ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
6 juin 2013
The Queen, à la demande de MA et autres contre Secretary of State for the Home Department
«Règlement (CE) no 343/2003 – Détermination de l’État membre responsable – Mineur non accompagné – Demandes d’asile déposées dans deux États membres successivement – Absence d’un membre de la famille du mineur sur le territoire d’un État membre – Article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003 – Transfert du mineur vers l’État membre dans lequel celui-ci a déposé sa première demande – Compatibilité – Intérêt supérieur de l’enfant – Article 24, paragraphe 2, de la Charte»
Dans l’affaire C-648/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 14 décembre 2011, parvenue à la Cour le 19 décembre 2011, dans la procédure
The Queen, à la demande de:
MA,
BT,
DA
contre
Secretary of State for the Home Department,
en présence de:
The AIRE Centre (Advice on Individual Rights in Europe) (UK),
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, MM. U. Lõhmus, M. Safjan et Mme A. Prechal, juges,
avocat général: M. P. Cruz Villalón,
greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 novembre 2012,
considérant les observations présentées:
– pour MA et BT, par M. S. Knafler, QC, Mme K. Cronin, barrister, et Mme L. Barratt, solicitor,
– pour DA, par M. S. Knafler, QC, Mme B. Poynor, barrister, et Mme D. Sheahan, solicitor,
– pour The AIRE Centre (Advice on Individual Rights in Europe) (UK), par M. D. Das, solicitor, M. R. Hussain, QC, et Mme C. Meredith, barrister,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Murrell, en qualité d’agent, assistée de Mme S. Lee, barrister,
– pour le gouvernement belge, par M. T. Materne, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement héllenique, par Mme M. Michelogiannaki, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement hongrois, par Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels, M. Noort et C. Schillemans, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement suisse, par M. O. Kjelsen, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 février 2013,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, second alinéa, du règlement (CE) nº 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO L 50, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MA, BT et DA, trois enfants mineurs ressortissants de pays tiers, au Secretary of State for the Home Department (ci-après le «Secretary of State») au sujet de la décision de celui-ci de ne pas examiner leurs demandes d’asile déposées au Royaume-Uni et de proposer leur transfert vers l’État membre dans lequel ils avaient déposé en premier lieu une demande d’asile.
Le cadre juridique
La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
3 L’article 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), qui, ainsi qu’il ressort des explications relatives à cette disposition, se fonde sur la convention relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989 et ratifiée par tous les États membres, dispose à son paragraphe 2:
«Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.»
Le règlement nº 343/2003
4 Les considérants 3 et 4 du règlement nº 343/2003 se lisent comme suit:
«(3) Les conclusions [du Conseil européen, lors de sa réunion spéciale de Tampere les 15 et 16 octobre 1999,] ont [...] précisé [que le régime d’asile européen commun] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.
(4) Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures de détermination de la qualité de réfugié et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes d’asile.»
5 Ainsi qu’il ressort du considérant 15 dudit règlement, lu à la lumière de l’article 6, paragraphe 1, TUE, ce même règlement respecte les droits, les libertés et les principes reconnus, notamment, par la Charte. En particulier, il vise à garantir, sur le fondement des articles 1er et 18 de celle-ci, le plein respect de la dignité humaine et du droit d’asile des demandeurs d’asile.
6 Il ressort du considérant 17 du règlement nº 343/2003 que, conformément à l’article 3 du protocole nº 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice annexé au traité UE et au traité FUE, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a notifié, par une lettre du 30 octobre 2001, son souhait de participer à l’adoption et à l’application de ce règlement.
7 Aux termes de l’article 2, sous c), d) et h), dudit règlement, on entend par:
«c) ‘demande d’asile’, la demande présentée par un ressortissant d’un pays tiers qui peut être comprise comme une demande de protection internationale par un État membre en vertu de la convention [relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951]. [...]
d) ‘demandeur’ ou ‘demandeur d’asile’, le ressortissant d’un pays tiers ayant présenté une demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement;
[...]
h) ‘mineur non accompagné’, des personnes non mariées âgées de moins de dix-huit ans qui entrent sur le territoire des États membres sans être accompagnées d’un adulte qui, de par la loi ou la coutume, en a la responsabilité et tant qu’elles ne sont pas effectivement prises en charge par un tel adulte [...]»
8 L’article 3 du règlement nº 343/2003, qui fait partie du chapitre II de celui-ci, intitulé «Principes généraux», dispose à ses paragraphes 1 et 2:
«1. Les États membres examinent toute demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers à l’un quelconque d’entre eux, que ce soit à la frontière ou sur le territoire de l’État membre concerné. La demande d’asile est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.
2. Par dérogation au paragraphe 1, chaque État membre peut examiner une demande d’asile qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. [...]»
9 Afin de déterminer l’«État membre responsable» au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 343/2003, les articles 6 à 14 de celui-ci, qui figurent sous son chapitre III, énoncent une liste de critères objectifs et hiérarchisés.
10 L’article 5 du règlement nº 343/2003 prévoit:
«1. Les critères pour la détermination de l’État membre responsable qui sont établis s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre.
2. La détermination de l’État membre responsable en application des critères se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur d’asile a présenté sa demande pour la première fois auprès d’un État membre.»
11 L’article 6 dudit règlement dispose:
«Si le demandeur d’asile est un mineur non accompagné, l’État membre responsable de l’examen de la demande est celui dans lequel un membre de sa famille se trouve légalement, pour autant que ce soit dans l’intérêt du mineur.
En l’absence d’un membre de la famille, l’État membre responsable de l’examen de la demande est celui dans lequel le mineur a introduit sa demande d’asile.»
12 L’article 13 du règlement nº 343/2003 est libellé comme suit:
«Lorsque l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande a été présentée est responsable de l’examen.»
La directive 2005/85/CE
13 L’article 25 de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO L 326, p. 13), intitulé «Demandes irrecevables», dispose:
«1. Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du [règlement nº 343/2003], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en application de la directive 2004/83/CE [du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes, qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO L 304, p. 12)], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.
2. Les États membres peuvent considérer une demande comme irrecevable en vertu du présent article lorsque:
a) le statut de réfugié a été accordé par un autre État membre;
[...]
f) le demandeur a introduit une demande identique après une décision finale;
[...]»
Le litige au principal
Le cas de MA
14 MA est une ressortissante érythréenne, née le 24 mai 1993, qui est arrivée au Royaume-Uni le 25 juillet 2008 où elle a déposé une demande d’asile dès son arrivée.
15 Ayant constaté que MA avait déjà déposé une demande d’asile en Italie, les autorités britanniques ont requis les autorités italiennes de la reprendre en charge conformément aux dispositions pertinentes du règlement nº 343/2003, ce qu’elles ont accepté de faire le 13 octobre 2008.
16 Le transfert vers l’Italie, qui aurait dû intervenir le 26 février 2009, n’a pas été exécuté. MA a formé un recours devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) afin de contester la légalité du transfert ordonné.
17 Le 25 mars 2010, le Secretary of State a décidé, en application de l’article 3, paragraphe 2, du règlement nº 343/2003, d’examiner sa demande d’asile. Le statut de réfugié lui a ensuite été octroyé.
18 Le Secretary of State a invité MA à retirer son recours, ce qu’elle a refusé de faire.
Le cas de BT
19 BT, née le 20 janvier 1993, est également une ressortissante érythréenne. Elle est arrivée au Royaume-Uni le 12 août 2009, où elle a, dès le lendemain, déposée une demandé d’asile.
20 Ayant constaté que BT avait déjà déposé une demande d’asile en Italie, les autorités britanniques ont requis les autorités italiennes de la reprendre en charge, ce qu’elles ont accepté de faire le 28 septembre 2009.
21 Le 4 décembre 2009, BT a été transférée vers l’Italie.
22 Elle a formé un recours devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) pour contester la légalité de son transfert vers Italie. À la suite d’une décision prise par ladite juridiction le 18 février 2010, BT a pu revenir au Royaume-Uni le 26 février 2010.
23 Le 25 mars 2010, le Secretary of State a décidé d’examiner, en application de l’article 3, paragraphe 2, du règlement nº 343/2003, la demande d’asile déposée par BT. Le statut de réfugié lui a été octroyé, mais elle n’a pas accepté de retirer son recours.
Le cas de DA
24 DA, ressortissant iraquien, est arrivé au Royaume-Uni le 20 novembre 2009, où il a sollicité l’asile le 8 décembre 2009. DA ayant reconnu avoir déjà déposé une demande d’asile aux Pays-bas, les autorités néerlandaises ont été requises aux fins de le reprendre en charge, ce qu’elles ont accepté de faire le 2 février 2010.
25 Le 14 juillet 2010, le Secretary of State a ordonné le transfert de DA vers les Pays-Bas. Toutefois, à la suite d’un recours formé par DA le 26 juillet 2010 devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), il a été décidé de ne pas exécuter le transfert. Le Secretary of State a depuis lors accepté d’examiner sa demande d’asile sur la base de l’article 3, paragraphe 2, du règlement nº 343/2003.
La procédure au principal et la question préjudicielle
26 Les trois affaires ont été jointes au principal.
27 Par un jugement du 21 décembre 2010, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) a rejeté les recours des requérants au principal et a jugé que, en vertu de l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003, un mineur non accompagné qui demande l’asile et dont aucun membre de la famille ne se trouve légalement sur le territoire de l’un des États membres est susceptible d’être renvoyé vers l’État membre dans lequel il a présenté pour la première fois une demande en ce sens.
28 MA, BT et DA ont interjeté appel de ce jugement devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division).
29 Dans sa décision de renvoi, cette juridiction observe qu’aucun des requérants au principal n’a de membre de sa famille, au sens du règlement nº 343/2003, se trouvant légalement sur le territoire de l’un des États membres.
30 Leurs recours ont été examinés ensemble parce qu’ils avaient tous trois demandé l’asile au Royaume-Uni en qualité de «mineur non accompagné» et que, dans chaque cas, le Secretary of State a, dans un premier temps, classé sans suite le recours pour des motifs tirés du caractère sûr des deux États membres vers lesquels il entendait les renvoyer.
31 La juridiction de renvoi considère qu’il est significatif que l’emploi des termes «a présenté sa demande pour la première fois» à l’article 5, paragraphe 2, du règlement nº 343/2003 n’a pas été renouvelé à l’article 6, second alinéa, de ce règlement, où le libellé est simplement «a introduit sa demande». En outre, elle souligne que, dans la hiérarchie des critères énoncés au chapitre III dudit règlement, les mineurs non accompagnés occupent la première place.
32 En ce qui concerne la recevabilité de sa question, elle relève notamment qu’il existe encore un point litigieux non tranché entre les parties sous la forme d’une demande de dommages et intérêts présentée par BT.
33 Dans ces conditions, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Dans le [règlement no 343/2003], quel est l’État membre qui est désigné comme responsable de l’examen de la demande d’asile par le second alinéa de l’article 6 lorsqu’un demandeur d’asile, qui est un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille ne se trouve légalement dans un État membre, a présenté des demandes d’asile dans plus d’un État membre?»
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
34 Le gouvernement belge soutient, à titre principal, que la demande de décision préjudicielle est irrecevable.
35 Il prétend, notamment, que, dès lors que le Secretary of State a accepté d’examiner les demandes d’asile déposées par les requérants au principal, il n’y a plus réellement de litige au principal. La question de savoir si le critère fixé à l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003 désignerait comme «État membre responsable» le Royaume-Uni ou le premier État membre auprès duquel les requérants au principal ont déposé une demande d’asile n’aurait désormais qu’un caractère académique à l’égard desdits requérants et une réponse serait utile uniquement pour d’autres affaires dont sont ou pourraient être saisies les juridictions nationales.
36 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 12 mars 1998, Djabali, C-314/96, Rec. p. I-1149, point 17; du 20 janvier 2005, García Blanco, C-225/02, Rec. p. I-523, point 26, et du 15 septembre 2011, Unió de Pagesos de Catalunya, C-197/10, Rec. p. I-8495, point 16).
37 Les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 12 octobre 2010, Rosenbladt, C-45/09, Rec. p. I-9391, point 33 et jurisprudence citée).
38 En l’occurrence, il importe de relever que, dans sa décision de renvoi, la juridiction de renvoi a précisé qu’elle doit statuer sur la demande de dommages et intérêts dont elle est saisie par BT.
39 Or, l’octroi d’éventuels dommages et intérêts à BT serait affecté par la réponse à la question posée.
40 Au regard de l’existence d’une telle demande de dommages et intérêts, qui fait partie intégrante de l’affaire au principal, la question préjudicielle demeure pertinente pour la solution du litige dont est saisie la juridiction de renvoi.
41 Dans ces conditions, la question posée ne présente pas un caractère hypothétique et la demande de décision préjudicielle est donc recevable.
Sur le fond
42 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille ne se trouve légalement sur le territoire d’un État membre a déposé des demandes d’asile dans plus d’un État membre, il désigne comme l’«État membre responsable» l’État membre auprès duquel ce mineur a déposé sa première demande ou bien celui dans lequel il se trouve après y avoir déposé sa dernière demande en ce sens.
43 À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 343/2003, la demande d’asile est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III de ce règlement désignent comme responsable.
44 L’article 5, paragraphe 1, dudit règlement dispose que les critères pour la détermination de l’État membre responsable s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés audit chapitre III.
45 Il ressort de l’article 5, paragraphe 2, du même règlement que la détermination de l’État membre responsable en application des critères fixés aux articles 6 à 14 de celui-ci se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur d’asile a présenté sa demande pour la première fois auprès d’un État membre. Cette disposition ne saurait avoir pour objet de modifier le sens desdits critères. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 56 de ses conclusions, elle vise seulement à déterminer le cadre dans lequel lesdits critères doivent être appliqués pour déterminer l’État membre responsable.
46 Le premier des critères établis au chapitre III du règlement nº 343/2003 est celui prévu à l’article 6 de celui-ci, qui permet de désigner l’État membre responsable de l’examen d’une demande déposée par un mineur non accompagné au sens de l’article 2, sous h), de ce règlement.
47 Aux termes du premier alinéa dudit article 6, l’État membre responsable de l’examen d’une demande déposée par un mineur non accompagné est celui dans lequel un membre de sa famille se trouve légalement, pour autant que ce soit dans l’intérêt du mineur.
48 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’aucun membre des familles des requérants au principal ne se trouve légalement dans un État membre et l’État membre responsable doit dès lors être désigné sur le fondement de l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003, qui prévoit que la responsabilité appartient à l’État membre «dans lequel le mineur a introduit sa demande d’asile».
49 Ces termes ne permettent pas à eux seuls de déterminer si la demande d’asile visée est la première demande en ce sens déposée par le mineur concerné dans un État membre ou celle qu’il a déposée en dernier lieu dans un autre État membre.
50 Toutefois, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêts du 29 janvier 2009, Petrosian, C-19/08, Rec. p. I-495, point 34, et du 23 décembre 2009, Detiček, C-403/09 PPU, Rec. p. I-12193, point 33).
51 En ce qui concerne le contexte de l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003, d’une part, il importe de relever que l’utilisation de l’expression «a présenté sa demande pour la première fois» employée à l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement n’a pas été reprise à l’article 6, second alinéa, dudit règlement. D’autre part, cette dernière disposition fait référence à l’État membre «dans lequel le mineur a introduit sa demande d’asile», tandis que l’article 13 du même règlement indique expressément que «le premier État membre auprès duquel la demande d’asile a été présentée est responsable de l’examen».
52 Or, à supposer que le législateur de l’Union ait eu l’intention de désigner, à l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003, «le premier État membre» comme responsable, cela aurait été exprimé dans les mêmes termes précis qu’à l’article 13 de ce règlement.
53 Partant, l’expression «l’État membre [...] dans lequel le mineur a introduit sa demande d’asile» ne saurait être comprise comme indiquant «le premier État membre dans lequel le mineur a introduit sa demande d’asile».
54 En outre, l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003 doit également être interprété au regard de son objectif, lequel est d’accorder une attention particulière aux mineurs non accompagnés, ainsi qu’au regard de l’objectif principal de ce règlement qui, ainsi que l’énoncent ses considérants 3 et 4, vise à garantir un accès effectif à une évaluation de la qualité de réfugié du demandeur.
55 Or, les mineurs non accompagnés formant une catégorie de personnes particulièrement vulnérables, il importe de ne pas prolonger plus que strictement nécessaire la procédure de détermination de l’État membre responsable, ce qui implique que, en principe, ils ne soient pas transférés vers un autre État membre.
56 Les considérations qui précèdent sont corroborées par les exigences qui découlent du considérant 15 du règlement nº 343/2003, aux termes duquel ce dernier respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus, notamment, par la Charte.
57 En effet, parmi ces droits fondamentaux figure notamment celui, énoncé à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, de veiller à ce que, dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale.
58 Ainsi, l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003 ne saurait être interprété d’une manière telle qu’il méconnaîtrait ledit droit fondamental (voir, par analogie, arrêts Detiček, précité, points 54 et 55, ainsi que du 5 octobre 2010, McB., C-400/10 PPU, Rec. p. I-8965, point 60).
59 Dès lors, bien que l’intérêt du mineur soit uniquement mentionné explicitement au premier alinéa de l’article 6 du règlement nº 343/2003, l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, lu en combinaison avec l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, a pour effet que, dans toutes les décisions qu’adoptent les États membres sur le fondement du second alinéa dudit article 6, l’intérêt supérieur de l’enfant doit également être une considération primordiale.
60 Cette prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant exige, en principe, que, dans des circonstances telles que celles caractérisant la situation des requérants au principal, l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003 soit interprété en ce sens qu’il désigne comme responsable l’État membre dans lequel le mineur se trouve après y avoir déposé une demande.
61 En effet, dans l’intérêt des mineurs non accompagnés, il importe, ainsi qu’il ressort du point 55 du présent arrêt, de ne pas prolonger inutilement la procédure de détermination de l’État membre responsable, mais de leur assurer un accès rapide aux procédures de détermination de la qualité de réfugié.
62 Cette méthode de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile déposée par un mineur non accompagné n’ayant pas de membre de sa famille sur le territoire d’un État membre est fondée sur un critère objectif comme l’énonce le considérant 4 du règlement nº 343/2003.
63 En outre, une telle interprétation de l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003, qui désigne comme responsable l’État membre dans lequel le mineur se trouve après y avoir déposé une demande, n’implique pas, contrairement à ce qu’a fait valoir le gouvernement néerlandais dans ses observations écrites, que le mineur non accompagné qui a vu sa demande d’asile rejetée au fond dans un premier État membre puisse ensuite contraindre un autre État membre à examiner une demande d’asile.
64 En effet, il ressort de l’article 25 de la directive 2005/85 que, outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement nº 343/2003, les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur a la qualité de réfugié lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable parce que, notamment, le demandeur d’asile a introduit une demande identique après qu’une décision finale lui a été opposée.
65 Par ailleurs, il convient d’ajouter que, la demande d’asile ne devant être examinée que par un seul État membre, l’État membre qui, dans des circonstances telles que celles au principal, est désigné comme responsable en vertu de l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003, en informe l’État membre auprès duquel la première demande d’asile a été introduite.
66 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 6, second alinéa, du règlement nº 343/2003 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles au principal, dans lesquelles un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille ne se trouve légalement sur le territoire d’un État membre a déposé des demandes d’asile dans plus d’un État membre, il désigne comme l’«État membre responsable» l’État membre dans lequel se trouve ce mineur après y avoir déposé une demande d’asile.
Sur les dépens
67 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
L’article 6, second alinéa, du règlement (CE) nº 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles au principal, dans lesquelles un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille ne se trouve légalement sur le territoire d’un État membre a déposé des demandes d’asile dans plus d’un État membre, il désigne comme l’«État membre responsable» l’État membre dans lequel se trouve ce mineur après y avoir déposé une demande d’asile.
Signatures
Langue de procédure: l’anglais.