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Communication de la Commission européenne du 22 novembre 2000 concernant la création d'Eurojust - COM/2000/0746 final

 

Communication de la Commission européenne du 22 novembre 2000 concernant la création d'Eurojust

 

COM/2000/0746 final

 

1. Genèse de cette initiative

 

Le renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale est une mesure cruciale dans un espace de liberté, de sécurité et de justice. Les méthodes et les moyens d'entraide judiciaire traditionnellement utilisés ne suffisent plus si l'on veut relever le défi de la criminalité transfrontière dans un espace de libre circulation. Afin d'intensifier, tout en les simplifiant, des procédures encore longues et coûteuses, l'Union européenne a adopté plusieurs mesures préliminaires. C'est ainsi qu'ont été institués un cadre d'échange de magistrats de liaison, une liste des meilleures pratiques et un réseau judiciaire européen. Parallèlement à la poursuite de ces travaux, il y a lieu d'assurer une coordination indispensable entre les autorités nationales chargées des poursuites en mettant en place une certaine forme de structure centralisée.

Pour parvenir à cette coordination centrale, le Conseil européen de Tampere a décidé la création, avant la fin de l'année 2001, d'une unité (EUROJUST) composée de procureurs, de magistrats ou d'officiers de police ayant des compétences équivalentes, détachés par chaque État membre conformément à son système juridique. Afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité organisée, cette unité aura pour mission de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée, notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol. Cette unité devra aussi coopérer étroitement avec le réseau judiciaire européen afin, notamment, de simplifier l'exécution des commissions rogatoires.

Sur la question, plusieurs États membres ont fait usage du droit d'initiative que leur confère l'article 34, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne. C'est ainsi que l'Allemagne a proposé un projet de décision cadre du Conseil. Les présidences précédente, présente et futures du Conseil (Portugal, France, Suède et Belgique) ont proposé une approche en deux temps prévoyant l'adoption de deux décisions du Conseil. La Commission estime que ces initiatives pourraient être rapprochées. Pour l'heure, cependant, elle préfère prendre position dans le cadre d'une communication fondée sur les initiatives déjà présentées plutôt que d'ajouter une nouvelle proposition formelle. La possibilité que la Commission présente une proposition en ce sens à un stade ultérieur, si besoin était, ne saurait toutefois être exclue.

 

2. Domaines de compétence

 

La Commission soutient les grandes lignes des deux initiatives précitées, accordant à Eurojust un domaine de compétence relativement étendu, qui dépasse l'objectif de la lutte contre "les formes graves de criminalité organisée" indiqué dans les conclusions de Tampere. Ce champ de compétence serait raisonnable et, en outre, compatible avec le principe de subsidiarité, car la nécessité d'une coordination des poursuites menées dans le cadre de quinze systèmes juridiques nationaux différents est un besoin général, qui ne se limite pas à certaines formes de criminalité.

La Commission est favorable à une approche qui permettrait à Eurojust de traiter toutes les "infractions particulièrement graves" dont la répression peut nécessiter le recours à l'entraide judiciaire [1]. Étant donné le mandat horizontal confié par le Conseil européen de Tampere, il ne semble ni nécessaire ni souhaitable d'énumérer expressément, dans l'acte fondateur, toutes les formes de criminalité qu'Eurojust devrait traiter, sans quoi il serait nécessaire d'obtenir une nouvelle décision du Conseil pour pouvoir inclure une infraction supplémentaire dans le domaine de compétence de cette unité. Néanmoins, si les États membres estimaient nécessaire de disposer d'une telle liste, celle-ci devrait comprendre toutes les formes de criminalité pour lesquelles Europol est actuellement compétent ainsi que toutes les infractions citées dans l'annexe à la convention Europol (par exemple, criminalité informatique, contrefaçon et piratage de produits, commerce illégal et atteinte à l'environnement, racisme et xénophobie, etc.).

[1] Voir l'article 2 de l'initiative de l'Allemagne, JO C 206 du 19.7.2000. Une définition plus nette de l'expression "infractions particulièrement graves" serait néanmoins souhaitable pour éviter d'inutiles débats sur le droit d'Eurojust de traiter certains dossiers.

Eurojust devrait toutefois mettre tout particulièrement l'accent sur la criminalité transfrontière, lorsque des indices concrets révèlent l'existence d'une structure criminelle, en vertu de l'article 2, paragraphe 1, de la convention Europol. Indépendamment de la nécessité d'élargir le mandat d'Eurojust, c'est surtout dans le domaine du crime organisé que ses capacités et ses ressources seront nécessaires, comme l'a souligné le Conseil européen. Eurojust devrait déterminer, au moins dans un premier temps, les domaines sur lesquels l'accent doit être mis. L'un d'eux devrait être la lutte contre la contrefaçon de l'euro.

En ce qui concerne les infractions affectant les intérêts financiers des Communautés, la Commission a annoncé, dans sa communication du 28 juin 2000 concernant une stratégie globale anti-fraude, qu'un service spécifique serait mis en place au niveau de l'OLAF. Ce service aurait pour mission de fournir de l'aide et assistance aux autorités judiciaires des Etats membres. Cela comprendrait la mise en place au niveau de l'OLAF d'une unité d'appui judiciaire composée d'experts ayant de l'expérience comme juge ou procureur. Les responsabilités correspondantes de la Commission ont déjà été mentionnées dans l'article 7 du deuxième protocole à la Convention sur la protection des interêts financiers des Communautés [2].

[2] JO C 221/11 du 19.7.1997. Voir également le rapport explicatif correspondant, JO C 91 du 31.3.1999.

Dans ce contexte et en tenant compte de la complémentarité de leurs rôles respectifs, une coopération étroite entre OLAF et Eurojust sera nécéssaire en cette matière afin de s'assurer que chacun apporte sa valeur ajoutée.

Dans ce contexte, la Commission entend également rappeler son avis sur la Conférence intergouvernementale, la création d'un procureur européen dans le domaine spécifique de la protection des interêts financiers des Communautés [3]. Celui-ci représenterait un saut qualitatif majeur dans le combat contre la fraude.

[3] Contribution complémentaire de la Commission à la conférence intergouvernemental sur les réformes institutionnelles: La protection pénale des interêts financiers de la Communauté: un Procureur Européen, 29 septembre 2000, COM (2000) 608 final.

 

3. Missions et prérogatives

 

3.1. Points sur lesquels un consensus s'est dégagé

 

Jusqu'ici, les conceptions quant aux missions et aux prérogatives qui seraient confiées à Eurojust ont été relativement variées. Il semble que le dénominateur commun entre les positions des États membres comprenne un ensemble minimum d'activités telles que la fourniture d'informations sur le droit national, la mise en place d'une base documentaire, l'établissement de contacts entre les organes d'enquête nationaux, le transfert d'informations sur l'état d'avancement des procédures ou sur les décisions de justice, l'échange d'expériences et, jusqu'à un certain point, des conseils juridiques. Il va de soi que le réseau judiciaire européen [4] pourrait aussi, dans une large mesure, assumer ces activités.

[4] Créé par l'action commune du 29 juin 1998, JO L 191 du 7.7.1998, p. 4.

Il ressort clairement des conclusions du Conseil européen de Tampere qu'Eurojust doit marquer une étape qualitative supplémentaire dans la voie d'une coopération judiciaire plus étroite et doit aller au-delà des tâches actuelles et potentielles du réseau judiciaire européen. C'est entre autres pour cette raison que nous devons nous efforcer de créer une institution qui offre une valeur ajoutée tangible par rapport aux instruments et institutions existantes.

L'institution d'une table ronde centrale des fonctionnaires ou des magistrats de liaison apportera probablement une certaine valeur ajoutée par rapport au réseau judiciaire européen dans sa version actuelle. Il sera plus facile de communiquer au sein d'une équipe qui partage des locaux communs qu'entre des points de contact décentralisés dans les États membres, et ce, quels que soient les progrès enregistrés dans les techniques de communication. Ces locaux centraux pourraient aussi améliorer le rapport coût-efficacité, faciliter la collecte des documents pertinents et garantir la disponibilité permanente de spécialistes ayant l'expérience de la coopération judiciaire. Ce sont là des avantages non négligeables. Leur valeur ajoutée semble toutefois relativement limitée et pourrait se révéler insuffisante pour lutter efficacement contre la criminalité internationale organisée.

 

3.2. Missions et prérogatives d'Eurojust en tant qu'organe collégial

 

Eurojust pourrait apporter des conseils pour la mise en oeuvre pratique des instruments communautaires applicables, par exemple pour l'application de la convention relative à l'entraide judiciaire du 29 mai 2000. À cet égard, il y a lieu de souligner que les conseils d'Eurojust seront sans préjudice de l'interprétation que les tribunaux, en particulier la Cour de justice des Communautés européennes, pourraient donner de ces conventions. Eurojust pourrait également fournir des informations sur les conventions internationales [5].

[5] Par exemple, Eurojust pourrait fournir des informations sur les législations nationales adoptées pour la mise en oeuvre des conventions, des protocoles, des réserves et de la jurisprudence pertinente, éventuellement au moyen d'une base de données.

Selon la Commission, il faudrait toutefois qu'Eurojust soit davantage qu'un centre de documentation et d'information qui se limite à fournir des conseils de façon abstraite. Cette unité devrait être associée à des enquêtes criminelles concrètes. Cette nouvelle unité devrait être capable de contribuer activement à une bonne coordination des affaires, en particulier lorsqu'une action transfrontalière urgente est nécessaire ou qu'une telle action doit s'étayer sur une base légale, par exemple pour donner une force probante aux résultats d'une enquête en vue d'une mise en accusation et aux fins de poursuites judiciaires. Cela n'implique pas nécessairement qu'Eurojust lui-même, en tant qu'organe collégial, doive avoir le pouvoir d'ouvrir et de mener une enquête ou de créer des équipes communes d'enquête.

La valeur ajoutée apportée par Eurojust pourrait être importante si cette unité était associée à des poursuites concrètes, en ne se contentant pas d'apporter ses compétences, mais, le cas échéant, en s'efforçant de détecter et de mettre à jour d'éventuelles corrélations cachées entre certaines affaires et certaines enquêtes, souvent difficilement repérables à l'échelon purement national. À cet effet, et de manière à pouvoir contribuer efficacement à la coordination des activités nationales, Eurojust devrait être à même de jouer un rôle d'intermédiaire actif entre les autorités nationales chargées des poursuites, soit à la demande d'une autorité nationale, soit de sa propre initiative [6].

[6] Voir la position de l'Italie, document du Conseil n° 6412/00 CATS 15: "Avant d'exercer la fonction de coordination, il faut identifier les signes indiquant un lien ou un rapport entre les différentes enquêtes nationales." Dans ce document, l'Italie explique aussi que les autorités nationales chargées des poursuites seront tenues de communiquer "régulièrement et en temps utile" à Eurojust des informations et des données sur les infractions.

Eurojust devrait devenir un lieu de mise en commun de compétences et d'expériences, où s'établissent des contacts personnels et directs avec les points de contact du réseau judiciaire européen et, le cas échéant, avec les autorités nationales chargées des poursuites. Les agents d'Eurojust devraient aussi pouvoir communiquer des idées, des conseils et des indices de leur propre initiative. Eurojust en tant qu'unité devrait en outre être habilité à adresser des avis communs et des recommandations formelles aux autorités nationales. Ces recommandations pourraient notamment porter sur la constitution d'équipes communes d'enquête, des questions de compétence, l'échange d'informations entre les autorités nationales, y compris l'accès aux dossiers, le contenu des commissions rogatoires ou leur traitement par l'État membre requis, ainsi que l'établissement des preuves ou la protection des témoins. Toute autorité nationale qui déciderait de ne pas suivre une recommandation d'Eurojust serait tenue de motiver cette décision dans un délai raisonnable. De plus, les États membres devraient faire en sorte que, sur leur territoire, Eurojust en tant qu'unité puisse dénoncer une infraction ou déposer une plainte auprès de toute autorité nationale chargée des poursuites et reçoive une réponse motivée si l'autorité saisie n'engage pas de poursuites pénales dans une telle affaire.

Eurojust ne pourra contribuer efficacement à la coordination des activités en matière de poursuites que si cette unité dispose d'une information suffisante. Il doit donc être en mesure d'adresser des demandes de renseignements contraignantes aux autorités nationales chargées des poursuites, éventuellement par l'intermédiaire du réseau judiciaire européen. Il faut qu'Eurojust ait accès aux registres nationaux des condamnations (casiers judiciaires) et des procédures. Les États membres doivent lui accorder cet accès sur demande tant qu'il n'existe pas de registre au niveau européen ou que les registres nationaux ne sont pas directement accessibles, et doivent faire en sorte que les autorités chargées des poursuites informent Eurojust, plus précisément leur délégué auprès d'Eurojust, de l'état d'avancement des procédures transfrontalières importantes, même si aucune demande explicite ne leur a été adressée à cet effet. De surcroît, Eurojust devrait, le cas échéant, pouvoir consulter les dossiers d'affaires pénales qui impliquent deux ou plusieurs États membres.

Ces principes devraient aussi s'appliquer dans les relations d'Eurojust avec Europol [7]. Eurojust pourrait fournir des conseils juridiques à cet organe et formuler, s'il y a lieu, des propositions et des recommandations. De plus, l'expérience d'Eurojust pourrait être mise à profit pour conseiller, sur demande, les institutions de l'Union européenne sur l'utilité pratique d'autres initiatives éventuelles dans le domaine de la coopération judiciaire. Afin d'éviter d'éventuels conflits d'intérêts et pour faire en sorte que ses effectifs et ses ressources soient utilisés essentiellement pour des tâches de coordination, Eurojust devrait néanmoins rester une unité judiciaire, qui ne participe pas directement aux travaux administratifs, politiques ou législatifs du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.

[7] Voir point 4.6 ci-après.

En dernier lieu, Eurojust pourrait également nouer des relations avec les autorités chargées des poursuites dans les pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Il serait très utile qu'Eurojust puisse, en liaison avec le réseau judiciaire européen et ses points de contact, engager un échange de vues, un échange d'informations sur les enquêtes et les procédures importantes et un échange de documents juridiques (par exemple, des spécimens de lettres rogatoires, de règlements, d'instructions, etc.) avec ces pays et, pourquoi pas, avec des pays tiers et des organisations internationales compétentes. On peut envisager la possibilité qu'un tel échange d'informations s'opère, dans une certaine mesure, dans le cadre de réunions communes, de canaux de communication permanents ou d'un échange d'experts.

 

3.3. Missions et pouvoirs confiés aux délégués nationaux à titre individuel

 

Les initiatives déjà présentées prévoient qu'Eurojust serait composé de membres, de délégués ou d'officiers de liaison nationaux, soumis au droit national de leur État membre d'origine. La rémunération de ces délégués nationaux serait également à la charge de leur État membre d'origine, qui exercerait sur eux un pouvoir de surveillance. Un avantage essentiel et non négligeable de ce système est que les fonctionnaires ou les magistrats nationaux pourraient continuer à exercer leurs pouvoirs conformément à leur droit pénal national, ce qui serait tout à fait conforme aux conclusions de Tampere, selon lesquelles Eurojust devrait être composé de magistrats ou de fonctionnaires délégués par les États membres.

Dans leur note d'orientation sur Eurojust [8], les présidences précédente, présente et futures du Conseil ont proposé que les États membres confèrent des pouvoirs à leurs délégués nationaux auprès d'Eurojust à titre individuel, conformément à leur droit national. Chaque État membre serait libre de décider d'accorder ou non à son délégué national des pouvoirs sur son propre territoire et de déterminer l'étendue de ces pouvoirs. Par exemple, tout délégué d'Eurojust aurait vocation à devenir le responsable d'une équipe commune d'enquête [9]. Il pourrait être autorisé à adresser des commissions rogatoires ou, si cela n'est pas possible selon le droit national, à fournir des informations supplémentaires au soutien d'une commission rogatoire de manière à accélérer la procédure. En outre, tout comme les autres procureurs ou magistrats nationaux, les délégués nationaux d'Eurojust pourraient exercer, sur leur territoire national, le pouvoir d'établir les preuves ou de prendre toute autre mesure d'instruction. Ce pourrait être particulièrement utile dans les affaires urgentes et qui ne peuvent attendre.

[8] Document du Conseil n° 7384/00 CATS 21 EUROJUST 1.

[9] Voir l'article 13 de la convention relative à l'entraide judiciaire du 29 mai 2000, JO C 197 du 12.7.2000, p. 1.

Ces pouvoirs individuels accordés conformément au droit national doivent être nettement distingués des responsabilités confiées à Eurojust en tant qu'organe collégial. La Commission soutient cette approche, qui ferait d'Eurojust une unité forte et efficace et présente l'avantage de ne pas obliger les États membres à modifier les spécificités de leur droit pénal national et la répartition des responsabilités et des tâches. Il est toutefois essentiel que les États membres utilisent pleinement cette possibilité pour que l'on puisse exploiter tout le potentiel d'Eurojust. Il est également souhaitable que les États membres s'accordent au moins sur un dénominateur commun minimum des pouvoirs individuels équivalents qu'ils conféreraient à leurs délégués nationaux en vue d'une éventuelle combinaison de leur action. Au cas où une action urgente s'imposerait, pour le gel d'avoirs par exemple, il serait très utile que tous les délégués nationaux d'Eurojust soient au moins habilités par leur État membre à ordonner une telle mesure ou à déposer une demande auprès du juge national compétent, de manière à couvrir tous les territoires nationaux concernés. En outre, si les pouvoirs de chacun des délégués nationaux étaient par trop différents, cela pourrait affecter ou influencer artificiellement la manière dont la coordination s'opère.

 

4. Structure et statut

 

4.1. Statut d'Eurojust en tant qu'organe de l'Union

 

L'organisation et la structure juridique d'Eurojust doivent être conçues de manière à lui permettre de s'acquitter de sa mission et d'exercer ses pouvoirs. D'une part, la structure et le processus décisionnel doivent être aussi clairs et aussi simples que possible, si l'on veut qu'Eurojust puisse apporter un soutien rapide et efficace aux autorités chargées des poursuites. D'autre part, on ne saurait nier la nécessité de mettre en place une certaine forme de structure administrative.

D'après le "dénominateur commun" qui s'est dégagé des discussions menées à ce jour, Eurojust devrait au moins fournir des conseils juridiques et émettre des avis sur les tâches de coordination. Même si les conseils juridiques sur le droit national d'un État membre donné peuvent être fournis par un délégué national sous sa propre responsabilité, c'est le principe collégial qui doit s'appliquer pour toute question concernant le droit de plusieurs États membres ou le droit international. Pour les avis et les déclarations reposant sur le principe collégial, il conviendra de désigner un représentant commun et de mettre en place une structure administrative de manière à établir des canaux de communication efficaces et clairs vers le "monde extérieur".

Afin de garantir un certain degré d'indépendance et d'autonomie et de définir des règles claires sur la représentation, les relations avec d'autres organes et les responsabilités, il est préférable de créer un organe au niveau de l'Union, auquel il conviendrait de conférer la personnalité juridique, comme c'est le cas d'Europol et de nombreuses agences communautaires. Les autres solutions, telles qu'une simple table ronde, ou un organe interne du Conseil ou de la Commission, risqueraient de ne pas satisfaire aux exigences pratiques et de ne pas suffire à garantir à Eurojust un degré d'indépendance minimum ou à assurer la sécurité juridique des actes pris par cette unité et adressés à des destinataires extérieurs. Pour les mêmes raisons, Eurojust devrait jouir d'une certaine latitude financière, autrement dit il devrait disposer d'un budget, conformément aux principes énoncés à l'article 41, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne [10]. Il sera indispensable d'apprécier l'impact de la création d'Eurojust sur le budget communautaire, en fonction des affaires qui lui sont finalement attribuées.

[10] Voir également l'article 21 de l'initiative du Portugal, de la France, de la Suède et de la Belgique, JO C 243 du 24.8.2000.

La base juridique appropriée pour la création d'une telle personne morale serait une décision du Conseil adoptée en vertu de l'article 34, paragraphe 2, point c), du traité sur l'Union européenne. Il faut néanmoins garder à l'esprit qu'une telle décision n'entraîne pas d'effet direct. Il faudrait donc que les États membres prennent certaines mesures pour adapter leur droit national afin de mettre en oeuvre les dispositions de cette décision.

 

4.2. Les délégués nationaux et le comité directeur

 

Ainsi qu'il est proposé dans les initiatives déjà présentées, chaque État membre devrait déléguer un magistrat, procureur ou officier de police auprès d'Eurojust et définir ses prérogatives individuelles au regard de son droit pénal national (délégués ou membres nationaux d'Eurojust). Étant donné que plusieurs États membres disposent déjà d'un assez grand nombre de points de contact au sein du réseau judiciaire européen, et en vue du lien qui doit être établi avec ces points de contact (voir point 4.5 ci-après), il semble justifié de limiter le nombre de délégués. La Commission est consciente du fait que les tâches judiciaires sont décentralisées dans plusieurs États membres, en particulier dans ceux qui sont régis par une constitution fédérale. Il paraît cependant nécessaire de rationaliser autant que possible les activités à l'échelon de l'Union.

Les délégués nationaux [11] de tous les États membres doivent pouvoir être contactés tous les jours ouvrables, ce qui signifie qu'en cas d'absence d'un délégué, on ait la garantie qu'un suppléant le remplace. Les délégués nationaux doivent être basés en permanence dans les locaux centraux d'Eurojust, avoir accès à ses bases de données et à son infrastructure, et être soumis au règlement intérieur d'Eurojust. Ils doivent aussi être à même d'exercer leurs pouvoirs conformément au droit national de l'État membre qui les a délégués et, dans cette mesure, pourraient être soumis à ce droit national, lequel pourrait prévoir l'exercice d'une surveillance par une autorité ou une juridiction nationale. Comme il est essentiel qu'ils puissent se concentrer sur leurs tâches judiciaires, ils doivent être déchargés autant que possible des tâches administratives [12].

[11] Jusqu'à un certain point, d'une part leur statut serait comparable à celui d'officiers de liaison conformément à l'article 5 de la convention Europol (JO C 316 du 27.11.1995, p. 5), et d'autre part, ils accompliraient des tâches comparables à celles des membres du conseil d'administration d'Europol (article 28 de la convention Europol).

[12] Voir point 4.3 ci-après.

En ce qui concerne les demandes de renseignements adressées par des autorités nationales ou des points de contact nationaux, celles-ci pourraient être traitées à deux niveaux différents. Pour ce qui est, d'une part, des demandes de conseils en droit national, les délégués nationaux devraient être autorisés à fournir des conseils en droit pénal national directement aux délégués des autres États membres, qui pourraient alors transmettre ces informations à leurs autorités nationales chargées des poursuites. Les demandes de renseignements portant sur le droit national d'un État membre déterminé pourraient ainsi être traitées dans le cadre de relations "bilatérales", sans qu'il soit nécessaire, le plus souvent, d'y associer l'ensemble des délégués [13]. Même dans les cas où plus de deux États membres seraient concernés, leurs délégués pourraient décider d'échanger des informations sur leur droit national respectif sans solliciter le vote de tous les délégués ni convoquer une réunion formelle. Cela permettrait de répondre à ces demandes de renseignements aussi rapidement que possible. En ce qui concerne, d'autre part, les conseils en droit international et sur les instruments du troisième pilier, il semble nécessaire d'associer l'ensemble des délégués et de demander une décision collégiale.

[13] Pour s'acquitter de ces tâches, les délégués pourraient toutefois faire usage de la structure administrative d'Eurojust. Il conviendra d'examiner si les délégués doivent être secondés par des assistants personnels et quel statut il faudrait conférer à ces derniers (personnel d'Eurojust, fonctionnaires nationaux détachés et/ou experts nationaux).

Cette décision collégiale s'imposerait aussi en cas de coordination des poursuites transfrontalières, du moins dans les affaires impliquant un plus grand nombre d'États membres ou dans lesquelles il n'est pas possible de savoir, dès le départ, quels États membres devront être associés [14]. Toute recommandation formelle (par exemple, pour l'ouverture d'une enquête) devrait reposer aussi sur le principe collégial. Par conséquent, dans la mesure où ce principe doit être appliqué, les délégués devront former un comité directeur (ou un conseil stratégique) qui sera l'organe central d'Eurojust. Ce comité comprendra un délégué de la Commission en qualité de membre titulaire, représenté le cas échéant par un suppléant, conformément à l'article 36, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne [15]. Si Eurojust est chargé d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et d'actes de contrefaçon de l'euro, le délégué de la Commission pourra notamment donner des conseils juridiques et techniques. Outre cela, l'expérience technique, statistique, juridique et opérationnelle ainsi que le savoir-faire de la Commission, en particulier en ce qui concerne l'OLAF [16], pourraient aussi être d'une très grande utilité pratique pour Eurojust dans d'autres domaines de la criminalité économique, dans la mesure où les structures criminelles ne font pas de distinction entre les intérêts financiers de la Communauté et d'autres intérêts.

[14] Par exemple, dans les affaires de trafic de drogue, les circuits d'acheminement ou les canaux de communication peuvent être rapidement déplacés d'un État à l'autre.

[15] Lors de sa réunion du 28.9.2000, le Conseil Justice et Affaires intérieures a marqué son accord à la pleine association de la Commission aux travaux de l'Unité provisoire de coopération judiciaire (voir article 1(5) du document du Conseil 11344/2/00 EUROJUST 12).

[16] Voir décision de la Commission du 28.4.1999, JO L 136 du 31.5.1999, p. 20.

 

4.3. Le directeur exécutif, les directeurs adjoints et le personnel d'Eurojust

 

Eurojust aura besoin d'une infrastructure pour la documentation, le traitement des données et la traduction. Une structure de gestion devra être créée pour appliquer les règles internes et trancher les questions liées à l'administration, aux ressources, au budget et à la politique du personnel. Toutes les tâches administratives, comme la constitution d'un secrétariat chargé de préparer les réunions et les décisions du comité directeur, la gestion du personnel et l'administration des ressources financières et autres (mise en oeuvre du budget) [17] seront exécutées par un directeur exécutif. Il pourrait être utile de lui associer deux adjoints.

[17] Les dispositions financières pourraient être calquées sur celles de l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies, voir article 11 du règlement (CEE) n° 302/93 du Conseil, JO L 36 du 12.2.1993.

Il n'est pas souhaitable de confier ses tâches administratives à l'un des délégués nationaux. Cette remarque vaut également pour la représentation juridique d'Eurojust, de même que pour l'édition et la publication officielle de toutes les communications collégiales d'Eurojust (recommandations, conseils juridiques ou avis d'expert). Ces tâches devraient elles aussi incomber au directeur exécutif. Les actes collégiaux d'Eurojust devraient être clairement distingués de tout acte individuel pris par un délégué national dans le cadre des obligations et des compétences que lui attribue le droit national. Dans chaque cas, il s'agit de savoir clairement si une position est prise au nom d'Eurojust en tant qu'organe collégial ou par un délégué donné en vertu des prérogatives que lui confère son droit national. Aucune ambiguïté ne saurait exister dans le domaine sensible que sont les affaires pénales. Aussi niveau national et niveau communautaire ne doivent-ils pas être mélangés. Une telle distinction ne serait pas garantie si des représentants d'une institution communautaire pouvaient exercer un pouvoir souverain en vertu du droit national ou si, inversement, des fonctionnaires nationaux étaient amenés à représenter une personne juridique au niveau de l'Union.

C'est pourquoi le directeur exécutif ou général ne devrait être soumis qu'à des règles spécifiques au niveau de l'Union. Il devrait être lié par le Statut des fonctionnaires des Communautés européennes. Cela vaut aussi pour ses adjoints et tout le personnel d'Eurojust. Toutes ces personnes ne devraient pas non plus exercer de pouvoirs de souveraineté nationale, pas plus qu'elles ne devraient être soumises à une autorité de contrôle nationale ni être responsables devant une telle autorité.

 

4.4. Le règlement intérieur

 

Le comité directeur adoptera des positions communes, avis ou recommandations, qui constitueront des actes arrêtés par Eurojust en tant qu'organe (par opposition aux actes individuels pris par des délégués d'Eurojust dans le cadre des responsabilités qui leur incombent en vertu du droit national). Le directeur exécutif diffusera alors l'acte et l'enverra à son destinataire, qui sera le plus souvent l'autorité nationale compétente chargée des poursuites ou, parfois, un point de contact national du réseau judiciaire européen.

En ce qui concerne le vote au sein du comité, la majorité devrait fondamentalement être la règle, dans la mesure où Eurojust n'adopterait que des recommandations sans disposer de pouvoirs opérationnels ni du droit de donner des instructions à des autorités nationales chargées des poursuites. À la demande d'un délégué, il pourrait être précisé qu'un avis ou une recommandation a été adopté malgré un vote contre. L'abstention devrait être autorisée, en particulier afin d'éviter du travail ou des retards inutiles en associant des délégués des États membres qui ne sont pas directement concernés par une affaire ou une question juridique. Des dispositions détaillées devraient être contenues dans le règlement intérieur qui doit être adopté conjointement par le directeur exécutif et le comité. Afin de libérer les délégués des tâches d'organisation, il conviendrait aussi de se demander si le règlement intérieur doit confier l'établissement de l'ordre du jour, la présidence des réunions formelles du comité ou la désignation des rapporteurs au directeur exécutif ou si ces tâches doivent être attribuées à un délégué faisant office de président.

Par ailleurs, il y a lieu d'élaborer un ensemble de règles claires concernant la représentation extérieure, le traitement des données à caractère personnel et la confidentialité [18], ainsi que la responsabilité et ses limites. Dans une large mesure, ces règles peuvent êtres calquées sur les dispositions existantes applicables à d'autres agences de l'Union. D'autres dispositions pourraient aussi être prévues dans le règlement intérieur. Le règlement intérieur pourrait déterminer la procédure générale à suivre pour traiter les questions qui sont posées et les demandes d'action. Pour que les autorités nationales chargées des poursuites disposent d'un accès à Eurojust aussi large que possible, elles devraient être autorisées à poser directement leurs questions aux délégués, mais, afin de ne pas dupliquer les efforts ni d'alourdir excessivement la charge de travail d'Eurojust, ces questions devraient de préférence être envoyées par l'intermédiaire des points de contact nationaux du réseau judiciaire européen.

[18] Les aspects liés à la protection des données découlant des activités qu'il est proposé de confier à Eurojust (tels que le traitement de données, l'échange de données, la coopération avec Europol et l'accès à sa base de données) devront être adéquatement traités.

Enfin, le règlement intérieur pourrait couvrir des questions telles que la répartition des effectifs et l'utilisation des ressources. Dans le cas où un délégué d'Eurojust serait autorisé à exercer des prérogatives en vertu de son droit national, par exemple en tant que membre d'une équipe commune d'enquête, il conviendra de déterminer si, et dans quelle limite, il peut, dans le cadre des possibilités budgétaires d'Eurojust, utiliser à cette fin les ressources humaines et financières de cette unité, ou si les États membres doivent fournir l'infrastructure supplémentaire que nécessite cette activité. La première solution semble fondamentalement la plus adéquate.

 

4.5. L'intégration du réseau judiciaire européen

 

Il est important pour l'efficacité de la coopération judiciaire qu'il existe un lien direct entre l'équipe des délégués et le réseau judiciaire européen. Ce réseau et Eurojust ont des tâches, des caractéristiques et des compétences différentes [19]. Ces deux organes sont toutefois complémentaires et devraient fonctionner ensemble de manière harmonieuse. Dans la mesure du possible, il conviendrait d'éviter toute "concurrence", tout conflit de responsabilité ou toute duplication inutile des efforts. Il faudrait aussi veiller à ce que ces deux organes rationalisent leurs ressources et leurs activités et utilisent les premières dans un souci d'efficacité maximale. Il est important de lutter contre l'excès de bureaucratie qui pourrait résulter de la création d'organes aux tâches qui se chevauchent.

[19] Voir le document présenté par la délégation belge sur cette question (document du Conseil n° 11209/00 EUROJUST 11).

Tant les points de contact du réseau judiciaire européen qu'Eurojust en tant qu'unité centrale doivent être aussi accessibles et transparents que possible pour les juges, les procureurs et/ou les officiers de police de police nationaux et agents nationaux des douanes, ainsi que pour Europol et les institutions communautaires compétentes. Les points de contact du réseau judiciaire européen dans les États membres devraient continuer à être les principaux destinataires des juges et des procureurs nationaux, tandis que ces mêmes points de contact et les organes et institutions compétentes au niveau de l'Union (en particulier, Europol ou encore la Commission, par exemple par l'intermédiaire de l'OLAF) auraient des rapports directs avec Eurojust. Dans certains cas, comme il est dit plus haut, il devrait toutefois aussi être possible pour le personnel judiciaire ou les juges nationaux de se mettre directement en contact avec Eurojust, notamment lorsque plus de deux États membres sont concernés.

C'est pourquoi il semble indiqué de combiner et de connecter ces deux institutions compétentes en matière de coopération judiciaire. Eurojust, et en particulier son comité directeur, devrait aussi servir en quelque sorte de quartier général au réseau judiciaire européen. Par "quartier général" on n'entend pas ici une autorité chargée de superviser les points de contact nationaux, mais un point de convergence ou une unité centrale travaillant de pair avec les points de contact existants du réseau dans les États membres. Eurojust devrait être intégré au réseau de télécommunication créé par le réseau judiciaire européen de sorte que les liens entre les points de contact nationaux et les délégués du même pays au sein d'Eurojust restent très étroits.

Il semble opportun que la décision portant création d'Eurojust inclue les dispositions applicables au réseau judiciaire européen ou que l'instrument portant création du réseau judiciaire européen soit transformé en une décision du Conseil, et que des moyens appropriés soient affectés sur une base plus durable au réseau judiciaire en termes de secrétariat et de budget. Il faudra examiner comment le personnel d'Eurojust pourra soutenir les activités du Réseau Judiciaire Européen et dans quelle mesure le budget d'Eurojust pourrait couvrir les besoins de ce réseau.

 

4.6. Les relations avec Europol

 

Enfin, il conviendrait aussi de faire en sorte qu'Eurojust coopère étroitement et efficacement avec Europol. Dans une certaine mesure, Eurojust peut être considéré comme la contrepartie judiciaire d'Europol. À ce stade, le mot "contrepartie" n'implique pas qu'un contrôle judiciaire serait exercé sur Europol, mais signifie que les activités d'Europol doivent être soutenues et complétées par une coordination des poursuites [20]. Non seulement Europol pourrait avoir besoin de conseils juridiques sur certaines questions judiciaires, mais ses activités devront aussi être soutenues grâce à une coordination de l'activité des autorités nationales chargées des poursuites. Par ailleurs, pour mener à bien ses tâches de coordination, Eurojust devra utiliser les données recueillies et diffusées par Europol.

[20] Toutefois, comme il est expliqué ci-dessus, le champ d'activités d'Eurojust ne devrait pas être limité aux types de criminalité qui relèvent normalement d'Europol.

Ces deux institutions devront donc coopérer étroitement et développer des contacts continus et directs. Eurojust devrait avoir pleinement accès aux bases de données d'Europol, dans le respect des règles applicables en matière de protection des données et de confidentialité. Par conséquent, Eurojust pourrait décider dans certains cas de fournir des données à Europol. Les deux organes pourraient s'échanger leurs compilations et leurs avis sur le droit national, international et supranational. Il pourrait aussi être utile pour Europol et Eurojust de procéder à des échanges d'officiers de liaison et/ou de poser des règles pour permettre une coopération quotidienne réciproque. Des représentants d'Europol devraient au besoin être invités à prendre part à des réunions du comité directeur d'Eurojust. De même des représentants d'Eurojust pourraient être présents lors de réunions du conseil d'administration d'Europol.

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