lisbonne, des sommes beaucoup plus modestes. Les preuves documentaires montrent que l'entreprise « Meat International » est propriétaire des immeubles à Lugano. A fin de mettre ces immeubles sous saisie, le procureur européen délégué à Londres adresse aux autorités suisses une commission rogatoire internationale, sur la base de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du Conseil de l'Europe et de son protocole additionnel ou (par hypothèse) sur la base d'une convention européenne d'assistance judiciaire entre le procureur européen et la Suisse.
* A la fin de la phase préparatoire, le Procureur européen décide de renvoyer en jugement les principaux auteurs que sont les personnes morales (« Meat International », « Meat International Antwerp », « Meat International Lisboa », « Transeurope » et "Label International") et certaines personnes physiques responsables en leur sein. Elles sont accusées de fraude communautaire et de blanchiment de capitaux, avec la circonstance aggravante d'association de malfaiteurs.
* Considérant que l'auteur principal se trouve en détention provisoire au Royaume Uni, que l'entreprise mère y a son siège et que la plupart des avoirs y sont gelés, le procureur européen décide, en application des critères de priorité de juridiction, de renvoyer devant le tribunal pénal de Londres. Un juge national, désigné par le Royaume Uni, exerce la fonction de contrôle de renvoi en jugement. Il examine les trois questions suivantes. 1) Est-ce que les preuves ont été obtenues d'une manière légale * 2) Celles qui le sont, sont-elles suffisantes pour saisir le tribunal pénal * 3) Le tribunal de Londres est-il compétent* En l'espèce, le juge national contrôlant le renvoi répond par l'affirmative à ces trois questions. S'agissant d'un espace commun de recherches et de poursuites, le Procureur européen peut dès lors soumettre au tribunal pénal de Londres la totalité de l'affaire.
* Le Procureur européen exerce l'action publique en ce qui concerne les infractions communautaires. L'autorité nationale de poursuite a la faculté de poursuivre pour la fraude fiscale en matière d'impôt sur les sociétés. Le tribunal anglais condamne les entreprises concernées à des amendes pénales lourdes et confisque leurs avoirs. Il condamne en outre les dirigeants de "Meat International" à une peine privative de liberté de 4 ans, et les dirigeants des autres entreprises, à une peine de 2 ans.
* Les sanctions prononcées par le tribunal de Londres ont une validité dans tout l'espace commun de recherches et de poursuites. Elles sont exécutées au Royaume-Uni et, sur base du principe de la reconnaissance mutuelle, en Belgique, au Portugal et en Espagne. Pour la confiscation des immeubles à Lugano, une demande d'exécution est envoyée à la Suisse en application des conventions internationales existantes.
ANNEXE n°4 Rappel des questions posées
Question générale Quelle appréciation portez-vous sur le schéma général proposé pour le procureur européen, à savoir sur :
- son domaine d'action (limité à la seule dimension financière des intérêts communautaires) *
- ses pouvoirs *
- son articulation avec les systèmes pénaux nationaux *
Question n° 1 Que pensez-vous de la structure et de l'organisation internes proposées pour le procureur européen * La mission européenne confiée aux procureurs européens délégués devrait-elle être exclusive ou bien peut-elle être combinée avec une mission nationale *
Question n° 2 Pour quels chefs d'incrimination le procureur européen devrait-il être rendu compétent * Les définitions d'incriminations acquises dans le cadre de l'Union européenne devraient-elles être complétées *
Question n° 3 La création d'un procureur européen devrait-elle s'accompagner de l'adoption de certaines règles communes supplémentaires, en matière de :
- sanctions *
- responsabilité *
- prescription *
- autre *
Dans l'affirmative, dans quelle mesure *
Question n° 4 Dans quel cas et par qui le procureur européen devrait-il être obligatoirement saisi *
Question n° 5 Le procureur européen devrait-il être guidé par le principe de légalité des poursuites, comme le propose la Commission, ou par le principe d'opportunité des poursuites * Quelles exceptions devraient être prévues dans chacun des cas *
Question n° 6 Compte tenu des pistes de réflexion mentionnées dans le présent Livre vert, quel partage des attributions prévoir entre le procureur européen et les autorités nationales de poursuite, notamment afin de permettre le traitement des affaires mixtes *
Question n° 7 La liste des mesures de recherche envisagées pour le procureur européen vous paraît-elle suffisante, afin notamment de surmonter le morcellement de l'espace pénal européen * Quel encadrement (droit applicable, contrôle) prévoir pour de telles mesures de recherche *
Question n° 8 Quelles solutions faut-il envisager pour assurer l'exécution des actes de recherche diligentés par le procureur européen *
Question n° 9 Dans quelles conditions le procureur européen devrait-il pouvoir prendre une décision de classement ou bien renvoyer en jugement *
Question n° 10 Selon quels critères choisir le ou les État(s) membre(s) de renvoi en jugement * Faut-il contrôler le choix du procureur européen à ce sujet * Dans l'affirmative, à qui ce contrôle devrait-il être confié *
Question n° 11 Le principe selon lequel les preuves légalement recueillies dans un État membre devraient être admissibles devant les juridictions de tout autre État membre vous paraît-il de nature, en ce qui concerne le procureur européen, à surmonter l'obstacle que constitue la diversité des règles d'admissibilité des preuves *
Question n° 12 A qui confier la fonction de contrôle des actes de recherche exécutés sous l'autorité du procureur européen *
Question n° 13 A qui confier la fonction de contrôle de l'acte de renvoi en jugement *
Question n° 14 Les droits fondamentaux de la personne vous paraissent-ils suffisamment protégés, tout au long de la procédure proposée pour le procureur européen * En particulier, le droit à ne pas être poursuivi pénalement deux fois pour la même infraction est-il bien garanti *
Question n° 15 Quelles devraient être les modalités d'une bonne articulation des relations entre le procureur européen et les acteurs de la coopération pénale institués dans le cadre de l'Union européenne *
Question n° 16 Dans la perspective de l'évaluation du statut de l'OLAF que la Commission devra mener, quels éléments relatifs à l'articulation entre l'Office et le procureur européen vous paraissent-ils pertinents *
Question n° 17 Quelles devraient être les relations du procureur européen avec les pays tiers, notamment les pays candidats, pour améliorer la lutte contre les activités portant atteinte aux intérêts financiers communautaires *
Question n° 18 Quels devraient être les voies de recours ouvertes contre les actes pris par le procureur européen ou mis en oeuvre sous son autorité, dans l'exercice de ses fonctions *